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http://lamyline.lamy.fr Numéro 108 I Octobre 2013 RLDC I 83 RÉFLEXIONS CROISÉES Perspectives Revue Lamy Droit civil : Pourquoi, d’après vous, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fin de vie n’est-elle pas appliquée ? Jean Leonetti : Elle n’est pas appliquée parce qu’elle n’est pas connue. Elle n’est connue que très partiellement de nos concitoyens. Ils ne savent pas qu’ils ont de nouveaux droits. Un certain nombre de médecins ne la connaissent pas non plus. Tout d’abord, cette loi n’a pas bénéficié d’un grand plan de média- tisation ou d’information ; probablement parce que c’était une loi d’origine parlementaire. Mais elle a quand même beaucoup de notoriété : tout le monde pense la connaître, tout le monde en parle. Mais en réalité peu de personnes sont entrées dans les détails. Peut-on faire ou ne pas faire telle ou telle chose ? Les médecins, dans leur pratiques, pensent être dans le cadre de la loi. Mais parfois, ils ont l’impres- sion de l’enfreindre. Ils ne sont jamais réellement sûrs. RLDC : Le corps médical est-il réticent à la faire connaître ? J. L. : Peut-être un peu, dans la mesure où cette loi bouscule les tradi- tions d’une médecine qui a été longtemps triomphante, salvatrice et qui doit redevenir accompagnante, apaisante, consolatrice. C’est la médecine qui apaise mais qui ne guérit pas. Ces trente dernières années, la médecine était surtout axée sur la guérison et sur le fait de sauver beaucoup plus que sur le fait de soulager et d’accompagner ; car le principe qui sous-tend la médecine est de valoriser la médecine qui sauve et de sous-valoriser la médecine qui accompagne et qui soulage. RLDC : Une étude d’impact de cette loi a-t-elle été réalisée ? J. L. : Oui, mais tardivement. Ce n’est qu’en 2008 que François Fillon, alors Premier ministre, m’a demandé de procéder à une réé- valuation de la loi ; et ce, à l’occasion de la médiatisation de la souffrance d’une enseignante qui avait demandé au président de la République de pouvoir mourir dans la dignité (v. notamment, LeMonde.fr, 12 mars 2008, affaire Chantal Sébire). Une cinquan- taine de propositions ont été faites dont celle de créer un Obser- vatoire de la fin de vie qui a été mis en place à cette occasion et qui permet aujourd’hui d’avoir un regard objectif sur la fin de vie médicalisée, non médicalisée, accompagnée ou non. Nous nous sommes alors aperçus que beaucoup de gens continuent à souffrir physiquement dans les dernières heures de leur vie ; ce qui est purement scandaleux compte tenu des textes et des moyens dont on dispose. RLDC : Faut-il alors proposer de nouvelles évolutions ? J. L. : Il ne faut, en effet, jamais s’arrêter de réfléchir à ces questions de fin de vie ; car c’est un problème existentiel, sociétal et médical. Existentiel, car l’homme s’est, de tout temps, posé des questions sur le sens de sa vie. Sociétal, car les modes de vie évoluent et les gens réclament de nouveaux droits. Et enfin, médical, car la méde- cine fait chaque jour de nouveaux progrès. Alors, effectivement, il serait dangereux de ne plus réfléchir à toutes ces questions. Pour autant, on ne peut pas penser qu’il faut, chaque année, franchir une étape supplémentaire transgressive comme si toute avan- cée était une évolution de la transgression à la transgression déjà admise. « J’ai plutôt l’impression que les gens réclament l’autonomie, mais préfèrent une médicalisation de la mort qu’un suicide autonome assisté » La loi du 22 avril 2005 relative à la fin de vie représentait une avancée significative dans la reconnaissance des droits des malades. Le gouvernement souhaite franchir une nouvelle étape. Point de vue et analyse de Jean Leonetti. RLDC 5256 Entretien avec Jean LEONETTI Député des Alpes-Maritimes, Maire d’Antibes-Juan-Les-Pins

Fin de vie : entretien avec Jean Leonetti

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Numéro 108 I Octobre 2013 RLDC I 83

RÉFLEXIONS CROISÉES

Perspectives

Revue Lamy Droit civil : Pourquoi, d’après vous, la loi du 22 avril 2005 relative aux droits des malades et à la fi n de vie n’est-elle pas appliquée ?

Jean Leonetti : Elle n’est pas appliquée parce qu’elle n’est pas connue. Elle n’est connue que très partiellement de nos concitoyens. Ils ne savent pas qu’ils ont de nouveaux droits. Un certain nombre de médecins ne la connaissent pas non plus.

Tout d’abord, cette loi n’a pas bénéfi cié d’un grand plan de média-tisation ou d’information ; probablement parce que c’était une loi d’origine parlementaire.

Mais elle a quand même beaucoup de notoriété : tout le monde pense la connaître, tout le monde en parle. Mais en réalité peu de personnes sont entrées dans les détails. Peut-on faire ou ne pas faire telle ou telle chose ? Les médecins, dans leur pratiques, pensent être dans le cadre de la loi. Mais parfois, ils ont l’impres-sion de l’enfreindre. Ils ne sont jamais réellement sûrs.

RLDC : Le corps médical est-il réticent à la faire connaître ?

J. L. :Peut-être un peu, dans la mesure où cette loi bouscule les tradi-tions d’une médecine qui a été longtemps triomphante, salvatrice et qui doit redevenir accompagnante, apaisante, consolatrice. C’est la médecine qui apaise mais qui ne guérit pas. Ces trente dernières années, la médecine était surtout axée sur la guérison et sur le fait de sauver beaucoup plus que sur le fait de soulager et d’accompagner ; car le principe qui sous-tend la médecine est de valoriser la médecine qui sauve et de sous-valoriser la médecine qui accompagne et qui soulage.

RLDC : Une étude d’impact de cette loi a-t-elle été réalisée ?

J. L. :Oui, mais tardivement. Ce n’est qu’en 2008 que François Fillon, alors Premier ministre, m’a demandé de procéder à une réé-valuation de la loi  ; et ce, à l’occasion de la médiatisation de la souffrance d’une enseignante qui avait demandé au président de la République de pouvoir mourir dans la dignité (v. notamment, LeMonde.fr, 12 mars 2008, affaire Chantal Sébire). Une cinquan-taine de propositions ont été faites dont celle de créer un Obser-vatoire de la fi n de vie qui a été mis en place à cette occasion et qui permet aujourd’hui d’avoir un regard objectif sur la fi n de vie médicalisée, non médicalisée, accompagnée ou non. Nous nous sommes alors aperçus que beaucoup de gens continuent à souffrir physiquement dans les dernières heures de leur vie ; ce qui est purement scandaleux compte tenu des textes et des moyens dont on dispose.

RLDC :Faut-il alors proposer de nouvelles évolutions ?

J. L. :Il ne faut, en effet, jamais s’arrêter de réfl échir à ces questions de fi n de vie ; car c’est un problème existentiel, sociétal et médical. Existentiel, car l’homme s’est, de tout temps, posé des questions sur le sens de sa vie. Sociétal, car les modes de vie évoluent et les gens réclament de nouveaux droits. Et enfi n, médical, car la méde-cine fait chaque jour de nouveaux progrès. Alors, effectivement, il serait dangereux de ne plus réfl échir à toutes ces questions. Pour autant, on ne peut pas penser qu’il faut, chaque année, franchir une étape supplémentaire transgressive comme si toute avan-cée était une évolution de la transgression à la transgression déjà admise.

« J’ai plutôt l’impression que les gens réclament l’autonomie, mais préfèrent une médicalisation de la mort qu’un suicide autonome assisté »La loi du 22 avril 2005 relative à la fi n de vie représentait une avancée signifi cative dans la reconnaissance des droits des malades. Le gouvernement souhaite franchir une nouvelle étape. Point de vue et analyse de Jean Leonetti.

RLDC 5256

Entretien avec Jean LEONETTI

Député des Alpes-Maritimes,Maire d’Antibes-Juan-Les-Pins