48
David Bowie, l’odyssée spéciale CANADA— JUSTIN TRUDEAU, AU NOM DU PÈRE ENQUÊTE —FIN DE RÈGNE À LA DEUTSCHE BANK La guerre ouverte IRAN-ARABIE SAOUDITE La bataille pour le leadership du Moyen-Orient risque de provoquer un conflit d’une ampleur sans précédent entre chiites et sunnites. N° 1315 du 14 au 20 janvier 2016 courrierinternational.com France : 3,90 € FÊTE DU GRAPHISME UN PRODIGE POLONAIS SME IGE S Afrique CFA 3 200 FCFA Algérie 480 DA Allemagne 4,50 € Andorre 4,50 € Autriche 4,50 € Canada 6,95 $CAN DOM 4,90 € Espagne 4,50 € E-U 7,50 $US G-B 3,80 £ Grèce 4,50 € Irlande 4,50 € Italie 4,50 € Japon 800 ¥ Maroc 38 DH Pays-Bas 4,50 € Portugal cont. 4,50 € Suisse 6,20 CHF TOM 790 CFP Tunisie 6,50 DTU

Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Embed Size (px)

DESCRIPTION

document presse

Citation preview

Page 1: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

David Bowie, l’odyssée spéciale

CANADA— JUSTIN TRUDEAU, AU NOM DU PÈREENQUÊTE —FIN DE RÈGNE À LA DEUTSCHE BANK

La guerre ouverte

IRAN-ARABIE SAOUDITE

La bataille pour le leadership du Moyen-Orient risque de provoquer un conflit d’une ampleur

sans précédent entre chiites et sunnites.

N° 1315 du 14 au 20 janvier 2016courrierinternational.comFrance : 3,90 €

FÊTE DU GRAPHISMEUN PRODIGE POLONAIS

GRAPHISMEGRAPHISMEUN PRODIGE UN PRODIGE POLONAISPOLONAIS

Afriq

ue C

FA 3

200 

FCFA

Alg

érie

480

 DA

Alle

mag

ne 4

,50 

€ A

ndor

re 4

,50 

€ Au

tric

he 4

,50 

€ C

anad

a 6,

95 $C

AN

DOM

4,9

0 €

Esp

agne

4,5

0 €

E-U

7,50

 $US

G-B

3,80

 £ G

rèce

4,5

0 €

Irlan

de 4

,50 

€ It

alie

4,5

0 €

Jap

on 8

00 ¥

Mar

oc 38

 DH

Pay

s-Ba

s 4,5

0 €

Port

ugal

con

t. 4,

50 €

Sui

sse

6,20

 CHF

TO

M 79

0 CF

P Tu

nisi

e 6,

50 D

TU

Page 2: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016
Page 3: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016
Page 4: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

4. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Après le pétrole, les réformes

La scène se déroule à bord du croiseur américain Quincy le 14 février 1945. Ce jour-là,

sur les eaux du canal de Suez, Franklin Delano Roosevelt, le président américain, de retour de la conférence de Yalta, et le roi d’Arabie Abdel Aziz ben Abderrahmane Al-Saoud, accompagné “d’esclaves (noirs), d’un goûteur, d’un astrologue et de 8 moutons”, scellent un pacte qui va durer sept décennies. Le principe est simple. “Aux Etats-Unis l’assurance de pouvoir exploiter le pétrole saoudien. Aux Saoudiens celle d’être protégés par le parapluie américain”, raconte le journal L’Orient-Le Jour. Mais, en 2015, ce pacte “pétrole contre sécurité” s’est définitivement dilué dans les sables de la péninsule arabique. La révolution des gaz de schiste a en effet affranchi les Etats-Unis de leur dépendance vis-à-vis de l’or noir du Moyen-Orient. Et le rapprochement entre Washington et Téhéran a renforcé l’inquiétude de Riyad face à l’éloignement américain. C’est pour le royaume saoudien un nouveau monde à reconstruire, dans un contexte chargé de menaces. Face aux ambitions iraniennes, aux attaques de l’Etat islamique, à l’effondrement du prix du pétrole et aux critiques internationales, la nouvelle équipe au pouvoir, largement pilotée par le jeune prince Mohamed ben Salmane, promet au pays une “révolution thatchérienne”. Libéralisation économique, programme d’austérité, introduction en Bourse du géant pétrolier Aramco : après les chameaux et les Cadillac, l’Arabie Saoudite découvre les réformes. Et montre qu’elle peut avoir du pétrole et des idées. Sauf sur un plan : la libéralisation politique. Quarante-sept exécutions organisées ce 2 janvier, 158 en 2015 : ce décompte macabre de l’Arabie Saoudite, sans atteindre celui de l’Iran (plus d’un millier d’exécutions l’an passé), témoigne qu’en dépit des changements annoncés le régime de Riyad demeure l’un des plus cruels et des plus rétrogrades de la planète.

En couverture :— A gauche, Ali Khamenei, guide suprême de l’Iran. A droite, Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud, roi d’Arabie Saoudite. Dessin de Petar Pismestrovic paru dans Kleine Zeitung, Autriche/ Cagle Cartoons— David Bowie : dessin de Ruben, Pays-Bas.

p.28

à la une

La tension entre les deux pays éclipse les conflits qui opposent Riyad et Téhéran, au Yémen et en Syrie. Le pouvoir saoudien cherche à contrer l’hégémonie sur le Moyen-Orient d’un Iran réconcilié avec l’Occident via l’accord sur le nucléaire. La guerre sunnites-chiites, évitée pendant des siècles, est-elle à l’ordre du jour ? Analyses de Zaman, du Washington Post, du Financial Times…

Da

rio

, M

exiq

ue

sur notre site

www.courrierinternational.comEnquête. Confessions d’un espion de DaechPhotos. Tour du monde des images marquantes de la semaineCinéma. La fascination mutuelle entre Hollywood et la mafia

Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

sommaireéditoriaLériC ChoL

J. C

. Fr

an

Cis

Iran – Arabie Saoudite LA guerre ouverte

↑ Mesures d’austérité drastiques en Arabie Saoudite. Dessin de Dilem paru dans Liberté, Alger.

p.26

France. Les “douze salopards” historiquesInspiré par le grand classique du cinéma américain Dirty Dozen, Politico fait un tour d’horizon (cruel) des personnalités qui ont miné le pays, de Vercingétorix aux Le Pen.

p.7 mexique

Le scandale de la rencontre entre Sean Penn et El ChapoLe récit dans le magazine Rolling Stone de l’entretien secret entre l’acteur américain et l’un des fugitifs les plus recherchés du monde, le narcotrafiquant Joaquín Guzmán, arrêté le 8 janvier, a choqué le Mexique, explique La Jornada.

David Bowie, un génie au-delà de la musiqueDécédé le 10 janvier, il a incarné mieux que quiconque l’esprit de subversion né du rock des années 1960, écrit The Guardian.

p.38

Sciences. Les humains, super-dormeursSi nous dormons moins que d’autres mammifères, nous dormons “mieux”. Selon une étude américaine, la bonne qualité de notre sommeil nous a probablement permis de dominer la planète.

le mondedans

7 jours

p.9 CuLture

Page 5: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Chez votre marchand de journaux

Un hors-série de

Page 6: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

6. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Offre d’abonnement Bulletin à retourner à : Courrier international Service Abonnements - A2100 - 62066 Arras Cedex 9

chèque à l’ordre de Courrier international

carte bancaire nº

Expire fin Cryptogramme

Je m’abonne pour :1 an (52 numéros) au prix de 109 € au lieu de 191,20 €*1 an (52 numéros) + 4 hors-séries au prix de 131,80 € au lieu de 225,20 €*1 an d’accès au numérique au prix de 76,90 € (e-mail obligatoire)

Je choisis de régler par :

NOM PRÉNOM

ADRESSE

CP VILLE

TÉLÉPHONE e-mail

date et signature obligatoires

* Prix de vente au numéro. En application de la loi du 6-1-1978, le droit d’accès et de rectification concernant les abonnés peut s’exercer auprès du service Abonnements. Pour l’étranger, nous consulter. Ces informations pourront être cédées à des organismes extérieurs, sauf si vous cochez la case ci-contre.

Monsieur Madame RCO1600PBI001

Plus simple et plus rapideabonnez-vous sur boutique.courrierinternational.com oupar téléphone au 03 21 13 04 31 (non surtaxé)

Votre abonnement à l’étranger :Belgique :(32) 2 744 44 33 - [email protected] :(1) 800 363 1310 - [email protected] :(41) 022 860 84 01 - [email protected]

Avantage abonnésRendez-vous sur courrierinternational.comn La version numérique du magazine dès le mercredi soirn L’édition abonnés du site Internetn 20 ans d'archives, soit près de 100 000 articlesn L’accès illimité sur tous vos supports numériques.

@

Je souhaite recevoir des offres de Courrier international : □ oui □ nonJe souhaite recevoir des offres des partenaires de Courrier international : □ oui □ non

Indiquez votre adresse mail pour créer votre compte et bénéficier de tous vos avantages

SommaireEdité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire : La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal janvier 2016. Commission paritaire n° 0717c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel lecteurs@courrier international.com Directeur de la rédaction Eric Chol Directrice adjointe de la rédaction Claire Carrard (16 58) Rédacteur en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57) Rédacteurs en chef adjoints Raymond Clarinard (16 77), Hamdam Mostafavi (17 33) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Édition Virginie Lepetit (chef d’édition, 16 12), Fatima Rizki (17 30)7 jours dans le monde Paul Grisot (chef de rubrique, Courrier Voyages, 17 48), Europe Gerry Feehily (chef de service, 16 95), Danièle Renon (chef de service adjointe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Laurence Habay (chef de service adjointe, Russie, est de l’Europe, 16 36), Judith Sinnige (Royaume-Uni, Irlande, Pays-Bas, 19 74), Carole Lyon (Italie, 17 36), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16 34), Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, Pologne, 16 74), Emmanuelle Morau (chef de rubrique, France, 19 72), Alexandre Lévy (Bulgarie), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Agnès Jarfas (Hongrie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie), Alda Engoian (Caucase, Asie centrale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Sabine Grandadam (chef de service, Amérique latine, 16 97), Paul Jurgens (Brésil), Martin Gauthier (Canada) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16  24), Ysana Takino (Japon, 16 38), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Guillaume Delacroix (Asie du Sud), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16  69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (chef de rubrique, 16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique, Maghreb, 16 35), Sébastien Hervieu (Afrique australe) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Carole Lembezat (chef de rubrique, Courrier Sciences, 16 40), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Corentin Pennarguear (Tendances, 16 93), Mélanie Liff schitz (Histoire, 16 96)

Site Internet Hamdam Mostafavi (responsable, 17 33), Carolin Lohrenz (chef de service adjointe, 19 77), Clara Tellier Savary (chef d’édition), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Lucie Geff roy (rédactrice multimédia, Courrier Enquêtes, 16 86), Hoda Saliby (rédactrice multimédia, 16 35)Courrier Expat Ingrid Therwath (16 51) Marketing web Marie-Laëtitia Houradou (responsable, 16 87), Patricia Fernández Perez, Paul-Boris Bouzin

Traduction Raymond Clarinard (responsable, Courrier Histoire), Caroline Lee (chef de service adjointe, anglais, allemand, coréen), Julie Marcot (chef de service adjointe, anglais, espagnol, portugais), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino ( japonais, anglais), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois, anglais), Mélanie Liff schitz (anglais, espagnol), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Emmanuel Tronquart Pôle visuel Sophie-Anne Delhomme (responsable), Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Pierrick Van-Thé Iconographie Luc Briand (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53), Céline Merrien (colorisation) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Informatique Denis Scudeller (16 84), Rollo Gleeson (développeur)

Directeur industriel Eric Carle Directrice de la fabrication Nathalie Communeau, Sarah Tréhin (chef de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Alice Andersen, Jean-Baptiste Bor, Emmanuelle Cardea, Ekaterina Dvinina, Benjamin Fernandez, Raphaël Godechot, Sabrina Haessler, Elisabeth Kulakowski, Jean-Baptiste Luciani, Valentine Morizot, Leslie Talaga, Isabelle Taudière, Anne Thiaville

Publicité M�Publicité, 80, boulevard Blanqui, 75013 Paris, tél. : 01 57 28 20�20 Directrice générale Corinne Mrejen Directeur délégué David Eskenazy ([email protected], 38 63) Directeurs de clientèle Laëtitia de Clerck ([email protected], 37 28) Chef de publicité Marjorie Couderc ([email protected], 37 97) Assistante commerciale Carole Fraschini ([email protected], 38 68) Partenariat et publicité culturelle Guillaume Drouillet ([email protected], 10 29)Régions Eric Langevin (eric.langevin @mpublicite.fr, 38 04) Annonces classées Cyril Gardère ([email protected], 38 88) Site Internet Alexandre de Montmarin ([email protected], 38 07) Agence Courrier Marie-Laëtitia Houradou (16 87), Emmanuelle Cardea (16 08)

Gestion Administration Bénédicte Menault-Lenne (responsable, 16 13)Romain Poirrier Droits Eleonora Pizzi (16 52) Comptabilité 01 48 88 45 51 Direc-teur de la diffusion et de la production Hervé Bonnaud Responsable des ventes France Christophe Chantrel Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Communication et promotion Brigitte Billiard, Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Véronique Saudemont (17 39), Kevin Jolivet (16 89)

Modifi cations de services ventes au numéro, réassorts 0805 05 01 47 Service clients Abonnements Courrier international, Service abonnements, A2100 - 62066 Arras Cedex 9. Tél. 03 21 13 04 31 Fax 01 57 67 44 96 (du lundi au vendredi de 9 h à 18 h) Courriel [email protected]

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine : Correspondents.org (correspondents.org) Berlin, en ligne. The Daily Telegraph Londres, quotidien. Expresso Lisbonne, hebdomadaire. Financial Times Londres, quotidien. The Guardian Londres, quotidien. El Informador Guadalajara, quotidien. La Jornada Mexico, quotidien. Jornal de Notícias Porto, quotidien. Kyunghyang Shinmun Séoul, quotidien. Mainichi Shimbun Tokyo, quotidien. Ming Pao Hong Kong, quotidien. Al-Monitor (al-monitor.com) Washington, en ligne. The New York Times New York, quotidien. Politico (politico.eu) Bruxelles, en ligne. Pressian (pressian.com)

Séoul, en ligne. Puterea a Cincea (putereaacincea.ro) Bucarest, en ligne. La Repubblica Rome, quotidien. Quartz (qz.com) New York, en ligne. As-Safi r Beyrouth, quotidien. Der Spiegel Berlin, hebdomadaire. De Volkskrant Amsterdam, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien. Zaman Istanbul, quotidien. Die Zeit Hambourg, hebdomadaire. Znak Cracovie, mensuel.

← Toutes nos sources Scannez cette vignette et accédez à la rubrique “Nos sources” de notre site courrierinternational.com où vous trouverez un descriptif de chaque source et le lien vers son site.

Courrier international, USPS number 013-465, is published weekly 49 times per year (triple issue in Aug and in Dec), by Courrier International SA c/o Distribution Grid. at 900 Castle Rd Secaucus, NJ 07094, USA. Periodicals Postage paid at Secaucus, NJ. and at additional mailing Offi ces. POST-MASTER : Send address changes to Courrier International c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

p.16

— AMÉRIQUES 20. Canada. Justin ou l’héritage du clan Trudeau

— EUROPE 23. Allemagne. Cologne : comme un attentat24. Moldavie. Une année politique cauchemardesque25. Pays-Bas. Haro sur les centrales belges !

— FRANCE 26. France. Les “douze salopards” historiques

27. Société. Un coup dur à l’idéal

républicain

A la une28. Téhéran-Riyad : la guerre ouverte

7 jours dans le monde7. Mexique. Sean Penn et El Chapo : la rencontre qui fait tache10. Controverse. Faut-il criminaliser le harcèlement sexuel dans la rue ?

D’un continent à l’autre— AGENDA 2016 12. La boule de cristal du Financial Times

— ASIE 15. Corée du Nord. L’opiniâtre escalade nucléaire16. Hong Kong. Disparitions mystérieuses ou rapts politiques ?17. Corée du Sud. Un accord “humiliant” avec le Japon

— AFRIQUE18. Libye. Comment vaincre Daech et sauver le pétrole

Transversales34. Economie. Les banquiers se cachent pour mourir (1/2)36. Sciences. Le secret du bleu de geai38. Anthropologie. Les humains, super-dormeurs39. Signaux. Marchandise humaine

360° 40. Festival. “Les graphistes polonais aiment faire des choses à contre-courant”45. Histoire. Le pok-ta-pok, jeu divin46. Tendances. La ligue des Africains extraordinaires

RECTIFICATIFUne erreur s’est glissée dans notre hors-série Le Monde en 2016. Les prévisions du Maroc et celles du Nigeria (p. 69) ont été interverties. Nous présentons toutes nos excuses à nos lecteurs.

Page 7: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

7

“Mein Kampf” en librairieAllemAgne — Le 8 janvier est parue dans les librairies alle-mandes une édition critique de Mein Kampf, œuvre tombée dans le domaine public, soixante-dix ans après la mort de Hitler. “Devons-nous avoir peur de ce livre et de son discours méprisant pour le genre humain ? s’interroge Deutsche Welle. Absolument pas. Car l’Allemagne a changé.” Le quo-tidien rappelle que l’Allemagne

est désormais une démocratie stable, même s’il faut continuer de se battre pour la défendre, “mais il n’est pas moins crucial de mettre au jour la démagogie de Mein Kampf”.

La rançon de la téméritémAli — Déjà k idnappée à Tombouctou par des islamistes puis relâchée en janvier 2013, la

Suissesse Béatrice Stockly a été enlevée le 7 janvier dans cette même ville du nord du Mali. Pour le quotidien burkinabé Le Pays, cette travailleuse huma-nitaire a pris trop de risques et “s’est jetée dans la gueule du loup” en retournant dans une zone “infestée de terroristes”, où les islamistes “ont pignon sur rue” et où “bien des humanitaires ont fini par comprendre l’urgence de plier bagage”. Et de conclure : “En somme, c’est la rançon de sa témérité qu’elle récolte.”

7 jours dansle monde. → L’un s’imaginait

journaliste, l’autre star de cinéma. Dessin de Taylor Jones, Etats-Unis.MEXIQUE

Sean Penn et El Chapo : la rencontre qui fait tacheLe récit dans le magazine Rolling Stone de l’entretien secret entre l’acteur américain et l’un des fugitifs les plus recherchés du monde, le narcotrafiquant Joaquín Guzmán, arrêté le 8 janvier, a choqué le Mexique.

—La Jornada Mexico

Le lendemain de la capture de Joaquín Guzmán Loera, alias El Chapo [le trapu], à Los Mochis (Etat de

Sinaloa), on apprenait que l’acteur améri-cain Sean Penn avait interviewé le chef du cartel de Sinaloa. Cet entretien, d’après les informations dont on dispose, a eu lieu le 2 octobre dernier, alors même qu’El Chapo était activement recherché par les autori-tés mexicaines après sa deuxième évasion d’une prison de haute sécurité [en juillet 2015]. L’interview a été rendue possible par l’intercession d’une actrice mexicaine amie de Sean Penn.

Indépendamment de l’intérêt journa-listique du document, sa diffusion en dit long sur le caractère confus de l’actuelle guerre contre le narcotrafic. Elle révèle aussi la frontière ténue entre la pègre et le reste de la société, sans parler de l’ineffica-cité brouillonne des institutions chargées d’assurer la sécurité et de rendre la justice.

D’après une note de la rédaction de Rolling Stone, au moment où l’édition conte-nant l’interview partait à l’imprimerie, le chef mafieux était capturé à Los Mochis. Cette affirmation, si elle est vraie, sou-lève bien des interrogations sur l’arresta-tion du chef du cartel de Sinaloa. On est en droit de se demander, par exemple, si le gouvernement fédéral a eu connaissance de l’entretien dans les jours qui ont pré-cédé la nouvelle arrestation d’El Chapo. On peut se demander également si cette

connaissance a accéléré les mesures poli-cières et militaires visant à le localiser, ou si au contraire les autorités nationales ignoraient totalement que le fugitif le plus recherché du pays recevait des médias internationaux et des vedettes du cinéma pour donner des interviews.

En outre, la publication de l’entretien pose le problème de la responsabilité civique et morale des citoyens de notre pays en ce qui concerne la préservation de l’Etat de droit. L’évidente proximité entre les élites du show-business et certains chefs d’orga-nisations criminelles a pour corollaire une politique de sécurité qui a fait des dizaines de milliers de morts, a englouti de fortes sommes d’argent public destinées à pour-suivre des trafiquants présumés et a grave-ment perturbé la paix sociale sur de larges zones du territoire national.

Malgré tout, il est clair désormais que, tandis que les autorités fédérales s’étaient lancées de leur propre aveu dans une chasse à l’homme sans précédent pour capturer El Chapo, au moins un média étranger, un acteur américain et une compatriote savaient où se trouvait le narcotrafiquant – sans que cela donne lieu, manifestement, à la moindre dénonciation aux autorités. Par ailleurs, il ressort de ce document journalistique que Guzmán Loera cite de nombreuses grandes entreprises cor-rompues [tout en demandant que leurs noms ne soient pas publiés], au Mexique et à l’étranger. Avec un mépris savoureux, il précise qu’il s’est servi de plusieurs

d’entre elles pour blanchir l’argent de la drogue, et que ces sociétés prélevaient leur part du narco-gâteau. Ce qui vient nous rappeler que la lutte contre le trafic de drogue ne devrait pas se limiter pas à la liste des trafiquants présumés signa-lés périodiquement par les autorités mexicaines et américaines comme les plus recherchés. En effet, le narcotra-fic a des ramifications dans différentes couches de la société et de l’économie prétendument légale.

Une chose est sûre, si les autorités ne s’attaquent pas à tous ces fronts dans leur lutte contre les trafiquants de drogue, et plus généralement contre la criminalité organisée, elles sont vouées à une agi-tation stérile.—

Publié le 10 janvier

L’infante sur le banc des accusésespAgne — Le procès de l’infante Cristina, sœur du roi, accusée de dé tournement de fonds publics, a débuté le 11 janvier. Pour El País, c’est “la preuve que – même

SoUrcE

lA JornAdAMexico, MexiqueQuotidien, 110 000 ex.www.jornada.unam.mxFondée en 1984, “La Journée” est un quotidien de référence au Mexique. Critique, indépendant, marqué à gauche, il est lu par la classe moyenne et les universitaires.

si elle est lente – la justice fonctionne dans notre pays comme un pouvoir indé-

pendant et pro-fess ionnel , e t ce malg ré l e

peu de moyens qui lui sont alloués et les

fortes pressions qui pèsent sur elle”. Ce procès arrive à un moment délicat pour le pays, qui n’a toujours pas de gouvernement depuis

les élections du 20 décembre.

cag

le c

art

oo

ns

des

sin

de

ma

rtir

ena

, cu

ba

Page 8: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

7 JOURS8. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

La famine arme de guerreSYRIE — Les 40 000 habitants de Madaya, petite ville de l’ouest du pays, subissent depuis six mois le siège du régime de Bachar El-Assad, qui a coupé l’appro-visionnement en vivres. Une trentaine de personnes étaient déjà mortes de faim depuis début décembre, alors que la Croix-Rouge a envoyé un convoi humanitaire le 11 janvier. “Assad sait qu’il a défi nitivement perdu le soutien des sunnites, qui forment la majorité du pays, écrit le site saoudien Al-Arabiya. Il emploie désormais la stratégie de la famine, dans une guerre totale contre sa propre population.”

Le drone veille VIETNAM — Hanoi a présenté fi n décembre le HS-6L, son drone le plus performant, rapporte The Diplomat, citant la revue IHS Jane’s Defence Weekly. Equipé de matériel de surveillance et disposant d’une autonomie de 4 000 kilomètres, “il pourrait être utilisé pour sur-veiller les installations militaires que la Chine construit en mer de Chine méridionale”.

Une sécession “précipitée”ESPAGNE — Dimanche 10 jan-vier, le Parlement de Catalogne a fi nalement élu un nouveau prési-dent, Carles Puigdemont, à l’issue d’un “accord de dernière minute” entre la coalition indépendan-tiste et le parti de gauche radicale CUP, rapporte La Vanguardia. Puigdemont répète cependant l’erreur de son prédécesseur Artur Mas, estime le quotidien, par “la précipitation avec laquelle il prétend mettre en place un pro-cessus [d’indépendance], malgré les obstacles de toutes sortes, y compris juridiques”.

Perte de vitesse SYRIE-IRAK — “La vérité sur Daech est qu’il est en crise”, titre The Spectator dans son édition du 9 janvier. L’hebdomadaire britannique consacre un dossier à l’orga-nisation terroriste, “qui n’est plus la force qu’elle était il y a douze mois”. Outre les récentes défaites militaires, de plus en plus de combattants étrangers semblent quitter ou vouloir quitter les rangs de l’organisation – 400 d’entre eux seraient partis en moins de six mois en 2015, assure le magazine.

5

LA PHOTO DE LA SEMAINE

Les hors-la-loi de l’Oregon

ÉTATS-UNIS — “C’est devenu une scène familière : un groupe de ‘patriotes’ armés rassemblés dans une localité rurale de l’Ouest, qui protestent contre la politique fédérale d’occupation des sols et contestent la légitimité du gouvernement”, écrit The Washington Post le 7 janvier. Depuis le 2 janvier, des hommes armés occupent le siège du parc naturel Malheur, dans l’Oregon, pour protester contre la protection des terres, piétinant ainsi la loi sans que le gouvernement intervienne. “Les actions de ce genre, quand elles sont menées par des conservateurs blancs, tiennent en échec ceux qui sont chargés de faire respecter la loi”, regrette le quotidien.

ILS PARLENTDE NOUS

ALBERTO MATTIOLI, journaliste du quotidien italien La Stampa

Primaires à gauche : “Une folie pour les socialistes”Une quarantaine d’intellectuels et d’artistes ont lancé un appel pour l’organisation d’une primaire à gauche avant l’élection de 2017. Qu’en pensez-vous ?Pour moi, cela serait tout simplement

une folie d’organiser des primaires avant cette

élection, à laquelle sera certainement candidat le président sortant, François Hollande. La

primaire est un instrument trop précieux pour qu’il

soit dévoyé de cette manière. En Italie, on a adopté depuis longtemps cette pratique, à gauche en tout cas, désormais utilisée lors de nombreux scrutins. C’est ainsi que le Parti démocrate vient par exemple de choisir son candidat à la mairie de Milan. Même la droite de Berlusconi admet aujourd’hui qu’il lui faudra organiser une primaire. Mais ce type d’élections internes n’a de sens que si le sortant ne se représente pas.

Quels sont les risques pour la gauche française ?Le principal danger, c’est de fragiliser François Hollande s’il décide de se représenter. Le système présidentiel français est axé sur l’action d’une personne, et non sur les idées d’un parti. Le président sortant est toujours jugé sur son bilan. Or, si dans son propre camp on donne l’impression de remettre en cause ce qu’il a fait, on laisse une impression déplorable aux électeurs. La seule chance pour le PS de conserver l’Elysée – et cette chance paraît très mince –, c’est de convaincre les Français que Hollande est bon. Une primaire produirait l’eff et inverse et expulserait les socialistes du pouvoir. Mais il est vrai que la gauche française est traditionnellement masochiste : elle aime s’imposer des diffi cultés supplémentaires.

Et si Hollande ne se représente pas ?Dans ce cas, la primaire s’impose, car elle montre que le candidat est investi par les sympathisants et non choisi par les chefs du PS. Et, si c’était le cas, je pense que le successeur naturel serait Manuel Valls. Vu de l’étranger, il est le plus à même de prendre la relève.

AFP

PH

OTO

/RO

B KE

RR

DES

SIN

DE

KICH

KA, I

SRA

ËL

L’Argentin Lionel Messi a remporté le 11 janvier son cinquième Ballon d’or, record absolu dans l’histoire du football.

Un succès salué par La Nación, qui explique que Messi a su “se réinventer” depuis son premier trophée et estime que le génie du footballeur rappelle que ce sport est avant tout le beau jeu, loin des scandales de corruption qui secouent actuellement les instances dirigeantes du football mondial. “La refondation de la Fifa commence avec Lionel Messi”, assure le journal argentin.

Page 9: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

7 jours.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 9

“David Bowie 1947-2016”, titre sobrement The Guardian. “Jusqu’à la fin, David Bowie a été une véritable étoile insaisissable”, écrit le journaliste Alexis Petridis, qui signe un vibrant hommage à “l’un des talents musicaux les plus importants et les plus influents”.

“Un Bowie fragile a fait jurer à ses amis de garder le secret” sur sa maladie, écrit The Times dans son éditorial du 12 janvier. Le chanteur avait déjà eu six attaques cardiaques et était atteint d’un cancer, sans que cela soit connu du public. “Il a vieilli comme la pop a vieilli, mais sa musique vivra à jamais.”

“Et les étoiles ont l’air vraiment différentes aujourd’hui...” titre le Daily Mirror, en clin d’œil au tube planétaire Space Oddity. “Ses admirateurs, du Premier ministre à Paul McCartney, en passant par des stars et des gouvernements, le pleurent dans le monde entier”, ajoute le tabloïd.

L’hommage de la presse britannique

Culture

Bowie, un génie au-delà de la musiqueDécédé le 10 janvier à l’âge de 69 ans, David Bowie a incarné mieux que quiconque l’esprit de subversion né du rock des années 1960.

—The Guardian Londres

la révolution culturelle dite “des sixties”, même si elle a battu son plein dans les

années 1970, a vu fusionner le vague espoir d’un éveil collec-tif à un futur post-matérialiste et la volonté de mettre l’accent sur le droit de chacun à se réali-ser. Personne mieux que David Bowie n’a incarné cette seconde partie de la proposition, la seule qui ait été accomplie. Les hymnes contestataires associés à Dylan ou à Lennon dans leurs bons jours, ce n’était pas pour lui, pas plus que la conscience de classe des soixante-huitards semant le désordre sur les campus. Non, presque dès le

début, ce caillou singu-lier a roulé d’un groupe obscur à l’autre, ricochant entre le cours de danse et la poche de résistance de l’avant-garde, et il s’est

servi de tout, des pinceaux de maquillage comme des

tubes de salles de danse, dans l’unique but de définir, puis de réinventer et redéfinir ce jeune homme né David Jones.

Sa longue carrière d’auteur-compositeur, marquée par un changement presque constant

tant de son que de vision, a reposé sur deux piliers, une voix tendue, nerveuse, et des

successions d’accords, le tout associé au refus presque surna-turel d’offrir à son auditoire la conclusion attendue. Son génie ne se cantonnait pas étroitement à la musique, prenant au contraire à bras-le-corps tout ce qu’im-plique la pop culture, maîtrisant aussi bien la chanson elle-même que l’apparence, la présence sur scène et, plus tard, le clip vidéo. Bowie avait un flair consommé pour l’ensemble, mais aussi – ce qui est peut-être un ingrédient tout aussi vital du succès dans la sphère pop – une affinité ins-tinctive avec son temps.

D’autres musiciens ont connu ce même processus de transfor-mation sous le regard du public, notamment les Beatles, qui sont passés de la coupe au bol en cos-tume à la débauche de couleurs de Sgt. Pepper. Bowie, qui n’avait que quelques années de moins, a rejeté plus violemment encore le conformisme de l’après-guerre et cette nécessité de se réinven-ter est devenue chez lui non plus l’outil incontournable de la pro-fession mais son objectif premier.

Dans le milieu de la pop, il a ouvert la voie à des artistes très différents, de Madonna à Kylie Minogue, qui ont su rebondir d’un genre à l’autre au fil de leur longue carrière. Mais le public gardera le souvenir indélébile de ce jeune garçon de Bromley, au maquillage outrancier, qui se déclarait bisexuel et attei-gnit la renommée internatio-nale. D’autres, comme Lou Reed, avaient joué la carte de l’ambi-guïté sexuelle avant lui, mais ils faisaient partie de la scène avant-gardiste d’art et essai. Bowie, lui, remplissait les stades et figurait en tête des meilleures ventes.

Si les débuts du rock’n’roll ont sonné aux oreilles des plus anciens comme l’expression d’une révolte hédoniste, les aspirations de la jeunesse dont elle était le supposé porte-parole étaient par-faitement conventionnelles, pour ne pas dire conformistes. C’est seulement avec Bowie – ses tra-vestissements, son trouble mani-feste et les étranges caprices inspirés par ses abus de diverses substances  – que l’étiquette “queer” deviendra un véritable porte-étendard. Il a contribué à libérer tout un mouvement andro-gyne sans lequel la question des transgenres ne trouverait pas un tel écho dans l’opinion publique aujourd’hui. Avec la disparition de Bowie, le monde perd un véri-table original.—

Publié le 11 janvier

Son don de prescience devient une évidence quand Space Oddity est mis en orbite à peine une semaine avant le lancement de la mission Apollo 11 en 1969, et Bowie va continuer à incarner ce visionnaire du pire mais aussi du meilleur des années à venir.

Pendant les années 1970, en plus de son extraordinaire fré-nésie d’activité et ses multiples réincarnations, sa consommation de cocaïne atteint des sommets inquiétants. Il flirte un temps avec le fascisme pour se rétrac-ter immédiatement, une posi-tion bizarre qui avait sans doute à voir avec la drogue mais peut-être aussi avec l’atmosphère de désespoir délétère qui prévalait à l’époque en Grande-Bretagne. Contrairement à tant d’autres rockers qui musicalement ont fait du surplace pendant toute cette période de débauche, Bowie com-posait non seulement des chan-sons entièrement nouvelles et

d’une grande qualité musicale, mais se réinventait sans cesse. Ziggy Stardust a eu son heure de gloire, puis ce fut le tour du Thin White Duke et enfin du roman-tique en costume, au mode de vie apparemment plus sain, dont l’incroyable succès commercial sans la provoc des débuts incar-nait peut-être le tournant des années Thatcher.

Des avatars entièrement élec-troniques puis post-électroniques allaient suivre, jusqu’à son der-nier personnage, le prophète perturbant au visage ravagé de Blackstar : l’album, sorti la semaine dernière, se fait l’écho des angoisses existentielles de son créateur.

Visionnaire du pire mais aussi du meilleur des années à venir

↙ Dessin de Dario paru dans El Imparcial, Mexico.

Page 10: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

7 JOURS10. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Avant toute chose, il faut expliquer que le piropo, comme “expression ou phrase qui manifeste l’appréciation physique d’une tierce personne”, ne sera que difficile-ment encadré par l’actuelle formulation de la loi. En eff et, l’article relatif à “l’im-portunité sexuelle” punira désormais “les propositions à caractère sexuel”. Seule une interprétation très large de la loi permet-trait son application à tous les piropos, comme l’ont d’ailleurs indiqué, à l’instar de Clara Sottomayor [conseillère de la Cour suprême], des juristes de renom.

Cela dit, la loi pourrait faciliter la crimi-nalisation d’importunités récurrentes. Mais la formulation antérieure de la loi prévoyait déjà des peines pour les fauteurs d’actes exhibitionnistes ou d’attouchements de nature sexuelle. Comme on pouvait déjà porter plainte, l’encadrement législatif n’est pas (et n’était pas) le vrai problème.

On a dit que la préoccupation relative au piropo visait surtout à protéger les mineures, particulièrement vulnérables, obligées de supporter des commentaires pénibles et off ensants. Mais comment imaginer qu’une adolescente qui marche seule dans la rue et qui entend une phrase sexiste et violente puisse s’arrêter pour confronter l’agres-seur, appeler la police et l’identifi er for-mellement pour les besoins de l’enquête ? J’ai de sérieux doutes là-dessus.

Néanmoins, il faut que les choses changent, c’est indéniable. Les femmes ne doivent plus être regardées comme des objets, dans la rue, dans la publicité, au travail ou simplement lorsqu’elles ont envie de porter un décolleté plus profond que d’habitude.

Il est urgent que le piropo, comme tant d’autres comportements sexistes, dispa-raisse pour de bon et que les hommes comprennent qu’ils n’ont pas à dominer les femmes ni à les posséder.

C’est d’ailleurs dans ce sentiment de pos-session que naissent les comportements à risques et les violences de genre. Mais pour tout ça il existe une législation abondante.

—Inês CardosoPublié le 4 janvier

NON

Cette loi ne changera rien au machisme ambiant—Jornal de Notícias Porto

Soudain, c’est comme si seulement deux types de personnes existaient dans le pays. D’un côté, les illumi-

nés pour qui chaque commentaire du genre “t’es bonne” devrait mériter une peine de prison. De l’autre, les troglodytes machistes qui considèrent qu’ils bénéfi cient d’un droit naturel à violer l’espace privé des femmes en les importunant avec des phrases obscènes.

C’est ainsi que se sont mutuellement ridi-culisés les pourfendeurs et les défenseurs de la loi dite “du piropo” [propos machiste sur le physique d’une femme], dans un débat empêtré dans une succession d’ambiguï-tés et de simplifi cations.

En tant que femme, je le confesse, je ne crois pas que la défense de mes droits et de l’égalité des sexes soit renforcée par la récente modifi cation de l’article 170 du Code pénal portugais, si ce n’est de façon très marginale.

sentiriez-vous ? Toutes ces choses arrivent. Chaque jour, trop souvent et notamment à l’âge où la femme n’est pas encore tout à fait une femme mais où la petite fi lle est déjà trop mûre pour ne pas comprendre ce qui lui est dit. Entendre, si jeune, des phrases de ce type compromet, à long terme, son épanouissement et sa participation dans l’espace public. Elle menace notre liberté individuelle, compromet notre capacité à être sûres de nous-mêmes et change défi -nitivement notre comportement avec les hommes.

Depuis l’annonce de la modifi cation de la loi, j’ai aussi entendu des phrases du genre : “Voilà encore ces hystériques de féministes.” La loi est pourtant claire : elle ne se réfère pas exclusivement au sexe féminin (il suffi t de lire l’article 170). Elle fait explicitement réfé-rence à la victime comme “une personne”. Femmes, hommes, enfants.

D’ailleurs, il ne s’agit pas ici de déva-loriser le harcèlement sexuel auquel tant d’hommes et d’enfants sont sujets. Vous sou-venez-vous, par exemple, du cas de l’enfant vedette du programme Masterchef Junior au Brésil [diff usé d’octobre à décembre 2015] ? Dans l’émission télévisée, une femme adulte du jury a dit publiquement qu’un gamin de 13 ans était “un canon” et qu’elle “le baise-rait si elle pouvait”. Ce fait ne peut être pris à la légère. C’est pour cela que la nouvelle loi portugaise est bien plus dure lorsque les cas impliquent des mineurs.

S’il est vrai que, a priori, nous devrions tous être d’accord sur ce point, c’est beaucoup moins clair quand on parle des adultes. Que cela concerne les hommes ou les femmes, l’idée que “ma liberté sexuelle s’arrête ou commence celle des autres” doit être la règle absolue qui régit toutes nos vies. Harcèlement sexuel y compris. Même si cette nouvelle loi dépend beaucoup de l’interprétation des juges – espérons que cela devienne plus clair dans les temps à venir –, elle marque une évolu-tion pour une société qui a pour devoir de comprendre quelles sont les frontières qui ne doivent pas être dépassées.

—Paula Cosme PintoPublié le 29 décembre 2015

OUI

Une évolution indispensable pour la société—Expresso (extraits) Lisbonne

Il me semble que peu de gens se sen-tiraient off ensés, importunés ou menacés dans leur liberté indivi-

duelle si un passant venait les fl atter en leur disant qu’ils sont beaux et séduisants. Mais ce qui est visé par la modifi cation de l’article 170 [du Code pénal], ce n’est pas le commentaire galant mais bien le harcèle-ment sexuel. Je vous parle de ces phrases si banales et grossières telles que “je vais te baiser”, qui sont une forme de harcèle-ment. Et, s’il vous plaît, ne sortez pas l’ar-gument de la liberté d’expression – je l’ai souvent lu sur les réseaux sociaux – parce que c’est tout simplement ridicule.

Je consacre une bonne partie de mon temps à écrire sur des situations qui génèrent un malaise chez les femmes et plus particulière-ment sur la façon dont le harcèlement sexuel s’est banalisé. En réponse, j’entends souvent la phrase : “N’y a-t-il rien de plus important à résoudre dans ce bas monde ?” Bien sûr que si. Mais ce type de comportement abusif ne doit en aucun cas être sous-estimé.

Réfl échissez un peu : si c’était votre fi lle de 13 ans qui entendait de la bouche d’un homme adulte “je te baiserais bien”, pense-riez-vous vraiment que cela ne doit pas être puni ? Si c’était votre mère, votre sœur, votre femme, votre copine ou une amie qui, mar-chant dans la rue, entendait “t’as une bouche à pipe”, continueriez-vous à trouver que cela ne mérite pas l’attention des autorités ? Et si, au travail par exemple, l’une d’entre elles recevait une tape sur les fesses de la part d’un supérieur ou qu’on lui faisait une proposi-tion de promotion canapé, comment vous

CONTROVERSE

Faut-il criminaliser le harcèlement sexuel dans la rue ?Au Portugal, une loi votée le 27 décembre rend condamnables les commentaires infamants à l’encontre des femmes dans la rue – la peine pouvant aller jusqu’à trois ans de prison ferme. Cette sanction sévère crée un vif débat dans le pays.

↓ Dessin de Hajo paru dans As-Safi r, Beyrouth.

Page 11: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Une collection pour découvrir la vie et les mystères de l’Egypte des pharaons

EGYPTOMANIA

CHAQUE SEMAINE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX

NUMÉRO 1

2,99,99seulement

PRÉSENTE

www.EgyptomaniaLeMonde.fr

“ Aucune autre civilisation ancienne ne nous a légué autant de trésors ”

Une collection parrainée par Robert SoléJournaliste et écrivain, spécialiste de l’Egypte

Page 12: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

12. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Et, si je me trompe, le Royaume-Uni va au-devant de sacrées diffi cultés.

—Philip Stephens

Bachar El-Assad sera-t-il toujours au pouvoir ?Oui. Offi ciellement, il sera toujours prési-dent de la Syrie, même si en réalité il est déjà moins chef d’Etat que chef de guerre. Sur le plan militaire, il a bénéfi cié de l’in-tervention russe, qui a décimé les forces rebelles. Politiquement, l’accord conclu il y a quelques semaines entre les Etats-Unis et la Russie prévoit une phase de transition de dix-huit mois pleine d’in-certitudes. Même si le processus de paix progresse, Bachar El-Assad fera tout son possible pour le ralentir et s’accrocher au pouvoir à Damas.

—Roula Khalaf

Le FMI devra-t-il venir en aide à au moins un pays du G20 ?Oui, mais pas à l’un de ses membres appartenant aux pays développés. Le seul dans ce cas pourrait être l’Ita-lie – qui affi che une dette publique record –, mais la Banque centrale euro-

péenne (BCE) la protège, notamment par des mesures d’assouplissement quantitatif.Le G20 est toutefois aussi constitué d’une dizaine d’économies émergentes, dont cer-taines – l’Argentine, la Russie et l’Arabie Saoudite – doivent encaisser le choc lié à la baisse brutale du prix de certaines matières premières. D’autres, comme le Brésil, l’Afrique du Sud et l’Arable Saoudite, affi chent d’importants défi cits budgétaires. Le Brésil affi che une dette publique qui pèse lourdement sur ses fi nances. L’Argentine, l’Afrique du Sud et le Brésil sont les pays qui rassemblent toutes les conditions de l’instabilité. Soumis à des pressions, ces pays ont récemment changé de ministre des Finances. L’Argentine s’est dotée d’un nouveau gouvernement, qui promet de nouvelles solutions. Le FMI se tient prêt. Recevra-t-il un SOS de la part d’au moins un de ces pays ? Probablement.

—Martin Wolf

Angela Merkel sera-t-elle encore chancelière ?Non. L’année 2015 s’est peut-être ache-vée sur une standing ovation pour Angela Merkel lors du congrès de la CDU, mais 2016 devrait marquer la fi n de son long règne de chancelière. Certes, les applau-dissements de ses camarades de parti semblent indiquer que sa place est assurée malgré les tensions créées par l’arrivée de près de 1 million de réfugiés en Allemagne l’année dernière. Mais la chancelière a promis de réduire l’affl ux de migrants

Agenda 2016. La boule de cristal du “Financial Times”Le célèbre quotidien britannique a mobilisé ses meilleurs spécialistes, qui prévoient ce qui se passera cette année concernant une douzaine d’événements mondiaux. A vérifi er… fi n 2016.

—Financial Times (extraits) Londres

Hillary Clinton sera-t-elle élue pré-sidente des Etats-Unis ?Oui. La campagne sera riche en rebondis-sements et atteindra un niveau de perfi -die inégalé. La candidate démocrate sera clouée au pilori par son adversaire répu-blicain, Ted Cruz, qui ne manquera pas de souligner les défauts de sa personnalité et sa faiblesse face aux ennemis de l’Amé-rique. Pour une large partie de l’électorat, Clinton est un nom qui reste synonyme de tout ce qui ne va pas dans le pays, mais les élections se gagnent encore et toujours au

centre, ou du moins ce qu’il en reste, et Ted Cruz se situe bien trop à droite de l’élec-

teur médian pour pouvoir entrer à

la Maison-Blanche. Malgré des sondages

serrés, Hillary Clinton obtiendra les voix d’une

large majorité des grands électeurs. Les démocrates reprendront le contrôle du Sénat, mais la nouvelle présidente enta-mera son mandat avec des institutions hautement polarisées. Il n’y aura pas de lune de miel pour elle.

—Edward Luce

Le Royaume-Uni sortira-t-il de l’Union européenne ?Non, les Britanniques resteront dans l’UE. Sans enthousiasme ni empressement, mais parce que le bon sens prévaudra chez les électeurs lors du référendum. Laissez de côté les arguties sur la capacité de David Cameron à renégocier le statut du pays ou à obtenir davantage d’investissements et de liens commerciaux en échange de sa contribution européenne. Regardez simplement les protagonistes. Au bout du compte, les électeurs auront à choi-sir entre la logique détachée de l’ancien Premier ministre, John Major, et le popu-lisme de Nigel Farage et de l’Ukip (Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni). Personnellement, je mise sur John Major.

Asie ............. 15Afrique .......... 18Amériques ........ 20Europe ........... 23France ........... 26

d’uncontinentà l’autre.monde

Hillary Clinton obtiendra les voix d’une large majorité des grands électeurs

↙ “Je vois une Europe sans frontières”. Dessin de Niels Bo Bojesen paru dans Jyllands-Posten, Danemark.

Page 13: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

AMÉRIQUES.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 13

en 2016, ce qui ne paraît guère réaliste, puisqu’ils sont toujours aussi nombreux à arriver via les filières de passeurs.

Le courage et la force morale qu’ont salués les citoyens chez leur chancelière céde-ront la place à l’incertitude et au mécon-tentement. Le déclic pourrait venir d’une révolte des gouvernements locaux, qui ne s’estimeraient plus en mesure d’accueillir tous les migrants. Angela Merkel pourrait alors être contestée au sein de son parti et se retrouver dans une position intenable.

—Gideon Rachman

Qui va gagner l’Euro 2016 ?La Belgique, meilleure équipe du monde selon les derniers classements de la Fifa. Les obscurs calculs de la fédération exa-gèrent peut-être un peu les qualités de la formation belge, mais pas tant que ça. Particulièrement efficace dans la détec-tion et la formation de jeunes talents, cette nation [politiquement] au bord du gouffre a produit une kyrielle d’excellents joueurs, aidée en cela par une politique de naturalisation des immigrés particuliè-rement libérale. Avec leurs stars de pre-mière division – Eden Hazard, Kevin De Bruyne et Romelu Lukaku –, les Diables rouges peuvent aligner un trio d’attaquants dont la valeur cumulée sur le marché dépasse 200 millions d’euros. L’équipe allemande est plus expérimentée et l’espa-gnole mieux coordonnée, mais la Belgique ne manque pas de qualités techniques. Et, avec la France comme pays organisateur, les Belges auront presque l’impression de jouer à domicile.

—Janan Ganesh

Dilma Rousseff sera-t-elle contrainte de quitter la présidence avant les JO de Rio ?Non, mais il s’en faudra de peu. La prési-dente compte probablement encore assez de soutiens au Congrès pour bloquer la procédure [de destitution] en cours, mais ceux-ci se feront de plus en plus rares à mesure que le temps passe et que la réces-sion économique s’aggrave. Même si la Chambre des députés y est favorable, la procédure d’impeachment ne commen-cera certainement pas avant février. A sup-poser que le processus, long et complexe, suive son cours sur les cent quatre-vingts jours prévus, Dilma Rousseff pourrait quit-ter son poste à la mi-août. Ce qui nous amène après l’ouverture des Jeux olym-piques – qui débutent le 5 août –, mais juste à temps pour l’épreuve finale de saut en hauteur, le 16 août.

—John Paul Rathbone

La Chine procédera-t-elle à une nou-velle dévaluation importante de sa monnaie ?Oui. La Chine a de bonnes raisons de vou-loir maintenir la stabilité de sa monnaie par rapport au dollar en 2016, parmi les-quelles un solide excédent commercial,

se poursuivre en 2016. Certes, l’objectif principal d’un taux d’inflation de 2 % n’a pas été atteint. Avec l’effondrement des cours du pétrole, l’inflation reste légè-rement au-dessus de zéro. Le Premier ministre s’est tiré une balle dans le pied en augmentant prématurément la taxe sur la consommation, réduisant ainsi le pou-voir d’achat des Japonais au moment où il voulait les faire consommer, mais globale-ment sa politique de relance fonctionne. Abstraction faite des cours de l’énergie, l’inflation atteint environ 1 %. La dette publique n’augmente plus en pourcen-tage de la valeur nominale. Les entre-prises japonaises affichent des bénéfices record. Le problème est que Shinzo Abe s’est engagé à augmenter à nouveau la taxe sur la consommation en 2017. C’est alors que les difficultés pourraient arriver.

—David Pilling

Les athlètes russes participeront-ils aux JO ?Oui. Il n’existe pas de volonté politique pour sanctionner la Russie et son recours à des pratiques de dopage dignes de l’ère soviétique. Le mois dernier, la Russie est devenue le premier pays à être suspendu pour une durée indéterminée de toutes les compétitions athlétiques, jusqu’à ce qu’elle soit en mesure de prouver que ses athlètes ne se dopent pas. Moscou et les pays occidentaux sont plutôt tentés de minimiser l’embarras provoqué par la paru-tion d’un rapport indépendant révélant quelques-uns des plus grands scandales des annales sportives. Pour être présente à Rio, la Russie devra se débarrasser de tous les responsables impliqués dans le dopage des athlètes, juger toutes les affaires disci-plinaires en suspens, ouvrir une enquête sur la culture du dopage et montrer que ces pratiques n’ont plus cours. Selon les représentants russes, cela pourrait être fait en trois mois.

—Malcolm Moore

d’importantes réserves de change et la volonté de montrer au reste du monde que le “redback” [billet rouge] est une monnaie de réserve digne de confiance. L’économie chinoise, en phase de ralentis-sement, pourrait avoir besoin d’au moins deux baisses de ses taux d’intérêt pendant que les mesures de resserrement moné-taire adoptées par la Réserve fédérale soutiennent le dollar. Cela devrait main-tenir les sorties de capitaux chinois à un niveau élevé et réduire la pression sur le renminbi, dont les fluctuations cette année pourraient bien être agitées.

—James Kynge

Jeremy Corbyn sera-t-il toujours à la tête du Parti travailliste ?Oui, et pour plusieurs raisons. A défaut d’avoir le soutien des parlementaires, Jeremy Corbyn a l’appui d’une majorité de son parti. En dépit des sondages, les militants semblent satisfaits de la direc-tion prise par le parti. Il faut dire que les députés travaillistes souffrent de loyauté congénitale. Contrairement aux conserva-teurs, ils n’ont jamais été de bons Brutus politiques. Et, si Corbyn change les moda-lités de désignation du chef du parti de manière que le sortant soit automatique-ment parmi les candidats, il faudrait être fou pour vouloir le défier.

—Jonathan Ford

Au Japon, l’“Abenomics” échouera-t-elle ?Non. Sur le papier, les résultats de cette politique économique prônée par le Premier ministre, Shinzo Abe, sont miti-gés, mais globalement l’économie japo-naise en a plutôt bénéficié. Et cela devrait

Les ventes de voitures Diesel vont-elles chuter en Europe ?Oui. Les acheteurs européens étaient déjà de moins en moins séduits par le diesel, et le scandale Volkswagen de cet automne – qui a révélé l’existence d’un logiciel truquant les résultats des contrôles antipollution sur 11 millions de véhicules – n’a fait qu’aggraver la tendance. Les ventes de véhicules Diesel ont culminé en 2010, avec 55 % des parts du marché des voitures neuves en Europe. Depuis, la baisse s’accélère [notamment] en France, où les subventions publiques ont été réduites et où les qualités environ-nementales du diesel sont de plus en plus contestées. Un des principaux construc-teurs de voitures Diesel, Volkswagen, a vu ses ventes reculer de plus de 20 % dans certains de ses marchés après le scandale. En 2016, la baisse des ventes de véhicules Diesel devrait éclipser la croissance glo-bale du secteur.

—Brooke Masters

Le baril de pétrole dépassera-t-il 50 dollars à la fin de 2016 ?Oui. L’année 2015 a été rude pour tous ceux qui espéraient un rebond après le krach de l’année précédente. L’exploitation du pétrole de schiste aux Etats-Unis et l’aug-mentation de la production en provenance d’Irak et d’Arabie Saoudite ont littérale-ment inondé le marché. Une tendance qui devrait se confirmer l’an prochain avec la levée des sanctions sur l’Iran. Les produc-teurs mondiaux ne sont toutefois pas au bout de leurs difficultés financières : pro-jets annulés, réduction des programmes d’exploration, baisse des réserves, l’impact de ces changements sera bientôt visible. A 50 dollars, le prix du baril de pétrole ne permet pas à l’industrie de réaliser les investissements nécessaires pour répondre à la croissance de la demande mondiale. Si l’économie mondiale n’entre pas en réces-sion, 2016 pourrait être l’année de la stabi-lisation à long terme des cours du pétrole.

—Ed Crooks

L’année 2016 sera-t-elle enfin celle de la réalité virtuelle ?Non. Nombreux parmi nous n’auront cette année qu’un avant-goût de cette technolo-gie potentiellement révolutionnaire. Et, si la plupart des gens gardent un souvenir mémo-rable de leur première expérience avec un casque de réalité virtuelle, une industrie ne se construit pas sur des démos, si bonnes soient-elles. A l’exception de quelques jeux, le secteur de la réalité virtuelle n’a pas assez de contenus à proposer. Et les applications qui feront de ces casques des produits de consommation courante – pour des consul-tations médicales ou des réunions de travail dans un bureau virtuel – sont encore loin d’être des réalités. Ce qui n’empêche pas la fascination pour cette technologie. La réa-lité physique ne sera plus jamais la même.

—Richard WatersPublié le 31 décembre 2015

Il n’existe pas de volonté politique pour sanctionner le dopage russe

↓ “Bienvenue, petit !!” Dessin de Bleibel paru dans Daily Star, Beyrouth.

Page 14: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

MONDE14. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

En Corée du Nord, 7e Congrès du Parti du travail, qui ne s’est pas tenu depuis trente-six ans.

JUIN1er. Ouverture du tunnel de base du Saint-Gothard, le tunnel le plus long et le plus profond du monde (Suisse).

10. Championnat d’Europe de football, en France (jusqu’au 10 juillet).

14. Ouverture de l’E3, le plus grand salon des jeux vidéo, à Los Angeles (Etats-Unis), où la Nintendo NX sera dévoilée au public.

17. Inauguration de nouvelle Tate Modern à Londres. @Tate

JUILLET17-22. 21e Conférence internationale sur le sida à Durban (Afrique du Sud) @AIDS_conference

25. Journées mondiales de la jeunesse en présence du pape François, à Cracovie (Pologne) @wjd_en

4. Juno, la sonde spatiale de la Nasa lancée en août 2011, devrait atteindre Jupiter. @NASAJuno

AOÛT5-21. Jeux olympiques d’été, suivis des Jeux paralympiques d’été, du 7 au 18 sep-tembre à Rio de Janeiro (Brésil).

8. 50e anniversaire de la Révolution cultu-relle prolétarienne (Chine).

29. 30e édition annuelle du festival Burning Man dans le désert de Black Rock, au Nevada (Etats-Unis ; jusqu’au 5 septembre) @burningman

SEPTEMBRE4-5. Sommet du G20 à Hangzhou (Chine).

3. Lancement à Cap Canaveral (Etats-Unis) de la sonde spatiale Osiris-Rex pour rap-porter sur Terre un échantillon de la sur-face de l’astéroïde Bennu. @OSIRISREx

16. Elections législatives en Russie.

OCTOBRERéférendum sur les réformes constitution-nelles en Italie, qui concernent notam-ment la fin du bicaméralisme parfait et le mode d’élection du président. “Si je perds [le référendum], je considérerai que mon expérience politique a échoué”, a dit le Premier ministre italien Matteo Renzi, cité par Il Fatto Quotidiano.

19-23. Foire du livre de Francfort (Allemagne). Invités d’honneur : les Pays-Bas et la Flandre.

NOVEMBRE7-8. Conférence sur le climat (COP22) à Marrakech (Maroc). @cop22ma

7. Web Summit, sommet annuel des acteurs de l’Internet, à Lisbonne (Portugal). @WebSummitLISBON

8. Election présidentielle américaine.

13. 1er anniversaire des attentats terroristes dans les 10e et 11e arrondissements de Paris.

20. Primaire du parti Les Républicains en France (second tour le 27 novembre).

DÉCEMBRE4-17. Convention sur la diversité biolo-gique à Cancún (Mexique).

31. Fin du mandat de Ban Ki-moon en tant que secrétaire général de l’ONU. Etant donné la rotation géographique, son successeur devrait être issu de l’Eu-rope de l’Est.

JANVIER16. Elections présidentielle et législatives à Taïwan, qui pourraient aboutir à une alternance en faveur des indépendantistes.

25. Début des négociations de paix pour la Syrie sous la houlette de l’ONU à Genève (Suisse). @UNGeneva

28. Ouverture prévue du procès de Laurent Gbagbo, ancien président de la Côte d’Ivoire, pour crimes contre l’hu-manité au Tribunal pénal international, à La Haye (Pays-Bas). @IntlCrimCourt

FÉVRIER12-14. 52e Forum international de Munich sur les politiques de défense (Allemagne). Pour Der Spiegel, ce sera “l’occasion pour [le président russe] Poutine d’expliquer sa politique en Ukraine et en Syrie. Mais jusque-là, il n’a pas encore accepté l’invitation.” @MunSecConf

18-19. Sommet du Conseil européen où seront négociées les conditions d’adhésion du Royaume-Uni à l’Union européenne, précédé “d’intenses navettes diplomatiques de dernière minute [de la part du Premier ministre David Cameron]”, rappelle The Independent.

13. Rétrospective du peintre hollan-dais Jérôme Bosch (1450-1516) à l’occa-sion du 500e anniversaire de sa mort, au Noordbrabants Museum, à Bois-le-Duc (Pays-Bas), la ville natale du peintre. Elle sera ensuite exposée au Prado de Madrid (Espagne) du 31 mai au 11 septembre.

Les incontournables de l’année

26. Election pour la présidence de la Fifa, à Zurich (Suisse).

26. Elections législatives en Iran.

MARS11. 5e anniversaire du tsunami et de l’ac-cident nucléaire de Fukushima (Japon).

25. Sortie du film Batman v Superman : l’aube de la justice sur les écrans du monde entier, réalisé par Zack Snyder.

Lancement de la sonde russo-européenne ExoMars 2016 à Baïkonour (Kazakhstan). @ESA_ Exomars

Diffusion du feuilleton Marseille, “la pre-mière – et très attendue – série en langue française sur Netflix”, selon Variety, et dont le rôle principal est tenu par Gérard Depardieu.

Election présidentielle au Tchad, pays clé de la lutte contre le terrorisme dans le Sahel. Même si le président Idriss Déby est, comme l’écrit Maliweb, “l’intouchable allié de la France”, les équilibres demeurent fragiles dans ce pays.

AVRIL3. 400e  anniversaire de la mort de Shakespeare, “le dramaturge dont l’œuvre détient le record mondial de mises en scène”, selon The Guardian. Il sera célébré notam-ment à Stratford-upon-Avon, la ville où il est décédé (Royaume-Uni).

6. Référendum aux Pays-Bas sur l’accord d’association de l’Union européenne avec l’Ukraine, suite à une pétition citoyenne.

19-21. Session extraordinaire de l’Assem-blée générale des Nations unies (Ungass), sur la politique en matière de drogues.

MAI5. Election du maire de Londres (Royaume-Uni), qui donne comme favori le travailliste Sadiq Khan. “Londres aurait donc un maire musul-man, et ce serait un message impor-tant dans le débat actuel sur l’islam et l’Occident”, prévoit The Daily Telegraph.

29. Célébration internationale du centenaire de la bataille de Verdun (France).

26-27. Sommet du G7 à Shima (Japon).

↑ Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou.

↓ Dessin de Lauzan, Chili.

↓ Dessin de Schot,Pays-Bas.

Page 15: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 15

—Kyunghyang Shinmun Séoul

Si le quatrième essai nucléaire de la Corée du Nord [annoncé par Pyongyang le 6 janvier]

diffère des précédents, c’est sur-tout par le contexte dans lequel il s’est produit. Les deux premiers [2006, 2009] avaient eu lieu à un moment où le pays était dans une mauvaise posture dans les négo-ciations sur le nucléaire, et avaient pour but de retourner la situation à son avantage. Lors du troisième essai [2013], ses relations avec la

Chine, la Corée du Sud, le Japon et les Etats-Unis étaient toutes exé-crables, ce qui lui laissait paradoxa-lement la liberté d’agir à sa guise.

Cette fois-ci le contexte est plus subtil. Certes, ses relations avec l’extérieur ne sont guère bonnes, mais Pyongyang semble vouloir les améliorer, en particu-lier avec Pékin, avec qui les rap-ports sont tendus depuis l’arrivée au pouvoir de Kim Jong-un [2012]. Avec la Corée du Sud également, il y a eu des réunions bilatérales en août, puis en décembre der-nier. Pas d’avancée cependant

avec le Japon, mais une nouvelle enquête est en cours au sujet des Japonais kidnappés [rapt d’au moins 20 citoyens japonais par la Corée du Nord dans les années 1970 et 1980].

“Ce quatrième essai nucléaire n’est pas une sorte d’ultime recours destiné à percer une brèche dans une situa-tion sans issue [comme précédem-ment]. Vu de l’extérieur, il est difficile de comprendre pourquoi les Nord-Coréens ont opté pour cette provoca-tion, sachant que cela allait gâcher tous leurs efforts diplomatiques”, a commenté le 9 janvier notre chro-niqueur, Yi Tae-kun.

La Chine en pâtira. Jugeant que les Etats-Unis allaient prendre la chose très au sérieux, au point peut-être de frapper les premiers, Kim Jong-un semble avoir préparé l’essai en cachette. Autre élément inhabituel, le communiqué offi-ciel nord-coréen, qui s’est félicité du succès de l’essai, a ajouté que la Corée du Nord “n’emploier[ait] pas la première son nucléaire, ni ne revendr[ait] à aucun autre pays son savoir-faire le concernant”.

Une des principales victimes de l’affaire est la Chine. Premièrement, le fait d’avoir un voisin qui procède à des essais nucléaires porte préju-dice aux intérêts nationaux nécessi-tant un environnement stable. Par ailleurs, la communauté interna-tionale constate une fois de plus que la Corée du Nord échappe au contrôle chinois.

Deuxièmement, en plus des sanctions des Nations unies [le Conseil de sécurité, réuni le 6 janvier, a unanimement condamné l’essai et annoncé de nouvelles mesures], les Américains et les Japonais risquent de mettre en place leurs propres mesures de rétorsion à l’encontre de la Corée du Nord, mais aussi des pays qui font des affaires avec cette dernière : autrement dit, ce sont essentiellement des entre-prises chinoises qui en subiront les conséquences.

De plus, aux Etats-Unis, on évoque déjà la mise en place en Corée du Sud du système amé-ricain de missiles antibalistiques Thaad [Terminal High Altitude Area Defense]. Sous la pression de ses alliés, Séoul ne pourra plus garder une position ambiguë sur

Corée du Nord. L’opiniâtre escalade nucléaireAnnée après année, Pyongyang progresse dans le domaine de l’armement atomique sans qu’Etats-Unis, Corée du Sud, Japon et Chine trouvent une solution pour mettre fin à cette marche en avant.

la question et finira par s’incliner devant la décision de Washington. Ce qui signifie que, à la suite de cet essai nucléaire, la Chine verra la lance se pointer dans sa direction.

Quant à l’alliance entre Corée du Sud, Etats-Unis et Japon, elle va se renforcer. Pékin était jusque-là dans une position rela-tivement avantageuse dans la configuration générale, du fait que l’interprétation partiale du passé par le gouvernement Abe [sur les responsabilités japonaises pendant la Seconde Guerre mon-diale] poussait Séoul à prendre ses distances vis-à-vis de l’archi-pel et à se rapprocher de Pékin. Mais l’alliance Séoul-Tokyo va se souder à nouveau, tout comme celle qui unit des derniers aux Américains [lire également p. 17].

Ces derniers pourront justifier leur politique asiatique consis-tant à introduire un nouvel équi-libre dans la zone au détriment de la Chine. Le Thaad et la mise en place [en Corée du Sud] d’“armes stratégiques” américaines en sont des exemples. Le tout constitue une menace pour la Chine.

Pressions américaines. Enfin, comme d’habitude, les Américains vont faire pression sur la Chine pour qu’elle pèse sur la Corée du Nord. Or Pékin a augmenté la pression sur son voisin au fil des essais nucléaires, mais cela a eu pour conséquence la dégrada-tion des relations et l’affaiblis-sement du rôle de la Chine dans les affaires nord-coréennes. La Corée du Nord obéit de moins en moins à Pékin. Mais cela n’empê-chera pas Washington et Séoul de pousser Pékin à punir Pyongyang, en le mettant dans une situation embarrassante.

Quant à l’actuel gouvernement sud-coréen, il n’a aucune véritable politique en vue de la dénucléarisa-tion de la Corée du Nord, se conten-tant de répéter que le Nord doit renoncer à son nucléaire, condi-tion préalable à toute négocia-tion. Il aurait fallu convaincre les Américains de négocier avec les Nord-Coréens et obtenir sinon une dénucléarisation, du moins la suspension des essais ou le gel du programme nucléaire. Au lieu de quoi, Séoul a choisi le mépris et la “patience stratégique”, en lais-sant à Pyongyang tout le loisir de développer son nucléaire.

Or, une fois la Corée du Nord en possession du nucléaire, il n’y a plus rien à faire. On parle du retrait des entreprises sud-coréennes

de la zone industrielle spécifique nord-coréenne de Kaesong [à la frontière entre les deux Corées], de la mise en place du Thaad, du déploiement du nucléaire straté-gique américain, du réarmement nucléaire de la Corée du Sud, mais tout cela n’est pas fait pour amener les Nord-Coréens à abandonner le nucléaire, mais pour les punir une fois le mal fait. C’est irration-nel et irréaliste. Les sanctions non plus n’auront pas plus d’effets sur la Corée du Nord, qui en a l’habi-tude. De toute façon, Pékin ne par-ticipera pas à un embargo contre Pyongyang façon Cuba.

La présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, a déclaré en sep-tembre dernier que la réunification serait une solution : le Nord allait s’effondrer tout seul, se faire absor-ber par le Sud et plus de problème nucléaire ! Mais cette idée de réu-nification cache mal l’échec de la politique nord-coréenne de Séoul.

Celle-ci comporte par ailleurs une guerre psychologique. Face à l’essai nucléaire, une des rares mesures visibles prises par le Sud a été de reprendre la diffusion de la propagande contre Pyongyang à la frontière intercoréenne. Les haut-parleurs versus la bombe à hydro-gène… Quant aux Américains, attendent-ils pour réagir que la Corée du Nord ait réussi la mise au point de missiles balistiques inter-continentaux et la miniaturisation des ogives atomiques, mettant le continent américain directement sous la menace ? Il est difficile de comprendre le pourquoi de la pas-sivité de Washington et de Séoul.

Pour la Corée du Nord, le nucléaire était au départ un moyen de négociation. Mais, comme on ne s’intéressait pas à sa marchandise, elle a franchi le cap. Le pays ren-force son arsenal et exige désormais d’être reconnu comme une nation nucléaire. Les missiles balistiques tirés depuis un sous-marin ont été testés trois fois rien que l’année der-nière. Les Nord-Coréens veulent se doter de la capacité à riposter avec un missile nucléaire sans être détectés. Ils se doteront ainsi d’une force de dissuasion digne de ce nom. Pour la dénucléarisation, Séoul et Washington vont devoir payer très cher. Va-t-on continuer à attendre les bras croisés ?

—Yi Chae-tokPublié le 9 janvier

asie

“Il ne s’agit pas cette fois d’une sorte d’ultime recours dans une situation sans issue”

Séoul et Washington vont devoir payer très cher

↙ “Nous avons fait exploser une bombe H ! – Et aussi la Bourse chinoise.” Dessin de Chappatte

paru dans International New York Times, Paris.

Page 16: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

édito

ASiE16. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

non seulement le sort des cinq disparus ainsi que l’apaisement des inquiétudes de leurs familles, mais aussi l’assurance que soient respectés le principe “un pays, deux systèmes” [garantissant à l’ancienne colonie britannique le maintien de son système, y com-pris judiciaire] ainsi que les dis-positions de la Loi fondamentale.

Espérons que Leung Chun-ying et son gou-vernement s’efforce-ront d’agir en ce sens !

Cette affaire d’en-lèvement groupé est embarrassante à plus

d’un titre : tout d’abord parce que l’enquête policière ne progresse pas, alors que les premiers faits remontent à plus de deux mois et demi, quand les familles ont signalé les trois premières dispari-tions à la police, qui en a pris note sans pouvoir empêcher la cin-quième disparition. Par ailleurs, dans le cas de Lee Bo [disparu le 3 janvier], sa famille a indiqué qu’il était parti sans son permis de retour [document indispensable

—Ming Pao Hong Kong

L’affaire de la dispari-tion successive de cinq hommes coassociés de la

librairie Causeway Bay Books met Hong Kong en ébullition. Certains faits restent très troublants, du point de vue tant de la logique que de la loi. L’évanouissement dans la nature de ces cinq personnes n’est absolument pas normal, d’après les informations dont on dispose actuel-lement. Le chef de l’exé-cutif, Leung Chun-ying, s’est dit très préoccupé par cette affaire, comme l’ensemble du gou-vernement de la région adminis-trative spéciale (RAS), jugeant qu’il serait inacceptable que des agents de Chine populaire soient venus faire la loi à Hong Kong [cela n’a pas été officiellement confirmé, et Leung a nié que cela soit le cas]. Les dirigeants de la RAS seraient bien avisés de régler cette affaire au plus vite, par-delà les déclarations. En dépendent

Hong Kong

Disparitions mystérieuses ou rapts politiques ?Cinq associés d’une librairie éditant des ouvrages interdits en Chine ont disparu, et les yeux se tournent vers Pékin. L’intervention de la Chine sur le territoire serait une grave atteinte à l’état de droit, s’alarme la presse locale.

à un Hongkongais pour se rendre en Chine populaire] et, dans la lettre manuscrite adressée à sa femme “pour [la] rassurer”, publiée par la presse, il affirme être “retourné en Chine populaire par [ses] propres moyens pour coo-pérer à une enquête”. Pour certains médias chinois [un éditorial du quotidien officiel Huanqiu Shibao], cela montrerait que la théorie de son enlèvement et de son arres-tation par des agents venus de l’autre côté de la frontière ne tient pas debout. Cependant, si l’on examine la lettre attentive-ment, elle paraît incohérente et peu convaincante. Ce serait une insulte à l’intelligence que de faire croire qu’une telle lettre justi-fie les disparitions : il est diffi-cile de fournir une explication rationnelle à ce qui est précisé-ment irrationnel.

Par ailleurs, la police hongkon-gaise aurait demandé officielle-ment à ses homologues de Chine populaire d’enquêter sur les dis-paritions, mais elle n’aurait pas obtenu de réponse, ce qui ne res-pecte pas la procédure normale et la laisse sans moyens d’agir.

1997. D’autre part, la librairie de Causeway Bay vendait princi-palement des ouvrages interdits en Chine populaire [elle venait de publier un ouvrage sur la vie privée du président Xi Jinping], et l’“enquête” dont fait état la presse chinoise porterait sur des aspects politiques et juridiques. Or en son temps l’ancien numéro un Deng Xiaoping, qui a orchestré l’élaboration du principe “un pays, deux systèmes”, avait affirmé qu’après la rétrocession du ter-ritoire à la Chine [en 1997] les Hongkongais pourraient conti-nuer à dire du mal du Parti com-muniste. “Les insultes ne peuvent pas abattre le Parti communiste”, avait-il dit – une phrase gravée dans la mémoire de quiconque a suivi le processus de rétroces-sion de Hong Kong : c’est elle qui a mené de nombreux habitants à prendre la décision la plus impor-tante de leur vie, à savoir rester sur le territoire pour œuvrer à son édification. A ce jour, on n’a entendu aucun haut responsable affirmer qu’elle n’était plus valide.

Sur le plan jur idique, le 27e article de la Loi fondamen-tale dispose notamment que “les résidents hongkongais jouissent de la liberté d’expression, de presse et de publication” ; pour la RAS, la Loi fondamentale est l’équivalent d’une mini-Constitution que les citoyens ordinaires comme tous les dirigeants de Chine populaire doivent respecter dès lors qu’ils se trouvent à Hong Kong ; c’est l’état de droit. Et si le contenu des livres interdits en Chine popu-laire vendus par la librairie de Causeway Bay était jugé diffama-toire ou calomnieux, le problème pourrait être résolu par une pro-cédure juridique. C’est cela Hong Kong, ou plus exactement c’est comme cela dans le Hong Kong régi par le principe “un pays, deux systèmes”. Aussi, le sort des cinq disparus reste très énigma-tique et la gestion de l’affaire par les autorités peu conforme à ce principe et aux dispositions de la Loi fondamentale. Souhaitons que les autorités rectifient rapide-ment le tir, sans laisser les choses s’enliser. Lors d’une rencontre à

Pékin fin décembre avec Leung Chun-ying, le président chinois, Xi Jinping, avait affirmé ne pas vouloir s’écarter du principe “un pays, deux systèmes” ni le modi-fier. Les Hongkongais craignent pourtant que ce ne soit le cas dans cette affaire des disparus. Si Leung Chun-ying et son gouver-nement parvenaient à résoudre convenablement cette affaire, ils marqueraient des points impor-tants en matière de respect de ce principe et des dispositions de la Loi fondamentale. Surtout, cela contribuerait à accroître la confiance des Hongkongais dans ce principe, au bénéfice des deux parties.—

Publié le 8 janvier

“Chinois d’abord”●●● Plusieurs milliers de personnes ont manifesté le 10 janvier à Hong Kong pour protester contre la “disparition” des cinq libraires, attribuée à un kidnapping par les services chinois. Les Hongkongais s’alarment d’autant plus que Lee Bo détient un passeport “britannique d’outre-mer” qui ne semble pas l’avoir protégé. Sans confirmer l’arrestation, le ministre chinois des Affaires étrangères Wang Yi a déclaré qu’en tant que résident de Hong Kong Lee était “d’abord un citoyen chinois”. Assiste-t-on au retour de la Révolution culturelle à Hong Kong ? Voilà cinquante ans, la violence du mouvement chinois avait franchi la frontière, rappelle le spécialiste de la politique chinoise Willy Wo-lap Lam sur le site du Shunpo (Hong Kong Economic Journal). Aujourd’hui, “l’appareil de la sécurité d’Etat s’attaque à Lee Bo et à ses quatre associés” surtout “pour frapper le monde de l’édition à Hong Kong et les ‘fauteurs de troubles’, journalistes et chercheurs, gardiens des valeurs centrales” du territoire.

“Les insultes ne peuvent pas abattre le Parti”, avait dit Deng Xiaoping

↙ Un libraire de Hong Kong enlevé par des voyous à la solde des autorités chinoises. “Manifestement subversif ! Il est dit dans ce livre que des voyous à la solde des autorités chinoises enlèvent des libraires à Hong Kong. — Un tissu de mensonges !” Sur l’écriteau : Fermé. Dessin de Danziger, Etats-Unis.

NYTS/CWS

Page 17: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

ÉDITO

ASIE.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 17

2011 devant l’ambassade du Japon à Séoul] en l’honneur des victimes. On comprend pourquoi le ministre japonais des Aff aires étrangères, Fumio Kishida, a déclaré que les Japonais “n’ont perdu que 1 mil-liard de yens” [7,5 millions d’euros, à verser dans la fondation]. Une raillerie ostensible confirmée par ailleurs par la visite qu’a faite

Akie Abe, l’épouse du Premier ministre japonais, le lendemain même de l’accord, au sanctuaire Yasukuni [où est honorée la mémoire des morts

pour le Japon, y compris les cri-minels de guerre].

La presse japonaise s’en donne à cœur joie. On apprend dans le Yomiuri Shimbun que Tokyo aurait exigé le retrait de la statue comme condition préalable à l’off re du mil-liard de yens. “Il ne sera plus ques-tion [des ‘femmes de réconfort’] dans

—Pressian Séoul

C’est une catastrophe diplo-matique. En Corée du Sud, les critiques pleuvent à

propos des négociations menées avec Tokyo, à l’initiative de la pré-sidente Park Geun-hye, sur la ques-tion des “femmes de réconfort” [femmes forcées à se prostituer pour l’armée japonaise durant la guerre du Pacifique]. Ces négo-ciations ont été “humi-liantes”, les termes de l’accord qui en a résulté le 28 décembre 2015 étant qualifi és d’“irréversibles et défi ni-tifs” [le Japon s’est engagé à pré-senter ses excuses et à verser des compensations par le biais d’une nouvelle fondation dotée par l’Etat].

Pour faire bonne mesure, Mme Park a accédé à la demande japonaise de retirer la statue repré-sentant une jeune fi lle érigée [en

CORÉE DU SUD

Un accord “humiliant” avec le JaponLa présidente a concédé au Japon que le sujet des “femmes de réconfort” ne serait plus évoqué. Mais, pour les Coréens, la page n’est pas tournée.

les relations à venir avec la Corée”, aurait déclaré le Premier ministre Abe d’après le Sankei Shimbun, ajoutant que “si la Corée enfreint cet accord, elle sera condamnée par la communauté internationale”.

Cet “échec” diplomatique risque de porter un coup dur à la popula-rité de la présidente sud-coréenne, qui se situe aujourd’hui un peu au-dessus de 40 %, essentiellement grâce à ses talents diplomatiques. Or d’après un sondage datant du 18 décembre dernier, 66 % de la population s’opposerait par exemple au retrait de la statue.

L’opposition a déclaré que l’ac-cord serait annulé en cas de change-ment de gouvernement, promesse qui peut infl uer sur les prochaines élections [avril 2016 pour les légis-latives, décembre 2017 pour la pré-sidentielle]. “Si cet accord constitue un traité, la présidente peut faire l’objet d’une destitution pour l’avoir conclu sans avoir consulté la popu-lation, et s’il s’agit juste d’un simple accord, le Japon va verser la somme après le retrait de la statue et tout cela va rendre délicate la question des îles Dokdo [îles Takeshima en japo-nais, qui font l’objet d’un contentieux entre les deux pays]”, a commenté l’avocat Song Ki-ho. En eff et, esti-mant que Séoul a perdu un levier, le Japon risque de devenir plus agres-sif dans ce confl it territorial qui excite beaucoup l’extrême droite dans l’archipel.

—Pak Se-yolPublié le 30 décembre 2015

—Mainichi Shimbun (extraits) Tokyo

Le 28 décembre 2015, les gouvernements japonais et sud-coréen ont conclu un

accord au sujet des femmes dites de “réconfort” [forcées à se pros-tituer pour les troupes japonaises au cours de la Seconde Guerre mondiale]. Les intentions des deux Etats divergent toutefois sur plusieurs points et nécessi-teront de nouvelles manœuvres politiques.

Pour aider les victimes, le gou-vernement sud-coréen créera une fondation qui sera fi nancée par Tokyo à hauteur de 1 milliard de yens [7,5 millions d’euros]. La nou-velle fondation sera exclusivement subventionnée par le gouverne-ment japonais. Cet arrangement sous-entend que Tokyo accepte sa part de responsabilité, ce qui était

Les ambiguïtés des remords nipponsEn reconnaissant sa responsabilité morale dans le dossier des “femmes de réconfort”, Tokyo obtient un accord “défi nitif et irréversible”.

nécessaire pour que Séoul accepte l’accord. En eff et, le pays appelait depuis longtemps le Japon à recon-naître explicitement et offi cielle-ment sa responsabilité.

Le gouvernement japonais n’a cessé d’affirmer que le dossier était défi nitivement clos depuis 1965. Tokyo accepte néanmoins de fi nancer la nouvelle fondation sous prétexte d’assumer sa “res-ponsabilité morale”.

Lors d’une conférence de presse conjointe avec son homologue sud-coréen, Yun Byung-se, le ministre japonais, a déclaré que son pays était “cruellement conscient de ses responsabilités”. Il a par ailleurs expliqué que le Premier ministre exprimerait “des excuses et remords sincères”. Ce dernier emploiera quasiment les mêmes mots que les anciens Premiers ministres ayant adressé des lettres aux anciennes femmes de réconfort – c’est la limite qu’avait fi xée le gouvernement japonais dans ce dossier. Lors d’un sommet bila-téral organisé en novembre, la présidente sud-coréenne, Park Geun-hye, avait demandé que la résolution soit “acceptable pour les victimes et satisfaisante pour l’opi-nion publique”, une condition sine qua non à tout accord. De son côté, Tokyo a exigé que Séoul s’engage par écrit à ne plus remettre le sujet sur le tapis une fois l’accord signé. Finalement, les deux ministres des Aff aires étrangères ont déclaré le 28 décembre que l’accord était “défi -nitif et irréversible” (ce second mot n’avait jamais été employé aupara-vant). Tokyo estime que le docu-ment publié lors de la conférence de presse conjointe prouve l’enga-gement ferme de Séoul.

Toutefois, on ignore encore ce qu’il adviendra de la statue de la jeune fi lle qui, devant l’ambassade du Japon à Séoul, rend hommage aux “femmes de réconfort”. La Corée du Sud a simplement affi rmé que le gouvernement “prendrait les mesures nécessaires”. L’issue fi nale de l’accord reste ambiguë, car les deux pays campent sur leurs positions.—

Publié le 30 décembre 2015

Un compromis en trompe-l’œil●●● Fin 2015, année qui a marqué le 50e anniversaire du traité de normalisation entre la Corée du Sud et le Japon, les deux pays se sont enfi n rapprochés sur leur diff érend historique. A la suite de pressions américaines exercées sur chacune des parties, les deux voisins ont trouvé un compromis. Les opinions publiques de part et d’autre restent toutefois hostiles : 70 % des Coréens déclarent avoir une opinion défavorable des Japonais, et 52 % des Japonais le leur rendent. La presse sud-coréenne est unanimement critique sur le récent accord passé avec le Japon (voir ci-contre), la presse japonaise quant à elle est très divisée. Une chose est sûre, il n’entraînera pas une réelle réconciliation.

↙ Dessin de Wonsoo, Corée du Sud.

NYTS-CAI

Page 18: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

18. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Libye. Comment vaincre Daech et sauver le pétroleLa communauté internationale appuie la formation d’un gouvernement d’union pour contrer Daech, qui lorgne sur l’or noir. Pour la population, c’est le seul espoir de sortir du chaos.

—Al-Monitor Washington

Selon l’émissaire de l’ONU Martin Kobler [en poste depuis mi-novembre 2015],

la Libye aura un seul gouvernement d’ici à la fin janvier 2016, et il sera à Tripoli. Malgré les difficultés aux-quelles il est confronté, ce nouveau

gouvernement d’union nationale bénéficie déjà d’un soutien interna-tional important. Le 23 décembre, le Conseil de sécurité de l’ONU a adopté la résolution 2259, le recon-naissant comme le seul gouverne-ment légitime de ce pays déchiré par la guerre. Pour aboutir à cette sortie de crise, Bernardino León, l’ancien

émissaire de l’ONU en Libye, a passé près de quatorze mois en d’âpres négociations, entamées en septembre 2014, lorsqu’il a accepté ce poste.

Depuis août 2014, date à laquelle la capitale a été envahie par une coalition de milices à dominance islamiste [dont la formation Aube

de la Libye] qui ont obligé le gou-vernement élu [en juin 2014] à fuir vers Tobrouk, la Libye compte deux Parlements antagonistes et deux gouvernements qui s’opposent. Le 17 décembre 2015, des repré-sentants des deux bords ont fina-lement signé à Skhirat, au Maroc, la feuille de route élaborée sous la houlette onusienne.

Dans un premier temps, le Parlement de Tobrouk a refusé de se rallier à cet accord politique avant de se raviser après sa réu-nion le 1er janvier avec Kobler, sous la pression internationale. Mais l’émissaire de l’ONU a eu moins de chance à Tripoli, où il a rencon-tré le président du Congrès général national [CGN, Parlement sor-tant], Nouri Abou Sahmain, qui a refusé d’avaliser l’accord.

Quoi qu’il en soit, la communauté internationale paraît désormais déterminée à imposer sa volonté aux politiques libyens réfractaires. De fait, le Conseil de sécurité de l’ONU a donné son feu vert au nou-veau gouvernement avant même qu’il ait été approuvé par le vote du Parlement élu de Libye. L’ONU paraît plus préoccupée par la mise en place du gouvernement que par ce qui va se passer ensuite.

Priorités. De nombreux pays de la région, notamment les voi-sins de la Libye, ont eux aussi accueilli favorablement le nou-veau gouvernement, dirigé par Fayez Sarraj, ancien architecte entré en politique. La Jordanie, l’Egypte, l’Espagne et la Tunisie se sont également félicités de la tournure des événements et ont promis d’apporter leur soutien. Reste à savoir comment ce gou-vernement fonctionnera à Tripoli – si jamais il s’y établit – et quelles seront ses priorités sur les plans national et international.

La capitale, Tripoli, est aux mains du gouvernement autoproclamé en août 2014 avec le soutien de milices islamistes qui occupent actuel-lement tous les bâtiments gou-vernementaux. Lors de sa visite à Tripoli, Kobler, avec son nouveau conseiller militaire, le général Paolo Serra, a rencontré quelques chefs de milice afin de s’assurer qu’ils soutiendront le nouveau gouver-nement, mais on ignore pour l’ins-tant si des engagements ont été pris. Si le gouvernement de Sarraj finit par obtenir le pouvoir et par-vient à siéger à Tripoli, il lui faudra concilier deux sortes de priorités.

Pour les puissances mondiales, notamment les cinq membres

↙ Dessin de Hajo paru sur www.24.ae, Abou Dhabi.

permanents du Conseil de sécu-rité de l’ONU et les pays de l’Union européenne, l’urgence est d’avoir un seul interlocuteur en Libye, un gouvernement capable de com-mander des forces armées unifiées pour lutter contre Daech. Le groupe terroriste progresse en effet insi-dieusement en Libye depuis qu’il a pris la ville côtière de Syrte [en février 2015, l’EI a revendiqué l’en-lèvement et l’assassinat à Syrte de 21 Egyptiens coptes]. Alors que chacun des deux gouvernements est soutenu par des milices diffé-rentes, l’objectif est que les deux camps unissent leur puissance militaire pour se battre contre un ennemi commun. Récemment, l’EI s’est manifesté publiquement pour la première fois à Sabratha [qui abrite un site archéologique romain classé par l’Unesco], à seu-lement 60 kilomètres à l’ouest de Tripoli. Le 9 décembre, Daech a en effet fait parader dans cette ville ses djihadistes dans une trentaine de véhicules pour faire étalage de sa force [le 4 janvier, Daech a lancé une offensive contre les sites pétro-liers d’Al-Sidra et de Ras Lanouf]. Par ailleurs, étant donné la proxi-mité de la Libye avec le sud de l’Eu-rope et le contexte des attentats du 13 novembre à Paris, les membres de l’UE sont inquiets du danger immédiat représenté par Syrte, qui pourrait servir de base de lance-ment pour d’éventuels attentats.

La deuxième priorité pour les puissances occidentales, les pays de la région et l’ONU, c’est que le nouveau gouvernement parvienne à endiguer le flot de migrants qui passent par la Libye pour gagner l’Europe. L’itinéraire libyen a la préférence des passeurs, et plus de 3 700 migrants partis de Libye se sont noyés en Méditerranée l’an-née dernière en tentant de gagner l’Europe. Selon les estimations, 200 000 personnes auraient réussi à passer en Europe grâce à de petits bateaux affrétés en Libye. Reste à savoir comment le nouveau gou-vernement va réussir à atteindre ces objectifs.

Les priorités et les attentes de la population libyenne sont quant à elles très différentes. Pour les Libyens, les migrants et la guerre contre Daech ont une importance toute relative. Ils attendent surtout de ce gouvernement qu’il assure la sécurité dans leurs quartiers. Ils voudraient un peu de stabi-lité dans leur quotidien, pouvoir aller et venir sans craindre d’être arrêté au hasard, enlevé ou blessé par balle. Ils aspirent à trouver du

afrique

Page 19: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

AFRIQUE.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 19

300 km

DernaTobrouk

BenghaziTawergha

Zouara

El-BeïdaMisrata

SabrathaTripoli

Syrte

ÉGYPTE

TUNISIE

L I B Y E

CyrénaïqueTripolitaine

Offensive de Daechcontre les sites pétroliersd’Al-Sidra et de Ras Lanoufle 4 janvier 2016

Etatislamique (EI)

Aubede la Libye

Alliés du Gal Hafter

Coalitionsdjihadistes

Les forcesen présence :

travail. Ils aimeraient que ce gou-vernement se préoccupe de leurs problèmes quotidiens, comme la flambée des prix, le manque de liquidités dans les banques ou les retards de paiement des salaires pour les fonctionnaires. Ils aspirent à un système de soins décent, où les hôpitaux publics délivreraient des services gratuits et de qualité comme ils le faisaient il y a seule-ment cinq ans, avant que leur pays ne bascule dans le chaos.

Réfugiés. De nombreux médias libyens se sont fait l’écho de citoyens ordinaires exprimant leur soutien au nouveau gouvernement. Mais ces propos sont surtout dictés par le désespoir et parce qu’il n’existe pas d’autre solution. Le sentiment prédominant est que le gouverne-ment s’inquiète plus des demandes de la communauté internationale que des doléances des Libyens.

Les habitants voudraient que leurs nouveaux représentants se saisissent sérieusement de la ques-tion de la réconciliation nationale – jusqu’à présent oubliée – et pro-posent des solutions rapidement. Plus de 1 million de Libyens ont dû s’exiler dans le pays ou au-delà

de ses frontières et espèrent pou-voir rentrer chez eux, en sécu-rité. Accusés de soutien au régime de Kadhafi, les 40 000 habitants de Tawergha, une ville voisine de Misrata, à l’est de Tripoli, ont vu leur ville détruite par les milices rebelles en 2011. Ils vivent à présent dans des camps de réfugiés dissé-minés dans tout le pays. Retourner chez eux est leur vœu le plus cher. Lors de sa visite à Tripoli, Kobler s’est rendu dans un de ces camps et a vu de ses propres yeux les condi-tions de vie misérables des réfugiés.

Il ne sera pas facile pour le nou-veau gouvernement de concilier ses obligations domestiques et ses res-ponsabilités internationales. Il n’a toutefois pas d’autre choix que de prendre ces problèmes à bras-le-corps, sans quoi il se condamne à subir le même sort que les quatre gouvernements qui l’ont précédé. Les autorités libyennes qui se sont succédé à la tête du pays depuis 2011 ont gaspillé des milliards de dollars sans se soucier de l’amélioration du quotidien des citoyens ordi-naires, et encore moins de la paix et de l’harmonie sociale.

—Mustafa FetouriPublié le 7 janvier

les postes [de commandement], car ils entraînent des responsabilités et des pressions énormes, sans parler de la confrontation avec les familles des délinquants, qui n’est pas une tâche facile.”

Si, au début, les hommes por-taient des masques par crainte de représailles, aujourd’hui, les habi-tants de la ville saluent ouverte-ment leur action, qui a contribué à réduire le nombre de vols à main armée et de cambriolages ainsi que le trafic de drogue. Le plus gros fléau de cette ville côtière réside dans les trafics en tous genres : drogue, alcool, carbu-rant, mais surtout êtres humains. “Les Masqués” disent avoir beau-coup avancé dans leurs recherches de passeurs, un problème aggravé par la crise des réfugiés et les mil-liers de migrants qui tentent de franchir la Méditerranée pour rejoindre l’Europe. Islam Halab et ses camarades ont récemment arrêté quelque 25 passeurs, et le nombre d’interpellations ne cesse d’augmenter.

Mais la brigade fait également l’objet de critiques. Certains habi-tants voient d’un mauvais œil que “les Masqués” interviennent sans permis officiel et qu’ils n’aient pas reçu d’entraînement. “Nous n’avons commencé à travailler qu’après avoir obtenu un permis du ministère de l’Intérieur, assure A. Q. Nous avons mené à bien notre première mission le jour même en arrêtant une flopée

de délinquants qui avaient mis le feu à la Direction de

la sécurité de la ville. Tout le monde peut vérifier

ces faits auprès du ministère.”Les membres de la brigade

n’ayant pas d’autre travail, ils ont souvent du mal à joindre les deux bouts. Ils sont payés

entre 500 et 800 dinars libyens [325 et 520 euros] par mois, mais souvent avec du retard. “Un jour, j’ai distribué des uniformes à mes

camarades, mais l’un d’entre eux s’est retrouvé avec un habit trop grand, raconte Islam Halab. Je lui ai dit de le faire retoucher, car il

n’y en avait pas d’autres. Mais il m’a confié en privé qu’il n’avait pas l’argent nécessaire. C’était l’un des membres les plus persévérants et dévoués de l’équipe. Il n’avait pas d’autres sources de revenu. Ceux qui racontent que nous touchons beau-coup d’argent ignorent ces faits ou n’en tiennent pas compte.”

Même si certains mettent leurs motivations en doute, la majeure partie des habitants de la ville soutiennent ces hommes, comme en a témoigné un défilé pacifique organisé en octobre dernier pour réaffirmer leur soutien aux efforts de la brigade. Selon A. Q., c’est la lutte contre le trafic d’êtres humains qui recueille le plus de suffrages de la population. “Il y a deux ans, notre équipe a arrêté des trafiquants et les a traduits en jus-tice, raconte-t-il. Mais ils ont été remis en liberté après avoir versé ce qu’on peut considérer comme des bakchichs et, comme ils n’ont pas été sanctionnés, on a cessé de les pour-suivre. Cependant, récemment, des corps [de réfugiés] ont commencé à apparaître sur les plages de la ville et on a dû se remettre à la tâche.”

En août dernier, la brigade a connu sa plus grande victoire en capturant certains des passeurs considérés comme responsables de la noyade de quelque 300 per-sonnes, un événement largement repris par les médias internatio-naux. Depuis, elle a élaboré un plan d’action contre les trafiquants d’êtres humains, mais la mise en pratique de ce plan nécessitera plus de soutien. “Nous travaillons en croyant à notre cause et nous continuerons de le faire, affirme Islam Halab. Mais nous ne pouvons pas assumer la tâche de tous les ser-vices de sécurité, de contrôle et d’ad-ministration de la ville.”

—Fadwa KamelPublié le 1er janvier

—Correspondents.org (extraits) Berlin

De bon matin, Islam Halab revêt son uniforme et enfile une cagoule qui ne laisse

voir que ses yeux. Tout de noir vêtu, il va prendre son poste de policier bénévole dans sa ville de Zouara, dans l’ouest de la Libye. Avec 130 autres habitants, il fait partie de la brigade anticrimi-nalité qui s’efforce de maintenir l’ordre dans la ville depuis que la guerre civile a éclaté, après la mort du colonel Kadhafi en 2011. “Nous ne sommes pas autorisés à intervenir sans porter l’uniforme et la cagoule, explique-t-il. Au début, on les mettait par mesure de sécu-rité, pour dissimuler notre identité, car même nos familles ne savaient pas que nous étions membres de la brigade. Mais maintenant, les habi-tants de la ville connaissent bien la plupart d’entre nous.”

Les hommes de la brigade, surnommés “les Masqués”, sont étroitement liés à la Division gou-vernementale des investigations criminelles. Au nombre des béné-voles figurent des médecins, des ingénieurs et d’anciens policiers. Selon certains d’entre eux, leur manque d’expérience au combat est compensé par leur envie de réta-blir la stabilité du pays. “Une règle essentielle de l’équipe est de respecter le temps imparti et les ordres, poursuit Islam Habab. Ceux qui enfreignent les instructions ont des amendes, des peines de prison ou sont même ren-voyés.” Pour A. Q., un autre policier bénévole qui a souhaité conserver l’anonymat, le travail est stressant. “Tous les membres cherchent à éviter

“Les Masqués” traquent les passeursConfrontés à un vide sécuritaire, des habitants de la ville côtière de Zouara ont formé une brigade d’hommes cagoulés pour capturer les trafiquants.

Contexte

L’or noir brûle●●● L’offensive lancée le 4 janvier par Daech sur les sites pétroliers va-t-elle précipiter une intervention étrangère en Libye ? Selon The Daily Mirror, “des troupes d’élite des forces spéciales de l’armée britannique (SAS) sont déjà déployées en Libye pour préparer le terrain à l’arrivée, début 2016, de 1 000 soldats britanniques”. Ils feraient partie d’une coalition menée par l’Italie, l’ancienne puissance coloniale, et forte de 6 000 soldats américains et européens. L’objectif serait d’accompagner l’installation à Tripoli du gouvernement d’union et de soutenir les forces libyennes pour stopper l’extension de Daech dans le pays. Le 7 janvier, des réservoirs de pétrole étaient en feu à Al-Sidra et à Ras Lanouf. The Wall Street Journal note pour sa part : “La Libye possède les plus importantes réserves pétrolières d’Afrique et peut potentiellement produire 1,5 million de barils par jour. Mais, pour le moment, elle n’en produit que le tiers.”

→ Dessin de Ramses, Cuba.

“Même nos familles ne savaient pas que nous étions membres de la brigade”

Page 20: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

amériques

20. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

—The New York Times (extraits) New York

J ’ai eu la chance de rencontrer Justin Trudeau, le chef du Parti libéral, le 10 novembre, six jours après son

investiture au poste de Premier ministre du Canada, dans son bureau situé au troi-sième étage du Parlement, à Ottawa. La pièce, lambrissée de chêne foncé, conte-nait un bric-à-brac d’énormes meubles choisis par son prédécesseur conservateur, Stephen Harper, resté au pouvoir pendant près d’une décennie. Le bureau avait des airs de bunker récemment abandonné.

Le père de Justin Trudeau, Pierre, a occupé la même pièce pendant seize ans, dans les années 1960 et 1980, et le nou-veau Premier ministre a déclaré qu’il avait l’intention d’y installer prochainement l’ancien bureau de son père, un symbole de restauration, bien sûr, mais aussi un net rejet de son prédécesseur. Il a laissé entendre que le bureau large et bas laissé par le Premier ministre sortant était un reflet de son approche autocratique. “C’est le style de mon prédécesseur, pas le mien. Je vais mettre un plus petit bureau dans le coin et un plus grand canapé pour qu’on puisse s’asseoir et discuter. C’est une approche dif-férente”, a dit Trudeau.

Il est clair que la victoire électorale du 19 octobre a pris Trudeau, son équipe et le pays par surprise. Il n’y a pratiquement pas de période de transition politique au Canada et, pendant ses premiers jours au pouvoir, sa petite équipe de campagne a tenté de faire face aux exigences inatten-dues de la gouvernance. Ils ont lancé un appel à candidature sur les réseaux sociaux et ont reçu 22 000 CV pour pourvoir les multiples postes.

Au moment de notre rencontre, Trudeau, 43 ans, tentait toujours d’inciter son person-nel à l’appeler “Premier ministre”. Pendant des années, tout le monde l’a simplement appelé “Justin”. “C’est un peu comme si votre ami très brillant devenait soudain Premier ministre”, m’a dit Kate Purchase, sa direc-trice de communication. “Les gens dans la rue m’appellent ‘Premier ministre’ ou ‘Justin’, a dit Trudeau. On verra comment les choses vont tourner. Quand je travaille, que je suis avec mon équipe en public, je suis le Premier ministre. Si on boit une bière ensemble et que tu peux voir mes tatouages, alors tu peux te permettre de m’appeler ‘Justin’.”

En personne, Trudeau est aussi enjoué, amical et sympathique que l’on peut attendre d’un homme politique qui, le soir de sa victoire, a parlé des “voies enso-leillées” [“sunny ways, my friends”], faisant

↙ Justin Trudeau. Photo Mark Peckmezian at Webber Represents

“C’est un peu comme si votre ami très brillant devenait soudain Premier ministre”

Page 21: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

portrait

aMÉriQUES.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 21

Le jeune Premier ministre canadien tourne, trois mois après son élection, la page du gouvernement conservateur de Stephen Harper et reprend le flambeau de son père, Pierre Elliott, qui a dirigé le pays pendant seize ans.

Canada

Justin ou l’héritage du clan Trudeau

référence à l’adage optimiste de Wilfrid Laurier, un libéral qui a occupé le poste de Premier ministre au tournant du XXe siècle. Trudeau, grand gaillard de 1,88 mètre à la carrure athlétique, arbore aujourd’hui une coupe de cheveux conventionnelle après plusieurs années d’expérimenta-tions. A part demander à son assistant de lui rapporter un sandwich au thon et une soupe de nouilles de la cafétéria d’en bas, Trudeau ne semblait pas manifester l’arrogance des puissants. C’était la pre-mière interview qu’il accordait à la presse depuis le début de son mandat et on pou-vait sentir qu’il cherchait encore comment jouer son nouveau rôle.

L’élection de l’automne dernier a consti-tué un véritable débat existentiel sur ce que signifie le fait d’être cana-dien. D’un côté, la vision de Harper d’une nation mena-cée par le terrorisme dans un monde embrasé par les conflits. De l’autre, la croyance libé-rale modérée de Trudeau selon laquelle le monde n’est pas déchiré par un affrontement épique entre les civilisations et que les diffé-rences culturelles, religieuses et linguis-tiques, ainsi que l’ouverture, font la force du Canada.

Le Canada moderne et progressiste que le monde connaît aujourd’hui a été large-ment créé sous le règne des leaders libé-raux Lester Bowles Pearson et Pierre Elliott Trudeau dans les années 1960 et 1970, lorsque le pays a commencé à rompre ses liens avec la Grande-Bretagne et à affir-mer sa propre identité. Le pays s’est alors doté de son propre drapeau, remplaçant le motif de l’Union Jack par celui de la feuille d’érable, et a adopté un hymne national. C’est à cette époque qu’ont émergé les élé-ments qui définissent aujourd’hui la société canadienne : le système de soins de santé universels, le bilinguisme, le multicultura-lisme, l’engagement en faveur de la paix et du développement auprès des Nations unies.

La première initiative politique de Pierre Elliott Trudeau a été de décriminaliser l’homosexualité, à la fin des années 1960. “L’Etat n’a rien à faire dans les chambres à coucher de la nation”, a-t-il déclaré à l’époque. En peu de temps, Trudeau a légalisé l’avor-tement, créé des programmes de finan-cement pour les arts et fait la promotion d’une politique d’immigration ouverte, qui, avec le temps, a fini par transformer les grandes villes du pays en métropoles polyglottes.

Canada “pure laine”. Au cours de la dernière décennie, le Premier ministre conservateur Stephen Harper a fait tout ce qu’il a pu pour détruire l’héritage de Trudeau père, internationalement, natio-

nalement et symboliquement. Pour protéger le Canada blanc “pure laine”, il a dénigré les Nations unies, fait du voile isla-mique une question politique et redéfini le rôle du Canada dans le monde en adhérant à une grande alliance pour défendre

la civilisation occidentale. Harper a même admis détester Pierre Elliott Trudeau malgré la fascination que celui-ci a exer-cée sur lui pendant son adolescence. Après la mort de Trudeau, en 2000, il a décrit de façon désobligeante leur première ren-contre dans les rues de Montréal : “Je suis tombé face à une légende vivante, un homme qui avait déchaîné les passions politiques qui couvaient en moi, qui n’était plus qu’un vieil homme épuisé.” La plus grande ambition de Harper était de détruire la vision du pays de Trudeau.

Stephen Harper a réussi à conserver son poste pendant près de dix ans grâce à une politique rusée, une gestion éco-nomique avisée et une baisse de la cri-minalité – mais aussi grâce à l’ineptie de l’opposition. Lors des élections qui ont eu lieu pendant cette période, les voix pro-gressistes se sont divisées entre le Parti libéral et le Nouveau Parti démocratique

(NPD), un parti un peu plus à gauche que les libéraux, ce qui a permis au Premier ministre conservateur de rester en poste.

Pendant la campagne, Stephen Harper a dépeint Justin Trudeau comme le fils bon à rien de l’ancien Premier ministre, un novice voulant augmenter les impôts et dont le nom de famille était la seule qualification pour devenir chef d’Etat. L’un des nombreux sujets de confrontation des débats télévi-sés était la loi C-24, défendue par Harper, qui permet au gouvernement de révoquer la citoyenneté canadienne des individus ayant une double citoyenneté reconnus coupables de terrorisme. Selon les libé-raux, une telle loi fait des Canadiens nés dans un autre pays une classe de citoyens à part [Justin Trudeau a promis de l’abro-ger]. “Pourquoi ne devrait-on pas révoquer la citoyenneté des individus reconnus cou-pables de crimes terroristes contre ce pays ?” a demandé Harper à Trudeau. “Un Canadien est un Canadien, a répondu Trudeau d’un ton de défi. Et vous dévaluez la citoyenneté de tous les Canadiens lorsque vous créez des catégories et que vous rendez la citoyenneté conditionnelle pour certains individus.”

Les conservateurs ont répliqué que Trudeau faisait preuve de naïveté et de faiblesse en rejetant le rôle du Canada dans la guerre contre le terrorisme et en mettant l’accent sur des sujets comme le réchauf-fement climatique. “S’il est important de parler du changement climatique, le fait de le considérer comme la ‘principale menace’ démontre toutefois un certain isolationnisme et une absence de volonté de s’attaquer au pro-blème de l’Etat islamique et du terrorisme en général”, a déclaré Christopher Alexander, ancien ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration du gouvernement Harper. M. Alexander reste convaincu que le pays a fait une erreur importante, voire tra-gique, en élisant Trudeau. “La campagne libérale était fondée sur la nostalgie d’une époque plus simple, d’un monde plus paisible et sur les solutions proposées par le père de Justin Trudeau lorsque le Canada n’avait pas à composer avec la menace terroriste mon-diale”, a-t-il dit.

La défaite de Harper face au fils Trudeau possède une dimension dramatique évi-dente, digne du théâtre grec antique. Le patronyme mais aussi la vision de la nation de Pierre Elliott Trudeau l’ont finalement emporté. Le nouveau Premier ministre a mis un point d’honneur à inclure un nombre égal d’hommes et de femmes au sein de son cabinet et ses ministres sont issus de divers groupes ethniques. Pratiquement toutes les initiatives de Trudeau, de sa poli-tique fiscale à son acceptation de la com-munauté gay en passant par ses relations avec la Chine, sont radicalement opposées

à celles de l’administration précédente. Les scientifiques du gouvernement, à qui l’on avait interdit de parler à la presse de peur qu’ils contredisent le point de vue sceptique de Harper face au changement climatique, peuvent désormais partager les résultats de leurs recherches avec les journalistes. Et le simple fait que Trudeau réponde aux questions des journalistes à la tribune de la presse du Parlement est très significatif. Harper n’avait pas organisé de telles conférences de presse depuis six ans.

Au Canada, aucune personnalité poli-tique ne déchaîne autant les passions que Pierre Elliott Trudeau. Il était, selon la personne à qui vous vous adressez, l’in-carnation d’un Canada raffiné et ambi-tieux ou un socialiste libertin bon à rien. Le père de Pierre Elliott Trudeau a fait for-tune dans les stations-service, libérant du même coup son fils de la nécessité de tra-vailler, tout comme Justin après lui. Dans sa jeunesse, Pierre a voyagé en Afrique et en Asie, étudié à Harvard et à la London School of Economics et fréquenté Jean-Paul Sartre et Simone de Beauvoir à Paris.

Prédiction de Nixon. Pierre Elliott Trudeau a dirigé le pays de 1968 à 1979 et de 1980 à 1984. L’intellectuel montréalais était méprisé dans l’ouest du Canada en raison de sa politique énergétique favo-rable aux provinces de l’est et détesté par les séparatistes québécois, qui le voyaient comme un ami des élites anglophones. Il était pourtant visionnaire de plus d’une façon. En 1982, le Premier ministre a pro-cédé au rapatriement de la Constitution, permettant ainsi au Canada de modifier le document sans l’accord du Parlement britannique. Il est ainsi devenu un père fondateur du Canada, un intellectuel qui abordait les problèmes avec un esprit ana-lytique et créatif.

Pierre Elliott Trudeau a permis à son fils de côtoyer des personnalités histo-riques. Enfant, Justin Trudeau a rencon-tré Margaret Thatcher et Ronald Reagan.

Bio express25 décembre 1971 Naissance de Justin Trudeau à Ottawa.Octobre 2000 Il prononce l’éloge funèbre de son père, Pierre Elliott Trudeau, Premier ministre du Canada de façon quasi ininterrompue de 1968 à 1984.Octobre 2008 Il est élu député de la circonscription de Papineau, à Montréal.Avril 2013 Il prend la tête du Parti libéral du Canada (PLC).19 octobre 2015 Il remporte les élections fédérales et est désigné Premier ministre.4 novembre 2015 Il prête serment et devient le 23e Premier ministre du Canada.

La défaite de Harper face au fils Trudeau possède une dimension dramatique évidente

Page 22: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

AMÉRIQUES22. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Lors d’une visite à Ottawa, alors que Justin n’avait que quelques mois, Richard Nixon a prédit qu’il deviendrait un jour Premier ministre. Le nouveau Premier ministre canadien a un baccalauréat de l’université McGill et un diplôme de l’université de Colombie-Britannique. Malgré son pedi-gree et la richesse dont il a hérité, son par-cours est remarquablement ordinaire. Il a voyagé un peu partout dans le monde, fumé de la marijuana, fait du snowboard et tra-vaillé comme videur dans des bars avant de commencer à enseigner dans une école secondaire à Vancouver. A ceux qui disent qu’il est évident qu’il n’a pas les qualifica-tions nécessaires pour occuper le poste de Premier ministre ni l’érudition de son père, Justin répond qu’il a fait sa propre éducation. Il dit avoir visité près de 100 pays, nombre d’entre eux dans le cadre de sommets internationaux où il accom-pagnait son père, ce qui lui a permis d’ac-quérir une compréhension approfondie de la gouvernance. Les voyages lui ont égale-ment permis de développer sa compassion pour les moins fortunés du monde entier.

Dynastie. La famille Trudeau a long-temps marqué l’imaginaire canadien, un peu comme les Kennedy aux Etats-Unis. La mère de Justin, Margaret, avait 22 ans lorsqu’elle a épousé Pierre, alors âgé de 51 ans, en 1971. Le Premier ministre canadien de l’époque était un célibataire convoité, mais aussi un bourreau de travail et un radin notoire. Après avoir donné nais-sance coup sur coup à trois garçons, cette belle femme surnommée “Maggie T.” n’a pas hésité à fumer de la marijuana sous les yeux de la police montée, à donner un discours au Venezuela sous l’influence du peyotl et à laisser son mari pour aller faire la fête au Studio 54 à New York. Les Trudeau ont fini par divorcer. Et Margaret a elle-même raconté avoir eu des aventures avec Teddy Kennedy et au moins un des membres des Rolling Stones.

L’histoire de la famille Trudeau a égale-ment été marquée par la tragédie. Le plus jeune frère de Justin, Michel, est mort en 1998 à l’âge de 23 ans dans une avalanche alors qu’il participait à une excursion à skis en Colombie-Britannique. Sa mort a marqué le début d’une période diffi-cile pour Pierre Elliott Trudeau. L’ancien Premier ministre, homme profondément religieux, a commencé à perdre la foi. Justin s’est alors beaucoup occupé de sa mère, Margaret, qui a terriblement souf-fert de la disparition de Michel. Ce n’est que plus tard, après avoir été internée dans un asile, qu’elle a appris qu’elle souffrait d’un trouble bipolaire ; elle a ensuite fait de la cause de la santé mentale son cheval de bataille.

La disparition de Pierre Elliott Trudeau, en 2000, a marqué le début de la vie publique de Justin. L’aîné de la famille, alors âgé de 29 ans, a été invité à pronon-cer l’éloge funèbre de son père, l’une des

personnalités les plus importantes de l’his-toire canadienne. Les funérailles d’Etat de Pierre Elliott Trudeau, qui ont eu lieu à Montréal, restent à ce jour l’un des évé-nements les plus mémorables de l’histoire télévisée canadienne. Justin, qui a livré un hommage émouvant, en était la vedette incontestée. “Je t’aime, papa”, a-t-il dit avant de poser sa tête contre le cercueil de son père dans un geste qui est instantanément devenu emblématique du deuil national.

Justin Trudeau est entré en politique huit ans plus tard en se faisant élire député de la circonscription de Papineau, un quartier ouvrier et multiethnique de Montréal. Il s’est distingué par son travail acharné et son appétit pour la politique de proximité. Quand Trudeau a gagné, cette année-là, ce fut une surprise, mais la véri-table ascension de Justin vers le poste de Premier ministre a réellement commencé un samedi soir de 2012 sur un ring de boxe à Ottawa. A l’époque, le Parti libéral était désorienté après sa terrible défaite à l’élec-tion de 2011, qui l’a laissé avec seulement 34 sièges au Parlement, soit environ un dixième du total des sièges. Une fusion avec le NPD semblait alors être l’option la plus raisonnable. Dans le but de changer la dynamique politique, Trudeau a litté-ralement cherché la bagarre. Il a défié un sénateur conservateur de 37 ans appelé Patrick Brazeau – et surnommé “Brass Knuckles” [le poing américain] – de l’af-fronter dans un combat de boxe destiné à recueillir des fonds pour la recherche sur le cancer. Tout le monde s’attendait à ce que Trudeau reçoive une raclée. Brazeau, un ex-militaire ayant grandi dans une réserve autochtone, est cein-ture noire de karaté et était clairement le favori le soir du combat. Mais quelque chose d’inattendu s’est produit : Trudeau a infligé une raclée au sénateur dur à cuire et le combat a dû être interrompu avant la fin. Un an plus tard, le Parti libéral le choisissait comme leader et, deux ans après, le pays l’élisait Premier ministre.

Taxer les riches. L’ampleur de la vic-toire de Justin Trudeau, longtemps donné perdant, est stupéfiante. Les Canadiens lui ont clairement confié les clés du pou-voir : les libéraux ont obtenu une majorité confortable de 184 sièges au Parlement et réussi à faire élire des députés aux quatre coins du pays. Le programme de Trudeau est ambitieux : financement de projets d’infrastructure pour stimuler l’écono-mie, soutien aux programmes de réduc-tion de la pauvreté infantile, enquête sur la disparition et le meurtre de plus de 1 000 femmes autochtones, introduction d’une politique rigoureuse en matière

de capture et de stockage du carbone, légalisation de la marijuana, etc.

Pour illustrer sa façon de voir les choses, Trudeau a évoqué sa décision d’augmenter les impôts sur le revenu des 1 % les plus riches et de diminuer ceux de la classe moyenne, alors même que son gouver-nement investit dans l’amélioration des infrastructures. Il sait que le Canada enre-gistrera un déficit, ce qui est inhabituel pour un pays connu pour sa probité fis-cale, mais il croit malgré tout que c’est la voie à suivre. “Les pays confiants sont prêts à investir dans l’avenir, a-t-il dit. Ils ne suivent pas toujours l’orthodoxie conser-vatrice, qui vise l’atteinte de l’équilibre bud-gétaire à tout prix.”

Etat postnational. Trudeau a par ail-leurs promis d’accueillir 25 000 réfugiés syriens avant la fin 2015. Les attentats du 13 novembre à Paris ne l’ont pas fait chan-ger d’idée, mais l’ont incité à ralentir le pro-cessus afin de s’assurer que tout soit fait de manière ordonnée et sécuritaire. (A la date du 31 décembre, plus de 6 000 réfugiés ont été admis au Canada.) Si les attaques de Paris ou de San Bernardino s’étaient produites à Montréal ou à Winnipeg avant l’élection, Trudeau aurait très bien pu être défait, ce qui illustre la fragilité des institutions démocratiques à l’ère du terrorisme.

Trudeau continue de déclarer qu’il veut que le Canada rejette la politique de la peur et de la division. “Lorsque la mos-quée de Cold Lake, une petite communauté rurale de la province conservatrice d’Alberta, a été vandalisée, de nombreux habitants se sont présentés dès le lendemain pour aider à nettoyer et à réparer les dommages, m’a dit Trudeau. Les pays ayant une forte identité nationale – linguistique, religieuse ou cultu-relle – ont de la difficulté à intégrer efficace-ment les gens issus de différents milieux. En France, il y a encore une distinction entre les citoyens typiques et les citoyens atypiques. Nous n’avons pas ce genre de dynamique au Canada.” Des groupes terroristes ont spé-cifiquement dit qu’ils ciblaient le Canada et les Canadiens, et les détracteurs de Trudeau s’inquiètent de son insouciance en ce qui concerne la sécurité nationale. Son argument le plus radical est que le Canada est en train de devenir un nou-veau genre d’Etat, et qu’il se définit non pas par son histoire européenne mais par la multiplicité de ses identités.

Sa défense d’un héritage canadien pan-culturel fait de lui une incarnation de la vision de son père. “Il n’y a pas d’identité fondamentale, pas de courant dominant au Canada, a-t-il affirmé. Il n’y a que des valeurs partagées : l’ouverture, le respect, la compas-sion, la volonté de travailler dur et d’être là les uns pour les autres, la recherche de l’éga-lité et de la justice. Ces qualités sont ce qui fait de nous le premier Etat postnational.”

—Guy LawsonPublié le 10 décembre 2015

Contexte

UNE DIVERSITÉ AFFICHÉE●●● La composition du nouveau gouvernement canadien, nommé officiellement le 5 novembre 2015, n’est pas passée inaperçue. Outre sa parité parfaite (il est composé de 15 femmes et de 15 hommes), il est également très divers. Dans ses rangs, on compte 4 ministres de confession sikhe, dont le ministre de la Défense, Harjit Singh Sajjan ; une ministre de la Justice autochtone (une première au Canada), Jody Wilson-Raybould, ainsi que 2 ministres porteurs de handicap, dont le ministre des Anciens Combattants, Kent Hehr, en chaise roulante. Le nouveau Premier ministre canadien a également tenu à changer les noms de certains portefeuilles ministériels. Le ministère de l’Environnement est désormais aussi celui du Changement climatique, et le ministère de l’Immigration et de la Citoyenneté est également devenu celui des Réfugiés.

SoURCE

THE NEw YoRk TImESNew York, Etats-UnisQuotidien, 1 160 000 ex.www.nytimes.com/Avec 1 000 journalistes, 29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer, le New York Times est de loin le premier quotidien du pays, dans lequel on peut lire “all the news that’s fit to print” (toute l’information digne d’être publiée).

“Il n’y a pas d’identité fondamentale au Canada. Il n’y a que des valeurs partagées”

L’auteur

GUY LAwSoN est un journaliste et auteur canadien. Né à Toronto, il vit désormais dans l’Etat de New York. Il collabore à de nombreux titres de presse dont The Globe and Mail, The New York Times et le magazine Rolling Stone. Il est l’auteur de plusieurs livres d’enquête portant notamment sur le trafic d’armes.

Page 23: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

—Der Spiegel Hambourg

Au soir du nouvel an, Angela Merkel, en adressant ses vœux à la population, a

rappelé qu’au cours de l’année passée son gouvernement avait veillé à traduire ses paroles en actes. La chancelière semblait se féliciter d’avoir su imposer aux réfugiés “nos valeurs, notre conception du droit, nos lois et nos règles”.

Deux heures après ce message d’optimisme, à Cologne, des cen-taines d’hommes passaient eux aussi aux actes. Des actes qui ont ébranlé le pays comme un atten-tat. On peut certes mettre les attaques criminelles et violences sexuelles qui ont eu lieu à Cologne, à Hambourg, à Stuttgart et ailleurs, sur le compte de l’alcool, des hordes d’hommes désinhibés s’en pre-nant à la dignité – et aux sacs – de nombreuses jeunes femmes. Dans l’esprit de nombreux Allemands, cependant, ces agissements de la pire espèce renforcent une vision sombre de l’avenir de leur pays, devenu étranger à lui-même, comme s’il s’agissait d’une prise d’otages

ne menaçant pas seulement des femmes.

Il y a un an, de tels incidents auraient tout au plus défrayé la chronique locale (ce qu’on peut déplorer). Mais après une année difficile [avec l’arrivée de 1 mil-lion de réfugiés] et pleine de ten-sions internes, cette explosion de violence élargit le phénomène de peur à l’échelon national.

Haine. Pour tous ceux qui sou-tiennent la politique migratoire de la chancelière, cette nuit du nouvel an est le pire qui pouvait arriver. Eux qui font, à juste titre, la distinction entre les réfugiés – qui viennent chercher chez nous la paix et la sécurité – et les migrants – qui se livrent à des actes crimi-nels –, craignent d’avoir de plus en plus de mal à faire entendre cette distinction. Et pour tous ceux qui commencent à douter de la conviction de la chancelière selon laquelle “nous y arriverons”, ces hordes d’hommes qui s’attaquent aux femmes, ici comme sur la place Tahrir au Caire, donnent l’impres-sion de voir se concrétiser grandeur

nature la propagande du mou-vement des Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident (Pegida). Enfin, pour tous ceux qui estiment qu’Angela Merkel a jeté l’Allemagne en pâture aux étran-gers, ce nouvel an a certainement été l’occasion de se réjouir in petto. Du jour au lendemain, ces gens qui ne souhaitaient rien d’autre aux bénévoles bienveillantes [avec les réfugiés] que de se retrouver avec un violeur syrien sous leur toit, se sont mués en grands défenseurs des femmes allemandes et de leur intégrité physique.

Angela Merkel voit à présent se dresser contre elle une grande coa-lition allant du mouvement Pegida [anti-islam] à l’AfD [Alternative pour l’Allemagne, droite populiste] en passant par la CSU [Union chré-tienne-sociale de Bavière], sans oublier les agitateurs de salon de certains grands médias et autres blogs de la droite nationaliste. Aux yeux de tous ces adversaires, la chancelière est, au choix, une femme qui ne cesse d’enfreindre le droit allemand ou une dirigeante qui a perdu toute fiabilité et a érigé

une dictature contre laquelle s’im-pose le devoir de désobéissance civile.

Les événements du nouvel an renforcent de façon éclatante le mépris et la haine que suscite Angela Merkel dans ce segment de la population. Sur la ques-tion des réfugiés se condense la peur de l’avenir que ressentent les Allemands nostalgiques de l’Etat-nation d’avant la mondiali-sation. Une Allemagne qui exporte certes des marchandises dans le monde entier, mais qui se pro-tège du reste du monde si inquié-tant. Or, dans les débordements du nouvel an à Cologne, le mal est apparu plus proche et plus mena-çant que jamais.

Condamnation. Comment, à l’ère de la libre circulation des mar-chandises et des capitaux à l’échelle planétaire, peut-on réguler le flot de ceux qui veulent aller là où ils espèrent trouver la solution à leurs problèmes ? Par une loi sur l’immi-gration. Comment éviter qu’avec leur arrivée ne s’implantent des comportements incompatibles avec nos valeurs ? Par le recours à la police et à la justice, par un Etat et une société qui défendent ces valeurs.

En conséquence, la condamna-tion des coupables de Cologne et de Hambourg ne peut être que la première conséquence de cette nuit. Une modification de la loi sur le droit de séjour pourrait en outre faciliter l’expulsion des crimi-nels parmi les demandeurs d’asile.

Deuxième conséquence : le gouvernement doit réduire sen-siblement le nombre de réfugiés, et dissiper ainsi les craintes des Allemands, qui redoutent que la société n’ait atteint ses limites.

Troisième conséquence : la meil-leure protection contre les bandes criminelles et l’importation de comportements archaïques passe par la façon de gérer, financer et vivre l’intégration. L’image qu’ont des femmes les jeunes hommes musulmans évolue jour après jour à côtoyer les femmes bénévoles, politiques et de la police qui leur montrent le rôle des femmes dans notre société. Elles sont les actrices primordiales de l’intégration.

Quatrième conséquence : il nous faut parvenir à endiguer l’instrumentalisation des réfu-giés par le monde politique, les médias et les populistes. Les musulmans dans leur ensemble ne sont pas plus des agresseurs potentiels que les Allemands dans

leur ensemble ne sont des incen-diaires potentiels.

Cinquième conséquence : l’in-dignation unanime face aux vio-lences dont les femmes ont été victimes la nuit du nouvel an est une bonne base pour lutter contre la violence sexuelle dont elles font l’objet dans bien des secteurs de notre société. Qui manifeste le lundi à Dresde [avec Pegida] et bouscule les femmes journalistes s’en prend tout autant à nos valeurs que celui qui agresse sexuellement les femmes à la gare de Cologne.

—Cordt SchnibbenPublié le 9 janvier

Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 23

Allemagne. Cologne : comme un attentatLes violences commises contre des centaines de femmes qui fêtaient le nouvel an ont semé la peur dans tout le pays – et mis Angela Merkel en difficulté. Comment empêcher que la situation ne dégénère ?

SourCe

Der SpiegelHambourg, AllemagneHebdomadaire, 883 000 ex.www.spiegel.de“Miroir” de l’Allemagne et du monde, Der Spiegel est le magazine allemand d’investigation par excellence. Huit jours après les violents incidents à Cologne et ailleurs, il titre : “Sur la corde raide. Comment la nuit du nouvel an change l’Allemagne.”

Contexte●●● Les auteurs des violences et agressions sexuelles survenues à Cologne (516 dépôts de plainte au 10 janvier) sont encore loin d’être identifiés. Sur les 19 suspects recensés, pas un n’est de nationalité allemande, 9 ont été enregistrés comme demandeurs d’asile depuis septembre 2015. Un seul est Syrien, 14 sont originaires d’Afrique du Nord, principalement du Maroc. Selon les enquêteurs, c’est parmi les migrants nord-africains que la criminalité a augmenté de manière exponentielle en 2015. Dans ce contexte tendu, l’Allemagne envisage de durcir sa législation. Parallèlement se créent des milices d’autodéfense et des étrangers sont passés à tabac dans la rue.

europe↙ Dessin de Martirena, Cuba.

Page 24: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

EUROPE24. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

—Puterea a Cincea Timisoara

L’Europe a enfin compris que la success story vantée à Bruxelles, Berlin, Paris,

Washington ou Bucarest n’était qu’un emballage destiné à mas-quer l’absence de réelle volonté d’accomplir les réformes liées à l’accord d’association avec l’UE et, surtout, l’absence de désir de lutter contre la corruption au plus haut niveau.

Au sein de l’alliance proeuro-péenne au pouvoir depuis 2009 en Moldavie, c’est le Parti libé-ral-démocrate qui compte le plus grand nombre de sièges au Parlement. Le poste de Premier ministre lui est revenu, celui de président du Parlement est allé au

MOLdaviE

Une année politique cauchemardesqueAvec quatre gouvernements renversés en un an, la coalition proeuropéenne, au pouvoir depuis 2009, signe son échec. En cas d’élections législatives anticipées, les socialistes prorusses partiront gagnants. Au grand dam de Bruxelles.

Parti démocrate [l’alliance inclut également le Parti libéral]. Une mauvaise affaire pour le leader libé-ral-démocrate, Vlad Filat [Premier ministre de 2009 à 2013, actuel-lement en prison pour “vol des banques”], dans une République parlementaire. Il a donc perdu sur ce terrain. Même si Iurie Leanca, désigné pour ce poste, a aupara-vant été le meilleur ministre des Affaires étrangères de la courte his-toire de ce pays. Nommé Premier ministre le 31 mai 2013, Leanca a continué de consolider le label de “meilleur élève du Partenariat oriental”. Les gouvernements Filat et Leanca ont fait de grands pas sur la voie d’un rapprochement entre la Moldavie et l’UE. Mais les réformes n’ont pas atteint le stade qui permettrait de considérer la

trajectoire européenne du pays comme irréversible.

Vlad Filat a été atteint dans son orgueil par le succès crois-sant de Leanca, qui, finalement, a quitté son parti après le rejet par le Parlement, le 12 février 2015, de sa seconde nomination comme Premier ministre. Leanca a alors créé le Parti populaire européen. C’est Chiril Gaburici, un obscur homme d’affaires, qui a pris la tête d’un gouvernement technocrate dont les ministres étaient contrôlés par les partis. Très peu de temps après, une enquête journalistique a révélé que Gaburici n’avait pas son baccalauréat. Quand il a exigé, le 6 juin 2015, le remplacement du procureur général et du gou-verneur de la Banque nationale moldave, accusés d’avoir fermé les yeux sur le vol de 1 milliard de dollars dans les banques mol-daves, il a signé son arrêt de mort politique en déclarant : “Le pays est asphyxié par la corruption, le sys-tème financier est saigné à blanc, ce sont les citoyens qui en paient le prix. Je ne peux pas rester sans réagir alors que des groupes d’inté-rêt détruisent le pays.”

Oligarques. Le pathos de sa lettre n’a impressionné personne. Les chefs des partis politiques ont refusé tout changement et Gaburici a présenté sa démission le 12 juin. Quand, le 23 juillet, a été annon-cée la nomination du ministre de l’Education, Maia Sandu, au poste de Premier ministre, on a pu croire que le soleil allait enfin briller pour les Moldaves. Mais le leader du Parti libéral, Mihai Ghimpu, a repoussé la candidature de Maia Sandu. Celle-ci avait posé publi-quement plusieurs conditions avant d’accepter sa nomination (dont le remplacement du procureur géné-ral et du gouverneur de la Banque nationale). En l’absence d’un véri-table appui politique, c’est Valeriu Strelets qui a été désigné comme Premier ministre le 30 juillet.

La longue crise politique de Chisinau et le contrôle évident qu’exercent les oligarques sur les institutions de l’Etat ont poussé les institutions financières inter-nationales à suspendre leurs rela-tions avec le pays, ce qui a entraîné un blocage des aides financières. Seule la Roumanie, se livrant à un jeu politique opaque qui a éveillé les soupçons de Bruxelles et de Washington, a promis un prêt à sa voisine. Tandis que la contestation et le nombre de tentes sous les-quelles campaient les manifestants

devant le siège du gouvernement croissaient, la coalition proeuro-péenne a décidé, le 14 octobre, de répondre à une des exigences du peuple : la démission du procu-reur général.

Le lendemain, en représailles, le procureur général Corneliu Gurin est venu au Parlement réclamer la levée de l’immunité de Vlad Filat. Ce qui a été fait en quelques minutes, à une large majorité, le plus talentueux homme politique moldave se voyant accusé du vol de l’argent de la Banque des écono-mies. Le Premier ministre Strelets n’a cependant pas abandonné son chef de parti, en conséquence de quoi le Parlement a voté le 29 octobre une motion de censure qui a mis fin à ce gouvernement. Il avait vécu moins de trois mois.

Impasse. Bruxelles et Bucarest ayant tous deux soumis la reprise des négociations à la mise en place d’un gouvernement proeuropéen, le Parti démocrate a annoncé l’ou-verture de pourparlers avec le Parti libéral-démocrate. Ce dernier a fait dépendre sa participation au gouvernement de la dépolitisation des institutions, du remplacement du procureur général et du pro-cureur anticorruption, considé-rés comme étant des hommes de Vlad Plahotniuc, oligarque moldave qui finance le Parti démocrate. Le Parti libéral et le Parti démocrate ont rejeté ces conditions.

Le 14 décembre, le dirigeant du Parti démocrate, Marian Lupu, a proposé Plahotniuc comme Premier ministre. Le président du pays, Nicolae Timofti, est alors sorti de son silence pour la pre-mière fois en quatre ans de mandat. Il a révélé que le Parti démocrate

avait fait pression sur lui pour qu’il désigne Plahotniuc. Il a expliqué par ailleurs qu’il avait rencontré les ambassadeurs occidentaux, à qui il avait fait part de ces menaces.

La presse moldave a spéculé aussi sur le fait que Timofti subi-rait un chantage de la part de Plahotniuc, qui aurait monté des dossiers contre ses fils. En guise de riposte, Timofti a nommé chef du gouvernement Ion Sturza, homme politique moldave retiré depuis plusieurs années en Roumanie. Le président du pays a alors fait l’ob-jet d’attaques concertées, la Cour constitutionnelle a été saisie et elle a décrété que le président devait tenir compte dans ses choix de la majorité détenue au Parlement : une majorité qui peut être faci-lement achetée. Pour clarifier la situation, l’oligarque controversé a annoncé sur les réseaux sociaux la création, le 22 décembre, d’une nouvelle plateforme sociale-démo-crate, à laquelle ont immédiatement adhéré 14 députés communistes. La candidature de Sturza n’a même pas été soumise au vote : Adrian Candu, le filleul de Plahotniuc, président du Parlement, a constaté l’absence de quorum (47 députés présents sur 101) et a envoyé valser l’équipe Sturza.

Désormais, il n’y a que les chan-celleries occidentales et les ambas-sadeurs étrangers qui puissent encore mettre un frein aux ambi-tions de Plahotniuc. Tant Bruxelles que Washington se trouvent face à un choix impossible : des élections anticipées qui placeront au pou-voir Igor Dodon et Renato Usatii, dirigeants des partis proches de la Russie, ou la formation d’un gou-vernement sous la férule de l’oli-garque Plahotniuc.

—Armand GosuPublié le 5 janvier

Union européenne

ChisinauTir

aspol

COUR

RIER

INTE

RNAT

ION

AL

MOLDAVIE

ROUMANIE

UKRAINE

UKRAINE

MerNoire

Dniestr Prout

80 km

GAGAOUZIE(région

autonome)

TRANSDNIESTRIE(territoire

sécessionniste)

SOURCE

PUTEREA A CINCEATimisoara, Roumanieputereaacincea.ro“Le cinquième pouvoir” – jeu de mots sur puterea (“le pouvoir”, en roumain) et le nom de sa créatrice, Cincea (cinquième) – est un site d’information créé en novembre 2015. Regroupant les articles signés par la journaliste Melania Cincea (publiés également dans Revista 22 ou Timpolis), le site a été vite rejoint par des journalistes reconnus.

↙ Dessin de Kazanevsky, Ukraine.

Page 25: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

EUROPE.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 25

LES DOCKS - CITÉ DE LA MODE ET DU DESIGN34 QUAI D’AUSTERLITZ - PARIS

ENTRÉE GRATGRATGR UITE

le salondes masters

& mastère& mastère& m s spécialisés

InsInsInscrcrcrivivivezezez-v-v-vououous ss ss sururur :::wwwwwwwww.salonde.salonde.salondewww.salondewwwwwwwww.salondewwwwww smasters.csmasters.csmasters.comomomInscrivez-vous

présentent

6 F6 FÉVÉVRIRIERER 20201616SASAMEMEDIDI1010h - 1h - 18h8h

RENDEZ-VOUS SUR

activité des réacteurs nucléaires vétustes. Car les pannes se multiplient sur les sept réac-teurs nucléaires belges, dont le plus vieux date de 1975. Le 2 janvier, Doel 1 s’était auto-matiquement mis à l’arrêt à la suite de pro-blèmes dans un alternateur. Une semaine plus tôt, c’était Doel 3 qui était hors ser-vice en raison d’une fuite d’eau due à un défaut de soudure. Tihange avait été briè-vement mis à l’arrêt à Noël après un incen-die. Quant à Tihange 2, il n’est de nouveau opérationnel que depuis la mi-décembre, après un arrêt de vingt mois.

Fissures. En Allemagne, où il a été décidé de démanteler toutes les centrales nucléaires, les réacteurs belges sont qualifi és de “déla-brés”. Aux Pays-Bas, on les désigne en par-lant de “réacteurs fi ssurés”. Des milliers de fi ssures ont en eff et été constatées dans deux d’entre eux. Dans le Limbourg méri-dional en particulier, la sécurité de la vieille centrale nucléaire de Tihange, au bord de la Meuse, au sud de Liège, suscite une vive inquiétude ces dernières années. “Un acci-dent majeur arrivera tôt ou tard, on ne peut que l’attendre”, avait commenté, en 2013, un des participants à une grande manifestation contre Tihange organisée à Maastricht. En cas d’accident, les vents dominants de sud-ouest pousseraient les particules radioac-tives vers les Pays-Bas.

Le mois dernier, une pétition appelant à la fermeture de Tihange, signée par 165 000 per-sonnes résidant aux Pays-Bas, en Allemagne et en Belgique, a été remise au ministre belge de la Sécurité et de l’Intérieur, Jan

—De Volkskrant Amsterdam

Les habitants et les dirigeants des collectivités locales dans les pro-vinces néerlandaises du Limbourg,

du Brabant et de la Zélande sont de plus en plus inquiets quant à la sécurité des centrales belges de Doel et de Tihange. A la suite d’un énième incident (le 2 jan-vier, le réacteur 1 de la centrale de Doel a été mis à l’arrêt moins de trois jours après avoir été relancé), quatre bourgmestres du Brabant ont appelé la ministre néerlandaise de l’Environnement, Melanie Schultz van Haegen, à engager des consultations avec son homologue belge. Les bourgmestres lui ont adressé une lettre dans laquelle ils demandent avec insistance une étude trans-frontalière de l’impact sur l’environnement. Doel est situé à quelques kilomètres de la frontière néerlandaise.

Dans le Limbourg méridional, les diri-geants exhortent même publiquement à une fermeture, la plus rapide possible, de la cen-trale nucléaire de Tihange (trois réacteurs), située à 40 kilomètres de la frontière néer-landaise, près de Maastricht. “Nous avons demandé à plusieurs reprises la fermeture de Tihange à diverses instances offi cielles belges”, a twitté le 31 décembre le président de la pro-vince du Limbourg, Theo Bovens. C’était une réaction à l’alerte donnée par le ministre de l’Environnement du Land allemand de Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Johannes Remmel, concernant la sécurité de Tihange. Selon M. Remmel, le gouvernement belge “joue à la roulette russe” en maintenant en

PAYS-BAS

Haro sur les centrales belges !Les incidents à répétition sur les réacteurs nucléaires belges situés près des frontières néerlandaise et allemande préoccupent les habitants et les dirigeants de ces régions.

Jambon. De plus, des militants examinent la possibilité d’engager une action en jus-tice [contre l’Etat belge, qui a pris] “la dan-gereuse décision” de relancer les “réacteurs fi ssurés” Tihange 2 et Doel 3.

Outre les maires du Brabant et de Zélande, ce sont aujourd’hui plusieurs parlemen-taires qui estiment que le gouvernement [néerlandais] doit agir. Cela fait des années que M. Krabbendam, président du groupe GroenLinks [Verts] au sein du conseil muni-cipal de Maastricht, mène un combat pour la fermeture des centrales belges, mais aussi pour la centrale néerlandaise de Borssele [en Zélande, dans le sud-ouest du pays]. “Deux réacteurs à Tihange et Doel présentent des mil-liers de fi ssures. Leurs cuves ont été réalisées par la Rotterdamse Droogdok Maatschappij (RDM), explique-t-il. Or la cuve du réacteur de Borssele a elle aussi été fabriquée par la RDM. Pourtant, les Pays-Bas continuent d’affi rmer qu’il ne peut y avoir de fi ssures à Borssele.”

Les actions déployées dans le Limbourg méridional ont néanmoins permis d’en-granger quelques résultats. Un dépôt régio-nal de comprimés d’iode a été mis en place dans la province, car le périmètre d’urgence autour de Tihange pour la distribution de comprimés [en cas d’accident] a été étendu à 100 kilomètres [il était de 25 auparavant]. De

Perte de contrôle●●● Malgré les accidents qui ont émaillé son histoire, écrit le journal belge Le Soir, le nucléaire ne posait pas, jusqu’à présent, “de questions existentielles au consommateur lambda”, convaincu que ses centrales étaient bien gérées. Ce n’est plus le cas : avec la multiplication des incidents, le citoyen belge a de quoi s’interroger, et des voix inquiètes s’élèvent dans les pays voisins. Une bien mauvaise nouvelle pour la réputation du plat pays : il ne faudrait pas que la Belgique passe pour “un pays qui aurait perdu le contrôle de son nucléaire après celui de ses terroristes”.

plus, les Pays-Bas et la Belgique ont récem-ment décidé d’inspecter leurs centrales respectives afi n de répondre aux préoccu-pations. La première inspection conjointe aura lieu le 20 janvier.

—Peter De Graaf Publié le 5 janvier

↙ Marie-Christine Marghem (ministre de l’Energie). Dessin de Sondron, paru dans L’Avenir, Namur.

Page 26: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

26. D’UN CONTINENT À L’AUTRE Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Politique. Les “douze salopards” historiques Inspiré par le grand classique du cinéma américain Dirty Dozen, ce journaliste fait un tour d’horizon des personnalités qui, selon lui, ont miné l’Hexagone.

—Politico Bruxelles

De l’exécrable petit Napoléon aux cuisses de grenouille, en passant par les escapades en scooter de

François Hollande pour rendre visite à sa maîtresse, il est vraiment trop facile de se moquer des Français. Peut-être est-on jaloux qu’ils sachent quelque chose sur la vie que nous ignorons tous – si ce n’est qu’ils s’infligent eux-mêmes ces critiques.

Le “déclinisme”, philosophie du déclin, est une école de pensée française à part entière. Elle s’appuie sur l’Histoire, la capitulation de juin 1940 et la fin de l’Em-pire. En France, la philosophie n’est plus qu’un haussement d’épaules impuissant, l’économie combine diktats des syndi-cats et protections sociales, et la culture a vu l’essor d’une pop niaise aux dépens de la chanson. Les personnalités poli-tiques de ces derniers temps n’ont rien fait pour arranger les choses. Nicolas Sarkozy a perdu son temps en gesticula-tions hyperactives et s’est montré incapable de relancer l’économie. François Hollande semble encore chercher sa place à l’Elysée. Un pays qui nous a donné le brie, le vin rouge et Catherine Deneuve mérite mieux que ces énergumènes.

VercingétorixL’habitude française de chercher la gloire dans la défaite est née avec le chef gau-lois qui a défié les armées romaines de Jules César. Il a pratiqué la tactique de la terre brûlée pour affamer les Romains, a fait des otages parmi les tribus rivales pour les forcer à combattre à ses côtés, mais il a été vaincu à la bataille d’Alésia. Vercingétorix a débarqué sur son char,

accès libre aux dortoirs des filles. Dany le Rouge a ensuite rejoint le parti vert et passé une décennie dans la maison de retraite pour révolutionnaires européens qu’est le Parlement de l’UE. Il incarne le radicalisme bidon de la génération des soixante-hui-tards, qui se sont avérés moins subver-sifs que le Big Mac. Par la suite, il a écrit le scénario du film Le Vent d’Est, réalisé par Jean-Luc Godard, à propos de cette révolution avortée.

Jean-Paul SartreL’archétype de l’intellectuel français libi-dineux. Toujours bien entouré à sa table du Dôme, rive gauche, il a écrit sur la soli-tude de l’existence, concluant que nous sommes uniquement le résultat de nos actions et expériences cumulées. Il pré-férait les ménages à trois, mais toutes les occasions étaient bonnes. Il les justifiait ainsi à Simone de Beauvoir, sa régulière : “Notre amour est un amour nécessaire, mais il convient que nous vivions aussi, à côté, des amours contingentes.” Essayez donc d’en faire autant chez vous. Il est à moitié par-donné, car il a refusé le prix Nobel de litté-rature en 1964 au motif qu’aucun écrivain ne doit devenir une institution.

Marcel BigeardSi vous vous demandez pourquoi la France a raté à ce point sa sortie du colonia-lisme et demeure aujourd’hui aux prises avec ses immigrés musulmans, s’inté-resser à Marcel Bigeard est un bon point de départ. Ce parachutiste dur à cuire a lutté avec l’armée de Vichy pendant la Seconde Guerre mondiale, dans le camp des perdants à Diên Biên Phu, puis en Algérie. Il a fini par devenir secrétaire d’Etat à la Défense dans les années 1970, mais avec le temps la vérité sur son passé a émergé. En Algérie, il torturait réguliè-rement des prisonniers avant de les jeter dans la Méditerranée d’un hélicoptère. Ses victimes étaient appelées les “crevettes Bigeard”. Il a fait valoir que sa brutalité était “un mal nécessaire”.

Brigitte BardotEn 1956, Saint-Tropez était un paisible vil-lage de pêcheurs quand la jeune femme de 21 ans y est arrivée pour tourner Et Dieu… créa la femme. Elle s’est régulière-ment dévêtue sur la plage pendant ce tour-nage et, quand les pêcheurs de crevettes ont fini par rattacher leur mâchoire, le reste du monde se précipitait déjà dans le Midi. Fervente protectrice de la cause animale, Brigitte Bardot vit toujours à Saint-Tropez, mais elle a été rejointe par

s’est jeté aux pieds de César. Insensible à ce spectacle, le général romain l’a traîné nu dans les rues de Rome avant de le faire étrangler.

Philippe PétainLe grand héros français de la Première Guerre mondiale est devenu un “singe capitulard” lors du second conflit plané-taire. Alors que Churchill a juré de com-battre les Allemands sur les plages, Pétain a décidé qu’il était moins pénible de sortir la nappe de pique-nique. Il a sauvé Paris, puis il a décampé à Vichy et a laissé faire les Boches. Ses défenseurs affirment qu’il n’avait pas le choix. De Gaulle a prouvé le contraire.

Charles de GaulleIllustre à de nombreux égards, le Général était irrémédiablement imbu de lui-même. Son opposition aux nazis suffit quasiment à l’exclure de cette liste, mais la création de la Ve République permet de l’y réin-tégrer sur le champ. Après son retour au pouvoir, en 1958, il a créé une prési-dence impériale. Il a fait sortir la France de l’Otan et a entretenu l’illusion qu’elle pouvait devenir la troisième puissance mondiale, le pivot entre les Etats-Unis et l’Union soviétique. Lorsqu’il a démissionné, en 1969, à l’âge de 80 ans, les Français en avaient assez de son règne guindé, auto-ritaire et bourgeois.

Jean MonnetLe père de l’Europe n’a jamais été élu à une charge publique, montrant ainsi l’exemple aux technocrates non élus qui ont construit et dirigé l’Union européenne. Ses motivations initiales étaient peut-être nobles et visaient sans doute à éviter la catastrophe d’un troisième conflit mon-dial, mais dès qu’il eut associé la pros-

périté de l’Europe à la création d’une fédération, le cap était fixé. Robert

Schuman et lui ont conçu une Union européenne à l’image de

la France – bureaucrate et technocrate –, dirigée par de mystérieuses élites au

cours de longs déjeuners. La Grèce est maintenant incapable d’échap-per à leur carcan.

Daniel Cohn-BenditLorsque les étudiants parisiens se

sont révoltés, en 1968, leur ambas-sadeur était un jeune franco-alle-

mand ébouriffé dont la première manifestation à l’université de

Nanterre revendiquait un

france↓ Dessin de Schneider, Suisse.

Page 27: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

FRANCE.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 27

AFCAE et BNP Paribasprésentent

3,50�€la place de cinéma avec le PASS dans Téléramales 13 et 20 janvier

Un événementà vivre sur telerama.fr#TFestivalCiné

Du 20 au 26 janvier 2016

PHO

TO L

AU

REN

T SE

ROU

SSI

Pour voir ou revoir les meilleurs films de l’année dans les salles Art et Essai :

• Trois Souvenirs de ma jeunesse

• Mia madre• Mustang • Comme un avion• Life • Dheepan • Much loved • L’Homme

irrationnel• Birdman • Taxi Téhéran • Phoenix• Fatima• Back home• Marguerite • La Loi

du marché• Phantom Boy

— The New York Times (extraits)New York

En français, le mot “déchéance” a plusieurs sens, guère réjouissants. Il évoque le déclin d’une civilisa-

tion ou la dégradation du tissu social. En droit, il caractérise la perte d’un droit ou d’une fonction, à titre de sanction : la citoyenneté, par exemple. Ces trois accep-tions, aux échos vichystes, résonnent avec intensité dans le drame politique qui se joue en France actuellement. [Le 23 décembre 2015,] Manuel Valls a porté un coup dur à l’idéal révolutionnaire qui veut que la citoyenneté soit aussi indi-visible que la république elle-même. Il a annoncé que son gouvernement allait présenter un projet de loi afi n d’amender la Constitution et de permettre de reti-rer la nationalité française aux citoyens jugés coupables d’actes de terrorisme et qui feraient partie des 3 millions de citoyens français bénéfi ciant de la double nationalité. Le Premier ministre a certes le soutien des principaux partis conserva-teurs, Les Républicains et le Front natio-nal, mais son propre parti est au bord de l’implosion.

L’idée originale est venue de François Hollande lui-même. Quand il a réuni le Parlement et le Sénat à Versailles [le 16 novembre], il avait trois objectifs en tête : rassurer une nation secouée par les événements, réaffirmer son auto-rité personnelle et reprendre l’ascen-dant sur la droite. Dans son Patriot Act à la française, Hollande a annoncé non seulement la prolongation de l’état d’ur-gence et l’extension des pouvoirs de l’Etat concernant la surveillance des citoyens, mais également une réforme de la Constitution sur la double nationalité. A l’époque, rares furent les socialistes, encore sous le choc des événements, à prendre cette proposition au sérieux. Hollande et Valls s’y étaient en effet opposés avec véhémence quand Nicolas

SOCIÉTÉ

Un coup dur à l’idéal républicainAu-delà des calculs politiques, la question de la déchéance de nationalité revient sur des acquis de la Révolution.

Sarkozy avait évoqué cette éventualité en 2010. Mais les résultats spectaculaires du FN lors des régionales, en décembre, ont changé la donne. La publication de plusieurs sondages donnant une grande majorité de Français favorable à ce genre de loi a sans doute persuadé Hollande, dont la cote de popularité reste en berne, de tenir cet engagement.

Aveu de faiblesse. Un autre aspect a également été oublié. Si la question de la citoyenneté revêt une grande impor-tance dans tous les pays, elle joue un rôle très particulier dans l’histoire et l’iden-tité de la France. C’est la Révolution fran-çaise qui a inventé l’idée moderne de la citoyenneté nationale et qui a théorisé l’égalité des droits. Grâce à son héri-tage révolutionnaire, la France jongle entre le jus sanguinis [droit du sang], qui permet aux enfants d’hériter la nationa-lité de leurs parents, et le jus soli [droit du sol], qui leur confère celle du pays où ils sont nés. C’est tout à fait compréhen-sible dans un pays comme la France, qui non seulement est une terre d’immigra-tion mais qui croit aveuglément à ses capa-cités d’assimilation et d’intégration. Du moins jusqu’à présent.

La décision de François Hollande est en réalité un aveu de faiblesse, la preuve que la mission républicaine de la France a échoué. Elle écorne le statut de 3 millions de Françaises et de Français en ajoutant une clause à leur contrat. Pour certains opposants, cette décision n’est pas bien diff érente de celle qui rendait obligatoire l’apposition d’un tampon “Juive” ou “Juif” sur les papiers des Juifs français à l’époque de Vichy, sans parler de la déchéance de la nationalité imposée en 1940 aux Juifs récemment naturalisés français.

Ces parallèles historiques ne manque-ront pas d’être évoqués lors des prochains débats qui auront lieu jusqu’à début février, date à laquelle le gouvernement présentera son projet de loi au Parlement. Alors que le débat ne va pas manquer de rebondir dans les prochaines semaines, plus d’un juriste doit se demander ce que le fonda-teur de la Constitution en aurait pensé. Après tout, il y a exactement soixante-quinze ans en décembre, Charles de Gaulle, qui avait rejoint l’Angleterre afi n de conti-nuer le combat contre l’Allemagne nazie, s’était vu retirer sa nationalité française par le régime de Vichy.

—Robert ZaretskyPublié le 6 janvier

une horde de milliardaires russes et leurs yachts, qui ont transformé la ville en une sorte de ghetto doré.

François MitterrandSi le terme “socialiste français” incarnait autrefois des valeurs, François Mitterrand les a corrompues. L’adjectif “machiavé-lique” est trop bien pour lui. Il était sur-nommé “le Sphinx” et se voyait en pharaon – au point de superviser la construction de la pyramide du Louvre. Il a régné sur les hautes sphères de la politique fran-çaise pendant des décennies et à sa mort – après un dernier festin d’ortolans – plus personne ne savait ce qu’il incarnait, à part la manipulation du pouvoir.

Jacques ChiracLe bulldozer a accompagné la France dans sa longue et lente chute entre 1995 et 2007. Il avait dépensé tant d’énergie pour parvenir à la présidence qu’il n’en avait plus tellement une fois arrivé à ce poste. Il a passé l’essentiel de son temps à répondre à des enquêtes pour corrup-tion liées à des emplois fi ctifs créés quand il était maire de Paris, ou pour des mil-lions de francs de “frais de bouche” fac-turés à l’Etat. Il a soutenu l’euro, mais il a souvent forcé Bruxelles à assouplir ses règles sur le défi cit pour la France. Quand il était au sommet de sa forme, son per-sonnel l’appelait “Monsieur trois minutes douche comprise”. Si seulement il avait montré tant de vigueur pour ses devoirs professionnels…

Dominique Strauss-KahnAutrefois futur président français et héros de la “classe de Davos”, il n’est plus qu’un vieux cochon aujourd’hui. Bien qu’il ait été disculpé, on retient uniquement que le patron du FMI a harcelé des femmes de chambre et fanfaronné dans des orgies belges en essayant de distinguer les prosti-tuées des autres. Il est la version punk rock de François Mitterrand. Malheureusement, les socialistes n’ont jamais trouvé de poids lourd pour le remplacer.

Famille Le PenLa vie politique française est désaxée depuis que Jean-Marie Le Pen a fondé le Front national, en 1972. Il a su exploi-ter les démons d’une partie de la classe ouvrière et de la bourgeoisie, récoltant systématiquement de 15 à 20 % de l’élec-torat. Il a hérité d’une fortune léguée par un sympathisant, ce qui lui permet de vivre en grande pompe aux abords de Paris. C’est sa fi lle à la voix rocailleuse, Marine Le Pen, qui dirige aujourd’hui le parti. Elle a certes été battue une nou-velle fois lors des élections régionales de fi n 2015, mais elle n’en tire pas moins l’ensemble du paysage politique français dans sa direction.

—Philip Delves BroughtonPublié le 29 décembre 2015

Les résultats spectaculaires du FN lors des régionales ont changé la donne

Page 28: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

28. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

à la une

LA GUERREOUVERTE

La tension croissante entre l’Arabie Saoudite et l’Iran éclipse les autres guerres par procuration que se livrent ces deux géants

régionaux au Yémen ou en Syrie. Sommes-nous devant un confl it sunnites-chiites qui fut évité pendant quatorze siècles ?

s’inquiète Zaman (p. 31). En perte de vitesse, Riyad cherche avant tout à contrer l’hégémonie sur le Moyen-Orient

d’un Iran réconcilié avec l’Occident, affi rme � e Washington Post (p. 29). Satisfait de son accord sur

le nucléaire iranien, Barack Obama ne peut pour autant tourner le dos à son turbulent allié saoudien.

Un régime bien pire pourrait voir le jour, s’inquiète le Financial Times (p. 30).

TÉHÉRAN- RIYAD

Page 29: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 TÉHÉRAN-RIYAD, LA GUERRE OUVERTE. 29

sur la scène politique arabe n’est que temporaire. Le pays peut compter sur l’étroite collaboration momentanée des Emirats arabes unis et sur la faiblesse passagère de puissances traditionnelles comme l’Egypte, la Syrie et l’Irak. Ses principaux adversaires parmi les pays sunnites, la Turquie et le Qatar, ont été assagis par une série de revers diplomatiques et ont rétabli leurs relations avec Riyad. Et pour l’heure le royaume a surmonté le défi [de déstabilisation] du “printemps arabe”.

Pouvoir sunnite. Mais l’Arabie Saoudite se sent vulnérable. Les causes en sont les conflits dans les-quels elle est embourbée en Syrie et au Yémen, la montée en puissance de Daech et l’accord nucléaire iranien [avec les Occidentaux]. Cette combinaison de force et de vulnérabilité s’est traduite par une politique étrangère en dents de scie. Il ne s’agit pas de minimiser les problèmes de politique inté-rieure, comme la bataille pour la succession du roi Salmane, et les conséquences de la chute des prix du pétrole. Mais le régime saoudien réagit à ce qu’il perçoit comme la plus grande menace à sa survie, en l’occurrence les problèmes extérieurs plutôt qu’intérieurs. La politique étrangère semble également représenter un moyen plus facile de régler que les problèmes intérieurs.

Trois raisons ont conduit l’Arabie Saoudite à exa-cerber la guerre froide régionale entre sunnites et chiites. La première est l’accord nucléaire iranien. L’escalade saoudienne repose par-dessus tout sur

—The Washington Post Washington

L ’exécution le 2 janvier du chef religieux chiite et militant politique Nimr Baqer Al-Nimr a engendré une dangereuse escalade des hos-tilités communautaires au Moyen-Orient et les discours apocalyptiques se sont multi-pliés. Depuis de nombreuses années, l’Arabie

Saoudite et l’Iran se livrent une guerre par procu-ration autour de l’ordre régional.

La guerre au Yémen devrait continuer à faire autant de ravages qu’auparavant. La campagne contre Daech pourrait devenir un peu plus compli-quée, car les Etats du Golfe ont depuis longtemps focalisé leur attention sur le Yémen. Et les Etats-Unis ne se montrent guère enclins à revenir sur un accord nucléaire avec l’Iran si durement négocié.

Néanmoins, il est clair que les retombées de l’exé-cution d’Al-Nimr ont semé le trouble dans la poli-tique régionale. Il ne fait guère de doute que cette escalade a été voulue par les dirigeants saoudiens, qui n’ont pas pu être surpris par ses conséquences régionales et internationales. Le résultat le plus surprenant de l’exécution est qu’elle a fait voler en éclats la ligne rouge que Riyad s’était fixée depuis des décennies dans sa gestion de l’opposition chiite. Des militants chiites étaient régulièrement har-celés, incarcérés et soumis à des pressions, mais ils étaient remis en liberté quand la politique exi-geait dialogue et réconciliation. Aucun dignitaire chiite d’une stature comparable à celle d’Al-Nimr n’avait été exécuté depuis des années.

Dents de scie. Alors, pourquoi cette escalade aujourd’hui ? Le communautarisme lui-même offre peu d’éléments de réponse. La situation n’a guère changé depuis l’hiver 2013, quand les régimes uti-lisaient la politique identitaire pour servir leurs intérêts en politique intérieure et étrangère. La situation actuelle n’est pas la résurgence d’un conflit vieux de mille quatre cents ans. Si le conflit communautaire s’est intensifié, c’est à cause de la politique. Les effets persistants de l’invasion amé-ricaine de l’Irak [en 2003], la guerre civile syrienne et l’accord nucléaire iranien ont beaucoup plus à voir avec l’actuelle montée des tensions que d’in-temporelles différences religieuses.

L’usage saoudien du communautarisme et de la mobilisation contre les chiites est considéré depuis longtemps comme un moyen efficace d’atténuer l’attrait de l’Iran [islamique] sur les sunnites, tout en servant de monnaie d’échange dans la lutte d’influence entre [Riyad et les djiha-distes] sunnites. Vue sous cet angle, la nouvelle escalade communautariste est alimentée par le curieux et dangereux mélange de force et de fai-blesse de Riyad. L’influence de l’Arabie Saoudite

Ce que cherche vraiment l’Arabie SaouditeEn exécutant le leader chiite Al-Nimr, Riyad a voulu empêcher la réconciliation irano-américaine, faire oublier ses échecs diplomatiques et s’affirmer comme le leader de tous les sunnites.

← A gauche, Ali Khamenei, guide suprême de l’Iran. A droite, Salmane ben Abdelaziz Al-Saoud, roi d’Arabie Saoudite. Dessin de Bertrams paru dans De Groene, Amsterdam.

Un modèle en périlLa baisse des prix du pétrole a contraint le royaume à adopter un plan d’austérité qui va accroître les tensions sociales.

—The Daily Telegraph (extraits) Londres

L e golfe Arabo-Persique est aujourd’hui une véritable poudrière. Le cours du brent a bondi à 38,91 dollars le baril, un niveau record depuis trois semaines, du fait d’un début de prise en compte des risques politiques. En effet, envi-ron un cinquième de l’approvisionnement

mondial en pétrole se fait via le détroit d’Ormuz, où les pétroliers doivent se frayer un chemin en s’exposant au feu des navires de guerre iraniens.

Helima Croft, de [la banque canadienne] RBC Capital Markets, affirme que les investisseurs n’ont

pas encore pris conscience de l’ampleur du danger. “Si, il y a cinq ans, on avait vu l’ambassade d’Arabie Saoudite en flammes à Téhéran, les cours se seraient affolés, mais pas aujourd’hui, car l’offre est tellement excédentaire que les gens semblent juste penser qu’il s’agit là de beaucoup de tapage pour rien”, explique-t-elle. Selon Ali Al-Ahmed, le directeur de l’Institut des affaires du Golfe à Washington, le port de Qatif [dans l’est du royaume] est le centre névralgique de l’industrie pétrolière saoudienne, “la grande station centrale” où 12 oléoducs se rejoignent pour alimenter les gigantesques terminaux pétroliers de Ras Tannura et Dhahran. Ces oléoducs

TrenTe-six ans de confliTEn 1979, la naissance de la république islamique d’Iran, théocratie chiite prête à exporter sa révolution, devait pousser à la confrontation avec la théocratie sunnite, l’Arabie Saoudite. The New York Times a décelé 7 moments clés des rapports tendus entre ces deux puissances régionales.1980-1988 — Sanglante guerre irako-iranienne. Riyad se range du côté de Saddam Hussein pour donner un coup de massue à Téhéran.1987 — 275 Iraniens sont tués à La Mecque dans un clash entre les forces de sécurité saoudiennes et des pèlerins iraniens accusés de fomenter des troubles.1996 — Un attentat à la bombe dans une tour à Khobar, en Arabie Saoudite, tue 19 Américains. Le FBI accuse l’Iran.2003 — Libéré de Saddam, l’Irak devient un allié de Téhéran.2011 — Une révolte chiite à Bahreïn est écrasée, notamment par l’Arabie Saoudite.2011-2016 — Le conflit syrien devient une guerre par procuration entre l’Iran et l’Arabie Saoudite. 2015 — Un mouvement de foule à La Mecque aboutit à la mort de 450 pèlerins iraniens.

la crainte de Riyad d’un possible succès de l’accord américain conclu avec l’Iran sur son programme d’armement nucléaire. L’Arabie Saoudite considère la réintégration de l’Iran dans l’ordre international et ses nouvelles relations avec Washington comme une importante menace pour sa propre position régionale. La mobilisation du communautarisme antichiite est une de ses méthodes bien connues pour maintenir l’endiguement et l’isolement de l’Iran. Au cours des cinq dernières années, les Saoudiens se sont opposés à presque toutes les initiatives politiques importantes des Etats-Unis au Moyen-Orient – l’accord avec l’Iran, mais aussi le soutien américain à l’Egypte et la résistance du président Obama à intervenir en Syrie.

La deuxième raison est l’échec de la politique étrangère. L’escalade saoudienne vise à détourner l’attention régionale et intérieure de l’échec fla-grant de sa propre politique. Le pays n’a pas réussi à contrer l’accord iranien et son alliance cruciale avec les Etats-Unis a été ébranlée. Sa politique de soutien à la rébellion syrienne n’a pas eu raison du régime de Bachar El-Assad. L’intervention au Yémen est désormais considérée comme un échec stratégique qui n’a pas atteint ses buts et a eu un énorme coût humain. Une querelle publique avec l’Iran contribue à détourner l’attention de tout cela en la concentrant sur un ennemi bien connu.

Troisième raison : il se peut que l’Iran soit moins la cible de l’escalade que d’autres ennemis sun-nites. La diplomatie saoudienne a concentré ses efforts sur le renforcement de son autorité à la tête d’un ordre régional “sunnite” reconstitué. Le Qatar et la Turquie rivalisent toujours avec l’Ara-bie Saoudite pour influer sur la rébellion syrienne. Or des réseaux islamistes sunnites continuent à contester la politique saoudienne. La domination de la rébellion syrienne par des groupes djiha-distes armés a fait surgir des courants puissants ayant leurs propres programmes. La confronta-tion avec l’Iran devrait ranger tous les contesta-taires sunnites derrière la bannière saoudienne.

—Marc LynchPublié le 4 janvier

→ 30

Page 30: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

30. À LA UNE Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

29 ←

La plus grande partie du pétrole saoudien transite par le cœur des territoires chiites

—Financial Times Londres

Q uelque chose est en train de changer dans les relations de l’Occident avec l’Arabie Saoudite. On peut le lire dans ses jour-naux, l’entendre chez ses politiciens et le voir dans sa nouvelle politique. Les articles hostiles aux Saoudiens sont aujourd’hui

monnaie courante dans la presse occidentale. Le 6 décembre 2015, un éditorial de l’Observer dénon-çait les relations du Royaume-Uni avec l’Arabie Saoudite comme “une alliance peu glorieuse met-tant notre sécurité en danger”.

Deux jours plus tôt, la BBC avait publié un article soulignant la “vague d’exécutions sans précédent” qui avait lieu dans ce pays. Et en septembre 2015 Thomas Friedman, le chroniqueur sans doute le plus infl uent des Etats-Unis, qualifi ait le groupe terroriste Daech de “créature idéologique” de Riyad.

Les politiciens font des déclarations similaires. Sigmar Gabriel, vice-chancelier allemand, a accusé l’Arabie Saoudite de fi nancer l’extrémisme isla-miste en Occident. “Nous devons bien faire com-prendre aux Saoudiens que le temps où nous fermions les yeux est révolu”, a-t-il souligné. Au Royaume-Uni, lord Ashdown, ancien chef des Libéraux-Démocrates, a appelé à une investigation sur le “fi nancement du djihadisme” en Grande-Bretagne en dénonçant les Saoudiens.

L’eff et du schiste. Cette concentration de l’at-tention sur l’Arabie Saoudite est due en grande partie à l’essor de Daech. Les dirigeants occiden-taux savent que la bataille contre le djihadisme est tout aussi idéologique que militaire. Pour expli-quer la vision du monde de l’organisation terro-riste, ils se tournent de plus en plus vers la doctrine wahhabite des autorités religieuses saoudiennes.

D’autres facteurs peuvent expliquer l’aff aiblisse-ment de l’infl uence saoudienne en Occident. Tout d’abord, la “révolution du schiste” aux Etats-Unis a rendu l’Occident moins tributaire du pétrole saou-dien. Ensuite, en braquant les projecteurs sur la politique extérieure de Riyad, la crise du Moyen-Orient a mis en évidence le nombre important de victimes civiles qu’a fait l’intervention militaire de Riyad au Yémen. Mais ces critiques n’ont engen-dré que de modestes aménagements de la politique occidentale. Pour les Saoudiens, le changement le plus alarmant a été la détermination du prési-dent Obama à conclure un accord nucléaire avec l’Iran en dépit de la farouche opposition de Riyad.

Les détracteurs occidentaux du régime saou-dien souhaitent que leurs pays ne prennent plus de gants avec Riyad. Ils reprochent aux gouverne-ments britannique et américain d’être les esclaves de l’argent saoudien. C’est ainsi que lord Ashdown

a dénoncé l’infl uence de “riches individus du Golfe” sur la politique britannique. L’Arabie Saoudite reste par ailleurs un marché crucial pour les fabricants d’armes occidentaux. Au cours des dix-huit der-niers mois, les Etats-Unis ont approuvé la vente de plus de 24 milliards de dollars d’armes à Riyad.

La poursuite de la coopération occidentale avec l’Arabie Saoudite s’impose aussi pour des raisons qui n’ont pas grand-chose à voir avec l’argent. Ces cinq dernières années, on a vu que, lorsque de mau-vais gouvernements étaient écartés du pouvoir au Moyen-Orient, ils étaient souvent remplacés par des entités bien pires. En Arabie Saoudite, les plus grands opposants à la monarchie au pouvoir ne sont pas des progressistes mais des islamistes radicaux. L’Occident vit dans la peur que l’Arabie Saoudite ne devienne un autre Etat à la dérive. “Si l’on se débarrasse de la maison des Saoud, dans six mois on pleurera pour qu’ils reviennent”, met en garde un haut diplomate britannique.

La relation de Riyad avec le djihadisme est égale-ment complexe. Il est vrai que les islamistes saou-diens ont fourni un soutien idéologique et parfois fi nancier aux djihadistes du monde entier, mais il est tout aussi vrai que la famille royale est elle-même la cible de Daech et d’Al-Qaida. En même temps, les renseignements fournis par les Saoudiens ont été essentiels pour déjouer des complots ter-roristes en Occident. Comme le souligne un res-ponsable occidental du contre-terrorisme, “les Saoudiens sont parfois la source du problème, mais ils sont aussi son meilleur antidote”.

Certains stratèges occidentaux rêvent d’en fi nir avec l’alliance saoudienne pour se rapprocher de l’Iran. Dans la pratique, une alliance occidentale avec l’Iran demeure une perspective lointaine. Non seulement rien ne garantit que des “modé-rés” s’emparent du pouvoir à Téhéran, mais l’Iran continue à ravitailler des groupes armés radicaux et à déstabiliser des pays voisins. Une alliance avec la plus grande puissance chiite risquerait en outre de couper l’Occident des musulmans sun-nites, lesquels iraient grossir les rangs de Daech.

Mais reconnaître que l’Occident conserve de bonnes raisons de coopérer avec l’Arabie Saoudite ne veut pas dire que rien ne doit changer. La question à propos de laquelle il doit faire pres-sion sur les Saoudiens est la tolérance religieuse.

Il y a quelque chose de terriblement lâche dans l’attitude occidentale vis-à-vis de la monarchie saoudienne. Peut-être le temps est-il venu de contraindre les Saoudiens à faire un choix : soit ils autorisent l’ouverture d’églises et de synago-gues sur leur sol, soit ils perdent la possibilité de fi nancer des mosquées en Occident.

—Gideon RachmanPublié le 7 décembre 2015

Et si le royaumewahhabite s’écroulait ?Riyad, accusé entre autres de fi nancer les djihadistes, est devenu l’objet de toutes les haines occidentales. Mais la chute du régime pourrait se révéler catastrophique, craignent les diplomates.

A la une

PRIVATISER ARAMCO Riyad envisage de privatiser partiellement et d’introduire en Bourse Aramco, “la plus convoitée, la plus secrète et la plus grande compagnie pétrolière au monde”, annonce The Economist. L’hebdomadaire britannique, qui consacre sa couverture au “plan de survie du régime” saoudien, a interviewé Mohamed ben Salmane, le vice-prince héritier. Dans cet entretien, celui-ci explique que la décision “sera prise dans les prochains mois”. “Je suis enthousiaste, assure-t-il. C’est dans l’intérêt du marché saoudien et d’Aramco, et cela favoriserait la transparence et la lutte contre la corruption.” Les réserves de la compagnie représentent 261 milliards de barils. C’est dix fois plus que celles d’ExxonMobil, la plus grande compagnie pétrolière au monde (non contrôlée par l’Etat). Si cette privatisation se réalisait, elle pourrait “marquer la fi n de l’ordre pétrolier mondial en vigueur”, souligne The Economist.

étant proches des grandes routes et agglo-mérations, il est diffi cile pour la police de les pro-téger contre des attaques éclair.

Or la plus grande partie des 10,3 millions de barils produits quotidiennement par l’Arabie Saoudite transitent par le cœur des territoires chiites, actuellement en pleine ébullition. Une interruption de plusieurs jours pourrait bien faire s’envoler les cours du pétrole à 200 dollars ou plus, ce qui déclencherait une crise économique mondiale. Le royaume saoudien, aujourd’hui vulnérable, vient d’adopter un plan d’austérité en coupant dans les subventions. L’eff ritement des recettes pétrolières l’a forcé à abandonner le contrat social qui avait permis d’étouff er la contestation durant des décennies.

Les Saoudiens disposent d’un redoutable appa-reil de sécurité, avec une force de 30 000 gardes déployée autour des infrastructures pétrolières. Néanmoins, il existe un risque élevé d’infi ltra-tion par des groupes terroristes de diff érentes allégeances. Un porteur de bombe kamikaze arrêté en 2006 lors de l’attaque d’un oléoduc

s’est révélé être un proche parent du chef de la police religieuse wahhabite. La question chiite mise à part, on estime à 6 000 le nombre de Saoudiens recrutés par Al-Qaida. Et pas moins de 3 000 auraient combattu dans les rangs de Daech, qui considère les membres de la famille royale saoudienne comme des “usurpateurs apostats”. Une cellule d’Al-Qaida a été arrêtée en 2007 alors qu’elle complotait pour détour-ner des avions de ligne et les faire s’écraser sur des installations pétrolières.

Une attaque grave contre l’Arabie Saoudite constituerait une tactique très risquée pour l’Iran, qui marquerait à coup sûr la fi n de son rappro-chement avec l’Occident et de ses espoirs d’une levée des sanctions. Cependant cette éventua-lité ne peut être complètement exclue. Il existe en eff et des factions puissantes à Téhéran, qui saisiraient avec joie la moindre occasion de sabo-ter l’accord nucléaire [conclu en juillet dernier après douze ans de négociations entre l’Iran, les Etats-Unis, la Russie, la Chine, la France et le Royaume-Uni]. Riyad vient de leur donner le prétexte idéal.

—Ambrose Evans-PritchardPublié le 4 janvier

10,3 MILLIONS DE BARILSC’est ce que produit quotidiennement l’Arabie Saoudite. Si cette production devait être interrompue plusieurs jours, les cours du pétrole pourraient s’envoler à 200 dollars ou plus selon le Washington Post et provoquer une crise économique mondiale.

Page 31: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 TÉHÉRAN-RIYAD, LA GUERRE OUVERTE. 31

leur première guerre de religion. D’ores et déjà, deux camps se sont formés de part et d’autre de frontières religieuses. D’un côté, se sont rangés la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite. Dans l’autre camp, on trouve l’Irak, la Syrie et le Yémen. Quand peut-on parler de guerre ? Dès lors qu’on est en présence de parties en confl it armé, de fronts et de tueries. Celle qui se déroule dans la région répond à toutes ces conditions.

Le plus tragique, c’est l’aspect humain des choses, les sunnites n’hésitant guère à massa-crer des chiites et inversement. Qu’ils soient sunnites ou chiites, les dirigeants politiques ont fondé leur autorité auprès de leurs parti-sans sur des bases religieuses. Dans l’ensemble du Moyen-Orient, les sociétés sont sous l’em-prise croissante de ces clivages.

—Zaman Istanbul

D epuis la mort de Mahomet [632] , les socié-tés musulmanes ont toujours connu des problèmes d’ordre religieux. Il est impos-sible de relater l’histoire de l’islam sans faire référence in extenso aux tensions entre sun-nites et chiites. Cependant, avec le recul, on

constate qu’au fi l des siècles les politiques au sein du monde musulman ont fait preuve de prudence dans les relations entre Etats et sociétés sunnites et chiites, pour éviter de se faire la guerre. Dans un sens, le monde musulman n’a jamais été en proie à des guerres de religion semblables à celles qui ont ravagé l’Europe au Moyen-Age.

Mais, allant à contre-sens de leur histoire, les sociétés musulmanes sont en train de fomenter

La vraie première guerre sunnites-chiitesL’échec des “printemps arabes” et l’eff ondrement des Etats du Moyen-Orient ont ramené les peuples à des identités meurtrières tribales et religieuses.

IRAN

É.A.U.

OMAN

AF.

PA.

AZERBAÏDJAN TURKMÉNISTAN

TURQUIE

IRAK

ARABIE SAOUDITE

YÉMEN

QATAR

BAHREÏN

KOWEÏT

SYRIE

JORDANIE

LIBAN

IS.PALESTINE

ÉGYPTE

MerRouge Détroit

d’Ormuz

SOURCES : PEW RESEARCH CENTER, “THE WORLD FACTBOOK”

ABRÉVIATIONS : AF. AFGHANISTAN, BA. BAHREÏN, É.A.U. ÉMIRATS ARABES UNIS, IS. ISRAËL, KO. KOWEÏT, PA. PAKISTAN, QA. QATAR

Chiites

DIFFÉRENTESBRANCHES DE L’ISLAM

POPULATIONMUSULMANE

310

30

70

La taille des cerclesest proportionnelle au nombre de musulmans (en millions, par pays)

Les chiffres correspondent à la part approximative de ces deux communautés dans l’ensemble de la population musulmane du pays (en %).

Sunnites

Autres(Ibadites, Druzes)

Conflits en cours

Rivalitésrégionales

90

12

4555

25

65

85

1510

7030

90 10 85 15

65 35

88

47 47 3582

75

15

88

Minorité chiiteSunnite

Terminauxpétroliers

200 km

IRAN

ARABIE SAOUDITEARABIE SAOUDITEARABIE SAOUDITE

QA.

BA.

KO.

É.A.U.

Port de QatifRas Tanura

DhahranDhahranDammamDammamDhahran

KhobarKhobarKhobar

DammamGolfeArabo-Persique

Zone sensible de concentration des terminaux pétroliersoù vit une minorité chiite

Vu d’IranLA FAUTE À ISRAËLDans l’ensemble, la presse iranienne garde son sang-froid et dénonce l’“ennemi extérieur”. Dans le quotidien ultraconservateur Javan, proche des Gardiens de la révolution, le ton est étonnamment contenu et mesuré. Pour ce titre, l’attaque du 2 janvier contre l’ambassade saoudienne à Téhéran, attribuée aux éléments radicaux en Iran, avait pour objectif de discréditer les “forces révolutionnaires” et de “les opposer à la diplomatie mise en œuvre par le gouvernement”. Pour Ettelaat, quotidien du centre, Israël est derrière l’escalade des tensions entre Téhéran et Riyad. “Ce qui se passe ces jours-ci est une fête pour les sionistes [israéliens] et un deuil pour les pays musulmans, affi rme le journal.

Un avenir inquiétant s’annonce et une question se pose : ce chemin mène-t-il à une autre guerre ?”Enfi n le quotidien réformateur Farhikhtegan affi rme que les incidents survenus entre l’Iran et l’Arabie Saoudite et ses alliés peuvent bouleverser l’équilibre des forces dans la région. “Les prises de position mesurées de l’Europe et des Etats-Unis montrent que, contrairement à ces trois dernières décennies, l’Arabie Saoudite ne bénéfi cie plus du soutien inconditionnel de l’Occident et des Etats-Unis. Le fait que Washington devienne plus neutre dans les confl its de la région change l’équilibre des puissances au Proche-Orient de manière fondamentale, se félicite le quotidien. Téhéran ne doit pas tomber dans le piège tendu par Riyad, Israël et les radicaux américains.”

Les blocs ainsi créés n’ont aucune chance de résoudre les problèmes du Moyen-Orient. Le confessionalisme n’est, par sa nature même, pas en mesure d’apporter une quelconque solu-tion politique. En ce sens, il est certainement anachronique pour les musulmans de relancer, en 2016, la dynamique religieuse sur le plan de la politique étrangère. L’islam se trouve main-tenant en danger de voir la politique étrangère inspirée par une forme suprême de sectarisme. Pis, il est en même temps menacé par le radica-lisme à un autre niveau, de la part de diff érents acteurs comme l’organisation Etat islamique (Daesh) et Al-Qaida. Ce serait un cauchemar pour n’importe quelle religion.

Certains pays musulmans pourront-ils rester à l’écart de ce regain de tensions religieuses ? Compte tenu du fait que des Etats géographique-ment éloignés comme le Pakistan risquent quand même de subir la contagion des conséquences politiques du confl it religieux. Par ailleurs, il est impossible de prévoir les réactions d’autres pays musulmans comme l’Egypte. Même des capitales comme Ankara se montrent étonnamment de plus en plus sectaires en matière d’aff aires étran-gères. Aussi peut-on se demander quels sont les pays musulmans qui sauront maintenir une atti-tude équilibrée face aux équations religieuses. La montée du sectarisme est une conséquence de l’échec des “printemps arabes”. Les troubles ont provoqué l’eff ondrement de l’Etat dans de nom-breux pays arabes, entraînant dans son sillage la disparition de la citoyenneté. Il ne reste plus alors aux peuples rien d’autre que leur identité tribale et confessionnelle. Ce sont ces mêmes sentiments d’appartenance tribale ou religieuse plutôt que la citoyenneté qui règnent désormais en maîtres dans de nombreux pays du Moyen-Orient.—

Page 32: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

32. À LA UNE Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

de la charia. Aussi, dans l’enseignement religieux sunnite, ils sont encore aujourd’hui qualifiés de “mécréants” et d’“hérétiques”.

Avec l’Etat saoudien moderne, qui commence à émerger à partir de 1902, la question des chiites saoudiens est devenue emblématique des rap-ports qu’entretient le régime saoudien avec l’en-semble des composantes de la société [tendant à effacer tout particularisme régional au profit de l’Etat central et de sa doctrine religieuse]. Mais, à partir de 1933, l’exploration pétrolière va pro-fondément bouleverser les structures socio- économiques, voire démographiques, de la région habitée par les chiites.

Avec l’Aramco, la société pétrolière nationale saoudienne, créée en 1944, cette région va passer d’une économie agricole à l’industrie pétrolifère. Les opportunités d’emploi ainsi ouvertes vont atti-rer de nombreux habitants des autres régions du royaume. Ces transformations socio-économiques vont faire émerger des syndicats, qui ne tardent pas à présenter des revendications d’ordre politique, dépourvues de tout caractère confessionnel, et à protester contre les différences de traitement au profit des employés étrangers. En 1954, ce mou-vement syndical, devenu fort, a eu le courage de réclamer la fin du pouvoir absolu de la dynastie saoudienne et le passage à une monarchie consti-tutionnelle avec un Parlement élu.

Cette époque a vu grandir une génération de chiites mue par des considérations sociales et

—As-Safir (extraits) Beyrouth

L ’exécution du dignitaire religieux Nimr Baqer Al-Nimr braque à nouveau les projecteurs sur la situation de la minorité chiite d’Arabie Saoudite. Selon les sources officielles saou-diennes, ils constituent 10 % de la population du pays (soit 1,75 million de personnes). Mais,

selon d’autres sources, ils pourraient représenter 15 à 20 % de la population. Quoi qu’il en soit, ils sont surtout concentrés dans la province orien-tale, [autour des villes] d’Al-Qatif, d’Al-Ahsa, de Dammam et de Khobar. La province orientale fournit par ailleurs 98 % de la production pétro-lière saoudienne. C’est en effet là que se situent les principales ressources de brut du monde, avec quelque 22 % des réserves mondiales.

Les relations de la communauté chiite avec le régime saoudien ont été marquées par l’hostilité depuis la toute première construction étatique saoudienne [en 1744]. Et les crises régionales n’ont fait qu’ajouter aux difficultés de cette population. Historiquement, ils avaient toujours vécu en bon voisinage avec les sunnites, sur la base de leur arabité commune. Les tensions ont commencé à partir du moment où la prédication wahhabite a pris de l’ampleur, à la suite du fameux pacte entre le prédicateur Mohamed Abdel Wahhab et [le fon-dateur de la dynastie] Mohamed ben Saoud en 1745. Le wahhabisme avait en effet pour but d’ap-pliquer aux chiites toute la rigueur de leur lecture

Les chiites saoudiens, éternels opprimésMinoritaires dans le pays, les chiites ont toujours été victimes de discrimination, déplore ce quotidien libanais. Or ils vivent majoritairement dans la province orientale, là où se concentre la production de pétrole. La famille royale a tout à y perdre.

Le régime a écarté les chiites des emplois publics, notamment dans l’administration

politiques. Le régime a réagi en les écartant des emplois publics, notamment dans l’administra-tion. Ainsi, en 2005, les chercheurs de l’[ONG multinationale] International Crisis Group ont estimé qu’“une des formes les plus évidentes de dis-crimination réside dans la représentation des chiites dans la fonction publique. Jamais aucun chiite n’a été ministre, et il n’y a eu qu’un seul ambassadeur chiite. Quand, en 2005, le Majlis Al-Choura [assemblée consultative nommée par le roi] a été élargi de 120 à 150 membres, le nombre de chiites n’a crû que de deux membres, portant le total à quatre. Quant aux repré-sentants chiites dans les conseils municipaux de l’Est, leur nombre est passé de deux à un seul.”

[Depuis la défaite arabe contre Israël, en 1967], le projet politique du nationalisme panarabe a reculé au profit de “l’éveil religieux”. La révolution islamique iranienne de 1979 est venue le renfor-cer. Il était tout naturel que cela se répercute égale-ment sur la communauté chiite saoudienne. C’est ainsi que sont apparus des mouvements fondés sur l’identité confessionnelle. Leurs objectifs consis-taient tantôt à répondre à l’appel du guide de la révolution iranienne, l’ayatollah Khomeyni, d’“ex-porter la révolution” iranienne vers les pays voisins, tantôt à réclamer des droits pour leur communauté.

C’est dans cette ambiance de l’après-1967 qu’a été créé le courant shiraziya, du nom du religieux Mohamed Al-Shirazi, en Irak. Sa pensée s’est pro-pagée au-delà des frontières, y compris auprès des chiites saoudiens. D’autres mouvements religieux

chiites feront aussi leur apparition. Les religieux chiites ont commencé à jouer un rôle de plus en plus politique. Parmi eux, Nimr Baqer Al-Nimr est devenu une icône pour une jeunesse chiite en rébellion dans le contexte des “printemps arabes”.

Toutefois, aujourd’hui, l’immense majorité des chiites saoudiens n’adhèrent pas à l’idée de séces-sion. La preuve en est la réponse favorable donnée par la mouvance shiraziya à la démarche du roi Fahd dans les années 1990 pour régler la question chiite. Cette initiative s’était soldée par le retour de centaines d’opposants chiites de leur exil à l’étranger, après la promesse de mettre un terme à la politique de discrimination à leur égard. Or cette promesse n’a pas été tenue, notamment à cause des oppositions au sein de la famille régnante.

En pleine période de bouleversement dans le monde arabe, et à la lumière des rumeurs col-portées dans les médias au sujet d’un futur écla-tement de l’Arabie Saoudite en plusieurs entités [dont une à base confessionnelle dans l’Est], mais aussi dans un contexte de difficultés économiques que le pays commence à connaître [en raison de la baisse du prix du pétrole], il est nécessaire d’aller de l’avant pour améliorer la situation des chiites. Logiquement, la solution devrait commencer par le dialogue. Or l’exécution d’Al-Nimr montre que la famille régnante des Saoud n’est pas en train de prendre cette voie.

—Wissam MattaPublié le 5 janvier

← A gauche : communautarisme. A droite : sectarisme. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

SoUrCEAs-sAfirBeyrouth, LibanQuotidien, 20 000 ex.www.assafir.com“L’Ambassadeur” est le deuxième quotidien libanais après An-Nahar. Financé à l’origine par la Libye, ce journal de gauche défend aujourd’hui les thèses syriennes. Ses rubriques Jeunesse, Médias et Reportages sont souvent bien écrites et respectent un certain pluralisme.

Page 33: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Courrier international

A retourner accompagné de votre règlement à : Courrier international - Service abonnements - A2100 - 62066 Arras Cedex 9

Visitez notre boutique en ligne : boutique.courrierinternational.com

Je choisis de régler par :� chèque bancaire à l’ordre de Courrier international� carte bancaire n° :

Expire fin : Cryptogramme :

Date et signature obligatoires :

NOM PRÉNOM ADRESSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

CP VILLE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

TEL . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

e-mail . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Offre valable dans la limite des stocks disponibles en France métropolitaine jusqu’au 31/05/2016. En application de la loi Informatique et libertés, vous disposezd’un droit d’accès et de modification des informations vous concernant. Celles-ci sont indispensables à l’enregistrement de votre commande et peuvent êtrecédées aux partenaires de Courrier international. Si vous ne le souhaitez pas, merci de contacter notre service abonnements. RCS Paris 344 761 861 000 48. Délai de livraison : 2 à 3 semaines à compter de la prise en compte de votre abonnement.

VCO1600PBA315Mes coordonnées □ Monsieur □ Madame

Bon de commande Le monde en 2016 8,50 € x .......... exemplaire(s) = €Daech, la menace planétaire 8,50 € x .......... exemplaire(s) = €Frais de port offerts 0,00 €

Total = €

COMMANDEZ

DÈS MAINTENANT

8,50€

FRAIS DE PORT OFFERTS

Hors-série Le monde en 2016

@

J’accepte de recevoir les offres de Courrier international : □ oui □ non J’accepte de recevoir les offres des partenaires de Courrier international : □ oui □ non

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Hors-série DAECHVue d’ensemble d’une menace planétaire.“Le chaos est là, sous nos yeux. Il dispose de structures et même d’un Etat, l’Etat islamique”, écrivait en septembre le site saoudien banni Al-Tagreer. De fait, depuis deux ans, la machine Daech sème la terreur en Syrie et dans le monde entier.

8,50€

FRAIS DE PORT OFFERTS

• Format : 230 x 297 mm • 76 pages

• Format : 230 x 297 mm • 76 pages

Poutine, Sissi, Erdogan, Orbán... Pour le meil-leur ou pour le pire, ce sont eux qui marque-ront l’année 2016 de leur empreinte et de leurleadership musclé. Les analystes ont décrypté les tendances éco-nomiques et politiques de l’année à venir. Quiseront les leaders en 2016 ? Comment les paysriches et les émergents peuvent-ils faire faceau ralentissement chinois ? Quelle campagnepour la présidentielle américaine ? Allons-nousassister au Brexit ? Quelles sont les technolo-gies qui vont changer notre façon de vivre ?

Revue de presseLA GUERRE EN PSALMODIANTFace au risque de confl it entre Riyad et Téhéran, la presse saoudienne se déchaîne dans des discours va-t-en-guerre. “Nous avons toujours dit que l’Iran joue le rôle d’agent du sionisme pour frapper les Arabes et les musulmans [sunnites]. Nous avons toujours mis en garde contre sa traîtrise toute persane, écrit le quotidien Al-Riyadh. Quand les Iraniens disent défendre la Palestine, c’est pour dissimuler leurs agissements secrets. Sous les turbans de leurs hommes de religion se cachent des esprits fourbes qui échafaudent des complots contre les Arabes pour les tuer et les dépouiller. Les liens entre les Persans et les Juifs sont anciens, plus anciens que l’islam et le christianisme, et remontent aux suites de la première destruction du Temple par Nabuchodonosor [586 av. J.-C.]. L’Iran n’a jamais renoncé à sa persianité ni au mazdéisme [sa religion avant l’islam]. Sa trahison n’a cessé à travers l’Histoire. Les Perses ont livré les clefs de Bagdad aux envahisseurs mongols [en 1258], puis le soufi sme persan a employé des mercenaires chrétiens pour tuer des Arabes en Irak. Les soufi s ont également fait venir le colonisateur portugais dans le Golfe [au XVIe siècle].” Et de conclure : “Face à la sale et méprisable guerre médiatique que l’Iran mène contre nous, il n’y a aucun doute à avoir quant à ses intentions criminelles.”Al-Sharq, autre journal saoudien, va plus loin encore en titrant l’un de ses éditoriaux : “La prochaine étape : frapper les installations nucléaires iraniennes”. “Le roi Salmane et les deux Mohamed [Mohamed ben Salmane et Mohamed ben Nayef, ministres respectivement de la Défense et de l’Intérieur] ont mis l’Iran au pied du mur. Ils lui ont coupé les ailes. Ils sont en train de l’amputer de son allié houthiste au Yémen, et ils lui ont déjà coupé le bras par lequel il agite la région de l’Est saoudien [où vit la minorité chiite saoudienne]. Des années de complots iraniens contre notre pays ont été réduites à néant par notre roi et ses deux Mohamed. Pas étonnant que l’Iran pousse des cris d’orfraie. Après lui avoir coupé les ailes et arraché les griff es, avec l’aide de Dieu le très grand, il ne reste plus que la tête à couper. La prochaine étape consiste à savoir comment réduire la puissance de l’Iran sur son propre territoire, avec ces installations nucléaires qui nous menacent. Nous disposons d’une capacité aérienne foudroyante pour en venir à bout”, conclut le journal. Plus modéré dans le ton, le quotidien saoudien anglophone Arab News, qui s’adresse surtout aux étrangers, écrit, citant le ministre de la Défense, Mohamed ben Salmane : “L’Arabie Saoudite ne prévoit pas de lancer une guerre contre l’Iran, cela serait une catastrophe pour la région.”

ContexteLE PAKISTAN ET… L’IRAK CONTRE L’IRANLa visite du ministre saoudien de la Défense, Mohamed ben Salmane, à Islamabad semble porter ses fruits. Le Pakistan avait pris ses distances avec le royaume wahhabite, notamment sur la guerre au Yémen. Mais la déclaration du 10 janvier du chef de l’armée pakistanaise, reproduite dans la presse de Karachi, ne fait aucun doute sur le ralliement de ce pays à la cause saoudienne. “Toute menace entre l’intégrité territoriale de l’Arabie Saoudite provoquera une forte réponse d’Islamabad.”a indiqué Raheel Sharif. Riyad a aussi rallié presque tous les pays arabes à sa cause, y compris l’inattendu Irak, regrette Al-Akhbar, le quotidien libanais proche du Hezbollah. Pourtant, ce pays à majorité chiite est considéré comme un vassal de Téhéran. Seul le Liban, dominé politiquement et militairement par les pro-iraniens, n’a pas osé affi cher sa solidarité avec Riyad.

Page 34: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Sur la façade, aucune référence à la banque. Le bâtiment n’a ni concierge ni d’hôtesse d’accueil. Simplement une petite caméra pour surveiller la porte. Quand on sonne, c’est une voix féminine avenante qui répond. “Deuxième étage.” Au deuxième, nouvelle porte, nouvelle caméra. Et une sonnette. Une employée ouvre. On n’entend pas un bruit.

C’est ici, dans cette ambiance monacale, que nous trouverons l’explication de la déchéance de la Deutsche Bank.

Ce fut autrefois l’une des entre-prises les plus prestigieuses du pays, peut-être même du monde. “Tout commence par la confiance”, procla-mait son slogan. Aujourd’hui, elle fait l’objet de 6 000 procès à tra-vers le globe. Quelques jugements ont été prononcés, quelques tran-sactions ont été conclues. Ailleurs, on instruit encore. Il est question de blanchiment d’argent, de fraude fiscale, de manipulation de taux, d’abus de confiance.

Le procès qui fait le plus de bruit se tient à Munich, où, depuis plu-sieurs mois, comparaissent l’ac-tuel président du directoire, Jürgen Fitschen, deux de ses prédéces-seurs [dont Rolf Breuer] et deux autres anciens hauts responsables.

Comment a-t-on pu en arriver là ? On pourrait supposer que la réponse se trouve au siège, dans ces tours jumelles où le cours des actions et le prix des matières pre-mières défilent sur des centaines d’écrans, où des analystes sont à l’affût de la meilleure opportunité d’achat, où, tout en haut, les admi-nistrateurs président aux desti-nées de 100 000 collaborateurs à travers le monde. Mais en réalité c’est tout en bas que se cache la réponse, là où l’on relègue ceux qui n’ont plus voix au chapitre dans la banque mais qui en ont longtemps tenu les commandes.

La porte franchie, on tourne à droite pour enfiler un couloir étroit. Les plaques fixées sur les portes de part et d’autre se lisent comme un Who’s Who de l’établissement.

Hilmar Kopper, au directoire de 1977 à 1997, dont les huit dernières années au poste de président. Puis président du conseil de surveillance pendant cinq ans.

Ulrich Weiss, dix-neuf ans au directoire, de 1979 à 1998.

34. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Sciences ......... 37Signaux .......... 39

Les banquiers se cachent pour mourirEnquête 1/2. La Deutsche Bank est dans la tourmente. La plus grande banque allemande est poursuivie dans plus de 6 000 affaires à travers le monde. Comment en est-elle arrivée là ? Deux journalistes sont allés enquêter auprès de ses anciens dirigeants, aujourd’hui relégués dans une annexe, à l’ombre des grandes tours du siège social.

trans-versales.

économie

“Il faut louvoyer entre mensonge et vérité”

↙ “Mais je me suis pas sali les mains.” Dessin de Koufogiorgos, Allemagne.

toonpool

—Die Zeit (extraits) Hambourg

Il a consacré sa vie à la banque. Il s’est battu, a souffert pour elle. Et aujour-

d’hui l’hôtesse d’accueil ne sait même pas qui il est. “Breuer ?” demande-t-elle en parcourant son répertoire alphabétique. “Qui ça peut bien être ?”

Quarante années durant, Rolf Breuer a travaillé pour la Deutsche Bank, dont il a présidé le direc-toire et le conseil de surveillance. Quand son chauffeur le condui-sait le matin au siège, à Francfort – dans les tours jumelles en verre que tout Allemand a déjà vues à la télévision ou dans la presse –, quelqu’un l’attendait dans le par-king souterrain pour lui ouvrir la portière. L’ascenseur l’amenait directement au dernier étage, sans arrêt intermédiaire.

Dans le monde qui fut celui de Rolf Breuer, la superficie du bureau compte, l’étage compte, la luminosité compte. Au-dessus de lui il n’y avait que le ciel et en des-sous la ville tout entière. Quand il a passé la main, en 2006, il a conservé, comme beaucoup d’an-ciens dirigeants, un chauffeur, une secrétaire, et son bureau tout en haut de la tour A. Pourtant, quand on le demande aujourd’hui à l’ac-cueil, plus personne ne semble le connaître. Tout s’explique lorsqu’une deuxième hôtesse arrive à la rescousse. Le bureau

de Breuer a déménagé dans un petit bâtiment au coin de la

rue, croit-elle savoir. C’est là que la banque relègue ceux dont elle n’a plus l’utilité. Dans chaque entreprise ou

presque, il y a des “anciens” qui s’accrochent, quoiqu’ils

n’occupent plus aucune fonction depuis belle lurette. Au début, on les autorise à conserver leur

bureau et on les voit passer dans le couloir le matin. Et puis, un beau jour, on les prie

de déménager – d’abord dans un coin de l’étage, puis à

un autre étage. Et parfois dans un autre bâtiment.

Les anciens n’ont souvent aucune idée des railleries qui circulent à leur sujet : on dit qu’ils sont au “funérarium”, selon le terme en usage dans un grand groupe allemand, ou au “cimetière des éléphants”. A la Deutsche Bank, le “mouroir” est à deux pas des tours jumelles, dans une petite rue transversale.

Page 35: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

transversales.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 35

Georg Krupp, treize ans au direc-toire, de 1985 à 1998.

Michael Endres, dix ans au direc-toire, jusqu’en 1998.

Carl-Ludwig von Boehm-Bezing, onze ans au directoire, de 1990 à 2001.

Ronaldo Schmitz, neuf ans, de 1991 à 2000.

Et enfin Rolf Breuer, dix-sept ans au directoire, dont il fut pré-sident de 1997 à 2002, puis pré-sident du conseil de surveillance pendant quatre ans.

Privilèges. Sa porte est close, il est aujourd’hui absent. Mais Robert Ehret est là. L’homme est assis à son bureau. Au moment de nous saluer, il concède qu’il a fait une erreur : il aurait dû nous laisser lanterner une demi-heure. Faire attendre les visiteurs est une des dernières pré-rogatives qui leur restent, à lui et à ses voisins de couloir. Son bureau doit faire dans les 8 mètres carrés, 10 au grand maximum. De l’ancien il n’a gardé que le fauteuil, et il a ajouté quelques œuvres d’art, des petites sculptures et un tableau, Erable rouge, peint par son épouse.

Robert Ehret n’est pas le seul ancien administrateur de la Deutsche Bank à se confier à la Zeit, mais c’est le seul qui accepte d’être cité nommément. Les autres n’ont aucune envie de voir leur nom dans la presse. Certains décommandent à la dernière minute, d’autres, pris d’angoisse, appellent la rédaction le lendemain de l’entretien, craignant d’en avoir trop dit. D’autres encore ouvrent la discussion par ces mots  : “Cette entrevue n’a jamais eu lieu.”

L’âge de Robert Ehret n’est pas étranger à sa franchise : il a 90 ans. Quand il est entré au directoire, le chancelier s’appelait encore Willy Brandt. Quand il l’a quitté, Helmut Kohl venait de prendre ses fonc-tions à la chancellerie. Le déclin de la Deutsche Bank n’avait pas encore commencé. Ehret n’est donc pas en cause : ce sont ceux qui sont arri-vés après lui et qui sont aujourd’hui ses voisins au mouroir.

Robert Ehret incarne l’époque où, dans les affaires, on accordait beau-coup de prix au contact humain, pas uniquement aux chiffres. Une poignée de mains valait contrat. Les banquiers étaient estimés.

Ehret s’est préparé à cette visite. Il a dicté des mots-clés à sa secré-taire. Ce grand échalas, sec comme un coup de trique, porte l’uniforme de l’aristocratie financière : com-plet-veston, chemise blanche à fines rayures bleu ciel, boutons de manchette dorés. Les motifs

de sa cravate sont des petits tau-reaux, symboles de la hausse des cours. Il correspond parfaitement à l’image qu’on se fait d’un ancien administrateur. Mais il tient un autre langage. Plus fleuri. Plus doux aussi. Il prononce des phrases du type : “Une banque, c’est comme une jeune fille. Une fois que sa répu-tation est ternie, il n’y a rien à faire pour y remédier.” Ou encore : “Une banque ne coule jamais parce qu’elle ne fait pas assez d’opérations, mais toujours parce qu’elle en fait de mau-vaises.” Des phrases qui laissent le champ libre à l’interprétation. Ehret ne donne pas de noms, ne cite pas d’incidents concrets, pas de coupables.

Parmi les privilèges dont jouissent les membres du direc-toire, le moindre est de très bien gagner leur vie. Les cadres subal-ternes gagnent eux aussi beaucoup d’argent, mais, contrairement aux administrateurs, ils n’ont pas droit aux services d’un chef étoilé tout en haut de la tour A – dont la cui-sine passe pour être une des meil-leures de la ville.

Au mouroir, les privilèges se font rares. Lorsqu’il a quitté la tour, un ancien administrateur s’est vu fac-turer son fauteuil. S’il en a été très affecté, ce n’était pas pour l’argent : du jour au lendemain, il avait le sen-timent de ne plus être important. “J’occupe encore certaines fonctions,

notamment dans le domaine cultu-rel”, fait valoir un ancien. “On a le sentiment que ce n’est pas encore fini, que l’on a encore besoin de nous”, ren-chérit un autre.

Les premières minutes de ces entrevues se déroulent en règle générale de la manière suivante : les occupants du petit bâtiment s’élevant dans l’ombre des tours parlent de leurs rendez-vous, de leurs idées et des gens importants qu’ils viennent de rencontrer. Et puis le voile se déchire. L’un d’entre eux raconte ainsi qu’il envoie des lettres aux dirigeants actuels, qu’il leur propose ses conseils. Mais qu’il n’obtient pas de réponse.

Il faut se représenter les patrons de la Deutsche Bank comme des collectionneurs, c’est la première étape pour comprendre la crise qu’elle traverse. A mesure que la banque achetait des sculptures et des tableaux, ses gestionnaires amassaient des insignes du pouvoir. Mais, alors que la collection de la banque n’en finit plus de s’étoffer – elle compte aujourd’hui 60 000 œuvres –, du jour au lendemain on confisque aux administrateurs ayant atteint la limite d’âge tous les signes extérieurs de leur impor-tance. Leur pouvoir se volatilise.

Si les hommes qui font carrière au sein de la banque font penser à des collectionneurs compulsifs, c’est aussi pour une autre raison : vous

avez toujours un rival qui veut la même chose que vous. Les admi-nistrateurs passent leur temps à se mettre des bâtons dans les roues. Il y a toujours une défaite à digé-rer ou une alliance à forger.

“Il faut louvoyer entre mensonge et vérité”, confesse un ancien. “On se frotte les mains quand l’autre se ramasse”, avoue un autre. “Il faut être un bon tacticien”, formule un troisième. Le but est d’emporter la victoire, si tardive soit-elle. Comme dans le cas de Clemens Börsig.

Börsig a été administrateur de 2001 à 2006. Il n’a jamais été en odeur de sainteté, beaucoup lui reprochant sa vanité et son égocen-trisme, d’autres le jugeant incom-pétent. Plusieurs membres du conseil de surveillance ne man-quaient jamais une occasion de lui faire sentir leur supériorité et le peu d’estime qu’ils avaient pour lui.

Puis, en mai 2006, Börsig prend à son tour du galon et se retrouve au conseil de surveillance, pre-nant la relève de Rolf Breuer à sa présidence. Désormais, c’est lui qui a le pouvoir. Et, au printemps 2007, il s’en sert. A l’époque, les tours sont en travaux pour réno-vation et tous les collaborateurs doivent déménager provisoire-ment. Les anciens, qui résident en haut de la tour A, se voient propo-ser un étage de bureaux dans une petite rue transversale, juste der-rière la banque. C’est à l’occasion d’un déjeuner que Börsig parle du déménagement aux anciens, qui des années durant lui avaient mis des bâtons dans les roues. Lorsque l’un d’entre eux demande combien de temps ils devront rester dans ces nouveaux locaux étriqués, Börsig tourne autour du pot. Le message est clair : ce sera définitif.

Le mouroir est le fruit de la ven-geance de Clemens Börsig.

Il ne faut pas plaindre ces hommes qui se sont battus toute leur carrière pour le pouvoir et qui ont fini par tout perdre, rattrapés par l’âge. On pourrait regarder leurs manœuvres d’un œil distant, comme si elles ne nous concer-naient en rien, sauf que chaque Allemand ou presque est inéluc-tablement lié à la Deutsche Bank, quand bien même il n’y possède ni comptes ni actions.

En menant des opérations à risques, la Deutsche Bank a joué

un rôle de premier plan dans la crise financière mondiale de 2007, suivie en 2009 de la plus grave récession depuis le krach de 1929. Dans le monde entier, des millions de per-sonnes ont perdu leur emploi. Le contribuable allemand a dû financer à lui seul l’opération de sauvetage lancée par le gouvernement, qui a coûté plusieurs milliards. Mais, là encore, la banque est parvenue à s’enrichir, en misant sur l’effon-drement de l’économie mondiale.

Elle fait partie des principaux établissements qui pendant des années ont prêté des milliards à la Grèce, à l’Espagne, à l’Irlande et au Portugal, alors qu’il était clair que ces pays ne seraient jamais en mesure de rembourser. Lorsque la crise de l’euro a éclaté, en 2010, c’est une nouvelle fois le contribuable qui a dû payer les pots cassés.

Hold-up. On parle beaucoup des opérations financières automati-sées, de ces algorithmes informa-tiques qui gèrent les transactions grâce à des supercalculateurs capables d’acheter des actions sans intervention humaine. Mais ce n’est pas dans les entrailles d’une machine qu’ont été décidées les opérations à risques de la Deutsche Bank, c’est dans une salle de réu-nion, tout en haut de la tour A.

Par exemple lorsqu’il a été question de transformer la Deutsche Bank en une banque d’investissement.

En 1989, le directoire décide de racheter la banque d’investisse-ment britannique Morgan Grenfell. Dans le cadre de la fusion, des cen-taines de spécialistes des mar-chés financiers et d’opérateurs sur titres rejoignent la société. La “Deutsche”, qui tirait jusqu’alors l’essentiel de ses revenus de l’oc-troi de crédits aux entreprises, se lance en grande pompe dans les opérations en Bourse. A l’époque, le service stratégie de l’établisse-ment envoie un courrier au direc-toire pour le mettre en garde contre les risques découlant du rachat de Morgan Grenfell : la mentalité des banquiers d’investissement cadrerait mal avec la culture d’une banque commerciale. Dans la marge du courrier, Alfred Herrhausen, alors directeur de la banque, écrit en substance : “Bon travail, mais comprenez que nous en avons décidé autrement.” Quelques semaines plus tard, Herrhausen est assassiné par un commando de la Fraction armée rouge. C’est son successeur, Hilmar Kopper, qui finalise l’acqui-sition de Morgan Grenfell.

Chaque Allemand ou presque est lié à la Deutsche Bank

Contexte●●● Sur le banc des accusés, dans les milliers d’affaires où la Deutsche Bank est impliquée à travers le monde, figurent non seulement d’anciens employés mais aussi des dirigeants actuels. A Munich, la faillite du magnat des médias Leo Kirch est particulièrement emblématique. Le patron actuel de la banque, Jürgen Fitschen, y est accusé, avec quatre anciens hauts responsables, de faux témoignages. A Londres, des traders de la banque doivent répondre de leur implication dans la manipulation du taux interbancaire Libor. Citons encore, entre autres, les soupçons de blanchiment d’argent pesant sur la banque en Russie.

sourCe

DIE ZEITHambourg, AllemagneHebdomadaire, 500 000 ex.www.zeit.deL’enquête que nous publions est parue dans Die Zeit. Un journal grand par la taille mais aussi par la réputation. Fondé en 1946, cet hebdomadaire est devenu une référence en Allemagne et au-delà, puisqu’il se décline dans des éditions locales en Suisse et en Autriche. L’ancien chancelier social-démocrate Helmut Schmidt (décédé en novembre 2015) y contribua avec passion.L’article sur la Deutsche Bank a été écrit par le chef du bureau de Die Zeit à Berlin, Marc Brost, et par le réalisateur de films documentaires Andres Veiel.

La seconde partie de ce texte sera publiée dans le n° 1316 de Courrier international.

→ 36

Page 36: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

transversales36. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Dix ans plus tard, en juin 1999, la Deutsche Bank achète une nouvelle banque d’investissement, américaine cette fois, la gigan-tesque Bankers Trust. A l’aune de son bilan, la Deutsche est alors la première banque de la planète. Et ce sont désormais les banquiers d’investissement qui en assurent l’essentiel des affaires.

Le 29 janvier 2002, les membres du directoire décident de revoir l’organisation. Le nouveau comité, créé juste en dessous du direc-toire, est composé des responsables (grassement rémunérés) de l’acti-vité de banque d’investissement. Dès lors, ce sont eux qui tirent les ficelles – mais sans avoir à rendre de comptes, contrairement au direc-toire. Pouvoir et responsabilité sont désormais dissociés.

Ce sont les banquiers d’investis-sement qui, des années plus tard, miseront sur les crédits immobi-liers américains, achèteront des emprunts grecs (alors qu’ils avaient les moyens de savoir depuis long-temps que le pays était au bord de la faillite) et parieront sur l’effon-drement de l’économie mondiale, auquel ils ont eux-mêmes contribué.

Certes, la Deutsche Bank est une société par actions et son but n’est pas de servir l’intérêt géné-ral. Sa priorité est d’accroître ses profits. Mais, sur ce plan aussi, le développement de l’activité de banque d’investissement aura été une mauvaise affaire.

Ces quinze dernières années, entre 40 et 50 milliards d’euros ont atterri dans les poches des ban-quiers d’investissement sous forme de primes. Or, en définitive, toutes leurs opérations risquées sur les

marchés financiers n’auront pas rapporté d’argent à l’établissement. Elles lui en auront même coûté. A cause de tous ces scandales, la banque vaut beaucoup moins cher en Bourse qu’il y a dix ans. De ses actifs les plus précieux (ses parti-cipations dans des groupes indus-triels allemands de premier plan) il ne reste rien ou presque. Ils ont été vendus pour financer les opé-rations de la banque. C’était un hold-up de l’intérieur.

Opérations risquées, crédits aux pays en crise de la zone euro, déve-loppement de l’activité de banque d’investissement : les administra-teurs n’ont toujours pensé qu’aux

—The Guardian Londres

Des scientifiques de l’uni-versité de Sheffield, en Angleterre, ont découvert

pourquoi les martins-pêcheurs sont turquoise, les rouges-gorges rouges et les geais bleus : le motif coloré d’une aile d’oiseau n’aurait rien à voir avec les pigments et serait plutôt lié à la structure des plumes à une échelle nanomé-trique. Ces recherches pourraient s’avérer utiles pour les fabricants de tissu et de peinture. En effet, si les geais ne virent jamais au gris avec l’âge parce que leur couleur repose sur une manipulation de la lumière et non sur une goutte de colorant naturel, les créateurs de mode pourraient imaginer de fabuleux vêtements multicolores qui ne pâliraient jamais malgré les lavages.

Andrew Parnell et ses col-lègues révèlent dans la revue Scientific Reports qu’ils ont uti-lisé des plumes venant du muséum d’Histoire naturelle de Londres et l’un des microscopes les plus puissants au monde – l’Installa-tion européenne de rayonnement synchrotron (ESRF), à Grenoble – pour observer l’agencement déli-cat des barbes sur les plumes du geai des chênes.

Le plumage du Garrulus glan-darius va du blanc au bleu clair et du bleu foncé au noir. Pour créer ces couleurs, la nature a trouvé une solution inattendue : la modifica-tion maîtrisée de la nanostructure des plumes pour qu’elles reflètent les différentes longueurs d’onde que les humains identifient comme des couleurs.

Solutions ingénieuses. Et le geai – comme la plupart des oiseaux – semble capable d’ajuster avec pré-cision la structure spongieuse de la kératine qui compose ses plumes pour ainsi maintenir des motifs spécifiques tout au long de sa vie. Ces solutions ingénieuses ne sont pas universelles. Les flamants roses, par exemple, tirent leur couleur d’un régime composé de crevettes et de crustacés riches en caroté-noïdes. Mais pour de nombreux oiseaux la couleur est innée. Si les couleurs étaient simplement dues à un pigment présent dans leur nourriture, elles finiraient forcé-ment par s’estomper. Les humains peuvent tirer une leçon du monde ornithologique : l’évolution, grâce à la sélection naturelle de mutations aléatoires, a donné lieu à des solu-tions extraordinaires. D’ailleurs, une nouvelle science appelée bio-mimétique est maintenant chargée

sCIenCes

Le secret du bleu de geaiBiomimétique. Les teintes de certains oiseaux seraient liées à la structure de leurs plumes et non à une pigmentation spécifique. Cette découverte pourrait inspirer les fabricants de tissu.

d’en reproduire certaines. Des ingé-nieurs tentent d’exploiter la colle qui permet aux moules marines de rester en place malgré la houle déchaînée, certains étudient le sys-tème d’air conditionné inventé par les termites et d’autres explorent les forces étranges qui permettent au gecko [sorte de lézard aussi appelé margouillat] de courir le long d’une paroi verticale.

Le message que nous livrent les oiseaux pourrait ouvrir la voie à de nouvelles recherches. Depuis l’avè-nement de la microscopie, au XVIIIe siècle, nous savons que la colora-tion des oiseaux n’est pas simple, mais il a fallu des rayons X ultra-

lumineux et un accélérateur de particules pour en arri-ver aux plus petits détails.“Selon l’hypothèse tradition-

nelle, contrôler la lumière en uti-lisant des matériaux de cette manière nécessitait des structures ultrapré-cises et contrôlées impliquant de nom-breuses phases de traitement. Mais, si la nature peut assembler ce maté-riau ‘en vol’, alors nous devrions pou-voir le reproduire synthétiquement”, explique Andrew Parnell.

Cette découverte signifie qu’à l’avenir nous pourrions créer syn-thétiquement des revêtements et des matériaux aux couleurs tenaces. Nous savons maintenant que la disposition et le mode de contrôle de cette nanostructure dynamique – l’ajustement de la taille et de la densité des trous de la structure spongieuse – déter-minent la couleur qui nous appa-raît. Actuellement, la science optique est incapable de copier ce que tout oiseau peut accom-plir en sortant de l’œuf. Mais, si les humains réussissent à exploiter l’in-géniérie naturelle du monde aviaire, un pull rouge pourra un jour rester rouge quel que soit le nombre de lavages. Les mêmes recherches ont aussi permis d’expliquer pourquoi le vert structurel non iridescent [qui ne change pas selon l’angle de vue] était rare dans la nature, explique Adam Washington, coau-teur de l’étude et chercheur à l’uni-versité de Sheffield. “Pour créer la couleur verte, il faut une longueur d’onde très complexe et étroite, qui est difficile à obtenir en manipu-lant cette structure spongieuse ajus-table, précise-t-il. Par conséquent, la nature a contourné le problème : le vert – essentiel au camouflage – est un mélange de bleu structurel (comme celui du geai) et d’un pigment jaune qui absorbe une partie du bleu.”

—Tim RadfordPublié le 21 décembre 2015

Le système étouffe dans l’œuf la moindre critique

intérêts de la Deutsche Bank, même si, au bout du compte, les résul-tats escomptés n’ont pas été au rendez-vous. Voilà en substance ce que disent les communiqués de la banque.

Ce n’est pas la version des anciens administrateurs. Il faut bien voir comment ça se passe, explique l’un d’eux : quand le comité vote sur une question stratégique, personne ne songe à l’avenir de l’établissement. On pense à son propre avenir. Du coup, on lève la main, même si on est contre – parce que cette déci-sion causera du tort à un rival ou parce qu’on noue ainsi une alliance provisoire avec un autre membre du directoire.

Suspicion. Un autre raconte : “A l’époque, j’ai commencé à tout noter et à réunir des documents pour assurer mes arrières. Au départ, c’est contre nature, et puis on se rend compte que tout le monde fait pareil.” Si tout le monde le fait, des questions tra-versent forcément l’esprit des admi-nistrateurs : quels documents à charge les autres ont-ils bien pu réunir pour me nuire ? de quoi sont-ils capables ? Un ancien membre du directoire a ainsi fait supprimer la ligne fixe de sa villa, persuadé d’être sur écoute. Un autre a déposé des documents chez trois avocats dans trois coffres différents.

La Deutsche Bank fonctionne en quelque sorte comme un ordre au sein duquel tout le monde se tien-drait en respect. Un système sophis-tiqué de privilèges, de sanctions et d’intimidations étouffe dans l’œuf la moindre critique. Ceux qui sont au fait des activités clandestines de la banque ne peuvent pas en infor-mer le grand public.

Car, quand bien même ces accu-sations seraient en béton armé, étayées par des documents, la banque pourrait ruiner le félon à coups de recours pour trahison du secret professionnel ou pour atteinte à l’image de l’entreprise. “Tout le monde le sait, quand on s’at-taque au directoire, on n’en sort pas indemne, résume un ancien. C’est un marché à vie.”

Les anciens administrateurs tiennent donc leur langue. Même quand ils parlent.

—Marc Brost, Andres VeielPublié le 22 octobre 2015

La suite de cet article sera publiée dans le n° 1316 de Courrier international.

↙ Dessin de Cost paru dans Le Soir, Bruxelles.

35 ←

Page 37: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

au lieu de 18, 77 €*

1 an - 52 numéros 4 hors-séries à paraître

L’agenda 2016Courrier international

10,90 €/mois

Oui, je m’abonne pour 10,90 € par mois au lieu de 18,77 €*. Je recevrai chaque jeudi mon magazine (52 numéros) et 4 hors-séries à paraître, et en cadeau l’agenda 2016.

Bon d’abonnement A retourner accompagné de votre règlement ou de votre RIB à : Courrier international - Service abonnements - A2100 - 62066 Arras Cedex 9

□ Je remplis ce mandat de prélèvement SEPA ▼ et je joins un RIB

Titulaire du compte à débiterNom : ..............................................................................................................

Prénom :..........................................................................................................

Adresse : .........................................................................................................

Code postal : qqqqq Ville :....................................................................

Désignation du compte à débiter

qqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqqq

IBAN – Numéro d’identification international du compte bancaire

qqqqqqqqqqq

BIC – Code international d’identification de votre banque

RÉFÉRENCE UNIQUE DU MANDAT (RUM)

.........................................................................................................................................................................................................Sera rempli par Courrier international

Signature obligatoire

Signature obligatoire

NOTE : Vous acceptez que le prélèvement soit effectué à l’installation de votre abonnement. Vos droits concernant le prélèvement sont expliqués dans un document que vous pouvez obtenir auprès de votre banque. Les informations contenues dans le présent mandat, qui doit être complété, sont destinées à n’être utilisées par le créancier que pour la gestion de sa relation avec son client. Elles pourront donner lieu à l’exercice, par ce dernier, de ses droits d’opposition, d’accès et de rectification tels que prévus aux articles 38 et suivants de la loi n°78-17 du 6 janvier 1978 relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés.

Organisme créancier :Courrier international – ICS : FR11ZZZ39654280, boulevard Auguste-Blanqui – 75013 Paris

Mes coordonnées

Mandat de prélèvement SEPA

❏ Madame ❏ Monsieur Nom :............................................................................................................................... Prénom : .................................................................................................................................................

Adresse : ...................................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Code postal : qqqqq Ville :................................................................................................................................................................................................................................. Téléphone :qq qq qq qq qq

Adresse e-mail : .........................................................................................................................................................................................................................................................................................................................

Indiquez votre adresse e-mail pour bénéficier de tous vos avantages et de la version numérique en créant votre compte

□ Je préfère régler en une fois 131,80 € (abonnement de 1 an, 52 nos + 4 hors-séries à paraître) au lieu de 225,20 €□ Par chèque à l’ordre de Courrier international. Je recevrai en cadeau, l’agenda 2016.□ Par CB n° expire le cryptogramme

*Moyenne mensuelle basée sur le prix de vente annuel. Offre valable jusqu’au 30/06/2016 pour un premier abonnement servi en France métropolitaine dans la limite des stocks disponibles. Les informations demandées ci-dessus sont nécessaires à l’enregistrement de votre commande. Ellespeuvent être communiquées à des sociétés partenaires de Courrier international. En application de la loi Informatique et libertés, vous disposez d’un droit d’accès et de rectification en vous adressant au service Abonnements. RCS Paris 344 761 861 000 48Délai de livraison : 3 à 4 semaines à compter de la prise en compte de votre abonnement.

En signant ce formulaire de mandat,vous autorisez Courrier internationalSA à envoyer des instructions à votrebanque pour débiter votre compte,et votre banque à débiter votrecompte conformément auxinstructions de Courrierinternational SA. Vous bénéficiez du droit d’être remboursé par votrebanque selon les conditions décritesdans la convention que vous avezpassée avec celle-ci. Une demandede remboursement doit êtreprésentée dans les 8 semainessuivant la date de débit de votrecompte pour un prélèvementautorisé.

Paiement répétitif

Fait à : ........................................................................

Le : ............................................................................

RCO1500PBA315

Inclus également dans votre abonnement, un accès à la version numérique : des contenus exclusifs, réservés aux abonnés, issus des meilleurs médias dumonde entier pour décrypter les grands sujets d’actualité.

En 2016, abonnez-vous à la formule INTÉGRALE !

+39%de réduction* + en cadeau

La rédaction de Courrier international a imaginé pourvous un agenda original !

Pour notre anniversaire, nousavons sélectionné parmi nosunes parues depuis 25 ans: les meilleures, les plus belles, les plus emblématiques...

Avec sa finition soignée, son design aux couleurs deCourrier international et sonformat pratique, cet agendavous accompagnera dans tous vos déplacements et rendez-vous.

• Format : 130 x 210 mm • Ruban marque-page • Livraison sous 3 à 4 semaines

+

Je souhaite recevoir les offres de Courrier international : □ oui □ non Je souhaite recevoir les offres des partenaires de Courrier international : □ oui □ non

@

Page 38: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

transversales38. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

VENDREDI 22 ET SAMEDI 23 JANVIER 201610h00 - 19h00 Sorbonne - Malesherbes

Imag

e : ©

RM

N-G

rand

Pal

ais

L’ANGLETERRE ET L'EUROPEDE LA CONQUÊTE ROMAINE

À WINSTON CHURCHILL

Une grande synthèse sur 20 siècles d’histoire

anglo-européenne

La reine VictoriaFranz Xaver Winterhalter

Inscription : www.association-des-historiens.com +33 (0)1 48 75 13 16

• 28 conférences d’Histoire, d’Histoire de l’Art et d’Histoire de la Musique

• Concert

LES 13ES JOURNÉES DE L’HISTOIRE DE L’EUROPE

—La Repubblica Rome

nous ne nous distinguons pas uni-quement par nos pouces oppo-sables. Au sein du règne animal,

nous faisons également partie des mam-mifères qui dorment le moins, derrière les girafes, les éléphants et une poignée d’autres. Pour un être humain, la moyenne est en effet d’à peine sept heures par nuit. Contre les onze heures et demie bien tas-sées des chimpanzés, pour prendre une espèce particulièrement proche de nous dans l’évolution.

Et pourtant, contrairement à ce que l’on pourrait penser, il n’y a aucun lieu de le déplorer ou de s’en alarmer. Parce que, si nous dormons moins, nous dor-mons aussi mieux. Autrement dit : notre sommeil est plus profond et plus profi-table. C’est ce qui ressort d’une étude réa-lisée par deux scientifiques américains de l’université Duke [en Caroline du Nord], David Samson et Charlie Nunn, et publiée dans la revue d’anthropologie Evolutionary Anthropology.

Pour qu’on parvienne à cette conclu-sion, la recherche s’est déroulée en deux temps. Dans le premier, Samson et Nunn ont épluché la littérature scientifique en vue de dresser une base de données sur les habitudes nocturnes de plusieurs cen-taines de mammifères, dont 21 espèces de primates. De l’orang-outan au singe vert d’Afrique de l’Ouest, en passant par le babouin, les lémuriens, et l’homme. Ces différentes espèces ont ensuite été clas-sées sur un arbre généalogique au moyen de diverses méthodes statistiques. Les chercheurs ont ainsi pu confirmer immé-diatement que nous passons beaucoup moins de temps dans les bras de Morphée que les autres mammifères. Le macaque à queue de cochon des îles de la Sonde [une espèce de primate des forêts tropi-cales humides de l’Asie du Sud-Est] ou le microcèbe mignon [une espèce de lému-rien de Madagascar], par exemple, dorment même entre quatorze et dix-sept heures.

Dans un second temps, les scientifiques ont analysé la qualité du sommeil. Qu’ont-ils découvert ? Que notre sommeil léger

sCIenCes

Les humains, super-dormeursAnthropologie. Si nous dormons moins que d’autres mammifères, nous dormons “mieux”. Et cette bonne qualité de sommeil nous a probablement permis de développer nos capacités cognitives.

était très court comparativement à notre sommeil profond. Et que la phase de som-meil paradoxal, caractérisée par des mou-vements oculaires rapides (MOR, en anglais REM pour rapid eye movement) et par des rêves pendant lesquels nous consolidons notre mémoire et effaçons les informa-tions superflues, représentait 25 % de notre temps de sommeil. Alors qu’elle dépasse rarement 5 % chez la plupart des primates précités.

“L’homme est le seul à avoir un sommeil plus court et de meilleure qualité”, fait ainsi remar-quer l’anthropologue et coauteur de l’étude David Samson, qui a notamment à son actif d’avoir passé près de deux mille heures à regarder dormir des orangs-outans. Mais comment expliquer une telle évolution ? Pour le professeur de la “Duke”, elle est liée à un changement d’habitudes survenu bien avant la surexposition à la lumière artifi-cielle des smartphones et autres écrans qui caractérise le monde contemporain. C’est également ce que tend à montrer une étude antérieure, menée sur trois communautés distinctes de chasseurs et d’agriculteurs de Tanzanie, de Namibie et de Bolivie, dont les membres ferment encore moins l’œil que nous. “Si la lumière et les autres aspects de la vie moderne étaient les seuls responsables de la réduction de notre temps de sommeil, nous devrions nous attendre à ce que des popula-tions qui n’ont pas accès à l’électricité dorment davantage”, poursuit Samson.

Or ce n’est pas le cas. Et c’est en remon-tant le temps que les chercheurs sont par-venus à isoler le facteur responsable de cette mutation. Précisément jusqu’à la période à laquelle nous avons renoncé à dormir dans les arbres, comme le faisaient probablement nos ancêtres les plus éloi-gnés, pour nous reposer sur le plancher des vaches à la place. Le fait de dormir autour d’un feu et en groupe, de manière

à conserver la chaleur et à éloigner les prédateurs, aurait permis aux premiers hommes de tirer le meilleur profit de leur sommeil et d’en réduire la durée, se dis-tinguant ainsi de leurs prédécesseurs.

Le bénéfice serait double, d’après l’étude : “Une durée moindre de sommeil aurait permis des périodes d’activité plus longues pour trans-mettre des compétences et des connaissances. Parallèlement, la qualité accrue du sommeil pourrait avoir joué un rôle crucial dans la consolidation de ces compétences en entraî-nant un développement des capacités cogni-tives.” Il s’agit là d’hypothèses plausibles.

Mais cette théorie n’est pas sans failles, comme le met en évidence Akshat Rathi de [la revue en ligne] Quartz, qui s’est penché sur l’étude de la Duke : ainsi, les lémuriens dorment énormément, malgré une petite taille qui devrait leur permettre de se reposer à l’abri dans les cavités des arbres, et certains mammifères, comme l’ornithorynque, nous dament le pion sur la durée du sommeil paradoxal. “Cela dit, conclut le journaliste, il est évident que le fait de dormir moins a sans aucun doute accru nos chances de dominer la planète.”

—Rosita RijtanoPublié le 24 décembre 2015

“Une durée moindre de sommeil aurait permis des périodes d’activité plus longues pour transmettre les compétences”

↓ Dessin de Kopelnitsky, Etats-Unis.

sourCe

La RepubbLicaRome, ItalieQuotidien, 374 000 ex.www.repubblica.itNé en 1976, le titre se veut le journal de l’élite intellectuelle et financière du pays. Orienté à gauche, avec une sympathie affichée pour le Parti démocrate, c’est le deuxième quotidien le plus vendu en Italie après le Corriere della Sera.La Repubblica, réputée pour ses “plumes” – Umberto Eco, Roberto Saviano, Barbara Spinelli ou Bernardo Valli –, appartient en majorité au groupe L’Espresso, lui-même contrôlé par le groupe CIR, de l’industriel Carlo De Benedetti.

Page 39: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

TRANSVERSALES.

signaux

Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 39

44 462Victimes dans le monde

11 910 Europe (dont R

ussie)

NOMBRE DE VICTIMES EN 2014

(par zones géographiques où elles ont été recensées)

9 523 Afrique subsaharienne

8 414 Amériques

6 349 Asie-Pacifiq

ue

4 878 Asie du Sud et A

sie centrale

3 388 Afrique du Nord et M

oyen-Orient

Niveau d’engagement des pays dans la lutte contre le trafic d’êtres humainsDegré d’application de la loi de protection des victimes du trafic (TVPA)*

MoyenNe remplissent pas tous les critères minimaux, mais font des efforts importants dans ce sens.

Absence de chiffres

Cas particulier

ElevéRemplissent les critères minimaux définis par la loi.

MédiocreNe remplissent pas les critères minimaux, font des efforts mais ne prennent manifestement pas de mesures à long terme pour lutter contre le trafic.

FaibleNe remplissent pas les critères minimaux et ne font pas d’efforts importants.

Argentine Australie

Russie

Chine

Chili

*Loi américaine de 2000 qui prévoit le concours de différentes agences à l’échelle internationale pour lutter contre le trafic d’êtres humains.

Chaque semaine, une page visuelle pour présenter

l’information autrement

Marchandise humaineLe trafi c d’êtres humains générerait 32 milliards de dollars de chiff re d’aff aires par an, selon l’ONU. Il a lieu sur tous les continents.

FLORENCIA ABD. Cette infographiste argentine a rejoint l’équipe du quotidien La Nación en 2006. Le journal consacre chaque samedi une page entière au traitement de l’actualité en infographie. Celle-ci, publiée le 1er août 2015, recense

le nombre d’êtres humains vendus sur la planète. Selon l’ONU, les femmes et les fi lles représentent 70 % des victimes recensées en 2011. Et la traite aux fi ns de travail forcé serait largement sous-estimée.

L’auteure

SOU

RCES

: “L

A N

ACIÓ

N”,

RAP

PORT

“TR

AFFI

CKIN

G IN

PER

SON

- JU

LY 2

015”

, DEP

ARTM

ENT

OF

STAT

E, É

TATS

-UN

IS

Page 40: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

40. Courrier international — no 1314 du 7 au 13 janvier 201640. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

MAGAZINE

Le pok-ta-pok, jeu divin • Histoire ............ 45Chez les super-héros africains • Tendances ....46360

“Les graphistes polonais aiment faire des choses

à contre-courant”Le travail de Jan Bajtlik, jeune prodige de 26 ans,

est à découvrir à la Fête du graphisme, qui se tiendra jusqu’au 16 février à Paris. L’artiste,

qui revendique l’héritage de la grande école polonaise des a� iches,

nous explique sa passion première : les livres

pour enfants. Entretien.

—Znak Cracovie

Ton travail se concentre sur le texte, pourtant la lecture n’était pas ton fort…Quand j’étais petit, j’ai eu des problèmes pour apprendre à lire, et j’ai souff ert jusqu’au lycée de diffi cultés de concen-tration. C’est ainsi que l’école primaire et secondaire, où l’on travaille tous les jours sur des textes, a été pour moi un vrai calvaire. Je ne faisais pas partie de ces enfants qui savent lire dès 4 ans. J’appréhendais le monde à travers les représentations plastiques – j’assimilais plus facilement l’image que le texte.

FESTIVAL

↑ Entre les mains de Jan Bajtlik : Typogryzmol,

le projet dont il est le plus fi er. Ce livre, conçu pour aider les

enfants à apprivoiser la forme des lettres, a reçu une mention

spéciale aux Bologna Ragazzi Awards 2015.

Page 41: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

↓ Dessin de Xxxxxx, paru dans Xxxxxx, Ville.

↑ Quatre affiches de la série “Be a man, read” (Sois un homme, lis). Un éloge aux belles lettres, dans tous les sens du terme.

Page 42: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

360°42. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

beaucoup d’importance aujourd’hui encore aux techniques artisanales, au dessin, à la gravure. Par la suite, certains graphistes transforment leurs travaux sur ordinateur, d’autres travaillent d’emblée de façon digitale, mais cela n’a pas tellement d’importance : l’ordinateur est juste un outil, et j’ai l’impression que la matière reste au cœur de notre démarche artistique. En comparaison avec les artistes étrangers, nous avons une certaine pugnacité, une énergie qui donne à nos illustrations un caractère visuel particulier. Nous aimons faire des choses à contre-courant, avec ironie, avec cran, un peu crades, à la manière expressionniste.

Parmi tes réalisations, on trouve aussi bien des livres que tu as écrits et illustrés que des livres écrits par d’autres. Est-il plus difficile de travailler avec un texte existant et d’adapter en quelque sorte son imagination aux besoins du texte ?Je n’ai pas suffisamment d’expérience pour répondre à cette question avec certitude, je devrais faire plus de livres. J’aimerais bien illustrer un jour un ouvrage scientifique. Mais aujourd’hui j’aspire plutôt à travailler sur des livres où tout dépend de moi, depuis le texte et le style jusqu’à la technique d’impression et le format. Pour l’instant, j’ai créé un “vrai” livre, le seul qui compte en réalité, Typogryzmol [Gribouillages typographiques, inédit en français].

Il s’agit d’un livre qui permet aux enfants d’apprivoiser la forme des lettres.Oui, ce livre a une histoire particulière. Je l’ai écrit et réalisé du début à la fin. J’ai fait les recherches préliminaires, je l’ai testé auprès d’enfants de tous âges et de milieux sociaux différents. Aujourd’hui, il entame une nouvelle vie à l’étran-ger dans la mesure où il est traduit et adapté dans d’autres langues [l’ouvrage a reçu une mention spéciale aux Bologna Ragazzi Awards 2015]. Je travaille actuellement sur la ver-sion anglaise, une version italienne vient de sortir, ainsi que des traductions espagnole et catalane. L’Inde a également montré son intérêt, mais pour ce lectorat il faudra adapter l’alphabet latin à la devanagari – cela signifie non seulement des changements graphiques, mais aussi de contenu.

J’aime les projets à long terme. Typogryzmol est mon premier chantier abouti de cette ampleur. Pendant ma dernière année d’études, j’ai travaillé sur des projets parallèles au programme scolaire : par exemple, Auto [traduit en français aux éditions Joie de lire], un livre destiné à des enfants de 1 an et plus. A l’époque, l’idée avait déjà germé en moi que, dans un texte, il devait être possible de différencier certains mots afin d’attirer l’attention sur la forme des lettres. J’étais persuadé que l’on pouvait apprendre dès le plus jeune âge. Cela a éveillé mon intérêt pour les livres pour enfants. C’est devenu aujourd’hui un champ d’exploration qui m’ouvre des perspectives incroyables. Si autrefois je n’accordais pas beaucoup d’attention aux livres pour les plus petits, je me rends compte aujourd’hui qu’ils peuvent apporter beaucoup de bonheur.Lorsque je travaille sur un projet d’ouvrage, j’essaie avant tout d’intriguer le lecteur. A l’école, le cours d’art plastique devrait avoir autant d’importance que la musique, la gym-nastique, les mathématiques et les autres matières. L’art plastique fait partie des outils d’apprentissage. Notre imagi-naire de l’éducation artistique des enfants est empreint de clichés, de formules pesantes telles que “l’art”, “la beauté”, “l’artiste”. Ces formules sont, paradoxalement, souvent source de malentendus et de préjugés.

Ta sensibilité à la langue t’a conduit à consacrer beau-coup de temps et d’efforts à des activités pédagogiques, qui s’adressent pour l’instant surtout aux enfants. Tu leur apprends progressivement à être sensibles à la langue des images, et plus particulièrement à la typographie. Quel est ton objectif ?Je procède de la même façon pour tous les livres, qu’ils soient destinés ou non à des enfants. Je prends en compte la trame du récit et les questions techniques. Je ne dois pas m’ennuyer, et les parents non plus. Mais, de toute façon, le plus difficile est de convaincre l’enfant, car un enfant n’est pas dupe.Je veux créer un contexte dans lequel les enfants vont entendre quelque chose qu’ils n’avaient pas remarqué

Cette sensibilité s’est ensuite transformée en un véritable centre d’intérêt.Lorsque j’avais 8 ou 9 ans, j’ai connu Józef Wilkon [peintre, sculpteur et illustrateur polonais ; plusieurs de ses livres pour enfants ont été traduits en français aux éditions Actes Sud Junior et NordSud]. Cette rencontre a été pour moi une expérience fondamentale. Wilkon a éveillé mon intérêt pour l’illustration et, grâce à lui, dès le lycée, j’ai commencé à m’intéresser aux livres, et ensuite au graphisme.Pendant mon adolescence, j’ai suivi à Varsovie des cours de dessin, de peinture, de sculpture et de composition. J’ai eu des professeurs formidables. Mais tout au long de mes études supérieures j’ai continué à montrer mes travaux à Wilkon. Le fait d’avoir pu le regarder travailler dans son atelier m’a influencé plus que tout le reste. Il m’a transmis des valeurs artistiques, enseigné une méthode de travail, des choses que l’on n’apprend pas à l’école, parce qu’elles exigent que quelque chose se passe entre deux personnes.Plus tard, à l’Académie des beaux-arts de Varsovie, j’ai appris non seulement les techniques, mais avant tout une manière de penser qui supprimait toute distinction entre le texte-typographie et l’image-illustration. Les deux vont de pair et se complètent à différents niveaux. Il est important de pouvoir en jouer en toute conscience, de savoir ce que l’on peut transmettre avec l’un et l’autre, et comment le faire pour créer quelque chose de nouveau.

Quand tu t’es lancé, le marché du livre pour enfants était une niche propice aux jeunes graphistes, où l’on pouvait débuter et se faire remarquer plus facilement ?Ces dernières années ont vu l’essor de petites maisons d’édition spécialisées dans la littérature jeunesse, qui font un travail de grande qualité éditoriale. Et une nouvelle vague d’artistes, nés dans les années 1980, s’est imposée, faisant sien l’héritage de l’école polonaise de l’affiche [voir encadré p.43]. Leurs références aux œuvres des années 1950 et 1960 sont évidentes. Ils utilisent les mêmes techniques et les mêmes matériaux.Dans les écoles polonaises des beaux-arts, on attache

↑ Travail de commande pour l’Institut polonais de New Delhi.

↑ “Je vis à Cracovie, ville de littérature de l’Unesco” (2013).

↑ “Chacun sa merde”. En 2011, Jan Bajtlik lance une campagne d’affichage sauvage dans les rues de Varsovie, pour inciter les habitants à veiller à la propreté de l’espace public.

Page 43: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

360°.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 43

jusque-là et dont ils puissent faire usage. Les enfants n’ont pas de préjugés, ils ne savent pas si quelque chose est trop diffi cile pour eux. Ils le comprennent à leur manière, ils ont tout simplement moins de connaissances et leur vision du monde n’est pas encore hiérarchisée. L’enfant est un partenaire à part entière qui attend de toi que tu le traites sérieusement. Lors de mes ateliers, je veux leur donner un sentiment de liberté, d’aisance et d’acceptation de ce qui est nouveau pour eux, ce qui est une base pour travailler, par exemple lorsqu’ils doivent utiliser des outils qu’ils n’ont jamais vus auparavant.Les lettres sont un très bon matériau de base pour travailler avec les enfants. Tout le monde est convaincu que, pour les manipuler, il faut déjà être grand, savoir lire. Mais les lettres peuvent très bien servir aux plus jeunes qui ne savent ni lire ni écrire, et constituer un très bon point de départ au développement d’une pensée créative et abstraite. Souvent, les enfants qui ne savent encore ni lire ni écrire sont tout à fait capables de signer de leur prénom ou de leurs initiales. Parfois, ils inventent graphiquement leur interprétation de lettres dont ils ont oublié la signifi cation.

Ton affiche se référant à l’héritage du syndicat Solidarnosc me semble très intéressante. Cette affi che intègre un jeu sur le son : les trois premières lettres de Solidarnosc et de “Sold out” [en anglais : épuisé, en rupture de stock] sont les mêmes. C’est quand tout prend forme dans ta tête, avant même d’être inscrit sur le papier, que le travail est intéressant. Tu cherches la sonorité. C’est ce que Mieczyslaw Wasilewski [graphiste polonais, professeur à l’Académie des beaux-arts de Varsovie] appelle “l’écoute visuelle”.La typographie de Solidarnosc a été exploitée dans de nombreux contextes. Aujourd’hui, les slogans écrits avec cette typographie très caractéristique n’évoquent plus grand-chose et ne surprennent plus. J’espère que l’expres-sion “Sold out” représente quelque chose de nouveau avec la typographie de Solidarnosc.L’affi che permet un travail sur l’image et l’idée que celle-ci véhicule. Pourtant, il est frappant de s’apercevoir que beaucoup de gens produisent presque toujours la même chose, car leur pensée est imprégnée de clichés. Mais deux graphistes peuvent partir d’une même idée, leurs réalisations seront forcément diff érentes. Sur un projet, je commence par réfl échir seul, en silence, et par noter toutes les banalités qui me traversent l’esprit, car il s’avère que parfois, paradoxalement, on peut réaliser quelque chose de nouveau à partir d’idées totalement stéréotypées.

Dans l’une de tes interviews, tu parles du chaos visuel des rues polonaises. Ce chaos serait dû selon toi en grande partie au fait que nous sommes de tous côtés bombardés par du texte. Faire concurrence à cet excès de texte n’est pas une mince aff aire.J’ai parfois l’impression que c’est une aff aire de surface uniforme blanche ou d’intensité de couleur. La plupart des affi ches contiennent trop d’informations, on ne peut pas les lire toutes. Je suis convaincu qu’une surface apaisante, contenant un petit nombre d’éléments mais où le travail de composition est important, sortira du chaos ambiant.J’ai toujours observé avec beaucoup de curiosité les graffi tis dans la rue ou sur les murs – même les plus quelconques, peints ou gribouillés dans les autobus. J’y ai toujours puisé beaucoup d’énergie. Je m’intéresse à la manière dont fonctionne l’inscription : combien il doit y avoir de signes pour qu’on la lise, si elle est jolie à voir sur la palissade… Lorsque j’ai réalisé mes premiers travaux de street art, je me demandais toujours à quoi ressemblerait mon travail à côté d’un graffi ti concurrent ou à côté d’un panneau publicitaire agressif.

—Malgorzata SzumnaPublié le 1er septembre 2015

Bio Gros plan

JAN BAJTLIKNé en 1989, diplômé avec mention de la prestigieuse section graphisme de l’Académie des beaux-arts de Varsovie, Jan Bajtlik est l’un des jeunes graphistes les plus prometteurs de Pologne. Il commence aussi à se faire un nom à l’étranger. Féru d’alpinisme, il est l’auteur de livres pour enfants, d’affi ches, mais aussi d’illustrations pour la presse (Time Magazine, The New York Times, Le quotidien polonais Gazeta Wyborcza). Il conçoit également des identités visuelles pour des événements culturels et anime des ateliers typographiques pour les enfants. En 2015, il a été récompensé par la ministre de la Culture polonaise, Malgorzata Omilanowska, pour la qualité de ses livres jeunesse.

L’ÉCOLE POLONAISEC’est le nom donné au mouvement d’affi chistes, souvent passés par l’Académie des beaux-arts de Varsovie, qui se sont distingués par la créativité et la liberté de leurs réalisations, de la fi n des années 1950 jusqu’au début des années 1980. Ce courant, animé par des fi gures comme Jan Lenica, Henryk Tomaszewski, Wojciech Fangor, Waldemar Swierzy ou encore Franciszek Starowieyski, a posé un jalon incontournable de l’histoire du graphisme mondial. L’expression “école polonaise de l’affi che” est apparue en 1960, utilisée par Jan Lenica dans une interview à la revue suisse Graphis, en référence à l’école polonaise de cinéma (Andrzej Wajda, Krzysztof Kieslowski…),

qui était elle aussi en train de devenir mondialement célèbre. Alors que leurs collègues occidentaux travaillaient en priorité pour la publicité, les affi chistes polonais œuvraient pour le cinéma, le théâtre et le cirque. L’affi che était alors l’un des rares espaces d’expression artistique tolérés par l’Etat communiste. Les Polonais ont su s’approprier cet espace pour faire preuve d’une liberté exceptionnelle, faisant régulièrement passer des messages voilés à la faveur de doubles sens caractéristiques des œuvres de cette époque. Paradoxalement, la limitation des moyens techniques dont ils disposaient a décuplé leur créativité.

SOURCE

ZNAKCracovie, PologneMensuel, 1 600 ex.miesiecznik.znak.com.plCe prestigieux mensuel a été fondé en 1946 par l’intelligentsia catholique de Cracovie, l’ancienne capitale royale de la Pologne. A l’époque soviétique, il a formé l’un des bastions de la pensée libre dans le bloc communiste. Les plus grandes plumes polonaises ont publié dans ses pages, du Prix Nobel de littérature Czeslaw Milosz au poète Zbigniew Herbert, en passant par le grand maître du reportage Ryszard Kapuscinski.

↙ Campagne de prévention contre le sida (2011).

Page 44: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

360°44. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

Partenariat

Lancée en 2014, la Fête du graphisme a d’emblée rencontré son public, chacune des deux premières éditions attirant une moyenne de 25 000 visiteurs. De quoi imposer ce festival comme l’une des grandes manifestations mondiales consacrées aux arts graphiques sous toutes leurs formes.Le 6 janvier a été donné le coup d’envoi de la troisième édition de cet événement dont Courrier international est partenaire. Des expositions, des conférences et des événements sont organisés aux quatre coins de Paris. Les trois rendez-vous suivants ont lieu du 15 janvier au 7 février à la Cité internationale des arts (Paris, 4e arrondissement).

UTOPIES ET RÉALITÉSPour découvrir le travail et la vitalité d’artistes représentatifs de notre époque : le Polonais Jan Bajtlik, le studio allemand Cyan, le duo néerlandais Studio Boot, le Russe Peter Bankov et le Français Xavier Barral.

GRAPHISME, ROCK ET CINÉMADepuis les années 1950, le rock n’a cessé d’inspirer le graphisme. Affiches, pochettes de disques, magazines et vidéos permettent de retracer cette histoire.

RENDEZ-VOUS À…Des graphistes étrangers ont été invités, en partenariat avec une cinquantaine d’alliances françaises sur les 5 continents, à réaliser une affiche pour présenter les richesses de leur pays.

Et aussi, au cinéma Majestic Bastille (Paris, 11e arrondissement) :

LA NUIT DU GÉNÉRIQUELe 28 janvier, de 20 heures à minuit, projection de deux cycles de génériques de films consacrés, l’un aux femmes et à leur représentation au cinéma, l’autre à la ville. Table ronde de 21 h 30 à 22 h 30.Pour découvrir le reste de la programmation, aussi riche que variée : www.fetedugraphisme.org

sur notre site courrierinternational.com

A découvrir également : un portfolio des travaux de Jan Bajtlik et une visite en vidéo de Buenos Aires et Stockholm, deux capitales graphiquement aux antipodes.

← Stripes, rhythm, direction (Rayures, rythme, direction). Identité visuelle réalisée pour le Musée nordique de Stockholm (Stockholm Design Lab, 2013).

↑  Scenhöst (Scène d’automne). Illustration pour le quotidien suédois Dagens Nyheter (Bygg Studio, 2013).

↑ Hommage au siku, flûte de Pan andine (Onaire Colectivo Gráfico).

↑ Brandingfobia, contre la dictature des marques (2014). Un projet du graphiste porteño Mono Diego Grinbaum.

GRAPHISME DES ANTIPODES“Portraits croisés de Buenos Aires et de Stockholm”, une exposition à découvrir jusqu’au 7 février à la Cité internationale des arts, à Paris. Chacune de ces capitales propose des registres d’expression particuliers. œuvres graphiques, cartes, photographies et vidéos sont là pour en témoigner.

Page 45: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

360°.Courrier international — no 1314 du 7 au 13 janvier 2016 45360°. 45

histoire.

Le pok-ta-pok, jeu divin

Epoque précolombienneCe lointain ancêtre du basket n’était pas un simple divertissement. Il s’agissait au

contraire d’une lutte entre le bien et le mal, susceptible d’entraîner la fin du monde.

En savoir plusL’ANCÊTRE DU BASKET-BALL En décembre 1891, aux Etats-Unis, le professeur d’éducation physique James Naismith cherche à inventer un jeu qui permettrait à ses élèves de se dépenser pendant les longs mois d’hiver dans le Massachusetts. Un sport facile à comprendre, qui pourrait être joué en intérieur et privilégierait l’adresse plutôt que la force, afin d’éviter des chutes douloureuses sur le sol dur d’un gymnase. S’inspirant en partie du pok-ta-pok, dont il a entendu parler dans une revue chrétienne sur les missions étrangères, et avec pour seul matériel à disposition des paniers à pêches, il décide de placer les buts en hauteur comme dans le jeu maya. Le basket connaît un engouement immédiat auprès des jeunes et devient discipline olympique dès les Jeux de Berlin, en 1936.

↗ Joueur portant un masque de jaguar

lors d’une partie de pok-ta-pok au

Yucatán (Mexique). Photo Chico Sanchez/

Stockimo/Alamy

—El Informador (extraits) Guadalajara

Les Mayas l’appelaient pok-ta-pok, ono-matopée imitant le rebond de la balle de caoutchouc. Ce jeu préhispanique consti-

tue aujourd’hui l’une des grandes traditions qui survivent dans la péninsule du Yucatán [dans le sud-est du Mexique]. Antique rituel, il est devenu une attraction touristique qui reflète pour le visi-teur l’histoire du lieu. Ajoutez à cela qu’un jeu vidéo lui est consacré depuis la fin de 2012 [Pok Ta Pok, The Game of Life and Death, pour iOS et Kinect].

mais sa signification religieuse n’a pas disparu pour autant. Bien entendu, les Espagnols l’avaient interdit, le jugeant propice à l’adoration des divi-nités païennes.

Selon les chroniques de missionnaires comme Fray Bernardino de Sahagún, Diego Durán, Alonso de Molina ou Gonzalo Fernández de Oviedo, la veille au soir de la rencontre, les joueurs “faisaient pénitence” ; le lendemain, sous les yeux du public perché en haut des murailles, ils formaient deux équipes qui allaient devoir maintenir le ballon [pouvant peser jusqu’à 3 kilos] en mouvement permanent, sans dépasser certaines marques, la frappant du coude et de la hanche, des genoux et des épaules, même si les détails diffèrent d’une version à l’autre. Il fallait faire passer le ballon par un anneau de pierre disposé en hauteur sur les murs latéraux. Il était considéré comme “néga-tif” de toucher la balle avec une partie du corps non autorisée (celui qui provoquait une telle faute de la part d’un adversaire gagnait un point). Etait victorieuse l’équipe qui réussissait à faire passer la balle par l’anneau.

Aujourd’hui, le pok-ta-pok est devenu une attrac-tion touristique, comme les danses folkloriques mexicaines ou le cérémonial des hommes volants de Papantla, et bon nombre de troupes le mettent en scène ici ou là, au Yucatán ou au Quintana Roo. Elles forment parfois des campements itinérants qui partent en tournée pour faire connaître le jeu dans d’autres régions du pays ou à l’étranger. Le nombre des participants peut varier, le terrain est plus ou moins décoré, les joueurs ont des tenues diversement extravagantes, mais les éléments de base du jeu sont constants. L’extension de la pratique poursuit un double but : transmettre la tradition et enthousiasmer les spectateurs, afin que la connaissance du rituel survive par le biais d’une représentation.

—J. MonroyPublié le 15 mars 2015

De fait, la popularité du jeu vient aussi du fait qu’il est encore aujourd’hui pratiqué à des fins de divination, la trajectoire de la balle donnant lieu à des interprétations. On la frappe d’un coup de hanche mais, dans certaines régions du Mexique, on peut aussi se servir de l’épaule, de l’avant-bras ou d’autres parties du corps, sauf les mains, jusqu’à ce qu’un joueur la laisse tomber par mégarde. La légende rapporte que les vainqueurs étaient jadis décapités. Ce sacrifice propitiatoire avait pour but d’éviter la destruction de l’univers. Outre les ves-tiges archéologiques, qui révèlent l’espace sur lequel se pratiquait le jeu, les plus anciens témoignages sur le pok-ta-pok se trouvent dans le Popol Vuh, texte sacré de la culture maya [rédigé à l’époque coloniale]. On y apprend que les frères divins [les jumeaux Hunahpú et Xbalanqué, appelés à devenir le Soleil et la Lune] défient les dieux de la mort et descendent dans les enfers pour jouer au pok-ta-pok, jeu astral où s’affrontent les éléments contraires du cosmos (lumière et ténèbres, bien et mal, jour et nuit), si bien que les joueurs incarnaient parfois des corps célestes ou des divinités spéci-fiques. Ainsi, l’affrontement entre Tezcatlipoca et Quetzalcóatl était un grand classique.

Rappelons que les Mayas n’étaient pas les seuls à jouer au pok-ta-pok. Les Aztèques appelaient ce jeu tlachtli, et les Zapotèques, taladzi, même s’il était désigné plus généralement sous le nom d’ulama. Depuis deux mille ans, il se pratique dans toute l’aire méso-américaine, jusqu’au Sinaloa (Etat du nord-ouest du Mexique). Le jeu revêtait jadis un caractère sacré et servait à connaître la volonté des dieux. Avec le temps, il est devenu profane,

Page 46: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

360°46. Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016

—Quartz New York

Comic Republic, une start-up nigériane de bandes dessinées basée à Lagos, a créé un monde de super-héros pour

les lecteurs africains. On compte notam-ment parmi ces personnages – surnommés “les Avengers de l’Afrique” par les fans –, Guardian Prime, un jeune Nigérian de 25 ans qui, lorsqu’il n’exerce pas son métier de sty-liste de mode, utilise sa force extraordinaire pour améliorer le sort de ses compatriotes ; Hilda Avonomemi Moses, une habitante d’un village isolé de l’Etat d’Edo [dans le sud-ouest du Nigeria] qui peut voir les esprits ; et Marcus Chigozie, un adolescent privi-légié mais révolté, capable de se déplacer à des vitesses supersoniques. “J’ai repensé à ce que je faisais quand j’étais jeune et que je devais prendre une décision. Je me deman-dais : ‘Qu’est-ce que Superman ferait à ma place ? Et Batman ?’ C’est là que je me suis dit : ‘Pourquoi ne pas créer des super-héros africains ?’” explique le directeur général de Comic Republic, Jide Martin, qui a fondé l’entreprise en 2013. Son slogan : “Nous pou-vons tous être des héros.”

Le succès de la start-up, qui compte désor-mais 9 employés, pourrait témoigner de la montée en popularité de la bande des-sinée sur le continent. Le nombre de télé-chargements des albums, publiés en ligne

et accessibles gratuitement, est passé de quelques centaines en 2013 à plus de 25 000 en décembre 2015.

Pour gagner de l’argent, l’entreprise mise sur la publicité et les contrats de sponsoring. Des marques commandent par ailleurs des dessins à Comic Republic pour leurs pro-duits et des ONG ont fait appel à la start-up pour illustrer certains risques de santé publique, comme le paludisme. L’histoire de l’un des héros de Comic Republic, Aje (“la sorcière”), pourrait être portée à l’écran pro-chainement par un réalisateur local.

L’émergence de cette start-up s’inscrit dans ce que certains décrivent comme une renaissance de la musique, de la litté-rature et de l’art made in Africa, un élan qui trouve un écho bien au-delà du conti-nent. Les lecteurs américains et britan-niques sont en effet à l’origine de plus de la moitié des téléchargements enregistrés par Comic Republic, contre environ 30 % pour les Nigérians, selon Jide Martin. Lagos accueille [depuis 2012] un Comic-Con annuel pour promouvoir l’industrie de la bande dessinée et du divertissement, et le Kenya vient de lancer son premier événement du genre en 2015.

L’acte de naissance de Comic Republic a été, en 2013, la publication de l’histoire de Guardian Prime, “un Superman noir” – le jour de la première du blockbuster

Cannabis casher

ÉTATS-UNIS — Bonne nouvelle pour les nombreux membres de la communauté juive de New York : ils peuvent à présent être soignés avec de la marijuana médicale certifiée casher, rapporte Newsweek. Cette garantie est valable pour tous les produits à base de cannabis vendus par la chaîne Vireao, qui possède quatre dispensaires au sein de la Grosse Pomme. Tous ses produits et ses infrastructures ont été inspectés par l’Union orthodoxe, la plus importante organisation de certification casher d’Amérique du Nord, qui a décidé de donner son accord après un an de réflexion.

A la traceALLEMAGNE — “T’es où ?” Cette phrase, par laquelle commencent beaucoup de conversations sur téléphone portable, est devenue superflue pour le million d’utilisateurs de l’application Familo. Créée

par une start-up de Hambourg, celle-ci “met à disposition de la famille un miniréseau verrouillé, qui permet de localiser ses membres selon des préférences paramétrées”, explique la Frankfurter Allgemeine Zeitung. Le petit dernier est-il arrivé à l’école ? Maman a-t-elle quitté le bureau ? Il s’agit de s’épargner un coup de téléphone ou une inquiétude, sans pour autant “fliquer” ses proches : la notification automatique ne fonctionne en effet que pour des lieux choisis à l’avance. Les enfants peuvent l’utiliser dès l’âge de 6 ans, et pour les cas d’urgence, un bouton “SOS” permet d’appeler les secours en donnant sa géolocalisation exacte.

tendances.

La ligue des Africains extraordinairesA Lagos, une génération de super-héros voit le jour dans les locaux de la start-up Comic Republic. Ces personnages reflètent les changements en cours dans la société nigériane.

hollywoodien Man of Steel, consacré à Superman. Depuis, de nouveaux héros africains n’ont cessé d’apparaître. Dans Kwezi – “étoile”, en xhosa et en zoulou –, le designer et artiste Loyiso Mkize raconte ainsi l’histoire d’un super-héros ado-lescent qui vit à Gold City, une métro-pole inspirée de Johannesburg. Cette bande dessinée sud-africaine populaire, qui utilise l’argot local et contient beau-coup de références culturelles, relate “le passage à l’âge adulte d’un adolescent qui tente de comprendre son héritage”, selon son auteur. Le roman graphique de l’ani-mateur nigérian Roye Okupe, E.X.O : The Legend of Wale Williams, paru en août, a pour intention de “mettre l’Afrique sur la carte des histoires de super-héros”.

Les héros de Comic Republic se dis-tinguent aussi d’autres façons de leurs pairs occidentaux. Des 9 personnages créés par l’entreprise, 4 sont des femmes, ce qui, selon Jide Martin, reflète la par-ticipation active de la population fémi-nine en politique et dans le milieu des affaires. “Aujourd’hui, au Nigeria, il importe peu que l’on soit un homme ou une femme. Il ne s’agit donc pas d’une décision straté-gique, cela correspond simplement à notre réalité au quotidien”, assure-t-il.

Les super-héros ne font pas que com-battre le mal et sauver le monde : ils permettent aussi de montrer que des indi-vidus peuvent s’unir pour créer ensemble une “Afrique plus sûre où il fait bon vivre”, estime le directeur des opérations de l’entreprise, Tobe Ezeogu. Un message que certains lecteurs semblent avoir compris. Sur le compte Facebook de Comic Republic, un admirateur a écrit, au sujet de Guardian Prime, le person-nage vedette de la start-up : “Ma citation préférée : ‘Pour que le mal triomphe, il suffit que des hommes bons restent à ne rien faire. Je ne resterai pas là sans rien faire. Je suis nigérian.’”

—Lily KuoPublié le 4 janvier

com

ic r

epu

blic

Falc

o, c

uba

ma

rtir

ena

, cu

ba

Page 47: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

360°.Courrier international — no 1315 du 14 au 20 janvier 2016 47

Traits d’union. En traçant des traits jaunes, joyeux et colorés sur des photos de guerre, l’artiste turc Oguzhan Cin s’est donné pour mission de “montrer comment le confl it syrien a dérobé les rêves des plus jeunes”. “Alors que nous approchons des cinq années de confl it, nous nous sommes

habitués aux images de destruction venues de Syrie, estime le magazine Huck. La série d’Oguzhan refuse cette résignation et nous rappelle l’ampleur de la perte subie par les Syriens : une génération d’enfants qui n’a rien connu d’autre que la guerre.”

PHOTO

Console canineANIMAUX — Oubliez Nintendo et Microsoft, la console de jeux de l’année s’appelle CleverPet et elle ne risque pas de distraire vos enfants. Il s’agit en eff et d’une console de jeux pour chiens, “qui fonctionnera en mode automatique, avec des interactions possibles mises en place par un logiciel”, indique le magazine Wired. Plusieurs jeux seront disponibles sur cette console en plastique munie de lumières clignotantes, d’un haut-parleur et d’un distributeur qui fournit de la nourriture à l’animal une fois qu’il a fi ni un niveau. Le créateur Clever Pet a déjà recolté plus de 160 000 euros grâce au fi nancement participatif et va lancer son produit sur le marché dans les mois qui viennent au prix de 275 euros car, comme il l’espère, “personne ne laisserait un membre de sa famille à la maison toutela journée en lui demandant seulement de dormir tout ce temps”.

Le livre prend l’appliROYAUME-UNI — Alors que le rideau vient de tomber sur Downton Abbey, la série dont il était le scénariste et producteur, le romancier britannique Julian Fellowes est déjà parti vers de nouvelles aventures. A 66 ans, il a décidé de tester un nouveau format littéraire pour son prochain ouvrage, Belgravia, en le transformant en application pour mobiles. “A l’instar des feuilletons de Charles Dickens, chacun des onze chapitres de Belgravia sera délivré de manière hebdomadaire, accompagné de bonus multimédia comme de la musique, des portraits de personnages, des arbres généalogiques et des versions audio du roman”, détaille The Guardian. Si les applications pour mobiles consacrées à des livres restent encore inconnues du grand public en raison de leur nouveauté, “leur adoption par les auteurs les plus en vue devrait populariser le genre”, estime le quotidien britannique. La sortie de l’appli Belgravia est prévue pour avril mais, que les fans plus traditionnels se rassurent, une version papier est attendue pour juin.

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez l’horoscope de Rob Brezsny, l’astrologue le plus original de la planète.

A méditer cette semaine : Trouve, crée, ou arrange-toi pour placer sur ton chemin une expérience qui te tire des larmes de joie.

DES

SIN

DE

MIK

EL C

ASA

L

CLEV

ER P

ET

UZH

AN

CIN

Page 48: Courrier International - 14 Au 20 Janvier 2016

Consommations et émissions en cycle mixte selon la norme européenne NEDC : de 3,8 à 6,2 l/100 km. CO2: de 99 à 144 g/km. BMW France, S.A. au capital de 2 805 000 € - 722 000 965 RCS Versailles - 3 avenue Ampère, 78180 Montigny-le-Bretonneux. The New MINI Clubman

= Nouveau MINI Clubman.

THE NEW MINI CLUBMAN.

À PEINE NÉ, DÉJÀ GRAND.

En ouvrant l’une des 6 portes du nouveau MINI Clubman, vous accédezà un espace intérieur sophistiqué, spacieux et élégant. Seul ou en famille,la plus grande des MINI transforme un simple trajet en véritable voyage.