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349 349 CHAPITRE 10 MANIFESTATIONS MICROCIRCULATOIRES DES CONNECTIVITES HORS SCLÉRODERMIE E. Hachulla Sous le terme de connectivites, on sous-entend habituelle- ment des maladies systémiques auto-immunes du tissu conjonctif. Si l’on prend la classification statistique interna- tionale des maladies et des problèmes de santé connexes dans sa 10 e révision (classification CIM-10), il faut y inclure des affections diverses comme la sclérodermie systémique, le lupus érythémateux systémique, la dermatomyosite, le syn- drome de Gougerot-Sjögren, mais aussi les vascularites des petits et des gros vaisseaux, la pseudo-polyarthrite rhizoméli- que, le syndrome de Schulman, le syndrome de Sharp, la polyarthrite rhumatoïde, la polychondrite atrophiante, ainsi que la sarcoïdose et diverses affections systémiques. Ce chapitre aborde les manifestations microcirculatoires des connectivites hors sclérodermie mais aussi hors vascularite systémique puisque cela fait l’objet d’un chapitre à part. Nous nous limiterons aux connectivites usuelles : lupus érythéma- teux systémique, syndrome de Gougerot-Sjögren, dermato- myosite, syndrome de Sharp ou connectivites mixtes. PHÉNOMÈNE DE RAYNAUD [1] Le phénomène de Raynaud est un trouble vasomoteur carac- térisé par une ischémie paroxystique des extrémités. Sa pré- valence est estimée dans la population générale à environ 5- 10 % mais il s’agit aussi de la manifestation microcirculatoire la plus fréquente des connectivites. Le diagnostic de phénomène de Raynaud est un diagnostic d’interrogatoire. La crise est favorisée par l’exposition au froid ou le simple changement de température. Un facteur mécanique intervient souvent (pression digitale, contact avec un objet froid). L’humidité est un facteur favorisant fréquem- ment retrouvé. Le stress, la contrariété ou l’émotion peuvent suffire au déclenchement d’une crise. La crise de Raynaud se décompose classiquement en trois phases mais la phase syncopale peut être isolée : – la première phase est syncopale (fig. 10-1) liée à une vaso- constriction digitale et à l’occlusion des sphincters précapil- laires aboutissant à une véritable exclusion du lit capillaire. Les doigts sont blancs, livides et froids donnant une impres- sion de doigt mort. À ce stade, il y a souvent une hypo voire une anesthésie digitale. Cette phase dure généralement quelques minutes. Elle peut rarement atteindre une heure ; – la deuxième phase est cyanique (ou asphyxique) et corres- pond à une stagnation sanguine dans le lit veinulaire entraî- nant des phénomènes dysesthésiques. Cette phase peut durer de quelques minutes à une demi-heure ; – la dernière phase est érythermalgique : il s’agit d’une phase réactionnelle avec ouverture des sphincters précapillaires du lit capillaire vasculaire ; les doigts peuvent alors être tumé- fiés, érythémateux et sont souvent douloureux. L’interrogatoire et l’examen clinique permettent le plus sou- vent de repérer rapidement le phénomène de Raynaud lié à une connectivite. Par prévalence décroissante, on peut citer les connectivites suivantes (à l’exclusion de la sclérodermie systémique vue dans un autre chapitre) : – syndrome de Sharp ou connectivite mixte (plus de 95 % des cas) ; – lupus érythémateux systémique (20 à 50 % des cas) ; – syndrome de Gougerot-Sjögren (20 à 30 % des cas) ; – dermatomyosite (10 à 15 % des cas) ; – polyarthrite rhumatoïde (3 à 7 % des cas). Si le phénomène de Raynaud est quasi constant au cours du syndrome de Sharp, la présence d’anticorps antinucléaires de type U1-RNP fait partie intégrante du diagnostic. Au cours Figure 10-1. Maladie de Raynaud.

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C H A P I T R E 1 0

M A N I F E S T A T I O N S M I C R O C I R C U L A T O I R E S D E S C O N N E C T I V I T E SH O R S S C L É R O D E R M I E

E. Hachulla

Sous le terme de connectivites, on sous-entend habituelle-ment des maladies systémiques auto-immunes du tissuconjonctif. Si l’on prend la classification statistique interna-tionale des maladies et des problèmes de santé connexes danssa 10e révision (classification CIM-10), il faut y inclure desaffections diverses comme la sclérodermie systémique, lelupus érythémateux systémique, la dermatomyosite, le syn-drome de Gougerot-Sjögren, mais aussi les vascularites despetits et des gros vaisseaux, la pseudo-polyarthrite rhizoméli-que, le syndrome de Schulman, le syndrome de Sharp, lapolyarthrite rhumatoïde, la polychondrite atrophiante, ainsique la sarcoïdose et diverses affections systémiques.

Ce chapitre aborde les manifestations microcirculatoires desconnectivites hors sclérodermie mais aussi hors vascularitesystémique puisque cela fait l’objet d’un chapitre à part. Nousnous limiterons aux connectivites usuelles : lupus érythéma-teux systémique, syndrome de Gougerot-Sjögren, dermato-myosite, syndrome de Sharp ou connectivites mixtes.

PHÉNOMÈNE DE RAYNAUD [1]

Le phénomène de Raynaud est un trouble vasomoteur carac-térisé par une ischémie paroxystique des extrémités. Sa pré-valence est estimée dans la population générale à environ 5-10 % mais il s’agit aussi de la manifestation microcirculatoirela plus fréquente des connectivites.

Le diagnostic de phénomène de Raynaud est un diagnosticd’interrogatoire. La crise est favorisée par l’exposition aufroid ou le simple changement de température. Un facteurmécanique intervient souvent (pression digitale, contact avecun objet froid). L’humidité est un facteur favorisant fréquem-ment retrouvé. Le stress, la contrariété ou l’émotion peuventsuffire au déclenchement d’une crise.

La crise de Raynaud se décompose classiquement en troisphases mais la phase syncopale peut être isolée :

– la première phase est syncopale (fig. 10-1) liée à une vaso-constriction digitale et à l’occlusion des sphincters précapil-laires aboutissant à une véritable exclusion du lit capillaire.Les doigts sont blancs, livides et froids donnant une impres-sion de doigt mort. À ce stade, il y a souvent une hypo voire

une anesthésie digitale. Cette phase dure généralementquelques minutes. Elle peut rarement atteindre une heure ;

– la deuxième phase est cyanique (ou asphyxique) et corres-pond à une stagnation sanguine dans le lit veinulaire entraî-nant des phénomènes dysesthésiques. Cette phase peutdurer de quelques minutes à une demi-heure ;

– la dernière phase est érythermalgique : il s’agit d’une phaseréactionnelle avec ouverture des sphincters précapillaires dulit capillaire vasculaire ; les doigts peuvent alors être tumé-fiés, érythémateux et sont souvent douloureux.

L’interrogatoire et l’examen clinique permettent le plus sou-vent de repérer rapidement le phénomène de Raynaud lié àune connectivite. Par prévalence décroissante, on peut citerles connectivites suivantes (à l’exclusion de la sclérodermiesystémique vue dans un autre chapitre) :– syndrome de Sharp ou connectivite mixte (plus de 95 % des

cas) ;– lupus érythémateux systémique (20 à 50 % des cas) ;– syndrome de Gougerot-Sjögren (20 à 30 % des cas) ;– dermatomyosite (10 à 15 % des cas) ;– polyarthrite rhumatoïde (3 à 7 % des cas).Si le phénomène de Raynaud est quasi constant au cours dusyndrome de Sharp, la présence d’anticorps antinucléaires detype U1-RNP fait partie intégrante du diagnostic. Au cours

Figure 10-1. Maladie de Raynaud.

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Manifestations microcirculatoires des connectivites hors sclérodermie

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du syndrome de Sharp, l’aspect capillaroscopique est habi-tuellement celui observé au cours de la sclérodermie systémi-que avec à des degrés divers une raréfaction du nombre descapillaires, un flou de la toile de fond, des hémorragies capil-laires, des dystrophies capillaires avec surtout des mégacapil-laires (microangiopathie organique). Au cours du lupusérythémateux systémique, il a été rapporté quelques anoma-lies mais qui n’ont aucune spécificité [2] : zones avasculaires,dystrophies, capillaires géants. La présence de capillaires dila-tés au cours du lupus est habituellement le témoin de l’exis-tence d’anticorps U1-RNP associés. En cas de phénomènesthrombotiques digitaux liés à la présence d’anticorps anti-phospholipides, on peut alors retrouver en capillaroscopiedes hémorragies capillaires. Au cours du syndrome deGougerot-Sjögren, la capillaroscopie périunguéale est habi-tuellement normale ou montre des aspects non spécifiques dedystrophies mineures, parfois quelques hémorragies périca-pillaires. La présence de mégacapillaires doit faire discuterl’existence d’un syndrome de chevauchement avec la scléro-dermie systémique. Au cours de la dermatomyosite, l’aspectcapillaroscopique est volontiers de type sclérodermique (avecmicroangiopathie organique et mégacapillaires). La polyarth-rite rhumatoïde ne s’accompagne pas quant à elle d’anomaliecapillaroscopique particulière.

Tout phénomène de Raynaud tardif n’est pas à rattacher àune connectivite, les autres causes sont nombreuses et doi-vent avoir été éliminées (tableau 10-1).

Le phénomène de Raynaud des connectivites hors scléroder-mie systémique ne se complique qu’exceptionnellement detroubles trophiques. La survenue d’une ulcération pulpaireau cours du syndrome de Sharp peut être le signe de son évo-lution vers une authentique sclérodermie systémique. Aucours du lupus systémique, la survenue de troubles trophi-ques distaux est en général la conséquence d’une thrombosedes collatérales digitales liée à un syndrome des antiphospho-lipides. Au cours du syndrome de Gougerot-Sjögren, l’appa-rition de troubles trophiques distaux doit faire évoquer unevascularite sur cryoglobulinémie. Au cours de la dermato-myosite, on peut parfois observer des nécroses cutanées et desulcérations digitales, il s’agit habituellement de lésions de vas-cularite qui doit faire craindre le caractère paranéoplasique dela myopathie inflammatoire. Cependant, il peut aussi s’agird’un syndrome de chevauchement avec une autre connecti-vite, notamment la sclérodermie systémique (scléromyosite).Au cours de la polyarthrite rhumatoïde, les troubles trophi-ques distaux sont exceptionnels, reflétant habituellement lasurvenue d’une vascularite rhumatoïde.

Le phénomène de Raynaud des connectivites hors scléroder-mie systémique nécessite rarement un traitement pharmaco-logique. Les mesures préventives sont habituellement trèsefficaces : protection contre le froid, vis-à-vis de l’humidité,port de gants de soie sous des gants de laines ou des polaires,bonne isolation des pieds et port de vêtements chauds enmulticouches en protégeant le cou et la tête. Le tabac doit êtrearrêté car il contribue au refroidissement digital. Il peut arri-

ver que certains médicaments prescrits aggravent le phéno-mène de Raynaud comme l’utilisation des β-bloquants(même en collyre), les dérivés de l’ergot de seigle, l’interféronα, etc. Dans ce cas, c’est l’évaluation du rapport bénéfice/ris-que qui détermine la poursuite ou non du médicament aggra-vant. Si les mesures précédentes sont insuffisantes et si lephénomène de Raynaud est invalidant, on peut alors prescrire

Tableau 10-1. Principales causes des phénomènes de Raynaud secondaires.

CONNECTIVITES

– Sclérodermie

– Syndrome de Sharp

– Lupus érythémateux systémique

– Syndrome de Gougerot-Sjögren

– Dermatomyosite

– Polyarthrite rhumatoïde

CAUSES MÉDICAMENTEUSES ET TOXIQUES

– Bêtabloquants (même en collyre)

– Dérivés de l’ergot de seigle, sumatriptan

– Clonidine

– Bléomycine et vinblastine

– Interféron α– Ciclosporine

– Imipramine

– Amphétamines

– Bromocriptine

– Oestroprogestatifs

– Fistule artérioveineuse pour hémodialyse

(par hémodétournement)

ARTÉRIOPATHIES OBLITÉRANTES

– Syndrome du défilé costoclaviculaire

– Maladie de Buerger

– Artériopathie athéromateuse

– Embolies distales

– Paranéoplasique

VASCULARITES

– Cryoglobulinémie

– Maladie des agglutinines froides

– Périartérite noueuse, maladie de Wegener

– Maladie de Horton, maladie de Takayasu

ARTÉRIOPATHIES PROFESSIONNELLES OU DE LOISIRS

– Maladie des vibrations

– Syndrome du marteau (travail manuel

ou bricolage intempestif)

– Intoxications professionnelles : chlorure

de polyvinyle, silice, arsenic

HÉMOPATHIES ET TROUBLES DE L’HÉMOSTASE

– Polyglobulie

– Thrombocytémie

– Hyper-γ-globulinémie (IgM)

– Syndrome des antiphospholipides et autres

thrombophilies

CAUSES ENDOCRINIENNES

– Myxœdème

– Thyroïdite

– Acromégalie

– Anorexie mentale

AUTRE Hypertension artérielle pulmonaire primitive

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Érythermalgie

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un inhibiteur calcique en première intention. L’iloprost IV estréservé aux formes qui se compliqueraient d’ischémie digitale[3]. Le phénomène de Raynaud est rarement le symptômeinaugural des connectivites à l’exception de la sclérodermiesystémique et du syndrome de Sharp, où le phénomène deRaynaud peut précéder de plusieurs années les autres signesde la maladie.

ÉRYTHERMALGIE [4-7]

L’érythermalgie (ou érythromélalgie) est un acrosyndromevasculaire paroxystique rare qui s’oppose point par pointau phénomène de Raynaud. L’exposition des extrémités(pieds ou mains) à la chaleur provoque une vasodilatationliée vraisemblablement à une anomalie de l’innervationsympathique, tout au moins dans la forme primitive. Aucours de la crise d’érythermalgie, certains sphincters préca-pillaires seraient en constriction alors que des shunts arté-rioveineux seraient ouverts provoquant un déséquilibreentre perfusions totales et perfusions à visée nutritive,expliquant la coexistence de territoires cutanés en hypoxieet en hyperémie. Le mécanisme est plus complexe dans lesformes secondaires, mais interviennent notamment lesmédiateurs plaquettaires.

La crise d’érythermalgie survient à l’occasion d’une augmen-tation de la chaleur locale (chaussure, gant, eau chaude, cou-vertures, exercice). Les extrémités (plus souvent les pieds queles mains) deviennent rouge vif, chaudes et sont parfois œdé-matiées. Elles sont le siège de brûlures intenses accompagnéesde lancements, de sensations de broiement. « Terrible, atroce,intolérable » sont des qualificatifs souvent entendus lors del’interrogatoire. La crise peut durer de quelques minutes àquelques heures. Elle est calmée par l’exposition au froid (eaufroide, pied sur le carrelage) et parfois par la surélévation dumembre. Les critères diagnostiques cliniques de l’érythermal-gie sont rassemblés dans le tableau 8-2 page 306.

L’examen clinique suffit habituellement pour confirmer lanormalité de la vascularisation artérielle du membre. Lacapillaroscopie périunguéale est normale en dehors des crises.Si elle peut être faite à l’occasion d’un accès, on observe unedilatation des anses capillaires avec une rougeur de la toile defond.

L’érythermalgie peut être primitive, être liée à un syndromemyéloprolifératif (érythromélalgie). Elle peut aussi avoir uneorigine médicamenteuse (inhibiteurs calciques par exemple)ou être liée à une connectivite (lupus érythémateux systémi-que, syndrome de Sharp, syndrome de Gougerot-Sjögren etpolyarthrite rhumatoïde essentiellement). D’autres causes ontété rapportées sans qu’une relation directe ait été démontrée(tableau 10-2).

L’immersion dans l’eau froide apporte souvent un soulage-ment rapide et peut constituer un véritable test diagnostique.L’aspirine est efficace dans les formes associées à la polyglo-bulie ou aux thrombocytémies mais elle est peu efficace dans

les autres causes et dans les connectivites notamment. Le pro-pranolol à la dose de 10 mg 3 fois/j peut apporter un bénéfice.En cas d’inefficacité, différents médicaments doivent être ten-tés comme les inhibiteurs de la recapture de la sérotonine, lesantidépresseurs tricycliques ou d’autres molécules comme lacarbamazépine voire même le misoprostol.

LIVEDO [8]

On distingue classiquement le livedo réticulaire constitué depetites mailles régulières et fermées et le livedo racemosa oùles mailles sont ouvertes, ressemblant aux ramifications d’unarbre. Même si le livedo racemosa est habituellement le refletd’une affection organique, alors que le livedo réticulaire estplus souvent physiologique, cette distinction n’est habituelle-ment plus faite, d’autant que la littérature anglosaxonne neretient habituellement que le terme de livedo réticulaire

ÉRYT

Tableau 10-2. Principales causes et pathologies associées aux érythermalgies.

CONNECTIVITES

– Syndrome de Sharp

– Lupus érythémateux systémique

– Syndrome de Gougerot-Sjögren

– Polyarthrite rhumatoïde

– Vascularites

CAUSES MÉDICAMENTEUSES ET TOXIQUES

– Inhibiteurs calciques, bromocriptine,

noréphédrine, pergolide, ticlodipine

– Vaccins anti-Influenzae, vaccins antihépatites

– Produits de contraste iodés

HÉMOPATHIES

– Polyglobulie et thrombocytémie

– Leucémie myéloïde chronique

– Sphérocytose héréditaire

– Anémie de Biermer

– Purpura thrombotique thrombocytopénique

MALADIES CARDIOVASCULAIRES

– Athérosclérose

– Hypertension artérielle

MALADIES THROMBO-EMBOLIQUES

– Embolie de cristaux de cholestérol

– Troubles métaboliques

– Diabète sucré de type 1 et 2

– Hypercholestérolémie

MALADIES INFECTIEUSES

– Sida

– Infections bactériennes récurrentes

– Infections virales

– Syphilis

PATHOLOGIES MUSCULO-SQUELETTIQUES

– Syndrome du canal carpien

– Traumatismes ou chirurgie rachidienne

CAUSES NEUROLOGIQUES

– Neuropathie

– Sclérose en plaques

– Atteinte de la corne antérieure

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Manifestations microcirculatoires des connectivites hors sclérodermie

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(livedo reticularis) qui en fait un syndrome unitaire. Le livedoest une lésion violacée d’origine vasculaire résultant de lastase sanguine dans les veinules dermiques avec désaturationdu sang en oxygène. Ces lésions s’effacent donc à la vitropres-sion. Cette stase veinulaire formant une maille arrondie esthabituellement la conséquence d’une atteinte de l’artériolenourricière de ce territoire cutané. Il peut s’agir d’une hyper-viscosité sanguine, d’un accident thrombotique.

Le livedo physiologique est toujours vasomoteur, il prédo-mine sur les membres. Il est constitué de petites mailles fer-mées, il disparaît au réchauffement, il s’atténue en positioncouchée, il n’est pas infiltré et ne se complique pas de nécrose.Le livedo pathologique est rarement vasomoteur, il est habi-tuellement suspendu et peut toucher le tronc, il est constituéde mailles ouvertes petites ou grandes, il n’est pas influencépar le changement de position, il est parfois infiltré et peut senécroser.

Le livedo est un trouble microcirculatoire qui peut s’observerau cours des connectivites, essentiellement au cours du lupusérythémateux systémique, témoignant pratiquement tou-jours de la présence d’anticorps antiphospholipides, plusrarement d’une cryoglobulinémie. Il pourrait s’agir d’unauthentique critère de diagnostic de syndrome des antiphos-pholipides si la biopsie cutanée faite au centre de la maillemontrait une thrombose artériolaire. Il est conseillé chez unpatient ayant un livedo et des anticorps antiphospholipidesde réaliser de manière systématique une échocardiographie àla recherche d’une atteinte valvulaire et une IRM cérébrale àla recherche de lésions d’infarctus silencieux. Le livedo appa-

raît comme un facteur de risque de survenue d’un infarctuscérébral chez les patients ayant des anticorps antiphospholi-pides. L’association infarctus cérébral et livedo est connuesous le nom de syndrome de Sneddon (fig. 10-2). La présenced’un livedo avec des anticorps antiphospholipides et un épi-sode thrombotique documenté justifie un traitement au longcours par antivitamine K [9] car le risque évolutif est ladémence vasculaire.

La découverte d’un livedo d’allure pathologique doit néan-moins faire l’objet d’un bilan étiologique très large car lescauses sont nombreuses comme rapportées dans letableau 10-3.

Figure 10-2. Livedo suspendu au cours d’un syndrome de Sneddon.

Tableau 10-3. Principales causes et pathologies associées au livedo.

ANOMALIES DU CONTENU

Syndrome myéloprolifératif

– thrombocythémie essentielle, maladie de Vaquez

Cryopathies

– cryoglobulinémie (type 1 surtout)

– cryofibrinogénémie

– maladie des agglutinines froides

Thrombophilies

– afibrinogénémie et dysfibrinogénémie congénitales

– thrombopénies immunoallergiques induites

par l’héparine

– nécrose cutanée aux antivitamines K

(déficit en protéine C ou S)

– syndrome des antiphospholipides

En association à d’autres causes

– déficit congénital en protéine S, protéine C,

ou antithrombine

– mutation du facteur V (facteur V Leiden)

– mutation du facteur II (prothrombine)

EMBOLIES

– Embolies fibrinocruoriques ou septiques

d’origine cardiaque ou vasculaire

– Embolies de cholestérol

– Embolies gazeuses

– Embolies graisseuses

– Embolies tumorales

– Myxome

– Dermite livedoïde de Nicolau

– Oxalose

ANOMALIES DU CONTENANT

Vasculites artériolaires ou veinulaires

– périartérite noueuse

– cryoglobulinémies (surtout types II et III)

Hyperplasie intimale

– syndrome de Sneddon

– syndrome des antiphospholipides

– thrombocythémie essentielle

Dépôts calciques

– artériolopathie calcique (calciphylaxie)

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Ischémie et gangrène distale

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Ischémie et gangrène distale

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ISCHÉMIE ET GANGRÈNE DISTALE [10]

Une ischémie ou une gangrène digitale ou d’orteils s’observerarement au cours des connectivites. Il s’agit soit alors de laconséquence d’une atteinte thrombotique des collatéralesdigitales soit d’une vascularite cutanée.Au cours du lupus par exemple, la survenue d’une ischémie oud’une gangrène distale peut révéler un syndrome des antiphos-pholipides. Les phénomènes thrombotiques peuvent toucherles artères collatérales digitales mais aussi les arcades palmairesvoire les artères radiales ou cubitales. La gangrène distale peutaussi être le reflet d’une atteinte thrombotique microcircula-toire plus diffuse dans le cadre d’un syndrome catastrophiquedes antiphospholipides [11]. Au cours du lupus ou du Syn-drome de Sjögren, la survenue d’une gangrène distale peutaussi être la conséquence d’un processus de vascularite notam-ment associée à une cryoglobulinémie (fig. 10-3).Néanmoins, le lupus et les connectivites sont loin d’être lesprincipales causes d’ischémies et de gangrènes distales. Letableau 10-4 en résume les principales causes.Contrairement à la sclérodermie systémique, les manifesta-tions microcirculatoires des connectivites sont rarement révé-latrices de la connectivite elle-même. Ces manifestations sontd’autre part loin d’être spécifiques des connectivites et le bilanétiologique d’un phénomène de Raynaud, d’une érythermal-gie, d’un livedo ou d’une ischémie digitale doit toujours êtrelarge et complet même si une cause évidente apparaît car iln’est pas exceptionnel d’avoir des facteurs intriqués.

IS

Figure 10-3. Gangrène distale sur cryoglobulinémie au cours d’un syndrome de Sjögren primitif.

Tableau 10-4. Principales causes des ischémies et gangrènes des extrémités.

ARTÉRIOPATHIES DISTALES JUVÉNILES

– Artériopathie athéromateuse précoce

et diabète

– Maladie de Buerger

CAUSES EMBOLIQUES

– Cardiopathies emboligènes : valvulopathies,

thrombus, troubles du rythme

– Aortite ulcérée, anévrisme de l’aorte

– Embolies paradoxales : foramen ovale

perméable, fistule artérioveineuse pulmonaire

TROUBLES DE L’HÉMOSTASE

– Syndromes myéloprolifératifs

– Syndrome des antiphospholipides

– Déficit en protéines C, S, déficit

en antithrombine III, résistance à la protéine

C activée

– Cryoglobulinémie

– Hyperhomocystéinémie

CAUSES MÉDICAMENTEUSES

– Dérivés de l’ergot de seigle

– Chimiothérapie : bléomycine, cisplatine,

vinblastine

– Interféron α– β-bloquants

CONNECTIVITES

– Sclérodermie

– Lupus érythémateux systémique avec

ou sans antiphospholipides

– Dermatomyosites

VASCULARITES

– Maladie de Takayasu

– Maladie de Horton

– Périartérite noueuse

– Cryoglobulinémies

– Wegener

ARTÉRIOPATHIES NON ATHÉROMATEUSES

– Artérite radique

– Pseudoxanthome élastique

– Syndrome de la traversée thoracobrachiale

– Artère poplitée piégée

CAUSES PROFESSIONNELLES

– Syndrome du marteau hypothénar

– Maladies des vibrations (si autre facteur

associé, tabac par ex.)

– Sclérodermie induite : exposition à la silice,

aux solvants

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Manifestations microcirculatoires des connectivites hors sclérodermie

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RÉFÉRENCES

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[4] Cohen JS. Erythromelalgia : new theories and new therapies. J Am Acad Dermatol 2000 ; 43 : 841-7.

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