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ÉCO Le Petit Journal de la crise Kirghizistan La poudrière de l’Asie FOOT Les Bleus vus d’Afrique 3:HIKNLI=XUXZUV:?b@k@m@f@a; M 03183 - 1025 - F: 3,50 E SOMALIE Chers enfants soldats L’éducation victime de l’économie, par Martha Nussbaum OÙ VA L’UNIVERSITÉ? www.courrierinternational.com N° 1025 du 24 au 30 juin 2010 - 3,50 AFRIQUE CFA : 2 600 FCFA - ALGÉRIE : 450 DA - ALLEMAGNE : 4,00 € AUTRICHE : 4,00 € - CANADA : 5,95 $CAN - DOM : 4,20 € - ESPAGNE : 4,00 € E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £ - GRÈCE : 4,00 € - IRLANDE : 4,00 € ITALIE : 4,00 € - JAPON : 700 ¥ - MAROC : 30 DH - NORVÈGE : 50 NOK PORTUGAL CONT. : 4,00 € - SUISSE : 6,40 CHF - TOM : 700 CFP

Courrier International Du 24 Juin 2010

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Page 1: Courrier International Du 24 Juin 2010

ÉCO Le Petit Journal de la crise

Kirghizistan La poudrière de l’Asie

FOOT Les Bleus vus d’Afrique

3:HIKNLI=XUXZUV:?b@k@m@f@a;M 03183 - 1025 - F: 3,50 E

SOMALIE Chers enfants soldats

L’éducation victime de l’économie,

par Martha Nussbaum

OÙ VA L’UNIVERSITÉ?

www.courrierinternational.com N° 1025 du 24 au 30 juin 2010 - 3,50 €

AFRIQUE CFA : 2 600 FCFA - ALGÉRIE : 450 DA - ALLEMAGNE : 4,00 €AUTRICHE : 4,00 € - CANADA : 5,95 $CAN - DOM : 4,20 € - ESPAGNE : 4,00 €E-U : 5,95 $US - G-B : 3,50 £ - GRÈCE : 4,00 € - IRLANDE : 4,00 € ITALIE : 4,00 € - JAPON : 700 ¥ - MAROC : 30 DH - NORVÈGE : 50 NOKPORTUGAL CONT. : 4,00 € - SUISSE : 6,40 CHF - TOM : 700 CFP

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▶ Les plus de courrierinternational.com ◀

Y Plus de 4 000 dessins de presse à découvrir

DESSIN*XLe regard des journalistesde Courrier international

BLOGS

*g INSOLITESDégustez des inédits

4 parmi les sources cette semaine

6 éditorial par Philippe Thureau-Dangin

6 à l’affiche

6 ils et elles ont dit

d’un cont inent à l ’autre

9 france FINANCES L’austérité est tout, sauf de rigueur

POLITIQUE Villepin remet la balle au centre

12 dossier Kirghizistan : la menace

16 europePOLOGNE Présidentielle : la surprise vient de la gauche

EX-YOUGOSLAVIE Les carnets de Mladic

JUSTICE INTERNATIONALE Des conditions de détention royales

BELGIQUE Elio Di Rupo : thèse et antithèse

VU D’AILLEURS L’Italien qui détestait l’Italie

21 amériquesÉTATS-UNIS Obama mène les entreprises à la baguette

COLOMBIE La peur du changement

CANADA Le spectre d’une marée noire hante Vancouver

PARAGUAY L’Armée du peuple paraguayen sème le trouble

24 asieCHINE La jeunesse dorée soigne son image

MALAISIE Qui sera la nouvelle star de l’islam ?

JAPON Une économie qui ne demande qu’à repartir

27 moyen-orientISRAËL L’Etat impuissant face aux ultraorthodoxes

TURQUIE Le sauveur du monde arabe ?

IRAK Erbil la Kurde cultive le pluralisme

30 afriqueBURUNDI Un scrutin sous haute tension

MAROC Petits pas en faveur du droit à l’avortement

SOMALIE Des enfants soldats payés par les Américains

enquêtes et reportages

32 en couverture Où va l’Université ?

38 portrait Dong Fangxiao, la biche agile de l’Orient

40 reportage Moscou, nouvelle “creative city”

42 sport Mauvais esprit, tu es là !

intel l igences

45 sciencesGÉNÉTIQUE Génome humain : l’heure de la désillusion

46 économieRESSOURCES L’Afghanistan et la malédiction des richesses

48 multimédiaMÉDIAS Time Warner renaît de ses cendres

51 Le Petit Journal de la criseESPAGNE Portes ouvertes sur un pays en crise

rubriques

55 insolites Le pont, le vit et le FSB

sommaire●

▶ En couverture : Dessin d’El Roto paru dans El País, Madrid.

32En couverture

Où va l’Université ?

12DossierKirghizistan : la menace

31Somalie

Des enfants soldats

payés par lescontribuables

américains

16Ex-YougoslavieLes carnets de Mladic

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 3 DU 24 AU 30 JUIN 2010

51Le Petit Journal de la crise

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Page 4: Courrier International Du 24 Juin 2010

les sources ●

PARMI LES SOURCES CETTE SEMAINEHA’ARETZ 80 000 ex., Israël,quotidien. Premier journalpublié en hébreu sous le mandat britannique, en 1919, “Le Pays” est lejournal de référence chez lespolitiques et les intellectuelsisraéliens.

ASHARQ AL-AWSAT 200 000 ex.,Arabie Saoudite, quotidien.“Le Moyen-Orient” seprésente comme le “quotidieninternational des Arabes”.Edité par Saudi Researchand Marketing – présidé parun frère du roi –, il se veutmodéré et combat leradicalisme arabe, même siplusieurs de ses journalistesaffichent une sensibilitéislamiste.

CLARÍN 650 000 ex., Argentine,quotidien. Né en 1947, “Le Clairon” est le titre leplus lu d’Argentine. Il couvrel’actualité nationale etinternationale. Fait rare surle continent, Clarín estprésent dans plusieurs paysd’Amérique latine grâce à son réseau decorrespondants.

DANAS 35 000 ex., Serbie,quotidien. “Aujourd’hui” a été fondé en 1997 enréaction à la mise au pas de la presse par le régime de Slobodan Milosevic. C’estle quotidien indépendant de référence. Son édition duweek-end apporte un richecomplément au quotidien.

THE ECONOMIST 1 337 180 ex.,Royaume-Uni,hebdomadaire. Grandeinstitution de la pressebritannique, le titre, fondé en 1843 par un chapelierécossais, est la bible de tousceux qui s’intéressent à l’actualité internationale.Ouvertement libéral, il se situe à l’“extrêmecentre”. Imprimé dans sixpays, il réalise environ 85 %de ses ventes à l’extérieur du Royaume-Uni.

L’ESPRESSO 430 000 ex., Italie,hebdomadaire. Fondé en1955 par Eugenio Scalfari,qui créera ensuite LaRepubblica, le titre s’est viteimposé comme le grandhebdomadaire de centregauche. Il appartient àl’industriel piémontais CarloDe Benedetti, qui possèdeégalement La Repubblica.Il mène une lutte acharnéecontre la politique de SilvioBerlusconi.

EXPERT 85 000 ex., Russie,hebdomadaire. La rédaction,issue de celle du journalKommersant, a fondé le titreen 1995. Le contenu estorienté vers le monde des affaires, de l’économie et des finances.

FERGHANA.RU (ferghana.ru),Russie. Cette agenced’information en ligne, crééeen 1998, est l’une des plusriches sources d’informations

russophones sur l’Asiecentrale postsoviétique. Trèspopulaire dans toute la CEI,elle possède un réseau de correspondants dans dix grandes villescentrasiatiques.

FINANCIAL TIMES 448 000 ex.,Royaume-Uni, quotidien. Le journal de référence,couleur saumon, de la City et du reste du monde. Une couverture exhaustive de la politique internationale,de l’économie et du management.

GAZETA.RU (gazeta.ru), Russie. Le site propose desinformations sur la Russie etl’international dans tous lesdomaines. La présentationest attrayante et complète.Des dépêches d’agenceviennent sans cesse s’ajouter aux articles.

IL GIORNALE 230 000 ex., Italie,quotidien. Fondé en 1974par le journaliste le pluscélèbre d’Italie, IndroMontanelli, ce journal de droite est aujourd’huidétenu par le frère de SilvioBerlusconi, Paolo. Celui-cien a fait une publication à la ligne éditoriale trèsmarquée, hostile à la gaucheet soutenant Forza Italia.

GULF NEWS 91 000 ex., Emiratsarabes unis, quotidien. Crééen 1978, le titre s’est imposé,au fil des ans, comme le premier quotidienanglophone des Emiratsarabes unis. Une large placeest accordée aux sujetséconomiques, aux questionsde placements financiers et à la Bourse.

KOMMERSANT 114 000 ex., Russie,quotidien. L’un des bonsquotidiens moscovites, desinformations sur tous lessujets, avec une dominanteéconomique, des articlessouvent plus courts et plus percutants que ceux de ses confrères. Le groupeKommersant publie, entreautres, l’hebdomadaireKommersant-Vlast.

KOTCH 15 000, Sénégal,quotidien. Fondé enoctobre 2009, ce titre se veutun journal de référence. Il est spécialisé dans lesreportages et les enquêtes.

KURDISH GLOBE 40 000 ex., Irak,hebdomadaire. Lancé en avril 2005, c’est le seuljournal en anglais duKurdistan irakien. Bien qu’ils’intéresse aux autres régionsde peuplement kurde (Iran,Turquie, Syrie), il consacreune large partie de soncontenu aux informationslocales.

LOS ANGELES TIMES 657 000 ex.,Etats-Unis, quotidien. Le géant de la côte ouest.Créé en 1881, c’est le plusà gauche des quotidiens à fort tirage du pays et legrand spécialiste des sujets

AL-MUSTAQBAL 10 000 ex., Liban,quotidien. Fondé en 1999 et spécialisé dans la politique,“L’Avenir” appartient à l’empire médiatique del’ex-Premier ministre libanaisRafic Hariri (assassiné le 14 février 2005).

NANFANG ZHOUMO 1 300 000 ex.,Chine, hebdomadaire. Le magazine le plus attendude Chine pour ses enquêteset ses reportages a souventdébusqué des cadrescorrompus et dénoncé des scandales, au point de déranger en haut lieu. Il subit régulièrement des rappels à l’ordre et des évictions de dirigeants,qui finissent par éroder son mordant.

NANFENG CHUANG 800 000 ex.,Chine, bimensuel. Créé en1985, en pleine période desréformes et de l’ouverture, lemagazine constitue l’un desplus importants médiasréformateurs du pays. Il estégalement apprécié dansl’ensemble de l’Asie.

THE NEW YORK TIMES 1 160 000 ex.(1 700 000 le dimanche),Etats-Unis, quotidien. Avec 1 000 journalistes,29 bureaux à l’étranger et plus de 80 prix Pulitzer,c’est de loin le premierquotidien du pays, danslequel on peut lire “all thenews that’s fit to print” (toute

l’information digne d’êtrepubliée).

EL PAÍS 392 000 ex.(777 000 ex. le dimanche),Espagne, quotidien. Né enmai 1976, six mois après lamort de Franco, “Le Pays”est une institution. Il est leplus vendu des quotidiensd’information générale et s’est imposé comme l’un des vingt meilleursjournaux du monde. Plutôtproche des socialistes, il appartient au groupe de communication PRISA.

LE PAYS 20 000 ex., BurkinaFaso, quotidien. Fondé en octobre 1991, ce journalindépendant est rapidementdevenu le titre le plus

populaire du Burkina Faso.Proche de l’opposition, il multiplie les éditoriaux au vitriol.

POLITYKA 230 000 ex., Pologne,hebdomadaire. Ancienorgane des réformateurs du Parti ouvrier unifiépolonais (POUP), lancé en 1957, “La Politique”, qui appartient aujourd’hui à ses journalistes, est devenu le plus grandhebdo socio-politique de Pologne, lu par l’élitepolitique et intellectuelle du pays.

PROSPECT 18 000 ex.,Royaume-Uni, mensuel.Fondée en novembre 1995,cette revue indépendante de la gauche libéralebritannique offre à unlectorat cultivé et curieux des articles de grandequalité, avec un goût marquépour les points de vue à contre-courant et lesanalyses contradictoires.

SINA (news.sina.com.cn),Chine. Fondé en 1999 parWang Zhidong, Sina est le troisième site le plus visitépar les internautes chinoisen 2010. Il propose un trèsbon service d’information,grâce à des reprises d’articlesde la presse nationale et à une équipe de rédacteursspécialisés, et une traductionen anglais de la plupart des papiers.

DE STANDAARD 95 000 ex.,Belgique, quotidien. Lancéen 1918, le journal deréférence de l’establishmentflamand a pris ses distances,ces dernières années, avec le monde catholique tout en conservant sa foi dans le combat linguistique. Grâceà la qualité de ses analyses et de ses suppléments, le quotidien affiche son ambition : devenir un “journal de qualité de niveau européen”.

THE STRAITS TIMES 388 000 ex.,Singapour, quotidien. Fondé en 1845, c’est le quotidien le plus lu de la cité-Etat. Journalanglophone de référence en Asie du Sud-Est, il adopte des positions proches dugouvernement singapourienmais offre de bonnes analysessur tous les pays voisins.

TELQUEL 20 000 ex., Maroc,hebdomadaire. Fondé en octobre 2001, ce newsmagazinefrancophone s’estrapidement distingué de ses concurrents marocainsen faisant une large place aux reportages et aux faits de société. Se méfiant du dogmatisme, il délaisse

la politique politicienne et s’attaque à des sujetstabous tels que la sexualité.

THE TIMES LITERARY SUPPLEMENT34 000 ex., Royaume-Uni,hebdomadaire. Le TLS,comme on l’appelle pluscommunément, offre un éclairage critique sur l’actualité des idées, des romans, etc. Des articles denses, signéspar des universitaires et des écrivains.

THE TYEE (thetyee.ca), Canada.Créé en 2003, ce sited’information résolument à gauche suit l’actualitépolitique, environnementaleet médiatique de la provincede Colombie-Britannique.Son nom se veut uneillustration de sa volonté de nager à contre-courant (le mot “tyee”, qui provient d’une langueamérindienne de la côteOuest, désignant un saumon de 15 kilos).

LA VANGUARDIA 200 000 ex.,Espagne, quotidien.“L’Avant-Garde” a étéfondée en 1881 à Barcelonepar la famille Godó, qui en est toujours propriétaire.Ce quotidien de haute tenueest le quatrième du pays en termes de diffusion, mais il est numéro un en Catalogne, juste devantEl Periódico de Catalunya.

VEJA 1 100 000 ex., Brésil,hebdomadaire. Veja, quicompte parmi les cinq plusgrands newsmagazines du monde, est, avec ses 900 000 abonnés, un phénomène de la pressebrésilienne depuis son lancement en 1968.Longtemps, le reste de lapresse n’a d’ailleurs fait quesuivre les enquêtes lancéespar Veja… Sa rigueur et son mordant restent ses principales qualités.

VREME 25 000 ex., Serbie,hebdomadaire. “Le Temps”assure un suivi biendocumenté et approfondi de l’actualité politique,économique et culturelle. Sescommentateurs indépendantssont connus pour leurcritique avertie des crises quisecouent la scène politique.

THE WALL STREET JOURNAL2 000 000 ex., Etats-Unis,quotidien. C’est la bible des milieux d’affaires. Mais à manier avec précaution :d’un côté, des enquêtes et reportages de grandequalité ; de l’autre, des pageséditoriales tellementpartisanes qu’elles tombenttrop souvent dans la mauvaise foi la plus flagrante.

Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €

Actionnaire : Le Monde Publications internationales SA.Directoire : Philippe Thureau-Dangin, président et directeur de la publication;

Régis ConfavreuxConseil de surveillance : David Guiraud, président ; Eric Fottorino, vice-président

Dépôt légal : juin 2010 - Commission paritaire n° 0712C82101ISSN n° 1 154-516 X – Imprimé en France / Printed in France

RÉDACTION6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13

Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational.com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Philippe Thureau-Dangin Assistante Dalila Bounekta (16 16)Directeur adjoint Bernard Kapp (16 98)Rédacteur en chef Claude Leblanc (16 43)Rédacteurs en chef adjoints Odile Conseil (16 27), Isabelle Lauze (16 54),Raymond Clarinard (16 77)Chefs des informations Catherine André (16 78), Anthony Bellanger (16 59) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme, Marie Varéon (16 67)Europe Odile Conseil (coordination générale, 16 27), Danièle Renon (chef de serviceadjoint Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16 22), Emilie King(Royaume- Uni, 19 75), Gerry Feehily (Irlande, 19 70), Anthony Bellanger (France,16 59), Marie Bélœil (France, 17 32), Lucie Geffroy (Italie, 16 86), Daniel Matias(Portugal, 16 34), Adrien Chauvin (Espagne 16 57), Iwona Ostapkowicz (Pologne,16 74), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer(Pays-Bas), Léa de Chalvron (Finlande), Solveig Gram Jensen (Danemark), AlexiaKefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède),Laurent Sierro (Suisse), Alexandre Lévy (Bulgarie, coordination Balkans), Agnès Jarfas(Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), GabrielaKukurugyova (Rép. tchèque, Slovaquie), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie,Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie,Est de l’Europe Laurence Habay (chef de service 16 36), Alda Engoian (Caucase,Asie centrale), Philippe Randrianarimanana (Russie, 16 68), Larissa Kotelevets(Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord,16 14), Jacques Froment (chef de rubrique, Etats-Unis, 16 32 ), Marc-Olivier Bherer(Canada, Etats-Unis, 16 95), Christine Lévêque (chef de rubrique, Amérique latine,16 76), Anne Proenza (Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie AgnèsGaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Naïké Desquesnes (Asiedu Sud, 16 51), François Gerles (Asie du Sud-Est, 16 24), Marion Girault-Rime(Australie, Pacifique), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées),Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon) Moyen-Orient Marc Saghié(chef de service, 16 69), Hamdam Mostafavi (Iran, 17 33), Hoda Saliby (Egypte, 1635), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie(Turquie) Afrique Pierre Cherruau (chef de service, 16 29), Pierre Lepidi, AnneCollet (Mali, Niger, 16 58), Philippe Randrianarimanana (Madagascar, 16 68), HodaSaliby (Maroc, Soudan, 16 35), Chawki Amari (Algérie), Sophie Bouillon (Afrique duSud) Débat, livre Isabelle Lauze (16 54), Roman Schmidt Economie Pascale Boyen(chef de service, 16 47) Multimédia Claude Leblanc (16 43) Sciences Anh HoàTruong (16 40) Insolites Claire Maupas (chef de rubrique, 16 60) Epices &saveurs, Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)Site Internet Olivier Bras (éditeur délégué, 16 15), Marie Bélœil (rédactrice,17 32), Anne Collet (documentaliste, 16 58), Mouna El-Mokhtari (webmestre,17 36), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Jean-Christophe Pascal (webmestre(16 61) Mathilde Melot (marketing, 16 87), Jalil HajjajAgence Courrier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97), Caroline Marcelin,Emmanuelle Morau (16 62)Traduction Nathalie Amargier (russe), Catherine Baron (anglais, espagnol), IsabelleBoudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), CarolineLee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), JulieMarcot (anglais, espagnol), Marie-Françoise Monthiers (japonais), MikageNagahama (japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol(anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Mélanie Sinou (anglais, espagnol)Révision Elisabeth Berthou (chef de service, 16 42), Pierre Bancel, PhilippeCzerepak, Fabienne Gérard, Philippe Planche Photographies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Anne Doublet(16 83), Lidwine Kervella (16 10)Maquette Marie Varéon (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Pétricca, Denis Scudeller, JonnathanRenaud-Badet, Alexandre Errichiello Cartographie Thierry Gauthé (16 70)Infographie Catherine Doutey (16 66), Emmanuelle Anquetil (colorisation)Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon)Informatique Denis Scudeller (16 84)Fabrication Patrice Rochas (directeur), Nathalie Communeau (directrice adjointe,01 48 88 65 35), et Sarah Tréhin. Impression, brochage : Maury, 45191Malesherbes. Routage : France-Routage, 77183 Croissy-BeaubourgOnt participé à ce numéro Hanno Baumfelder, Edwige Benoit, Marianne Bonneau,Martin Clavey, Geneviève Deschamps, Valéria Dias de Abreu, Laura Di Biasio,Nicolas Gallet, Marion Gronier, Chloé Hentzien, Elisabeth Lebedev, Elodie Leplat,Olivier Maupas, Marina Niggli, Jean Perrenoud, Françoise Picon, Stéphanie Saindon,Emmanuel Tronquart, Zhang Zhulin, Anna Zyw

ADMINISTRATION - COMMERCIALDirecteur délégué Régis Confavreux, Secrétaire général Paul Chaine (17 46).Assistantes : Sophie Daniel (16 52) Sophie Jan (16 99), Natacha Scheubel.Responsable contrôle de gestion : Stéphanie Davoust (16 05), Julie Delpech deFrayssinet (16 13)Responsable des droits : Dalila Bounekta (16 16). Comptabilité : 01 48 88 45 02Relations extérieures Victor Dekyvère (16 44) Partenariats Sophie Jan (16 99)Ventes au numéro Directeur commercial : Patrick de Baecque. Responsablepublications : Brigitte Billiard. Direction des ventes au numéro : Hervé Bonnaud. Chefde produit : Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40). Diffusioninternationale : Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22). Promotion : Christiane MontilletMarketing, abonnement Pascale Latour (directrice, 16 90), Sophie Gerbaud (16 18),Véronique Lallemand (16 91), Sweeta Subbamah (16 89), Sophie Rousseaux (17 39)Publicité Publicat, 7, rue Watt, 75013 Paris, tél. : 01 40 39 13 13. Directricegénérale : Brune Le Gall. Directeur de la publicité : Alexandre Scher <[email protected]> (13 97). Directrices de clientèle : Karine Lyautey (14 07), Claire Schmitt(13 47), Kenza Merzoug (13 46). Régions : Eric Langevin (14 09). Culture : LudovicFrémond (13 53). Littérature : Béatrice Truskolaski (13 80). Annonces classées : CyrilGardère (13 03). Exécution : Géraldine Doyotte (01 41 34 83 97) Publicité siteInternet i-Régie, 16-18, quai de Loire, 75019 Paris, tél. : 01 53 38 46 63. Directeurde la publicité : Arthur Millet, <[email protected]> Modifications de services ventesau numéro, réassorts Paris 0 805 05 01 47, province, banlieue 0 805 05 0146Abonnements Tél. de l’étranger : 00 33 3 44 62 52 73 Fax : 03 44 12 55 34 Courriel :<[email protected]> Adresse abonnements Courrier international,Service abonnements, B1203 - 60732 Sainte-Geneviève Cedex Commanded’anciens numéros Boutique du Monde, 80, bd Au guste-Blanqui, 75013 Paris.Tél. : 01 57 28 27 78

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Ce numéro comporte un encart Abonnement broché pour les kiosques Francemétropolitaine, un encart festival Paris Quartier d’été jeté pour une partie des abonnésFrance métropolitaine et un cavalier SFR broché pour une partie des abonnés Francemétropolitaine.

Courrier International, USPS number 013-465, is published weekly 49 timesper year (triple issue in Aug, double issue in Dec), by Courrier International SAc/o USACAN Media Dist. Srv. Corp. at 26 Power Dam Way Suite S1-S3,Plattsburgh, NY 12901. Periodicals Postage paid at Plattsburgh, NY and atadditional mailing Offices. POSTMASTER : Send address changes to CourrierInternational c/o Express Mag, P.O. box 2769, Plattsburgh, NY 12901-0239.

FOREIGN POLICY 106 000 ex., Etats-Unis,bimestriel. Fondé en 1970 dans le but de “sti-muler le débat sur les questions essentielles dela politique étrangère américaine”, le titre alongtemps été édité par la Fondation Carnegiepour la paix internationale avant d’être rachetépar le groupe Washington Post en 2008.

de société et de l’industriedu divertissement.

MAINICHI SHIMBUN 3 960 000 ex.(éd. du matin),1 660 000 ex. (éd. du soir,au contenu différent), Japon,quotidien. Fondé en 1872sous le nom de Tokyo NichiNichi Shimbun, le MainichiShimbun est le plus ancienquotidien japonais. Il a pris la dénominationactuelle en 1943 lors d’unefusion avec l’Osaka MainichiShimbun. Centriste, le“Journal de tous les jours”est le troisième quotidiennational du pays par la diffusion.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 4 DU 24 AU 30 JUIN 2010

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à l ’aff iche ●

Afr ique du Sud Dur d’être un Blanc

William Kentridge a tou-jours fondé son travail surun intense questionne-ment sur son pays. Sonsuccès même, note TheNew York Times,repose sur

sa capacité à dramatiser, parfois defaçon très dérangeante, les difficultésqui ont caractérisé et caractérisent tou-jours la société dans laquelle il est né.Bien que ses parents aient été tousdeux des avocats politiquement enga-gés et très actifs dans la défense desmilitants du mouvement des droitsciviques à l’époque de l’apartheid, lui-même s’est toujours senti mal à l’aisedans sa peau de Blanc. Le régime dela ségrégation raciale, a-t-il expliquéun jour, l’a condamné à être un artiste.Car il se sentait obligé d’attendre quecette société injuste et immoralechange pour pouvoir décider quoi fairede sa vie. Et, quand la révolution a enfineu lieu, il était trop tard pour se lancerdans des activités plus “sérieuses” !

Né en 1955 à Johannesburg, Ken-tridge a multiplié les expériences créa-tives. Après avoir fait des études d’artplastique, il a commencé par s’orien-ter vers le théâtre. Acteur à l’occasion,il a écrit des pièces et fait de la mise enscène. Il a aussi conçu des dispositifsscéniques et créé des spectacles demarionnettes. Récemment encore, il amonté des opéras avec un succès cer-tain. Sa Flûte enchantée, de Mozart, en2004, a été jouée à Bruxelles, Lille,Naples, Tel-Aviv et New York, tandisque son Nez, de Chostakovitch, a étéprésenté en mars dernier au Metro-politan Opera de New York.

Mais Kentridge est avant tout ungraphiste. Après s’être essayé à la gra-

vure dans les années 1970, il a trouvésa voie à la fin des années 1980, lors-qu’il a découvert le travail de néo-expressionnistes comme AnselmKieffer et Jörg Immendorff, deux ar -tistes hantés par les ravages de la guerreet soucieux de lutter contre les réma-nences du nazisme en Allemagne.C’est alors, raconte The Guardian, qu’ila inventé une nouvelle forme plas-tique : des sortes de dessins animésd’un style très particulier. Chaquecourt-métrage est réalisé à partir d’unesérie de vingt à quarante dessins aufusain, rehaussés au pastel afin d’ajou-ter du bleu et du rouge à la gammedes gris et des noirs. Utilisant cesdessins comme des sortes de plans-séquences, l’artiste modifie l’imageentre les prises successives en effaçant

certaines parties du dessin pour enmodifier les contours, quitte à lais-ser des traces de ce qui a disparu. Unprocédé qui transmet un sentiment defragilité, d’incertitude.

Dans certains films, on voitmême sa main intervenir sur le des-sin dans le champ fixe de la caméra.Dans d’autres, il intègre des scènesde spectacles qu’il a lui-même mis enscène. De telles œuvres ne se regar-dent évidemment pas comme desimples séquences vidéo ; elles neprennent toute leur force et leur plé-nitude que dans des installations.Comme celles qui sont présentéespar l’exposition montée par le SanFrancisco Museum of Modern Art(SFMOMA) et que l’on peut décou-vrir actuellement à Paris. ■

I L S E T E L L E S O N T D I TBRONISLAW KOMOROWSKI,candidat à la présidencepolonaise◼ Expert“Une tentative pour repeindre un mur cou-vert de moisissure : on a beau faire, elleressortira toujours.” A propos de la cam-pagne électorale de son adversaire, Jaros-law Kaczynski, qu’il affrontera au second tourde la présidentielle, prévu pour le 4 juillet.(Super Express, Varsovie) [voir l’article p. 16]

FAISAL SHAHZAD, Américaind’or igine pakistanaise accuséde terror isme◼ InébranlableLe procès de ce “soldat musulman”,comme il se décrit lui-même, vient dedébuter ; il est accusé d’avoir organisél’attentat – raté – de Times Square à NewYork, le 1er mai dernier. “Je voulais bles-ser et tuer des gens”, a-t-il expliqué à lajuge fédérale, qui lui a demandé s’il plai-dait coupable. “Oui, une centaine de fois”,a-t-il précisé. (Daily News, New York)

FELIPE CALDERÓN, président du Mexique◼ Confortable“C’est comme si notre voi-sin était le plus grand toxi-comane de la planète.” Ilrejette sur les Etats-Unis laresponsabilité des violencesliées au trafic de droguequi secouent son pays.Depuis 2006, plus de23 000 Mexicains y onttrouvé la mort.

(The Washington Post, Etats-Unis)

PAUL KRUGMAN, Pr ix Nobel d’économie◼ Sceptique“Si vous cherchez quelqu’un qui vise uneinflation de 0 % même quand le taux dechômage est à 13 %, c’est votre homme.Il s’inquiète de l’inflation même quand il n’yen a pas.” L’Allemand Axel Weber, s’il étaità la tête de la Banque centrale européenne,présenterait “un risque considérable” pour

la zone euro. Weber est l’un des favorisà la succession de Jean-Claude Trichet.

(Handelsblatt, Düsseldorf)

LOREN THOMSON, analyste mi l i ta ire américain◼ Pratique“Les attentats talibans, il y en a de tempsen temps ; la poussière, tout le temps.” C’estpourquoi l’armée américaine a décidé deremplacer les attaches en Velcro sur lesuniformes des soldats en Afghanistan pardes boutons, plus résistants à la poussièreet au sable. (USA Today, New York)

FIDEL CASTRO, dictateur cubain à la retrai te◼ Ennuyé“C’est à peine si on a le temps de respi-rer durant les six heures de retransmissionen direct. On nous glisse diaboliquementles nouvelles entre deux matchs de laCoupe du monde de football, de sorte quepersonne ne s’en soucie…”

(Granma, La Havane)

DR

ÉDITORIAL

Hormis le marc de café et la car-tomancie, il y a deux façons à peuprès sûres de connaître l’avenir : ladémographie et l’étude du systèmeéducatif. La première disciplinepermet d’extrapoler sur trente ansl’évolution de la population. Ses

chiffres (taux de natalité, mortalité infantile, etc.)fournissent de bons indicateurs sur la santé d’unesociété, et donc sur son futur proche. On se sou-vient comment Emmanuel Todd, alors jeune cher-cheur démographe, avait pu annoncer en 1978 la“décomposition de la sphère soviétique” en constatantl’incapacité du régime de Moscou à enrayer la mor-talité des enfants en bas âge.Concernant l’éducation, l’interprétation des faitset des chiffres est plus difficile encore. On sait tousà titre individuel qu’une famille qui ne prête pasassez d’attention à la formation des enfants ne leurprépare pas un avenir facile. Il en va de même pourles sociétés lorsqu’elles négligent d’investir dans lesystème éducatif ou lorsqu’elles le confient à laseule loi du marché. Le marché est efficient pourle court terme, notamment pour préparer les jeunesà trouver leur premier emploi (ce qu’indique leterme, assez laid, d’“employabilité”). Mais les effetsd’une éducation se prolongent sur une génération,voire plusieurs, et de cet apprentissage découlentles engagements d’une vie.En cette fin d’année universitaire, il nous a sem-blé important de revenir sur ce débat avec unextrait du dernier livre de Martha Nussbaum.Cette philosophe américaine, qui a travaillé jadisavec Amartya Sen sur les questions de dévelop-pement, nous alerte quant aux dangers d’un ensei-gnement qui ne viserait que la croissance pour lacroissance. Adam Smith l’avait déjà montré : la“richesse des nations”, c’est bien plus que la pro-duction et l’échange des biens. C’est dans cet étatd’esprit que plusieurs universités et écoles évoquentde nouveau le mot “humanités”. Pourquoi ne pasreparler aussi des “arts libéraux”, ces sept disci-plines que les Anciens considéraient comme indis-pensables à la formation d’un élève ?

Philippe Thureau-Dangin

Richesse des esprits

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COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 6 DU 24 AU 30 JUIN 2010

L E D E S S I N D E L A S E M A I N E

■ ▶ L’écrivain et Prix Nobel de littératureportugais José Saramago est mort le 18 juin, à 87 ans. Il se définissaitcomme un “communistelibertaire”.Dessin de Darío,Mexique.

Sur www.courrierinternational.com, retrouvez chaque jour un nouveaudessin d’actualité, et plus de 4 500 dessins en consultation libre

WILLIAM KENTRIDGE, 55 ans, développe une pratique artistique multiforme, éclatée entregraphisme, théâtre et installations. Le Jeu de paume, à Paris, présente pour la première foisen France une rétrospective de son œuvre, avec le parrainage de Courrier international.

▲ Dessin deCajas,

Equateur.

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FINANCES

L’austérité est tout, sauf de rigueurSa timide réforme des retraites mise à part, le gouvernement français ne semble pas prêtà suivre l’exemple de ses voisins qui se serrent la ceinture, regrette The Economist.

THE ECONOMIST (extraits)Londres

L’un après l’autre, les gou-vernements de la zone europréparent des plans d’aus-térité, dans l’espoir de ras-

surer des marchés obligataires trèsnerveux. Après la Grèce, l’Espagne,le Portugal, l’Irlande et l’Italie,l’Allemagne, pourtant solvable, aannoncé un train de mesures d’éco-nomies budgétaires. Le seul grandpays européen à n’avoir pas encoreagi est la France, qui en aurait pour-tant bien besoin. Paris pense avoirtrouvé le moyen de maîtriser lesfinances publiques. Le 16 juin, legouvernement français a dévoilé saréforme des retraites, qui repousseral’âge légal de la retraite de 60 à 62ans d’ici à 2018. Le projet traduit,plutôt sérieusement, une détermina-tion à agir sur le long terme. Mais, entermes budgétaires, ces dispositionsn’auront qu’un impact limité dansl’immédiat. Même à long terme, l’âgede la retraite restera toujours plustardif en France qu’en Grèce.

Les Français ont également parléde réduire les dépenses publiques pard’autres moyens. Quelques jours aprèsl’annonce faite par Angela Merkel deson projet de réaliser 80 milliardsd’euros d’économies d’ici à 2014,François Fillon a apparemment prisle dessus avec un chiffre de 100 mil-liards d’euros d’ici à 2013. Mais lePremier ministre n’a rien révélé denouveau. Il a simplement parlé deséconomies que la France devrait fairepour tenir son engagement de rame-ner ses déficits à 3 % du PIB en 2013,contre 8 % cette année. Par ailleurs,il a soutenu allègrement que la moi-tié des économies serait obtenue grâceà la croissance économique. Le restedu plan est bien flou.

TANT À DROITE QU’À GAUCHE,ON NE VEUT PAS EN PARLER

Pourquoi ces réticences à agir ? Lesesprits généreux répondront que Parisdoute de l’opportunité d’opérer untour de vis budgétaire de façon aussiprématurée. Au gouvernement, oncraint qu’un plan d’austérité ne “tuela croissance”. Mais il est plus plausibleque le gouvernement rechigne à direaux électeurs qu’il faut tailler bruta-lement dans les dépenses, à deux ansde l’élection présidentielle. Le mot“rigueur” reste tabou tant à droitequ’à gauche. Il reste associé au dou-loureux plan mis en œuvre par Fran-çois Mitterrand en 1983, après sa“rupture avec le capitalisme” qui avaitprovoqué l’effondrement de la mon-naie nationale et creusé un déficitcolossal. La classe politique est aussihantée par le sort du l’ex-Premierministre Alain Juppé, qui, en 1995,

avait voulu réformer le système deprotection sociale et de retraite. Dessemaines durant, le pays avait été para-lysé par les grèves, et la droite avaitensuite perdu les législatives de 1997,Juppé étant contraint à la démission.Avec près de 5 millions de fonction-naires, soit près d’un actif sur cinq, lamoindre baisse des salaires ou desavantages acquis fait descendre dansla rue des foules immenses. NicolasSarkozy a été élu sur la promesse defaire bouger les choses, mais la réces-sion a tempéré son ardeur libérale.Abstraction faite de la réforme desretraites, il semble surtout soucieux decontenir le mécontentement socialavant l’échéance électorale de 2012.

L’ennui est que la réalité écono-mique exige des mesures énergiques.Cette année, le déficit budgétaire dela France devrait atteindre 8 % duPIB, pas très loin des 9 % de la Grèce.La dette publique, à 84 % du PIB,atteint des niveaux préoccupants. Pourl’heure, les agences de notation finan-cière continuent d’accorder leurmeilleure note (AAA) à la dette sou-veraine française, ce qui permet aupays de continuer d’emprunter à taux

réduit. L’économie française est diver-sifiée et la périphérie de la zone eurosuscite assez d’inquiétudes pour queles obligations françaises fassent figurede valeurs refuges aux yeux des inves-tisseurs. Mais l’écart de rendementavec les obligations allemandes secreuse et, en février, l’agence de nota-tion Moody’s a prévenu que, en l’ab-sence d’une consolidation, l’alour-dissement de la dette mettrait en périlla note AAA. Tout est essentiellementun problème de crédibilité.

Nicolas Sarkozy dit vouloir ins-crire dans la Constitution l’obligationpour les gouvernements de maîtriserle déficit, comme en Allemagne. Maiscette clause mettrait du temps à pro-duire ses effets, et nul ne sait dansquelle mesure elle serait contrai-gnante. La vérité est de fait cruelle :aucun gouvernement français n’aprésenté de budget équilibré depuisle début des années 1970. Comme lesouligne Jacques Delpla, économisteau Conseil d’analyse économique,l’Etat français a vécu au-dessus deses moyens même durant les annéesfastes, une défaillance qu’il juge“scandaleuse”. ■

f rance ●

POLITIQUE Villepin remet la balle au centre

I ra ? N’ira pas ? Dominique deVillepin osera-t-il se jeter dansl’arène électorale [avec son parti

République solidaire] pour la prési-dentielle de 2012 ? L’incertitude quientoure l’éventuelle candidature del’ancien Premier ministre est une don-née fondamentale de la recompositionde l’espace centriste, à deux ans d’uneélection que Nicolas Sarkozy – candi-dat prévisible, quoique non déclaré –prépare déjà activement. L’échecde l’UMP aux régionales, en mars, adémontré la fragilité de la stratégie ducandidat unique prônée jusqu’alors parSarkozy. Dans l’entourage présiden-tiel, l’idée s’est installée que, pour évi-ter un tel résultat en 2012, le présidentaurait besoin de la présence d’un can-didat centriste capable de grappillerdes voix au centre gauche – sans tropplomber les perspectives de l’UMPelle-même – et prêt à des alliances envue du second tour.

La première grande question, pourl’instant sans réponse, est de savoir quisera le mieux à même de jouer ce rôle.La deuxième, non moins importante,est comment éviter une myriade decandidatures centristes, qui pourraientplacer Nicolas Sarkozy dans une situa-tion comparable à celle de Lionel Jos-pin en 2002. Les déclarations de diversresponsables de la majorité et certainsgestes publics de Sarkozy – qui a reçurécemment François Bayrou une oudeux fois à l’Elysée – laissent à pen-ser que l’heureux élu ne serait autreque le président du Modem, fondé en2007. L’Elysée est convaincu que lesderniers échecs du dirigeant centriste– 4,2 % des voix aux régionales, contre18,7 % à la présidentielle – peuventrendre Bayrou plus sensible au chantdes sirènes présidentiel.

Pour qu’une telle manœuvre réus-sisse, Sarkozy doit neutraliser d’autrescandidatures. En particulier celle deson ministre de la Défense, HervéMorin, leader du Nouveau Centre, unparti satellite de l’UMP créé pour ceuxqui refusaient le nouveau chemin tracépar Bayrou en 2007. Le NouveauCentre est si proche du président qu’iln’aurait guère de crédibilité pour atti-rer de nouvelles voix. Morin se refusetoutefois à jeter l’éponge, convaincuque son parti n’existera que s’il sedégage de la tutelle à laquelle sesmembres sont soumis. Qu’il s’agissed’une menace dirigée contre son alliéindiscipliné, ou parce qu’il est envisagécomme une réelle possibilité, l’entou-rage de Sarkozy a fait circuler ces der-niers temps aussi le nom de Jean-LouisBorloo, ministre de l’Ecologie et pré-sident du Parti radical, un autre satel-lite, qu’un récent sondage plaçaitdevant Morin et même devant Bayrou.Pour clore cette liste, il y a Villepin, qui,s’il se présente, pourrait enlever à Sar-kozy de précieuses voix susceptibles defaire pencher la balance. Mais reste àsavoir s’il agit par esprit de vengeanceou par calcul politique. Lluís Uría,

La Vanguardia (extraits), Barcelone

■ Et demain ?“La France seprépare à de grandescoupes budgétaires”,titre le FinancialTimes dans sonédition du 21 juin. Le quotidienfinancierbritannique, citant le secrétaire généralde l’Elysée, ClaudeGuéant, annonceque des mesuresd’économie“sérieuses etrésolues” serontprises à l’automne.

▲ Dessin de Mix& Remix paru dans L’Hebdo,Lausanne.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 9 DU 24 AU 30 JUIN 2010

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On ignore combien de brigades de ce genre,ayant déjà senti l’odeur du sang, parcourentdésormais les rues de Bichkek et de ses environs.En revanche, on sait très bien que ces gens serontau premier rang en cas de troubles. Ils ont déjàparticipé à au moins un renversement de régime,voire aux deux qu’a connus le Kirghizistan. Ilscomposaient les rangs des combattants qui ontaffronté sans frémir les OMON [unités anti-émeute] de l’ancien président Askar Akaev [1990-2005], puis de son successeur KourmanbekBakiev [205-2010]. Ce sont eux que l’on aensuite laissés, en guise de récompense pour leurhéroïsme, piller impunément la capitale. Depuisles massacres perpétrés dans le Sud, les jeunesvengeurs sont déchaînés. Sur les murs des mai-sons des Ouïgours de Bichkek, on a ainsi vuapparaître des inscriptions telles que : “Dégagez,ou vous serez les prochains”. On aurait commencé,comme à Och, à marquer les habitations : Sart[non-Kirghiz, terme péjoratif] ou Kirghiz. A pré-sent, les gargotes et boutiques appartenant à desOuzbeks ou à des Ouïgours tirent leur grille avantle coucher du soleil.

Des patrouilles circulent déjà dans Bichkek,hérissée de postes de contrôle. Mais rien negarantit que les forces de l’ordre soient en mesurede protéger la population. Après le bain de sangqui s’est produit dans le sud du pays, le gouver-nement intérimaire, qui n’avait déjà pas beau-coup d’emprise, a achevé de perdre le peu deconfiance qu’il inspirait. Emil Kaptagaev, le chefde l’administration, a reconnu que la situation àOch avait “complètement échappé” à l’équipeactuelle. Et pourtant, deux semaines avant queles choses dégénèrent, Bichkek bruissait déjà derumeurs sur le fait que des armes et autres

FERGHANA.RUMoscou

Le Kirghizistan est plongé dans un profondmalheur. Et, à ce jour, il reste seul poury faire face. On aimerait se tromper, maisbeaucoup d’éléments indiquent que leschoses risquent de ne pas s’arrêter auxmassacres perpétrés dans le sud du pays.

A Och et Jalalabad circulent d’énormes quan-tités d’armes : des centaines de fusils automa-tiques, de mitrailleuses et de lance-grenades quiont été volés dans des casernes ou carrémentarrachés aux militaires et aux policiers.

A l’issue des cinq jours de tuerie qui ontensanglanté Och [du 10 au 15 juin], des bandesdécidées à régler leur compte aux Ouzbeks sesont répandues du sud au nord du pays. Ellessont composées de Kirghiz jeunes et furieux,sur les visages desquels on peut lire clairementque rien ne les arrêtera. Le mardi 15 juin, j’airencontré un de ces groupes à l’aéroport d’Och.Ils m’ont expliqué avec fierté qu’ils étaient unebrigade de Bichkek venue “tuer les Ouzbeks, quise sont trop gavés” [les Ouzbeks, traditionnel-lement commerçants depuis d’époque sovié-tique, sont souvent considérés comme de richesprofiteurs par les Kirghiz].

matériels partaient vers le sud. Les services secretskirghiz se contentent de mettre des hommes poli-tiques sur écoute et de les filmer à l’aide de camé-ras cachées dans les saunas ou les bordels. Lapolice et l’armée, où les grades et les médailless’achètent depuis longtemps, ne valent guèremieux. Ce qui s’est passé à Och a bien montréleur inconsistance : les émeutiers n’ont eu aucunmal à s’emparer de plusieurs engins de transportblindés appartenant aux militaires, qui leur ontensuite servi à défoncer les barricades et à écra-ser les makhalli [quartiers, communautés] ouz-beks. Tous les Ouzbeks d’Och vous assurerontque ce sont les militaires kirghiz qui leur ont tirédessus. Les Kirghiz, eux, expliquent que c’étaientles Ouzbeks qui étaient lourdement armés.Impossible de savoir qui dit vrai.

Tout le monde affirme à qui veut l’entendreque les massacres d’Och sont le fait du clanBakiev [le président renversé en avril et origi-naire du sud du pays]. Mais est-il seul respon-sable ? Que dire de la criminalité, qui a conta-miné tout le pays, tel un cancer ? Et les baronsde la drogue, à qui les troubles dans la valléede Fergana ouvrent de radieuses perspectives ?

Il existe donc un risque réel que sans l’aideinternationale, sans le soutien de la Russie, lepays ne soit pas en mesure de résister – ne par-lons même pas du gouvernement actuel. Surplace, dès qu’un Russe croise un Kirghiz, unOuzbek, un Ouïgour ou un Doungane, il s’en-tend répéter la même chose : “Les Russes sont nosgrands frères. Aidez-nous !” Ou encore : “Intégrez-nous à votre pays ! Mais Moscou ne se hâte pasd’offrir son assistance. Le Kremlin ne sait passur qui compter dans le gouvernement intéri-maire. Les hauts responsables kirghiz, englués

dossier●

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 12 DU 24 AU 30 JUIN 2010

Risque de contagion Après les Ouzbeks, les Ouïgourspourraient être la cible des bandesde jeunes Kirghiz armés. Etpersonne ne sait comment mettreun terme à ces conflits fratricides.

■ Après les affrontements sanglants dans le sud du pays,ni les Etats-Unis ni la Russie ne souhaitent intervenirpour stabiliser le Kirghizistan. ■ Leur rivalité a pourtantcontribué à la montée des tensions, rappelle The New YorkTimes. ■ Sous l’œil attentif de la Chine, Moscou chercheà redéfinir son rôle dans son ancienne aire d’influence.

KIRGHIZISTANLA MENACE

■ Chronologie 31 août 1991 LeKirghizistan déclareson indépendance.Octobre 1991Askar Akaev,représentant lesclans du nord du pays,est élu président.24 décembre 1995Askar Akaev est rééluavec 70 % des voix.Décembre 2001Ouverture de la base aérienne de Manas, dans lecadre de l’opérationantiterroristeaméricaine en Afghanistan.Septembre 2003Ouverture d’une base militairerusse à Kant.24 mars 2005La “révolution des tulipes” éclateaprès une électionlégislative dénoncéecomme frauduleusepar les habitantsdes régions d’Och et de Jalalabad.Akaev est renversé.L’opposition, dirigéepar KourmanbekBakiev, arrive au pouvoir.s (suite p. 14)

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dans les scandales, se livrent souvent à decurieuses déclarations. Ainsi, Azimbek Bekna-zarov, responsable des forces de l’ordre, quimenace un jour de chasser les Américains de leurbase de Manas si la Grande-Bretagne n’extradepas le fils Bakiev [poursuivi au Kirghizistan etréfugié à Londres], et annonce un autre jourau Kazakhstan qu’il va confisquer les centres devacances qui appartiennent aux Kazakhs*. LaRussie, qui aspire à jouer un rôle de premier plandans la région, n’est pas très enthousiaste à l’idéede voir le Kirghizistan devenir une républiqueparlementaire, mais cette perspective inquièteencore plus les deux dictateurs indéboulonnablesde l’Asie centrale que sont Noursoultan Nazar-baev [président kazakh] et Islam Karimov [pré-sident ouzbek]. Leur voisinage avec un pays oùle pouvoir change périodiquement de mains lesrend nerveux depuis longtemps. Cela risque tropde donner des idées. C’est pour cela que, durantles récentes journées tragiques, Islam Karimovn’a laissé entrer comme réfugiés que des femmes,des enfants et des personnes âgées. Il ne veut paschez lui d’Ouzbeks du Kirghizistan habitués àdire ce qu’ils pensent et à critiquer le pouvoir.La Russie évite ostensiblement d’apporter sonsoutien politique au gouvernement intérimaire.Mais les troubles pourraient bien finir par gagnerl’ensemble du pays. Le pouvoir redoute desactions violentes de grande ampleur, comme uneexplosion sur le barrage de Papan, entre autres,qui retient d’énormes quantités d’eau.

Vladimir Soloviev, Kommersant, Moscou

* Depuis quelques années, les hôtels et infrastructuresbalnéaires des rives du lac d’Issyk-Koul, haut lieutouristique kirghiz, sont achetés massivement par leshommes d’affaires kazakhs.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 13 DU 24 AU 30 JUIN 2010

▲ Des femmesouzbèkes attendent de passer la frontièrepour fuir leKirghizistan prèsd’Och, 18 juin.

Une inaction coupablede celui-ci, et la bataille géopolitique en est partiel-lement responsable”, affirme Alexander A. Cooley,auteur d’un récent ouvrage sur la politique desbases militaires. “En essayant de soutenir le régimeau pouvoir, nous avons déstabilisé les institutionsde cet Etat. Nous faisons partie de cette dynamique.”Au plus fort de la crise, à Och et à Jalalabad, descitoyens ont imploré que des soldats de main-tien de la paix soient déployés en lieu et placedes forces locales, soupçonnées d’avoir participéaux violences. Rosa Otounbaeva, chef du gou-vernement kirghiz par intérim, a demandé à Mos-cou de déployer des forces de maintien de la paix,puis, après avoir essuyé un refus, elle a réclamédes troupes destinées à protéger des sites straté-giques comme les centrales électriques et lesréservoirs [d’eau]. Jusqu’à présent, pour l’es-sentiel, Moscou et Washington n’ont pris quedes engagements humanitaires.

UNE RÉGION EN PROIE AU FONDAMENTALISMERELIGIEUX ET AU TRAFIC DE DROGUE

Les Etats-Unis, accaparés par l’Afghanistanet l’Irak, n’ont ni les capacités ni l’envie d’unenouvelle intervention. La Russie, mieux à mêmed’intervenir, estime que les avantages d’undéploiement ne suffisent pas à contrebalancerles risques. Les troupes russes entreraient enterritoire hostile dans le sud du Kirghizistan,où les partisans de M. Bakiev accusent Mos-cou d’être à l’origine de son éviction, et l’Ouz-békistan pourrait aussi se révolter contre uneprésence russe. Cette explosion de violence avaitvaleur de test pour l’Organisation du traité desécurité collective (OTSC). Or cette alliancepostsoviétique fondée en 2002 ne s’est appa-remment pas montrée à la hauteur. Quoi qu’ilen soit, ni l’opinion publique russe ni l’appa-reil de politique étrangère ne font pression surle Kremlin pour qu’il prenne le risque d’en-voyer des forces de maintien de la paix. “Si onen envoie, il va falloir tirer à un moment ou à unautre”, rappelle Sergueï Karaganov, éminentspécialiste de sciences politiques à Moscou. “Ilfaut savoir ce qu’on veut.”

Même si, apparemment, le pire des violencesest passé, il reste de grands problèmes à régler.Au-delà de la crise humanitaire, on a affaire à unEtat instable, au cœur d’une région dangereuse.La vallée de Fergana, voisine de l’Afghanistan,est un terrain miné, en proie au fondamentalismereligieux, au trafic de drogue et aux haines inter-ethniques. Si les violences devaient s’étendre àd’autres pays d’Asie centrale, il pourrait en résul-ter une montée de l’islamisme qui menaceraitdirectement la Russie et les Etats-Unis. L’échecdes institutions internationales devrait inquiéterles deux capitales. Une chose est sûre, le Kir-ghizistan a besoin d’aide pour se doter d’un Etatstable, où le Nord et le Sud soient équitablementreprésentés. Dmitri Trenine, directeur du centreCarnegie de Moscou, estime que l’OTAN devraittravailler avec l’OTSC à l’élaboration d’un méca-nisme d’action collective. La prochaine fois qu’unpays d’Asie centrale sera au bord du précipice,souligne-t-il, quelqu’un doit être prêt à prendreses responsabilités. Ellen Barry

La passivité de Washington et deMoscou – qui ne sont pas pour riendans la dégradation de la situationkirghize – alimente l’inquiétude.

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THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Il y a un an et demi, les grandes puissances sequerellaient âprement à propos du Kirghizistan.Les Etats-Unis ne voulaient lâcher sous aucunprétexte la base aérienne de Manas, un centrede transit jugé essentiel pour les opérationsde l’OTAN en Afghanistan. Quant à la Russie,

elle avait promis au président kirghiz 2,15 mil-liards de dollars d’aide le jour où il avait annoncéqu’il allait fermer Manas. Avec la surenchère quis’en est suivie, on peut comprendre que le Kir-ghizistan se soit pris pour un acteur d’envergureplanétaire. Et pourtant, tandis que ce petit paysd’Asie centrale livré à la violence risquait l’écla-tement, la population a vu partir en fumée sesderniers espoirs d’intervention internationale.Jour après jour, il est devenu de plus en plus évi-dent qu’aucun des puissants alliés du Kirghizis-tan – y compris ses anciens maîtres du Krem-lin – n’était prêt à s’engager dans un bourbier.

La Russie a bien envoyé quelques centainesde parachutistes, mais uniquement pour défendresa base aérienne de Kant. Pour l’essentiel, lesgrandes puissances ont évacué leurs ressortissantset se sont contentées d’attendre, semble-t-il, quele conflit se résorbe de lui-même. Il s’agissaitd’un calcul pragmatique, fait “sans la moindreconsidération pour l’aspect moral du problème”,affirme Alekseï Vlassov, spécialiste de l’ex-Unionsoviétique à l’université d’Etat de Moscou. “Nousutilisons l’expression ‘responsabilité collective’, mais,en réalité, on est en pleine ‘irresponsabilité collective’,poursuit-il. Tandis qu’ils se disputaient sur tel ou telsujet – les bases, l’Afghanistan –, [les Etats-Unis etla Russie] ont oublié que le sud du Kirghizistan étaitla zone de tous les dangers.”

La situation se serait sans doute enveniméede toute manière au Kirghizistan, mais la concur-rence entre Moscou et Washington a accéléréle processus. Pour être sûr de garder la mainmisesur la base après la menace d’expulsion, Washing-ton a proposé au président Bakiev 110 millionsde dollars pour mettre fin à son accord avec Mos-cou, qui lui avait déjà versé 450 millions de dol-lars. Se félicitant de sa victoire, Washington a ren-chéri en annonçant la construction de plusieurséquipements d’entraînement militaire au Kir-ghizistan, dont un au Sud, ce qui n’a fait qu’ir-riter Moscou encore davantage. Au printempsdernier, le Kremlin a regagné le terrain perdu,employant toutes sortes de moyens diploma-tiques pour saper le gouvernement de M. Bakiev.Celui-ci a été renversé en avril par une coalitionde dirigeants de l’opposition, et la situation dansle sud du Kirghizistan – resté fidèle à l’anciengouvernement – s’est dégradée de manière catas-trophique. “Soyons honnêtes, le Kirghizistan devientun Etat en déliquescence, ou du moins une partie

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part active dans le règlement des problèmesde ses voisins. Diplomates, hommes politiqueset militaires étaient à l’origine de négociations,de rencontres ; ils discutaient avec les parties enconflit, signalaient la situation à l’attention departenaires étrangers et en obtenaient de l’aide.Les résultats étaient au rendez-vous. Aujourd’hui,ce n’est plus le cas. La Russie, qui a repris desforces depuis, a perdu l’habitude de “se déme-ner” pour résoudre les problèmes des autres,même s’ils menacent de s’étendre bien au-delàde leur foyer d’origine. Ce sont les vannes desgazoducs et les certificats de la Répression desfraudes [déclenchant l’interdiction d’importertel ou tel produit alimentaire, c’est-à-dire un boy-cott économique pur et simple, procédé utiliséà l’encontre des eaux minérales géorgiennes, desvins moldaves ou des pilons de poulets améri-cains, entre autres] qui sont devenus les instru-ments politiques les plus utilisés.

Le statut de puissance prépondérante quela Russie tente si ardemment de s’arroger neconsiste pas à expédier les paras au moindreappel, mais à savoir mettre rapidement sur piedun processus diplomatique et politique, à réagiren s’adaptant aux évolutions en cours. Il fau-dra vite retrouver ces réflexes. Le monde post-soviétique entre dans une ère nouvelle et dan-gereuse. Les Etats de l’ex-URSS demeurentseuls face à leurs problèmes. Depuis quinze ans,pratiquement aucun des projets d’intégration,conçus par la Russie ou dirigés contre elle, n’afonctionné. Aujourd’hui, il est déplacé de par-ler de “sphères d’influence” : il s’agit de “sphèresde responsabilité”. Si Moscou ne trouve pas unmoyen de répondre comme il convient aux défistels que celui que pose le Kirghizistan, sa volontéde jouer un rôle de premier plan ne sera pasprise au sérieux à l’avenir. Au reste, cette ques-tion sera secondaire par rapport à la tournureque prendront les événements en Eurasie. Caraucun autre pays ne semble avoir l’intention dese soucier des malheurs des “nouveaux Etatsindépendants”.Fiodor Loukianov, rédacteur en chef de la revue

Rossia v globalnoï politikié

GAZETA.RU (extraits)Moscou

Tout récemment encore, le territoire del’ex-URSS ressemblait à un champ debataille géopolitique où les grandes puis-sances tentaient d’arracher de juteux“trophées”. Rien de tel aujourd’hui. Laplupart des Etats de cet espace connais-

sent de graves problèmes économiques et poli-tiques, mais les principaux acteurs internatio-naux ont eux aussi leurs difficultés à gérer etils s’intéressent peu à ce qui se passe dans cettepartie du monde. Cela offre à la Russie unepossibilité de se positionner en tant que leader.Mais y est-elle prête ?

L’espace postsoviétique semble revenu à sasituation du début des années 1990. Dans lechaos de l’époque, rares étaient ceux qui sou-haitaient s’impliquer dans la politique troubledes “nouveaux Etats indépendants”. La poli-tique russe d’alors n’était certes pas parfaite,mais la Russie aidait ces nouveaux Etats à seconstituer, jouant parfois un rôle essentiel deforce stabilisatrice. Ce n’est que par la suiteque les principales forces mondiales (Etats-Unis, Union européenne, Chine) ont com-mencé à avoir des projets concernant les paysissus de l’URSS.

Ce temps semble révolu. Les Etats-Unis ontrevu leurs priorités, dont l’espace postsoviétiquene fait plus partie. Inutile de mentionner l’Unioneuropéenne ; dans l’état où elle est, elle doitd’abord régler ses propres problèmes. La Chinene s’intéresse aux pays frontaliers que dans lebut de satisfaire ses objectifs économiques.Un nouvel acteur ambitieux s’est fait jour, la Turquie, mais il lui faudra du temps pour éla-borer une stratégie autonome.

Ainsi, la Russie, qui réclamait depuis long-temps la reconnaissance de sa sphère d’intérêtsspécifique, voit à nouveau s’ouvrir des possi-bilités. Le rapide rapprochement avec l’Ukraineque nous vivons ces derniers mois ne vient pasdu fait que Victor Ianoukovitch [le présidentukrainien récemment élu] adore Moscou. Il n’asimplement aucune autre solution. Après avoirchoisi Bruxelles pour son premier voyage offi-ciel, il a compris qu’il n’avait rien à attendre del’Europe. Mais, comme on a pu le voir lasemaine dernière, c’est surtout le Kirghizistanqui n’a personne vers qui se tourner. Commedans les années 1990, la Russie est aujourd’huila seule force capable de prendre la responsa-bilité d’éteindre l’incendie interethnique.

Malgré la présence dans le pays de basesmilitaires des deux superpuissances nucléaires,rien n’est prévu pour assurer la sécurité. Cesderniers jours, les critiques pleuvent sur l’Or-ganisation du traité de sécurité collective[OTSC, union militaro-politique comprenantla Russie, l’Arménie, la Biélorussie, le Kazakhstan,le Kirghizistan, l’Ouzbékistan et le Tadjikistan],

stigmatisant son inaction. Ces reproches ne sontpas totalement justifiés. En effet, cette institu-tion n’est malheureusement pas l’alliance mili-taro-politique dotée des capacités nécessairesdont la région centrasiatique aurait cruellementbesoin. La Russie n’a pris que très tard (l’annéedernière) des mesures pour rendre cette orga-nisation plus efficace. Mais même si ce méca-nisme avait été aussi au point que l’OTAN, iln’aurait servi à rien dans la situation où s’estretrouvé le Kirghizistan, car son but est d’assu-rer une sécurité collective en cas de menaceextérieure (on pense surtout à l’Afghanistan)[et non en cas de renversement du pouvoir oud’affrontements interethniques].

LE MONDE POSTSOVIÉTIQUE ENTRE DANS UNE ÈRE DANGEREUSE

La Russie aurait pu agir seule, comme laFrance l’a fait en Afrique, surtout durant lapériode 1960-1980. Mais les bases juridiquesqui le permettraient n’existent pas. Paris avaitsigné des traités bilatéraux avec certains Etatsafricains. Des clauses officielles ou secrètes pré-cisaient les conditions et les formes d’interven-tion de la France en cas de besoin. Moscou n’ajamais conclu de pareils accords et, au regard del’enchevêtrement complexe des intérêts dansla région, envoyer des forces de maintien de lapaix au Kirghizistan nécessiterait au minimuml’acceptation tacite des principaux pays voisins,l’Ouzbékistan et le Kazakhstan. A se lancer toutseuls, sans consultations préalables, les militairesrusses risqueraient de se retrouver pris dans uneguerre régionale – pis que dans une guerre civile.Or, en Russie, la tragédie kirghize est traitée avecune grande légèreté par les commentateurs, quin’ont pas hésité à se demander tout de suite s’ilfallait envoyer ou non des troupes russes, sansmême s’arrêter au fait qu’il n’y avait pour celani raison légale, ni logistique en place, ni pou-voir légitime, et que le flou politique régnait.

La valse-hésitation concernant la décisiond’envoyer des troupes est tout à fait compré-hensible. L’ennui est ailleurs. A l’époque sidécriée de Boris Eltsine, la Russie prenait une

dossier

Moscou doit prendre ses responsabilitésC’est le moment ou jamais : le Kremlin doit assumerson rôle de leader régional en créant les outils politiques et diplomatiques qui permettront de sortir le Kirghizistan d’un engrenage fatal.

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▶ ■ Chronologie10 juillet 2005Bakiev est éluprésident avec 89 %des voix. 23 juillet 2009Bakiev est réélu. Le pouvoir seconcentre entre lesmains des prochesdu président, issusdes clans du Sud.6-7 avril 2010 A la suite d’émeutessanglantes(80 morts et des centaines deblessés), l’oppositionrenverse Bakiev et nomme RosaOtounbaeva, l’égériede la “révolutiondes tulipes”, à la tête d’un gouvernementintérimaire.11-15 juin 2010Des affrontementsviolents dans larégion d’Och entreOuzbeks et Kirghizfont plus de 2 000 morts etplusieurs centainesde blessés.100 000 Ouzbeks se réfugient en Ouzbékistan. 27 juin 2010Référendumconstitutionnelprévu pourtransformer lerégime présidentielen régimeparlementaire et confirmer RosaOtounbaeva auposte de présidenteintérimaire jusqu’à l’électionprésidentielle, prévueen octobre 2011.

▶ Enterrement d’une victime des affrontements dans l’enclaveouzbèke d’Och, juin.

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OUZBÉK ISTAN

TADJIKISTAN

CHINE

PAKISTAN

TURKMÉNISTAN

KAZAKHSTAN

AFGHANISTAN

RÉGIONAUTONOMEOUÏGOURE

DU XINJIANG

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Syr-Daria

0 400 km

Valléede Fergana

Vers la merd’Aral

Vers la Russie

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Zone deculture

du coton

Culture du pavot à opium

Naryn

LacIssyk-Koul

Kar-Daria

Zone de culture intensive(irrigation très développéemais inefficace)Barrages existants

Base américaine de ManasBase russe de Kant

Barrages en projet

Exploitation d’hydrocarburesAutres repères :

Routes de la drogue

Repères

plaine de Fergana : ils ont construit des pointsd’appui à l’intérieur du territoire kirghiz ; ilsenvoient des hommes se former aux attaquesterroristes en Afghanistan ; ils ont renforcéleurs liens et leur intégration avec les autresorganisations terroristes d’Asie centrale et dureste du monde. Si jamais la situation au Kir-ghizistan devenait incontrôlable, la “tripleinfluence” [terrorisme, séparatisme ethnique,fondamentalisme] étendrait son emprise et celase traduirait nécessairement par une forte insta-bilité en Asie centrale, qui nuirait à la stabilitédu Xinjiang chinois.

L’endroit où ont éclaté les incidents, la villed’Och, se situe justement dans la vallée de Fer-gana. Cette région, que l’on a surnommée la“poudrière d’Asie centrale”, se trouve à la croi-sée de trois pays : le Kirghizistan, l’Ouzbékistanet le Tadjikistan. Elle est fortement peuplée d’eth-nies multiples aux religions diverses. Outre sonretard économique, elle souffre d’être devenuele lieu de diffusion de la “triple influence”, carelle constitue une sorte de no man’s land, avecun territoire partagé entre les trois pays.

KIRGHIZISTAN LA MENACE

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 15 DU 24 AU 30 JUIN 2010

RESSOURCES Une bataille pour le contrôle de l’eau

Pour mieux comprendre pourquoi Kirghizet Ouzbeks ont soudain éprouvé une

telle haine les uns envers les autres, il fautexaminer la géographie économique dela région. Le fleuve Syr-Daria naît de deuxrivières, le Kar-Daria et le Naryn, qui se rejoi-gnent à l’entrée de la vallée de Fergana.Celle-ci se trouve en Ouzbékistan, commeprès de la moitié du bassin du Syr-Daria,tandis que le Naryn et le Kar-Daria sontles principales rivières du Kirghizistan. Al’époque soviétique, deux séries de bar-rages ont été construites sur ces rivières,ce qui a complètement régulé leur cours.Pour résumer, on peut dire que la vallée

ouzbèke de Fergana reçoit exactement laquantité d’eau que les responsables kir-ghiz veulent bien lâcher dans le Syr-Daria.Et les récoltes en dépendent. Sont concer-nés à la fois les cultures vivrières et leprincipal produit d’exportation de l’Ouz-békistan, le coton.La vallée de Fergana est le grenier de l’Ouzbékistan. Mais ceux qui contrôlent plusieurs interrupteurs sur les centraleshydroélectriques du Kirghizistan peuvent àleur gré provoquer des problèmes écono-miques, voire la famine, en Ouzbékistan.Les rumeurs faisant état de “mercenairesouzbeks” [agissant au Kirghizistan] ne sont

donc pas lancées par hasard. En effet, quelpays accepterait que sa sécurité alimen-taire et économique soit contrôlée par unEtat voisin ? Surtout si ce voisin est éco-nomiquement plus faible et régulièrementen proie à des troubles politiques…Les autorités kazakhes semblent se poserces mêmes questions, bien qu’avec uneacuité moindre. Si le Kazakhstan n’a pasde frontière commune avec le Kirghizistan,deux régions kazakhes se trouvent tout demême sur le bassin du Syr-Daria – la régionSud et celle de Kyzylorda. Le Syr-Dariatraverse également une région tadjike,mais dans ce pays-là le problème de l’eau

ne se pose pas. C’est ainsi que les récentsmassacres d’Och et de Jalalabad peuventaisément être qualifiés de bataille de l’eau.Dans ce contexte, la décision du présidentrusse Dmitri Medvedev de ne pas faire inter-venir son pays, pas même dans le cadrede l’Organisation du traité de sécurité col-lective [OTSC], semble sage. Parce que, sile Kazakhstan et l’Ouzbékistan avaient,sous l’égide de l’OTSC, l’occasion d’en-voyer des militaires dans la zone des affron-tements, ils pourraient être tentés de lais-ser leurs soldats sur place après la fin deleur mission de paix. Pavel Tchouviliaev,

Kommersant (extraits), Moscou

On peut dire que la partie d’échecs entrela Russie et les Etats-Unis au Kirghizistan repré-sente une grande bataille stratégique. Pour laChine, il est hors de question d’assister aux évé-nements les bras croisés. Peu importe que ce soitMoscou ou Washington qui tire parti de la situa-tion, car une chose est sûre : tous deux vont pro-fiter des troubles en Asie centrale pour peser surla stabilité et la sécurité des zones limitropheschinoises, ce qui aura des répercussions sur lasituation politique en Chine même. L’enjeu estla supériorité stratégique de la Chine. D’autrepart, cette agitation peut favoriser l’émergencede groupes séparatistes et terroristes dans lesrégions frontalières chinoises.

En 2005, l’ancien président kirghiz, Kour-manbek Bakiev, aurait invité la Chine à faire sta-tionner des troupes à l’intérieur du Kirghizistandans l’intention de contrecarrer les influencesaméricaines et russes, mais, finalement, de sourceofficielle chinoise, on a déclaré que le station-nement de troupes à l’étranger ou l’installationde bases militaires devaient faire l’objet d’uneréflexion approfondie, et cette réflexion se pour-suit toujours ! Face aux événements actuels, laChine s’est contentée d’affréter des avions pourramener sur son territoire ses ressortissants, cequi est loin d’être suffisant. Elle doit créer danscette région une zone tampon pour stopper lefeu qui brûle aux portes de son territoire.

Alors que le couteau de l’adversaire est pointésur sa poitrine, la Chine ne doit surtout pas offrirson dos aux attaques. Si la situation continue dese dégrader au Kirghizistan, elle devra procéderaux préparatifs militaires nécessaires.

Il y a deux enseignements à tirer : le premierconcerne le plan intérieur. Ce n’est qu’en ins-taurant un régime politique stable et durable, encomblant le fossé entre pauvres et riches et enremédiant aux dissensions ethniques que l’ongarantit la paix intérieure sur le long terme. Lavraie stabilité politique n’est pas acquise par larépression, mais trouve sa source dans la recon-naissance par le peuple de la légitimité du pouvoir.

Deuxième enseignement : pour éviter quel’agitation et les effets négatifs de la rivalité russo-américaine ne se propagent jusqu’en Chine, pourtransformer sa diplomatie passive en une diplo-matie active, il est nécessaire de favoriser la muta-tion de l’Organisation de coopération de Shanghaiet de faire régner la sécurité et la stabilité dansses régions périphériques. La Chine doit avoirune vision claire de ses intérêts stratégiques. ■

Inquiétudes pour le XinjiangPékin reste très discret. Mais, sur des sites spécialisésdans les affaires militaires, on évoque ouvertement un risque de déstabilisation régionale.

SINA.COM (extraits)Pékin

Les troubles au Kirghizistan donnent lieu àune nouvelle partie d’échecs entre la Rus-sie et les Etats-Unis. Cependant, les deuxcamps ne sont pas passés à l’action immé-diatement et attendent le moment oppor-tun et les conditions adéquates pour s’im-

miscer dans cette affaire et marquer des points.Dans le même temps, la Chine, qui est le voi-sin immédiat du Kirghizistan, doit pour sa partprendre sans tarder des mesures efficaces pourempêcher que les troubles ne perturbent la sta-bilité du Xinjiang voisin.

Comme chacun sait, les “activistes du Turk-ménistan oriental” [nom donné par les auto-rités chinoises à la mouvance indépendantisteouïgoure du Xinjiang] sont assez actifs dans la

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POLITYKA (extraits)Varsovie

Il y a trois vainqueurs à l’issuedu premier tour de scrutin [du20 juin] : Bronislaw Komo-rowski, candidat de la Plate-

Forme civique [droite libérale, au pou-voir] a des raisons d’être satisfait : ilest arrivé en tête [avec 41,54 % dessuffrages]. Le scénario noir, avec unJaroslaw Kaczynski faisant mieux quelui, ne s’est pas réalisé [36,46 %], pasplus que le rêve de victoire au pre-mier tour [annoncée par le quotidienGazeta Wyborcza].

Kaczynski a des raisons de jubiler.Il a obtenu beaucoup plus de voix queson frère jumeau n’aurait pu en espé-rer [la cote de popularité du présidentde la République disparu dans l’acci-dent d’avion du 10 avril 2010 était, jus-qu’à la veille de son décès, au plus bas].Jaroslaw Kaczynski a ainsi renforcésa position de chef du principal partid’opposition. Bien que ses chances dedevenir président soient minimes, celareste à ce jour théoriquement possible.Avec ce score, il s’est d’ores et déjà ins-crit en bonne place pour les prochaineslégislatives [qui doivent se tenir avantmi-2011, quand la Pologne prendra laprésidence de l’UE].

Mais c’est Grzegorz Napieralski[13,7 %], candidat de l’Alliance démo-cratique – les anciens communistes –qui a le plus de raisons d’être heureux.Je dois lui rendre hommage, car j’avaisestimé que sa candidature était un“suicide de la gauche”. Son résultat estbon, vu la situation actuelle de lagauche et bien que certains respon-sables politiques de gauche plus âgéscomme l’ex-président Aleksander

bilité d’en finir avec le catéchismeenseigné à l’école publique aux fraisdu contribuable, les droits des mino-rités… La gauche polonaise a désor-mais un nouveau leader.

Le bon résultat de Napieralski aimmédiatement attiré les convoitisesdes K & K [Komorowski et Kac-zynski]. Son image, dans les journauxde droite, avait déjà commencé à chan-ger au fur et à mesure qu’il grimpaitdans les sondages. Si la cour faiteaujourd’hui à Napieralski sonne faux,elle est particulièrement hypocrite dela part de Jaroslaw Kaczynski, qui affir-mait encore, il y a peu, que le plus

grand danger venait des postcommu-nistes. Les douceurs à l’adresse deNapieralski ne resteront pas sansconséquences ; son électorat est unmorceau enviable pour K & K. Resteà savoir contre quoi et avec qui Napie-ralski va négocier son soutien ausecond tour. S’il ne dit rien, la majo-rité de ses électeurs vont de toute façonvoter pour Komorowski. Il vaut mieuxque la Plate-Forme ouvre dès à pré-sent les négociations avec la SLD pours’assurer une future coalition aux légis-latives de 2011.

La campagne a confirmé queKomorowski possédait les qualifica-tions pour devenir président ; ses qua-lités – parcours d’ancien opposant,courage, constance des opinions, pru-dence, modération, prévisibilité – entémoignent. Mais il a été un candidattrès quelconque, un peu maladroit,et sa campagne, sans imagination. Toutle contraire de Kaczynski, qui n’aaucune qualité pour faire un président,mais qui a mené une campagne habile.

Daniel Passent

europe ●

POLOGNE

Présidentielle : la surprise vient de la gaucheLes voix obtenues par le social-démocrate Grzegorz Napieralski, arrivé en troisième position au premier tour,seront déterminantes pour départager les deux candidats de droite le 4 juillet, estime un hebdomadaire de gauche.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 16 DU 24 AU 30 JUIN 2010

Kwasniewski ou l’ex-Premier ministreWlodzimierz Cimoszewicz aientsoutenu Komorowski.

Grzegorz Napieralski [36 ans]offre une alternative crédible par rap-port aux politiciens de la générationprécédente [Komorowski a 56 ans,Kaczynski 61] et aux deux principauxcandidats de la droite et, de plus, ilavoue certaines opinions de gauche.Au début de la campagne, il secontentait de répéter qu’un change-ment de système de gouvernance étaitnécessaire. Mais, sous la pression deson électorat, il a osé aborder la sépa-ration de l’Eglise de l’Etat, la possi-

EX-YOUGOSLAVIE

Les carnets de Mladic : voyage au cœur de l’infamieLe journal de bord du général fugitif jette une lumière crue sur le cynisme de leur auteur, mais aussi de toute la clique politique et militaire qui a mis à feu et à sang l’ex-Yougoslavie.

VREME (extraits)Belgrade

Ratko Mladic a beau avoir disparu dela surface de la terre, il n’a jamaisété aussi présent dans les médias de

l’ex-Yougoslavie que depuis que, fin mai, leTribunal pénal international, à La Haye,s’est déclaré en possession des carnets dugénéral fugitif. Les journaux de Serbie, deBosnie et de Croatie ont ainsi publié unemultitude de détails piquants sur leur auteur,mais aussi sur Milosevic, sur Stanisic [sonchef des services secrets], sur Boban, le diri-geant de l’Herceg-Bosna [de 1991 à 1994,république autoproclamée des Croates

de BosnieHerzégovine] et les autres pro-tagonistes des guerres dans l’ex-Yougosla-vie. Les notes de Mladic jettent une lumièredésastreuse sur leur auteur, de même quesur la grande majorité des dirigeants poli-tiques et militaires serbes et croates desannées 1990, révélant à quel point ceux quidécidaient à cette époque de la vie et de lamort de centaines de milliers des gensétaient avides, cyniques et corrompus.

Les officiers yougoslaves étaient jadisformés à rédiger des notes sur leurs acti-vités. Produit typique de l’armée popu-laire yougoslave (JNA), Mladic obéissait àcette règle et notait tout, avec beaucoupd’assiduité, en caractères cyrilliques, dans

des carnets de couleur marron. En 2008,lors d’une première perquisition de sondomicile belgradois, où habite toujoursson épouse, on en retrouva deux, couvrantla période de janvier à avril 1993. Ils necontenaient r ien de significatif . Le23 février dernier, la police serbe a denouveau perquisitionné chez les Mladic,fouillant particulièrement le grenier. Lesrecherches ont été plus fructueuses : dansune cache spécialement aménagée, les poli-ciers ont retrouvé dix-huit carnets, des PVde réunions du Conseil suprême de ladéfense, ainsi que cent vingt enregistre-ments vidéo et audio. Sur quelque3 500 pages, les carnets couvrent la

période du 29 juin 1991 au 28 novembre1996. Avec les deux cahiers retrouvésen 2008, le TPIY ainsi que les historiensdisposent désormais d’un témoignage ines-timable sur les guerres d’ex-Yougoslavie.Avec quelques lacunes néanmoins, et pasn’importe lesquelles : rien sur la périodedu 28 janvier au 14 juillet 1995, parexemple. Ce qui est bien dommage, carc’est au cours de cette période qu’a étéplanifiée et réalisée l’offensive contreSrebrenica qui a coûté la vie à quelque8 000 Musulmans de cette ville, la plupartayant été exterminés entre le 6 et 10 juillet.En revanche, le cahier relatif à la deuxièmepartie du mois de juillet 1995 (suite p.18) ▶

À LA UNE Gauche à prendre“La guerre d’en bas. Qui bouf-fera qui ?” Avant même le scru-tin, l’hebdomadaire Przekroj pré-voyait une campagne agressivedes principaux candidats dedroite, Bronislaw Komorowskiet Jaroslaw Kaczynski. Reste àsavoir lequel des deux aura lafaveur des électeurs du social-démocrate Grzegorz Napieralski,qui a engrangé 14 %.

◀ Dessin de HannaPyrzinska paru dans GazetaWyborcza,Varsovie.

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contient des notes surles conversations de Mladic avec lesenvoyés internationaux au sujet dudestin des victimes de Srebrenica. Lebureau du procureur du TPIY a déjàversé ces preuves à charge au dossierde Radovan Karadzic.

Le tribunal compte aussi utiliserles informations contenues dans cescarnets dans les procès contre lesSerbes Stanisic et Simatovic [patrond’une unité spéciale au ministère del’Intérieur sous Milosevic]. Rendantcompte d’une réunion chez Milose-vic à Belgrade, Mladic donne desdétails quant à la participation desunités paramilitaires – celles d’Arkan,Srpska Dobrovoljacka Garda et Scor-pions – dans des opérations en Croa-tie et en Bosnie, sur ordre de Stanisicet de Simatovic. Or, jusqu’à présent,les avocats des deux accusés s’em-ployaient à prouver que leurs clientsn’avaient pas eu d’autorité sur ces uni-tés paramilitaires, connues pour avoircommis les crimes les plus atrocespendant la guerre en Bosnie.

Dans ses carnets, Mladic relateaussi ses échanges avec des repré-sentants politiques et militaires desCroates de Bosnie, pourtant ennemisdes Serbes. On y apprend qu’ils selivraient sans aucun scrupule au com-merce du pétrole et à des échangesde territoires sur le dos des Musul-mans. On y découvre qu’en 1993, parexemple, Mladic a reçu du budgetde l’Etat croate (qui finançait lesCroates de Bosnie) 1 million demarks plus deux citernes de gazoleen échange de divers “services”. Unautre versement, de l’ordre de 8 mil-lions de marks, avait également étéprévu. Les services dont il est ques-tion ici concernent un coup de main

militaire donné aux forces croates quicombattaient également les Musul-mans sur le terrain. Ce qui n’empê-chait pas l’armée de Mladic de bom-barder à certaines occasions lespositions croates pour le compte desMusulmans…

Mladic note aussi que le généralcroate Slobodan Praljak, connu pours’être vanté d’avoir détruit le pont de

Dans les carnets, on trouve aussides épisodes quasi surréalistes, notam-ment celui de la visite à une certaineRada, voyante, que Mladic était alléconsulter après le suicide de sa fille. Lavoyante alimente sa paranoïa en affir-mant que sa fille a été torturée et tuée.Elle glose aussi sur “un homme chauvequi lui veut du mal”, sur “les étoiles quile protègent”, etc. Mladic note tout avecune grande application. En lisant cespassages, on se prendrait presque depitié pour le personnage.

Il ne faut toutefois pas s’attendreà ce que le Tribunal manifeste un telsentiment à l’égard de Mladic. Cescarnets viennent à point nomméparce qu’ils confirment l’existenced’une “entreprise criminelle organisée”qui implique Stanisic, Simatovic,Seselj [leader ultranationaliste et chefd’unités paramilitaires] et Perisic [ex-chef d’état-major de l’armée yougo-slave], ainsi que Milosevic. Les car-nets attestent clairement que, malgréle chaos apparent, il y avait coordi-nation constante entre ces principauxacteurs politiques, militaires et para-militaires dans le but de perpétrertous ces crimes contre les civils(meurtres, déportations, pillages…).Le fait que les membres de cetteclique se chamaillaient de temps entemps et n’avaient pas une très hauteopinion les uns des autres (Milosevicqualifie Karadzic de “docteur fou”,tandis que, pour Perisic, Stanisic etSimatovic sont des “mafieux”) nechange pas grand-chose. Force est dese demander comment on a pu per-mettre à une aussi funeste galerie depersonnages de décider de nos vieset de nos destins pendant toute unedécennie.

Dejan Anastasijevic

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 18 DU 24 AU 30 JUIN 2010

Mostar, voulait recréer dans les fron-tières de la Banovina de 1938 [quienglobait la majeure partie de la Bos-nie-Herzégovine] une Grande Croa-tie ethniquement pure et demandaità Mladic d’expulser les Croates de Voï-vodine en Serbie, afin de pouvoir lesinstaller en Bosnie centrale. Ces pas-sages, qui infirment la version officielledu rôle de Zagreb dans la guerre enBosnie et dévoilent à quel point lesdirigeants de l’époque furent cyniqueset opportunistes, agissant parfoiscontre les intérêts de leur proprepeuple, ont provoqué un choc dansl’opinion croate.

MLADIC NOTE TOUT AVEC UNE GRANDE APPLICATION

Une chose saute aux yeux à la lec-ture de ces documents : l’apparitionde signes de troubles psychiques chezMladic au fur et à mesure que ladéfaite approche. En témoignent lesentretiens avec le général français Ber-trand de la Presle, envoyé personnelde Jacques Chirac venu négocier lalibération des deux pilotes françaiscapturés par les forces serbes de Bos-nie. Mladic exigeait que le chef d’état-major de l’armée française vienne enpersonne et que Chirac présentepubliquement ses excuses pour la par-ticipation de la France dans la guerrecontre la Serbie. En 1994, au momentoù le Groupe de contact offrait unplan de paix bien plus avantageuxpour les Serbes que celui de Dayton(à cette époque, il était plus qu’évi-dent que les Serbes ne pouvaient pastenir un front de 1 200 kilomètres lon-geant la frontière entre la Croatie etla Bosnie), Mladic écrivait dans sonjournal en lettres capitales : “Refuserle plan, gagner la guerre”.

JUSTICE INTERNATIONALE

Des conditions de détention royales et un verdict incertainUn quotidien de Belgrade s’interroge sur le traitement des détenus par la Cour pénale internationale de La Haye.

DANAS (extraits)Belgrade

Par rapport à l’époque qui a suivi laSeconde Guerre mondiale, quandles criminels de guerre nazis atten-

daient le verdict entre les murs sombresde la prison de Nuremberg, les conditionsde détention des personnes jugées par laCour pénale internationale (CPI) ontconsidérablement changé. Derrière l’en-ceinte de la prison de La Haye se cache uncomplexe d’immeubles qui hébergent desressortissants du Congo, des dirigeants del’ex-Yougoslavie et l’ancien président duLiberia. Ils sont détenus dans deux centrespénitentiaires aux allures de campus uni-versitaires. Chaque cellule dispose d’unebibliothèque, d’une télévision et d’un ordi-nateur. Trois personnes accusées d’enri-chissement illicite pendant les guerres you-goslaves et dont le procès est en coursdevant le Tribunal pénal international pourl’ex-Yougoslavie (TPIY) reçoivent une aidede 43 000 dollars [environ 35 000 euros]par mois. Le tribunal a estimé qu’ilsn’avaient pas les revenus nécessaires pourse défendre, malgré une fortune person-nelle considérable (investissements,

épargne, objets de valeur, voitures de luxe,propriétés…).

Dans l’un de ses centres de détention,la CPI loge cinq détenus dans douze cel-lules. Charles Taylor (62 ans), l’ancien pré-sident du Liberia, a par exemple droit àdeux cellules : l’une où il vit et l’autre oùil travaille et range ses documents. Il par-tage une salle de gym avec trente-six autresdétenus, y compris l’ancien chef politiquedes Serbes de Bosnie, Radovan Karadzic,logé dans un autre centre pénitentiaire.Karadzic est actuellement jugé devant leTPIY pour des crimes de guerre commisen Bosnie. Grâce aux visites de leurépouse, plusieurs détenus, dont le généralserbe Nebojsa Pavkovic et Charles Taylor,ont eu des enfants pendant qu’ils étaienten détention. Pour que l’épouse de Tho-mas Lubanga Dyilo, le chef des rebellesde RDC, ainsi que ses cinq enfants puis-sent venir lui rendre visite, la Cour a dûdébourser 16 000 dollars pour les frais devoyage de Kinshasa à La Haye – plus lalocation de deux chambres d’hôtel pen-dant quinze jours, l’assurance, les frais devisa et de passeport… Les employés de laCour sont aussi chargés de pourvoir auxvêtements d’hiver et aux services d’une

nounou pour garder les enfants lors dela visite des femmes à leur époux détenu.

Ces frais ont déjà été l’objet d’unepolémique entre les pays qui font des donsà la CPI. Les experts soulignent que celle-ci doit donner l’exemple et réserver un trai-tement humain et civilisé à ses détenus, encontraste avec la nature abjecte des crimesqu’ils ont commis. Mais n’y a-t-il pas uneligne rouge quant au confort qui leur estréservé ? Certains pays, dont la Franceet l’Italie, considèrent que les Etats finan-çant la CPI et ses tribunaux temporairesne doivent pas prendre en charge des fraisqu’ils ne couvrent pas dans leurs prisonsnationales. Pourtant, les frais de visite nereprésentent qu’une infime partie du bud-get de la CPI, 102 millions d’euros étantconsacrés tous les ans au paiement et aulogement de ses fonctionnaires.

Ces procès chers qui peinent à trou-ver une issue sont un sérieux problème pourl’image de la justice internationale. Leconfort dont bénéficient les détenus n’a étésans doute que la goutte qui a fait débor-der le vase. Certains détracteurs ont mêmecomparé cette prison à une sorte d’“hôtelHilton”, en se demandant si cela valait lecoup d’investir autant d’argent dans cette

justice longue et à l’issue incertaine. Ils sou-lignent qu’aucun procès n’a été mené à sonterme depuis que la CPI existe. Les défen-seurs de la CPI considèrent que le cas desfrais de visite de la famille de Dyilo est sortide son contexte. “La Cour est encore jeune, etla polémique au sujet des frais de voyage neconcerne qu’un cas. On a gonflé l’affaire”, acommenté Cecilia Nilsson Kleffner, à la têtede la Coalition pour la CPI, qui regroupeprès de 2 500 ONG internationales. ■

CONTEXTE La CPI

La Cour pénale internationale est unejuridiction internationale permanente

qui a été créée en 2002 ; elle est ins-tallée à La Haye. Elle peut exercer sacompétence à l’égard des crimes les pluslourds, tels que le génocide, les crimesde guerre et contre l’humanité, et cha-peaute aussi l’activité des tribunaux inter-nationaux temporaires : pour le Rwanda(TPIR, qui siège à Arusha, en Tanzanie),l’ex-Yougoslavie (TPYI, qui siège à LaHaye), la Sierra Leone et le Liban.

▲ Dessin d’EulogiaMerle paru dans El País,Madrid.

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BELGIQUE

Elio Di Rupo : thèse et antithèseIl est connu pour ses origines italiennes, sa sveltesse et ses nœuds papillon. Celui qui pourrait devenir Premierministre apparaît comme l’exact opposé de l’indépendantiste flamand De Wever. Ils doivent pourtant s’entendre.

DE STANDAARDBruxelles

Le 16, rue de la Loi [siège duPremier ministre belge] estprobablement prédestiné àêtre occupé par un socialiste

d’origine italienne, svelte, ayant connul’extrême pauvreté pendant sa jeunesseet qui a pour héros Gandhi. Cela nouspromet un bel été avec son homologuenationaliste flamand de la N-VA [Nou-velle Alliance flamande], Bart DeWever, qui est exactement à l’opposé.Un lien personnel très fort entre desadversaires politiques n’est pas unegarantie pour trouver un accord, maiscela peut parfois aider. S’ils veulentconstruire une telle relation, Bart DeWever et Elio Di Rupo ont du pain surla planche : ils ne se connaissent pasbien et ne partagent pas les mêmespassions. Leurs origines modestes sontleur seul point commun : Di Rupo estfils de mineur ; le père de De Wever tra-vaillait dans la société des chemins defer.

C’est presque par hasard que lepère de Di Rupo s’installe en Wallonie,en 1946 : il aurait très bien pu trouverdu travail dans les villes minières fla-mandes de Hasselt ou de Genk etéchapper ainsi à la misère économiquede l’Italie d’après-guerre. Cinq ans plustard naît le septième et dernier enfantde la famille Di Rupo : Elio. L’annéesuivante, Di Rupo père meurt dans unaccident de la route en 1952 ; lafamille, qui n’était pas bien riche,devient réellement pauvre ; elle ne sur-vit qu’avec une petite allocation.

Malgré tout, Elio Di Rupo a euune enfance assez heureuse. Dans sonbureau figurent deux portraits : celuide son père et celui de sa mère. Elioavait une relation très forte avec elle ;contrairement à ses trois frères aînés,il n’a pas vécu à l’orphelinat après lamort du père.

Des années plus tard, au début deses études secondaires, Di Rupo junior

restait encore très affecté par le décèsde son père, au point de redoubler uneclasse à deux reprises. Il opte ensuitepour une formation technique ; c’estun professeur de chimie qui voit en luiun garçon prometteur et l’incite àpoursuivre des études. “C’était la pre-mière fois que quelqu’un me disait ce genrede chose”, se rappelle Di Rupo. Il se metalors à étudier dur et obtient un doc-torat en chimie avec la plus haute dis-tinction. Bart De Wever a égalementeu un long parcours universitaire – ila mené des recherches sur la forma-tion des partis nationalistes flamandsaprès la Seconde Guerre mon-diale. Mais Di Rupo a très peu d’af-finités avec ce sujet ; son lien avec laBelgique n’est pas seulement politiqueou rationnel, mais aussi émotionnel :sa mère est toujours restée reconnais-sante envers l’Etat belge, qui a aidéla famille après la catastrophe de 1952.En tant que fils d’immigré, il a peud’affinités avec le nationalisme.

Etudiant, Di Rupo a été actif dansles mouvements de jeunesses socialisteset il dit avoir commencé à lire Marx etBakounine à cette époque. Il men-tionne aussi Gandhi comme l’un deses plus grands héros. Le spectre idéo-logique de Bart De Wever – fan de JulesCésar et de Theodore Dalrymple* – se

situe ailleurs. De Wever est un ferventcatholique, le président du PS a rompuavec le catholicisme au cours de sesétudes pour devenir membre d’uneloge maçonnique. Di Rupo boit de l’al-cool en de rares occasions, et généra-lement pas de la bière ; De Wever par-tage régulièrement un demi avec sescollaborateurs. Di Rupo fréquente leclub de gym trois fois par semaine.Pour maintenir sa ligne, il préfère man-ger dans des restaurants huppés. BartDe Wever n’hésite jamais à satisfaireune petite faim en s’arrêtant à la frite-rie du coin. Di Rupo aime le design etla culture avec un grand C. Et il esttout sauf un macho, à la différence duprésident de la N-VA, grand amateurde plaisanteries grossières.

L’HOMO ET LE MACHO, LE MINCEET LE ROND

Le style politique du président du PSest également très différent de celuide son homologue de la N-VA. Qui-conque se rend à une conférence depresse au siège du PS en sort avecl’impression d’être allé à l’Elysée : lestyle est présidentiel. Le président estaimable, il fait des clins d’œil à tout-va, mais il est aussi bien protégé.Contrairement à celui de Bart DeWever, le numéro de portable d’Elio

Di Rupo n’est pas très répandu parmiles usagers de la rue de la Loi. Dansles années 1990, Di Rupo estime quel’image d’apparatchik de gauche esttrop simple : il infléchit sa politique.Ses collègues du gouvernementDehaene vantent encore la façon habiledont il a réussi à faire passer la priva-tisation de la société publique de télé-communications en parlant de “conso-lidation stratégique”. C’est aussiquelqu’un qui tient bon, surtoutlorsque le vent est fort. En 1996, DiRupo a été accusé à tort de pédophi-lie et, malgré la tempête médiatique, ilest resté debout. Herman Van Rom-puy (actuel président du Conseil euro-péen) manifestait encore le plus grandrespect et de l’empathie pour le sang-froid du président du PS à cetteépoque. Di Rupo est capable, si néces-saire, de comprendre la logique de sonadversaire. “Un homme politique doitsavoir qu’il ne peut jamais humilier unautre démocrate”, a-t-il déclaré il y aquelques années. Puissent Bart DeWever et par extension la Belgique faireusage de cette maxime à leur avantage.

Ruud Goossens

* Cet essayiste britannique écrit dans denombreux journaux et est un farouchecritique du multiculturalisme, qui, dit-il,conduit l’Europe à sa perte.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 20 DU 24 AU 30 JUIN 2010

europe

VU D’AILLEURS Cet Italien qui déteste l’ItalieUn journal de droite brosse unportrait peu amène du présidentdes socialistes wallons.

Le destin de la Belgique setrouve entre les mains d’Elio Di

Rupo, cet homme dont la familleest originaire des Abruzzes, qui nesort jamais sans son nœud papillonrouge, homosexuel orgueilleux,archétype du méridional pauvre enquête de revanche, peu ouvert auxcompromis et néanmoins contraintà dialoguer avec le colérique séces-sionniste flamand Bart De Wever.Ce Belge de 58 ans n’est pashomme à serrer des mains à tout-

va. Il ne se salit pas. Surtout quandil est convaincu, souvent à tort,d’être en présence d’un fascisteréactionnaire. Quand, en 1994, ilrencontra Giuseppe Tatarella, quiavait jadis appartenu au Mouve-ment social italien (MSI, parti d’ex-trême droite), il détourna la tête.“Je ne dis pas bonjour aux fas-cistes”, déclara-t-il. Et c’est en vainque l’on tenta de lui expliquer qu’ilne s’agissait pas d’un forcené enchemise noire.En janvier 2002, sur le bureau dumaire de San Giovanni Rotondo[dans les Pouilles], arriva une lettredu maire de Frameries (commune

wallonne) qui annulait le pacte dejumelage − fixé depuis longtemps −avec la commune des Pouilles.Motif ? La présence de membresde l’Alliance nationale [néofasciste]au conseil municipal de San Gio-vanni Rotondo et “le scandale” pro-voqué dans les hautes sphèresbelges par les propos tenus par Sil-vio Berlusconi sur la supériorité del’Occident par rapport à l’Islam. Oril semblerait que l’ordre de toutarrêter soit venu de Di Rupo lui-même. Sous sa casquette de pré-sident des socialistes belges, il seserait montré catégorique avec lemaire de Frameries, un compagnon

de parti : “Pas de jumelage avec lesItaliens, annule tout.”Cette antipathie vis-à-vis de ses ori-gines est difficile à expliquer. DiRupo doit sa réussite à la seuleforce de sa volonté, comme tantd’autres issus de l’immigration ita-lienne. Sa mère, veuve prématuré-ment, dut travailler pour deux. Ellepermit à son fils de faire des étudeset il se fit une place dans la poli-tique belge la tête haute, sans dis-simuler ni son identité, ni son orien-tation sexuelle, ni ses origines.Cependant, cet homme au sourirepoli ne s’est jamais départi desa rage idéologique. Voilà donc

l’homme chargé d’insuffler unevision commune au sud et au nordde la Belgique. Le Nord prospèrequi rêve de sécession et tient surla place publique les mêmes dis-cours qu’Umberto Bossi [dirigeantde la Ligue du Nord] ; et le Suddémuni qui s’accroche aux alloca-tions. Il y a beaucoup d’Italie danscette Belgique en quête d’avenir.Et Monsieur Nœud papillon, socia-liste de la vieille école, montre sadétermination quand il affirme : “Lesfrancophones seront capables derépliquer si la Flandre opte un jourpour l’indépendance.” Manila Alfano

Il Giornale (extraits), Milan

▲ Dessin de CécileBertrand paru dans La LibreBelgique,Bruxelles.

■ InformateurLe roi des Belges a nommé Bart De Wever, présidentdu parti nationalisteflamand N-VA,“informateur”suite aux élections du 13 juin. Celui-cidoit officiellementrapprocher lespositions desdifférents partis etaider le roi à choisirun Premier ministre.La N-VA et le Partisocialiste wallondevraient mener des pourparlers en vue de former un gouvernement de coalition ; et ElioDi Rupo devenir– en principe –Premier ministre.

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ÉTATS-UNIS

Obama mène les grandes entreprises à la baguetteLes pressions exercées sur le géant pétrolier BP sont une nouvelle illustration de la volonté de la Maison-Blanche d’intervenir dans le monde des affaires.

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Il y a d’abord eu General Motors,dont le directeur général a étépoussé vers la porte par la Mai-son-Blanche peu de temps avant

que le gouvernement ne devienne leprincipal actionnaire du constructeurautomobile. Puis Chrysler, qui a étéforcé de fusionner. Les salaires descadres des banques qui ont reçu uneaide du gouvernement ont ensuite étébridés, et les compagnies d’assurancesqui cherchaient à augmenter lesprimes ont été si violemment criti-quées qu’elles ont dû faire machinearrière. Mais le geste qu’a fait BarackObama le 16 juin, en forçant le géantpétrolier BP à créer un fonds de com-pensation de 20 milliards de dollars[16,3 milliards d’euros] que le groupen’aura pas le choix de distribuer,constitue peut-être le meilleur exemplede ce que le président a récemmentappelé sa détermination à interveniret à faire “ce que les individus ne peu-vent pas faire et ce que les entreprises neveulent pas faire”.

En exerçant ouvertement despressions sur des entreprises privées,le président a rouvert le débat sur lepouvoir du gouvernement fédéral, ceque d’aucuns dénoncent comme uninterventionnisme excessif. Il s’agitlà d’un débat qui a dominé les dix-huit premiers mois de Barack Obamaà la Maison-Blanche et dont celui-ci espère clairement faire une questioncentrale aux élections législatives demi-mandat, en novembre prochain.Pour le chef de l’Etat, ces interventionsont pour objectif de rétablir l’équilibreaprès vingt années durant lesquellesles multinationales ont parfois agicomme des mini-Etats, en dehors ducontrôle du gouvernement, pousséespar leur foi dans les marchés et, commel’a souligné le président Obama, ont“enfreint la réglementation et mandatédes individus qui sont déjà dans l’indus-trie pour superviser leur propre secteur”.

Pour Barack Obama, la présidenceest bien plus qu’une simple tribune. Ilse présente lui-même comme la der-nière ligne de défense contre les excèsdu marché. “Auparavant, l’Amériquedes grandes entreprises n’était pas seule-ment assise à la table ; la table et les chaiseslui appartenaient”, rappelle le chef decabinet de la Maison-Blanche, RahmEmanuel. “Obama ne souhaite pas laconfrontation, mais il n’hésitera pas à agirsi certains secteurs résistent à l’idée qu’ilexiste d’autres manières de faire.” Dansle même temps, comme l’ont faitremarquer les critiques venant de lagauche, le président ignore les appelsen faveur d’une réglementation plusstricte des établissements bancaires,espérant ainsi obtenir un minimumde soutien de la part du monde des

affaires – et réfuter l’idée selon laquelleil a déclaré la guerre au capitalisme àl’américaine.

Le président des Etats-Unis a jus-tifié chacune de ses confrontations avecles grandes entreprises. D’après lui,General Motors n’était plus assez com-pétitive, et son effondrement imminentmenaçait les emplois de millions detravailleurs. La seule façon de mettrele groupe à l’abri de ses pires instinctsétait d’en devenir temporairement pro-priétaire et d’apporter du sang neufà son conseil d’administration. Lescadres de Wall Street, qui ont eu besoinde l’aide du gouvernement mais esti-maient toujours que leurs servicesvalaient plusieurs millions de dollarspar an, ont été décrits par le présidentcomme faisant partie d’une classe pri-vilégiée sans scrupule. Enfin, Wellpoint,le géant des assurances, a été fustigépour avoir tenté de contourner la nou-velle législation en matière d’assurance-santé en prenant des mesures quiseront bientôt interdites par la loi.

LE PRÉSIDENT ET SES CONSEILLERSAVANCENT EN TERRAIN MINÉ

Dans le contexte actuel, le fait d’im-poser à BP la création d’un fonds de20 milliards de dollars – avant mêmeque les inévitables poursuites judiciairesne soient engagées – peut sembler unedécision facile à prendre. BarackObama n’a certes pu s’appuyer suraucun fondement juridique, mais il aconclu qu’il n’en avait pas besoin.“Après tout, il possède un pouvoir qued’autres présidents ont utilisé eux aussi :la persuasion morale”, souligne RahmEmanuel. Reste à savoir si les effetscumulatifs de ces mesures donnerontl’impression, à long terme, qu’il pour-

rait être plus difficile de persuader lesentreprises américaines et étrangèresde collaborer avec Obama et d’inves-tir pour donner un nouveau souffle àl’économie américaine. “Il est dans uneposition très délicate”, estime Jeffrey Gar-ten, professeur de commerce interna-tional à la Yale School of Management.“Il court le risque de susciter une certaineméfiance envers toutes les grandes entre-prises. Mais ce sont d’elles que dépendentles investissements et les innovations néces-saires à la reprise.”

Le président et ses conseillerssavent qu’ils avancent en terrain miné.Barack Obama a réagi aux critiques enexpliquant que, chaque fois que lesentreprises américaines ont prédit quel’intervention du gouvernement allaitconduire à la ruine, le capitalisme àl’américaine a survécu.

Et il a raison. Mais, tout comme lesort du président dépendait, en 2009,du redressement de General Motors,il dépend cette année de sa capacitéà démontrer que sa réforme de la santéréduit les coûts pour les consomma-teurs et permet d’économiser l’argentdes contribuables. Et il dépendra, aucours des deux prochaines années, desa capacité à prouver qu’il a su col-mater la fuite de pétrole dans le golfedu Mexique et ouvrir le robinet del’aide pour indemniser les victimes dela marée noire en utilisant l’argentde BP. En cours de route, il devra évi-ter de présenter les choses de tellefaçon que les investisseurs américainset étrangers ne considèrent pas lesEtats-Unis comme un endroit trop ris-qué pour investir, un pays où leserreurs peuvent mener à la déconsi-dération et parfois même à la faillite.

David E. Sanger

amériques ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 21 DU 24 AU 30 JUIN 2010

COLOMBIE

La peur du changement

Une chose est sûre, avec l’élec-tion de Juan Manuel Santos[avec 69,2 % des voix, contre

29,1 % à son adversaire AntanasMockus et 56 % d’abstentions] à laprésidence de la Colombie, la petitecoterie des familles aristocratiques, maî-tresses des terres et de l’argent, revientau pouvoir [les Santos représententl’une des familles les plus riches et puis-santes du pays], après un interrègne dehuit ans confié à un “propriétaire ter-rien d’Antioquia” sans lignage aris-tocratique, Alvaro Uribe, mais qui futcependant le fidèle interprète de leursdésirs. En Colombie, le pouvoir a tou-jours été exercé par une poignée defamilles, à de rares exceptions près,dont celle du président sortant et cellede Belisario Betancourt, lui aussi “pay-san paisa” [du département d’Antio-quia], au pouvoir de 1982 à 1986, etdont la présidence a pris fin à la suited’un quasi-coup d’Etat militaire.

Beaucoup avaient imaginé avant lepremier tour que la “vague verte” del’ex-maire de Bogotá Antanas Mockus[voir CI n° 1021, du 27 mai 2010] seraitsynonyme d’un profond changementet que la Colombie s’acheminerait versune période de transition sous la ban-nière de l’honnêteté et de la transpa-rence. Mais des millions de Colom-biens ont préféré ne pas “sauter dansle vide” (pour reprendre la mise engarde des partisans de Santos) et seréfugier dans les eaux paisibles de lacontinuité. Pour la moitié des électeursdu pays, ce qui a davantage compté,ce sont les “réussites” de la politiquede “sécurité démocratique” dans lalutte contre les FARC et la réalitéincontestable que les villes colom-biennes sont devenues plus sûres grâceaux coups portés aux rebelles.

La politique de Santos “consisteà maintenir le cap pris par la Colombie,qui, selon lui, représente la bonne direc-tion. A renforcer ce qui existe déjà ou,comme il le dit lui-même, à continuerd’avancer là où Uribe a déjà avancé– dans la régression, donc, à tous leségards. Santos est d’extrême droite surle plan militaire, conservateur sur les ques-tions sociales, néolibéral dans le domaineéconomique. Il croit en la poursuite dela guerre à mort vers une impossible vic-toire militaire, prêt à gonfler le budget mili-taire jusqu’à l’apoplexie”, assure l’ob-servateur Antonio Caballero dansl’hebdomadaire colombien Semana.

Juan Manuel Santos pourra aussicompter sur un soutien politique plusdéterminant encore que celui d’Uribe.Il va disposer d’une majorité écrasanteau Congrès, élu en mars dans un climatd’innombrables soupçons de finan-cement illicite : 86 % des parlemen-taires, soit 232 des 268 députés etsénateurs, seront à ses ordres. Aucunprésident avant lui n’aura exercé pareilcontrôle sur le pouvoir législatif, pasmême Uribe.

Pablo Biffi, Clarín, Buenos Aires

▲ De la fuite dans des idées. Sur le “bouchon” :Direction de BP.Dessin d’OlleJohansson, Suède.

■ A la une“Obama contre BP :les dégâts au-delàde la marée noire”,titre The Economist.L’hebdomadairebritannique estime que leprésident américains’en prend tropfrontalement auxgrandes entrepriseset risque de perdrela confiance desgrands patrons.

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Puis il est chargé au terminal de Westridge dans des pétroliers qui traversent les deux détroits de l’agglomération de Vancouver , Second Narrow et First Narrow.

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DétroitJuan de Fuca

OCÉANPACIFIQUE

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CANADA

Seattle

Vers laChine

Les pétroliers empruntent ensuite le détroit de Géorgie, à proximité du parc national des îles Gulf et d’une aire marine protégée jusqu’au Pacifique.

ÉTATS-UNIS

Bellingham

VancouverCOLOMBIE-

BRITANNIQUE

ALBERTA

Oléoduc en projet (Northern Gateway)

SablesbitumineuxBruderheim

KitimatKitimatKitimatKitimat

CANADA

ÉTATS-UNIS 0 500 km

Vancouver

Le pétrole issu des sables bitumineux d’Alberta est acheminé vers Vancouver en Colombie-Britannique.

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FRANCE INTER : LA DIFFÉRENCE.

franceinter.com

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José-Manuel Lamarque et Emmanuel Moreau, les samedis à 19h30 avec Gian Paolo Accardo de Courrier International.

26/06/10 : Quelle défense pour l'Union européenne ?... rêve réalisé ou réalité rêvée ?03/07/10 Quelles destinations de vacances 2010 pour les européens ?

CANADA

Le spectre d’une marée noire hante VancouverLe pétrole de l’Alberta passe de plus en plus par la Colombie-Britannique avant d’être expédié en Chine.L’augmentation du trafic maritime inquiète dans cette région où la côte est particulièrement déchiquetée.

THE TYEE (extraits)Vancouver

Vancouver, “la ville la plusverte du monde”, pourreprendre les termes de sonmaire, Gregor Robertson,

est discrètement devenue un grandport d’exportation pour ce que Green-peace appelle “le pétrole le plus sale dumonde” [celui tiré de l’exploitation dessables bitumineux en Alberta]. Depuisles années 1950, un oléoduc relie l’Al-berta à Burnaby, une ville voisine deVancouver, et à Bellingham, dans l’Etatde Washington, aux Etats-Unis. A l’ori-gine, il approvisionnait les quatre raf-fineries de la région en pétrole conven-tionnel extrait à l’est du Canada. Troisd’entre elles ont fermé depuis. Mais lacapacité de l’oléoduc a récemment étéportée à 300 000 barils par jour parson propriétaire, Kinder Morgan, afind’“acheminer le volume croissant depétrole extrait des sables bitumineux enAlberta”. Aujourd’hui, le port de Van-couver voit passer près de dix fois plusde brut qu’en 2001. Chemin faisant,le passage de pétroliers relativementpetits, qui n’était qu’occasionnel, s’estintensifié et les navires circulant dansl’étroit chenal de la baie Burrard sontégalement devenus beaucoup plusgrands. Les compagnies pétrolières,qui ont massivement investi dans lenord de l’Alberta, souhaitent réduireleur dépendance envers le marchéaméricain, qui avale pratiquement latotalité de leur production. Elles sen-tent par ailleurs le vent tourner depuisl’élection de Barack Obama et crai-gnent que l’énorme empreinte car-bone des sables bitumineux ne lespénalise aux Etats-Unis [l’exploitationde ces réserves d’hydrocarbures génèretrois fois plus de gaz à effet de serreque la production de pétrole conven-tionnel]. Que faire, alors ? La réponsese trouve en Chine.

Ottawa a approuvé cette annéel’acquisition par deux entreprisespubliques chinoises d’actifs dans lessables bitumineux valant 1,9 milliardde dollars [1,5 milliard d’euros]. Unautre contrat, de 4,6 milliards de dol-lars, conclu au printemps, portera lesinvestissements chinois dans ce sec-teur à un peu plus de 7 milliards de

dollars. La Chine a donc maintenanttout avantage, comme les autresexploitants des sables bitumineux, àobtenir un accroissement des ache-minements par oléoduc jusqu’à la côtede Colombie-Britannique. Le projetd’oléoduc Northern Gateway visant àrelier Bruderheim, dans l’Alberta, àKitimat, en Colombie-Britannique,rencontre une franche opposition dela part des peuples amérindiens, quicraignent pour leurs territoires dechasse et de pêche. La bataille s’an-nonce longue et ardue.

Ce qui nous ramène à la baie Bur-rard – actuellement la seule voie d’ac-cès à l’océan pour les sables bitumi-neux. Cela fait certes des décenniesque la passe de Second Narrows voit

passer du pétrole à bord de petits bâti-ments, mais le transit atteint aujour-d’hui une échelle sans précédent – etse fait avec des navires qui dépassentles dimensions de ce que le Port MetroVancouver (PMV, le port de Vancou-ver) considérait comme sûr aupara-vant. Les pétroliers qui quittent le Wes-tridge Terminal de Burnaby ne peuventpasser le Second Narrows que de jouret pendant les grandes marées. Le che-nal navigable ne fait que 121 mètresde large et 12 mètres de profondeurà marée basse. D’après le manuel d’ins-tructions nautiques du PMV de 2007,le passage n’est autorisé qu’aux pétro-liers ayant un tirant d’eau inférieur à12,5 m et uniquement quand la maréehaute atteint 4,3 m. La stricte régle-

mentation mise en place dans lesannées 1970 est cependant en traind’être revue.

En mai 2009, les autorités por-tuaires ont annoncé aux transporteursmaritimes que le Second Narrowsserait ouvert aux pétroliers ayant untirant d’eau de 13,5 m. Des pétroliersde type Aframax circulent désormaisdans la baie Burrard avec à leur bordjusqu’à trois fois le volume de pétrolequi s’est échappé en 1989 de l’ExxonValdez. L’assouplissement de la régle-mentation ne change cependant rienau Second Narrows, et la navigation yreste toujours aussi complexe. LesAframax ne peuvent y passer qu’àmarée haute et ne disposent que devingt minutes pour traverser la baieBurrard avant qu’elle ne commence àse vider sous la pression de courantsde 5 nœuds [en France, le jusant aularge des côtes françaises est généra-lement de 2 nœuds]. Si un accident seproduisait, la marée noire pourraitalors souiller tout le littoral de la régionde Vancouver. Mitchell Anderson

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amériques

AVENIR Optimismeen AlbertaPour la presse canadienne, la maréenoire dans le golfe du Mexique vaavantager les sables bitumineux duCanada. “Si les sables bitumineuxsont considérés comme uneméthode d’extraction plus sûre – sanscompter la hausse des coûts d’ex-traction que l’adoption de nouvellesréglementations sur les forages off-shore entraînerait –, il pourrait y avoirdavantage d’investissements danscette industrie. Voilà qui stimuleraitl’économie canadienne”, estime leportail d’information Canoë. De plus,la diminution des réserves depétrole américaines “rend moinsprobable une interdiction du prési-dent Obama concernant l’expor-tation du pétrole issu des sablesbitumineux”, poursuit le site. Il sou-ligne aussi que les Etats-Unis sontde plus en plus dépendants dupétrole canadien.

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PARAGUAY

L’Armée du peuple paraguayen sème le troubleUn mystérieux groupe de guérilla a tenu en échec près de 3 000 soldats dans le nord du pays, région où les richesfermiers et les narcotrafiquants font traditionnellement la loi.

EL PAÍSMadrid

Le nord du pays a été, pen-dant trente jours, le théâtred’un déploiement militaireinhabituel. Plus de 3 000 sol-

dats et policiers ont patrouillé dansles villages et dans les champs à larecherche des présumés dirigeantsd’une des guérillas les plus méconnueset les plus minuscules d’Amériquelatine : l’Armée du peuple paraguayen(EPP). L’EPP, accusée d’avoir tué unpolicier et trois vigiles d’une propriété(trois assassins, selon d’autres sources)et de planifier des enlèvements deriches éleveurs, avait semé la paniquechez les puissants de la région etconduit le président Fernando Lugo àdéclarer l’état d’urgence dans quatredépartements.

Cette singulière battue a été inter-rompue, le 24 mai, sans avoir atteintses objectifs, ce qui était prévisible étantdonné la surface du quadrillage et lataille minuscule du groupe recherché(une vingtaine de personnes tout auplus, selon des sources officielles).L’EPP, à qui l’on attribue des actes deviolence depuis 1997 et qui fait sur-

tout parler d’elle depuis 2001, avec àson actif quatre enlèvements en huitans, dont l’un s’est terminé par la mortde la fille d’un ancien président, consti-tue un véritable mystère. Pour certains,il s’agit d’un embryon de guérilla quifinira par s’enraciner dans un territoireécrasé par la brutalité des propriétairesterriens, victime de l’absence de l’Etatet d’une grande pauvreté. Pourd’autres, il s’agit d’un petit groupe cri-minel qui lance de temps à autre desmessages politiques confus mais quin’a pas vraiment l’intention de prendrele pouvoir, ni de changer la sociétéparaguayenne.

Le ministre de l’Intérieur, RafaelFilizzola, est un jeune avocat qui a participé à la campagne de 2008 de Fernando Lugo, qui a mis un termeà soixante années de domination duParti Colorado (droite). Dans son petitbureau d’Asunción, le ministre affirmeque l’EPP a eu à un moment donnédes ambitions politiques. “En effet, cer-tains sont issus d’un parti de gauche etdéfendent la lutte armée, et d’autres vien-nent de mouvements sociaux associatifsen lien avec l’Eglise, mais, actuellement,l’EPP n’a ni l’envergure ni l’idéologie quipermettrait de la définir comme une gué-

rilla”, explique-t-il. L’un de ses prin-cipaux dirigeants, Carmen Villalba,incarcérée pour l’enlèvement de MaríaEdith de Debernardi, l’une des grandesfortunes du pays, revendique depuissa prison “le droit de [se] défendre, mêmepar la violence” .“Qui pourrait être plusviolent que les gros bras des haciendasqui s’en prennent à des paysans sansdéfense ?” avait-elle déclaré lors d’uneconférence de presse, en 2008.

UNE ZONE OÙ PROSPÈRENT LESTRAFICS D’ARMES ET DE DROGUE

“Des messages de ce genre suscitent sansdoute une certaine adhésion dans cetterégion abandonnée par l’Etat, qui manquede communications, où se trouvent d’immenses propriétés qui font jusqu’à20 000 hectares et où les organisations paysannes dénoncent régulièrement desabus, reconnaît Rafael Filizzola. Nousignorons précisément combien de sympa-thisants compte l’EPP, mais c’est un groupecriminel qui opère dans une zone où pros-pèrent le trafic de drogue et celui des armes,et c’est cela qui est important.” Le ministresouligne que, lors des trente jours d’étatd’urgence, il n’y a pas eu d’atteintes auxdroits de l’homme. Reste qu’il est dif-ficile de comprendre pourquoi un grou-

puscule requiert un tel déploiement.Personne n’ignore à Asunción queRafael Filizzola n’était pas favorable àl’état d’urgence. D’ailleurs, certainspensent que le président Lugo s’est vuobligé de le proclamer afin d’empêcherle Congrès, où il n’a pas la majorité,de prendre cette décision et de fixer undélai intenable pour l’arrestation desresponsables de l’EPP. Le ministre del’Intérieur n’évoque rien de ce genre.Il explique que cet état d’urgenceavait d’autres objectifs. “L’armée n’estpas intervenue pour capturer les 20 ou40 éventuels militants de l’EPP présentsdans la zone, mais bien pour s’attaquer àd’autres problèmes”, assure-t-il. Sous ladictature du général Alfredo Stroess-ner, le Paraguay est devenu l’un desplus gros exportateurs de marijuanaau monde. C’est un pays où les narco -trafiquants jouissent de protectionsdans l’armée, dans la classe politiqueet chez les fonctionnaires. Le gouver-nement de Lugo ne dispose d’aucun sou-tien pour lutter contre cette incroyablecorruption. Même les Etats-Unis nesont guère engagés dans cette lutte.“C’est parce que nous produisons de lamarijuana, et non de la cocaïne”, affirmele ministre. Soledad Gallego-Díaz

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 23 DU 24 AU 30 JUIN 2010

amériques

AsunciónAsunciónAsunción

PARAGUAY

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CHINE

La jeunesse dorée soigne son imageAlors que l’écart entre riches et pauvres se creuse de plus en plus, une génération d’héritiers prend les rênes des entreprises privées créées par leurs parents. Leur préoccupation : se faire accepter par la population.

NANFENG CHUANG (extraits)Canton

Pour le mariage d’un de sesemployés, le 2 mai, DongMing n’a pas hésité, il lui aprêté sa Porsche Cayenne. Et

il a non seulement mis à sa disposi-tion son 4 x 4 d’une valeur de plus de1,4 million de yuans [166 000 euros],mais il lui a également prêté six bellesvoitures qui ont formé un luxueuxconvoi nuptial. Il a ainsi permis aujeune marié de faire bonne figure. “Cegars se dépense pour ma société, c’estnormal de l’aider !” assure ce jeune“seigneur” de seulement 29 ans. Ilse dit désireux de gérer son entreprisede façon humaine pour qu’elle soit“comme une grande famille”.

Si vous pensez qu’il a agi demanière sentimentale, détrompez-vous ! Dong Ming souligne que lesdirigeants ne doivent pas oublier queleur autorité leur est conférée par ceuxqui les suivent… Une poigne de ferdans un gant de velours. Telle estl’idée centrale du management à lachinoise, car l’autorité exercée sansbienveillance, c’est un pouvoir auto-ritaire, et Dong Ming n’en veut pas.Cela fait environ un an qu’il a reprisles rênes de l’entreprise de son père,l’usine à presses pour métaux Weilide la province du Zhejiang. Depuis,sa charge de travail n’a cessé d’aug-menter. Comme pour Dong Ming,“prendre la relève” est une tâchepesante pour tous les riches de la

deuxième génération qui ont reprisles affaires laissées par leurs parents.

De plus, la presse a récemmentrapporté des histoires comme celled’un jeune riche qui, au volant de savoiture de sport, a renversé un passantou de personnes vivant dans un luxeinfini, si bien que “riche de la deuxièmegénération” est devenu synonyme de“jeune flambeur”. L’association shan-ghaïenne Relais de Chine, qui regroupeces riches héritiers, a déclenché unepolémique sur le Net lorsqu’elle a pro-posé de remplacer l’expression “richesde la deuxième génération”, qu’elle

jugeait péjorative, par “chefs d’entreprisede la nouvelle génération”. En 2007,Dong Ming a même adressé une lettreau quotidien économique Diyi CaijingRibao pour y exposer sans détour sestourments en tant qu’héritier d’uneentreprise privée. Depuis que, sondiplôme universitaire en poche, il estentré dans la société paternelle, expli-quait-il, il a souffert d’insomnies et decrises d’anxiété. Il a perdu l’appétitet a de plus en plus de cheveux blancs.Cette lettre a été reprise dans plusd’une centaine de médias, et DongMing a été invité à plusieurs reprises

sur les plateaux de télévision, ce quia jeté un coup de projecteur sur les“riches de la deuxième génération”.

Les journalistes, tels des rapacesaffamés, ont souvent fait leurs chouxgras de toutes les informations désa-vantageuses les concernant, en don-nant l’image de noceurs invétérés.Avant eux, les chefs d’entreprise dela première génération avaient déjà étéla cible d’un feu nourri de critiquespour leurs “péchés”, et la haine desriches était même devenue un facteurd’insécurité dans la société chinoise[depuis 2003, plusieurs riches entre-preneurs ont été tués dans le pays].L’émergence de ce groupe de jeunesgens disposant d’un réel confort grâceaux richesses accumulées par leursparents a suscité des sentiments com-plexes dans la société, partagée entrel’envie, la jalousie, le rejet et la haine…

Ce genre d’état d’esprit n’est paspropice à l’instauration d’une sociétééquilibrée. Il s’explique fondamenta-lement par l’énorme fossé qui sépareriches et pauvres. En Chine, le revenumoyen par habitant se situe aux alen-tours du 128e rang mondial et, mêmesi l’on raisonne en terme de pouvoird’achat (ce concept si cher aux éco-nomistes), la Chine arrive en 107e po -sition, derrière des pays comme laNamibie, le Belize ou l’Ukraine. Tropde perdants pour peu de gagnants. Sila société chinoise se développe defaçon si déséquilibrée, la montée enpuissance d’un groupe social quel qu’ilsoit sera facteur d’instabilité. En 2008,

MALAISIE

Qui sera la nouvelle star de l’islam ?Trois mois d’épreuves, sous l’œil des caméras et face au jugement des téléspectateurs, aboutiront à l’élection du meilleur imam. Une émission de télé-réalité qui séduit.

THE STRAITS TIMESSingapour

Quand dix jeunes Malai-siens ont accepté deprendre part à la der-nière émission de télé-

réalité, ils étaient loin de penserqu’ils seraient confrontés à la mortdans toute son horreur. Leur pre-mière épreuve a en effet consistéà laver et à inhumer un corpsinfecté par le virus du sida et ayantséjourné à la morgue pendantun mois sans être réclamé. ImamMuda, ce qui signifie “jeuneimam” en malais, s’est fixé pourobjectif d’enseigner aux partici-pants les règles de l’islam. Les can-didats s’affrontent sous le mêmetoit pendant trois mois, mais il n’y

a ni chansons, ni coups en douce,ni esbroufe. Ils sont là pour prou-ver qu’ils possèdent les qualitésrequises pour devenir le meilleurimam du groupe.

L’une des fonctions de l’imamest de conduire les prières à lamosquée. Mais le nouveau pro-gramme entend informer les télé-spectateurs que sa mission ne serésume pas à cette seule tâche etque le religieux doit aussi guiderles fidèles dans tous les aspectsde la vie islamique. Le pilote del’émission, diffusé le 28 mai surAstro Oasis, une chaîne de télévi-sion par satellite payante, mettaitdonc en scène des jeunes gensconfrontés à la tâche macabre delaver et d’enterrer un mort selonles rites musulmans. Sous la

houlette de religieux et d’expertsmédico-légaux, ils ont baigné lecorps, l’ont enveloppé dans unsuaire de coton blanc, ont récitédes prières et l’ont inhumé. “J’aidû respirer un bon coup. Heureuse-ment que je portais un masque. Et,Dieu merci ! j’ai réussi à aller jus-qu’au bout”, a confié Nik Muham-mad Adib Md Amin, un étudiantde 22 ans. Certains participantsétaient si fébriles qu’ils ont fonduen larmes alors qu’ils priaientdevant les tombes. Mais il se pour-rait que le vainqueur verse éga-lement des larmes de joie. A la cléen effet : une bourse pour étudierà la célèbre université internatio-nale de Médine, en Arabie Saou-dite, un emploi d’imam à lamosquée de Kuala Lumpur, un

pèlerinage à La Mecque, une voi-ture, 20 000 ringgits [5 000 euros]en liquide et un ordinateur por-table Macintosh.

Avec ses jeunes candidats, soncadavre et ses larmes, l’émissionsemble bien partie pour séduirele public malaisien [la chaîne arefusé de communiquer les pre-miers chiffres d’audience, maisun groupe créé sur Facebook adéjà reçu 12 000 adhésions]. PourIzelan Basar, le directeur de lachaîne, il ne s’agit pas seulementde faire une émission à succès.Notre but, assure-t-il, est de “créerune nouvelle génération d’imamsjeunes et crédibles […] et de pro-mouvoir la compréhension de la reli-gion, l’harmonie et la tolérance”.Astro Oasis, qui produit l’émission

avec le concours du Départementfédéral des affaires religieuses,semble vouloir s’éloigner du cli-ché des vieux imams vêtus derobes longues et amples. Les par-ticipants, d’un âge compris entre19 et 27 ans, apparaissent encostume-cravate et non en bajumelayu, la tenue traditionnellemalaise des hommes [composéed’une tunique, d’un pantalon oud’un sarong]. Le pari de la chaînesemble en passe d’être gagné,les apprentis imams ayant déjà,aux yeux de certains téléspecta-teurs, le statut d’idole. “Si tous leshommes étaient comme les candi-dats d’Imam Muda, la vie seraitmeilleure”, écrit ainsi Fan Noo-rhashimah sur la page Facebookde l’émission. Hazlin Hassan

asie ●

▲ En réalité, les riches sont“pauvres” eux aussi,mais d’une façondifférente.Dessin de Da Chuan paru dans Fengce yuYoumo, Pékin.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 24 DU 24 AU 30 JUIN 2010

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les riches de la deuxième générationn’avaient pas encore pris consciencedu danger que cela constituait poureux. Cette année-là, un forum ayantpour thème la montée en puissance desnouveaux riches s’est tenu à Shanghai.Un journaliste spécialisé en économiefinancière nous confie avoir vu accou-rir à Shanghai de tous les coins du paysdes enfants de familles riches à peinediplômés ou poursuivant encore desétudes. Ils participaient à des salons del’investissement et achetaient desplacements à hauteur de plusieursdizaines de millions de yuans. Cer-taines personnalités éclairées deShanghai, inquiètes pour ces jeunesriches au comportement aussi puéril,ont eu l’idée de regrouper les plusentreprenants d’entre eux en une asso-ciation, pour accompagner leur déve-loppement et les inciter à rendre à lasociété tout ce qu’ils ont reçu.

UNE ASSOCIATION POUR LES NOUVEAUX RICHES

Chen Xuepin, qui était alors rédacteuren chef du Diyi Caijing Ribao, a faitpartie des sept fondateurs de cette asso-ciation, tout comme Chen Hao, qui ena été le président. Ce dernier, fils d’uncélèbre chef d’entreprise de la régionde Jiaxing (dans la province côtière duZhejiang), a de bonnes relations, ilconnaît beaucoup de jeunes riches etentretient de bons rapports avec lemonde politique. L’association a étébaptisée “Relais de Chine”. Etantdonné la complexité des formalitésd’enregistrement d’une association enChine populaire [outre le fait que laprocédure d’inscription est très longueet complexe, les autorités exercent uncontrôle très strict sur la gestion desassociations], ses fondateurs ont décidéde l’immatriculer à Hongkong, tout engardant des bureaux à Shanghai, surles rives de la rivière Suzhou.

En un peu plus d’un an, l’asso-ciation a recruté une centaine d’adhé-rents, composés non seulement de ladeuxième génération, mais aussi d’unenouvelle génération de jeunes entre-preneurs. “Ces deux forces seront le vec-teur essentiel du développement futur del’économie privée en Chine”, expliqueChen Hao, qui espère que l’associa-tion donnera naissance à de grandshommes d’affaires comme Ma Yun[fondateur d’Alibaba, site de commerceen ligne, qui détient 74 % du marchéchinois], Guo Guangchang [PDG duplus grand conglomérat privé de Chinecontinentale, Fosun International], LiuChuanzhi [PDG du géant industrielinformatique Lenovo] ou Wang Shi[président de Vanke, la plus grandecompagnie immobilière de Chine]. JiWeite, âgé de 31 ans, est membre duconseil de surveillance de l’association.Son père est à la tête d’une entreprisede premier plan dans le secteur privédes tubes en acier inoxydable. Pour lejeune homme, Relais de Chine a pourbut d’“attirer en son sein ces personnespour mieux les éduquer et les former”. Deplus, grâce à cette association, “nosparents sont beaucoup plus tranquilles”,dit-il. Ils en viennent même à fairejouer leurs relations pour aider leursenfants à entrer dans l’association.

Chen Tongkui

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 25 DU 24 AU 30 JUIN 2010

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JAPON

Une économie qui ne demande qu’à repartirMalgré la croissance poussive et la morosité ambiante, le pays possède de nombreusesressources pour sortir de la crise. L’avis d’un vétéran du journalisme économique.

MAINICHI SHIMBUNTokyo

Pourquoi le Japon a-t-il dumal à reprendre des forces ?A l’heure où certains com-mencent à se demander si on

ne devrait pas qualifier de perdues lesvingt années qui ont suivi l’éclatementde la bulle économique, j’ai la certi-tude que le pays recèle encore desforces latentes qui lui permettront derenouer avec la croissance. La prin-cipale cause de la situation actuelleest liée à l’absence d’une direction àadopter pour rassembler les forces dupays. Le Japon actuel est incontes-tablement plus prospère que celui demon enfance. Je suis né en 1942 et,juste après la capitulation, il était trèsdifficile de se nourrir et de s’habiller.A cette époque, je n’aurais jamais puimaginer avoir un jour une voiture.Pourtant, bien que pauvre, notre paysétait dynamique et pénétré de lavolonté de rattraper le niveau de vieoccidental. L’Histoire nous avaitappris que nos ancêtres avaient réussià rattraper leur retard par rapport auxpays occidentaux en quelques dizainesd’années, après la restauration deMeiji. C’était comme une certitude :on en était aussi capables.

Le premier Prix Nobel [le physi-cien Hideki Yukawa] (1949), les pre-mières émissions de télévision (1953),les Jeux olympiques de Tokyo (1964)…Chacun de ces événements exaltait nosesprits et renforçait notre sentiment decohésion. Le Japon ne cherchait plusà développer sa puissance militaire,mais se tournait avec enthousiasmevers l’économie. Afin d’améliorer leniveau de vie, nous fabriquions de bonsproduits et nous retrouvions ainsi notreplace au sein de la communauté inter-nationale. En outre, nous étions fiersnon seulement de voir nos entreprisesprospérer grâce au travail de chacun,mais aussi d’être reconnus grâce à desproduits de bonne qualité que nousproposions à des prix accessibles. Nousétions alors pleinement conscientsde la valeur de notre travail.

Mais le pays est devenu unegrande puissance et les Japonais sesont habitués au luxe. Peu à peu, lesens du travail, l’objectif et la causecommune qui maintenaient l’espritde cohésion se sont dissipés. C’estalors que, frappé par l’éclatement dela bulle, le Japon s’est retrouvé dansune impasse. Avec le développementde la mondialisation et l’arrivée d’uneère de forte concurrence, le modèled’activité à la japonaise qui consistait

à fabriquer consciencieusement desproduits de haute qualité à bas prixa été repris par les pays émergents,dont la Chine, la Corée du Sud et lespays d’Europe de l’Est. Ce qui carac-térise la crise actuelle est un affai-blissement progressif et surtout l’ab-sence de moments clés comme il y ena eu par le passé, tels que les naviresnoirs du commodore Perry lors de larestauration de Meiji [qui, en 1854,a contribué à l’ouverture du pays] oula défaite de 1945. On assiste à unrétrécissement du marché en raisonde la faible natalité et du vieillisse-ment de la population. Nous savonsd’ores et déjà que le PIB du Japonsera rattrapé en 2010 par celui de laChine et nous pressentons que la pré-sence du Japon sur la scène interna-tionale va s’affaiblir graduellement.Qui plus est, la plupart des jeunessont angoissés devant l’avenir et ontsans doute conscience qu’un jour oul’autre ils vont perdre pied.

DE NOUVELLES INDUSTRIESPOUR RETROUVER LA COHÉSION

Malgré ce contexte, je suis convaincupar les enquêtes que j’ai menées cesdix dernières années que le Japonrecèle toujours une certaine puis-sance. Aujourd’hui, il est en train dese doter d’industries de haut niveausur un modèle d’activité propre auXXIe siècle. Dans le secteur primaire,les produits agricoles, qui sont lesingrédients de la cuisine tradition-nelle, jouissent d’une très bonneréputation et bénéficient d’uneconfiance absolue tant sur le plan dela saveur que sur celui de la sécuritéet de la diététique. On a ainsi crééun secteur à mi-chemin entre le pri-maire et le secondaire, inimitable parles pays industrialisés comme par lespays émergents. Dans le secteur

secondaire, grâce au recyclage destéléphones mobiles et des appareilsélectroménagers, on a vu naîtrel’exploitation massive des “minesurbaines” spécialisées dans le recyclagede produits rares. Le Japon a égale-ment à son actif une industrie “verte”qui compte plus de mille articles,la meilleure nanotechnologie aumonde… Des techniques hautementperformantes, soutenues par le sys-tème de PME à la japonaise, qui ontengendré un secteur incontestable-ment inimitable, encore une fois à mi-chemin entre le secondaire et le ter-tiaire. De plus, l’industrie du contenuet les richesses culturelles et histo-riques du pays ainsi que la natureenvironnante favorisent le dévelop-pement du secteur “tertio-quater-naire”, qui pourrait tout à fait écra-ser les autres pays. J’estime, pour mapart, que les demandes dans ces nou-veaux secteurs pourraient s’élever de20 000 à 30 000 milliards de yens [de177 à 265 milliards d’euros].

Toutefois, c’est l’excès d’attentionque portent les entreprises japonaisesà leurs profits et à leur croissance quiest inquiétant. A force de s’en préoc-cuper, on délaisse le facteur psycho-logique de cohésion, l’objectif com-mun. Le Japon, plus de soixante ansaprès la fin de la guerre, a mis en placeune société mature, dominée par laclasse moyenne, qui condense la plu-part des problèmes rencontrés par lacommunauté internationale en proieà la confusion. Si l’archipel parvientà consolider ses bases en retrouvantune nouvelle cause commune, et qu’ilarrive à trouver un rôle lui permettantde prendre conscience de son exis-tence, il servira de repère à l’Asie etdécouvrira sans doute des raisonsde reprendre confiance en lui.

Nobuhiko Shima

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 26 DU 24 AU 30 JUIN 2010

LE MOT DE LA SEMAINE

“SOKOJIKARA”LES FORCES LATENTES

Y es, we Kan !” : tel est le sloganen forme de jeu de mots qu’ar-

bore le tee-shirt porté aujourd’huipar notre rédacteur en chef le plusjaponophile des journalistes deCourrier international. Dans son des-sin, No-rio utilise la même devisepour illustrer l’article ci-contre. C’estqu’après les tâtonnements de YukioHatoyama – sans doute inévitablesà la suite de l’alternance de l’andernier mais qui finissent néan-moins en eau de boudin – l’arrivéeau pouvoir de Naoto Kan suscitechez les Japonais un nouvel espoir,mesuré, certes, mais espoir quandmême. En effet, bien qu’affubléd’un sobriquet peu flatteur, Irakanou “Kan l’irascible”, le nouveauchef de gouvernement ne manquepas d’atouts. Pour une fois, nousavons affaire à un dirigeant quiexcelle dans les joutes oratoires ;il sait prendre des décisions et l’opi-niâtreté n’est pas la moindre deses qualités. Mais il se distinguesurtout de ses prédécesseursimmédiats, tous issus de dynastiespolitiques, par ses origines et sonparcours. Fils d’un salarié ordinaire,il a longtemps milité au sein demouvements associatifs. En 1974,à 28 ans, il dirige (avec succès)la campagne électorale de HisaeIchikawa, la grande dame du fémi-nisme japonais ; élu député en1980, il se fait connaître du grandpublic lorsqu’il livre, en tant queministre de la Santé, une bataillecontre son propre ministère pourvenir en aide aux victimes du sangcontaminé. Voilà donc quelqu’unqui a su garder le sens des réali-tés, celui du citoyen ou de lacitoyenne lambda – quelqu’un donton pressent qu’il peut raviver lesforces latentes de la nation. Resteune inconnue : sa science de ladiplomatie. Comme pour son amiHatoyama, Okinawa et ses basesaméricaines demeurent un enjeuqui peut lui être fatal.

Kazuhiko Yatabe Calligraphie de Kyoko Mori

▲ Dessin de No-río,Aomori.

■ SondageSelon une enquêted’opinion de l’AsahiShimbun, 95 % desJaponais éprouventde l’inquiétudequant à l’avenir du pays. Ils sontcependant 56 % à penser que le Japon dispose de ressources poursortir de l’impasse.Vis-à-vis de la Chine, qui va bientôt ravir auJapon la place dedeuxième puissanceéconomiquemondiale, lesondage révèle uneattitude sereine :73 % des personnesinterrogéespréfèrent que le Japon, malgré ce recul, limite lesdisparités sociales,contre seulement17 % qui souhaitentqu’il reste unegrande puissanceau détriment de la justice sociale.

asie

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courrierinternational.comL’anticipation au quotidien

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HA’ARETZTel-Aviv

Je voudrais dédier cette chroniqueau juge de la Cour suprêmeEdmond Lévy, qui a défendu l’es-prit et la lettre de la loi en met-

tant un terme à la détestable politiquede ségrégation pratiquée par les écolesultraorthodoxes entre les jeunes fillesd’origine ashkénaze [communautésjuives européennes, d’Europe centrale,notamment], et celles d’origine séfa-rade [issues du judaïsme espagnol etportugais] ou mizrahim [commu-nautés orientales]. Pourtant, si le jugeLévy a eu raison de faire emprison-ner les soixante-quatorze couples qui,refusant de respecter une décision dejustice, persistaient dans leur refusd’envoyer leurs enfants dans une écolenon ségrégationniste de la coloniejuive d’Emmanuel, en Cisjordanie,son courroux judiciaire n’est pas dirigécontre les vrais coupables.

Le juge Lévy a bousculé les règlespermettant aux rabbins ultraortho-doxes de décider de chaque aspect del’éducation de près de 20 % d’enfantsisraéliens. On peut comprendre lacolère des parents et des rabbins, quine s’attendaient pas à un tel boule-versement. Une chose est sûre, cetépisode se terminera très certaine-ment par l’ouverture d’une écoleréservée aux jeunes filles “d’ascen-dance hassidique” [autrement dit ash-kénaze]. Ainsi, au lieu d’une petiteécole, la ville en comptera deuxminuscules, symboles du séparatismeet de la bigoterie des haredim*, maisaussi des limites de la souverainetédu gouvernement israélien.

La question de l’enseignementprivé est sujette à polémique dans laplupart des démocraties. Dans lespays les plus libéraux, les institutionsprivées restent soumises à une formede contrôle gouvernemental et accor-dent au moins une partie de leurs programmes avec ceux de l’écolepublique. Dans ces pays, les écoles“privées” ne sont que des écoles rece-vant un financement privé. En Israël,l’immense majorité des écoles ultra -orthodoxes sont financées à près de75 % par des fonds publics, sans pourautant être astreintes à enseigner lesmatières principales définies par leministère de l’Education, ni à pré-parer leurs élèves aux concours natio-naux. Officiellement, elles sont pla-cées sous l’égide du départementharedim du ministère de l’Education,département qui manque cruellementd’effectifs. En réalité, les inspecteursdes écoles, omnipotents partout ailleurs,n’ont aucun contrôle sur les écolesultraorthodoxes. La plupart étant éga-lement haredim, ils n’oseraient jamais

contredire les rabbins qui dirigent cesécoles. Et pourtant, cela ne suffit tou-jours pas à certaines de ces institu-tions, qui rejettent ce semblant desupervision alors qu’elles sont tou-jours financées à 55 % par l’argentdes contribuables.

BEN GOURION VOULAIT UN SYSTÈME D’ÉDUCATION UNIQUE

On peut pointer du doigt l’arrogancede la communauté haredim, mais lesvéritables coupables, ce sont les gou-vernements qui se sont succédé à latête du pays depuis sa création. Celafait soixante-deux ans qu’ils laissentfaire et accordent toujours plus d’ar-gent et d’autonomie aux écolesultraorthodoxes. La Cour suprêmen’y peut rien changer. La véritablequestion ici est de savoir à quel pointune communauté fermée et séparéedu reste de la société a le droit degérer ses propres affaires au sein d’unEtat démocratique. Le gouvernementa-t-il des obligations envers les enfantsdont les parents ont décidé d’appar-tenir à un groupe refusant l’éducationmoderne ? Dans quelles circonstancesles tribunaux ont-ils le droit d’inter-venir pour empêcher des actions per-çues comme injustes et motivées pardes croyances minoritaires ? Où setrouve la limite entre les devoirs de lasociété et la dictature de la majorité ?Les chefs de la communauté haredimprétendent non seulement défendreles valeurs juives – du moins, selonleur propre interprétation –, mais éga-lement la cause sacrée de la démo-cratie. Ils demandent de quel droit legouvernement se permettrait de leur

dicter des règles pour l’éducation deleurs enfants ! Pour eux, cela relèvede la dictature laïque sioniste !

Les parents d’Emmanuel sontprêts à aller en prison pour défendreleur “éducation pure” et un mode devie qu’ils prétendent vieux de troismille ans. S’il s’agissait vraiment d’unequestion de vie ou de mort, d’unecause digne pour laquelle on accepted’aller en prison, nul doute que lescommunautés ultraorthodoxes deLondres et de New York se seraientexilées depuis longtemps pour s’ins-taller dans le seul pays au monde quileur garantisse non seulement unetotale liberté d’enseignement, maiségalement les fonds nécessaires. Laseule et unique raison pour laquelleles chefs de la communauté haredims’obstinent à maintenir un systèmed’éducation échappant à tout contrôlede l’Etat est qu’ils savent que per-sonne ne les en empêchera.

Lors de la création de l’Etat hébreu,David Ben Gourion voulait instaurerun système d’éducation unique, maisles circonstances concrètes et politiquesen ont décidé autrement. Ensuite, cefurent les puissants partis laïques quidemandèrent à garder leurs écolesspéciales. Les seules écoles qui onttoujours été surveillées de près sontcelles de la communauté arabe – pourdes raisons de sécurité, naturellement.La communauté des ultraorthodoxesn’inquiétait pas Ben Gourion, car ilétait convaincu que ce petit groupearchaïque finirait par disparaître. Ilétait persuadé que, de même qu’ilavait rangé les tefillin et le livre deprière de son enfance, la jeune géné-ration de haredim ne manquerait pasd’embrasser le monde moderne. Ilavait tort. Aujourd’hui, les écolesultraorthodoxes sont fréquentées parpresque 300 000 enfants israéliens,soit 51 % de plus qu’il y a dix ans.

A l’exception d’un timide com-mentaire du ministre de l’Education,Gideon Sa’ar, aucun haut représen-tant du gouvernement n’a souhaitéréagir à la situation à Emmanuel. Lerisque politique est trop grand. Le Pre-mier ministre Benyamin Nétanyahouperdrait le contrôle de sa coalition s’ilsoutenait de quelque manière que cesoit l’ingérence du gouvernement dansles écoles haredim. Si le juge Lévy sou-haite véritablement réaffirmer la supré-matie de la loi sur une communautérécalcitrante, c’est au gouvernementqu’il doit s’en prendre.

Anshel Pfeffer

* Les “pieux” ou les “fidèles” sont uneconstellation de courants religieux nés enEurope orientale à la fin du XVIIe siècle etrassemblés autour de plusieurs dynastiesde rabbins charismatiques.

moyen-orient ●

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 27 DU 24 AU 30 JUIN 2010

TURQU IE

Le sauveur dumonde arabe ?

Selon le ministre des Affaires étran-gères turc, Ahmet Davutoglu, sonpays se préoccuperait désormais

“de tous les aspects de l’ensemble des ques-tions régionales” dans le monde arabe,de la Mauritanie au détroit d’Ormuz[golfe Persique]. Cette déclaration m’adonné envie de demander à des res-ponsables arabes de formuler leursvœux et de dire ce qu’ils attendaientd’Ankara, où le “sultan ottoman” seraitde retour “tel l’aigle dont les ailes cou-vrent de vastes contrées”, selon l’expres-sion d’un conseiller de la présidenceturque. Ces vœux arabes, les voici.PREMIER VŒU : résoudre la questionpalestinienne et obtenir la fin du conflitisraélo-arabe, y compris le retrait israélien du plateau du Golan. Or celasemble compromis. Les relations entrela Turquie et Israël viennent de se dété-riorer, ce qui inquiète même la Syrie[le gouvernement turc avait servi d’in-termédiaire entre Damas et Tel-Aviv].DEUXIÈME VŒU : convaincre l’Iran decesser ses ingérences dans les affairesd’autres pays de la région, de ne plusprendre le Liban et l’Irak en otageset de ne plus y entretenir ses cellules.TROISIÈME VŒU : faire mieux que lesAméricains. Washington n’a pas réussià diffuser la démocratie dans la région.Aux Turcs de s’y coller et d’y pro-mouvoir la laïcité !QUATRIÈME VŒU : un conseiller de laprésidence turque, Ersat Hürmüzlü,a proclamé que “la Turquie repose surtrois piliers immuables, la laïcité, la démocratie et l’alternance au pouvoir”.Ces propos ont inspiré à un respon-sable arabe l’espoir que “le Hamas suivel’exemple de la Turquie, et non l’inverse”.De même, les Arabes – au Liban et enIrak notamment – pourraient imiterl’armée turque plutôt que les gardiensde la révolution iraniens, qui réprimentla population et bloquent la séculari-sation de la société. La Turquie pourrait aussi expliquer àla Syrie que le Liban est un Etat sou-verain et prier l’Iran de bien vouloircesser d’en faire sa rampe de lancementpour crises moyen-orientales. Quant àl’Irak, le vœu consiste à demander à laTurquie et à l’Iran de cesser leursincursions visant les Kurdes, puisqueceux-ci ne sont pas moins des êtreshumains que les habitants de Gaza.

La liste des vœux est-elle close ?Bien sûr que non. Les ailes turquescouvrent de si vastes contrées, d’est enouest et du nord au sud, que l’on peutégalement demander la recette pouréviter l’éclatement du Soudan, trouverun règlement au conflit du Sahara-Occidental, pacifier le Yémen, récupé-rer les îles émiraties occupées par l’Iran[en 1971], stabiliser la Somalie… Fina-lement, Ankara se chargera peut-êtred’apporter le développement et lacroissance économique. Il s’occuperaaussi d’autres menus problèmescomme la lutte contre le terrorisme.Tariq Alhomayed, Asharq Al-Awsat, Londres

ISRAËL

L’Etat impuissant face aux ultraorthodoxesDans le bras de fer qui l’oppose aux écoles pratiquant la ségrégation, le juge de la Coursuprême Edmond Lévy est bien seul. Et pour cause : tous les gouvernements successifsont été permissifs et se sont pliés aux exigences des religieux.

▲ Dessin de Kichka,Israël.

■ Colonisation“La municipalité de Jérusalem a validé, le 21 juin,la destruction de 22 maisonspalestiniennes dans le quartier de Silwan, à Jérusalem-Est,pour permettre la construction d’un site touristiquebaptisé Jardin du roi”, rapporteYediot Aharonot.En mars, le Premierministre BenyaminNétanyahou avait accepté, sous la pressionaméricaine, le gelde ce projet pourpermettre la reprisedes négociationsindirectes avec les Palestiniens et éviter denouvelles frictionsavec Washington au sujet de la colonisation à Jérusalem-Est.

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RÉGION AUTONOME DU KURDISTAN IRAKIEN

IRAK IRANSY*

* SYRIE

TURQUIE

* SYRIE

Erbil

0 150 km

IRAK

Erbil la Kurde cultive le pluralismeLa ville emblématique du Kurdistan irakien fait preuve d’ouverture linguistique. Dans ses rues, on entend parler l’arabe, le turc, le persan, et bien entendu l’anglais.

AL-MUSTAQBALBeyrouth

L’avion se dirigeait versErbil et la plupart des pas-sagers qui avaient embar-qué à Beyrouth à bord de

l’avion de la compagnie irakienneIraqi Airways étaient kurdes. Lanouvelle Constitution irakienne aadopté le kurde comme l’une deslangues officielles. Pour ces deux rai-sons et un peu par fibre nationaliste,je m’attendais à pouvoir entendre desinstructions de sécurité dans malangue maternelle, le kurde donc,pour la première fois de ma vie. Unvieux monsieur assis à côté de moin’avait, lui non plus, bien que sep-tuagénaire, jamais eu ce privilège.Quelle ne fut pas notre déception àl’écoute des annonces, uniquementdiffusées en arabe et en anglais !Après l’atterrissage, j’ai pris soin detraîner un peu dans l’avion afin dedescendre en dernier et d’avoir l’oc-casion de glisser un mot au pilote. Maremarque l’a fait sourire, et il m’arépondu : “Vous arrivez dans une villeentièrement kurde. Profitez-en à fond.Vos oreilles vont être gâtées.”

Nouvelle déception. L’espoir sus-cité par la remarque du pilote n’a pasrésisté à la réalité. Erbil, qui n’a connuque destruction, sang et larmes [àcause de la répression sanglante exer-cée par le régime de Saddam Hus-sein], est aujourd’hui une ville quipousse comme un champignon, semodernise et change jour après jour.On y trouve tout et n’importe quoi.Mais certainement pas l’homogénéitéd’une ville qui serait “entièrementkurde”. Car elle ne se limite pas à uneseule dimension linguistique, cultu-relle ou identitaire.

LA LANGUE TURQUE, C’ESTCELLE DE LA BONNE SOCIÉTÉ

La langue et la culture arabes, parexemple, sont partout présentes. Il ya vingt ans encore, l’arabe était la seulelangue officielle de l’administration etdu monde des affaires, même si Bag-dad avait autorisé l’usage du kurdedans la littérature et l’enseignement.Aujourd’hui, pour la plupart de ceuxqui ont plus de 30 ans, c’est la languedans laquelle ils s’expriment spon-tanément. Beaucoup de choses ontchangé, mais l’arabe reste égalementla langue du pouvoir central de Bag-dad, ce qui lui assure une forte pré-sence. Car l’Etat irakien est considérécomme l’espace politique naturel duKurdistan irakien et les élites poli-tiques, culturelles et économiques quiveulent s’adresser à l’ensemble desIrakiens se doivent de maîtriser lalangue arabe à l’oral comme à l’écrit.A cela s’ajoute la présence de dizainesde milliers d’Irakiens arabophonesdans la région, et notamment à Erbil.Ils appartiennent à deux catégories :soit une main-d’œuvre bon marché

venue de Mossoul, Diyali ou encoreTikrit [régions sunnites arabes] dansl’espoir de trouver un emploi grâceau développement économique, quiparaît fantastique par rapport au restedu pays ; soit une classe aisée qui a fuiles tensions et les violences afin detrouver refuge sur un territoire beau-coup plus calme.

Au-delà de tout cela, l’arabe estparticulièrement dominant en tantque langue du religieux et du spiri-tuel. Car l’islam sunnite kurde n’ajamais fait partie d’une identité kurde

antiarabe. De même, l’arabe resteprésent dans la cul ture et lesmédias : acteurs, artistes de variétéset présentateurs télé du monde arabefont partie de l’univers culturel d’Er-bil. Quant à la langue turque, c’estcelle de la bonne société kurde, unpeu comme le français l’était dansl’Europe du XVIIIe siècle. Ainsi, l’ef-figie du fameux artiste turc Ibra-him Tatlises est présente dans toutesles rues de la ville. Il n’est plus seu-lement l’emblème de la chansond’auteur, mais s’est également fait

un nom à la tête d’une société finan-cière qui investit d’énormes sommesd’argent dans la région. A lui seul, ilincarne la domination de l’économieturque sur le marché local, quientraîne dans son sillon la diffusionde la culture, des mœurs et surtoutde la langue. Le turc aspire égalementà se tailler des parts dans le secteurde l’éducation, à travers un réseaud’écoles où cette langue est obliga-toire. Plus généralement, le turc serenforce surtout parce que les Kurdessentent confusément que la Turquieconstitue pour eux une fenêtre sur lereste du monde. Par ailleurs, ils ontl’habitude de traiter avec la bour-geoisie turkmène [irakienne], présentedepuis toujours à Erbil et à Kirkouk.Ce qui est vrai pour le turc l’est éga-lement très largement pour l’an-glais : la jeunesse actuelle s’ap-plique à maîtriser cette languepuisqu’elle lui ouvre des opportu-nités d’emploi dans le secteur desservices, très implanté à Erbil.

LE PLURILINGUISME NE NUIT PAS À L’UNITÉ

Reste la langue persane, qui est cellede la culture, de la littérature et del’esprit. Elle s’écrit dans le mêmealphabet que le kurde. Elle a aussi desrègles grammaticales et des expres-sions très voisines. Cela ne permet passeulement d’accéder à la littératureiranienne. Cela en fait surtout lalangue grâce à laquelle les Kurdespeuvent prendre connaissance desnouvelles publications internationales,vu que les Iraniens font allègrementdes traductions pirates.

Toutes ces considérations linguis -tiques nous amènent à nous deman-der si cela ne fait pas d’Erbil la can-didate idéale pour accueillir le siègedu projet proposé par le secrétairegénéral de la Ligue arabe lors de sondernier sommet [en mars 2010], àSyrte, en Libye. Cette propositionconsiste à créer un espace culturel etpolitique commun entre les paysarabes et leurs voisins régionaux. Tousces pays ont en commun de tenterd’interdire l’expression des spécifi-cités linguistiques de leurs minorités.Pourquoi ne pas leur demander decontempler le pluralisme qui existedans une petite ville comme Erbil ?Ne pourrait-il pas servir à les aiderà surmonter leur crainte obsession-nelle de voir l’unité et la stabilité deleurs pays mises à mal par le pluri-linguisme ?

En attendant, je continuerai àespérer, chaque fois que je prendrail’avion, que l’équipage me parle enkurde. Car, dans les moments de ten-sion, cette langue a un effet apaisantsur moi. Tout simplement parce quec’est en kurde que ma mère me disaitde faire attention chaque fois queje quittais la maison, et je l’entendsencore aujourd’hui.

Rustom Mahmoud

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 28 DU 24 AU 30 JUIN 2010

moyen-orient

SÉCURITÉ Le Kurdistan entre l’enclumeet le marteau

La stabilité de la région kurdeautonome d’Irak – seule zone

sûre du pays – est menacée. Depuisplusieurs semaines, la Turquie etl’Iran violent nos frontières pour lut-ter contre la guérilla kurde du Partides travailleurs du Kurdistan [PKK,actif en Turquie] et celle du Parti pourune vie libre au Kurdistan [PJAK,basé en Iran]. Ces deux organisa-tions ont pu installer leurs basesarrière dans les montagnes du Kur-distan irakien.Les réactions du gouvernement régio-nal kurde et du gouvernement cen-tral irakien ont été faibles et peusignificatives. Le gouvernement régio-nal est le premier concerné, car laprotection des frontières repose surses forces de sécurité, les pesh-mergas [combattants kurdes]. Néan-moins, une réponse unilatérale despeshmergas compliquerait encoredavantage la situation. C’est à l’Irakd’agir sur cette question comme unEtat souverain. Reste que, si cesincursions deviennent permanentes,alors les autorités kurdes n’aurontd’autre choix que d’agir militairementpour défendre la souveraineté du Kur-distan et le bien-être de ses citoyens.Ces violations de territoire ne doi-vent pas être perçues comme desincidents temporaires qui se limitentà pourchasser les guérillas. Si notre

gouvernement ne fait rien, il est pro-bable que les armées turque et ira-nienne multiplieront leurs opérationscet été, en réponse systématiqueaux actions du PKK et du PJAK. LePKK a mis fin à son cessez-le-feu audébut du mois de juin, et son diri-geant, le leader emprisonné en Tur-quie Abdullah Öcalan, a menacé d’in-tensifier la lutte armée [le 19 juin,une attaque du PKK dans la provinceturque d’Hakkari, près de la frontièreirakienne, a fait 11 morts parmi lessoldats turcs]. Le gouvernementkurde devrait interpréter cela commeune raison supplémentaire que sai-sira l’armée turque pour franchir lafrontière irakienne. Le président dela région autonome kurde, MassoudBarzani, s’est rendu début juin enTurquie. C’est une étape importantedans l’amélioration des relationsbilatérales. Mais cette démarcheaura à faire face à certaines réti-cences. Au sein de l’establishmentturc, l’élite kémaliste et les hautsgradés de l’armée turque ne voientpas d’un bon œil le développementde liens économiques et politiquesentre la Turquie et le Kurdistan ira-kien. C’est aussi le cas de certainsdirigeants du PKK. Le Kurdistan ira-kien risque de devenir le théâtred’un conflit militaire.

Azad Amin, Kurdish Globe (extraits), Erbil

▲ Dessin d’AriehZeldich paru dansThe New YorkTimes BookReview, Etats-Unis.

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BURUNDI

Un scrutin sous haute tensionA l’approche de l’élection présidentielle du 28 juin, l’insécurité redouble dans le pays. Le président sortant et candidat unique, Pierre Nkurunziza, en porte en grande partie la responsabilité.

LE PAYSOuagadougou

Au Burundi, le pouvoir etl’opposition se regardent enchiens de faïence depuis lesélections communales du

24 mai 2010. La remise en cause parl’opposition de la transparence et de larégularité du scrutin a détérioré les rapports entre les politiciens burundais.Pour montrer qu’ils sont sérieux dansleur demande de reprise des élec-tions, entachées d’irrégularités à leursyeux, sept candidats de l’oppositionse sont retirés de la course à la pré-sidentielle. Cette situation a ouvertun boulevard au candidat du partiau pouvoir, Pierre Nkurunziza, quibrigue sa propre succession à l’élec-tion du 28 juin.

La sourde oreille faite par le pou-voir face au souhait de l’opposition dereprendre les communales, et surtoutde faire campagne pour le boycott, a eupour conséquence la montée de la ten-sion, comme il fallait d’ailleurs s’yattendre. C’est ainsi que, le 16 juin, desaffrontements ont opposé la police etdes militants des Forces nouvelles delibération (FNL) qui ont déferlé descollines dominant la capitale, Bujum-bura, pour protéger leur leader, l’ex-chef rebelle Agathon Rwasa, qui, selonla rumeur, aurait été arrêté. Au fur et àmesure que la date de l’élection se rap-proche, la tension monte, sans oublierl’insécurité, dont une espèce d’avant-goût est donné par des grenades quiexplosent çà et là [elles ont fait 2 mortset 37 blessés dans la nuit du 18 au19 juin]. Et le tout se déroule pour le

moment dans l’indifférence de la com-munauté internationale, qui a manquél’occasion d’apaiser les choses, commeaurait pu le faire le secrétaire généralde l’ONU Ban Ki-moon.

En visite le 9 juin dans ce pays,celui-ci a pratiquement pris fait et causepour le pouvoir en affirmant que lesélections communales s’étaient dérou-lées dans des conditions acceptables.Cela a suffi pour irriter l’oppositionet l’amener à retirer ses candidats del’élection présidentielle. Il aurait fallubeaucoup plus de tact face à un pays

qui ne s’est pas encore complètementremis de la guerre civile. Mais PierreNkurunziza se préoccupe surtout de latenue de la présidentielle qu’il va rem-porter faute de concurrents. Or cetteélection est justement celle de tous lesdangers en ce sens qu’elle pourraitremettre le feu aux poudres. Le régimeen place en a-t-il vraiment conscience ?Il ne doit pas se laisser obnubiler par laréélection du candidat sortant au pointde ne pas voir les étincelles qui naissentet qui peuvent allumer un grand feuque le pays ne serait pas en mesure

d’éteindre tout seul. Ancien chef rebellelui-même, Pierre Nkurunziza est bienplacé pour connaître les affres de laguerre, ses conséquences désastreusespour un pays. Il est bien placé aussipour savoir qu’un président même légi-timement élu ne peut gouverner dansun contexte d’instabilité. C’est dire qu’ilpeut éviter à son pays des souffrancesinutiles en nouant le dialogue avec l’op-position. Il faut qu’il commence déjàpar l’écouter, par discuter avec elle, pourque la présidentielle ne mette pas enpéril la paix sociale. Séni Dabo

afr ique ●

MAROC

Petits pas en faveur du droit à l’avortementAlors que l’interruption volontaire de grossesse reste illégale, un premier colloque sur le sujet a été organisé dans un cadre officiel.Les organisateurs y voient une victoire.

TELQUELCasablanca

L’Association marocaine de luttecontre l’avortement clandestin(AMLAC) peut se féliciter d’avoirmarqué des points en organisant

son premier colloque sur l’avortement, les28 et 29 mai. Certes, la participation despouvoirs publics était timide. Des repré-sentants des ministères de l’Education et dela Justice sont intervenus, mais celui de laSanté n’a pas voulu s’impliquer officielle-ment. L’AMLAC avait pris soin de replacerl’interruption volontaire de grossesse (IVG)dans son contexte, entre un volet sur la pré-vention des grossesses non désirées et unautre sur les enfants abandonnés. Elle a

réussi son pari de réunir les points de vuedes médecins, de la loi, de l’éthique, de lareligion et des droits de l’homme. Les nom-breux gynécologues assistant au colloqueont poussé de véritables appels de détresse,martelant que l’illégalité de l’IVG n’em-pêchait pas les femmes d’avorter, mais lesmettait simplement en danger. Selon lesmédecins, des femmes arrivent chaque jourdans un état physique et mental désespéré.

Théoriquement, la loi pénalise les avor-teurs (de un à cinq ans de prison) et les avor-tées (de six mois à deux ans), même si dansles faits les seules poursuites judiciaires ontlieu en cas de décès. Mais l’article 453, selonlequel “l’avortement n’est pas puni quand ilvise à sauvegarder la vie ou la santé de la mère”,constitue une fenêtre importante, a expliqué

le Dr Chafik Chraïbi, président de l’AM-LAC. Il suffirait de se référer à la définitionde la santé émise par l’OMS, qui inclut lasanté mentale, pour autoriser l’IVG. Côtéreligion, rien d’absolu. Comme souvent dansl’islam, les interprétations varient. La plu-part des sunnites malékites, majoritaires auMaghreb, condamnent l’avortement dès laconception, mais les écoles hanbalite et cha-fiite l’autorisent jusqu’à 40 jours de gros-sesse, et les hanafites jusqu’à 120 jours. “Lelégislateur n’est pas obligé de rester prisonnier del’opinion malékite”, a argumenté le sociologueAbdessamad Dialmy. “Il pourrait profiter deces ouvertures, comme l’a fait la Tunisie” [pion-nière de la légalisation de l’IVG en terre d’is-lam, elle l’autorise depuis 1973 jusqu’à 3mois de grossesse]. Si les textes de loi inter-

nationaux n’évoquent aucun droit à l’avor-tement en soi, en raison de l’absence deconsensus sur le droit à la vie du fœtus lui-même, les défenseurs des droits de l’hommese fondent sur les droits à la santé et à lavie de la femme pour réclamer son enca-drement légal.

Enfin, l’AMLAC a formulé plusieursrecommandations destinées au Parlement,au secrétariat du gouvernement et au roi.La plus importante demande l’assouplisse-ment de la loi pour autoriser l’avortementuniquement dans certains cas (viol,inceste…). Par ailleurs, le délai maximal sug-géré est plutôt court : 2 mois de grossesse(sauf en cas de malformation fœtale). Il s’agitd’une démarche prudente destinée à faireévoluer la société en douceur. Zoé Deback

▶ Dessin de Glez paru dans le Journal du jeudi, Ouagadougou.

■ LibérationPlus de1 300 prisonniersont été libérés,début juin, enapplication d’unegrâce présidentielle.Le président Pierre Nkurunzizaavait pris ce décreten mars dans le but d’“améliorerles conditionscarcérales”dans le pays.L’opposition a qualifié cettelibération de“mesure populistequ’on a fait traîneren longueur pour la mettre en application justeavant l’électionprésidentielle dont PierreNkurunziza sera le seul candidat”.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 30 DU 24 AU 30 JUIN 2010

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DREAMLANDS

EXPOSITION5 MAI - 9 AOÛT 2010

THE NEW YORK TIMESNew York

DE MOGADISCIO

Awil Salah arpente les ruesde la ville en ruine Les vête-ments qu’il porte sont enlambeaux, et rien ne le dis-

tingue des autres gamins du coin. Rien,sauf peut-être la kalachnikov chargéequ’il porte à l’épaule et aussi le faitqu’il travaille pour une armée régulièrequi est financée par les Etats-Unis.“Arrête”, lance-t-il en brandissant sonarme à l’adresse d’un homme qui tentede franchir le barrage. Soudain, lacolère défigure son visage angélique.Le chauffeur s’arrête immédiatement.En Somalie, la vie ne vaut pas cher etpersonne ne se risque à contredire ungamin de 12 ans lorsqu’il est en colère.

Tout le monde sait que les rebellesislamistes de Somalie enrôlent desenfants sur les terrains de foot pour enfaire des soldats. Mais Awil n’est pasun rebelle. Il travaille pour le gouver-nement fédéral de transition somalien,pièce maîtresse de la stratégie améri-caine antiterroriste dans la Corne del’Afrique. Selon les associations dedéfense des droits de l’homme enSomalie et des représentants desNations unies, le gouvernement soma-lien – dont la survie dépend de l’aide dela communauté internationale – envoiedes centaines d’enfants sur le front, dontcertains n’ont pas plus de 9 ans.

On trouve des enfants soldats par-tout dans le monde, mais, selon lesNations unies, le gouvernement soma-lien fait partie des pays qui s’obsti-nent à violer la convention relative auxdroits de l’enfant, au même titre quedes groupes rebelles comme l’Arméede résistance du Seigneur [mouve-ment d’origine ougandaise composéà 80 % d’enfants et qui sévit notam-ment en République centrafricaineet au Sud-Soudan]. Les représen-tants du gouvernement somalienreconnaissent ne pas avoir été trèsregardants. Ils ont également révéléque le gouvernement américain leurapportait une aide financière pourrémunérer les soldats, une informa-tion confirmée par Washington. Cesenfants soldats sont donc payés par lecontribuable américain.

L’ONU aurait offert au gouverne-ment somalien de l’aider à démobili-ser ces enfants. Mais les dirigeantssomaliens sont paralysés par des dis-sensions internes très graves et n’ontpas donné suite. Plusieurs hauts fonc-tionnaires américains ont exprimé leursinquiétudes et appelé leurs homologuessomaliens à davantage de discerne-ment. Mais ils reconnaissent leurimpuissance à garantir que l’argent desAméricains ne sert pas à armer desenfants. Selon l’UNICEF, seuls deuxpays n’ont pas ratifié la Conventionrelative aux droits de l’enfant, qui inter-dit le recours aux enfants soldats demoins de 15 ans : les Etats-Unis et la

Somalie. Pour de nombreux groupesde défense des droits de l’homme, cettesituation est inacceptable, et mêmeBarack Obama, lors de sa campagneprésidentielle, l’avait reconnu. “C’estennuyeux de se retrouver aux côtés de laSomalie, un pays qui vit dans l’anarchie”,avait-il déclaré.

TOUTE UNE GÉNÉRATION QUI A GRANDI DANS LA RUE

Dans tout le pays, des visages poupinsarborent des armes imposantes. Ilstiennent des barrages et n’hésitent pasà arrêter des énormes 4 x 4 même s’ilsarrivent à peine à la hauteur ducapot… Les représentants du gouver-nement somalien reconnaissent ne pasavoir fait de détails : il leur fallait leverune armée au plus vite. “Je vais êtrehonnête avec vous, nous recrutons toutepersonne capable de porter une arme !”admet un de ces représentants, qui atenu à conserver l’anonymat. Awil ad’ailleurs du mal à tenir la sienne. Ellepèse environ 5 kilos. La courroie luiscie l’épaule et il est constamment entrain de la changer d’épaule en gri-maçant. Parfois, son camarade AhmedHassan vient lui donner un coup demain. Ahmed a 15 ans, il raconte qu’ila été envoyé en Ouganda, il y a plus dedeux ans, pour une formation militaire.Cette information est difficilement vérifiable. Une chose est sûre, desconseillers militaires américains ontparticipé à la formation des soldatssomaliens en Ouganda. “J’y ai apprisà tuer avec un couteau”, expliqueAhmed avec enthousiasme.

Les enfants n’ont pas beaucoupde perspectives d’avenir en Somalie.Après la chute du gouvernement,en 1991, une génération entière degamins a grandi dans la rue. La plu-part des enfants ne sont jamais allés àl’école publique et n’ont jamais jouédans un parc. Comme tant d’autresenfants somaliens, la guerre a endurci

prématurément Awil. Il adore fumeret il est accro au qat, une feuille amèrequi se mâche et lui permet d’oublier ladure réalité pour quelques heures.Abandonné par ses parents qui avaient

fui pour le Yémen, il a rejoint une miliceà 7 ans. Il vit désormais avec d’autressoldats du gouvernement dans unbouge jonché de paquets de cigaretteset de vêtements sales. Awil ne saitmême pas quel âge il a exactement. Ici,les certificats de naissance sont rares.

Il gagne environ 1,50 dollar[1,20 euro] par jour, mais, commepour la plupart des militaires, la soldeest irrégulière. Son lit est un matelascouvert de mouches qu’il partage avecdeux autres enfants, âgés de 10 et13 ans. “Il devrait être à l’école, recon-naît son chef. Mais il n’y a pas d’école !”

Awil est chaque jour exposé àune foule de dangers, notamment leséchanges de tirs entre factions rivalesau sein même de son armée. Le gou-vernement somalien est gangrené parles divisions. “J’ai perdu espoir”, affirmeCheikh Yusuf Mohamed Siad, ministrede la Défense, qui a démissionné débutjuin avec plusieurs autres ministres.“Cette mission internationale ne sert àrien.” Awil sait que les conseillers duprésident ont planifié une opérationmilitaire pour reprendre lentementMogadiscio, aux mains des rebelles.Il a hâte d’en découdre.

Jeffrey Gettleman

afr iqueSOMALIE

Des enfants soldats payés par les contribuables américainsFinancé par les Etats-Unis, le gouvernement de transition envoie au front des gamins qui n’ont parfois même pas 10 ans. Washington et Mogadiscio n’ont jamais ratifié la Convention relative aux droits de l’enfant.

▲ Dessin de Hachfeldparu dans NeuesDeutschland,Berlin.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 31 DU 24 AU 30 JUIN 2010

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de réussite économique, les pays et leurs sys-tèmes éducatifs renoncent imprudemment àdes compétences pourtant indispensables à lasurvie des démocraties. Si cette tendance per-siste, des pays du monde entier produiront bien-tôt des générations de machines utiles, docileset techniquement qualifiées, plutôt que descitoyens accomplis, capables de réfléchir pareux-mêmes, de remettre en cause la traditionet de comprendre le sens des souffrances et desréalisations d’autrui.

De quels bouleversements s’agit-il ? Leshumanités et les arts ne cessent de perdre du ter-rain, tant dans l’enseignement primaire et secon-daire qu’à l’université, dans presque tous les paysdu monde. Considérées par les politiques commedes accessoires inutiles, à un moment où les paysdoivent se défaire du superflu afin de rester com-pétitifs sur le marché mondial, ces disciplinesdisparaissent à vitesse grand V des programmes,mais aussi de l’esprit et du cœur des parents etdes enfants. Ce que nous pourrions appeler lesaspects humanistes de la science et des sciencessociales est également en recul, les pays préfé-

THE TIMES LITERARY SUPPLEMENT (extraits)Londres

Nous traversons actuellement une crise degrande ampleur et d’envergure interna-tionale. Je ne parle pas de la crise éco-nomique mondiale qui a débuté en2008 ; je parle d’une crise qui passeinaperçue mais qui risque à terme d’être

beaucoup plus dommageable pour l’avenir de ladémocratie, une crise planétaire de l’éducation.

De profonds bouleversements sont en trainde se produire dans ce que les sociétés démo-cratiques enseignent aux jeunes et nous n’enavons pas encore pris toute la mesure. Avides

rant rechercher le profit à court terme en cul-tivant les compétences utiles et hautement appli-quées adaptées à ce but.

Nous recherchons des biens qui nous pro-tègent, nous satisfassent et nous réconfortent– ce que [l’écrivain et philosophe indien]Rabindranath Tagore appelait notre “couver-ture” matérielle. Mais nous semblons oublier lesfacultés de pensée et d’imagination qui font denous des humains et de nos rapports des rela-tions empathiques et non simplement utilitaires.Lorsque nous établissons des contacts sociaux,si nous n’avons pas appris à imaginer chez l’autredes facultés intérieures de pensée et d’émotion,alors la démocratie est vouée à l’échec, car ellerepose précisément sur le respect et l’attentionportés à autrui, sentiments qui supposent d’en-visager les autres comme des êtres humains etnon comme de simples objets.

Aujourd’hui plus que jamais, nous dépen-dons tous de personnes que nous n’avonsjamais rencontrées. Les problèmes que nousavons à résoudre – qu’ils soient d’ordre éco-nomique, écologique, religieux ou politique –

en couverture●

Où val’Université ?

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 32 DU 24 AU 30 JUIN 2010

Partout dans le monde, au nom du progrès économique,les pays renoncent à cultiver chez les jeunes des compétences pourtant indispensables à la survie des démocraties. Mise en garde de la philosopheaméricaine Martha Nussbaum.

■ En avril, l’université du Middlesex, au Royaume-Uni,annonçait la fermeture de son département de philosophie.Heureusement, la mobilisation internationale a permisd’éviter le pire : il sera transféré dans un autre établissement.■ En cette période de crise, les enseignements relevant deshumanités reculent un peu partout dans le monde, au nomde la rentabilité. ■ Attention ! la démocratie a tout à yperdre, alerte la philosophe américaine Martha Nussbaumdans son nouveau livre.

Une crise planétairede l’éducation

▲ “Nous sommes en train detransformer les vieillesuniversités en centrescommerciaux de la connaissance !”Sur la pastille :Achetez un doctorat.Dessin d’El Rotoparu dans El País,Madrid.

◀ Dessin d’El Roto paru dans El País, Madrid.

L’éducation victime de l’économie

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sont d’envergure planétaire. Aucun d’entre nousn’échappe à cette interdépendance mondiale.Les écoles et les universités du monde entier ontpar conséquent une tâche immense et urgente :cultiver chez les étudiants la capacité à se consi-dérer comme les membres d’une nation hétéro-gène (toutes les nations modernes le sont) et d’unmonde encore plus hétérogène, et avoir une cer-taine compréhension de l’histoire et du carac-tère des différents groupes qui le peuplent.

Si le savoir n’est pas une garantie de bonneconduite, l’ignorance est presque à coup sûr unegarantie de mauvaise conduite. La citoyennetémondiale a-t-elle réellement besoin des huma-nités ? Elle nécessite certes beaucoup de connais-sances factuelles que les étudiants peuvent acqué-rir sans formation humaniste – par exemple enmémorisant les faits dans des manuels standar-disés (à supposer qu’ils ne contiennent pas d’er-reurs). Pour être un citoyen responsable, tou-tefois, il faut tout autre chose : être capabled’évaluer les preuves historiques, de manier lesprincipes économiques et d’exercer son espritcritique, de comparer différentes conceptions de

la justice sociale, de parler au moins une langueétrangère, de mesurer la complexité des grandesreligions du monde. Disposer d’une série de faitssans être capable de les juger, c’est à peine mieuxque l’ignorance. Etre capable d’avoir une pen-sée construite sur un large éventail de cultures,de groupes et de nations et sur l’histoire de leursinteractions, voilà ce qui permet aux démocra-ties d’aborder de façon responsable les problèmesauxquels elles sont actuellement confrontées. Etla capacité à imaginer le vécu et les besoins del’autre – capacité que presque tous les êtreshumains possèdent peu ou prou – doit être gran-dement développée et stimulée si nous voulonsavoir quelque espoir de conserver des institu-tions satisfaisantes, au-delà des multiples clivagesqui existent dans toute société moderne.

“Une vie sans examen ne vaut pas la peined’être vécue”, affirmait Socrate. Il vivait dans unedémocratie friande de discours enflammés etsceptique à l’égard de l’argumentation, et payade sa vie son attachement à cet idéal de ques-tionnement critique.

Aujourd’hui, son exemple est au cœur dela théorie et de la pratique des enseignements deculture générale dans la tradition occidentale, etdes idées similaires sont à la base du même ensei-gnement en Inde et dans d’autres cultures nonoccidentales. Si l’on tient à dispenser à tous lesétudiants de premier cycle une série d’ensei-gnements relevant des humanités, c’est parceque l’on pense que ces cours les inciteront à pen-ser et à argumenter par eux-mêmes, au lieu des’en remettre simplement à la tradition et à l’au-torité et parce que l’on estime que, comme leproclamait Socrate, cette capacité à raisonner estimportante dans toute société démocratique. Ellel’est particulièrement dans les sociétés mul-tiethniques et multiconfessionnelles. L’idée quechacun puisse penser par lui-même et échangeravec d’autres dans un esprit de respect mutuelest essentielle à la résolution pacifique des dif-férences, tant au sein d’une nation que dansun monde de plus en plus divisé par des conflitsethniques et religieux.

L’idéal socratique est toutefois mis à rudeépreuve parce que nous voulons à tout prix maxi-miser la croissance économique. La capacité àpenser et à argumenter par soi-même ne semblepas indispensable pour qui vise des résultatsquantifiables. Qui plus est, il est très difficile dedéterminer la capacité socratique par des testsstandardisés. Dans la mesure où les tests stan-dardisés deviennent l’aune au moyen de laquelleon évalue les écoles, les aspects socratiques desprogrammes et de la pédagogie ont toutes leschances d’être abandonnés. La culture de la crois-sance économique est friande de tests standar-disés et éprouve de l’agacement à l’égard desenseignements qui ne se prêtent pas aisémentà ce genre d’estimation.

La pensée socratique est une pratique sociale.Dans l’idéal, elle devrait orienter le fonction-nement de toute une série d’institutions socialeset politiques. C’est aussi une discipline qui peutêtre enseignée dans le cadre d’un cursus scolaire

ou universitaire. Elle est très contraignante pourles enseignants, car elle repose sur des échangesintensifs avec les étudiants, mais elle donnesouvent des résultats à la mesure de l’investis-sement. Encore relativement courante auxEtats-Unis, avec son modèle des liberal arts[enseignements de culture générale], elle est plusrare en Europe et en Asie, où les étudiantsentrent à l’université pour se spécialiser sans êtretenus de suivre un cursus de culture générale etoù le mode normal d’enseignement passe pardes cours magistraux, sans feed-back ni parti-cipation active des étudiants. Pourtant, il n’estpas utopique de vouloir conférer une dimensionsocratique à l’enseignement, y compris au niveauscolaire ; c’est tout à fait à la portée d’une col-lectivité qui respecte l’esprit de ses enfants et lesimpératifs de la démocratie.

A partir du XVIIIe siècle, en Europe, en Amé-rique du Nord et surtout en Inde, des penseursont commencé à se démarquer du modèle d’édu-cation fondé sur l’apprentissage par cœur pourmener des expériences faisant de l’enfant un par-

ticipant actif et critique. Les théories européennesnovatrices – celles, par exemple, de Jean-JacquesRousseau, de Johann Pestalozzi et de FriedrichFröbel – ont eu une influence déterminante auxEtats-Unis, par le biais des travaux de BronsonAlcott et d’Horace Mann au XIXe siècle puis, auXXe siècle, de John Dewey, indéniablement leplus influent praticien américain de l’éducationsocratique et son théoricien le plus brillant.Contrairement à ses prédécesseurs européens,Dewey vivait et enseignait dans une démocratieflorissante et son objectif premier était de pro-duire une génération de citoyens démocratiquesrespectueux les uns des autres. Ses expériencesont laissé une empreinte profonde sur l’ensei-gnement primaire aux Etats-Unis. Cela expliqueque les valeurs socratiques y soient un peumoins malmenées qu’ailleurs dans le monde,où elles sont depuis longtemps passées de mode.Mais les choses évoluent rapidement et

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 33 DU 24 AU 30 JUIN 2010

■ L’auteureMartha Nussbaum,63 ans, est l’un des grands noms de la philosophieaméricainecontemporaine.Professeur de droitet d’éthique à la faculté de droit de l’université de Chicago, elle est connue pour ses travaux sur les questions de développement.Elle a notammentcontribué, avec l’économisteAmartya Sen, à l’élaboration du concept de“capabilité”, quipermet de mesurerle développementd’un pays non pasen termes de PIB,mais en fonction de la liberté desindividus à menertel ou tel type devie. Elle est l’auteured’une vingtained’ouvrages, dont un seul, Femmes et développementhumain(éd. Des femmes,2008), est traduiten français.Le texte que nouspublions ici est uneversion condenséedu premier chapitrede son livre Not For Profit: WhyDemocracy Needsthe Humanities(A but non lucratif.Pourquoi ladémocratie a besoindes humanités), qui vient de paraîtreaux Etats-Unis, aux presses de l’universitéPrinceton.

LexiqueQu’entend-on au juste par humanités ?

Pour Le Petit Robert, le terme, vieilli,désigne l’étude de la langue et de la litté-rature grecques et latines. Dans un sensplus actuel, il englobe – comme son équi-valent anglais humanities, très usité – l’his-toire, la géographie, la philosophie, le droit,les langues et la littérature, etc., en grostoutes les disciplines qui n’entrent pas dansla catégorie des sciences dites “dures” ou“exactes”. Comment le notait en 2005 l’uni-versitaire française Michèle Gally, le termeest inconnu dans les catégories de larecherche institutionnelle, où l’on préfèreparler de “sciences humaines et sociales”ou de “sciences de l’homme et de lasociété”. En revanche, il est très prisé desécoles d’ingénieurs et il revient en force dansles universités, où il n’est plus rare de trou-ver des départements des humanités. UnInstitut des humanités devrait égalementvoir le jour prochainement au sein de l’uni-versité Paris-Diderot (Paris-VII).

DR

Des cours magistrauxsans participation active

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capacité à se comprendre soi-même et à com-prendre les autres. Il faudra toutefois attendrele XXe siècle et les expériences de RabindranathTagore en Inde [voir encadré ci-contre] et deJohn Dewey aux Etats-Unis pour que les artsaccèdent à ce statut de clé de voûte de l’en-seignement primaire.

Toutes les sociétés à toutes les époques ontleurs points aveugles, des catégories de la popu-lation qui sont particulièrement susceptibles defaire l’objet d’un traitement discriminatoire.L’écrivain américain Ralph Ellison disait à pro-pos de son grand roman, Homme invisible, pourqui chantes-tu ?, qu’il était “un radeau de sensi-bilité, d’espoir et de divertissement” sur lequel laculture américaine pourrait “négocier les écueilset les tourbillons” qui se dressent entre nous etnotre idéal démocratique. L’imagination, affir-mait-il, nous permet de développer notre capa-cité à voir l’entière humanité de gens avec quinos relations sont au mieux superficielles, aupire polluées par des préjugés avilissants – sur-tout dans un monde qui a érigé des barrièresnettes entre les groupes. Son roman a bienentendu pour thème et pour cible les “yeux inté-rieurs” du lecteur blanc. Le héros [noir] est invi-sible pour la société blanche, mais il nous ditque cette invisibilité est un manque d’imagi-nation et d’éducation de la part de cette société,et non une anomalie biologique de sa part à lui.

Dans l’Amérique d’Ellison, le principal pro-blème pour les “yeux intérieurs” était l’impos-sibilité pour les Blancs de se mettre à la placedévalorisante des Noirs. Tagore, lui, avait iden-tifié comme point aveugle l’intelligence etl’agencéité [agency, capacité d’action] desfemmes, et il imaginait des procédés pour déve-lopper la curiosité et le respect à l’égard del’autre sexe. Les deux romanciers affirmaientque, pour comprendre pleinement les discri-minations et les inégalités sociales, il ne suffit

l’effondrement de l’idéal socratique n’estpas loin. Pour bien comprendre le monde com-plexe qui les entoure, les citoyens n’ont pas assezdes connaissances factuelles et de la logique. Illeur faut un troisième élément, étroitement liéaux deux premiers, que l’on pourrait appelerl’imagination narrative. Autrement dit, la capa-cité à se mettre à la place de l’autre, à être un lec-teur intelligent de l’histoire de cette personne, àcomprendre les émotions, les souhaits et les désirsqu’elle peut éprouver. Cultiver l’empathie estau cœur des meilleures conceptions modernesde l’éducation démocratique, à la fois dans lespays occidentaux et non occidentaux. Cela doitse faire pour beaucoup au sein de la famille, maisles écoles, et même les universités, jouent aussiun rôle important. Pour le remplir correctement,elles doivent accorder dans leurs programmesune place de choix aux humanités et aux arts,qui améliorent la capacité à voir le monde à tra-vers les yeux de quelqu’un d’autre – capacitéque les enfants développent par le biais de jeuxd’imagination.

Selon le pédiatre et psychanalyste britan-nique Donald W. Winnicott, le jeu se déroule dansla zone intermédiaire entre soi et l’extérieur, cequ’il appelle l’“espace potentiel”. C’est là que lesenfants d’abord, puis les adultes, expérimententl’idée d’altérité d’une façon moins menaçanteque l’est souvent la rencontre avec l’autre. Dansle jeu, la présence de l’autre devient une sourcede plaisir et de curiosité, et cette curiosité contri-bue au développement d’attitudes saines en ami-tié, en amour et, plus tard, dans la vie politique,comme l’a souligné Winnicott.

Les pédagogues modernes ont très vite com-pris que le principal apport des arts à la vie post-scolaire était de renforcer les ressources affec-tives et imaginatives de la personnalité, la

pas au citoyen démocratique d’être informé. Illui faut faire l’expérience participative du dis-criminé, ce que permettent la littérature et lethéâtre. On peut déduire de leurs réflexionsque les écoles et les universités qui négligentles arts négligent les possibilités de favoriser lacompréhension démocratique.

Nous devons cultiver les “yeux intérieurs”des étudiants. Les arts ont un double rôle àl’école et à l’université : enrichir les capacitésde jeu et d’empathie de façon générale, et agirsur les points aveugles en particulier.

Cette culture de l’imagination est étroite-ment liée à la capacité socratique à critiquer lestraditions mortes ou inadaptées, et lui fournitun support essentiel. On ne peut pas traiter laposition intellectuelle de l’autre avec respectsans avoir au moins essayé de comprendre laconception de la vie et les expériences qui lasous-tendent. Mais les arts contribuent aussi àautre chose. En générant un plaisir lié à desactes de compréhension, de subversion et deréflexion, les arts produisent un dialogue sup-portable et même attrayant avec les préjugés dupassé, et non un dialogue caractérisé par la peuret la défiance. C’est ce qu’Ellison voulait direlorsqu’il qualifiait l’Homme invisible de “radeaude sensibilité, d’espoir et de divertissement”.

Dans toute démocratie moderne, l’intérêtnational exige une économie forte et une cul-ture d’entreprise florissante. Une économieprospère requiert quant à elle les mêmes apti-tudes que la citoyenneté, et c’est pourquoiles tenants de ce que j’appelle “l’éducationà but lucratif” ou “l’éducation pour la croissance

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 34 DU 24 AU 30 JUIN 2010

en couverture

INDE L’éducation selon Tagore

L’écrivain, compositeur, dra-maturge, peintre et philo-

sophe indien Rabindranath Tagore(1861-1941) débute ses expé-riences pédagogiques en fondant,en 1901, à Santiniketan, au Ben-gale-Occidental, un pensionnat quiaccueille une poignée d’élèves.C’est à partir de ce projet initialqu’il concrétisera en 1921 l’idéed’une université alternative, encréant Visva Bharati, un établis-sement encore en activité aujour-d’hui. Il réalise son entreprisehumaniste grâce à la dotation duprix Nobel de littérature qu’il rem-porte en 1913. Dans l’esprit deTagore, la musique et les beaux-arts devaient être au cœur desenseignements, au sein d’un éta-blissement qui se voulait un centreintellectuel et économique à la fois,et où l’on participait à tous les

aspects de la vie sociale grâce àdes interactions étroites entre lapetite ville de Santiniketan et l’uni-versité. “L’école rejetait le systèmescolaire introduit en Inde par le colo-nisateur britannique. Le programmede l’école était donc en ruptureavec la façon dont le reste du paysconcevait l’enseignement. La sim-plicité était un principe cardinal. Lescours avaient lieu en plein air, àl’ombre des arbres, là où l’hommeet la nature entrent dans une rela-tion harmonieuse et immédiate.Les professeurs et les élèves par-tageaient la même vie sociocultu-relle”, peut-on lire sur le site Inter-net de Visva Bharati, qui possèdedepuis 1951 le statut d’univer-sité centrale. On y enseigne leslangues, les mathématiques, lamusique, les arts plastiques, l’his-toire et même l’agronomie.

La capacité à se mettreà la place des autres

Le modèle américainest une exception

▶ “A l’université on t’apprend àpenser, et au travailtu peux avoir des ennuis si tu le fais.” Dessin d’El Rotoparu dans El País,Madrid.

W E B +Dans nos archivescourrierinternational.com

▶ “Non àl’éducationfast-food !” par le sociologueallemand UlrichBeck. (CI n° 1010, du 11 mars 2010)

▶“Former descitoyens éclairés :un défi pour la Chine”(CI n° 1010, du 11 mars 2010)

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OÙ VA L’UNIVERSITÉ ?

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 35 DU 24 AU 30 JUIN 2010

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

Quand les temps se font durs, les durs fontdes études de comptabilité. Quand lemarché du travail se détériore, beaucoupd’étudiants s’imaginent qu’ils ne peu-vent pas se permettre de prendre l’an-glais ou l’histoire comme matière prin-

cipale. Il faut qu’ils étudient quelque chosequi débouche directement sur unemploi. On peut s’attendre dès lors àce que les humanités poursuiventleur longue dégringolade dans lesannées à venir. Le nombre d’étu-diants inscrits en liberal arts [filièregénérale mêlant arts, lettres etsciences dans les universitésaméricaines] a déjà chuté deprès de 50 % en l’espace d’unegénération, et la tendance estvouée à s’accélérer. Jadis vedettesde la vie universitaire, les huma-nités sont désormais cantonnéesaux seconds rôles quand les futursétudiants font leur tour des universi-tés. Le labo est visiblement plus gla-mour que la bibliothèque. Mais accor-dez-moi une pause, le temps d’apportermon sac de sable à la digue de ceux quitentent de résister à ce raz de marée. Jevoudrais défendre les cours d’histoire,d’anglais et d’art, en dépit des réalités éco-nomiques du moment.

Etudier les humanités améliore les capaci-tés de lecture et d’écriture. Quelle que soit l’ac-tivité que l’on exerce, cela donne un avantageconsidérable de savoir lire un paragraphe et d’en

comprendre le sens (c’est un talent plus rarequ’on ne le croit). Cela donne un pouvoir

immense d’être, au bureau, la personnecapable de rédiger un rapport clair etconcis. Etudier les humanités familia-rise avec le langage de l’émotion. Dans

notre économie de l’information,beaucoup sont capables de pro-duire une innovation technique,un nouveau lecteur MP3 parexemple. Très peu, en revanche,peuvent créer une grande marque

comme l’iPod. Pour créer unemarque, il faut avoir une connais-

sance des ressorts affectifs et la ca-pacité à les faire jouer, ce que l’on ne

peut faire que si l’on connaît bien le lan-gage de la passion.

Etudier les humanités permet de se doterd’un riche répertoire d’analogies. Tout le mondepense par comparaisons : l’Irak est un nouveauVietnam ou une nouvelle Bosnie, votre patronun Narcisse ou un Solon [chantre de la démo-cratie]. Ceux qui disposent d’un vaste réper-toire d’analogies pensent avec plus de précisionque les autres.

Enfin, et surtout, étudier les humani-tés aide à faire ami-ami avec le “Grand Hir-sute”. Je m’explique. Au cours du derniersiècle, les hommes ont bâti toutes sortes desystèmes qui les aident à comprendre lecomportement humain : économie, sciencepolitique, théorie des jeux, psychologie évo-lutionniste. Ces systèmes se révèlent utilesen de nombreuses circonstances, mais aucunne parvient à expliquer entièrement les com-portements, car, au fond d’eux-mêmes, leshumains sont animés par des passions et des

élans non réductibles à un modèle systé-mique. Ils ont des aspirations et des craintesqui logent dans la bête que nous avons enchacun de nous et que l’on pourrait appelerle Grand Hirsute.

Toute personne un peu observatrice passeson temps à se demander : comment cela sefait-il ? pourquoi Untel a-t-il agi ainsi ? Il estdifficile d’avoir des réponses à ces questions,parce que le comportement émane du plus pro-fond du Grand Hirsute.

La connaissance technique s’arrête à lasurface. Si l’on passe sa vie à surfer de lien enlien sur Internet, on ne pénétrera sans doutepas très avant dans le Grand Hirsute, car laprose rapide et fluide du blogueur (et du jour-naliste) n’a pas le poids requis pour plongeren profondeur.

Mais il y a toujours eu au fil des sièclesquelques rares êtres étranges possédant le donde saisir les tempêtes mentales venues du GrandHirsute et de les représenter sous la forme derécits, de musique, de mythes, de peinture, deliturgie, d’architecture, de sculptures, de pay-sages et de discours. Ces hommes et ces femmesont élaboré des langages qui nous aident à com-prendre ces aspirations, mais aussi à les domp-ter et à les canaliser. Ils nous ont laissé de richesfilons de savoir affectif ; ce sont ces filons qu’ex-plorent les humanités.

Il est sans doute dangereux de se limiter àce seul univers : le risque est de s’y faire cloî-trer et d’être exclu du marché. Mais n’est-il pasjudicieux de passer du temps en compagnie deces langages, à apprendre à ressentir des émo-tions variées, à goûter à différentes passions,à expérimenter différents rituels sacrés et àapprendre à varier les points de vue ?

Nous évoluons dans des environnementssociaux. Et là, si l’on ignore tout du Grand Hir-sute, on risque de se faire dévorer par lui.

David Brooks

économique” ont adopté une conception appau-vrie de ce qui est nécessaire pour parvenir àleurs fins. Mais, dans la mesure où une écono-mie forte est un moyen au service de finalitéshumaines et non une fin en soi, cet argumentest moins important que la stabilité des insti-tutions démocratiques. La plupart d’entre nousne choisiraient pas de vivre dans un pays pros-père qui aurait cessé d’être démocratique. Etpourtant ce qu’on lit sur toutes les lèvres est lebesoin d’une éducation qui favorise le déve-loppement national sous forme de croissanceéconomique. C’est ce qu’énonçait récemmentle rapport de la commission Spellings sur l’ave-nir de l’enseignement supérieur mise en placepar le ministère de l’Education américain. C’estce qui est mis en œuvre dans plusieurs payseuropéens, qui valorisent les universités et lesformations techniques et imposent des coupesde plus en plus sévères dans les disciplines rele-vant des humanités.

Les Etats-Unis n’ont jamais eu un modèled’éducation strictement orienté vers la crois-sance. Contrairement à la quasi-totalité des pays

du monde, nous possédons un modèle d’en-seignement supérieur fondé sur la culture géné-rale. Les étudiants doivent suivre pendant leursdeux premières années d’études un tronc com-mun très diversifié, comportant des disciplinesrelevant des humanités.

Il ne faut pas voir dans cette priorité don-née à la culture générale un quelconque vestigede l’élitisme. Les grands noms de la pédagogieaméricaine ont très tôt associé la culture géné-rale à la formation de citoyens démocratiquesinformés, indépendants et doués d’une capa-cité d’empathie. Le modèle des liberal arts resterelativement fort mais, en cette période de criseéconomique, il est soumis à rude épreuve.

L’éducation pour la croissance économiquesuppose des compétences de base – savoir lire,écrire et compter. Elle suppose aussi que cer-tains aient des compétences plus poussées eninformatique et en technologie. L’égalité d’ac-cès, toutefois, n’est pas d’une importance cru-ciale : un pays peut fort bien se développer alorsmême que sa population rurale pauvre resteillettrée et privée de ressources informatiques,

comme en témoigne le cas de l’Inde. Cela a tou-jours été le problème du modèle de dévelop-pement fondé sur le PIB par habitant. Il ne tientpas compte de la répartition et peut primer despays ou des Etats qui présentent des inégalitésinquiétantes. Cela est aussi vrai pour l’éduca-tion : les pays peuvent accroître leur PIB sanstrop se soucier de la répartition de l’éducationdu moment qu’ils créent une élite technologiqueet commerciale compétente.

En plus de compétences de base pour beau-coup et de compétences plus pointues pour cer-tains, l’éducation pour la croissance économiquesuppose qu’un groupe de gens susceptibles deconstituer une élite relativement restreinte aientune connaissance rudimentaire de l’histoire etdu fait économique. Il faut toutefois veiller à ceque le récit historique et économique ne donnelieu à aucune réflexion critique sérieuse sur lesinégalités de classe, d’origine et de sexe, et surles chances de survie de la démocratie en pré-sence d’inégalités massives. La pensée critique

Si les humanités ne servent qu’à une chose, c’est à déchiffrer les passions humaines pour éviter de se faire dévorer par elles.

(Suite page 37) ▶

Comprendre la bête qui est en nous▼ Dessin paru dansThe Guardian,Londres.

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en couverture

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 36 DU 24 AU 30 JUIN 2010

THE NEW YORK TIMES (extraits)New York

DE MADRAS

Sur Anna Salai, l’une des grandes artèresdu centre-ville, se trouve une librairieappelée American Book Center. Par unsamedi matin nuageux, son proprié-taire, V. Krishnan, 70 ans – et 62 ansde métier –, évoque avec nous l’évolu-

tion du secteur du livre au cours des dernièresdécennies. Dans les années 1960, raconte-t-il,la plupart de ses clients étaient des hommesd’un certain âge. Depuis une dizaine d’années,il remarque davantage de femmes et de jeunes.

Cette nouvelle population n’a pas les mêmescentres d’intérêt. Dans le temps, il vendait essen-tiellement des romans, alors qu’aujourd’hui cequi marche ce sont les livres d’informatiqueet de gestion. Le vieux libraire écoule encorequelques exemplaires de James Joyce ou de Sha-kespeare, mais ce sont les ouvrages techniquesqui le font vivre. “Sans les ordinateurs, je n’au-rais pas de travail”, reconnaît-il.

L’histoire de M. Krishnan en dit long surl’évolution des modes de consommation cul-turelle en Inde. Ce pays à la prospérité gran-dissante est de plus en plus confiant dans sonavenir, surtout du fait de la réussite de ses socié-tés de services basés sur les technologies del’information.

Les chefs d’entreprise indiens sont entrésau panthéon des héros nationaux. Nul ne peutnier leur réussite. Mais l’adulation du com-merce et de la richesse pousse à s’interrogersur le statut d’activités plus humanistes, sur lerôle de l’art et des artistes, sur la place dévo-lue aux humanités et aux sciences sociales,et, plus généralement, sur la nature de l’ima-gination indienne.

A mesure que l’Inde s’enrichit, sa culturese transforme. Reste à savoir si un pays en proieà une frénésie de consommation peut conser-ver des îlots d’activités intellectuelles et cul-turelles non marchandes et si une populationfermement décidée à s’enrichir peut appré-cier des entreprises à la rentabilité moins immé-diatement évidente.

Une chose est sûre, les facultés de lettreset de sciences sociales en Inde ont été négli-gées au fil du temps et souffrent de la rigiditédes programmes, d’un budget insuffisant etd’un manque de personnel. Tandis que lesécoles de commerce et de technologie les plusprestigieuses ont toute latitude ou presque enmatière de recrutement et de financement, les

autres établissements doivent surmonter demultiples obstacles administratifs. Ils ont ainsisouvent besoin d’une autorisation officiellepour pouvoir annoncer une vacance de poste,comme le notait Shreesh Chaudhary, profes-seur d’anglais et de linguistique, dans une tri-bune publiée en 2009 dans le quotidien TheHindu. “Les conséquences sont désastreuses, etles universités de rang international ne sont plusque l’ombre d’elles-mêmes”, déplorait-il.

Les humanités sont aussi en perte de vitessechez les étudiants. Selon la Banque mondiale,bien que les formations dites “générales”, quicomprennent les humanités et les sciencessociales, restent les plus demandées, le nombre

d’étudiants préparant des diplômes techniquess’est accru à un rythme six fois plus rapideentre 2000 et 2004.

Cela n’a peut-être rien de surprenant quandon connaît le piètre état des départements deshumanités. Mais cela dénote aussi une évolu-tion plus générale des mentalités : dans le temps,on appréciait la valeur intrinsèque d’un ensei-gnement, sa capacité à élargir les horizons desétudiants, à les exposer à de nouvelles idées,à de nouvelles expériences. Aujourd’hui, on estobsédé par la valeur d’un diplôme sur le mar-ché du travail.

Il est possible que tout cela ne soit que tran-sitoire. Pour Pratap Bhanu Mehta, un ancienuniversitaire qui dirige d’un institut de recherchede New Delhi, l’essor de disciplines plus mon-nayables est une réalité, mais correspond peut-être à une phase de consolidation. “On espère,dit-il, que cette croissance permettra, entre autres, decréer les conditions d’une culture plus riche à l’ave-nir.” Certains économistes parlent d’une courbeenvironnementale de Kuznets dans le processusde développement. Après un premier stade decroissance où l’on se soucie peu de l’environne-ment, la tendance atteint un palier, puis s’inverseà mesure que le pays devient plus riche. Il enva peut-être de même pour la culture, et l’Indeen serait au premier stade de ce que l’on pour-rait appeler une courbe de Kuznets culturelle.Mais, entre-temps, la marchandisation de la vieintellectuelle semble devoir se poursuivre, voires’aggraver. Beaucoup ces derniers temps redou-tent que la privatisation croissante de l’ensei-gnement en Inde ne nuise encore davantage auxfilières artistiques et de sciences sociales.

A Madras, M. Krishnan, comme le restede ses concitoyens, semble mettre toute saconfiance dans l’informatique et la gestion. Ilsouhaite que son petit-fils et son gendre, quifont tous deux des études commerciales, repren-nent la librairie. “Ils vont tout informatiser”,explique-t-il. Et, grâce à leur système, espère-t-il, les gens se remettront à lire.

Akash Kapur

CHINE La technologie avant tout

Les universités chinoisesprivilégient trop souvent la

quantité d’étudiants au détri-ment de la qualité de l’ensei-gnement, déplorait dans lequotidien cantonais NanfangDushibao Wang Zeke, profes-seur de commerce interna-tional à l’université Sun YatSen de Canton, dans un ar-ticle à la mémoire du père duprogramme spatial chinois,Qian Xuesen, décédé en oc-tobre 2009.“On préfère l’ingénierie auxsciences humaines et sociales.Au point que même les uni-versités qui étaient réputéesdans les domaines artistiques

et littéraires développent au -jourd’hui des départementsd’ingénierie ou de médecine”,poursuivait-il.Wang Zeke rappelait qu’en2005 Qian Qian Xuesen avaitcritiqué le manque de qualitédes cursus scientifiques chi-nois dans une lettre adresséeau Premier ministre WenJiabao. A son avis, ces pro-grammes devaient inclure uneformation artistique, fonda-mentale à ses yeux pour ledéveloppement de l’espritscientifique. “Comment peut-on espérer créer de nouveauxsavoirs et voir naître desesprits créatifs dans un envi-

ronnement pareil ?” interro-geait Qian Xuesen.De plus, les cursus scienti-fiques chinois ont adopté unelogique utilitariste en soute-nant la spécialisation et la pro-fessionnalisation, afin que lesétudiants puissent trouver unemploi à la sortie de l’univer-sité. Cette orientation avaitjustement été déplorée parQian Xuesen, qui prônait desformations plus complètesproposant à la fois des ensei-gnements en sciences, entechnologies et dans leshumanités, note un autre quo-tidien de Canton, le YangchengWanbao.

En Inde, le boom de l’économie a détourné les étudiants des formations plus humanistes,jugées peu rentables.

Un phénomènepeut-être transitoire

Obsédés par l’informatique et la gestion

▲ “A quoi bon fairedes études pourdevenir aigle si aprèsil n’y a que desemplois de vautour ?Dessin d’El Rotoparu dans El País,Madrid.

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soutien généreux des philanthropes. On peutmême dire qu’il œuvre pour la citoyenneté démo-cratique mieux qu’il ne le faisait il y a cinquanteans, époque où les étudiants n’apprenaient pasgrand-chose sur le monde en dehors de l’Europeet de l’Amérique du Nord, ou sur les minori-tés de leur propre pays. Les nouveaux domainesd’étude intégrés au tronc commun ont accru leurcompréhension des pays non occidentaux, del’économie mondiale, des relations intercom-munautaires, de la dynamique du genre, de l’his-toire des migrations et des combats de nouveauxgroupes pour la reconnaissance et l’égalité. A l’is-sue d’un premier cycle universitaire, les jeunesd’aujourd’hui sont dans l’ensemble moins igno-rants du monde non occidental que les étudiantsde ma génération. L’enseignement de la litté-rature et des arts a connu une évolution simi-laire : les étudiants sont confrontés à un éventailde textes nettement plus vaste.

Nous ne pouvons toutefois pas relâcher notrevigilance. La crise économique a poussé de nom-breuses universités à tailler dans les humanitéset les arts. Ce ne sont certes pas les seules disci-plines concernées par les coupes. Mais, les huma-nités étant jugées superflues par beaucoup, onne voit pas d’inconvénient à les rogner et à sup-primer totalement certains départements. EnEurope, la situation est encore plus grave. Lapression de la croissance économique a amenébeaucoup de dirigeants politiques à réorientertout le système universitaire – à la fois l’ensei-gnement et la recherche – dans une optiquede croissance. En Inde, la dévalorisation deshumanités a débuté avec Nehru [à la fin desannées 1940], qui entendait faire de la scienceet de l’économie les piliers de l’avenir du pays.Malgré sa passion pour la poésie et la littérature,

Nehru estimait qu’elles devaient passer au secondplan, derrière les sciences et la technologie, etil a eu gain de cause.

Dans l’enseignement primaire, les exigencesdu marché mondial ont poussé tous les pays àmettre l’accent sur les compétences scientifiqueset techniques, tandis que les humanités et les artsétaient reformulés pour devenir eux aussi descompétences techniques appelant une évalua-tion par questionnaires à choix multiple (QCM).Les capacités imaginatives et critiques sur les-quelles ils reposent ont généralement été laisséesde côté. Dans les pays qui, comme l’Inde, aspi-rent à capter une plus grande part du marché ouqui, comme les Etats-Unis, s’efforcent de pré-server des emplois, ces capacités font figure d’ac-cessoires superflus. Le contenu des programmesa sacrifié ce qui stimulait l’imagination et l’es-prit critique au profit de ce qui était directementutile à la préparation des examens. Cette évolu-tion des contenus s’est accompagnée d’une évo-lution de la pédagogie encore plus pernicieuse,qui évince des modes d’enseignement favorisantle questionnement et la responsabilité indivi-duelle au profit du bachotage.

A l’époque où les gens ont commencé àréclamer la démocratie, l’éducation a été repen-sée dans le monde entier pour produire le typed’étudiants correspondant à cette forme de gou-vernement exigeante : non pas un gentlemancultivé, imprégné de la sagesse des temps, maisun membre actif, critique, réfléchi et empa-thique d’une communauté d’égaux, capabled’échanger des idées dans le respect et la com-préhension des gens issus des horizons les plusdivers. Aujourd’hui, nous continuons d’affir-mer que nous tenons à la démocratie, et nouscroyons aussi tenir à la liberté de parole, au res-pect de la différence, et à la compréhension desautres. Nous nous prononçons en faveur de cesvaleurs, mais nous ne nous donnons pas la peinede réfléchir à ce que nous devons faire pour lestransmettre à la génération suivante et assu-rer leur survie. Martha C. Nussbaum

OÙ VA L’UNIVERSITÉ ?

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ne doit donc pas être une composante tropimportante de l’éducation pour la croissanceéconomique. La liberté de pensée de l’étudiantest dangereuse si le but est de former des tra-vailleurs dociles techniquement efficaces etchargés d’exécuter les plans des élites visantà attirer les investissements étrangers et le déve-loppement technologique.

Qu’en est-il des arts et de la littérature,auxquels les éducateurs démocratiques sontsi souvent attachés ? L’éducation pour la crois-sance économique méprise ces pans de la for-mation de l’enfant, parce qu’ils ne semblentmener ni à l’enrichissement personnel, ni à laprospérité nationale. Mais elle les redouteaussi, car la compréhension de l’autre est unennemi particulièrement dangereux de l’in-sensibilité morale nécessaire pour mener à biendes programmes de développement écono-mique fondés sur les inégalités.

Il est plus facile de traiter les êtres humainscomme des objets à manipuler quand on n’ajamais appris à les considérer autrement. L’artest un grand ennemi de cette insensibilité, etles artistes (à moins qu’ils n’aient été totale-ment intimidés et corrompus) ne sont les ser-viteurs d’aucune idéologie, pas même d’uneidéologie intrinsèquement bonne – ils deman-dent toujours à l’imagination de dépasser seslimites habituelles, de voir le monde sous desangles nouveaux. C’est pourquoi l’éducationpour la croissance économique milite contre laprésence des humanités et des arts dans l’édu-cation élémentaire.

Il en va pourtant des arts comme de la pen-sée critique : nous nous rendons compte qu’ilssont indispensables pour atteindre l’objectif de lacroissance économique. Les grands pédagoguesde la formation commerciale savent depuis long-temps que la capacité d’imagination est la clé devoûte d’une culture d’entreprise saine. L’inno-vation suppose des esprits souples, ouverts et créa-tifs ; la littérature et les arts cultivent ces capa-cités. Quand elles sont absentes, la cultured’entreprise s’étiole rapidement. On embaucheplus volontiers des diplômés ayant une formationgénéraliste que des étudiants plus spécialisés,parce qu’ils sont réputés avoir la souplesse et lacréativité nécessaires à l’entreprise. Quand bienmême notre seul souci serait la croissance éco-nomique, nous devrions malgré tout protégerl’enseignement humaniste et général.

Les arts, dit-on, coûtent trop cher. Nousn’en avons pas les moyens en période de diffi-cultés économiques. Et pourtant les arts ne sontpas forcément si chers que cela. La littérature,la musique et la danse, le dessin et le théâtre :voilà de puissants vecteurs de plaisir et d’ex-pression pour tous, d’autant qu’il n’y a pasbesoin de beaucoup d’argent pour les favoriser.Je dirais qu’un type d’éducation qui sollicite laréflexion et l’imagination des étudiants et desenseignants réduit en réalité les coûts, en rédui-sant l’anomie et la perte de temps qu’induit l’ab-sence d’investissement personnel.

Comment se porte l’éducation à la citoyen-neté démocratique dans le monde aujourd’hui ?Mal, j’en ai bien peur. Elle va encore relative-ment bien à l’endroit où je l’ai étudiée, à savoirdans les disciplines de culture générale du cur-sus universitaire américain. Ce pan du cur-sus, dans des établissements comme le mien[l’université de Chicago], bénéficie encore d’un

▶ (Suite de la page 35)

Former des travailleursdociles et efficaces

▶ Dessin d’El Rotoparu dans El País,Madrid.

■ Au parcL’éducation ? Il en sera beaucoupquestion au coursdes Dialogues en humanité, qui se tiendront du 2 au 4 juilletprochain, dans leparc de la Tête d’or,à Lyon. Ce forum,organisé par le Grand Lyon,rassemble chaqueannée acteurs de la vie civile,philosophes,personnalités descinq continents,pour un échangevivifiant sur la question(inépuisable) de l’humain. Cetteannée, Courrierinternational est partenaire de l’événement.

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En 2000, les JO de Sydney marquèrent le som-met de sa carrière sportive, puisqu’elle réussit à décro-cher une médaille de bronze au concours par équipeset qu’elle s’illustra dans la foulée lors de la Coupe dumonde, puis des Jeux d’Asie orientale, où elle rafla cinqmédailles. C’est à cette occasion qu’on lui donna le sur-nom de “biche agile de l’Orient”.

Son bassin la faisait souffrir de plus en plus. Elle nepensait pourtant qu’à participer à de nouvelles com-pétitions. Au cours du second semestre 2001, le Cham-pionnat du monde aurait pu lui offrir la chance d’êtresacrée championne du monde. Mais il y avait un hic :les Jeux nationaux étaient programmés deux mois avantle Championnat du monde. Dans ce genre de compé-titions, qui mêlent pouvoir et intérêts, les velléités d’au-tonomie des gouvernements régionaux allaient mettrel’honneur de l’Etat en péril. Feng Shuyong, respon-sable du Centre national de gestion de l’athlétisme, adéploré en ces termes cette situation : “La gloire dechaque province est devenue plus importante que celle dupays !” Les athlètes furent en effet mobilisés par leursclubs pour défendre l’honneur provincial plutôt que dese préparer à défendre l’image de la Chine face auxéquipes étrangères.

C’est en vertu de cette curieuse logique que DongFangxiao dut tirer un trait sur ses espoirs de devenirchampionne du monde. Sous la pression des différentscomités régionaux, l’équipe féminine chinoise n’ali-gna finalement aux Championnats du monde qu’uneformation ridicule, composée d’une seule représen-tante – une page peu glorieuse des annales de la gym-nastique chinoise !

A la veille des Jeux nationaux, Dong Fangxiao souf-frait tellement qu’elle ne parvenait plus à marcher, mais,sous pression, elle était quand même entrée en scèneaprès une nouvelle injection anesthésiante et avait réussià ravir deux médailles d’or. Mais cela avait aggravé sonétat, à tel point qu’elle était tombée après la remise desprix. C’est alors que les médecins confirmèrent leurdiagnostic : une ostéonécrose déjà bien avancée. Cer-tains d’entre eux ont par la suite dit qu’il y aurait eu unespoir de guérison si elle ne s’était pas obstinée à par-ticiper aux compétitions, retardant sans cesse un trai-tement efficace de la maladie. Au cours des trois annéesqui ont suivi, Dong Fangxiao dut subir huit opérationssuccessives. Seule une très douloureuse greffe de car-tilage lui a permis de pouvoir encore se déplacer, mêmesi elle ne peut pas rester debout longtemps.

Résultat : elle a dû prendre sa retraite sportiveen 2002. Mais, sans la protection de l’équipe natio-nale, son existence est devenue problématique. “Cen’est pas quelqu’un qui sait tirer parti de ses relations”,nous a confié sa mère, Li Wenge. “De plus, elle ne peutplus accomplir certaines tâches.” Selon un journaliste duYangcheng Wanbao, qui a interviewé Dong Fangxiaopendant sa convalescence, “on dirait quelqu’un d’autre !Elle a grossi et elle articule mal. Et dire que jadis on la sur-nommait la ‘biche agile de l’Orient’…”

En 2004, alors qu’elle était toujours au chômage,l’Office national des sports lui a proposé de suivre uneformation à l’Université des langues étrangères n° 2 de

olympique estime quant à lui que toutes les deux “men-tent” et que Dong Fangxiao a vu le jour en 1986. Donga payé un lourd tribut à cette bataille de dates, puis-qu’elle s’est vu retirer sa médaille de bronze de gym-nastique par équipes aux Jeux olympiques de Sydneyde 2000, ainsi que la plupart de ses titres internatio-naux. Celle qu’on appelait la “biche agile de l’Orient”n’est plus rien aujourd’hui. Tout juste une anciennegymnaste qui a dû quitter son pays et qui va souffrirtoute sa vie d’une ostéonécrose des têtes fémorales.

Dong Fangxiao a vu le jour à Tangshan (provincedu Hebei, nord-est de la Chine), ancienne cité minièredécrépite, où les trois membres de sa famille s’entas-saient dans un petit appartement de 40 mètres car-rés. Dès l’âge de 4 ans, elle a été envoyée dans uneécole pour jeunes gymnastes, où elle a appris à sup-porter l’effort et l’ennui. Ses parents, qui voulaientavant tout qu’elle devienne championne olympique,exigeaient que même dans la douleur elle garde le sou-rire. Une éducation qui a fait l’admiration de WangCiqun, l’entraîneur de l’équipe nationale de gymnas-tique féminine, qui la remarqua et la fit venir en 1996à Pékin. Elle devint alors une véritable machine à s’en-traîner. “Elle arrivait au gymnase à 8 heures du matin etn’en sortait qu’à 20 heures, se souvient M. Wang. Il luiarrivait de répéter des milliers de fois le même mouvement.”A cette époque-là, elle n’avait en tête que “combattreles blessures et les maladies” et “devenir un motif de gloirepour son pays, fût-ce au prix de sacrifices”, des expres-sions qui sont maintenant pour elle synonymes delarmes et de souffrances.

C’est en 1998, alors qu’elle faisait déjà partie del’équipe nationale, que Dong Fangxiao a commencé àressentir une gêne au niveau du bassin. On lui a alorsfait pour la première fois une injection anesthésiante.Dans les centres d’entraînement chinois, où l’on prônede “ne pas battre en retraite devant les petites blessures”,avouer sa douleur équivaut à manquer de courage.

Au cours des années qui ont suivi, Dong Fangxiaoa dû subir plusieurs injections anesthésiantes pour sou-lager ses douleurs croissantes, dues à une ostéonécrosedes têtes fémorales qui n’avait pas encore été diagnos-tiquée. Cette maladie, dont sont fréquemment atteintsles gymnastes, provient de la répétition des chocs encais-sés par les têtes fémorales pendant les séances d’en-traînement intensif.

Dong Fangxiao était renommée pour son agilitégracieuse. Les journalistes l’avaient remarquée pour lapremière fois en 1998, lors des championnats natio-naux de gymnastique. L’année suivante, elle obtint unemédaille de bronze aux Championnats du monde àTianjin. Elle fut alors considérée comme un nouvelélément fort de l’équipe féminine nationale.

Pékin. Durant les quatre années qui ont suivi, DongFangxiao a réussi à payer ses études grâce à ce qui luirestait des prix obtenus lors des concours et à un emploià temps partiel d’entraîneur de gymnastes.

Par la suite, Dong Fangxiao s’est initiée à l’infor-matique et a créé un blog sur lequel ses fans sont deve-nus son principal soutien psychologique, lui rappelantses heures de gloire. Vers la fin de ses études, alorsqu’elle avait épuisé toutes ses économies, DongFangxiao a contacté plusieurs établissements sportifs.Comme elle n’arrivait pas à gagner plus de 1 000 yuans[120 euros] par mois, elle a accepté de faire de la publi-

cité pour des médicaments douteux.Constatant sa situation pitoyable,l’ancien coach de l’équipe de gym-nastique de la province du Hebei,Huang Jian, lui a promis un bonposte au sein de son équipe aprèsles Jeux olympiques de Pékin. Donga alors entrevu l’espoir de menerune vie stable avec toute sa famille.Mais Huang Jian est malheureuse-ment décédé dans un accident devoiture pendant les Jeux olympiquessans avoir eu le temps de donner desinstructions concernant la nomina-tion tant attendue. “Avec sa mort, leschoses en sont restées là, et personnen’est intervenu pour nous”, raconteLi Wenge. Une nouvelle fois, DongFangxiao restait sur le carreau.

Sur les conseils de sa mère, DongFangxiao a fini par déposer unedemande pour aller enseigner àl’étranger – elle a choisi la Nouvelle-Zélande. Alors qu’elle venait dedéménager, la Fédération interna-tionale de gymnastique a diligentédes poursuites à son encontre pourtromperie sur l’âge. Six mois plustard, en février 2010, le verdict esttombé : il y avait bien eu entorse àla règle de l’âge minimal.

Très vite, l’équipe nationalequ’elle avait servie a déclaré : “Ladissimulation de son âge est un actepersonnel !” Personne n’est parvenuà entrer en contact avec DongFangxiao. On ne sait donc pas com-ment elle a accueilli la nouvelledepuis la lointaine petite ville néo-zélandaise où elle a émigré.

Déchue de ses titres, DongFangxiao a également perdu le capi-tal sur lequel reposait son séjourà l’étranger ; elle aura sans doutedu mal à se faire accepter dans lemoindre club de sport. Son petit

ami, Li Te, filtre les appels téléphoniques, qui pro-viennent du monde entier, affirmant : “Pour l’instant,ce n’est pas le moment d’en parler !” Ye Weimin

NANFANG ZHOUMOCanton

Dong Fangxiao

portrai t

La biche agile de l’Orient

Est-elle née en 1983, en1985 ou en 1986 ? Dong Fangxiaone sait pas trop. Sur son blog, elleindique 1985, mais sa mère s’obstine à penserque c’était en 1983. Le Comité international

■ BiographieDong Fangxiaocommence la gymnastique à l’âge de 4 ans.En 1996, elle rejointl’équipe nationale.En 2000, elledécroche unemédaille de bronzeau concours par équipes aux Jeux olympiquesde Sydney.En 2002,après qu’on lui a diagnostiqué une ostéonécrosedes têtes fémorales,elle prend sa retraite sportive.En 2008, pendantles Jeux olympiquesde Pékin, Dongtravaille en tantqu’agent technique.C’est alors qu’ondécouvre que ladate de naissancequ’elle a déclaréepour les Jeux de Sydney ne correspond pas à celle donnée pourles Jeux de Pékin.Le 28 avril 2010,le Comitéinternationalolympique retire àla Chine sa médaillede bronze des Jeuxde Sydney pouravoir fait concourirDong, alors âgée de 14 ans, alors quele règlement prévoitun âge minimal de 16 ans.

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◀ ■ Victoire. Dong Fangxiao lors de l’épreuve de gymnastique au sol aux JO de Sydney en 2000.

▼ ■ Rigueur. Un coach aide Dong pendant une sessiond’entraînementavant les JO de Sydney.

▲ ■ Médailles.Yang Yun (à gauche)et Dong Fangxiaoreçoivent la médaille de bronze paréquipes à Sydney.

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▼ ■ Déroute. Dix ans plus tard, le président du CIOa retiré la médaillede bronze à la Chine.

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originaux, avec des hauteurs de plafonds impres-sionnantes, attirent entre autres des patrons de res-taurants et des galeristes. L’esthétique industrielle esttellement en vogue que les décors des nouveaux res-taurants et cafés s’en inspirent de plus en plus. Lesoccupants de ces quartiers sont en majorité des créa-tifs. Selon le chercheur américain Richard Florida*,qui leur a consacré plusieurs livres [dont le plus célèbreen 2002, The Rise of the Creative Class], le noyau durde cette classe de personnes est composé de gens quitravaillent dans les sciences et les techniques, l’archi-

Les friches industrielles de lacapitale russe sont à la mode.D’anciennes usines abritentdésormais ateliers d’artistes,écoles d’architecture et galeries de peinture…

EXPERT (extraits)Moscou

Cet été, sur le site de ce qui fut l’usine KrasnyOktiabr [“Octobre rouge”, la fabrique de confi-serie la plus renommée de l’URSS], une écolespécialisée dans l’architecture et les médias

ouvrira ses portes. L’événement marquera une nou-velle étape dans la reconversion de cette ancienne zoneindustrielle située à proximité du Kremlin [sur uneîle de la Moskova]. En fait, d’après les premiers pro-jets, rendus publics il y a plusieurs années, on s’at-tendait à voir sortir de terre un quartier chic avec deslofts hors de prix. Finalement, c’est une “cité de lacréation” [cluster artistique] qui a été mise en chan-tier. Les locaux sont pour la plupart loués à des gale-ristes, architectes, designers, peintres, publicitaires.S’y installent également des boîtes de nuit excentriqueset des restaurants qui cherchent à se distinguer.

Le cas de Krasny Oktiabr est emblématique dece qui arrive aux bâtiments industriels de Moscou.Ce phénomène résulte de deux tendances. Commeailleurs dans le monde, le développement des indus-tries de création, avec les territoires qui lui sont asso-ciés, constitue l’un des axes de l’aménagement urbain.Second point, si l’idée initiale des promoteurs immo-biliers avait été de raser les vieilles usines pour les rem-placer par des bureaux et des appartements de pres-tige, la crise les a obligés à changer leurs plans. Ainsi,ils ont conservé les murs et décidé d’utiliser l’espace.Les cités de la création ne sont pas la plus mauvaisesolution pour conférer une nouvelle vie à des sitesindustriels devenus obsolètes.

En outre, l’architecture industrielle du centre deMoscou est de plus en plus tendance. Ces endroits

tecture, le design, l’éducation, l’art, la musique et l’in-dustrie du divertissement, mais aussi, dans unemoindre mesure, dans le monde des affaires, la finance,le droit et la santé.

Cette classe sociale est aujourd’hui partout consi-dérée comme le moteur de la nouvelle économie post-industrielle. A Londres comme à New York, capitalesqui se désignent elles-mêmes par l’expression “crea-tive cities”, on peut voir des projets de développementde ce type, et de nombreuses autres villes cherchent àles imiter. A Helsinki, par exemple, les pouvoirs publicsont décidé de relancer le design finlandais dans l’es-poir d’attirer l’attention internationale, ce qui feraitvenir tout à la fois des investissements, des créateurset des amateurs de tourisme culturel. Le résultat leplus fameux est le quartier de Design District, qui com-prend vingt-cinq rues et abrite plus de 170 lieux dif-férents, tous liés à la création. La cité anglaise deSheffield a eu cette intuition avant tout le monde, dès1988, à l’issue de l’ère minière et sidérurgique qui avaitsi longtemps fait vivre la région. Une décennie plustard, cette ville était citée en exemple pour sa renais-sance économique grâce à l’accent mis sur la culture.En Allemagne, la Ruhr a suivi la même voie, et Essena été désignée capitale culturelle européenne pour2010. En Suède, c’est la petite ville de Botkyrka, à20 kilomètres de Stockholm, qui s’est transforméegrâce à l’installation d’une école des arts du cirque, cequi a amorcé un cercle vertueux, donnant naissance àun centre de création baptisé Subtopia.

Ainsi, ces clusters artistiques peuvent transfigurerdes quartiers à l’abandon, en faire des zones pri-sées et apporter un regain d’énergie au tissu urbain.Leur effet bénéfique s’étend ensuite aux quartiersvoisins, et les prix de l’immobilier augmentent. Ceprocessus ne va cependant pas sans risques, commeon a pu le voir avec SoHo, à New York. D’abord revi-talisé et rendu célèbre par les artistes qui s’y étaientinstallés, le quartier a fini par devenir trop bourgeoiset trop cher pour ceux-là mêmes qui étaient à l’ori-gine de sa renaissance.

En Russie, le processus n’en est qu’à ses débuts,mais le potentiel de notre pays dans ce domaine esténorme. D’après les estimations de Richard Florida,on y compterait environ 13 millions de personnesappartenant à cette classe créative. Quant à la capi-tale, elle abrite un immense patrimoine industriel.Lorsque l’URSS s’est effondrée [en 1991], 25 % duterritoire de Moscou étaient classés zone industrielle.A peine quelques années plus tard, la plupart desusines qui s’y trouvaient ont cessé d’être rentables.Selon les plans d’urbanisme actuels de la mairie,4 300 hectares devraient être reconvertis d’ici à 2025afin de fournir à la capitale “des bâtiments à usage publicet d’habitation, ainsi que des zones vertes et de loisirs”.

Avant la crise de 2008, on prévoyait de raser lesvestiges industriels et de construire du neuf haut degamme sur les terrains ainsi libérés. Certains projetsde ce type ont été lancés, mais ils n’ont progressé quelentement. Complexes à élaborer, demandant delongues concertations, ils réclament aussi de lourdsinvestissements, car dépolluer une ancienne zone indus-trielle n’est jamais simple. Depuis la crise, les pro-priétaires de ces zones n’ont plus les moyens d’en-gager des projets d’envergure. Par ailleurs, la demande

Moscou, nouvelle “creative city”URBANISME BRANCHÉ

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 40 DU 24 AU 30 JUIN 2010

▼▶ L’ancienne fabrique de confiserie Krasny Oktiabr abrite un pôle de création artistique.

reportage ●

Lyud

mila

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immobilière dans le neuf a chuté et ceux qui possé-daient des territoires industriels et des bâtiments quileur restaient sur les bras se sont tournés vers la loca-tion pour les rentabiliser, en demandant des loyers peuélevés, de l’ordre d’une dizaine de milliers de roubles[250 euros] par mètre carré et par an. Cela a séduitdes artistes, qui ont rarement de gros moyens. Cesartistes sont aussi moins exigeants que les locatairesd’immeubles de bureaux classiques. La hauteur sousplafond et le cachet historique des bâtiments nourris-sent leur imagination et compensent les inconvénientspratiques. De toute façon, un hangar d’usine est siimmense qu’il est facile de le transformer à sa guise.

Un trait de caractère essentiel de la classe créa-trice est sa sociabilité. Ces gens ont besoin d’endroitspour se retrouver, discuter de leurs projets, rencon-trer de nouveaux partenaires exerçant dans d’autresdomaines d’activité. Les bâtiments industriels sont sivastes que l’on peut aisément y installer des établis-sements informels, des boîtes de nuit, cafés ou autres.Cela engendre un nouveau style de vie, ce qu’illustrebien, à Moscou, l’exemple de Krasny Oktiabr ou del’usine Arma**. La vie y bat son plein jour et nuit, lesfêtards succédant aux gens qui travaillent, le tout semélangeant et se fondant sans heurts. Au centre d’artcontemporain Vinzavod***, on trouve un grandensemble de salles d’expositions qui assure à ce lieuune riche vie culturelle. Les artistes y trouvent l’oc-casion de montrer le fruit de leur travail à proximitéimmédiate de leurs bureaux ou ateliers.

Les cités de la création ne sont pas très rentables.En général, ceux qui investissent dans ce genre de

choses ne le font pas pour l’argent, mais plutôt paramour de l’art moderne, par envie de côtoyer lemilieu artistique, entre autres. A Moscou, malgréle succès des projets existants, qui suscite unedemande excédentaire, les propriétaires comme lespouvoirs publics se soucient peu, dans la majoritédes cas, du bien-être de leurs locataires. A l’étran-ger, on se préoccupe de créer du lien social avecle reste de la ville et on s’efforce de constituer unenvironnement agréable. A Moscou, en revanche,il a fallu de longues années de négociations avec lespropriétaires pour que les chemins autour du centreArma soient goudronnés. L’explication est simple :la plupart de ceux qui possèdent ce type de terrainsconsidèrent ces cités artistiques comme un pis-aller.Ils attendent le jour où il sera finalement rentablede tout raser pour construire des immeubles quileur rapporteront de substantiels bénéfices. Cetteattitude se retrouve chez les occupants, qui souventn’hésitent pas à monter des studios et des galeries

d’un style à donner le vertige sans penser un ins-tant à aménager les alentours, ce qui rend le pas-sage d’un bâtiment à l’autre digne d’un parcoursdu combattant.

Contrairement à ce qui se passe en Europe occi-dentale ou aux Etats-Unis, les pouvoirs publics neproposent presque aucun soutien aux industries de lacréation, qui évoluent de ce fait sans véritable stra-tégie. Le résultat est qu’elles ne jouent pas, dans lavie de la cité, le rôle important qu’elles ont ailleurs. Ala différence du Design District d’Helsinki, pour neciter que lui, elles ne génèrent pas d’afflux de tou-ristes, ne font pas monter les prix de l’immobilier,n’apportent pas de revenus au budget municipal, etc.A Moscou, ces friches industrielles sont essentielle-ment des ghettos d’artistes, des structures beaucoupmoins ouvertes sur l’extérieur que les sites similairesqui existent en Europe. Malgré tout, disposer dequelques îlots de créativité permet déjà de rendre laville plus intéressante. Maria Fadeïeva

* Né en 1957, il s’est bâti un nom autour du concept de “classecréative”, population urbaine, mobile, qualifiée et connectée, dont laprésence engendre un développement économique.** A l’époque de sa construction, en 1865, l’usine de gaz Armaalimentait les 3 000 lampadaires qui éclairaient les rues de Moscou.Puis elle a fourni en gaz toute la capitale jusqu’à la moitié duXXe siècle. Enfin, elle s’est reconvertie dans la production de matérielassocié à la fourniture de gaz. C’est en 2003 qu’elle s’est transforméeen cluster artistique et qu’elle est devenue un lieu culte de la capitale(www.armazavod.ru).*** En 2007, cet espace dédié à la création contemporaine aété ouvert par l’homme d’affaires Roman Trotsenko sur leterritoire d’une ancienne usine de production de bière et de vin(www.winzavod.ru).

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▲▶ Le centre de culture contemporaine Garage est logé dans l’ex-dépôt de bus Bakhmetevski, construit en 1926.

◀▼ Derrière les murs d’une ancienne usine, le centre d’art contemporain Vinzavod.

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▲ Dessinde Mix & Remixparu dans L’Hebdo,Lausanne.

Le bon esprit, c’est l’Allemagne à la Coupedu monde, c’est dix hommes qui jouent commes’ils étaient quinze. Le bon esprit, ce sont lesEtats-Unis qui réussissent à égaliser [2 buts par-tout] après avoir été menés 2 à 0 par la Slovénie.

Le bon esprit, c’est Lionel Messi qui un ins-tant fait une pirouette dans le camp adverse etl’instant d’après réalise un bon tacle. Son équipeest peut-être portée par son inspiration, maisc’est sa transpiration qui l’unit. Quand le meilleurjoueur du monde transpire, ses camarades sonttellement gênés qu’ils mouillent le maillot. Messi,

THE STRAITS TIMES (extraits)Singapour

L’équipe la plus passionnante de la Coupedu monde est aussi la plus tranquille.Quand on a demandé à Ryan Nelsen, lecapitaine de la Nouvelle-Zélande, sil’équipe allait faire une danse tradi-tionnelle avant de jouer, il a répondu :

“Des Blancs maigrichons faisant le haka ! Vouscroyez que ça va impressionner les adversaires ?”Or ces Blancs maigrichons sont particuliers.Leur talent n’est peut-être pas étincelant, leurtechnique peut-être pas éblouissante, mais ilsont un côté brillant, un état d’esprit qui ne peutse mesurer mais qui se voit.

Ce sont ces Blancs maigrichons que l’An-gleterre et la France devraient aller voir, la têtebaissée en signe de pénitence. Les gars,devraient-elles demander, on a peut-être unehistoire, on croule sous les attentes, mais est-ceque vous pouvez rappeler à nos équipes de grosfrimeurs ce qu’est l’esprit du football ? Parcequ’on dirait bien qu’on l’a perdu. Le bon esprit,dans le sport, c’est comme un tonique antique,il transporte les membres de l’équipe et lessoude. Il n’est pas facile à définir, mais on peutle percevoir dans le langage corporel des joueurs,dans leur persévérance à la 89e minute, quandles muscles se mutinent, dans la tape amicalequ’ils donnent à un coéquipier pour le soute-nir après une faute, et surtout en voyant uneéquipe rester soudée même dans la détresse.

c’est notre référence. Il n’a pas l’air insultant, ilne pue pas l’arrogance. Il porte légèrement songénie, il vient pour jouer, pas pour faire de la poli-tique, le bon esprit l’entoure comme un halo.A côté de lui, l’équipe de France ressemble à unramassis d’enfants gâtés, de héros dépassés dontl’échec est dû à tout le monde sauf à eux. Le bonesprit, ce n’est assurément pas renoncer à uneséance d’entraînement en pleine Coupe dumonde. Le bon esprit, ce n’est pas insulter sonsélectionneur, si inefficace qu’il soit. Le bonesprit, c’est ravaler ses griefs et jouer avec fougue,

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◀ Dans une rue de Lagos.

SPORT

Face à l’indignité des joueurs tricolores, The Straits Times estime qu’ils auraient dû s’inspirer des Néo-Zélandais ou des Argentins, dont le comportement est exemplaire.

Mauvais esprit, tu es là !

CONSÉQUENCE Les Bleus ou la mort du black-blanc-beur

Un langage fleuri signé NicolasAnelka à l’endroit de son entraî-

neur, Raymond Domenech, a fait explo-ser la maison bleue. Et depuis, commedans Loft Story, on en apprend desvertes et des pas mûres sur l’intimitéde l’équipe de France. Patrice Evra, enbon chef de bande pour défendre soncopain tombé en disgrâce, cherche àéliminer un traître. Ajoutez à cela Franck“Scarface” Ribéry, qui joue les caïds debac à sable en inhibant complètementce pauvre Yoann Gourcuff, trop lissesans doute dans ce monde de brutes.Avec tout cela, difficile de croire qu’onest encore dans le football, on est plu-tôt dans Prison Break. Comparaisond’autant plus juste que ces Bleus, avecleur morgue et leur suffisance, se sonttotalement isolés dans leur luxueuxhôtel de Knysna [à l’ouest du pays, pro-vince du Cap-Occidental].

Que tout cela est pathétique et gon-flant ! Certes, ce n’est que du football,mais cette affaire est plus grave qu’onne le pense, si on prend le temps de lamettre en perspective. Car ce n’est passeulement sur les divas de l’équipe deFrance que l’hallali va tomber, mais surles pauvres petits jeunes des cités fran-çaises. Déjà les identitaires irasciblescommencent à sortir le microscope pournous dire que tout cela est la parfaiteillustration d’une France coupée endeux. Celle entre le Blanc Gourcuffélevé dans l’austérité et le sens dusacrifice tout à fait bretons, et l’autrepersonnifié par Anelka, la “racaille” deTrappes, qui ne connaît aucune sou-mission à l’autorité. Et, cette fois,même la personne ayant la meilleurevolonté du monde aura du mal à leurapporter la contradiction, à ces obsé-dés de la grande identité française.

Si Anelka refuse de donner le ballon àGourcuff, ce n’est pas parce que sa cou-leur de peau ne lui revient pas. Si cesfooteux se comportent de façon aussilamentable, c’est simplement parce quec’est dans l’air du temps. Il est de bonton d’être provo ou trash dans un mondeoù l’anti-intellectualisme est la valeur lamieux partagée, surtout dans ces quar-tiers difficiles.Finalement, dans cette prison françaisepeuplée de stars gâtées et pleurni-chardes, le problème, c’est que le gar-dien de prison, l’ineffable RaymondDomenech, n’est pas à la hauteur. Sonabsence d’autorité et de crédibilité a étéla grande source de tout ce cirque. Et,comme si cela n’était pas suffisant, il aentrepris de verser dans le ridicule jus-qu’au bout, en venant lire les doléancesdes joueurs face à la caméra. PauvreFrance ! Adama Ndiaye, Kotch, Dakar

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jouer pour ses camarades, pour les supporters,pour le drapeau, pour sa fierté.

Bouder, c’est ce que font les gamins de11 ans quand ils se font coller à l’école, pasles footballeurs logés dans le luxe. Vous vou-lez protester ? Portez un brassard noir, signezune pétition, passez à autre chose.

Le bon esprit, c’est aussi le boulot dusélectionneur. Le sport est essentiellementune activité démocratique, mais les entraî-neurs sont comme des dictateurs bienveillants.Comme un chef avec son orchestre, le sélec-tionneur décide quelle musique footballis-tique son équipe tentera de jouer et choisitceux qui joueront. Mais on ne fait pas de bellemusique sans bon esprit, sans que le chef ins-taure une ambiance qui pousse tout le mondeà viser la grandeur. C’est là un ballet com-pliqué où on se fait constamment marcher surles pieds et Raymond Domenech a un jeu dejambes minable. Il n’a pas réussi à instaurerle bon esprit et il a laissé couver la dissension.Il n’est pas au diapason de ses hommes. Il nesait pas les gérer sans tout leur laisser pas-ser, comme sir Alex Ferguson, l’entraîneur deManchester United, peut le faire.

Finalement, on trouvera un bel équilibreet une vraie sagesse dans les mots du généralaméricain George S. Parron : “On fait peut-être la guerre avec des armes, mais on la gagneavec des hommes. C’est avec l’état d’esprit deshommes qui suivent et celui de l’homme qui com-mande que l’on emporte la victoire.”

Mais Domenech ne joue pas, ce sont seshommes qui jouent. Des hommes bien payés,des hommes adulés, des hommes habillés enArmani. C’est d’eux que doit venir le bonesprit. Il ne faut pas qu’ils cherchent un boucémissaire ou se trouvent des excuses, ils doi-vent chercher le courage en eux-mêmes. C’estcomme ça que se forgent les héros.

Rohit Brijnath

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LA SEMAINE PROCHAINERetrouvez un dossier spécialCoupe du mondeavec des analyses, des commentairessur la compétition et ses à-côtés.

▲ Dessin de Kichka, Israël.

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contre l’Italie ? On ne retient que le 3 à 1 contrel’Argentine. Et qui a été l’homme du match cejour-là, hein ?” ll a alors bu une gorgée avantde citer avec délice le milieu défensif Batista,dont le style rappelait le sien.

Qu’on les apprécie ou pas, les choix deDunga ont toujours été jusqu’à présent sui-vis d’effet. Sur les quelque 55 matchs qu’ila suivis à la tête de la sélection, le plus sou-vent debout, avec ses cheveux en brosse et seschemises arc-en-ciel, il en a gagné 71 %. Pourla victoire, il compte sur la discipline, le travailà haute dose, l’engagement, la loyauté etl’obéissance tactique. Il se focalise sur sonobjectif au point de couper les joueurs dureste du monde, de leur interdire de parleren dehors des inintéressantes conférences depresse collectives. Quant à lui, il a déclaréque, durant le Mondial, il ne serait même pasen contact avec sa femme, car il n’est pas venuen Afrique du Sud pour cela.

Changeons complètement de décor ettransportons-nous jusqu’à Florence. Dungay a vécu entre 1988 et 1992, jouant au seinde l’équipe de la Fiorentina. Il s’est épris decette cité de la Renaissance, des merveilleuxtableaux de Botticelli exposés au musée desOffices, de l’enivrant coucher de soleil surl’Arno, de Dante, de Léonard de Vinci, deGalilée, des Médicis… “Et de Machiavel”,ajoute-t-il aussitôt, citant le penseur italien(1469-1527) qui a écrit Le Prince, un chef-d’œuvre sur la nature du pouvoir. “A Florence,j’ai appris l’italien, visité les meilleurs musées,

VEJASão Paulo

Lors d’une froide nuit de mai, au bard’un élégant hôtel de São Paulo,Carlos Caetano Bledorn Verri, aliasDunga, a fait une confidence qui per-met de comprendre son comporte-ment à la tête de la sélection brési-

lienne : il y a quatre ans, il a pris en chargela sélection nationale à la suite de person-nalités aussi diverses que l’intransigeantdéfenseur du football offensif Telê Santana,le superstitieux Zagallo ou le charisma-tique Luiz Felipe Scolari. Il ne ressembleà aucun d’entre eux. Dunga est perçu parde nombreux supporters et par l’immensemajorité des journalistes sportifs commeun être antipathique, arrogant et entêté. Ilaccepte peu d’interviews, il n’aime pas lesmédias en général, méprise les critiques,ne cède pas à la clameur populaire, nerenie pas ses convictions et ne pense qu’àune chose : gagner.

Pour lui, cet objectif ne passe ni par lebeau jeu, ni par l’audace créative, ni par ledribble enchanteur, ni par le spectacle, ni paraucune des fascinantes caractéristiques quiont façonné la magie et la saga du footballbrésilien. “Vous vivez en faisant des com pa -raisons avec la sélection de 1982, qui pratiquaitun beau football”, a-t-il rappelé ce soir de mai.“Mais à quoi cela a-t-il conduit en dehors desvictoires sur l’Ecosse et la Nouvelle-Zélande, d’unretour difficile face à l’URSS et d’une défaite

y compris aux heures de fermeture pour le public,les dirigeants du club m’offrant ce privilège, etj’ai découvert qui était Machiavel”, explique-t-il. Dans un des passages les plus célèbresde son œuvre, Machiavel pose une questiontoujours d’actualité : pour le prince, vaut-ilmieux être aimé ou être craint ? Il conclutque le mieux est d’être les deux à la fois, maisque, si cela se révèle impossible, le prince doitchoisir la deuxième option et, pour mettrecette maxime en pratique, il lui faut user desubtilité, voire de ruse et de cruauté.

Parmi les conseils de Machiavel au prince,on trouve la façon de sélectionner une équipe.“Quand tu verras un ministre, plus dévoué à lui-même qu’à toi, chercher son propre intérêt danstous ses actes, tu en concluras qu’il ne sera jamaisun bon ministre et que tu ne pourras jamais avoirconfiance en lui.” Dunga pense et agit de cettemanière. Il est craint, sait être dur quand il lejuge nécessaire et il conclut un pacte avec lesjoueurs en qui il a confiance. Serait-ce donclà sa source d’inspiration ? Dunga esquisseun sourire et ne répond pas directement. “J’aipeu d’instruction, admet-il, j’ai à peine le niveaudu lycée. Mais je suis intelligent, j’ai de l’expé-rience et j’ai beaucoup appris.”

Carlos Maranhão

Dunga, le Machiavel brésilienLe sélectionneur de l’équipe du Brésil n’a qu’une seule idée en tête : la victoire. Il est prêt à tout et s’inspire du penseur italien pour y parvenir.

SPORT

ANGE GARDIEN CONGOLAISAprès avoir fui leur pays, où sévit une instabilité chronique, des Congolais sesont installés au Cap dans l’espoir de s’en sortir. Bien organisés, ils ont mis surpied un service de gardiennage spécialisé dans la surveillance des automobiles.Un bon filon dans un pays où les vols de voitures sont monnaie courante.

L’AUTRE AFRIQUE DU FOOTBALL

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▲ Le sélectionneurbrésilien observe ses joueurs pendantleur séanced’entraînement, le 19 juin, à Johannesburg, à la veille du match contre la Côte d’Ivoire.

Il ne se focalise que sur son objectif : la victoire

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PROSPECTLondres

Il y a dix ans, la première ébauchede séquence du génome humain futprésentée comme le début d’une èrenouvelle de la médecine. Francis

Collins – qui dirigeait à l’époque leconsortium international pour le sé-quençage du génome humain (IHGS)et qui se trouve aujourd’hui à la têtedes Instituts américains de la santé(NIH) – affirmait que les connaissancesacquises grâce aux travaux de séquen-çage allaient permettre aux médecinsd’adapter les traitements au profil gé-nétique des patients. Il voyait ce rêvedevenir réalité avant 2010.

Comme vous l’aurez peut-êtreremarqué, cela ne s’est pas produit.Jusqu’à présent, l’impact médicaldu Projet génome humain(PGH) – qui a débouché surle décryptage de plus de21 000 gènes – a étéinsignifiant. Contraire-ment aux assurances deCollins, en 2001, selonlesquelles “de nouveauxmédicaments génétiquessur mesure [allaient être]introduits sur le marchépour lutter contre le dia bètesucré, l’hypertension, lestroubles mentaux et beau-coup d’autres maladies”, iln’est plus du tout évidentque cela se produise effec-tivement. Avons-nous été trom-pés ? Pas exactement. Mais la distan-ce qui sépare les promesses et les actesmontre bien que, comme les alunissagesdans le domaine de l’exploration spa-tiale, le PGH était plus un triomphe dela technologie qu’un progrès de la com-préhension scientifique.

NOUS NE COMPRENONS PAS LE FONCTIONNEMENT DU GÉNOME

Certes, il est normal que les pro-messes liées aux avancées scientifiquestardent à se matérialiser et il est in-contestable que la connaissance des3 milliards de bases azotées de notreADN [dont la séquence détermine lecode génétique] va faire progresser lesrecherches sur l’origine et l’évolutionde l’homme, la démographie et les ma-ladies. En outre, l’une des retombéestechnologiques du PGH a été le per-fectionnement des techniques de sé-quençage, qui a permis au projetd’aboutir plus tôt (et pour moins cher)que prévu. Cette fantastique évolutiona été due en partie à une compétitionintense dans la course au séquençageentre le PGH, un consortium public etla société américaine Celera Genomics,dirigée par le biologiste et homme d’af-faires Craig Venter. Ces techniques ontouvert la porte à un séquençage moins

onéreux des génomes individuels etcontribué à une explosion des donnéesgénomiques dans le monde entier.

Pourquoi ces données ne se sont-elles pas traduites par la découvertede nouveaux médicaments ? C’est enpartie parce qu’il s’est révélé extrê-mement difficile de passer de laconnaissance théorique d’un gènequ’on savait impliqué dans une ma-ladie à une solution thérapeutiqueviable, même pour une maladie com-me la mucoviscidose, qui est provo-quée par un seul et unique gène. Enréalité, le problème est que nous necomprenons pas comment fonctionneexactement un génome. Ce qui peutêtre très gênant quand il s’agit d’unprojet qui a coûté quelque 3 milliardsde dollars [2,4 milliards d’euros]. Enfait, le PGH n’est pas issu d’unevéritable hypothèse de départ : il

n’avait paspour mission

de répondre à desquestions bien défi-nies. Au contraire, leschercheurs espéraient

que des applications bé-néfiques découleraient na-

turellement des données dégagées.Cette attitude n’était pas due à l’igno-rance des scientifiques, mais à deshypothèses de départ erronées. Avantle PGH, on pensait que nos génomesétaient faits de gènes qui condition-naient la synthèse des protéines,essentielle au fonctionnement des cel-lules. On pensait également que cesgènes étaient noyés dans un tas d’ADN“inutile” ou ADN “poubelle” quin’aurait pas été éliminé au cours duprocessus de l’évolution. On pensait en-fin qu’à chaque gène correspondait uneprotéine unique codée par l’intermé-diaire de l’acide ribonucléique (ARN),celui-ci servant de modèle pour l’as-semblage de ladite protéine.

Depuis que le PGH a commencé,en 1993, diverses révisions de cesthéories se sont imposées et d’autresthéories complètement différentes ontpris forme. Il se pourrait par exempleque la relation gène-protéine ne soitpas si exclusive que cela. En outre,la majeure partie de cet ADN dit“inutile” ne serait pas inutile du tout,mais jouerait au contraire un rôle bio-logique encore inconnu. En effet, lamajorité de cet ADN est transcriten ARN, opération consommatriced’énergie, qui ne se produirait donc

pas sans une bonne raison. Autre révi-sion : les gènes ne seraient pas forcé-ment distribués de façon linéaire surle génome. Quant à l’activité des gènes,elle serait influencée par de nombreuxfacteurs qui ne sont pas explicitementcodés dans le génome. Il pourrait s’agirde l’arrangement du matériel chro-mosomique et de son “étiquetage” pardes marqueurs chimiques. Ainsi, mêmedans le cas de maladies comme le dia-bète, où il y a clairement un facteurhéréditaire, les gènes impliqués necomptent que très peu dans l’hérédité.Le reste des facteurs a même été sur-nommé “matière noire” du génome,ce qui équivaut à un aveu d’ignorancetotale par les scientifiques.

LE GÉNOME EST PLUS COMPLEXEQU’UN MANUEL D’UTILISATION

Pour être juste, il faut dire que certainsde ces nouveaux points de vue ont puêtre développés grâce au PGH lui-même et aux technologies qui lui sontassociées. Mais il y a eu un manqued’anticipation de la complexité dugénome, dû en partie aux sophismesconfortables de la recherche en géné-tique. Après la découverte de lastructure moléculaire de l’ADN parFrancis Crick et James Watson, en1953, les généticiens ne purent s’em-pêcher de penser que le plus impor-tant avait été fait. Ils se mirent à consi-dérer l’ADN comme un “livre de lavie”, à lire comme un manuel d’utili-sation. On se rend compte aujour-d’hui que le génome ressemble moinsà une liste de pièces détachées qu’à unsystème climatique plein de réactionset d’interdépendances complexes.

Une des plus pernicieuses consé-quences du syndrome “livre de la vie”fut l’apparition d’un nouveau déter-minisme génétique, qui pourrait serésumer par la phrase : nous sommesce que nos gènes font de nous. Uneautre illusion de jeunesse du PGHétait que l’on peut faire de la sciencesans hypothèses et sans idées. Commele dit Jim Collins, de l’université deBoston, l’un des rares biologistes àvoir plus loin que le bout de son nez,“nous avons fait l’erreur de confondre lacollecte d’informations et l’améliorationde notre compréhension”.

Où en sommes-nous aujourd’hui ?Il se peut que ce que nous ne savonspas encore sur le génome soit uneénorme masse de détails inaccessibles.Mais des ingénieurs examinant le corpshumain diraient que le bon fonction-nement d’un système aussi complexedoit forcément dépendre de principesgénéraux plus vastes. Nous connais-sons indubitablement l’un d’entre eux– le lien entre la séquence d’un gène etla structure d’une protéine –, mais nousne pouvons plus continuer à penserque les choses s’arrêtent là. Et nous nedécouvrirons pas les autres principesen nous contentant de plonger dansl’océan de données que nous fourniraun autre domaine de la biologie finis-sant en “-ome”, que ce soit le pro-téome, l’épigénome ou le métabolome.Ce dont nous avons besoin, c’est depenser de façon originale.

Philipp Ball

Génome humain : l’heure de la désillusionGÉNÉTIQUE ■ Achevé depuis dix ans, le séquençage complet de nos gènes devait permettre decréer des médicaments innovants.Mais on les attend toujours…

sciences ●

i n t e l l i g e n c e s

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 45 DU 24 AU 30 JUIN 2010

▼ Dessin de Raúl Arias paru dans El Mundo,Madrid.

■ A la une A l’occasion des dix ans du séquençage du génome humain,la revue scientifiqueNature revenait en avril sur les difficultésrencontrées par la médecinegénétique.

■ économieL’Afghanistanet lamalédictiondes matièrespremières p. 46

■ multimédiaTime Warnerrenaît de sescendres p. 48

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FOREIGN POLICYWashington

Des géologues [américains] ontdécouvert en Afghanistan d’im-menses gisements de fer, decuivre, d’or et d’autres minerais,

a annoncé The New York Times à la unede son édition du 14 juin. Si ellesétaient exploitées, ces ressources, esti-mées à 1 000 milliards de dollars,pourraient transformer profondémentle pays. Mais serait-ce pour le meilleurou pour le pire ? Les Etats dotés d’ex-traordinaires richesses minérales (parexemple, la république démocratiquedu Congo (RDC), la Bolivie ou l’Irak)sont souvent aux prises avec des pro-blèmes économiques et politiques toutaussi extraordinaires. L’Afghanistana déjà son lot de difficultés. Cela nesignifie pas pour autant que le paysest irrévocablement condamné à subirce que certains chercheurs ont appeléla “malédiction des matières premières”.

Il ne faut pas non plus s’attendreà ce que des changements s’effectuentdu jour au lendemain. Les grandsprojets miniers prennent des années– parfois plus d’une décennie – pourprendre forme, même en temps depaix. Certes, les industriels sont telle-ment désireux de tirer parti des nou-velles découvertes qu’ils sont prêts àtravailler dans des conditions incroya-

blement difficiles. Ces dernières années,des sociétés du monde entier se sontdisputé le droit d’exploiter les pluspetits gisements d’Afghanistan. Maisnombre des bassins miniers récem-ment découverts se situent dans deszones contrôlées par les talibans, quimanquent cruellement d’infrastruc-tures. Le jour est encore loin où le payspourra en tirer profit.

Mais, quand ce jour viendra, cesera pour l’Etat afghan une véritableaubaine. En Afghanistan, comme danspratiquement tous les pays du mondeà l’exception des Etats-Unis, tout cequi se trouve sous terre appartient àl’Etat. Les entreprises doivent lui ache-ter les droits d’exploitation, auxquelss’ajoutent les primes de signature, lesredevances et autres paiements. Legroupe public chinois China Metal-lurgical Group, qui a remporté en2007 l’appel d’offres pour une minede cuivre relativement modeste au sudde Kaboul, a accepté de verser à l’Etat400 millions de dollars [320 milliardsd’euros] chaque année – une sommeconsidérable pour un pays dont lesrevenus annuels, hors aide interna-tionale, n’atteignent pas 1 milliard dedollars [800 millions d’euros].

Hélas, les pays semblables à l’Af-ghanistan – où la corruption sévit, oùl’Etat de droit est minimal et l’admi-nistration peu performante – dilapi-dent en général une grande partie dela manne. Des milliards ont ainsiéchappé aux caisses de l’Etat enAngola, au Cameroun, en RDC, auNigeria et dans d’autres pays africainsdotés d’immenses richesses minéralesmais qui ont un gouvernement faible.Cet argent a financé la corruption etle clientélisme, mais aussi des projetsbien intentionnés mais mal préparés,mal réalisés ou mal entretenus.

L’administration afghane figuredéjà parmi les plus inefficaces de la

planète. Depuis 2007, elle n’estparvenue à collecter que 7 % duPIB en recettes fiscales, l’un destaux les plus bas du monde,selon le Fonds monétaire inter-

national. Cela illustre égalementla fragilité du pouvoir dont dispose

le gouvernement sur la population.L’Etat survit essentiellement grâce àl’aide internationale, qui couvre envi-ron 70 % de son budget. Les revenusgénérés par les matières premièresrempliront ses caisses et finiront peut-être par lui permettre de se passer dela générosité des pays étrangers. Maisce qui importe, c’est l’usage qu’il ferade ces fonds – qui, à la différence del’aide extérieure, ne sont soumis à

aucune condition. Que le peuple afghan en

bénéficie ou non, cet af-flux de revenus profi-tera, sur le plan poli-

t ique , à ce lu i quisera alors aux com-mandes, Hamid Kar-zai ou un autre. Les di-rigeants des pays endéveloppement bienpourvus en ressources

naturelles restent au pou-voir bien plus longtempsque les autres. Ainsi, malgré

la descente aux enfers danslaquelle il a entraîné sonpays, Mobutu Sese Seko a

conservé son emprise sur larépublique démocra-tique du Congo troisdécennies durant. En

Libye, Muammar Kad-hafi tient la barre depuis plus de

quarante ans et ne semble pas dis-poser à la lâcher. Les politiques auxpoches bien remplies se font beaucoupd’amis. Pour autant, ils ne sont pas né-cessairement plus compétents ni pluspopulaires. Ils durent seulement pluslongtemps. En général, dans les paysen développement, plus il y a derichesses minérales, moins il y ade démocratie.

Il y a toutefois de quoi être mo dé-rément optimiste. Même si ellesaccroissent la corruption et permet-tent au pouvoir en place de se main-tenir à Kaboul, les richesses minéralesfavoriseront peut-être suffisammentle décollage économique pour que lapaix s’instaure. Si les pays pauvressont aussi souvent en proie aux insur-rections, c’est notamment parce quel’engagement dans des forces rebellesreprésente pour des paysans misé-rables un moyen de gagner leur vie.Certaines études montrent que lorsqueles salaires augmentent dans le civil,les groupes armés ont plus de mal àrecruter et les violences diminuent.Un boom de l’exploitation minièrepourrait fournir de nombreux emploisnon qualifiés, emplois qui convien-draient précisément aux jeunes genssusceptibles de combattre dans lesrangs des talibans.

Certes, les richesses naturellespeuvent déclencher les violences aulieu d’y mettre fin. Mais ce scénariosurvient en général quand elles sontconcentrées (comme c’est parfois lecas pour le pétrole) dans une régiondominée par une minorité ethniquequi réclame l’indépendance ou lors-

RESSOURCES ■ Lesénormes gisements de minerais découvertsdans le sous-sol du payspourraient faire sonbonheur ou le plongerdans un chaos sans fin.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 46 DU 24 AU 30 JUIN 2010

Amiante, talc, magnésiteBarytineBauxiteCélestiteChromiteArgileSable à verre

GraphiteCuivre magmatiqueFer magmatiquePlomb et zinc magmatiquesLapis-lazuliGisements d’orPegmatite

Or alluvionnaireSables et graviersCuivre sédimentaireFer sédimentairePlomb et zinc sédimentairesPierreSoufre

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OUZBÉKISTANOUZBÉKISTANTADJIKISTANTADJIKISTAN

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PAKISTANPAKISTAN

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OUZBÉKISTANTADJIKISTAN

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PAKISTANA F G H AN I S TA N

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H I N D O U K O U C H

Kaboul

Herat

Kandahar

Mazar-e Charif

TUUTUTU

Zones riches en mineraisidentifiées par l’USGS

Aussi présents dans le sous-sol afghan :niobium, cobalt, molybdenum, terres rares, argent, potassium, aluminium, flourite, phosphore, mercure, strontium.

L’Afghanistan et la malédictiondes matières premières

économie ●

i n t e l l i g e n c e s

▲ Dessin de Vlahovic,Belgrade.

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qu’elles sont faciles à piller et à re -vendre en contrebande à l’étranger,comme les diamants. Mais, en Afgha-nistan, la diversité des minerais et leurdispersion sur l’ensemble du territoirelimitent peut-être ce risque. Plus cesrichesses créeront d’emplois, moinsil y aura de combats.

LE BOTSWANA ET LE CHILI S’EN SONT BIEN SORTIS

Certaines économies fondées sur l’ex-ploitation minière sont florissantes.Ainsi, le Botswana, riche en diamants,est le pays d’Afrique qui connaîtdepuis des décennies la plus fortecroissance, et le Chili, qui fournit prèsdu tiers du cuivre produit dans lemonde, est l’un des pays les plusriches et les plus prospères d’Amé-rique latine.

L’une des clés d’un développe-ment minier réussi réside dans l’exis-tence d’un Etat fort, capable de négo-cier avec les industriels des contratsdont les termes lui sont favorables etde contrôler leurs activités. En Afgha-nistan, le ministère des Mines estdepuis longtemps considéré commel’un des plus corrompus, ce qui n’estguère surprenant. Même les Etats-Unis présentent un bilan mitigé enmatière de gestion de l’industrie desmatières premières, comme en témoigne

la catastrophe provoquée par BP dansle golfe du Mexique. Contrôler uneimportante industrie minière consti-tue une tâche ardue, même dans lesmeilleures conditions.

Au moins quelques membres dugouvernement Karzai prennent visi-blement ces problèmes au sérieux.En janvier dernier, le ministre desFinances, Omar Zakhilwal, a reportél’attribution des concessions d’ex-ploitation de fer et de pétrole, à l’évi-dence pour prévenir la corruption. Et,en février, le gouvernement a signél’Initiative pour la transparence dansles industries extractives (ITIE), uneconvention internationale visant àencourager les entreprises à publierce qu’elles paient et les Etats à révé-ler ce qu’ils reçoivent. C’est un pre-mier pas sur un chemin semé d’em-bûches mais néanmoins praticable.

Michael L. Ross*

* Ce professeur de sciences politiques àl’Université de Californie à Los Angeles faitpartie du groupe technique qui soutient laCharte des ressources naturelles, un projetqui aide les gouvernements à utiliser les matièrespremières pour développer de manière durableleur économie. Il est également membre duconseil consultatif de Revenue Watch Institute(RWI), une organisation à but non lucratif quicherche à promouvoir la transparence dansles pays riches en ressources naturelles.

CONTREPOINT Une vaste opération de communicationLa richesse du sous-sol afghan était connue depuis longtemps. En ressortant aujourd’hui cetteinformation, les Etats-Unis espèrentjustifier leur présence dans le pays.

L’article publié le 14 juin par TheNew York Times sur la découverte,

par les Etats-Unis, de vastes richessesminières en Afghanistan “laisse pen-ser à une vaste opération de commu-nication visant à influencer l’opinionpublique à propos de la guerre”, affirmeThe Atlantic. “Comme le savent ceuxqui ont lu les travaux du géographeaméricain Jared Diamond sur le déter-minisme géographique, un pays pos-sédant de vastes réserves en mineraistend vers la stabilité, pourvu qu’il soitdoté d’un gouvernement central fort etstable”, poursuit le magazine améri-cain. “Quel meilleur moyen de rappelerque le pays est promis à un avenirradieux que de diffuser ou de rediffu-ser des informations valables mais déjàconnues sur la richesse potentielle dela région ? L’administration Obama etles militaires américains savent par-faitement qu’un article en une du NewYork Times attirera instantanémentl’attention du monde.”De fait, les Soviétiques connaissaientl’existence de la plupart de ces gise-ments depuis 1985 et ils s’apprêtaientà l’époque à aider le gouvernementafghan à les exploiter à grande échelle.“Les cartes soviétiques ont aidé le Pen-tagone à trouver beaucoup de chosesutiles en Afghanistan”, souligne le quo-tidien gouvernemental russe Rossiis-kaïa Gazeta. Il ne restait plus qu’“à se

rendre sur place et à vérifier les don-nées” collectées par les géologuessoviétiques et archivées à la biblio-thèque de Kaboul, écrit la presserusse. “Mille milliards de dollars enperspective”, titre le journal, en réfé-rence au montant auquel sont éva-luées les réserves de minerais.D’après lui, comme en Irak avec lepétrole, c’est l’appât du gain qui motiveles Américains en Afghanistan.Selon The Atlantic, “des discussionssur la meilleure façon d’exploiter cesressources à l’avenir étaient déjà encours entre Washington et le gouver-nement Karzai dès 2006. Et, en 2009,le gouvernement afghan a commencéà lancer des appels d’offres pour diversprojets d’exploitation minière.”En Afghanistan, Afghan Paper seréjouit de cette découverte, maisredoute un pillage des ressources,notamment en lithium, par les paysétrangers. “L’Etat afghan n’a pas lesmoyens financiers ni la stabilité poli-tique nécessaires pour gérer au mieuxl’exploitation d’un tel gisement, estimele webzine. Il est possible que des paystels que l’Inde, la Chine ou la Russieessaient de s’implanter davantagedans notre pays pour tirer profit de nosressources en lithium. Quelles sont leschances pour que notre peuple profiteun jour des retombées économiquesde cette découverte ? Si nos dirigeantsne bradent pas entièrement le sol auxétrangers en ne pensant qu’à leur pro-fit personnel, alors ce gisement seranotre chance pour ne plus dépendredes aides extérieures et affirmer unevéritable indépendance.”

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FINANCIAL TIMES (extraits)Londres

Les dirigeants du monde desmédias aiment la compagniedes célébrités hollywoo -diennes et des lé gendes de

l’édition. Elles ne manquaient pas, l’étédernier, lors du séminaire annuel oùles riches et les puissants du mondedes médias et des technologies se re -trouvent pour parler boutique, à SunValley, dans l’Idaho. Mais, dès le qua-trième jour, Jeff Bewkes, président-directeur général de Time Warner, l’undes plus grands groupes d’informationet de divertissement, n’avait déjàqu’une hâte : partir. Les valises de JeffBewkes attendaient dans le coffre d’unevoiture de location prête à filer versle Friedman Memorial Airport, où lesjets d’entreprise étaient garés en rangd’oignons. Jeff Bewkes, lui, voyageaitsur un vol commercial. Il n’est pas dugenre jet privé et descend souvent dansla rue à New York pour héler lui-mêmeson taxi – ou du moins le faisait-il, jus-qu’à ce que son groupe estime quec’était courir un trop gros risque entermes d’assurance. Les interviews-portraits ne sont pas tellement sa tassede thé non plus.

En revanche, à défaut de parler delui-même, Jeff Bewkes aime parler de

son groupe. Une entreprise aujourd’huiprospère, au cœur d’une période éco-nomique parmi les plus difficiles depuisla crise de 1929. Warner Brothers agagné l’année dernière la premièreplace à Hollywood grâce à de juteuseslicences d’exploitation, comme cellede Harry Potter, et au succès surprisede Very Bad Trip. Time Warner a aussi

tiré profit de la bonne résistance de seschaînes câble et satellite, TNT, TBS etla plus réputée, HBO. Et s’il y a bienquelques zones d’ombre (l’audiencede CNN, par exemple, ou la viabilitéà long terme de Time Inc., pôle maga-zines souffrant du recul de la publicitédans la presse écrite), le groupe n’a plusgrand-chose à voir aujourd’hui avec cequ’il était il y a quelques années, unGoliath en mauvaise posture et pas trèsloin de la faillite.

LE MARIAGE AVEC AOL A ÉTÉ UN ÉNORME FIASCO

Succédant à Richard Parsons, JeffBewkes est devenu le numéro un deTime Warner, il y a deux ans, et a misfin à une culture d’entreprise décon-tractée pour lui substituer uneapproche tactique des plus habiles. Ausein du personnel, sa rapidité dans laprise de décisions est parfois interpré-tée comme de l’arrogance, surtoutcomparée au style paternaliste de sonprédécesseur, mais le groupe est allédans le sens de l’amélioration, c’estincontestable. Bewkes n’a pas tardé àen finir avec le colosse créé par la fusionavec AOL – la séparation est effectivedepuis décembre –, mais aussi avecvingt ans de fièvre acheteuse quiavaient englouti plus de 200 milliardsde dollars [160 milliards d’euros] decapital-actions. Jeff Bewkes avait déjàmontré tout son sens des affaires àHBO, où il s’était fait remarquer parsa personnalité et son style. “Il a untalent étonnant pour mettre les gens à nuintellectuellement, les laisser dépourvus et,en plus, recevoir leurs remerciements”,observe Curt Viebranz, qui a rejointHBO peu après lui. “Il sait admirable-ment choisir son moment pour se faireentendre”, remarque Frederick Iseman,cadre dans le capital-investissement etami de Bewkes depuis Yale. Un donqui lui a permis d’échapper plusieursfois au naufrage professionnel, alorsmême qu’il s’attaquait publiquementaux idées d’un de ses supérieurs.

Ainsi, quand en 2002, interrom-pant la harangue de Steve Case, le fon-dateur d’AOL, sur les avantages appor-tés par sa société au groupe issu de lafusion, Jeff Bewkes a forcé l’admira-tion pour avoir dit tout haut ce que denombreux cadres de Time Warner pen-saient : les synergies, c’est “des conne-ries”. Heureusement, il n’avait pas tort.Le rachat de Time Warner pour164 milliards de dollars par AOL,l’opération du siècle, celle qui devait“changer le cours de l’Histoire” disait-on à l’époque, échouait un an plus tard,alors que les autorités de surveillancene l’avaient pas encore approuvé. “Il yavait plein de gens pour dire qu’on pou-vait marier une carpe et un lapin et don-ner naissance à une belle licorne”, a railléJeff Bewkes quelques années plus tard.“Tout le monde y a cru.”

Pourtant, malgré tout ce qui se ditsur la délétère guerre des cultures d’en-treprise, Jeff Bewkes donne une expli-cation plus technocratique au désastrede la fusion AOL-Time Warner. Pourlui, l’échec est dû à une mauvaise stra-tégie du haut débit. La fin du mono-pole d’AT & T sur les télécoms aux

Etats-Unis, en 1984, avait donné auxfournisseurs d’accès Internet commeAOL le droit d’exploiter les lignes télé-phoniques sans avoir à négocier leurprix directement avec chacune d’elles.Or il devint évident dès 1999 que lesinternautes s’orientaient vers l’accèshaut débit, domaine dans lequel ceprincipe ne s’appliquait pas. AOL et sesconcurrents durent alors négocier indi-viduellement avec les compagnies ducâble et du téléphone, qui étaient enposition de force, et se retrouvèrentavec une fraction des bénéfices aux-quels ils étaient habitués. Ce que lesartisans de la fusion avaient oublié, c’estque l’innovation dans les entreprisesmatures doit passer par des stratégiessusceptibles de fonctionner aussi pourleurs concurrentes. Time Warner lesavait d’ailleurs : l’histoire des tech-nologies vidéo est jalonnée de décisionscertes profitables pour les sociétés quiles ont prises, mais qui ont aussi aidéle reste des médias à effectuer leur tran-sition d’une technologie à l’autre. TimeWarner, lui, a joué un rôle clé dans ladiffusion du DVD.

TROUVER UNE RÉPONSEADAPTÉE AUX DÉFIS DU NET

Evidemment, Jeff Bewkes n’est pas leseul homme de médias qui voit loin.Sa première stratégie Internet pourla télévision a d’ailleurs été un échec.Il voulait convaincre tous les acteursdu secteur d’offrir tous leurs pro-grammes à la demande sur le câble,pour que le choix des téléspectateursressemble davantage à celui des inter-nautes surfant sur la Toile. Cette ini-tiative est passée à la trappe en 2006faute de technologies adéquates – ilétait notamment difficile d’insérer despublicités pertinentes dans des émis-sions qui pouvaient être regardées plu-sieurs jours après leur première dif-fusion. Pendant ce temps, News Corp.et NBC Universal ont annoncé uneinitiative commune, Hulu, devant offrirleurs meilleurs programmes gratuite-ment sur Internet grâce à un finan-cement par la publicité en ligne. Lancéau printemps 2008, ce site est désor-mais le deuxième site de vidéos le pluspopulaire, juste derrière YouTube.L’immense popularité de Hulu auprèsdes spectateurs n’est pas nécessaire-ment un problème pour les chaînesgratuites qui fondent leur financementsur la publicité. Mais c’est un problèmeconsidérable pour les chaînes quidépendent des redevances des réseauxcâblés qui veulent leurs programmes.Jeff Bewkes fulmine contre cette idée.“Ils sont allés mettre leurs émissions enligne sur Hulu sans financement par lesredevances ni avec un financement suffi-sant par la pub, dans le but, visiblement,de prouver qu’ils peuvent se couler toutseuls”, peste-t-il.

Peu après le lancement de Hulu, ila convoqué en réunion les cadres diri-geants du groupe. Très vite, des ten-sions sont apparues, mettant en évi-dence le manque de coordination desstratégies en ligne, et l’incapacité decertains d’entre eux à comprendre lemodèle de rentabilité d’autres filiales.Un participant à cette réunion se sou-

Time Warner renaît de ses cendresMÉDIAS ■ Sous la houlette de JeffBewkes, le groupe aréussi à digérer l’échecde sa fusion avec AOL.Il entend désormaisjouer les premiers rôlesdans la diffusion de latélévision sur Internet.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 48 DU 24 AU 30 JUIN 2010

mult imédia●

i n t e l l i g e n c e s

▲ Dessin deSequeiros paru dans El Mundo,Madrid.

Rencontres européennesAix-Arles-Avignon13, 14 et 15 juillet 2010

Culture : de quel droit ?

Dans le cadre de l’année européenne contre la pauvreté et l’exclusionsociale, trois des plus importantes manifestations culturelles en Europes’unissent pour proposer trois demi-journées de débats autour de laquestion : la culture, de quel droit ?Artistes, chercheurs, représentants culturels, sociaux et politiquesseront présents pour interroger la place que l’art et les artistes peuventet doivent prendre dans le combat de société contre la pauvreté etl’exclusion sociale. Accès à la culture, création contre l’exclusion,exercices des droits culturels, sont autant de thématiques qui serontabordées dans leurs dimensions nationales et européennes.

Informations : www.festival-aix.com, www.rencontres-arles.com et www.festival-avignon.com

Proposées par le Festival d'Avignon, le Festival d’Aix-en-Provenceet les Rencontres d’Arles, avec le soutien du ProgrammeCulture de la Commission Européenne, en partenariat avecFrance Culture et Courrier International.

■ InternetTime.com, le site de l’hebdomadaireTime, est le plusvisité des magazinesen ligne aux Etats-Unis. Toutefois, la relancedu site concurrentde Newsweek a incité lesresponsables de Time Warner ànommer un nouveauresponsable.Jim Frederick auranotamment pourmission de repenseret de modifier en profondeur le site Time.compour le rapprocherdavantage des internautes et lui permettre de conserver sa confortableavance sur tous les autres sites. En mai 2009,Time.coma enregistré10,3 millions de visiteurs uniques.

1025p48-49 me?dia:Mise en page 1 22/06/10 15:38 Page 48

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vient ainsi des cadres de Time WarnerCable, contrariés à l’idée de donnergratuitement leurs programmes pourune diffusion en ligne, alors que leuractivité dépendait directement del’achat des droits de distribution pardes chaînes du câble.

IL S’AGIT DE DÉFINIR UNNOUVEAU RÔLE POUR LA TÉLÉ

La réunion a eu le mérite de soulignerla nécessité de clarifier les objectifs dugroupe, en définitive en séparant lacréation média de la distribution. Ellea également mis en évidence la néces-sité de tirer les enseignements del’échec d’AOL et de trouver un modede présence en ligne applicable à toutle secteur de la télévision, pas seule-ment chez Time Warner. Une étapedécisive a été franchie quelques moisplus tard, lorsque Glenn Britt, dirigeantde Time Warner Cable, a annoncé partéléphone à Jeff Bewkes et à Phil Kent[PDG de Turner] que des câblo-opérateurs planchaient sur une tech-nologie en ligne permettant de repérerles internautes abonnés à une chaînedu câble. S’ils pouvaient empêcher lesresquilleurs de regarder leurs émissionsen ligne, les câblo-opérateurs pour-raient offrir davantage de programmesà leurs clients sur Internet. A partirde là, Jeff Bewkes a perfectionné leconcept de TV Everywhere [la télévi-sion partout] qui lui trottait dans la têtedepuis 2006, suggérant d’offrir en ligneencore plus de programmes de télévi-sion – mais seulement aux internautesqui paient déjà pour recevoir la télévi-sion par câble et par satellite, soitaujourd’hui près de 90 % des foyersaméricains. Ou comment gagner del’argent, via les abonnements, tout enretenant les spectateurs en leur per-mettant de regarder la télévision quandet comme ils le souhaitent.

Ce projet n’est pas parfait, concè-dent ses défenseurs, et présente degrands challenges techniques. Mais JeffBewkes se fait un défi personnel depromouvoir l’idée comme un moyende sauver les médias de leurs propreserreurs. Un beau matin de no vem -bre 2009, Jeff Bewkes a quitté sonbureau surplombant Central Park pourentrer en trombe dans une salle deconférence du onzième étage à l’oc-casion d’une démonstration du pro-totype de TV Everywhere. Six vice-pré-sidents exécutifs étaient présents. JeffBewkes a tiré une salve de questionsavant même de s’être assis : “Qui l’avu ? Qu’est-ce qu’on va voir ici ? C’est çaque les consommateurs vont voir ? C’estça qui passe en direct ? Qu’est-ce que vousavez tapé pour arriver là ?” Une tornadestoppée par Andy Heller, vice-présidentde Turner, qui dirigeait la démonstra-tion : “On va y venir, Jeff. Laisse-moiplanter le décor et montrer jusqu’où noussommes arrivés…” S’ils vont aussi loinque la dernière fois, Time Warner pour-rait être salué comme le créateur de latélé de demain – pas seulement pourson propre compte, mais pour tout lesecteur de la télévision. Alors JeffBewkes s’est assis, et il a écouté biensagement.

Kenneth Li

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 49 DU 24 AU 30 JUIN 2010

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CONSTRUISONS LE BIEN VIVRE, comment conjuguer les enjeux sociaux et culturels avec le défi écologique

2, 3, 4 JUILLET 2010PARC DE LA TÊTE D'OR

LYON - FRANCE

informationshttp://dialoguesenhumanite.free.fr

DIALOGUESEN HUMANITÉ

CONCERTS>

THÉÂTRE>

PIQUE-NIQUES>

JEUX & ATELIERS>

ARBRES À PALABRES

Organisationdes Nations Unies

pour l’éducation,la science et la culture

Avec le soutien du Secteur de la culture

cinh1025p050:Mise en page 1 22/06/10 10:28 Page 49

Page 51: Courrier International Du 24 Juin 2010

Naturellement, la crise menace demettre fin à tout cela. Il y a quelquetemps, un dimanche matin, RaimundoGarcía arpentait l’allée silencieuse del’usine de Puertas Visel, dont il est direc-teur général. Fils d’un boucher local, ila étudié l’économie à l’université deChicago et il est revenu au pays pourfaire de Visel une entreprise engrangeantd’énormes bénéfices. En 2007, la sociétéa fabriqué près de 1 million de porteset comptait 830 employés. Aujourd’hui,elle n’emploie plus que 320 ouvriers etne tourne plus que quatre jours parsemaine. Comme presque la moitié desmenuiseries qui survivent dans larégion, elle est en cessation de paie-ments et risque de mettre la clé sous laporte. “Mon grand regret, c’est que nousne nous soyons pas réorganisés avant lacrise, explique García. Maintenant, toutcela est bon pour la poubelle.”

EL PAÍS (extraits)Madrid

La crise économique espagnole n’apas de ground zero. Le visiteur a l’im-pression que chacun, dans ce pays,raconte un chapitre différent d’un

drame national. Mais s’il faut commen-cer l’histoire quelque part, la petite villede Villacañas, dans la province de Tolède,paraît être un bon choix.

Il y a quelques années encore, Villa -cañas se caractérisait par ses “silos”. Desgénérations d’agriculteurs pauvresavaient élu domicile dans ces bunkerssouterrains, le plus souvent creusés à lamain dans le sol calcaire de la Manche.Dans les années 1950, plusieurs cen-taines étaient encore habités, mais il n’enreste plus beaucoup aujourd’hui. Car,du jour au lendemain, Villacañas s’estenrichie de façon stupéfiante. Les habi-tants ont alors acheté des appartementsà Madrid, des villas à la mer et ils ontconstruit de nouvelles maisons au-des-sus des grottes de leurs ancêtres.

L’opulence est arrivée par le biaisd’une industrie dont l’audace et lasimplicité étaient à l’image des silos :Villacañas s’est mise à fabriquer desportes. Pas quelques-unes, mais 11 mil-lions de portes en 2006, ce qui repré-sentait plus de 60 % du marché nationalà l’apogée du boom de la cons truction.Les ventes rapportaient plus de 600 mil-lions d’euros par an à cette ville de10 000 habitants. Le secteur fournissait5 000 emplois bien rémunérés, donnaitdu travail à des familles entières et inci-tait des adolescents de 16 ans à quitterl’école, impatients de pouvoir s’acheterune Audi neuve.

Comme ailleurs en Espagne, à Villa -cañas on se pose des questions essen-tielles : que nous est-il arrivé ? A quila faute ? Que va-t-il se passer main-tenant ? Quel sera notre avenir et jus-qu’à quel point pourrons-nous lecontrôler ?

Je suis arrivé des Etats-Unis enEspagne fin mai, avec les mêmes ques-tions. En quoi les changements qui seproduisent en Espagne sont-ils dus à lacrise économique, la plus complexedepuis la transition démocratique ?Comment se fait-il qu’un taux de chô-mage de 20 % n’ait pas déclenché unconflit social ? Comment les dirigeantsdu pays préparent-ils la sortie de crise ?

Dans une analyse publiée le lende-main de mon arrivée, le Fonds moné-taire international (FMI) établissait sondiagnostic : “L’économie espagnole abesoin de réformes exhaustives et de grandeampleur. Les défis sont sérieux : un mar-ché du travail dysfonctionnel, l’éclatementde la bulle immobilière, un énorme déficitbudgétaire, un secteur privé et une detteexterne qui pèsent lourd, une croissance ané-mique de la productivité, une faible com-pétitivité et un secteur bancaire présentantdes poches de faiblesse.” Le pays a besoind’une “stratégie intégrale, poursuivait lerapport, à mettre en œuvre dans lesmeilleurs délais”.

Je n’ai rencontré personne au seindu gouvernement ou à l’extérieur, quisoit foncièrement en désaccord aveccette analyse. C’est un cas peu fréquent

Le Petit Journal de la CRISEChaque semaine, les chiffres, les événements, les analyses

de consensus. Sur pratiquement tousles autres sujets, l’Espagne offre l’imagede responsables politiques profondé-ment divisés. On constate une volontéobsessionnelle de rétablir la confiancedes étrangers pour le pays. Mais lemanque de confiance des Espagnolsdans leurs dirigeants est encore plusfrappant.

C’est ce qui se passe à Villacañas. Lejeune maire socialiste, Santiago GarcíaAranda, m’a reçu dans son bureau quidonne sur la modeste place d’Espagne,bordée de huit agences bancaires héri-tées de l’époque dorée et où des chô-meurs font la queue tous les matinsdevant le bureau de l’agence pour l’em-ploi. García Aranda ne fait pas mystèredu mépris que lui inspire le débat poli-tique actuel. “La gravité de la crise quenous traversons ne date pas d’hier. Nous lavivons de façon brutale depuis 2008. Cevillage parle de crise depuis 2008. Pas le

pays, dit-il. Tout le monde, y compris lapresse, ne pense qu’aux élections et non àl’avenir du pays.”

Et à l’en croire, les coûts humainsde la crise sont déjà très élevés. Pendantla période de prospérité, Villacañas affi-chait l’un des taux d’abandon scolaireles plus élevés du pays. “Il y avait àVillacañas des gens de 40 ans qui tra-vaillaient depuis l’âge de 16 ans, explique-t-il. Aujourd’hui, ils n’ont plus de travail,n’ont absolument aucune qualificationprofessionnelle et il leur manque les outilsd’adaptation pour s’en sortir.”

Le maire, dont la mère tenait unkiosque à journaux et qui travaillait lui-même à mi-temps, lorsqu’il était étudiant,dans l’industrie des portes, précise quel’on a également assisté au phénomèneinverse : pour la première fois, des pèresde famille de Villacañas ont pu envoyerleurs enfants à l’université.

L’histoire se résume ainsi : plus dedix ans de prêts européens à taux faiblesont contribué à alimenter une for- ▶

Un journaliste américain aparcouru le pays pour tenterde comprendre les ressortsd’une crise sans précédent.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 51 DU 24 AU 30 JUIN 2010

Selon l’Institut portugais de lastatistique, 81 % des patrons du

pays n’ont pas le bac (contre 79,6 % en 2003) et 91 % n’ont pas fait d’études supérieures. C’est ce problème structurel qu’il faut résoudre si l’on veut améliorer la gestion, l’innovation,l’organisation, la productivité et la compétitivitédes entreprises locales, explique l’économisteEugénio Rosa dans une tribune publiée par le Jornal do Fundão (à titre de comparaison, 65 %des employés n’ont pas le bac, contre 71 % en 2003). Il serait tout à fait contre-productif

de baisser les salaires des travailleurs portugais,comme certains le réclament aujourd’hui, affirme l’économiste. Ces salaires sont en effet déjà très bas : 1 150 euros en moyenne, contre2 558 euros dans l’ensemble de la zone euro. En outre, ils ne représentent, avec les chargessociales, que 15 % des coûts des entreprisesportugaises. Les réduire n’aurait donc que peud’effet sur la compétitivité. Et cela entraîneraitune contraction de la demande intérieure, qui provoquerait à son tour des faillites, du chômage et des drames sociaux.

L E C H I F F R E81%

Comment l’Espagne a sombré

“L’Espagne n’est pas laGrèce mais…” prévientle quotidien d’oppositionEl Mundo le 6 mai2010, au lendemain desviolentes manifestationsen Grèce qui firent troismorts. La rencontreentre Mariano Rajoy (à gauche), chef

de l’opposition et José Luis Rodríguez Zapatero,qui s’est tenue le 5 mai n’a pas réussi à éteindre le feu de la crise espagnole.

À L A U N E

▼ Le Premier ministre espagnol José Luis Rodríguez Zapatero.Dessin de Turcios, Colombie.

1025p51-54 journal de la crise:Mise en page 1 22/06/10 19:47 Page 51

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secteur bancaire privé, qui a évité lespires excès de la crise financière de2008, possède actuellement près de lamoitié des logements vacants espagnols.Parallèlement, le gouvernement a aug-menté les dépenses publiques de 7,7 %par an à partir de 2005. Ce phénomène,allié à la baisse des revenus, a transformél’excédent budgétaire de 2007 en undéficit de 11 %. Plus de 4 millions desalariés ont perdu leur emploi ; le tauxde chômage espagnol, à 20 %, est plusdu double de la moyenne européenne.

Les économistes espagnols mettentgénéralement en avant les facteursinternes pour décrire la crise et justifierles changements structurels qu’ils esti-ment nécessaires. Les politiques ont aucontraire tendance à mettre l’accent surles causes internationales de la crise.

La décision de chercher les clés dela reprise économique à l’intérieur ouà l’extérieur peut refléter les différencessur l’urgence et l’ampleur des réformesstructurelles nécessaires pour y parve-nir. Dans un cas comme dans l’autre,de nombreux économistes sont désor-mais pessimistes sur les perspectives decroissance. Après s’être contractée de3,9 % en 2009, l’économie espagnolesera la seule du G20 à ne pas croître en2010. “Le plus inquiétant n’est pas la criseimmédiate, mais la stagnation à longterme”, assure Fernando Ballabriga,directeur du département d’économieà l’école de commerce ESADE. “Je suispersuadé qu’il faut tout faire à la fois. Resteà savoir si les politiques y sont prêts.”

“Tout à la fois” signifie mettre enœuvre des réformes structurelles enplus de mesures d’austérité. Y comprisune réforme du marché du travail afinde créer une flexibilité salariale et deparvenir à plus d’égalité pour les 30 %de salariés en contrat temporaire. Ilfaudrait aussi réformer les caisses

d’épargne, qui détiennent 50 % desdépôts, consolider leur nombre et leurdonner les moyens de se recapitaliser ;créer un financement public viable ;relancer la productivité, qui s’est brus-quement contractée ces dix dernièresannées.

LE GOUVERNEMENT N’A PROPOSÉAUCUNE VISION CLAIRE DE L’AVENIR

Mais aucune mesure à elle seule ne suf-fit pour sortir de la crise. La réforme dumarché du travail [votée le 22 juin], parexemple, n’est pas un moyen de créerde nouveaux emplois. Et certains desmécanismes que les gouvernements uti-lisaient par le passé pour rétablir la com-pétitivité – comme les six dévaluationsde la peseta entre 1977 et 1997 – ontdisparu avec la création de la zone euro,ce qui représente une pression supplé-mentaire pour l’Union monétaire etpour l’Espagne.

L’Espagne s’enorgueuillit de possé-der toute une série de grandes entre-prises de catégorie internationale. Enrevanche, les dirigeants politiques sont

la cible de critiques féroces. Le fluxpermanent d’informations sur la cor-ruption politique, l’incompréhensibleallergie – soignée depuis peu – dugouvernement Zapatero pour le mot“crise”, le farouche acharnement del’opposition à chercher des avantagesélectoraux au détriment du consensusfont que tout le monde doute de lacapacité des politiques à mener le paysvers la reprise. “Les solutions exigent soitun consensus fort, soit un gouvernementfort. Et nous n’avons ni l’un ni l’autre”,déplore Fernando Fernández, profes-seur d’économie à l’IE Business School.

Une grande partie des problèmes decrédibilité du gouvernement, lorsqu’ilaborde les questions économiques, tientau fait qu’aujourd’hui encore il n’a pro-posé aucune vision claire et globale del’avenir – une faiblesse qui encouragel’opportunisme de l’opposition. Je mesuis entretenu avec le chef du Partipopulaire, Mariano Rajoy, dans sonbureau à Madrid. Dans le fond, dit-il, “le problème du gouvernement n’est passa position, mais son inaction”. Et, dans

Le Petit Journal de la CRISE

midable hausse des dépenses et desinvestissements. L’Espagne a construitun TGV, de nouvelles routes et menéà bien des projets touristiques. Elle abâti plus de logements neufs quel’Allemagne, la France et l’Italie réunies,et a vu le prix de l’immobilier doubler.Pendant dix ans, les dépenses de con -sommation ont progressé deux fois plusvite que la moyenne européenne et lessalaires ont augmenté de 30 %. Cinqmillions de nouveaux immigrés sontentrés sur le marché du travail. Par unesorte de mécanisme en mouvement per-pétuel, on avait besoin des immigrésafin qu’ils se construisent leurs propreslogements.

A la fin de 2009, la dette externetotale de l’Espagne était de 1 735 mil-liards d’euros, soit 170 % du PIB. Le

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 52 DU 24 AU 30 JUIN 2010

EXCEPTION Marinaleda, son maire communiste et son taux de chômage à 0 %Si Che Guevara était vivant, il irait vivre à Marinaleda. Dans cette communeandalouse, unique en son genre, tout le monde travaille. Une enclaveimprobable dans l’Espagne en crise.

Apremière vue, on dirait un petit villageandalou typique, avec ses oliviers, sa

baraque à churros, sa terre rouge, ses mai-sons blanches et bien entretenues. Il y amême une église. Mais les fidèles sont rares.En levant la tête, on comprend pourquoi :le clocher se dresse à deux pas de la calleErnesto Che Guevara, entre l’avenida Libertadet la calle Salvador Allende. En direction ducentre, une fresque proclame : “Guerra socialcontra el capital”. Sans les deux restaurants,la petite épicerie, le kiosque à journaux etla station-service, on se croirait en pleineenclave communiste, au cœur de l’Europe.Seul le droit à la propriété privée rattacheMarinaleda au système capitaliste. “Nous

faisons ce que nous pouvons, dans les limitesde la Constitution espagnole”, dit en souriantManuel Sánchez Gordillo, 54 ans, fils d’unélectricien et d’une femme au foyer, diplôméd’histoire de l’université de Sévillle, barbeà la Fidel Castro et keffieh. Depuis trenteet un ans, il est le maire de cette communesituée à mi-chemin entre Cordoue et Séville.Avec ses 2 700 habitants, Marinaleda estun condensé d’expérimentations égalitaires,la mise en œuvre à échelle réduite des prin-cipes anarcho-socialistes neutralisés parquarante ans de franquisme et revenus surle devant de la scène depuis que la réces-sion a mis l’Espagne à genoux. Pendant quele reste du pays paie les conséquences dela crise immobilière, avec un taux de chô-mage qui a atteint 20 %, ici tout le mondetravaille, grâce à un modèle unique en Europefondé sur une économie à 90 % publique.La majorité des habitants sont employéspar une coopérative agricole où chacun

reçoit le même salaire : 47 euros par jour.Pour résoudre le problème du logement (“undroit et pas une marchandise”, tel est le leit-motiv du maire), le conseil municipal a lancéil y a quelques années un programme d’au-toconstruction. La ville met à disposition unterrain, des matériaux, une pelleteuse, unprojet d’architecte et deux maçons ; aucitoyen de se retrousser les manches pourconstruire sa maison. “Il m’a fallu quatrecent dix jours, mais j’ai finalement quelquechose que je n’aurais jamais obtenu dansun autre village”, raconte Antonio Martínez,40 ans, marié et père de deux enfants. Lerésultat : un pavillon de 100 mètres carrés,avec un large patio et un double garage. Leprix ? Quinze euros par mois pendant centtrente-trois ans, le tiers du prix exigé dansles villages limitrophes pour une maison dumême type.Les critiques rappellent que tout cela seraitimpossible sans les fonds de la communauté

autonome d’Andalousie et accusent le mairede nourrir l’utopie communiste avec l’argentdu capitalisme. Il coupe court : “On profitedu système, comme tout le monde.”A Marinaleda, il n’y a pas de police muni-cipale et des assemblées publiques ont lieuchaque semaine sur la place du village.Le dimanche, les habitants travaillent gra-tuitement à l’entretien des rues et desparterres. Le Colectivo de Unidad de losTrabajadores (CUT, Collectif unitaire des tra-vailleurs), le parti du maire, gouverne depuis1979 : son programme politique prévoyaitl’expropriation des 1 200 hectares de terredu duc de l’Infantado, un objectif atteint en1991 après de nombreuses luttes. Depuis,il y a du travail pour tous à la coopérative,qui produit des fèves, des poivrons et deschoux-fleurs, récoltés par les hommes etmis en conserve à l’usine par une cin-quantaine de femmes.

Stefano Vergine, L’Espresso, Rome

“Le gouvernement n’aplus prise sur le taux dechômage”, annonce lequotidien conservateurABC, le 27 avril. Le paysenregistre 4 612 700chômeurs, soit 20,05 %de la population active.Un taux jamais atteintdepuis 1997, dans un pays où le chômage

reste l’un des plus élevés en Europe.

Première alerte. Unmois après le début dela présidence espagnolede l’Union européenne,le 1er janvier 2010, le quotidien barcelonaisLa Vanguardiatitre le 5 février : “Les investisseurs fuient la Bourse espagnole”. La veille, l’indice

boursier national, l’Ibex, avait chuté de 6 %.

À L A U N E

Taux de chômage (en % de la population active) et nombre de chômeurs

UN ACTIF ESPAGNOL SUR CINQ EST SANS EMPLOI

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24,55 %3 932 900

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15,19 %2 679 300

11,96 %2 299 500

20,05 %4 612 700

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Changementde méthodologie

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le fond, il semble de plus en plus que leplan économique de Rajoy consiste àéloigner Zapatero du pouvoir. “Nouspensons que le principal facteur de la crisede confiance dans l’économie espagnole estle gouvernement, dit-il. Le principal, avanttoute donnée objective ou économique.”

Certains théoriciens affirment quela politique espagnole souffre de pro-fonds déséquilibres structurels, qui vontde la promotion au sein des partis auxrapports entre le gouvernement centralet les régions autonomes. Les régionsreprésentent 57 % des dépenses pu -bliques. Plus de la moitié des quelque3 millions de fonctionnaires travaillentpour les régions, et beaucoup dans unréseau bureaucratique opaque.

“La crise a mis en évidence les limitesdes rapports entre le gouvernement centralet les autonomies”, explique JoanSubirats, professeur de sciences poli-tiques à l’Université autonome deBarcelone. “On ne sait pas gouverner lepays collectivement.”

Il faut toutefois souligner, commele précise Jordi Capo, politologue et spé-cialiste des élections à l’université deBarcelone, que l’électorat n’est pas aussipolarisé que la classe politique. Il s’agitpeut-être là d’un facteur qui, malgré lesincertitudes qui pèsent sur l’avenir etles frustrations de la vie quotidienne,contribue à la paix sociale.

S’il est une chose qui paraît parti-culièrement révélatrice, surtout pour unAméricain, c’est la situation des immi-grés. Ils constituent plus ou moins le

même pourcentage de la populationen Espagne qu’aux Etats-Unis. EnEspagne, qui a vu affluer plus d’étran-gers que tout autre pays européen misà part l’Irlande, où 20 % des nouveau-nés sont de mère étrangère et où le chô-mage des immigrés est supérieur d’aumoins 30 % à celui des Espagnols, “iln’y a pas de rejet ni d’hostilité, il n’y a pasde partis xénophobes”, assure JoaquínArango, de l’Institut universitaire Ortegay Gasset. Cela étant, ajoute-t-il, le paysdevra réabsorber 1 million d’immigrésau chômage dans l’économie, surtoutparce que la majorité semble disposéeà rester. Et à long terme, il faudra trou-ver un moyen de continuer à attirer denouveaux immigrés.

IL FAUT S’INTERROGER SUR LE RÔLEQUE DOIT JOUER LA SOCIÉTÉ CIVILE

Le 29 avril, treize jours avant queZapatero n’annonce le premier grandplan d’austérité, Raimundo Garcías’adressait à son personnel, pour annon-cer une ultime tentative de sauver lasociété Puertas Visel. Trois centsemployés, dont lui, ont voté pour limi-ter leur salaire à 900 euros par mois etprêter le reste à l’entreprise sur les huitprochaines années pour lui permettred’éponger ses dettes et gagner du tempsafin de mettre au point une stratégie àlong terme qui lui laisse une chance desurvie. “Ma priorité, confie-t-il, c’est quel’on ne ferme pas les usines pour ne pasperdre notre tissu industriel.”

Le début de la fin pour Villa -cañas date du 5 janvier 2008, quand lanouvelle des premiers licenciementsa circulé. Tout au long des deux annéessuivantes, 3 000 des 5 000 emploislocaux ont été supprimés. Les salairesd’origine, qui pouvaient atteindre40 000 euros par an, ont disparu, etavec eux les postes des directeurs com-merciaux, qui ramenaient chez eux jus-qu’à 300 000 euros annuels.

Malgré son succès, García estimeque l’industrie locale n’a pas su s’adap-ter. Certaines entreprises ont mené destransactions au noir. Elles n’ont pas sumodifier le design de leurs portes pour

répondre aux nouvelles demandes. Etelles sont restées dépendantes à 95 % dumarché intérieur.

Le maire a obtenu une subventiondu Fonds européen d’ajustement à lamondialisation (FEM). Pourtant, dit-il, “le devoir des autorités est d’anticiperce qui peut arriver. La crise était impen-sable, mais tout le monde disait que ce sys-tème n’était pas viable. Nous aurions dûagir dès 2004.” “Ce qui se passe ici, pour-suit le maire, ne se résoudra pas seule-ment par un retour à la croissance. Ceserait perdre une occasion de s’interrogersur la culture sociale et sur le rôle que doitjouer la société civile.”

Les fronts de bataille de la crise éco-nomique espagnole sont constitués dejeunes. Ils disent appartenir soit à unegénération perdue – exclue des écoles etdes études universitaires, et se cherchanttant bien que mal des petits boulots –,soit à une génération étoilée : très diplô-més, produits de la vitalité de ces annéesde changement, attachés à l’Europe etouverts au monde.

La façon dont ces deux groupes sur-monteront la rareté des débouchésdépendra de la façon dont l’Espagne sor-tira de la crise. Manuel Huete, un jeunede 26 ans, reconnaît timidement : “Jedois dire que, pour moi, la crise a été uneaubaine.” Huete a grandi à Villacañas.L’industrie des portes a placé sa familledans une situation confortable. “Toute lafamille travaille dans les portes : mon père,ma sœur, mon beau-frère, mon oncle. Nousdevions nous diversifier un peu.”

Malgré les objections de sa famille,il a fait des études de commerce à l’uni-versité Complutense d’Aranjuez etd’économie à l’université Carlos III deMadrid. Lorsque, après avoir décrochéson diplôme l’été dernier, il n’a pastrouvé de travail, il est parti apprendrel’anglais au Royaume-Uni et s’est faitembaucher par Luis García, un écono-miste espagnol de la London School ofEconomics. Il travaille aujourd’hui à laBanque d’Espagne sur un projet de tech-nologies de l’information pour la Banquecentrale européenne (BCE).

“Sans la crise, je fabriquerais sans doutedes portes à l’heure qu’il est, dit-il.Maintenant, je veux être économiste. C’estune science très noble. Nous essayons derésoudre les problèmes liés aux besoins, et enparticulier aux besoins les plus élémentaires.”Comment envisage-t-il l’avenir deVillacañas ? “J’espère que Villacañas a unavenir, répond-il. C’est une ville qui a prisdes risques et a été active. Pendant quelquesannées, elle ne vivra pas des portes. Elle feraquelques pas en arrière. Mais elle ne revien-dra pas aux silos.” Phil Bennett*

* Ce journaliste américain a été directeur adjointdu Washington Post entre 2005 et 2009. Il enseigneactuellement le journalisme à l’université Duke, enCaroline du Nord.

COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 53 DU 24 AU 30 JUIN 2010

■ Dépenses pharaoniquesLe Canada, qui se prépare

à accueillir fin juin les sommets du G8 et du G20, a engagé pour l’occasion des dépensesconsidérables. Un lac artificiel doit êtreconstruit à l’intérieur du centre des médias àToronto, avec canots, arbres et chaises longues, pour un coût équivalant à 1,6 million d’euros.Le but : présenter les beautés naturelles dupays. Le gouvernement consacrera également740 millions d’euros à la sécurité des sommets.Ces dépenses sont d’autant plus controverséesque le Canada a adopté des restrictionsbudgétaires pour faire face à la crise. Le Conseil canadien pour la coopérationinternationale (CCCI), qui regroupe les principales organisations locales d’aideinternationale, ne sait toujours pas s’il seraencore subventionné par Ottawa fin juillet,rapporte The Globe and Mail.“Si le gouvernement peut construire un lacartificiel, il peut bien débourser 1,5 million de dollars [1,2 million d’euros] pour le CCCI”,s’indigne Gerry Barr, PDG du CCCI, dans lescolonnes du quotidien canadien.

■ Les riches vont bien“Le taux de chômage reste à un niveau quasi historique et la plupart des Américainspeinent à rétablir leurs finances. Mais les riches se portent de nouveautrès bien, merci”, annonce le Los Angeles Times. Selon le BostonConsulting Group, 4,7 millions de foyersaméricains disposaient en 2009 d’au moins 1 million de dollars d’actifs“facilement négociables”, soit 15 % de plus qu’en 2008. En 2009, ces millionnaires détenaient 55 % de la fortune privée totale du pays, précise le quotidien américain.

■ Santé menacéeFin mai, le gouvernement portugais a annoncé de sévères coupes budgétaires dans le secteur de la santé afin de permettre“une gestion plus efficace du système”.Beaucoup y ont vu une nouvelle atteinte à la qualité des soins, déjà médiocre. Ainsi,le dernier rapport de l’Observatoire portugaisdes systèmes de santé, cité par Público,pointe, entre autres, le temps d’attente excessif pour consulter un spécialiste : il est par exemple supérieur à quatre mois en moyenne pour un ophtalmologiste, alors que la loi fixe le délai maximum à un mois. Un tiers des 700 000 demandesde consultation de spécialistes prescrites par les médecins traitants en 2009 ne sonttoujours pas satisfaites.

■ Salaires en baisseJusqu’à 700 000 employés de la fonctionpublique danoise (infirmières, professeurs des écoles, etc) risquent de voir leur traitement baisser de 1,2 % à l’issue des prochaines négociations salariales, début 2011, note le quotidien danois Politiken.Car, selon la réglementation du marché du travail, les rémunérations dans le secteurpublic ne peuvent progresser plus vite que celles du privé, qui n’ont pratiquement pas bougé du fait de la crise. “Il n’y a presque pas de marge de manœuvre pour négocier”,prévient Anders Bondo Christensen, président du Syndicat des enseignants danois et négociateur en chef des employés du public.

E N B R E F

“Au final… Coup de ciseaux” , titre El Periódico de Catalunya,le 13 mai. José LuisRodríguez Zapatero, a annoncé la veille les premières mesuresd’austérité : baisse de 5 % du salaire de 2,7 millions de fonctionnaires,

gel des retraites pour 6 millions de personnes, fin du “chèque bébé” de 2500 euros…

À L A U N E

◀ Le Premier ministre espagnol José Luis Rodríguez Zapatero. Sur la lame : Coup de ciseaux. Dessin de Ricardo paru dans El Mundo, Madrid.

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THE WALL STREET JOURNAL (extraits)New York

Le redressement de la balancecommerciale de la zone euro,qui a dégagé un excédent de1,4 milliard d’euros en avril,

montre qu’un euro faible et une fortedemande sur des marchés comme lesEtats-Unis et la Chine compensent glo-balement les difficultés rencontrées parles pays de l’Europe méridionale. Cettesituation profite surtout à l’Allemagne,dont l’économie dépend largement ducommerce international. Alors qu’enEurope les perspectives à court termede croissance s’améliorent, le fossé quise creuse entre les gagnants et les per-dants risque de renforcer la pression quipèse sur la Grèce et l’Espagne.

Malgré la dépréciation d’environ15 % de l’euro face au dollar depuis sixmois, il n’est guère probable que cesdeux pays, peu intégrés dans le com-merce mondial, puissent s’appuyer surles exportations pour booster leur crois-sance. Leur seul espoir de rattraper leursvoisins plus productifs du Nord reposedonc sur de douloureuses mesuresd’austérité et des années de croissanceinférieure à la moyenne, le temps deréorganiser leur marché du travail etleurs finances. Cette situation pourraitengendrer des tensions en Europe, le

modèle allemand de croissance fondésur les exportations pouvant semblerdestructeur pour la région.

En règle générale, une baisse de 5 %de la valeur d’une monnaie engendreune hausse d’environ un demi-point depourcentage du PIB. Mais il faut nor-malement un certain temps – jusqu’àdeux ans – pour en ressentir pleinementles effets. Cette fois-ci, cela pourraittoute fois être plus rapide. Le brutaldécrochage de l’euro ayant coïncidé avecune forte reprise de la demande mon-diale, particulièrement en Asie, l’Europepourrait en ressentir les effets positifsdans les six mois, estime Howard Archer,économiste au sein du cabinet deconsultants IHS Global Insight.

Mais tous les pays d’Europe nebénéficient pas de manière égale desavantages d’un euro faible, expliqueCarsten Brzeski, économiste de labanque ING. Selon lui, tout dépend deleur implantation commerciale plus oumoins forte dans des pays dont la mon-naie s’est particulièrement renforcée par

rapport à l’euro, comme les Etats-Unis.A cet égard, l’Irlande et l’Allemagnesont les mieux placées, le Portugal et laGrèce étant les moins bien lotis. EnAllemagne, les exportations représen-tent plus du tiers du PIB ; en Grèce,elles ne pèsent que 6 %.

“Pour nous, c’est une chance [quel’euro] ne soit pas aussi fort qu’il y a unan”, se réjouit Heinrich Weiss, directeurgénéral du constructeur allemand demachines industrielles SMS GmbH.Environ 65 % des exportations dugroupe se font en dehors de la zoneeuro. D’après lui, “l’euro a baissé, maispas trop”. Selon de nombreux experts,la valeur réelle de la monnaie communese situe entre 1,10 et 1,15 dollar, ce quisignifie qu’elle est encore légèrementsurévaluée [elle tourne actuellementautour de 1,24 dollar].

Pour Christos Kiriakoreizis, respon-sable des achats du fabricant grec detuiles Philkeram Johnson, la baisse del’euro n’a rien changé. Il fait surtout desaffaires en Grèce et en Europe de l’Est,où la récession a durement frappé le sec-teur du bâtiment. “Nous avons fermé notrefiliale en Roumanie et nous avons renoncéà nous implanter en Hongrie à cause de lacrise”, explique-t-il. En fait, la faiblessede l’euro est plutôt un inconvénient pourcette société. Elle fait en effet grimperles prix des matières premières et del’énergie, qui sont libellés en dollars.“Nous sommes loin du cœur de l’Europe, etle prix du pétrole accroît nos coûts de trans-port”, ajoute M. Kiriakoreizis.

Au Portugal, Fernanda Valente, pro-priétaire d’une entreprise de confectionqui emploie 40 personnes, perçoit deson côté une lueur d’espoir. “Nous avonsconstaté une petite augmentation des com-mandes le mois dernier”, commente-t-elle.

Certes, la plupart de ses clients sont enEspagne et en Allemagne. Mais la baissede l’euro lui permet tout de même d’êtreplus compétitive vis-à-vis de ses concur-rents installés en Chine et en Europe del’Est, qui depuis dix ans ont profité d’untaux de change avantageux pour luirafler des parts de marché.

Brian Blackstone, avec Laura Stevens et Nina Koeppen

Le Petit Journal de la CRISE

Grande exportatrice, l’Allemagne profite largement de la dévalorisation de la monnaie commune. LaGrèce, elle, n’y gagne rien.

La baisse de l’euro fait aussi des heureux

Cours de l’euro en dollars

Balance commerciale avecles pays extérieurs à la zone euro,en milliards de dollars(données corrigées des variations saisonnières)

GAGNANTS ET PERDANTS

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Janvier Février Mars Avril

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1,50

A G E

▲ Dessin d’Ajubel paru dans El Mundo, Madrid.

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COURRIER INTERNATIONAL N° 1025 55 DU 24 AU 30 JUIN 2010

Des femmes saoudiennes veulent utili-ser une fatwa controversée à leur avan-tage et lancent une campagne pourenfin obtenir le droit de conduire dans

le royaume conservateur. Si elles n’obtien-nent pas satisfaction, elles menacent d’ap-pliquer à la lettre l’édit religieux les auto-risant à donner le sein aux hommes qui lesconduisent pour en faire l’équivalent de leursfils. Leur campagne aura pour slogan : “Lais-sez-nous conduire ou nous donnons le sein à tousles chauffeurs étrangers”, rapporte un jour-naliste à Gulf News.

Amal Zahid explique que les femmes ontpris cette décision à la suite de la publica-tion de la fatwa controversée, jugée à la foisétrange et drôle, qui a été édictée récem-ment par Cheikh Abdul Mohsen Bin Nas-ser Al-Obeikan, membre du Conseil desgrands oulémas d’Arabie Saoudite etconseiller du roi. D’après Al-Obeikan, lesfemmes saoudiennes ont le droit de donnerle sein à leurs conducteurs étrangers afind’en faire l’équivalent de leurs propres filset frères de leurs filles.

En devenant ainsi membres de la famille,les étrangers peuvent se mêler librement aureste du foyer sans violer la loi islamique inter-disant aux hommes et aux femmes de frayerensemble. Dans l’islam, la relation entre frèreset sœurs de lait est jugée aussi importanteque la fratrie de sang. “Une femme peut don-ner le sein à un homme adulte afin d’en faire sonfils. De cette manière, celui-ci pourra la fréquen-ter, elle et ses filles, sans enfreindre la loi isla-mique”, a déclaré Al-Obeikan.

Le religieux a fondé sa fatwa sur un hadithdu Prophète, rapporté par Salim, serviteurd’Abu Huzaifa. Par la suite, Al-Obeikan

a expliqué que sa parole avait été déforméepar les médias locaux, qui n’avaient pas pré-cisé que le lait devait être tiré de la femme etdonné à l’homme dans une tasse.

Plusieurs femmes saoudiennes ontcondamné cette fatwa. Le quotidien arabeAl-Watan cite l’une d’elles, qualifiant cetteloi de “ridicule et bizarre”. “Cette fatwa crée lapolémique chez les femmes. Est-ce vraiment toutce qui nous reste à faire : donner le sein à desétrangers ?” poursuit-elle. “La religion islamiqueme laisserait donner le sein à un étranger mais jen’aurais pas le droit de conduire ma propre voi-ture ?” s’interroge une autre femme saou-dienne, sous couvert d’anonymat. “Je n’aipas donné le sein à mes propres enfants, commentpourrais-je le faire avec un étranger ? C’est n’im-porte quoi !” s’insurge-t-elle.

D’après une autre femme, la fatwa devraitégalement s’appliquer aux maris, quidevraient alors téter le sein de leurs employéesde maison. “Comme ça, ils deviendraient frèreset sœurs”, explique-t-elle.

Hamid Al-Ali, journaliste pour un maga-zine en ligne, se souvient d’un chauffeur égyp-tien qui s’était amouraché de l’institutricequ’il emmenait à l’école. Il lui avait demandéde lui donner le sein et, quand celle-ci avaitrefusé tout net, il avait répondu : “Je veuxdevenir votre fils.”

“Les femmes doivent-elles donner le sein àleur chauffeur en présence du mari ou peuvent-elles faire cela en privé ?” avait demandé avecironie Suzan Mashhadi, écrivain d’originesaoudienne, à Al-Obeikan. “Qui protégera lafemme si le mari rentre chez lui et trouve inopi-nément sa femme en train de donner le sein à unétranger ?” Abdul Rahman Shaheen,

Gulf News, Dubaï

Un phallus géant de 65 mètres par 27 est apparu nui-

tamment sur un pont-levis de Saint-Pétersbourg. L’or-

gane a été peint sur le sol en un temps record par le

collectif moscovite Voïna (La guerre), spécialisé dans

l’art de rue. Cible de cette action : le bâtiment du FSB

(Service fédéral de sécurité), dont les fenêtres donnent

sur le pont Liteïny. Les quarante artistes ont opéré en

vingt-trois secondes avant de prendre la poudre d’es-

campette. Un seul d’entre eux a été arrêté. Enthousiasmée par la “Bite cosmique” (Kosmitchesky khouï dans la langue

de Tolstoï), la police s’est montrée “très amicale”, rapporte Leonid Nikolaev, qui a cependant passé trente-six heures au poste. Selon le quotidien Gazeta, l’artiste craignait que les forces de l’ordre ne

réalisent qui il était. Nikolaev, alias Tchoknity (le trinqueur), s’est fait connaître sur la Toile pour ses performances tournant en dérision les gyrophares bleus des apparatchiks. Un seau bleu sur la

tête, l’artiste fend la circulation moscovite pour escalader la voiture d’un VIP. Le FSB pourrait bientôt voir ses pouvoirs élargis, note la presse polonaise. L’ex-KGB serait alors habilité à arrêter et déte-

nir pendant quinze jours, à titre préventif, des citoyens soupçonnés de vouloir attenter à la sécurité de l’Etat.

Le pont, le vit et le FSB

La ville de Berne s’est dotée d’une terminologie non sexiste, rapporte le Courrier de Genève. Au nom

de l’égalité entre hommes et femmes, on ne dira plus “passage piétons”, mais “passage zébré”. On

n’écrira plus “adapté aux besoins des usagers”, mais “d’usage facile”. Plus question d’utiliser Mann-

schaft (équipe), qui contient le mot Mann (homme en allemand) : on préférera le vocable team. Les

“cours pour débutants” seront remplacés par les “cours de base”. Le Guide de formulation non

sexiste de la ville de Berne recommande également l’utilisation de la technique dite “du i majus-

cule”. “Cette technique, précise le quotidien helvète, consiste à créer un nouveau mot dont la

première partie est la forme masculine du terme utilisé et la deuxième la terminaison féminine

du même terme dotée d’une majuscule initiale. Cela donne par exemple : die MitarbeiterInnen

(les collaborateurs/trices).”

A cheval sur les zèbres

“Laissez-nous conduire ou nous donnonsle sein à tous les chauffeurs étrangers !”

▲ Les pompiers réquisitionnés pour nettoyer la “Bite cosmique” ne sont pas totalement venusà bout de l’œuvre. Il reste des traces sur l’asphalte, indique Gazeta.

A l’occasion de la Journée mondiale de l’enfance, 150 ados de Saint-Pétersbourg se sont vu remettre un opuscule intitulé “Prière pourle président”. Ce texte exhorte l’archange Michel, destructeurdes démons, à protéger Dmitri et Vladimir de leurs ennemis

“visibles et invisibles” et à réduire ceux-ci en poussière. Selon le quoti-dien Vedomosti, l’Eglise orthodoxe nie catégoriquement être à l’originede cette initiative. En 2007, rappellent les Novyé Izvestia, une secte diri-gée par la “Petite Mère Fotinia” vénérait Poutine, censé être l’incar-nation du roi Salomon et de l’apôtre Paul. La dame a été condam-née à un an et demi de prison pour escroquerie. Elle se considéraitelle-même comme l’incarnation de Dieu sur terre, précise le quotidien.

Prière pour Poutine

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Page 56: Courrier International Du 24 Juin 2010

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