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PAUL DE MOL DISCIPLE D’ALONSO DE MADRID. M. l’abbé Guillaume appelait naguère notre attention sur un traité ascétique du franciscain Alphonse ou Alonso de Madrid et le rôle qu'il a joué dans le renouveau catholique du XVIe et X V IIe siècle (i). L ’A rt de servir D ieu (tel est le titre du volume) peut même être considéré comme une source de l’ascétisme de sainte Thérèse ; c’était un de ses livres favoris et elle ne manquait pas de le recommander à ses religieuses (2). Du précieux manuel, paru pour la septième fois en 1521, on connaît vingt éditions es- pagnoles, dix latines, sept françaises (3), cinq flamandes et quatre italiennes (4). Ces chiffres disent assez qu’on a raison de parler d’un travail capital, qui a réellement joué un rôle important dans l’histoire du renouveau catholique du temps de la Réforme. A propos de ce traité on a cité le nom du P. Paul de Mol, capucin belge, qui a contribué grandement à sa diffusion dans les pays de langue française. Les éditions de Douai (1598-1606) lui sont même dédiées. Nous voudrions noter ici ce qu’on sait de la biographie de ce personnage, qui de fait est presque entièrement inconnu. Il est si peu connu qu’on risque de se méprendre sur son identité. Son nom de famille « de Mol » a été considéré comme une indica- tion géographique, comme s’il était né au village de Moll, dans la province d’Anvers. Un auteur tout récent l'appelle à trois (1) Un précurseur de la Réforme catholique. Alonso de Madrid : L'Arte para servir a Dios, dans la Revue d'Hist. Ecclés., t. X X V , 1929, pp. 260-274. (2) P. Guillaume. Une Source franciscaine de l'ascétisme thérésien. L'Art de servir Dieu d'Alonso de Madrid. Extrait de la France Franciscaine, t. XIII, *93°. PP- 397"435 ; t. XIV, 1931, pp. 5-65. — Nos lecteurs feront bien de relire ici l'exposé du R. P. Ricmi, dans sa dernière Chronique, pp. 112-114 de ce volume. (3) L'article cité de la Revue d'Hist. Ecclés., p. 272, ne connaît pas l’édition française de Douai 1606, dont un exemplaire repose à la Bibliothèque Provin- ciale des Capucins d'Anvers. (4) Quelques-unes de ces éditions ne donnent qu'un texte abrégé. 1878

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PAUL DE MOLD IS C IP L E D ’ALON SO D E M A D R ID .

M. l ’abbé Guillaume appelait naguère notre attention sur un traité ascétique du franciscain Alphonse ou A lonso de Madrid et le rôle qu 'il a joué dans le renouveau catholique du X V I e et X V I I e siècle (i) . L ’A r t de servir D ie u (tel est le titre du volum e) peut m êm e être considéré com m e une source de l ’ascétisme de sainte Thérèse ; c ’était un de ses livres favoris et elle ne manquait pas de le recom m ander à ses religieuses (2). Du précieux manuel, paru pour la septième fois en 1521, on connaît vingt éditions es­pagnoles, d ix latines, sept françaises (3), cinq flamandes et quatre italiennes (4). Ces chiffres disent assez q u ’on a raison de parler d ’un travail capital, qui a réellement jou é un rôle im portant dans l ’histoire du renouveau catholique du tem ps de la Réform e.

A propos de ce traité on a cité le nom du P. Paul de Mol, capucin belge, qui a contribué grandem ent à sa diffusion dans les pays de langue française. Les éditions de Douai (1598-1606) lui sont même dédiées.

N ous voudrions noter ici ce q u ’on sait de la biographie de ce personnage, qui de fait est presque entièrement inconnu. Il est si peu connu qu ’on risque de se m éprendre sur son identité. Son nom de famille « de Mol » a été considéré com m e une indica­tion géographique, com m e s’il était né au village de Moll, dans la province d ’Anvers. Un auteur tout récent l'appelle à trois

(1) Un précurseur de la Réforme catholique. Alonso de Madrid : L'Arte para servir a Dios, dans la Revue d'Hist. Ecclés., t. X X V , 1929, pp. 260-274.

(2) P. G u i l l a u m e . Une Source franciscaine de l'ascétisme thérésien. L 'A rt de servir Dieu d'Alonso de Madrid. Extrait de la France Franciscaine, t. X III, *93°. PP- 397"435 ; t. XIV, 1931, pp. 5-65. — Nos lecteurs feront bien de relire ici l'exposé du R. P. Ricmi, dans sa dernière Chronique, pp. 112-114 de ce volume.

(3) L'article cité de la Revue d'Hist. Ecclés., p. 272, ne connaît pas l ’édition française de Douai 1606, dont un exemplaire repose à la Bibliothèque Provin­ciale des Capucins d'Anvers.

(4) Quelques-unes de ces éditions ne donnent qu'un texte abrégé.

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reprises « Paulus a Moll » (i) alors que n ou ' savons pourtant qu ’il était né à Bruxelles, d'une famille « de Mol », très connue et très influente.

Le P. Paul reçut la prêtrise à un âge relativement avancé, alors qu ’il avait déjà joué un rôle im portant dans la vie politique et militaire de sa patrie. Malheureusement, vers la fin de sa vie, il semble avoir perdu sa première ferveur ; la vie religieuse, qu ’il avait embrassée au prix de tant de sacrifices, semble lui avoir pesé. Nous traiterons donc successivement de sa vie dans le m onde, de sa vie au couvent, avec les dignités et les succès des premières années, et enfin, du déclin sans enthousiasme et sans gloire.

I . DANS LE MONDE.

Pour dissiper tout malentendu possible, nous commençons donc par rappeler que le nom patronym ique de M o l n ’a rien à voir avec la localité de M o ll en Campine anversoise ; c ’est sim­plem ent un nom de famille, qui pourrait se traduire la Ta upe.

Nous n ’allons pas nous attarder à examiner si réellement, comme on l ’a prétendu (2), ce nom signifierait primitivement au figuré « un sournois dangereux » (nous avons un excellent ami, qui a été doté du surnom de « Mol » et qui aurait le droit de protester !). Il nous suffit de savoir que les membres de cette « famille bruxel­loise, très nombreuse et très connue, avaient beaucoup de biens aux environs de cette ville, en particulier à Bodeghem, à Capelle- Saint-Ulric et à Assche » (3). E t E. Van den Broeck, qui a écrit une E tu d e su r les Jeton s de la F a m ille de M o l (4), dit « qu ’elle a joué un rôle considérable du X IV e au X V I e siècle dans les annales de Bruxelles... Sur la liste des échevins, nous les voyons figurer pour la première fois en 1274 et après plus de trois siècles, en 1578, pour la dernière fois [notamment avec Jean de Mol, le futur capucin dont nous nous occupons pour le moment]. Ils fi­gurent aussi parmi les ammans de Bruxelles ; mais c ’est pendant les X I V e et X V e siècles que les de Mol se firent surtout remar­

(1) Collectanea Franciscana, t. I, 1931, pp. 262-263. L ’erreur a été rectifiée Ibid., p. 584, note.

(2) G. V a n H o o k e b e k e , Etudes sur l'Origine des Noms Patronymiques flamands (Bruxelles 1 8 7 6 ) , p . 3 0 1 .

(3) A. W a u t e r s d a n s la Biographie Nationale d e Bruxelles, t . XV (Bruxelles, x 899). c o l . 4 1-4 2 .

(4) Bruxelles 1888. Extrait de la Revue belge de Numismatique. Le texte cité se trouve aux pp. 5-6 du tiré à part.

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quer, car nous les trouvons cités un grand nom bre de fois, com m e bourgmestres et receveurs-trésoriers. D ix-huit fois les membres de cette famille sont appelés aux fonctions de p rem ier bourg­

m estre ; Jean de Mol occupe cinq fois ce poste élevé et R oland de Mol six fo is ... »

De notre point de vue spécial, nous pouvons noter ici, que six membres de cette famille bruxelloise ont porté les livrées fran­ciscaines chez les Capucins belges (i) .

Celui qui nous intéresse le plus pour le m om ent, Jean, était fils de Martin et d ’Anne van Olmen (2) et il naquit à Bruxelles vers 1552, puisque du temps de sa profession religieuse, en 1590, il avait 38 ans. Quand on le rencontre pour la première fois, il était déjà grand fauconnier du roi d ’Espagne, poste très en vue et de grand avenir. A une date inconnue, peut-être en 1571, il s ’était marié à Anne van W esele, fille unique du créateur de l ’anatom ie m oderne, le grand Vésale (André van W esele).

Le célèbre savant m ourut en 1564 ; mais déjà en 1561, il avait donné à sa fille l ’hôtel princier q u ’il s ’était bâti à Bruxelles, dans la Rue de l ’Enfer (actuellement Rue du Manège), près de la M ontagne de la Potence, où s’élève de nos jours le som ptueux palais de justice. Cette m agnifique demeure, qui allait devenir celle de Jean de Mol, com prenait des maisons, galeries, écuries et autres dépendances, ainsi q u ’un verger entouré de murs (3). En 1571, cette propriété fut taxée de 100 florins par le D uc d ’A lbe, ce qui suppose une valeur de 10.000 florins, som m e

(1) Outre leP. Paul, i ly a un P. Silvestre, quisera cité plusloin; puis Bertin de Mol-Voets, mort en 1686 ; Patrice de Mol-du Ladron, 1726 ; Brunon de Mol- Koppens, 1734 ; et enfin Thomas d’Aquin de Moi-Sauvage, 1784. Notons encore qu'une thèse imprimée de Louvain, sous le nom d'un autre Jean de Mol (1608), sert de couverture au document ACB. III, 5017.

(2) A. W a u t e r s , Quelques mots sur André Vésale, ses Ascendants, sa Famille et sa demeure à Bruxelles nommée la Maison de Vésale (Bruxelles 1897), p. 43. — Le nom de la mère figure chez A. V a n H a m m e , Histoire généalogique de la Maison de Mol (MS. nonchifiré de la Bibl. Roy. de Bruxelles, Fonds Goethals, n° 1382). Cet auteur connaît un frère et trois sœurs de Jean de Mol : Marie, mariée à Jean de Steenweghen ; Barbe, épouse de J osse van der Eycken ; Antoinette, alliée à Corneille van der Noot et enfin Pierre, marié à Liévine Borluut. Mais il est probable que toutes ces données se rapportent plutôt à l ’homonyme de notre héros, puisque l'auteur affirme également que Jean a été a amman » de Bruxelles — ce qui certes se rapporte à une autre personnalité. — De même nous savons (on le lira plus loin), que l ’une des sœurs de notre de Mol était mariée à un nommé Spinosa, qui n’est pas mentionné ici — nouvel indice de la confusion commise par A. van Hamme.

(3) A . H e n n e - A . W a u t e r s , Histoire de la Ville de Bruxelles, t. III (Bru­xelles 1845), p. 396.

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énorme pour l ’époque. Elle était habitée alors par un certain Vitelli, ingénieur au service de Philippe II (i) . On peut supposer que la propriétaire Anne van Wesele n ’était pas encore mariée à cette époque et demeurait chez sa mère ; autrement on ne com ­prendrait pas pourquoi elle ne s 'y serait pas fixée avec son mari. Le mariage aura eu lieu peu après ; on voit, en tout cas, que le 4 juin 1577, peut-être à son lit de m ort, elle lègue la propriété à son mari, Jean de Mol (2). De bonne heure, celui-ci restait donc veuf, avec cinq enfants en bas âge.

En 1578, le 21 mai, de Mol se fit admettre dans le lignage des t ’Ser-Roelofs (3) ; la même année il fut élu échevin de la ville de Bruxelles. Mais on ne doit pas le confondre avec son hom o­nym e, un second Jean de Mol, qui en cette année 1578 devint « amman » ou officier du prince à Bruxelles (4). A l ’usage des lecteurs français, disons que ce titre désignait le magistrat, chargé de terminer les procès civils au nom du puissant duc de Brabant.

Dans les luttes politico-religieuses de l ’époque, le futur capucin se rangea ouvertem ent du côté de Don Juan d ’Autriche, gouver­neur-général des Pays-Bas au nom de Philippe II ; et quand Farnèse com m ença à reconquérir les villes occupées par les protestants, notre bruxellois était capitaine dans son armée. C’est en cette qualité q u ’il participa au siège de Maestricht. La ville ne se rendit que le 29 juin 1579 et la soldatesque de l ’ar­mée catholique, exaspérée par l’obstination des défenseurs, s’y livra aux pires excès...

Plus tard, quand le capucin se trouvera en chaire, il lui arri­vera d ’évoquer les exploits militaires auxquels il a assisté. C’est ainsi que Balthazar Bellère, l ’éditeur de la M éthode de

servir D ie u , dans sa dédicace au religieux, écrit : « Nous avons entendu semblables exemples en vos prédications, advenues de vostre temps, que en quelque assemblée du Conseil de guerre au siège de Mastrecht, le jugem ent d ’un soldat qui, de long temps avoit pratiqué les armes, fust préféré (à juste raison et au grand advantage de Testât publicq) à l ’advis d ’un certain Gentilhomme

(1) A. W a u t e r s , Op. cit., p . 45.(2) Ibid. Wauters suppose J. de Mol déjà marié avant la taxation de 157* *

mais le gouvernement aurait mis la main sur la propriété, soit que Jean se fût rangé parmi les mécontents, soit par un coup d'autorité ou de bon plaisir.

(3) M . D . V a n d e r M e u l e n , Liste des Personnes et des Familles admises aux Lignages de Bruxelles (Anvers 1869), p. 62.

(4) Ibid., p. 43.

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italien, fort renom m é et signalé m athématicien, lequel excel- loit autant en la spéculative, qu ’il avoit défaut de la pratique ... 1.

Quand les Espagnols eurent reconquis sur les protestants les villes de Diest et de Sichem, Jean de Mol y fut nom m é « dros- sard » et lieutenant des fiefs, le 20 septembre 1579. Diest fut repris par les protestants en 1582 ; mais peu de temps après, Fam èse le reconquit, après un siège de courte durée. Jean y rentra avec les mêmes attributions q u ’auparavant, le 7 janvier 1584, et les conserva jusqu ’à son entrée chez les Capucins (1).

En 1585, la ville de Neuss (Allemagne) fut surprise par les protestants hollandais. A la demande de l ’Ë vêque de Liège, de Mol, alors « capitaine de cent lances », y fut envoyé par le D uc de Parme, avec des troupes de cavalerie. Dans ses tournées d 'ins­pection, il arriva un jour à l ’abbaye de Val-de-Grâce (Gnadenthal) près de ladite ville. Il la trouva entièrement abandonnée. Les religieuses avaient em porté tout leur bien ; seulement une grande quantité de reliques des Onze mille Vierges et d ’autres Saints étaient restées à l ’église profanée, à la merci des Réform és. De Mol, très p ieux, résolut de sauver ces trésors. Il jugea d ’ailleurs que le m onastère pourrait lui rendre service, au point de vue stratégique. A vec la permission de l ’Archevêque de Cologne, l ’abbaye fut donc changée en forteresse. Ainsi les bâtim ents purent être sauvés, aussi bien que les reliques.

Jamais les religieuses ne firent le moindre effort pour rentrer en possession de leurs trésors spirituels. A la fin de la cam pagne, de Mol crut donc pouvoir em porter une grande quantité de ces reliques, pour les faire vénérer ailleurs. Il put ainsi faire plaisir à de nombreuses personnes, ecclésiastiques et autres (2) ; et il est probable q u ’une grande partie des reliques, em ployées vers ce temps par les Capucins pour les autels de leurs nouvelles églises, étaient dues à ses largesses.

Cet épisode m ontre les préoccupations religieuses de notre de Mol. Si les honneurs terrestres et les situations brillantes ne lui manquaient pas, ses aspirations allaient plus haut. Ce doit être vers cette époque q u ’il connut la M éthod e de servir D ie u qui allait donner à sa vie une autre orientation.

Une nouvelle édition française de cet im portant traité parut vers la fin de 1587 ou le com m encem ent de 1588 (3). L ’auteur y

(1) A. W a u t e r s , op. cit., pp. 43-44, 65.(2) Tout cela d'après un document original de 1608 (ACB. I. 7585). Nous en

donnons le texte en appendice.(3) Revue d Hist. Ecclés., t. X XV, 1929, pp. 271-262.

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« veut mener le chrétien à la sainteté parfaite. Il en donne, dès le début, cette formule lapidaire : « Être avec Dieu d ’un seul esprit et d ’une même volonté ». Aussi, des deux manières de servir Dieu que propose l ’Évangile, ne retient-il que la plus par­faite : celle que Dieu n ’impose pas, mais laisse à la générosité de celui qui veut répondre à cet appel du Christ : « V en i, sequere me », « V en ez, suivez-m oi ». Suivre le Christ, c ’est faire ce que Lui- même a fait et com m e il l ’a fait, c ’est-à-dire de la manière sublime, en fixant à tous les actes la fin la plus excellente, Dieu lui- même. » (i)

Cet appel fut entendu, non seulement dans les couvents, mais même au milieu du tumulte du siècle. De Mol avait suffisam­ment goûté du m onde, pour comprendre que le bonheur terrestre n ’est qu ’éphémère ; il avait compris que la fortune et les hon­neurs laissent dans l ’âme un vide immense. E t répondant géné­reusement à l ’appel de la grâce, il allait embrasser l ’ascétisme austère d ’A lonso de Madrid et y chercher son salut.

La dédicace de l’opuscule, tel que Jean de Mol l ’a connu, apprenait aux lecteurs l ’influence qu ’il avait eue sur le célèbre Ange de Joyeuse, qui avait quitté le monde et les honneurs pour endosser la pauvre bure franciscaine. Si l ’on peut légiti­mement supposer que le traité eut une large part dans l ’œuvre de cette « conversion », on peut affirmer la même chose de Jean de Mol. Et l ’éditeur Bellère pourra lui dire en 1598 : « Vous avez reçu miraculeusement la grâce ; ainsi par la lecture et con­sidération de ce sainct livre (qui vous a esté mis en main par voz Pères) vous avez acquis la grâce subséquente, et oublié !e m onde et ses pompes, renoncé à tous estats, honneurs, et digni- tez, que la pluspart de nous vous avons veu soustenir par deçà en tresgrande fameuse réputation... Vous avez vrayement, vénérable Père, apprins une bonne leçon de ce sainct livret ... Vous vous estes séquestré du monde, laissant toutes les gran­deurs mondaines, que vous aviez à souhait... »

Jean de Mol se sentait donc appelé à la vie religieuse. A vrai dire, un membre de sa famille, peut-être son propre frère, Octave de Mol, avait déjà auparavant pris le même parti ; il était fran­ciscain de l’Observance. Mais cette manière de vivre ne semblait pas assez austère au zèle du nouveau converti ; il voulait se faire capucin.

(1) Ibid., p. 262.

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Les premiers religieux de cet Ordre venaient d ’arriver à Bru­xelles, en décembre 1587 ; ils avaient un idéal de pauvreté absolue et cela devait plaire au fervent néophyte. En 1589, il allait entrer chez eux ; et le sacrifice qu ’ il allait faire de la sorte, serait vraim ent héroïque.

Mais c ’est bien à tort, que W a u t e r s (i ), trom pé par G o e t - h a l s (2), écrit que les nouveaux religieux se sont établis d ’abord dans la propre maison de J. de Mol, l ’ancienne demeure de Vésa- le ; ils purent en dater leurs lettres, écrit-il : « ex aedibus Vesa- lianis, de l ’habitation de Vésale ». Les liens qui existaient entre leur congrégation et Jean de Mol, perm ettent peut-être de « sup­poser » tout cela. Mais ces « suppositions » sont controuvées. Aucune lettre de capucin n ’est datée de la maison de Vésale, pour le m otif bien simple, qu ’ils n ’y ont jam ais dem euré... Goethals, com m e W auters le soupçonne d ’ ailleurs vaguem ent, a confondu les Capucins avec les Minimes, qui, une trentaine d ’années plus tard, acquirent en effet la somptueuse demeure du grand savant.

A vant de pouvoir suivre sa vocation religieuse, il restait bien des choses à régler à l ’ardent de Mol. Il avait d ’abord à sauvegar­der l ’avenir de ses cinq enfants : Henri, Gaspar, Anne, Adrienen et Élisabeth ; tous étaient encore mineurs et ne pouvaient avoir en 1589 que de douze à dix-sept ans (3). Il allait les confier à sa belle-mère et à son second époux, deux personnes qui offraient toutes les garanties voulues. Au point de vue de ses possessions matérielles, il trouva expédient de se dessaisir de la m agnifique demeure, q u ’il avait héritée de sa fem m e ; le 3 avril 1587, la ville l ’acheta, pour la donner au Com te de Mansfeld. Dans un autre acte, daté du 2 août 1588, nous voyons intervenir Jean de Mol, au nom de sa belle-mère, Anne van Ham m e, du consentement de son second mari, en qualité de tuteur des enfants (4).

Toutes ces choses étant réglées, Jean de Mol se trouvait libre

(1) Op. cit., p . 46.

(2) Lectures relatives à VHistoire des sciences... en Belgique, t. II (Bruxelles i 837). P- 129-

(3) On ne connaît pas les dates de naissance. On sait que plus tard Adrienne épousa Hugues de Croeser, chevalier, capitaine de cuirassiers et drossard de Diest ; et Isabelle ou Élisabeth s'allia à un seigneur de Bausele ; de ce dernier manage naquit un fils, Hugues-Nicolas, mort en 1 6 5 3 ( D e H e r c k e n r o d e ,

Nobiliaire des Pays-Bas, t. I, p . 6 4 ). Par le Ms. déjà cité d’ANT. v a n H a m m e ,

on sait que Henn de Mol se fit frère mineur, alors que sa sœur Anne devint re­ligieuse à Auderghem (Val-Duchesse). Gaspar mourut en bas âge.

(4) W a u t e r s , Op. cit., p p . 4 5 -4 7 j 5 4 . 5 6.

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de toute entrave ; rien ne l ’empêchait de suivre la voie nouvelle, qui le tentait depuis longtemps.

2 . CAPUCIN.

Puisque le couvent des Capucins était tout proche de la pro­priété de J. de Mol, il est naturel de supposer que de bonne heure des relations pieuses se sont établies entre eux. Devenu religieux lui-même, Jean racontera, en 1612, que peu de temps avant son entrée, il visita un jour le couvent, conduit par le P. Félix de La­pedona, supérieur. C’était vers le temps du souper. Arrivé au réfectoire, le postulant y trouva les serviettes mises aux places respectives ; les examinant de plus près, il trouva pour chaque religieux un morceau de viande froide ; mais arrivé à la dernière serviette, il n ’y trouva qu ’un os, où il n ’y avait rien à manger. E t quand il en exprima son étonnement au gardien, il lui fut répondu, que c ’était la place de fr. Augustin d ’A th , jardinier du couvent ; le saint Frère avait distribué sa portion aux autres, sans rien se réserver. Jean de Mol en fut profondém ent édifié (1)...

Le 5 août 1589, il revêtit lui-même la bure de l ’Ordre, sous le nom de fr. Paul de Bruxelles. En prenant com m e patron le grand apôtre des nations, il voulait rappeler sans doute le fait de sa « conversion » à un âge mur, alors qu ’il avait déjà « perdu » de longues années aux affaires de ce monde.

Le nouveau religieux semble avoir fait son noviciat à Anvers, sous la direction du P. H ippolyte de Bergame (2) ; mais com m e il était si connu à Bruxelles, pour l ’édification des gens, on le fit venir au couvent de la capitale, pour y faire profession le 5 août de l ’année suivante, aux mains du même P. H ippolyte.

Il est clair que la prise d ’habit d ’un personnage aussi considéré

(1) Annuarium Provinciae Belgicae FF. MM. CC., fasc. V (Brugis 1884), p. 28.

(2) Il est sûr qu’il a fait profession à Bruxelles, puisque nous avons toujours la copie de l'acte officiel (ACB. I. 8747, p. 4) ; et a priori, on croirait donc que le noviciat a été fait au même couvent. Mais la raison qui milite en faveur d Anvers est la suivante. En 1612, le P. Paul déclare explicitement qu il a vécu avec fr. Séraphin d'Anvers, presque pendant toute la durée de la vie religieuse de ce clerc, mort en odeur de sainteté (Annuarium, fasc. II, Bruxellis [1871], pp. 117- 218). Or Séraphin fit son noviciat à Anvers, y fut profès le 23 mai 1590 et y mourut le 25 septembre suivant. — Qu'on ait voulu «édifier» la population de Bruxelles par le spectacle de la profession du fr. Paul, peut se déduire de la for­mule de profession. Le P. Hippolyte y dit, que le novice a émis ses vœux «coram fratribus infrascriptis et aliis et coram populo. » C est une expresion qu on ne trouve pas dans les actes analogues de l’époque.

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que Jean de Mol, fit une profonde impression sur la population bruxelloise ; aux yeux du m onde, son acte devait paraître in­com préhensible, d ’autant plus que tant de liens du sang auraient dû le retenir...

Ce sera sans doute aussi à cause de cet illustre exemple, que l ’Observant Octave de Mol, dont nous ne pouvons déterminer le degré de parenté avec Jean, quitta son couvent, pour se faire également capucin. Il fit profession le 30 décem bre 1590 et prit com m e patron S. Silvestre, dont la fête se célébrait le lendemain.

Même Alexandre Farnèse, gouverneur des Provinces Belges, sem ble avoir été profondém ent impressionné. Le P. Paul a tém oigné un jour (1), que l ’am our du Prince pour les Capucins ne fit que s ’accroître, lors de la conversion et de l ’entrée en reli­gion d ’un « certain noble très honorable », qui, dans ces provinces, s 'était distingué de longues années sous les drapeaux du roi catholique Philippe II. On ne voit pas, qui pourrait être désigné ici, si ce n ’est le P. Paul lui-même. Quand Alexandre apprit son entrée en religion, il tint longtem ps à conserver sur lui, en guise de souvenir ou de relique, le cordon de son casque. E t le converti osa même lui prédire, que lui aussi suivrait un jour son exem ple — si telle était la volonté de Dieu, ajoutait-il pru­dem m ent (2).

Après son année de noviciat, Paul de Bruxelles avait à se livrer aux études. Il était m ieux habitué à manier l ’épée que la plume. On peut supposer toutefois qu 'il avait eu déjà auparavant une sérieuse form ation scientifique, ce qui perm ettait d ’abréger le cours de ses études. Nous ne savons rien quant aux lecteurs qui l ’ont form é, ni quant au couvent où il résida de ce temps. Mais com m e nous savons qu ’à une époque indéterminée il a de­meuré à Gand, en même tem ps que le fr. Augustin d ’A th ( f 1596 à Mons) (3), on pourrait peut-être dater ce séjour de l ’année 1591 et alors son lecteur y aurait été le gardien Antoine de Gand. L ’ année suivante, il était de famille à Douai et y signait (le 7 février) en qualité de tém oin, lors de la profession de fr. Esprit d ’A ye près de Marche (4).

C’est du couvent de Douai qu ’il se rendit à Tournai, pour y

(1) Annuarium, fase. II, pp. 63-64. Le texte imprime ici, par distraction, Ferdinand, au lieu d ’Alexandre.

(2) Une tradition chez les Capucins rapporte, en effet, que Farnèse était sur le point de se retirer chez eux, quand il mourut à Arras en 1592.

(3) Annuarium, fase. V, p. 28.(4) ACB. III, 9013, p. 44.

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recevoir la prêtrise aux Quatre-Temps de septembre 1592 (1).Le nouvel ordonné avait à peine terminé le cours de ses études,

quand il fut nom m é gardien de Louvain en 1593 (2). Il resta peut-être en fonctions jusquen 1596. A la fin de cette année en tout cas, la maison se trouvait sous la direction du P. Silvestre de Bruxelles.

Mais Paul avait si bien rempli son office, que le chapitre pro­vincial de janvier 1597 le choisit com me troisième définiteur ; il ne resta toutefois en fonctions que jusqu ’au mois d ’août de l’année suivante.

Vers la même année, on lui avait donné la fonction de gardien à Béthume. C’est au moins le titre que les éditions de la M é ­

thode lui donnent, depuis 1598 jusqu ’en 1606. Il ne faut pas supposer toutefois q u ’il ait rempli cette charge huit années de suite ; ce serait contre les usages de l ’Ordre, surtout à cette époque. Il est déjà assez étonnant, et contre les usages reçus, que tout en restant gardien il vienne prêcher l ’Avent et le Carême, dans une ville située à 40 km. de son couvent. De ce temps, le ministère sacré s’exerçait surtout dans la localité même où l ’on résidait; et on voit difficilement com ment un gardien ait pu s'absenter tant de semaines de son couvent.

A Douai en tout cas (3) Paul connut des succès oratoires inouïs ; et c ’est pendant l ’aveiit de 1597 et le carême de l’année sui­vante (4) com m e on l ’a déjà dit, qu ’il y prit comme thème de sa prédication L a M éthode de servir D ie u d ’Alonso de Madrid. Le succès fut énorme ; des auditeurs distingués se pressaient en foule autour de sa chaire. Et com me il citait sa source, chacun voulut posséder le traité d ’Alonso. C’est pour répondre à leur

(x) Son obédience, signée à Douai le 31 août par le P. Hippolyte de Bergame, repose toujours au fonds de l ’évêché de Tournai, liasse 1827 (Archives de l ’Ëtat à Mons). Elle vaut aussi pour le fr. Victor d’Aire.

(2) Avant le mois d’octobre, car le 21 de ce mois il y reçoit déjà une profes­sion, en qualité de gardien. ACB. I. 8747, p. 16 ; Neerl. Franc., t. III, 1920, p. 244, n. 3). C’est donc à tort que son gardiennat n’est daté que de 1594 dans ACB. III. 7031, f. 24r.

(3) Il y prêcha déjà l ’Avent en 1597, comme il appert de la dédicace de la Méthode de servir Dieu.

(4) M. P. G uiu-aule (Revue d'Hist. Ecclés., t. XXV, 1929, p. 271) dit à tort que ces prédications se placent en 1596-1597 ; en 1596 le Père était encore à Louvain. E t la dédicace de l ’éditeur dit clairement, à la fin, qu’à ce moment le ? i i e est en train de prêcher son carême : 0 Les sainctes instructions qu 'avons re- ceu de vostre Révérence, tant au temps des Ad vents passé, qu’en ce S. temps de Caresme. * Et ce texte est daté du 6 février 1598, soit le vendredi après le mercredi des Cendres.

1887

PAU L DE MOL 102

désir, que Bellère se mit à le rééditer, com m e il en avait déjà eu l’idée auparavant.

Le volum e n ’a donc pas été publié proprem ent par le P. Paul, mais il lui est dédié ; c ’est le cas pour les éditions de 1598, 1599, 1600 et 1606 (1).

Mais quoiqu ’il n ’en soit pas l’éditeur, il est clair que le P. Paul a eu le grand mérite d ’avoir appelé l ’attention du public sur ce solide traité et de contribuer largement à sa diffusion.

** *

Force nous est d ’interrom pre ici notre biographie du P. Paul, pour dire un m ot de son com patriote et parent, le P. Silvestre de Bruxelles.

Après sa profession (30 décembre 1590), nous ne le rencontrons plus ju squ ’au 7 décem bre 1592 ; alors il se m ontre à Anvers, en qualité de tém oin, lors d ’une profession religieuse (2). L ’année suivante, il se rend à Bruges, nom m é premier supérieur et archi­tecte de la nouvelle résidence, qu ’on vient d ’y obtenir. E n 1594 on lui donne le titre de gardien et il reste en fonctions jusqu ’au chapitre du 18 août 1595 (3). A cette date, il est choisi quatrième définiteur et le reste jusqu ’en 1597.

Entretem ps il est encore gardien à Louvain, en 1596-1597 (4). Ce couvent est alors très pauvre et quelquefois les religieux doi­vent y attendre tout un mois, sans m anger de viande. La soupe est donc très maigre. Mais le nouveau gardien perm et au frère cuisinier d ’y em ployer un peu de beurre (1596). Jusque là on s ’était contenté de plonger un bout de chandelle dans le maigre potage, pour donner l ’illusion de graisse (5).

Le chapitre d ’août 1598 choisit de nouveau Silvestre com m e définiteur et en outre com m e custode romain. Le chapitre gé­néral a lieu en effet à la Pentecôte de 1599. Le Père s ’y rend, mais pour ne plus revenir dans la province. Depuis un tem ps déjà, le brave hom m e trouve la vie capucine trop dure pour sa com - plexion ; par scrupule donc, il profite de son séjour à R om e,

(1) La dernière édition est inconnue de Guillaume, loc. cit., p. 272.(2) A C B . I. 9747, p. 8.(3) A C B . I, 4334, n° 5, p. 11 ; I. 7497, pp. 31, 55 ; III. 7031, f. 9V ; Annua­

rium, fasc. IV, p. 53.(4) Il y reçoit déjà une profession le 16 décembre. L'année n'est pas indiquée,

mais les actes qui précèdent, aussi bien que ceux qui suivent, sont de 1596. A C B . I. 8747, p. 27.

(5) A C B . III. 7031, f. 23r. ; Neerl. Franc., t. III, 1920, pp. 244-245.

1888

pour obtenir son retour à l’Observance, qu ’il regrette d ’avoir jamais quittée.

Le registre du procureur général de l ’époque (i) appelle le Père un excellent homme, très fervent (vir bonus atque studiosus) ; il n ’a qu ’un seul défaut : par faiblesse ou plutôt par pusillanimité, il trouve la vie des Capucins «m olesta et intollerabilis». Le Procureur appuie ses démarches pour rentrer chez les Ob­servants ; le 30 décembre 1599 la demande est encore réitérée, puisque le brave Père se trouble de plus en plus. Il obtient enfin la faveur si ardemment désirée et plein de joie, il va retrouver ses anciens confrères. C’est chez eux qu ’il meurt à Maestricht, le 19 mai 1627 (2).

** *

Revenons au P. Paul.L ’annaliste Bonaventure de Luxem bourg nous apprend laco­

niquement (3) qu ’au chapitre provincial de 1603 « le P. Paul de Brusselles brouilla beaucoup par rapport au commissariat ». Il y a là une allusion manifeste à la charge du Serviteur de Dieu H onoré de Paris, nommé commissaire des Capucins de Belgique, privés provisoirement du droit de se choisir librement un pro­vincial. Ce n ’est pas ici l ’endroit d ’exposer les circonstances qui ont amené cette mesure. Elles sont peu claires d ’ailleurs. De même le rôle joué par le P. Paul ne peut se définir d ’une façon bien adéquate.

Vers ce temps, il semble avoir résidé surtout dans les couvents wallons, qui nous sont moins connus que ceux de la partie fla­mande du pays.

En 1608, le 16 juillet, il se trouve dans la ville de Huy, au châ­teau du Prince-Evêque de Liège, en compagnie du fr. Benoît de Turnhout, et y obtient l ’approbation d ’une série de reliques, trouvées jadis en Allemagne (4), com me nous l ’avons dit plus haut. A la fin de cette année et encore en 1609, il demeure à

(1) Rome, archives générales des Capucins, MS. Registrum Rescriptorum memorialibus huc transmissis, factorum tempore Procuratoratus Admodum Rdi Patris F . Anselmi Monopolitani, p. i et 13.

(2) ACB. III. 3011, p. 96. — Le R. P. Beda Verbeek, O. F. M., nous commu­nique aimablement que le nécrologe du couvent de Maestricht mentionne sim­plement à la date du 19 mai : « Obiit 1627 V. P. fr. Silvester Mol, Sacerd. Praed. et Conf.

(3) Luxembourg, Bibliothèque de la Section Hist. de 1 Institut G. D., Ms. 39. f. 9V-

(4) ACB. I. 7585.

I °3 PAUL DE MOL

1889

PAUL DE MOL 104

Bruxelles, com m e simple Père, et y assiste fréquem ment aux professions des jeunes religieux, en qualité de tém oin (1). Le chapitre du 27 août 1610 le m et à la tête du couvent de Bruges (2); mais celui de l ’année suivante (12 août 1611) le dépose déjà, en même temps que toute une série d ’autres supérieurs. D ’après le témoignage de Bonaventure de Luxem bourg, à ce chapitre de Liège, le P. Paul excite « une orage admirable (3). » Il est placé alors de com m unauté à Anvers, où on le retrouve com m e témoin d ’une profession (31 mai 1612) (4) et où il signe une dépo­sition im portante sur les vertus du fr. Séraphin d ’Anvers (17 août 1612) (5).

3. L E D É C L IN .

Pour autant que nous le savons, c ’était donc à deux reprises différentes que le P. Paul troubla le chapitre provincial et y provoqua des incidents : à Lille en 1603 et à Liège en 1611. De fait, en avançant en âge, il semble ne pas avoir réussi à s’ac­com m oder aux circonstances toujours changeantes de l ’évolu­tion de la province. Les choses ne marchaient pas à son goût et bientôt même toute la vie régulière com m ençait à lui peser.

En quittant le m onde, il avait sans doute fait des sacrifices énormes et peut-être avait-il présumé de ses forces morales. La ferveur prim itive avait fait place à une tiédeur manifeste. Peut- être aussi avait-il de la peine à se courber sous le joug, après avoir été supérieur pendant de si longues années. La vie religieuse lui devint un fardeau insupportable, dont il chercha b ientôt à se débarrasser.

De nos jours, dans les cas analogues, R om e accorde facilem ent toutes les dispenses voulues. Mais au X V I I e s., la chose était beaucoup plus difficile. On tenait strictem ent à la profession, lien définitif, indissoluble pour toute la vie ; un retour dans le siècle ne semblait guère possible. Il n ’y avait q u ’une seule chance sérieuse de recouvrer sa liberté : c ’était de prouver que la pro­fession religieuse était invalide au point de vue juridique. C’est le remède que le P. Paul allait tâcher d ’appliquer à ses regrets tardifs.

(1) A C B . 8747, pp. 66-72. 75-76.(2) ACB. I. 4334, n° 5. p. 11 ; I. 7497, p. 31 ; III. 7031, f. ior. ; Annuarium .

fasc. IV, p. 55.(3) Ms. cité, f. i2v.(4) A C B . I. 8747, p. u g .(5) Annuarium, fasc. II, pp. 117.118.

1890

105 PAUL DE MOL

En 1587, Sixte V avait édicté des règles sévères quant à la réception de candidats aux ordres religieux, qui n ’étaient pas nés d ’un mariage légitime (1) ; et l ’année suivante, tout en ex­pliquant m ieux la portée du décret, il appuyait fort sur diffé­rentes autres conditions requises chez les novices ; même la pro­fession de ceux qu ’on aurait indûment admis depuis le premier décret, sans examen suffisant, était déclarée de plein droit entiè­rement invalide (2).

Des religieux zélés, qu ’on avait de bonne foi reçus dans l ’Ordre sans examen suffisant, alors qu ’au fond il y avait des obstacles canoniques à leur admission, eurent soin de refaire sans re­tard leur profession religieuse ; on en connaît quatre chez les Capucins flamands, qui renouvelèrent ainsi leurs vœ ux en 1591- 1:592 (3). En 1602 les stipulations de Sixte V furent abolies, parce q u ’elles prêtaient à toutes sortes de discussions et d ’incertitu­des (4). Toutefois, en 1609 on crut encore devoir revalider la profession de certains autres religieux, reçus jadis par Hippolyte de Bergame, sans examen suffisant (5).

Mais c ’était vraiment dépasser les bornes du vraisemblable, quand Paul de Bruxelles, après 25 ans de profession, voulut prouver, par ces mêmes bulles de Sixte V , abolies d ’ailleurs de­puis longtemps, que ses vœ ux étaient invalides. A vec un certain P. Barthélém y d ’Enghien, ancien supérieur comme lui, il pré­tendait avoir été reçu sans examen suffisant ; d ’autant plus que dans le monde il avait été à plusieurs reprises cité devant les tribunaux ; et que lors de son entrée, il était criblé de dettes, qu ’il n ’était pas en état de payer (6).

On peut supposer, que Paul fait ici allusion à des peines mi­litaires, qui lui auront été infligées dans sa carrière des armes. Mais par ce qu ’on sait d ’ailleurs, on est tenté de croire qu ’il exa­gère à plaisir ses dettes d ’antan, sans dire un m ot des riches propriétés, qui en même temps lui appartenaient sans le moin­dre doute.

Son collègue Barthélém y n ’avait pas attendu la réponse de R om e, quoique la chose dût être soumise à la S. Congrégation.

(1) ACB. I. 3874 ; Bull. Capuc., t. VI, pp. 3° 8-3H-(2) Bull. Capuc., t. VI, pp.(3) ACB. III. 1006, pp. 9-11 ; III. 9013. PP- 42"45-(4) Bull. Cap., VI. t. p. 335.(5) ACB. I. 4147. — Les mêmes archives conservent encore (I. 3880) une

consultation à ce sujet, des professeurs Goudelin et Zoes, de 1 Université de Louvain.

(6) Rome, Archives génér. des Capucins, Belgica, I, farde « privata •.

1891

PAUL DE MOL 106

Le 14 septem bre 1613, il s ’était enfui du couvent de Bruges, pour rentrer dans sa famille à Enghien (1).

En 1615, R om e répondit au vicariat d ’Anvers (2), que les réclamations des deux religieux n ’étaient nullement fondées. E t quant au P. Barthélém y en particulier, il ne pouvait être entendu qu ’après avoir repris l ’habit de son Ordre.

Cette réponse ne suppose que l ’apostasie du seul P. Barthé­lém y. Nous savons toutefois de par ailleurs, qu ’entretemps le P. Paul avait suivi son funeste exemple. En 1615, le provincial Cyprien Crousers d ’Anvers, exposa à l'archevêque de Malines (3), que le P. Paul de Bruxelles, prétendant sa profession nulle et invalide, sans attendre la réponse de Rom e, avait quitté le couvent et s’était soustrait à l ’obéissance de ses supérieurs légitimes. Bien plus, au grand scandale des catholiques, il s'était réfugié en terre protestante, errant de ville en ville, et ne se gênant pas de calomnier son ordre et ses supérieurs. Mues par zèle reli­gieux, certaines personnes avaient pu le ramener en terre catho­lique ; mais il s ’obstinait à rester en dehors du couvent, notam ­ment à Bruxelles, chez son beau-frère Spinosa. Il circulait libre­ment en ville et aux environs et au grand scandale de tous, il continuait à calom nier l ’Ordre des Capucins et ses supérieurs, qu ’il ne voulait plus reconnaître. Comme on l ’avait ramené contre son gré, il était fort à craindre, écrivait Cyprien, q u ’ il tâcherait de gagner de n ou v .a u l ’une ou l ’autre ville hérétique. Il im portait donc de s’assurer de sa personne, soit en l ’enfermant dans la prison archiépiscopale, soit en aidant à le rem ettre à ses supérieurs légitimes. Le provincial terminait sa lettre, en im plo­rant l ’aide de l ’archevêque à cette fin.

On ignore com m ent la chose fut réglée. Il est sûr au moins que peu de temps après le P. Paul finit par rentrer au couvent, de gré ou de force.

En 1616, eut lieu à Anvers le m ém orable chapitre, qui divisa l’ancienne province belge en deux districts autonomes. Le Véné­rable Père H onoré de Paris y présida. Le cas du P. Paul lui fut soumis. Et un ancien manuscrit (4) nous raconte également, que « le nonce apostolique, ayant écouté toutes ses raisons et vu toutes les preuves, déclara par sentence, un mois ou deux avant

(1) A C B . 7031, {. lo v .

(2) Même document romain que dans l'avant-dernière note.(3) Malines, Archives Archiépisc., Archives Francisc., III, C.(4) Luxembourg, Bibliothèque de la Section Hist. de l'institut G. D., Ms. 39,

f. 7V.

1892

le chapitre, que la profession dudit Père étoit valide. Le P. Paul form a d ’abord un appel de la sentence du nonce, auquel il renonça ensuite le 9 et 29 d ’octobre de cette année. Mais le 18 de novembre il vint à. Anvers et là. en personne, devant le R. P. Commissaire Général [Honoré de Paris] et du diffinitoire des deux provinces [flamande et wallonne], il révoqua sa renonciation, qu ’il avoit faite, protestant qu ’il vouloit poursuivre son appel. Le R. P. Commissaire Général en écrivit aux Cardinaux de la Congrégation des Réguliers et en particulier à notre Cardinal Protecteur, leur faisant connaître à tous l ’instabilité de cet esprit. »

Paul ne parvint pas à gagner sa cause. Et nous savons qu ’il m ourut au couvent de Gand, le 11 août 1625.

P. H i l d e b r a n d .

I07 PAUL DE MOL

a n n e x e .

Emest, par la grâce de Dieu et du Saint-Siège Apostolique, Archeves- que de Coulogne, Prince Electeur du Saint Empire, Evesque de Liège... Nous tesmoignons par ces présentes, qu’en l'an de grâce 1585, lorsque notre cyté de Nus (1 ), en nostre pays et archevesché de Coulogne, fut surpriDse par les gens de guerre de Hollande, le Sr de Mol, Gouverneur des villes et pays de Dyst et Sycbem, Capitaine de cent lances pour le Roi Catholique, avecq bon nombre de cavaillerie, nous fut envoyé de se­cours par feu nostre bon cousin le Prince de Parme, Gouverneur et Capi­taine général des Pays-Bas, lequel au temps qu’il eust aussi la charge de noz trouppes, avec celles qu’il avoit de Sadite Majesté, recogneut l ’Abbaye de Genadendal, située à un quart de lieue de ladite ville de Nus ; et que, l ’ayant trouvé entièrement abandonnée, sans que les religieuses y habitantes y eussent laissé chose aucune de leurs utensiles ou autres biens, mais seulement très grande quantité de relicques des Onze mil Vierges et autres saincts, délaissées entièrement en leur église à la mercy et rage des Héréticques, ledit de Mol, meu de révérence et dévotion des- dittes relicques, et ayant trouvé l ’assiete dudit monastère propre pour y faire un fort, duquel l’on peut empescher lesdis ennemys de courir et inquiéter nostre dit pays de Coulogne, avecq nostre permission y dressa et accomplit ledit fort, préservant par ce moyen ladite église et monastère avecq les susdites relicques. Et comme en tout le temps que ledit de Mol fit sa résidence illec, ny depuis, lesdites religieuses ne firent aucun devoir pour leurs dittes reliques, iceluy à son retour vers son gouvernement, emporta quelque nombre d ’icelles, avec intention de les emplier en lieux où elles seroient plus estimées et honorées, qu’elles n ’avoient esté du passé.

(1) La ville de Neuss fut reprise par Farnèse le 27 juillet 1586.

1893

PAU L DE MOL 108

Maintenant ledit de Mol, présentement religieux et prédicateur en l ’Ordre des Pères Cappucins, nous a remonstré qu’il luy seroit encor demeuré quelque peu des relicques susdites, après que la plus grande partie d'icelles sont [sic] esté reparties avant son entrée en la religion ; lesquelles, estant demeurées de reste, afin qu'elles puissent estreplus estimées et honorées aux lieux où il trouvera bon de les colloquer, nous at supplié très humble­ment, de vouloir luy accorder les présentes lettres de consentement. Et nous (considéré son bon zèle et le service par luy fait autrefois à nostre église de Coulogne et que ledit monastère avec toutes les reliques, qui estoient en grand nombre, furent préservées par luy), accordons que les- dittes relicques qu'il at encor, puissent demeurer à la disposition de luy et des autres Pères dudit Ordre, pour les pouvoir emplier selon qu'ils trouveront expédient, à la plus grande gloire de Dieu et salut des âmes.

De mesme, comme ledit de Mol, présentement appelé P. Paul, Cappucin, nous at certifié avec f. Benoit de Toumault (i), son compagnon, que, de­puis peu de jours ença, la Dame et Abbesse du monastère de Boursette (2), situé proche de la ville d ’Aix, luy auroit fait présent (avec le consentement de toutes les religieuses de ladite Abbaye) de certaine relicque de Monsieur Saint Laurent, martyr, qui samble estre partie du chef d ’iceluy Sainct, Nous, comme Ordinaire de la cyté et pays susdit, advouons et consentons à ladite donation, Nous asseurant que sera à la plus gTande gloire dudit Sainct.

Donné en nostre Chasteau de Huy, ce 16 julet 1608.E r n e st .

(Original avec sceau, dans A C B .I . 7585) .

(1) Fr. Benoit de Turnhout, frère lai.(2) Burtscheid.

1894