75
Université Lumière Lyon 2 Institut d’Etudes Politiques de Lyon LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIRE INTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA Etude de cas à l’aide du G.I.P Esther Mémoire de fin d’études présenté par Julie Badin Section Politique et Administration Filière Politique et société Date de soutenance : 3 septembre 2007 Directrice de recherche : Mademoiselle Gwenola LE NAOUR, Maître de conférence en science politique à l’IEP de Lyon Jury : Monsieur Filali OSMAN, Maître de conférence en droit à l’IEP de Lyon

Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

  • Upload
    others

  • View
    0

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Université Lumière Lyon 2Institut d’Etudes Politiques de Lyon

LA COOPERATION DECENTRALISEECOMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDESANITAIRE INTERNATIONALE DANS LALUTTE CONTRE LE SIDAEtude de cas à l’aide du G.I.P Esther

Mémoire de fin d’étudesprésenté par Julie Badin

Section Politique et Administration Filière Politique et sociétéDate de soutenance : 3 septembre 2007

Directrice de recherche : Mademoiselle Gwenola LE NAOUR,Maître de conférence en science politique à l’IEP de Lyon

Jury : Monsieur Filali OSMAN, Maître de conférence en droit à l’IEP de Lyon

Page 2: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide
Page 3: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Table des matièresRemerciements . . 4Introduction . . 5Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation . . 12

Chapitre 1 : une coopération internationale indispensable amenée a se réinventer . . 121/ Retour sur l’origine de l’aide internationale . . 132/ L’Aide au développement française à la recherche d’une « troisième voie » . . 17

Chapitre 2 : La coopération décentralisée comme processus de transition et detransmission . . 19

1/ La coopération hospitalière, fer de lance de la coopération décentralisée dans ledomaine sanitaire. . . 202/ Le réseau Esther, une initiative pionnière . . 26

Conclusion de la première partie . . 30Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local . . 32

Chapitre 1 : Esther, une coopération sur le mode du réseau : etude de cas au Maroc . . 321/ Les raisons d’un partenariat . . 342/ Rendre la coopération efficace en l’appuyant sur le terrain : la « stratégie pays ».. . 423/ Une approche « sur mesure » qui prend en compte le profil des acteursimpliqués. . . 51

Chapitre 2 : Une approche en réseau sur le mode du partenariat qui permet d'imprimer unmouvement pérenne . . 58

1/ Un cas concret : le projet PTME/pédiatrie . . 582/ Le GIP Esther comme « chef d’orchestre » du réseau de coopération. . . 613/ Bilan et perspectives . . 65

Conclusion . . 68Bibliographie . . 70

Ouvrages . . 70Revues . . 71Rapports . . 72Portails officiels marocains et français et sites spécialisés . . 72

Glossaire . . 74

Page 4: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

4 BADIN Julie_2007

RemerciementsMes remerciements vont tout d’abord à ma directrice de mémoire, Mademoiselle Gwénola LeNaour. Je tiens à lui exprimer ma reconnaissance pour sa disponibilité, son écoute et les conseilsavisés qu’elle m’a donné afin de me diriger dans mes recherches pour ce mémoire.

Un grand merci également à toutes les personnes que j’ai rencontrées au cours de mesrecherches, en France et au Maroc, notamment les bénévoles de l’association ALCS, et des autresassociations marocaines, tout particulièrement monsieur Sbay Icham pour les documents qu’il aeu l’amabilité de me fournir et le temps qu’il m’a accordé, ainsi que les chargés de projet Esther,qui m’ont dirigés dans mes recherches et m’ont également conseillée dans mes lectures et mesrencontres.

Je remercie enfin mon tuteur de stage à la mairie de Villefontaine grâce à qui j’ai pu assister auxJournées de la coopération internationale, et ma famille et mes amis pour leur soutien appréciablependant toute la durée de la rédaction du présent travail.

Page 5: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Introduction

BADIN Julie_2007 5

Introduction

« Sans l’homme, le développement n’a pas de raison et sans la santé, ledéveloppement ne saurait trouver son assise ».

Docteur Colman A. QUENUMLes premiers cas de sida ont étés décrits aux Etats-Unis en 1981. A ce moment-là,

on ne parlait pas encore de sida (syndrome d’immunodéficience acquise) pour décrire cenouveau syndrome inexpliqué: on lui a dans un premier temps donné plusieurs noms, entreautre le “gay syndrome” car il a d’abord été identifié chez les homosexuels.

En 1983, le Professeur Montagnier et les chercheurs de l’Institut Pasteur ont découvertl’agent infectieux responsable: un virus d’un type encore inconnu auparavant. En 1984, legénome de ce virus, le virus d’immunodéficience humaine (VIH) est séquencé. En 1986,grâce à ces progrès les premiers traitements sont mis au point.

Depuis l’apparition du premier cas de VIH/SIDA on recensait 25 millions de personnesmortes du virus du sida en 20061. Aujourd’hui, environ 40,5 millions de personnes sontinfectées. Le VIH/sida est la plus grande catastrophe de santé publique que le monde aitjamais connu: “Soyons clairs. Le sida est bien plus qu’une crise sanitaire: c’est la menace laplus grave qui ait jamais pesé sur le développement” affirmait l’ancien secrétaire généralede l’ONU, Kofi Annan à Nairobi, lors de la 13eme conférence internationale sur le sida.

L’impact très fort qu’à eu cette épidémie sur l’opinion publique est d’autant plusimportant, dans la mesure ou il intervient à un moment ou la médecine a su triompher depresque toutes les maladies: la pandémie de sida, cette “propagation subite et rapide d’unemaladie infectieuse par contagion à un très grand nombre de personnes d’un ou de plusieurscontinents, voire dans certains cas de la planète” a marqué la fin de cette confiance absoluedans la médecine.

Cette épidémie a joué un rôle important de révélateur des disparités: les avancéesthérapeutiques découvertes et diffusées dans les pays du Nord (on constate une diminutionde 80% des décès dus au sida en Europe) n'ont que faiblement profité aux malades du Sud.Cette question constitue actuellement le défi majeur des politiques d'aide au développementmenées dans les pays du Nord, et plus particulièrement dans le domaine sanitaire, des paysen voie de développement.

Prenant acte de cette situation, la France fait preuve d’une volonté d'implication plusgrande dans la mobilisation internationale en faveur des politiques de santé dans lespays pauvres, nécessité qui fait apparaître la définition d'une stratégie pour la coopérationsanitaire plus sélective, qui s'appuierait davantage sur un savoir-faire, et une autre manièrede coopérer qui privilégie le partenariat des acteurs et un engagement sur la durée2.

Face à la menace que représente la progression de l’épidémie de sida, il estpossible d’identifier deux formes d’aides internationales distinctes qui visent à réduire lesinégalités Nord/Sud: l’aide bilatérale et l’aide multilatérale. L’aide multilatérale est constituéed’un réseau complexe d’organismes multilatéraux à vocation de développement comme

1 Rapport sur l’épidémie de sida dans le monde, ONUSIDA, 2006.2 Rapport du député MORANGE au Premier Ministre sur la politique sanitaire de la France en 2005.

Page 6: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

6 BADIN Julie_2007

les Nations Unies, le Fonds Monétaire Internationale ou encore la Banque Mondiale.Ces organismes sont les piliers de l’aide multilatérale, leurs actions se caractérisentpar des soutiens financiers, une aide en conseil économique et politique aux paysen développement, et ils participent à l’élaboration des cadres techniques pour ledéveloppement et à des actions de sensibilisation de l’opinion publique internationale3.

La coopération bilatérale pour sa part, résulte historiquement des activités d’aide misesen place par les anciennes puissances colonisatrices en faveur de leurs anciennes coloniesaprès la fin de la Seconde guerre mondiale, elle liait donc un pays du Nord avec un‘pays en développement’, selon un schéma ancré d’Etat “donateur” et d’Etat “bénéficiaire”.Ces pratiques se sont progressivement transformées en des programmes permanents decoopération pour le développement, inscrits dans la durée, en s’imposant comme un axeprivilégié de la coopération française: aujourd’hui, elle renvoie au fait de s'associer et demener des actions en commun, afin de « développer les potentialités »4, tout en permettantde renforcer des liens politiques, de réaffirmer une relation privilégiée entre deux pays.

Dans un rapport publié en 20045, le Comité d’aide au développement (CAD, principaleinstance chargée d’harmoniser l’aide au développement des pays de l’OCDE) affirmeque “les organisations internationales constituent un cadre normatif et politique, dotéd’une incomparable capacité de mobilisation financière indispensable à la communautéinternationale”, mais il ajoute cependant que “ce sont des instances bureaucratiqueset peu opérationnelles” qui doivent faire appel aux compétences d’opérateurs issus decoopérations bilatérales pour mettre en œuvre des programmes adaptés. Les organisationsinternationales, malgré une envergure, et des possibilités d’action bien supérieures auxdispositifs mis en place de façon bilatérale, ne garantissent pas nécessairement une aideoptimale, bien au contraire, car cette aide déconnectée des réalités des pays auxquelselle s’adresse, des lacunes dont ils souffrent, si elles sont inadaptées n’auront pas lesrésultats proportionnels aux moyens mis en place: en témoignent les politiques d’ajustementstructurels menées dans les années 80 par la Banque Mondiale qui, déconnectées des paysauxquelles elles s’adressaient ont eu des résultats catastrophiques.

Cette expérience désastreuse des politiques d’ajustement structurels ont eu uneconséquence importante: aujourd’hui, toute logique de coopération et d'échanges doits’inscrire dans un contexte local : une action de coopération ne trouvera sa pertinence quedans l’enracinement dans le terrain sur lequel elle est mise en place. A cet impératif de priseen comptes du pays partenaire s’ajoute un contexte de recomposition territoriale: l’Etat, bienqu’il reste un acteur incontournable et déterminant de l’aide internationale, doit déterminerson nouveau rôle pris entre les deux phénomènes de mondialisation et de décentralisationqui l’obligent à se repenser. Devant la multiplication des acteurs, son nouveau rôle revient àassurer la régulation de l’explosion des réseaux transnationaux émergeants, à orchestrer lesnouveaux réseaux qui interviennent aujourd’hui dans les échanges entre les pays du Nord etdu Sud. L’articulation entre l’Etat et les nouveaux acteurs devient l’enjeu majeur des relationsinternationales contemporaines. Pour Jean Leca6, qui a réfléchi sur la recomposition del’action publique de l’Etat, « l’Etat devenu ‘creux’ voit sa légitimité mise en cause : [il] n’a plusles moyens ni surtout la crédibilité suffisante pour répondre à un problème par le lancement

3 Revue de l’OCDE sur le développement, n6, 2005/4.4 Idem5 Les Dossiers du CAD : Coopération pour le développement, Rapport 2004.6 Ce que l’analyse des politiques publiques pourrait apprendre sur le gouvernement démocratique, Revue française de science

politique n°1, février 1996.

Page 7: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Introduction

BADIN Julie_2007 7

de politiques substantielles, intégrées innovatrices et coûteuses ». Cependant, l’étude del’aide publique au développement amène à nuancer ce constat de caducité de l’Etat dans laconduite de politique publique : bien qu’amené à repenser son rôle de façon plus modeste,et à faire appel à des experts, des techniciens qui lui sont extérieurs, l’Etat peut bien aucontraire renforcer sa légitimité en ayant recours aux méthodes les plus appropriées et lesplus efficientes.

A l’origine Etat planificateur, on constate que l’Etat aujourd’hui est devenu un Etatincitateur7, animateur, selon l’expression de Donzelot et Estèbe8, qui pousse à s’engagerdans l’action : il identifie les problèmes, crée les conditions de l’engagement dans l’actionpossible, et coordonne les différents acteurs : en restant un acteur incontournable, il n’esttoutefois plus central mais reste l’étape initiale du processus, un acteur parmi des acteurstoujours plus nombreux, qui doit faire en sorte de rester le cadre d’action des autres acteurspour conserver sa légitimité.

Cette multiplication des acteurs correspond à un besoin qu’a fait émerger l’apparitionde l’épidémie de sida, et les caractéristiques spécifiques à cette épidémie; la lutte contrel’épidémie passe par la poursuite d’objectifs globaux qui font appel à une palette d’acteursaux compétences très variées mais toutes indispensables: une action de prévention, unsoutien au développement et à la mise à niveau des structures de santé, aux systèmesde financement de soin, la formation des professionnels de santé dans le diagnostic, dansl’administration des médicaments, dans l’accompagnement psychologique et social…Maisplus largement, cette diversification des acteurs sur la scène internationale, bien qu’elle soitparticulièrement visible et appréciable concernant l’épidémie de sida et les mobilisationsqu’elle suscite : pour Olivier Borraz9, « l’étude des dispositifs de lutte contre le sida offrel’opportunité peu commune d’appréhender les phénomènes d’ordre et de désordre dans lessphères sociales et politiques ».

La coopération décentralisée dans le domaine sanitaire est le résultat de cesrecompositions. Dans ce contexte, la coopération décentralisée fait figure de dispositifefficace pour mener une action cohérente : elle est menée à bien dans les limites desengagements pris par la France, ses actions sont donc orientées par la politique de la Franceen matière d’aide publique au développement, et sert donc les relations bilatérales de laFrance avec le pays impliqué dans la coopération ; et elle présente dans le même temps lapossibilité d’avoir une approche au plus près du terrain, d’être au plus proche de l’action.

La coopération décentralisée est un dispositif récent qui permet de nouer des liensentre acteurs du Nord et du Sud. Les lois françaises de décentralisation de 1982 et 1983,connues sous le nom de « lois Deferre », ont donné un cadre juridique à la coopérationentre les acteurs locaux. Elles reconnaissent aux collectivités territoriales la possibilité denouer des relations avec des collectivités territoriales d'autres pays, « dans la limite deleurs compétences et sous l’autorité de l'Etat ». Par la suite, la loi Joxe du 6 février 1992relative à l'aménagement territorial de la République a reconnu le concept de "coopérationdécentralisée" qui va encadrer et pérenniser des actions de coopération Nord Sud quiexistaient déjà.

7 Autorégulation, intervention étatique, mise en réseau : les transformations de l’Etat social en Europe : le cas du VIH/SIDA,de l’abus d’alcool et des drogues illégales, S. CATTACIN, B. LUCAS, Revue française de science politique, Volume 49, n°3, 1999.

8

9 Les politiques locales de lutte contre le sida, une analyse de trois départements français,O.BORRAZ, C. ARROUET, P.LONCLE-MORICEAU.

Page 8: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

8 BADIN Julie_2007

Il convient de préciser que tout au long de ce travail, nous étudierons un dispositif àtravers ce concept de coopération décentralisée, tel qu’il est admit par l’Union Européenne.En effet, l’acception française de la coopération décentralisée ne reconnaît que l’actiondes collectivités territoriales, quand la définition de l’Union Européenne est sensiblementdifférente. Par « coopération décentralisée », l’Union Européenne entend tout programmeconçu et mis en œuvre dans les pays du Sud et de l’Est par une organisation nongouvernementale (ONG), des pouvoirs publics locaux, des syndicats, des établissementspublics etc.…A la différence de définition de la définition française, l’acception européennen’implique pas nécessairement une collectivité locale élue au suffrage universelle, ellecomprend donc la coopération hospitalière, le « fer de lance » de la coopération sanitairefrançaise.

Acteurs du territoire, les collectivités territoriales et les hôpitaux se sont toujoursimpliqués dans des actions internationales. L’hôpital représente un domaine qui a toujoursété privilégié dans la coopération française10 : à titre d’exemple, la coopération hospitalièrea concentré à elle seule plus de la moitié de l’effort financier du ministère de la coopérationdans le domaine de la santé (51% des crédits) de 1997 à 2000. Cependant cette politiquesanitaire axée sur la coopération hospitalière n’a pourtant pendant cette période apporté quepeu de résultats, elle n’arrivait pas à effacer les dysfonctionnements hospitaliers persistantsdans les pays aidés.

Cette stratégie est critiquée depuis longtemps : depuis 1978, année de la déclarationdes soins de santé d’Alma Ata, ce qui a conduit la France à repenser son aide sanitaire,et à abandonner une coopération marquée par une assistance technique de substitutionpour une assistance technique d’accompagnement, en tenant compte des compétences etdes besoins locaux. Aujourd’hui, elle se caractérise par la volonté de mettre en place lesconditions d’un fonctionnement sur le long terme, et de façon autonome des hôpitaux despays du Sud par le biais de l’intégration de la coopération hospitalière, dans un appui plusglobal au fonctionnement des systèmes de santé, à la définition et à la mise en œuvre depolitiques hospitalières nationales, et le développement de partenariats avec des acteursfrançais extérieurs au ministère : universités, organismes de recherche, collectivités locales,hôpitaux.

Nous avons choisi dans ce travail de traiter cette question de la coopérationinternationale et de l’aide au développement dans le secteur sanitaire à travers l'exemplede la coopération décentralisée qui unit la France au Maroc. Ce choix a été déterminépar le nombre de partenariats existants entre les deux pays, qui est le plus important dubassin méditerranéen. Cette relation privilégiée est le fruit d'une relation historique intensedepuis un siècle, et de liens importants que maintiennent les habitants, avec notammentle rôle important de l’immigration. Il existe également une proximité en matière de relationséconomiques - la France est le premier partenaire commercial et le premier investisseurau Maroc-, sociales –la France est le premier pays d’accueil de la communauté marocaineà l’étranger. La quantité d’intérêts partagés explique la densité de la coopération maroco-française sur tous les plans. Il résulte de cette proximité que l’aide française apportée auMaroc est la plus importante aide bilatérale reçue par le Royaume. Selon les dernierschiffres du Comité d’Aide au Développement (CAD) de l’Organisation de Coopération et de

10 Etude sur l’évaluation de l’aide française dans le secteur hospitalier en Afrique subsaharienne et à Madagascar de 1987 à1996, Ministère des Affaires étrangères, Direction générale de la coopération internationale et du développement, 1999.

Page 9: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Introduction

BADIN Julie_2007 9

Développement Economiques (OCDE) : l’aide française représente à elle seule la moitié del’aide perçue par le Maroc11.

Nos relations bilatérales, excellentes et particulièrement étroites, sont marquées parune confiance exceptionnelle et un dialogue régulier depuis le début des années 1990. LeRoi Mohammed VI a choisi la France pour effectuer sa première visite d’Etat à l’étrangeren mars 2000 […] la VIIIeme rencontre franco-marocaine de Paris en décembre 2006 enprésence de six ministres français et de leurs homologues marocains a été marquée parla convention de dix neuf conventions de coopération. Le Maroc est le premier pays aidépar la France dans le monde, bénéficiant d’une aide publique française au développementde 176 millions d’euros en 2005.12

Les priorités de cette coopération sont définies par le Ministère des Affaires Etrangères,lui-même guidé par les Objectifs du Millénaire pour le Développement, et par l’InitiativeNationales pour le Développement Humain (INDH) lancée le 18 mai 2005 par le roiMohammed VI, et qui a défini les lignes d’une politique nationales d’envergure qui viseà la réduction de la pauvreté et de la précarité. La coopération maroco-française a étésollicitée pour contribuer à cette initiative : élargissement de l’accès des populations lesplus démunies aux services sociaux de base, santé, éducation, action en faveur descommunes rurales les plus pauvres, aide aux personnes en situation de grande vulnérabilitéet promotion des activités génératrices de revenues stable.

Pour plus de visibilité et d’efficacité, cette coopération s’est centrée sur trois axes : lasanté, l’éducation et le secteur productif.

La coopération maroco-française centrée sur les trois enjeux majeurs suivantsrépond à la demande des autorités marocaines de contribuer au développement humaindurable et de bâtir les fondations d’une croissance économique et régulières […] Lesinterventions accompagneront dans ce cadre les grandes politiques publiques choisies parle gouvernement marocain, ainsi que les programmes relevant de l’Initiative nationale pourle développement.13

A travers l'exemple de cette coopération initiée par le groupement d’intérêt public(G.I.P)14 E.S.T.H.E.R : « Ensemble pour une Solidarité Thérapeutique En Réseau », jetenterai de m'interroger sur les formes prises par les articulations entre gouvernance localeet régulation globale par le biais des acteurs clés de ce programme. Ainsi, devant la gravitéde la pandémie de VIH-SIDA et de l’inégalité d’accès aux soins, la coopération internationaleaccorde au domaine de la santé une place croissante afin de mobiliser plus de moyensfinanciers et de renforcer la coordination des politiques. La surveillance et la lutte contre lesmaladies transmissibles sont des exemples types de bien public mondial. Les inégalités quel’on constate actuellement entre les pays du Nord et ceux du Sud dans la réponse aux soinsde base sont non seulement inacceptables d’un point de vue éthique, mais elles accroissentégalement les risques de contamination.

La lutte contre le VIH dans les pays émergents, bien qu’elle ait largement bénéficiéà l’amélioration de l’accès aux médicaments n’est pas suffisante. En effet, les ressources

11 Rapport d’information sur les crédits d’aide publique au développement affectés aux pays du Maghreb, par le sénateurMichel CHARASSE, 2002.

12 Déclaration de l’ancien ministre des Affaires Etrangères Philippe Douste Blazy à l’occasion de la visite d’une délégationministérielle marocaine le 6 février 200, www.diplomatie.gouv.fr

13 Document cadre de partenariat France Maroc, 200614 Voir glossaire.

Page 10: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

10 BADIN Julie_2007

humaines nécessaires pour garantir la prévention, l’accès aux soin et l’accompagnementdes malades sont en nombre très largement insuffisant, et cette pénurie ne cesse des’aggraver.

Ces enjeux montrent la nécessité d’une coopération renforcée par une mobilisation desEtats, mais surtout d’une coopération mieux pensée : non qu’il faille « plus » se mobiliser,la mobilisation internationale est déjà colossale, mais il est impératif de mieux se mobiliseret d’avoir recours à des dispositifs plus efficaces : la gravité de l’épidémie a encouragéles innovations institutionnelles, innovations d’autant plus importantes pour l’Etat qu’ellestémoignent de la pertinence de son engagement dans une action d’aide au développement.Cette innovation dont l’Etat fera preuve dans ses actions de coopération ne pourra êtreappréciée que dans le cadre d’une aide mise en œuvre bilatéralement, et pourra ainsiparticiper au rayonnement du pays qui met en œuvre la coopération et des bonnes relationsqu’entretiennent les pays partenaires. La coopération décentralisée est donc un dispositifde coopération innovant à la recherche d’efficience dans l’aide au développement bilatéralequi participe paradoxalement, à préserver la place centrale de l’Etat dans la coopérationinternationale.

Elle se fait le relais technique d’une volonté politique, en traitant le problème de façonlocale, avec une bonne connaissance du terrain et une pratique en réseau qui permet deregrouper toute la variété des acteurs impliqués dans une action globale, et de créer unesynergie bénéfique à la coopération.

Méthodologie(Voir la liste des personnes rencontrées en annexe)Le choix de cette coopération a également été déterminé par un souci d’accessibilité du

terrain, dans le but de pouvoir réaliser des entretiens avec les principaux acteurs impliquésdans la coopération. La méthodologie de ce travail a consisté en des entretiens menésavec des acteurs de la coopération, en France : deux chargés de projet Esther (FaridLamara, chargé des questions européennes et Sakina Aznag, chargée de projet Maroc),la directrice des relations internationales des Hospices Civils de Lyon, Florence Cavaille)et au Maroc, le Docteur Bouchra Zerouani, éducatrice thérapeutique qui participe de façonhebdomadaire aux journées de dépistage organisées par l’ALCS et a bénéficié d’uneformation « counseling » aux HCL de Lyon, Soumia Benzekroun, présidente de l’associationSOLEIL des enfants affectés par le VIH. J’ai également réalisé une observation dans leslocaux de l’Association de Lutte Contre le Sida à Rabat : bien que nous ayons convenu d’unentretien avec le docteur Rhoufrani, présidente de la section ALCS Rabat, notre rendez-vous avait lieu un jeudi, jour des consultation gratuite à l’ALCS, et le docteur débordé n’apas eu de temps à m’accorder.

J’ai également travaillé à partir d’une revue documentaire des différents rapports ayanttrait au sujet de la coopération sanitaire internationale, des portails officiels des deux pays etde l’ensemble des documents communiqués par les interlocuteurs. J’ai également assistéà différents ateliers lors des « Journées de la coopération internationale » les 16 et 17 juilletdernier, dont un intitulé « Santé, lutte contre la pauvreté et bien public mondial ».

Cependant, mes entretiens -en France et au Maroc- n’ont pas étés aussi riches enenseignement que je l’escomptais. J’ai en effet commis l’erreur de réaliser la grande majoritéde mes entretiens avant la période de lectures « techniques », et n’ai donc généralementpas posé les bonnes questions, qui ont émergé au cours des lectures qui ont suivi. Or, lamajorité des acteurs se trouvant au Maroc ou à Paris, je n’ai pas eu l’occasion d’interrogerplus précisément les personnes sources. De plus, lors de mes différents entretiens au

Page 11: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Introduction

BADIN Julie_2007 11

Maroc, les personnes sources qui ont pourtant toutes accepté les entretiens dès la premièresollicitation, n’ont pas accepté d’être enregistrées ce qui a sensiblement compliqué matâche.

Page 12: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

12 BADIN Julie_2007

Partie 1 : La recherche d’un nouveaumode de cooperation

Les Objectifs du Millénaire pour le Développement (OMD) sont huit objectifs essentielsà atteindre d’ici 2015 dont ont convenu les Etats membres des Nations Unies en 2000.Leur objectif est de favoriser le développement des pays du Sud en privilégiant huit axesd’intervention : réduire l’extrême pauvreté et la faim, assurer l’éducation primaire pour tous,promouvoir l’égalité et l’autonomisation des femmes, réduire la mortalité infantile, améliorerla santé maternelle, combattre le VIH-SIDA, le paludisme et d’autres maladies, assurer unenvironnement durable et mettre en place un partenariat mondial pour le développement.On constate que ces objectifs redonnent au secteur de la santé une place centraledans l’aide au développement : sur huit objectifs, trois concernent le secteur sanitaire.Concernant la sixième cible qui vise à « stopper la propagation de l’épidémie de VIH15-SIDA et commencer à inverser la tendance », en l’état actuel de la situation, des moyenset des connaissances, il n’y a aucune chance de l’atteindre d’ici 2015. Les projections dela communauté internationale font plutôt craindre que le nombre de personnes infectées,aujourd’hui évaluées à 40 millions n’atteigne 100 millions d’ici 2020.

Nous aurons le temps d’atteindre les objectifs, à l’échelle du monde entier etdans la plupart, sinon la totalité, des pays, mais seulement si nous rompons avecla routine. Cela ne se fera pas en un jour. Le succès exige une action soutenuependant les 10 années qui nous séparent de l’échéance. Il faut du temps pourformer des enseignants, des infirmiers et des ingénieurs, pour construiredes routes, des écoles et des hôpitaux, pour créer de petites entreprises etde grandes sociétés qui créent à leur tour des emplois et des revenus. C’estpourquoi nous devons commencer tout de suite. Dans les quelques années quiviennent, nous devrons faire mieux que doubler l’aide au développement dans lemonde, sinon, il n’y aura pas moyen d’atteindre les objectifs.

Kofi Annan, ancien secrétaire général des Nations Unies.

Chapitre 1 : une coopération internationaleindispensable amenée a se réinventer

Au Nord comme au Sud, la « révélation » du sida a été une mise à l’épreuve des pouvoirsdes Etats16. Face aux épidémies, ressenties comme des agressions venues de l’extérieur,les nations ont tendances à se replier sur elles-mêmes et à réaffirmer leurs frontières. On

15

16 Les enjeux politiques de la santé, études sénégalaises équatoriennes et françaises, D. FASSIN, Editions Karthala Paris, 2000.

Page 13: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 13

constate avec l’épidémie de sida que les logiques sont différentes, et que bien au contraire,on a assisté à une mobilisation de la scène internationale d’une ampleur considérable.

1/ Retour sur l’origine de l’aide internationaleLes quatre caractéristiques de l’épidémie de sida dégagées par Olivier Borraz dans sonouvrage « Permanences et recomposition du secteur sanitaire » expliquent l’engagementmassif et international en faveur de la lutte contre le sida : sa nouveauté, sa rapidité, lebrouillage des frontières qu’elle entraîne, et son caractère dynamique.17 L’épidémie de sidaest en réalité une pandémie qui ne connaît pas de frontières, et dont les conséquencesse font ressentir de manière globale. Aujourd’hui, réussir à endiguer l’épidémie de sida estdevenu un des enjeux majeurs des relations Nord/Sud et de la mondialisation.

1.1- Une « épidémie politique »Longtemps la santé a été considérée comme une sorte de « luxe » : « chacun s’accordaità combattre les épidémies les plus meurtrières, à lutter contre les principales cause demortalité prématurée et trouvait assez naturel que des concepts comme la qualité dessoins, la qualité de vie liée à la santé, les années de vie gagnées sans incapacités nes’appliquent qu’à l’extrême minorité des pays industrialisés »18. Aujourd’hui il apparaîtpourtant avec certitude qu’il ne peut y avoir de développement durable sans une prioritéaccordée à la santé : cette position centrale qu’occupe la santé actuellement est le résultatd’un long processus d’internationalisation des politiques sanitaires, qui a été accentué parla mondialisation, plus précisément, l’épidémie de sida sur la scène internationale résultede ce processus. Depuis le début de l’épidémie de sida il y a vingt ans, le sida a constitué uncatalyseur emblématique des nouvelles questions, des nouveaux enjeux de santé dans lemonde et de la responsabilité de la santé : François Buton dans son article « sida et politiquesaisir les formes de lutte » : « le sida est un objet de politiques publiques, le sidaest unproblème construit comme politique, émergeant dans le champ politique, redevable d’uneintervention publique ».

Cette épidémie a renouvelé la prise de conscience de la nécessité d’une solidaritéinternationale en matière de santé après avoir successivement révélé et souligné lesrelations existant entre santé et Droits de l’Homme, santé et vulnérabilité, santé etdéveloppement.

En effet, suite à l’observation des effets socio-économiques ravageurs de l’épidémiede sida, la Banque Mondiale devenue depuis 10 ans le principal bailleur de fondsmultilatéral dans le domaine de la santé, fait le constat que « la santé est une desconditions indispensables à une réduction de la pauvreté, une croissance économique etune amélioration globale du bien-être des populations » mais aussi que « assurer queles dépenses nationales de santé soient efficientes, effectives et efficaces » a un impactconsidérable sur l’économie toute entière ». Il apparaît indéniable aujourd’hui qu’il ne peuty avoir de développement durable sans priorité accordée à la santé.

Or, les lacunes économique et organisationnelles des pays du Sud rendent difficilesla mise en place de politiques publiques locales cohérentes : le manque d’infrastructureset de professionnels de santé constituent un réel obstacle à l’organisation des soins. Les

17 Permanences et recomposition du secteur sanitaire, O. BORRAZ18 Rapport sur la coopération dans le domaine de la santé,Haut Commissariat à la Coopération Internationale, juin 2004.

Page 14: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

14 BADIN Julie_2007

réductions des inégalités de santé, et en particulier l’accès équitable aux soins et auxtraitements demandent une prise de conscience politique. « Cependant, les moyens et lesmécanismes de cette solidarité internationale restent, pour une large part, à construire età développer »19.

1.2- La mobilisation de la scène internationaleL’épidémie de sida ne connaît pas de frontière, elle « illustre mieux que n’importe quel autrephénomène la mondialisation, ses périls ses opportunités »20. Au plan strictement médical,d’abord, la pandémie dépasse les frontières et les modes de régulations nationaux ; maisaussi sur le plan économique : le sida se caractérise par des logiques transnationales21,ce qui a amené les acteurs traditionnels de la scène internationale à se mobiliser autourde la lutte contre le virus. A titre d’exemple, la Banque Mondiale, longtemps hostile à toutengagement dans le domaine de la santé a pour la première fois consacré son rapportannuel de 1993 à la santé. De même, la Commission Européenne intervient par le biais dela compétence de la Communauté Européenne.

Cependant, en 2000, la directrice générale de l’OMS soulignait que « la globalisations’est faite à un rythme plus rapide que celui du développement des politiques publiques,nationales et internationales susceptibles d’en maximiser les bénéfices en termes dedéveloppement humain et d’en réduire ou d’en prévenir les méfaits »22.

Malgré de nombreuses initiatives et la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs,le constat est de plus en plus alarmant : les nouveaux traitements disponibles dans letraitement du sida restent inaccessibles à 90% des malades dans le monde, les traitementsmédicamenteux (trithérapies) sont produits dans les pays du Nord (à de rares exceptionsprès comme la compagnie indienne productrice de génériques CIPLA, qui ambitionned’implanter un lieu de production d’antirétroviraux proche des pays d’Afrique de l’Est23).Cette évolution pose la question des dispositifs à déployer pour répondre à cet impératif desolidarité internationale : les moyens et les mécanismes de cette solidarité internationalerestent pour une large part, à construire, à développer, à financer.

Au sein des organisations internationales comme la Banque Mondiale et le FMI, lesactions nationales conservent toute leur importance : l’imbrication national/international estdéterminante dans la réussite des actions menées, et la participation nationale joue un rôlepolitique important pour un pays : elle permet de diffuser un modèle, de véhiculer une imagepositive, dans le pays concerné comme à l’étranger, d’autant plus que l’aide apportée à unpays du Sud est généralement tributaire des relations privilégiées que les pays entretiennentde façon historique.

Enfin, l’aide au développement permet de se démarquer dans un domaine dans lequelun pays du Nord est particulièrement performant : la France ayant été classée en têtedes systèmes de santé par l’OMS a toute légitimité pour faire valoir sa vision des choses

19 Elargir l’accès au traitement du VIH avec les organisations à assise communautaire, collections meilleures pratiques del’ONUSIDA, juillet 2005.20 L’épidémie de sida et la mondialisation des risques, P.PIOT, Editions Labor, 2005.21 Sida et développement, un enjeu mondial, V. TOUZE, Département des études de l’OFCE, Théma et Institut d’Etudes Politiquesde Lille, n°83 bis-2002/5.

22 Santé, les clés du développement humain, Collectif, OMS, Genève, 2000.23 Source www.actupparis.org

Page 15: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 15

dans ce domaine, en menant une politique de coopération cohérente. « L’ambition de laFrance devrait être d’en constituer un soutien politique et financier majeur. L’enjeu de lapolitique de coopération française en matière de santé doit être à la hauteur des enjeux decette solidarité : passer d’une approche purement technique mâtinée d’humanitaire à uneapproche réellement solidaire et politique »24.

1.3- Retour sur l’engagement français en matière de lutte internationalecontre le sida.La France s’est impliquée très tôt, par ses canaux de financement bilatéraux dans la luttecontre le VIH aux côtés des pays en développement. Cependant, l’évaluation des résultatsde son engagement est difficile à mesurer du fait de l’absence de suivi du dispositif de lacoopération25, tant bilatérale que multilatérale, en particulier dans le secteur de la santé26.La moyenne annuelle des engagements français pour la seule question du VIH s’élève,tous intervenants confondus –Ministère des Affaires Etrangères (MAE), de la Santé, de laRecherche - à 57, 21 millions d’euros pour les années 2002 à 2004, soit 31% du total de nosfinancements consacrés à la santé27. La voie privilégiée pour utiliser ce financement est lavoie multilatérale, à hauteur de 69% : la France est ainsi aujourd’hui le deuxième financeurdu Fonds Mondial contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme, derrière les Etats- Unis.

Les financements bilatéraux eux, font l’objet d’un vif débat actuellement : en effet,l’aide bilatérale ne représente actuellement que 160, 7 millions d’euros, contre 610, 7millions pour l’aide multilatérale, alors qu’elle représentait 80% de l’aide française en1987 : ce canal semble s’imposer progressivement comme le canal privilégié de l’aidefrançaise, « au cours des vingt dernières années la coopération sanitaire française amodifié radicalement son profil. Elle perd sa singularité et se fond progressivement dans lesstratégies internationales » 28 alors qu’elle s’est imposée comme précurseur internationalen prônant le droit aux médicaments pour tous les malades dès 1997, et a initié la premièreune action internationale dans ce sens29.

Or, « l’aide bilatérale dans le domaine de la santé permet de viser des stratégiesoù l’expertise française correspond à des besoins réels, dans une logique de piloteet d’influence »30 : en effet, l’ambassadeur sida français a défendu lors des dernières« Journées de la Coopération Internationale » lors d’un atelier intitulé « Lutte contre lapauvreté, santé et bien public mondial »31, une spécificité française dans la façon delutter contre le sida, qui ne doit pas se diluer dans l’aide multilatérale en progressionconstante, afin de conserver sa visibilité, sa spécificité et son innovation. Cette innovation

24 Rapport coopération sanitaire internationale, HCCI.25 Idem26 Rapport du député Morange au Premier Ministre sur l’action de la France en faveur de la réalisation des Objectifs du Millénairepour le Développement dans le domaine de la Santé.27 Les notes du jeudi, Tome 3 mars 2006, Ministère des Affaires Etrangères.

28 La coopération sanitaire française dans les pays en développement, Avis et rapports du Conseil Economique et Social, avisprésenté par M. GENTILINI, 2006.

29 Idem30 Intervention de l’ambassadeur chargé de la lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme lors des « Journées de la

coopération internationale et du développement », le 16 juillet 2007 au Palais des Congrès.31 Cf. annexe n°10

Page 16: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

16 BADIN Julie_2007

en matière de lutte contre le sida qui peut être illustrée par l’initiative de la taxe sur les billetsd’avion: depuis le premier juillet 2006, il a été mis en place une taxe d’un euro ou plus,qui est systématiquement prélevée sur tous les billets d’avion afin de financer durablementà hauteur de plus de 200 millions d’euros par an, une facilité internationale d’achat demédicaments d’achats de médicaments (FIAM) contre le VIH, le paludisme et la tuberculose.

Cependant, il convient de préciser ici que malgré la très nette progression de l’aidemultilatérale, le taux de mondialisation de l’aide française reste encore très inférieur au tauxmoyens de tous les pays du Nord (à l’exception du Japon), héritage d’une tradition françaised’aide bilatérale.

La coopération française dans la lutte contre le VIH a fait de l’approche globalede la maladie sa priorité. La lutte contre le sida qu’elle préconise repose sur cinq axesstratégiques :

privilégier une approche régionale,appréhender le problème dans sa globalité,impliquer les partenaires non gouvernementaux et les personnes atteintes dans la mise

en œuvre à tous les niveaux,développer la recherche dans le cadre de réels partenariats Nord/Sud,le renforcement de la structuration des systèmes et des services de santé dans une

approche globale, intégrée et décentralisée.Cette spécificité dans l’aide française est héritée de sa propre histoire avec l’épidémie

de sida : après une première période au cours de laquelle « les acteurs comme lesobservateurs s’accordent à reconnaître que nous avons échappé de peu à la dynamiquede réponse coercitive face à une menace épidémique- en 1986/87, l’extrême droitetente d’utiliser la peur du sida et va jusqu’à demander la création de ‘sidatoriums’ », laréponse à l’épidémie s’est transformée grâce au consensus qui, dès la fin des années80 a progressivement réuni tous les acteurs, consensus rendu possible par la création etl’implication massive de nombreuses associations de lutte contre le sida.

Au cours de cette période le rôle des associations apparaît déterminant, dans lamédiatisation du problème, cruciale pour susciter le soutien de l’opinion publique, dansla prise de conscience du « fléau social » et dans la mise en place de financementsspécifiques qui permettront la mise en place de dispositifs novateurs dans le système desoin : en 1987 apparaissent les « réseaux ville-hôpital » qui associent la médecine deville et la médecine hospitalière, qui va permettre de remédier aux lacunes de la prise encharge extra-hospitalière « en pointillé »32, qui débutait avec les dépistage et l’annonce dela séropositivité en ville, presque toujours suivi d’une prise en charge hospitalière, mais leretour à la médecine de ville s’effectuait généralement dans de mauvaises conditions 33: àcause de l’absence de formation spécifique du médecin de ville qui maîtrisait mal les relaispossibles, notamment dans le domaine psychosocial ; d’une insuffisance de communicationentre l’hôpital et les professionnels de santé de ville, doublée d’un manque de confiancedes médecins hospitaliers vis-à-vis des médecins de ville, et du fait que les traitements etles essais cliniques étaient réservés à l’hôpital.

32 Cf. circulaire DGS/DH n°612 du 4 juin 1991 relative à la mise en place des réseaux ville-hôpital dans le cadre de la préventionet de la prise en charge sanitaire et sociale des personnes atteintes d’infection VIH sur le site www.cyes.info

33 Rapport sur l’ingénierie des réseaux de santé, Direction générale de la Santé, Secrétariat d’Etat à la Santé et à l’ActionSociale, janvier 1999.

Page 17: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 17

La création des réseaux ville-hôpital avait donc pour but de permettre aux patientsinfectés par le VIH d’être pris en charge de façon globale : médicale, sociale etpsychologique ; et continue, du dépistage de la séropositivité au stade terminal. La maladieétant chronique, il faut assurer un suivi du traitement tout en assurant la qualité de vie,l’activité sociale et professionnelle : ce suivi est réalisable en ville dès lors qu’il existe uneétroite collaboration avec les spécialiste hospitaliers

La création de réseaux visait donc à répondre à ces problèmes soulevés par la maladieen permettant une action décentralisée efficace, en créant les conditions d’un partenariatentre les médecins spécialisés de l’hôpital et les praticiens de villes.

Par la suite, la loi du 4 mars 2002 sur les « Droits des malades et la qualité du systèmede santé » a fait des réseaux de santé une voie privilégiée d’amélioration des systèmesde santé français en coordonnant et en regroupant les réseaux de santé sur un mêmeterritoire, et de mieux coordonner leur activité avec celle des établissements de santé et desinstitutions : les services déconcentrés de l’Etat et collectivités territoriales.34.

L’action française en matière de lutte contre le VIH/sida est largement tributaire del’histoire qu’elle entretien avec cette « épidémie politique »35. Dans son action de lutte contrela pandémie qui est la première priorité de sa politique d’aide au développement, la Francefait preuve d’une volonté de garder une singularité d’action, qui se caractérise par soncaractère innovant et volontariste36.

2/ L’Aide au développement française à la recherche d’une « troisièmevoie »

L’enjeu pour la politique de coopération de la France est de mettre en œuvre des politiquespubliques en phase avec les thématiques avancées par les instances multilatérales, engardant sa spécificité dans les moyens d’actions employés et en « réinventant l’actionpublique tant décriée durant la trop longue parenthèse de l’ajustement structurel du ‘toutmarché’, sans pour autant replonger dans un ‘tout-Etat’ 37». Dans la poursuite de sesobjectifs en faveur du développement des pays du Sud, la France recherche nouvellefaçon de coopérer, qui allie efficacité et innovation, pour légitimer une intervention bilatéraletraditionnellement privilégiée, notamment dans ses anciennes colonies avec lesquelles elleentretient des relations privilégiées.

2.1. La poursuite d’objectifs ambitieux…Les OMD qui sont devenus la « feuille de route » de la coopération française ne pourrontêtre atteints que si les systèmes de santé des pays du Sud sont significativement renforcés,du point de vue de la pertinence des politiques concernant le secteur de la santé qui lesfaçonnent, mais aussi au niveau des interventions que les systèmes délivrent, au niveau descommunautés ou des services de santé, publics et privés. Les programmes français ciblés

34 La santé en réseaux, C. BOURRET, Etudes Tome 399 2003/3.35 Leçons politiques de l’épidémie de sida, N. DODIER, Editions de l’EHESS, 2003.36 Intervention d’Hervé d’Oriano, chargé de mission au bureau Santé de la Direction Générale de la Coopération Internationale

pour le Développement, lors d’une réunion santé animée par RESACOOP en juin 2004.37 La France et l’aide publique au développement, Conseil d’analyse économique, rapport de Daniel Cohen, La documentationfrançaise 2006.

Page 18: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

18 BADIN Julie_2007

sur le sixième objectif ne pourront être réellement efficaces que s’ils sont supportés pardes systèmes de santé renforcés au niveau des ressources humaines, des infrastructures,de la gestion et du financement. Cette condition sine qua non au succès des actions decoopération est au premier rang des préoccupations de l’aide internationale.

La pénurie et la faiblesse des ressources humaines, le manque d’infrastructuresadéquates, l’insuffisance et le manque de prévisibilité des financements consacrés à lasanté, la faiblesse des systèmes d’approvisionnement et de distribution des médicaments,ainsi que les barrières financières à l’accès au soin sont autant d’obstacles qui empêchentles pays du Sud d’atteindre les OMD, et constituent des axes prioritaires pour lescoopérations menées dans le sens des objectifs du millénaire.

Aujourd’hui, les axes prioritaires de l’intervention de la France dégagés par les différentsministères impliqués dans l’aide au développement sont : « l’appui à la définition et à lamise en œuvre de politiques sectorielles pertinentes, programmées et que la société civileparticipe à la définition et à la mise en œuvre de ces politiques »38.

Il s’agit également de renforcer les ressources humaines au niveau quantitatif etqualitatif, de travailler sur la formation initiale et continue du personnel de santé, et d’adapterla formation dispensée aux contextes locaux, en cherchant à développer de nouvellestechniques. Un autre objectif consiste à garantir un financement adéquat du système desanté, et développer les systèmes de protection sociale pour les populations.

Enfin, l’aide française cherche à rationaliser le réseau de distribution de soins, etaméliorer la gestion, la gouvernance et la facilité d’accès financière des établissementsde soins. Cette ambition de rationalisation concerne l’offre de soins publique et privée,et cherche à faire en sorte que la carte sanitaire du pays soit complémentaire, à définirles missions de l’hôpital par rapport aux réseaux et aux filières de soins, et à rendrela gestion des établissements plus performante afin de les rendre autonomes. Dans lapoursuite de ces objectifs, une stratégie semble s’imposer comme de plus en plus pertinenteselon un rapport du Conseil Economique et Social de mai 2006 qui souligne que « l’unedes évolutions les plus importantes de ces cinq dernières années est l’importance dela coopération décentralisée réalisée par les collectivités territoriales et les structureshospitalières, estimée selon le rapport Talpain à 330 millions d’euros en 2004 »39.

2.2. …Qui nécessitent une aide repenséeLa coopération décentralisée se déroule dans le cadre de l’aide bilatérale, et semble la plusadaptée dans la mise en application de ces stratégies. Pour obtenir ces différents objectifs,l’aide bilatérale a recours à différents instruments : l’aide sectorielle, l’aide projet consacrée àun projet spécifique comme les ressources humaines, la sécurité sociale, les établissementsde soin, et l’appui à des initiatives à la société civile.

Au Nord comme au Sud, la société civile occupe une place de plus en plus importantedans le champ de la santé. Qu’il s’agisse du concept de « démocratie sanitaire »40,qui fait désormais partie du dispositif législatif français, ou de la notion de participation

38 www.diplomatie.gouv.fr « Action de la France »39 Rapport Conseil Economique et Social op.cit.40 Cf. loi du 4 mars 2002 «relative aux droits des malades et à la qualité des systèmes de santé », Droit des malades. Vers

une démocratie sanitaire ? Michèle GUILLAULE-HOFNUNG, Problèmes politiques et sociaux, La Documentation française, 2003.

Page 19: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 19

communautaire à la gestion des centres de santé relancée par l’initiative de Bamako41 dansles pays en développement, il semble aujourd’hui impossible d’intervenir en matière desanté sans impliquer les usagers des systèmes de soins, les associations de malades, oules collectivités locales.

La pandémie de VIH/SIDA, par son ampleur et son impact sur le tissu social aégalement entraîné une mobilisation sans précédent des associations, pour interpeller lespouvoirs publics, pour revendiquer des droits et appeler l’attention des pouvoirs publics surle sort des personnes le plus exposées au virus et sur celui des exclus. Ces associationsagissent également de façon conjointe avec les pouvoirs publics, dans le but d’améliorerla prise en charge des personnes vivant avec le VIH/SIDA, et de transformer la perceptionque la société a de la maladie.

Les associations, dont le nombres’accroît encore, produisent « une ‘nébuleuse’ destructures souvent locales »,42 et elles ont changé. « Les associations qui se cantonnaientjusqu’ici à un rôle d’auxiliaire médical se mêlent aujourd’hui des questions qui relevaientjadis de la seule compétence des médecins et des chercheurs. Avec le sida, ellesont fait une entrée remarquée sur le terrain de la recherche médicale en s’imposantcomme les représentants de l’intérêt des malades dans des domaines aussi pointus quel’élaboration des essais thérapeutiques ou la définition des critères d’accès aux nouveauxmédicaments »43.

Ainsi, le défi qui se pose actuellement aux politiques internationales de lutte contre lesida est de se réinventer, d’impliquer et d’associer tous les acteurs : « Il faut changer la luttecontre le sida, pour lui donner un nouveau souffle. Il ne s’agit pas seulement de faire plus, ilfaut faire mieux ». Cette injonction de « faire mieux » de Gilles Alfonsi pourrait se concrétiserdans une volonté d’englober toutes les nébuleuses d’acteurs impliqués dans leur diversité,de réguler leur interaction et de favoriser une action en commun, afin de créer une véritablesynergie. Cette nouvelle politique sanitaire pour l’international pourrait être incarnée parles réseaux de santé qui, initiés par l’Etat qui conserve son rôle central, permettent uneapproche transversale, et permettent un vrai travail en commun entre les institutions, lesacteurs de santé et les patients. Cette mise en réseau constitue une forme de coopérationdécentralisée44 qui semble la plus à même de favoriser une action cohérente et efficace enmatière de coopération sanitaire internationale.

Chapitre 2 : La coopération décentralisée commeprocessus de transition et de transmission

Nous avons choisit de travailler dans le présent de travail sur la coopération hospitalière,postulant que cette forme de coopération représente bien une coopération décentralisée,malgré la définition restreinte que donne la France à ce dispositif. En effet, deux définitions

41 L’initiative de Bamako, adoptée en 1988, avait pour but de renforcer l’équité d’accès aux soins.42 Sociologie du sida, C. THIAUDIERE, Repères, Editions La découverte, Paris, 2002.43 Les malades en mouvements, la médecine et la science à l’épreuve du sida, J. BAARBOT, Editions Balland, Paris, 2002.44 Il convient de rappeler que tous les occurrences de l’expression « coopération décentralisée » dans ce travail font référence

la conception européenne du terme.

Page 20: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

20 BADIN Julie_2007

de la coopération décentralisée coexistent, selon que l’on se place dans une perspectivefrançaise ou européenne. Dans le premier cas, seules les collectivités locales élues ausuffrage universel, donc les communautés de communes, les départements et les régions,peuvent être impliquées dans des actions de coopération décentralisée. Dans le secondcas, qui sera retenu dans ce travail, tous les acteurs non étatiques peuvent mener desactions de coopération décentralisée. Cette forme de coopération décentralisée représenteune « troisième voie » entre l’engagement multilatéral et bilatéral : elle est caractérisée parune mobilisation d’acteurs variés, tels que les hôpitaux, les universités, les associations…qui, bien implantés dans le tissu local, agissent sous l’égide de collectivités territoriales.

Loin de se surajouter à ces deux formes d’aides, la coopération décentralisée vientbien au contraire les approfondir tout en explorant des voies nouvelles et complémentaires45

pour améliorer leur efficacité.En étudiant cette coopération décentralisée dans le domaine sanitaire en nous

appuyant sur l’exemple de l’action de la France dans la lutte contre le sida, nous partons duprincipe que cette lutte relève directement de l’Etat, acteur central qui donne l’impulsion à lacoopération, qui est ensuite relayée aux mains de « toute une série d’institutions, d’individuset de groupes [qui] se saisissent localement du problème […] et entreprennent de concevoirdes réponses tant dans le domaine de la prise en charge que de la prévention »46. Il nes’agit donc pas de revenir sur « l’action incitative et constitutive de l’Etat »47, mais de revenirsur sa tendance récente, dont la démarche consiste moins à définir des principes d’actionset des normes, qu’à instituer des dispositifs et des règles permettant de réunir localementtous ceux qui sont concernés par la gestion d’un problème public, de manière à ce qu’ilsdéfinissent eux-mêmes les principes et les normes qui vont guider leur action »48.

1/ La coopération hospitalière, fer de lance de la coopérationdécentralisée dans le domaine sanitaire.

Face à une situation sanitaire mondiale qui s’aggrave, Marc Gentilini dans son avis rendu auConseil Economique en 2006 sur la coopération sanitaire dans les pays en développementen appelle à « la mise en place immédiate face à la carence en ressources humaines dansces pays, du renforcement de l’aide à l’action, à la formation et à la recherche, non pasune coopération de substitution mais par un partenariat vrai.49 ». Il insiste sur le savoir-faire français en matière de coopération qu’il faut diffuser pour réduire la fracture sanitairequi entrave le développement et déstabilise les sociétés50, savoir faire qui devrait conduirela France « à lancer une politique de coopération technique exemplaire, répondant auxbesoins des populations des pays du Sud, aux souhaits des responsables et attractive pourles personnes souhaitant s’engager dans la coopération ».

45 La coopération décentralisée : pratiques, acteurs, procédures, guide d’information : l’appui aux initiatives des collectivitésterritoriales, I. BOINVILLIERS, 1996. Editions du Gret, Paris

46 Les politiques locales de lutte contre le sida, une analyse de trois départements français, avec la collaboration de P. LONCLE-MORICEAU et C. ARROUET, 1998, L’Harmattan.

47 Idem48 Idem

49 La coopération sanitaire dans les pays en développement, avis de Marc GENTILINI au Conseil Economique et Socil, 2006.50 Idem

Page 21: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 21

La coopération hospitalière s’impose dès lors comme instrument naturel del’intervention de la France dans le domaine sanitaire : « l’utilisation du concept de co-développement51, la coordination et la coopération décentralisée devraient être pris encompte dans la mise en place des programmes d’appui centrés sur les besoins expriméspar les populations52 ». Ces injonctions font écho à la réforme du dispositif de coopérationfrançais qui a eu lieu en 1998, qui allaient déjà dans le sens d’une reconnaissance pluslarge et moins élitiste des acteurs et plus proche du terrain de la coopération qui semblen’avoir été appliquée dans les faits que récemment.

L’hôpital, acteur de coopération internationale et opérateur de coopérationbilatérale.Le savoir faire concentré dans les hôpitaux français est quantitativement très important etdiversifié. L’hôpital est « un objet de fierté au cœur de l’excellence française […] illustréepar l’éloge de l’OMS en 2005 en faveur ‘du meilleur système de santé du monde’ ».53

Mille hôpitaux publics, sur un total de 3 800 établissements de soins emploient plusde 800 000 personnes. Le secteur hospitalier français regroupe un potentiel exceptionneld’expertise technique, de compétences médicales et de ressources humaines. Dans cesconditions, il est logique que le système hospitalier soit présent dans le domaine de lacoopération internationale et de l’aide au développement.

Les liens étroits entretenus avec les universités et les écoles professionnelles, larecherche et le secteur industriel renforcent encore davantage la compétence et la savoirfaire du système hospitalier français. Cette compétence hospitalière est surtout trèsdiversifiée : savoir faire médicale et clinique, soins infirmiers et techniques paramédicales,administration et gestion hospitalières, génie biomédical et ingénierie hospitalière sont lesprincipales compétences que maîtrise l’hôpital public français.

La participation des hôpitaux français à des actions de coopération est active etancienne, mais elle ne concernait jusqu’à une période récente que les grands hôpitaux et laformation médicale. Au-delà de la formation des médecins et des échanges universitaires,les hôpitaux montrent aujourd’hui leur ouverture sur l’extérieur par les nombreux échangesqu’ils entretiennent avec les partenaires étrangers, dans tous les domaines d’activité del’hôpital.

Cette coopération institutionnelle a reçu une consécration législative avec la loihospitalière du 31 juillet 1991 qui autorise les hôpitaux à signer des conventions et àentreprendre des partenariats sur le plan international.

« Dans le cadre des missions qui leur sont imparties et dans les conditions définies parvoie réglementaire, les établissements publics de santé peuvent participer à des actions decoopération, u compris internationales, avec des personnes de droit public et privé. Pourla poursuite de ces actions, ils peuvent signer des conventions, participer à des syndicatsinter-hospitaliers et à des groupements d’intérêt public ou à des groupements d’intérêtéconomique. Pour ces actions de coopération internationale, les établissement publics de

51 Cf. glossaire52 Idem

53 Revue Esprit, « Silence, on bouge ! », article de François CREMIEUX, janvier 2007.

Page 22: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

22 BADIN Julie_2007

santé peuvent également signer des conventions avec des personnes de droit public et

privé, dans le respect des engagements internationaux souscrits par l’Etat français » 54 .

Depuis cette loi, les hôpitaux publics : se sont progressivement dotés de services derelations internationales, et engagent des actions avec d’autres pays européens et nord-américains, mais c’est surtout l’aide au développement et la coopération avec les pays duSud qui sont privilégiés.

Ces partenariats de développent d’abord avec l’Afrique du Nord et l’AfriqueSubsaharienne : le continent africain représente en effet plus de 60% des accordscoopérations passés avec les hôpitaux, bien qu’on remarque depuis le milieu des années90 un développement important des actions d’échange et de coopération vers l’EuropeCentrale et Orientale, notamment vers la Roumanie et la Pologne. Les actions avec lesautres régions du monde, l’Asie et l’Amérique Latine demeurent relativement limitées.

Le Ministère des Affaires Etrangères qui définit un cahier des charges avec des critèresd’éligibilités afin de sélectionner les programmes qui lui sont présentés pour mettre enplace des partenariats hospitaliers : favoriser des liens durables entre les hôpitaux françaiset étranger, en s’inscrivant d’une part dans le projet d’établissement de l’hôpital français,d’autre part dans la politique de coopération française en matière de santé ;contribuer audéveloppement et à la formation du personnel hospitalier, avoir un projet précis et cibléd’une durée de trois ans évalué tous les trois ans, un cofinancement paritaire entre l’hôpitalfrançais et les pouvoirs publics avec un apport du ministère limité à 15 245 euros par an.

C’est dans le champ de l’aide au développement que l’on a le plus souvent recoursà cette forme de coopération. En effet, en ce qui concerne les coopérations hospitalièresentre pays du Nord, elles sont encore assez rares et difficiles à mettre en place : « Il estparadoxalement plus facile de coopérer avec Madagascar, le Laos ou l’Algérie qu’avec nosvoisins immédiats » selon le directeur général des Hôpitaux Universitaires de StrasbourgPaul Castel, « car il faut mettre en place une coopération ‘donnant/donnant’, mais lesdifférences entre les systèmes de santé entravent souvent ces développements ».55

Dans les actions de coopération au développement, le recours à l’hôpital est légitiméen plus de l’apport strictement médical, par toutes les compétences maîtrisées par leshôpitaux des pays Nord. Par exemple, en matière de ressources humaines, technologiqueset logistiques, l’hôpital peut intervenir dans de nombreuses actions transversales portantsur la formation et l’assistance technique.

1.1. Les motivations d’un engagement dans une coopération hospitalièreEn ce qui concerne les pays du Sud, les raisons d’un engagement dans une telle coopérationse fondent sur une volonté d’améliorer la qualité des prestations et l’organisation de certainsservices, en revanche, pour les pays du Nord, les raisons d’un engagement dans unecoopération hospitalière internationale ne vont pas de soi : le projet dépend très largementd’une volonté politique et stratégique, et d’un minimum d’adéquation et de comparaisonpossible entre les structures amenées à collaborer. Elle est également déterminée par descontraintes budgétaires et organisationnelles.

54 Article L6134-1 du Code de la santé publique.55 Hôpital et Europe : la coopération européenne dans le domaine hospitalier : initiatives, exemples, limites, D. DURAND de

BOUSINGEN, Revue Sève, été 2004.

Page 23: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 23

Néanmoins, il existe de nombreux arguments en faveur d’une coopération hospitalière.Du point de vue de l’hôpital du français, l’objectif principal d’une coopération internationaleest de pouvoir exporter et de promouvoir à l’échelle internationale son expertise, et dansune certaine mesure son image56. Elle permet également de parvenir à une collaborationefficace avec les pays et les organismes partenaires : plus la collaboration est baséesur des politiques d’actions concrètes définies par des professionnels de santé, plus ellesera efficace et entraînera par conséquent une coopération forte et durable entre les deuxpartenaires.

Un autre objectif peut être de mettre les personnels hospitaliers au contact de cultureset de pratiques professionnelles différentes des leurs57. En effet, l’exercice de la médecineou de la gestion hospitalière dans des contextes différents permet de relativiser ses proprespratiques, que ce soit dans un environnement difficile qui ne bénéficie pas d’une technologieavancée ou avec un partenaire qui de moyens comparables ou supérieurs, mais dontles méthodes de travail et l’expertise ont fait leurs preuves. « L’exercice de la médecinedans les pays en développement permet notamment de relativiser l’importance de l’arsenaldiagnostique et thérapeutique utilisé pour soigner certaines pathologies »58.

Le dernier objectif à noter est qu’il s’agit pour les hôpitaux de saisir l’opportunitéd’être une force de proposition et de participer ainsi à la définition des politiques et àla prise de décisions dans le domaine sanitaire et social : « La France possède unavantage comparatif international indéniable dans de nombreux domaines médicaux, dansla recherche scientifique, en particulier en ce qui concerne les maladies les plus meurtrièresdes pays en développement : sida, paludisme, tuberculose »59. Ainsi, l’implication del’hôpital à une coopération sanitaire permet d’impulser des politiques publiques à partir d’uneexpérience concrète du terrain, et plus au niveau strictement politique dans une approcheverticale et hiérarchique de l’action publique.

Enfin, une coopération hospitalière permet d’apporter une nouvelle dynamique à unpartenariat entre collectivités en intégrant une dimension hospitalière à une coopérationexistante : c’est pourquoi l’origine des projets de coopération hospitalière s’explique dansla majorité des cas par les liens qui existent entre les régions ou les villes dans lesquellesont lieu le partenariat : les relations de partenariat entre les villes ou les régions débouchentsouvent sur des actions de coopération hospitalières, mais elle peut aussi trouver sonorigine dans la relation préexistante entre des médecins ou services médicaux des hôpitaux.

On peut également ajouter qu’une coopération hospitalière apporte une véritablecohérence et une visibilité à la stratégie internationale mise en place, en y intégrant unedimension institutionnelle forte car les hôpitaux sont le principal interlocuteur public auniveau local.

1.2 Les résultats escomptés d’une telle coopérationUn tel dispositif de coopération n’a de sens que parce que l’hôpital français, et toutparticulièrement la prise en charge des personnes vivant avec le VIH en France fait l’objet

56 Rapport sur la coopération hospitalière internationale, Fédération Hospitalière de France, Juin 2004.57 Idem58 Guide de la coopération hospitalière pour le développement, sous la direction de P. MORDELET, Editions de l’ENSP, 1997.59 Rapport de la Commission Nationale de la Coopération Décentralisée « Coopération décentralisée et coopération

internationale dans le domaine sanitaire », 2003.

Page 24: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

24 BADIN Julie_2007

d’amélioration régulière. La portée de ces améliorations atteindra son véritable impact ense diffusant aux pays du Sud qui totalisent 90% des personnes infectées60. Il convient doncde faire un point sur la façon dont la façon d’appréhender le VIH en France.

La prise en charge des personnes vivant avec le VIH a beaucoup évolué en France.Elle se globalise, et associe dorénavant les aspects thérapeutiques et les approchespsychologiques, préventives et sociales, sur le mode du réseau que l’on a déjà évoquéprécedemment. Pour cette raison aujourd’hui, de nombreuses catégories professionnellesinterviennent à côté du spécialiste et contribue au suivi des patients infectés. « A côtédes médecins, les psychologues, assistantes sociales et associations de patients jouentun rôle important, notamment en ce qui concerne l’adhésion au traitement, qui est lacondition nécessaire au succès thérapeutique mais rendue difficile pour le patient du faitdes contraintes liées aux médicaments et éventuellement au contexte psychologique etsocial »61.

Ce sont ces deux avancées : l’évolution de la prise en charge du VIH, marquée par lesprogrès thérapeutiques et une approche globalisée qui méritent d’être exportées à travers lacoopération hospitalière, pour participer à l’aide au développement française dans le secteurde la santé.

Cependant, malgré les moyens fournis dans le cadre de l’aide au développement,les résultats obtenus étaient jugés « assez décevants au regard des objectifs affichés etdes moyens fournis »62 et rejoignent les constats formulés sur les dysfonctionnements desystèmes hospitaliers dans les pays du Sud. Les systèmes hospitaliers des pays du Sudsont critiqués sur différents points: leurs conditions de fonctionnements défectueuses nepermettent pas d’assurer la fiabilité des services, de garantir un accès équitable aux patientset de motiver le personnel. De plus, ils ont des coûts de fonctionnement trop élevés, à lafois pour le budget des ministères et pour les patients, du fait d’une mauvaise gestion despersonnels et du matériel.

Une autre des critiques qui ont étés adressées à cette forme de coopération estqu’ « elle est relativement cloisonnée : les hôpitaux appuyés par la coopération françaisene parviennent pas à jouer leur rôle d’établissement de référence au sein des programmesde santé publique. Ils ne participent pas assez à la formation initiale et continue desprofessionnels de santé »63.

Les constats de personnels de santé ayants participé à de telles expériences sontassez négatifs : « La mise en place de politiques hospitalières se heurte à l’inertie desadministrations locales et à l’absence de réelle volonté politique sur ces questions »64.

Le constat que fait Patrick Mordelet en 1997 dans son ouvrage « La coopérationhospitalière et l’aide au développement » est assez nuancé:

La politique d’assistance technique n’a pas accompli sa nécessaire mutation.L’assistance technique reste un outil privilégié mais vieillissant. Elle a représenté entre 1987et 1997 plus de deux tiers des crédits du ministère de la coopération consacrés au secteur

60 Rapport de l’ONUSIDA 2006 op.cit.61 Rapport sur la prise en charge médicale des personnes infectées par le VIH, sous la direction du Professeur P. YENI, 2006.

Médecines Sciences- Flammarion.62 Idem63 La coopération hospitalière dans l’aide au développement, P. MORDELET, 1997.64 Idem

Page 25: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 25

hospitalier. Les assistants techniques dans le secteur hospitalier occupent une fonction desubstitution, mais la question d’une relève locale de qualité au terme de leur mandat nefait pas partie d’une stratégie cohérente. La réduction programmée de la substitution aconsisté à placer les coopérants dans des positions de conseillers qui ne correspondent niaux situations qu’ils rencontrent, ni aux attentes des partenaires.

Il apparaît dans les constats en demi-teinte des coopérations hospitalières que cedispositif, bien qu’ingénieux ne remplisse pas les objectifs qui lui avaient étés assignés :en effet, bien que l’hôpital soit un élément incontournable d’une politique de santé, unecoopération qui ne se baserait que sur cette seule unité n’a que peu de chances de succès.

1.3 La nécessité de dépasser le simple partenariat hospitalierCes partenariats hospitaliers ne doivent pas être écartés pour autant, car ils répondent à unvéritable besoin des pays du Sud. Or, dans la coopération avec les pays en développement,les activités hospitalières ont une place très modeste dans les priorités définies par lesbailleurs de fonds internationaux et les grands organismes de coopération. « Si la prioritéest aux actions de santé publique, il appartient à l’hôpital des pays industrialisés d’intervenirdans le secteur de la santé publique, en utilisant toutes ses compétences médicales,administratives, financières et techniques »65. Cette coopération indispensable a cependantbesoin d’être perfectionnée afin de gagner en efficacité.

De plus, ce mode de coopération, développé sur la base de relations interpersonnellesentre professionnelles de santé souffre d’un manque de visibilité et de financement.

Enfin, d’après le rapport de la Fédération Hospitalière de France66 « les partenariatshospitaliers manquent de cohérence, trop d’actions sont encore interrompues en raison d’unmanque de moyens financiers et du désengagement des acteurs ».

a. Un dispositif ingénieux mais incompletSi les jugements portés sur les actions de coopération hospitalières menées étaientgénéralement très positifs, les hôpitaux seuls rencontrent pourtant de nombreuses difficultésdans la conduite de leurs actions, tenant notamment au financement des actions decoopération, à l’absence d’interlocuteurs, au manque de coordination, et surtout au manquede connaissance du fonctionnement de la coopération. Les acteurs de ces coopérationsrencontrent des barrières culturelles et linguistiques, des problèmes administratifs etréglementaires et des difficultés dans la gestion de projet : d’adaptation des ambitionsaux terrain, un manque de cohérence des actions menées avec les réalités du terrain,manque d’adaptation des formations proposées par les personnels envoyés dans lespays partenaires, une trop grande disparité dans les pratiques…, et enfin des problèmesfinanciers. Le montage

Ces difficultés émanaient d’une maîtrise insuffisante de l’organisation et dufonctionnement de la coopération internationale : il n’existe aucun texte de portée généralepour réglementer la coopération hospitalière, pour guider les acteurs qui souhaiteraients’engager dans une telle coopération. En effet, l’aide au développement répond à des règlesdu jeu complexes, qui font intervenir une multitude d’acteurs et de financeurs. Les actionsde coopération étaient entreprises par les hôpitaux sans une connaissance suffisante du

65 Rapport du député Morange au Premier Ministre sur la coopération sanitaire française, 200466 Rapport sur la coopération hospitalière internationale, Fédération Hospitalière de France (FHF), 2001.

Page 26: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

26 BADIN Julie_2007

monde de la coopération, des possibilités de financement, et des différents partenairespublics et privés, chargé d’organiser sur le plan bilatéral la coopération internationale etl’aide au développement.

b. La collaboration avec les autres acteurs de la coopérationL’hôpital bénéficie de nombreuses compétences qui lui permettent de répondre aux projetsde coopération, cependant il lui manque certaines expertises pour entreprendre le plusefficacement possible et avec les plus grandes chances de succès des programmescohérents et complets.

Il lui faut pour maximiser ses interventions dans le cadre de coopération avec lespays du Sud s’associer à d’autres acteurs. Les universités et les centres de recherche, quidisposent de l’outil pédagogique pour assurer la formation initiale et continue des médecinset des cliniciens doivent elles aussi participer à l’effort de coopération car la formation despersonnels et la pénurie de ressources humaines sont les deux axes prioritaires dans lacoopération sanitaire avec les pays du Sud.

La collaboration avec les organisations non gouvernementales françaises et des payspartenaires (ONG) permet à l’hôpital de s’associer avec des organismes spécialistes del’aide au développement. La coopération et le développement sont le « métier » de l’ONGqui connaîtra les rouages, les repères et les réseaux du monde de la coopération. Dans cettesituation, l’hôpital sera le référent en matière de santé, celui qui maîtrise les techniques etles arcanes hospitalières, mais qui est souvent dépourvu quand il est confronté au contextesocio-économique du pays avec lequel il entretient une coopération.

En effet, l’hôpital français qui signe un accord de coopération avec un hôpital ou desservices de santé d’un pays du Sud va être confronté à une situation socio-économiquedifférente de celle qu’il connaît en France : les personnels ont besoin d’une expertise par desprofessionnels des besoins, et des lacunes de la prise en charge du pays partenaire. Dansces conditions, il apparaît évident qu’un partenariat avec un professionnel de la coopérations’impose.

En plus de cette indispensable collaboration avec des organes de coopération apparaîtla nécessité d’une approche plus globale de la santé.

2/ Le réseau Esther, une initiative pionnière

Page 27: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 27

« Les réseaux de santé ont pour objectif de favoriser l’accès aux soins, la coordination,la continuité, la coordination, ou l’interdisciplinarité des prises en charges sanitaires,notamment celles qui sont spécifiques à certaines populations, pathologies ou activitéssanitaires. Ils assurent une prise en charge adaptée aux besoins de la personne, tant surle plan de l’éducation à la santé, de la prévention, du diagnostic que des soins »67.

2.1- Présentation du GIP Esther

Dès 1997, lors de la 10ème conférence internationale sur le sida et les maladiestransmissibles à Abidjan, Jaques Chirac a défendu avec détermination l’égalité d’accèsaux soins en matière de lutte contre le sida: "Nous n'avons pas le droit d'accepter qu'il yait désormais deux façons de lutter contre le sida: en traitant les maladies dans les paysdéveloppée, en prévenant simplement les contaminations dans les pays du Sud". De cettedéclaration naîtra le Fonds de Solidarité Thérapeutique International (FSTI), dont le but étaitde démontrer la nécessité de mener une politique de traitement aux côtés des programmesde prévention sida, et la faisabilité de la prise en charge thérapeutique des malades du sida

67 Traité pratique des réseaux de santé, sous la direction de S. BARRE, Editions Berger- LEVRAULT, 2005.

Page 28: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

28 BADIN Julie_2007

dans les pays de la Zone de Solidarité Prioritaire (ZSP). Devenu opérationnel en avril 1999,cinq programmes ont étés mis en place en Côte d’Ivoire, au Maroc, au Sénégal, en Afriquedu Sud et au Bénin.

A partir de 2002, il a été remplacé par une nouvelle initiative : « Ensemble pour uneSolidarité Thérapeutique Hospitalière En Réseau » (ESTHER) qui a débuté au Sénégal.ESTHER travaille essentiellement à travers des partenariats avec les gouvernements,les hôpitaux et les associations. Son but est de promouvoir, renforcer et développer lescapacités –tant en ressources humaines qu'en équipement- des personnes vivant avec lesVIH/sida, ainsi que d'appuyer les dispositifs locaux de prévention.

Depuis juillet 2002, Esther s’est organisée en GIP pour assurer la pérennité de sonaction, le siège du GIP à Paris fonctionne autour d’un groupe permanent de 23 personnes,notamment composé des 10 chargés pays, une personne chargée de la veille sanitaire etscientifique, un chargé de la continuité des réseaux sociaux et de la continuité des soins,un chargé formation et une personne chargée de la relation avec les hôpitaux.

L'action du GIP Esther est reconnue au niveau national: elle est soutenue par lesMinistères de la Santé de Jeunesse et Sports, des Affaires Etrangères, et de la Coopération,qui sont ses ministères de tutelle, et par l'ambassadeur SIDA; au niveau international : desaccords ont étés signés en 2004 avec l'Organisation Mondiale pour la santé (OMS) et leFonds Mondial; et au niveau européen: huit pays ont déjà rejoint le réseau: l'Espagne, l'Italie,et le Luxembourg en 2002, l'Allemagne, l'Autriche, la Belgique et le Portugal en 2004. LePortugal et la Grèce devraient rejoindre le réseau prochainement.

La vocation du G.I.P est d’appuyer les partenariats existants dans le domaine de la luttecontre le sida en améliorant les conditions de prise en charge des malades, en appuyant lesstratégies déjà mises en œuvre dans le cadre national, en promouvant et en appuyant unestratégie de continuité des soins, et participant à des actions conjointes avec les organismesinternationaux et européens68.

Les accords sont mis en place dans un premier temps par le Ministère de la Santéfrançais qui signe des accords avec ses homologues de pays du Sud. Ensuite, lespartenaires techniques vont concevoir et rédiger les projets. Puis, des conventions sontsignées entre les établissements de santé et les associations. Enfin, des conventionsfinancières sont établies pour la mise en œuvre du projet. Il a été accordé en 2005 au G.I.PESTHER un budget de 20 millions d’euros pour trois ans.

Parallèlement à ces actions de soins, d’autres actions sont menées pour renforcer laprogression de l’ensemble des systèmes de santé des pays concernés. Ainsi, sont menésconjointement deux actions : l’appui institutionnel aux ministères de la Santé des pays duSud, et l’organisation de l’offre. En effet, il a été constaté que les systèmes de santé des paysdu Sud manquent de moyens à la disposition des acteurs de la santé, ainsi qu’une allocationde ces moyens inefficace. Cependant, c’est avant tout le déficit en ressources humainesqui pose le plus de problème. Par son intervention le GIP ESTHER vise à développerdes partenariats afin de participer à la formation des personnels des pays du Sud afinde développer l’efficacité de la prise en charge des personnes vivant avec le VIH, ouquand des collaborations existaient déjà, à les renforcer : concrètement, il s’agit d’organiserdes missions d’appui technique aux personnels médicaux et extra médicaux, ainsi quedes échanges d’expériences sur les problématiques de la prise en charge médicale etpsychosociale.

68 Entretien avec Madame Florence CAVAILLE, directrice des relations internationales des Hospices Civils de Lyon,

Page 29: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 29

2.2. Un exemple de l’articulation entre l’action des acteurs nongouvernementaux et la politique de coopération bilatérale de l’Etat

« Quand Esther a été lancé, nous avons décidé d’assumer un rôle de pionnieren choisissant de promouvoir une prise en charge globale : médicale etpsychosociale, quand la plupart des pays dits développés s’en tenaient à laprévention. Nous avons décidé de travailler sur la prévention, le traitement, lesoin et le continuum du soin »69.

Cette volonté de traiter le problème de façon globale fait l’originalité du projet Esther, etle distingue d’autres interventions qui se spécialisent souvent et historiquement, soit surla prévention, soit sur l’accompagnement social, soit sur le traitement ARV, comme parexemple le Fonds Mondial.

Cette stratégie globale consiste à créer un réseau d’action publique, plus ou moinsconforme à la définition qu’en fait Patrick Le Gales dans son ouvrage « Les réseaux depolitiques publiques »70 : « dans un environnement complexe, les réseaux sont le résultatde coopérations plus ou moins stable, non hiérarchique, entre des organisations qui seconnaissent, négocient et échangent des ressources et peuvent partager des normes etdes intérêts. Ces réseaux jouent alors un rôle déterminant dans […] la décision et la miseen place de l’action publique ».

L’importance des réseaux ne remet pourtant pas en cause l’importance de l’Etat : ilest devenu « plus modeste, plus fragmenté, et la société est devenue plus compliquée, etdes changements externes […] sont venus profondément perturber [son] fonctionnementet ses relations avec d’autres organisations71 » mais reste un acteur incontournable de lacoopération. En effet, dans le cas du GIP Esther, ce sont les Etats qui sont à l’initiative de cescoopérations : elles sont initiées par la signature d’un accord-cadre signé par les ministresde la santé, ensuite ce sont les partenaires techniques qui vont concevoir et rédiger lesprojets en définissant une stratégie pays. Le rôle d’Esther est de recenser les difficultésrencontrées dans la lutte contre le VIH/sida dans le pays partenaire, de recenser les acteurslors d’une mission exploratoire, et une fois que les conventions sont signées, sa tâche serade mettre en oeuvre un « réseautage »72 entre les acteurs impliqués. L’initiative n’atteindrales objectifs escomptés que si elle arrive à mobiliser la totalité des acteurs, quelle que soitleur discipline, et des structures qui interviennent dans la prise en charge du VIH/sida, àfaire en sorte que les stratégies concurrentes entre les différentes organisations deviennentcomplémentaires dans l’intéraction.

2.3- Les défis d’un réseau de santé

69 Cf. Annexe n°4 :Discours prononcé par Bernard KOUCHNER, président du GIP Esther lors de la journée Esther du 28

mars 2007 réunissant les partenaires du Sud.70 Les réseaux de politiques publiques, débat autour des policy network, sous la direction de P. LE GALES et M. TTHATCHER,

1995. L’Harmattan.71 Idem72 Terme employé par Sakina AZNAG, chargée de projet Esther Maroc, lors d’un entretien dans les locaux du GIP Esther

le 18 juin 2007.

Page 30: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

30 BADIN Julie_2007

Dans un « Dialogue sur la nature humaine »73, Boris Cyrulnik et Edgar Morin échangentsur la nature des enjeux de la mise en relation des acteurs à l’intérieur d’un système. BorisCyrulnik commente

Lorsqu’on observe la place de l’homme dans le vivant, on arrive à la conclusionque l’homme ne peut plus penser seul, qu’il est obligé de s’entourer d’uneéquipe. Le piège de la pensée serait de faire […] une sorte d’œcuménisme desgenres. Ce n’est pas du tout cela ! Il s’agit d’associer des gens de disciplinesdiverses, pour éclairer un même objet différemment. Chacun reste ce qu’ilest, simplement il doit apprendre à parler avec l’autre. Le biologiste restele biologiste, mais il peut trouver une passerelle et trouver la richesse d’unpsychanalyste ou d’un sociologue.

Ce à quoi Edgar Morin répond :Mais il y a besoin d’un long commerce pour que l’interdisciplinarité devienneféconde ; sinon, un peu comme à l’ONU, chacun voudra défendre sa frontièreet son territoire ! […]On finit par croire que les frontières artificielles entre lesdisciplines sont les frontières qui correspondent à la réalité […] on a développéles techniques dans tous les domaines en oubliant du même coup la réalité desêtres vivants […] je crois qu’on est encore loin d’avoir compris la nécessité derelier. Relier, relier, c’est sans doute le grand problème qui va se poser…

Cet échange reflète le défi que tentent de relever les réseaux actuellement dans le domainede la santé. Le principal défi est de relier des gens de disciplines, de culture, de méthodesdifférentes, à rendre compatible les systèmes de représentations qu’ont les acteurs de lamaladie, de l’individu qui souffre, de leur discipline, des différents systèmes de santé74.

La dimension de coopération qu’induit le fait de travailler en réseaux implique latransdisciplinarité et le décloisonnement des modes d’exercice : la pratique des médecinss’enrichit de l’expérience des associations, les associations prennent en charge leséléments de la maladie que l’hôpital ne peut ou ne veut prendre en charge…. Chaqueacteur apporte ses compétences spécifiques et son expérience de la maladie de manièrecomplémentaire, ce qui permet de tisser une cohérence qui permet une prise en chargeglobale de la personne.

Conclusion de la première partieDepuis quelques années, l’aide publique au développement fait l’objet de discussionsrenouvelées, tant chez les acteurs multilatéraux que bilatéraux, et dans les sociétés civiles.Elle a connu depuis plusieurs années une baisse substantielle, qui reflète les doutes desdécideurs et de l’opinion publique sur son efficacité : selon un sondage IFOP réalisé pourle Haut Commissariat à la Coopération Internationale (HCCI) en juillet 200675, les actionsà mener en priorités selon les personnes interrogées (45%) consistent à s’assurer que

73 Dialogue sur nature humaine, B. CYRULNIK et E. MORIN, Editions de l’Aube, 2000, cité sur le site Internet de l’association« Coordination nationale des réseaux de santé ».74 Cf. glossaire.75 Echantillon national représentatif de 1017 personnes âgées de 15 ans et plus. www.hcci.gouv.fr

Page 31: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 1 : La recherche d’un nouveau mode de cooperation

BADIN Julie_2007 31

« les moyens d’aide au développement soient utilisés correctement et efficacement », avantde « contribuer à assurer les besoins essentiels des populations pauvres » que citentseulement 28% des personnes sondées. Ces critiques amènent les décideurs politiquesà repenser l’aide au développement afin de la rendre plus efficace, et plus adaptée, carelle reste toutefois un domaine auquel les sociétés civiles sont très sensibles : « l’aide audéveloppement est de plus en plus sommée par les opinions publiques, travaillées par leurssociétés civiles dynamiques »76. L’aide apportée aux pays du Sud reste donc un axe auquelles sociétés sont sensibles, «les baromètres de la solidarité internationale sont là aussi pourmontrer que la perception par les français de l’action politique à l’égard des pays pauvresreste critique et beaucoup plus attentive que ce qu’on aurait pu imaginer »77. Ces politiques,pour tenir leurs promesses ambitieuses, doivent aujourd’hui s’inscrire dans un contexte demondialisation, en prenant en compte la multiplicité des acteurs de la coopération et sespécialiser, tout en conservant un acteur structurant pour éviter « le saupoudrage » quipourrait découler de cette multiplicité.

Ce changement induit donc une nouvelle conception des méthodes de coopération: laréforme du dispositif de coopération français en 1998 marque un tournant dans la façonde coopérer, avec la reconnaissance des coopérations décentralisées comme outil dela scène internationale, ou la reconnaissance de la multiplicité des acteurs de solidaritéinternationale. Le but est d’arriver à plus de cohérence dans l’action, et plus d’efficience.La coopération décentralisée en matière de santé illustre dès lors cette volonté de l’Etatde prendre en charge les questions de développement, tout en déléguant le caractèreconcret à des personnels compétents, en favorisant une action commune de tous les acteursimpliqués: désormais dans la coopération l’Etat se fait rouage du mécanisme.

76 Refonder l’aide au développement au XXIeme siècle, J.M. SEVERINO, in Critiques internationales, Volume 10, 2001/1.77 L’aide publique française au développement, op.cit.

Page 32: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

32 BADIN Julie_2007

Partie 2 : une action globale qui s'inscritdans un contexte local

Le GIP Esther a une vocation internationale : crée à l’initiative de Bernard Kouchner, actuelministre des Affaires Etrangères alors qu’il était ministre de la Santé en 2002, son objectifest de renforcer les capacités de pris en charge des personnes vivant avec le VIH dans lespays du Sud en initiant des partenariats qui permettent d’articuler la prise en charge autourde l’hôpital et des réseaux sociaux entre les personnels français et marocains, dans uneperspective de durée.

Ces coopérations se déroulent dans un cadre bilatéral, ce sont les acteurs politiques quiinitient les actions menées dans le cadre du GIP Esther et qui les financent intégralement,mais ces dernières sont ensuite déléguées aux mains des coopérants, des hôpitaux etdes associations qui auront une certaine latitude pour déterminer des projets à mener etdes modes d’actions à privilégier. Le GIP intervient donc sur des projets concertés, elleapporte une valeur ajoutée, elle vise à transmettre et diffuser un savoir faire en répondantaux problèmes spécifique que rencontre le pays partenaire dans la prise en charge duVIH/sida, dans le cadre d’une stratégie pays conçue pour apporter une valeur ajoutée auxprogrammes mis en place, par l’intermédiaire d’échanges entre hôpitaux et personnelsd’envoi de matériel. Le GIP Esther organise l’aide apportée aux pays partenaires par lebiais d’un réseau, sur un fonctionnement dynamique d’interaction dans le but de prendre encharge les personnes vivant avec le VIH de manière globale.

Chapitre 1 : Esther, une coopération sur le mode duréseau : etude de cas au Maroc

Contexte général du Maroc

Selon le dernier recensement datant de septembre 200478, le Maroc compte 29 891 708habitants. Il est considéré comme pays à revenu moyen inférieur, avec un PIB de 1 677 $ parhabitant en 2004. Le Maroc a été classé en 2005, au 126ème rang sur 177 pays, concernantl’Indice de Développement Humain (IDH). La constitution du pays a été amendée en 1996et a permis l’introduction d’un processus de libéralisation politique, et depuis 1999 avecl’intronisation du roi Mohammed VI en 1999 d’importantes réformes politiques et sociales ontété engagées. Comparée à ses voisins immédiats, et notamment à la Tunisie, l’économiemarocaine « piétine» : au cours de la dernière décennie, la croissance du produit intérieurbrut (PIB) du pays a systématiquement été inférieure à 3%. La dépense publique de santémarocaine consacrée aux secteurs sociaux : santé, infrastructures de base est nettementplus faible au Maroc (12% du PIB) que dans les autres pays méditerranéens : Tunisie,

78 Recensement réalisé par le Haut Commissariat au Plan en septembre 2004, www.hcp.ma

Page 33: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 33

Espagne, Grèce, Portugal qui y consacrent environ 20% de leur PIB en moyenne. Durantles quarante dernières années, le Maroc a réalisé d’importants progrès : la croissancedémographique est passée de 2, 51% en 1965 à 1,66% en 2005. L’espérance de vie à lanaissance est passée de 48 ans en 1967 à 70 ans en 2001, avec des niveaux de mortalitéqui ont diminué de façon drastique, comme l’illustrent les deux taux de mortalité infantile,passée de 132 pour mille en 1960 à 36, 6 pour mille quarante ans plus tard ; et de mortalitéinfanto juvénile est passée de 211 pour mille en 1960 à 46 pour mille en 2000.

Depuis la déclaration du premier cas de sida au Maroc, en 1986, 1990 cas cumulésont été recensés par la Direction de l’Epidémiologie et de la Lutte contre les Maladies(DELM) au 31 mars 2006. Si le Maroc est considéré actuellement comme un pays à faibleprévalence, plusieurs indicateurs font présager une augmentation rapide du nombre depersonnes touchées on dénombre une progression annuelle de 40% des nouveaux cas desida, et on estime entre 16 000 et 20 000 le nombre de personnes séropositives dans lepays, sans que ce chiffre soit une certitude, car le ministère de la Santé ne rend pas publicle nombre de personnes séropositives.

10% des personnes vivant avec le VIH ont besoin d’un traitement ARV. Celui-ci estdispensé à 60% de ces personnes en 2006, contre 38% en 2003. (En 2005 1 120 personnesétaient sous ARV- trithérapie). Le programme de lutte contre le SIDA a débuté en 1988. Ilest sous la responsabilité du service des infections sexuellement transmissibles (IST) /SIDAde la Direction de l’Epidémiologie et de la Lutte contre les Maladies, au niveau du Ministèrede la Santé. Les ARV ont été disponibles dès 1990 en monothérapie, à partir de 1999 entrithérapie, en partenariat avec le Fonds de Solidarité Thérapeutique Internationale (FSTI),ancêtre du GIP Esther.

Enfin, on dénombre six associations qui jouent un rôle majeur dans la lutte contre lesida au Maroc, dont l’Association de Lutte Contre le Sida, (ALCS), qui est l’interlocuteurprincipal du GIP Esther dans le domaine associatif :

Association de Lutte contre le Sida, ALCSAssociation Marocaine des Jeunes Contre le Sida, AMJCSLigue marocaine contre les MST, LM-MSTOrganisation panafricaine de lutte contre le sida, OPALSSOLEIL, association spécialisée dans le soutien des enfants affectés par le VIHL’association le Jour, dernière née des associations de lutte contre le sida marocaines,

et la première composée de personnes vivant avec le VIH.Le financement collectif de la santé ne concerne que 41% des dépenses globales de

santé. Depuis novembre 2005, les autorités ont introduit une assurance médicale obligatoirecensée offrir une couverture médicale à 7,8 millions de personnes (sur une populationtotale de 29, 8 millions de personnes), 16% seulement de la population souscrivent à uneassurance de santé (la plupart étant des citadins qui travaillent dans la fonction publique)79.Cette réforme s’inscrit dans le cadre d’une action inaugurée la même année par MohammedVI, qui vise à réduire la pauvreté et les inégalités afin d’améliorer le développement humaindu pays.

Pour remédier aux différents dysfonctionnements et pour améliorer la santé de lapopulation et assurer l'égalité dans l'accès aux soins, les pouvoirs publics ont entamé unénorme chantier de réforme portant sur la couverture médicale et le financement de la santé.

79 L’Economiste, quotidien marocain francophone, « AMO : questions pratiques à savoir », Edition 1997, 1 avril 2005.

Page 34: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

34 BADIN Julie_2007

La réforme du système de santé national et donc, la réforme hospitalière (développement dela planification stratégique, amélioration de la gestion hospitalière, amélioration de la qualitédes soins et des services) ont étés considérées dans le cadre du plan de développementéconomique et social (2000-2004).

C’est à cette occasion furent qu’ont étés créées les Directions Régionales des servicesde santé. La couverture médicale de base a pris corps, au niveau législatif, en novembre2002. Elle a pour objectif d’élargir l’accès des populations défavorisées aux soins de santéde base et le renforcement de la protection sociale par la mise en place d’un régimed’assistance médicale aux économiquement faibles (RAMED) et d’un régime d’assurancemaladie obligatoire (l’AMO).

1/ Les raisons d’un partenariatSelon le rapport de l’ONUSIDA de décembre 2005, « tout permet de croire que les épidémiesde sida se propageront encore dans les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord »80 :cette région fait partie avec l’Europe centrale et l’Asie centrale des « régions au profilcroissant le plus inquiétant »81. Bien que les taux de prévalence dans la région soient enrègle générale assez faible, les experts font le constat de la nécessité de mettre en place auplus vite dans la région des dispositifs complets de lutte contre le VIH82 » et décrit la situationcomme « le calme avant la tempête ». Pour Carol Jenkins et David Robalino, auteursd’une étude effectuée pour le compte de la Banque Mondiale sur le sujet, « les facteursde risque sont suffisamment évident pour justifier des investissements immédiats dans desprogrammes performants »83. Le rapport de l’ONUSIDA met également l’accent sur leslacunes structurelles dont souffrent les pays du Moyen-Orient et du Maghreb en matière desoin, notamment dans le suivi psychosocial et l’accompagnement : « les premières réponses[des pays du Moyen Orient et du Maghreb] à l’épidémie se sont principalement centrée surdes aspects médicaux du VIH et non sociaux ou économiques ».

Toutefois, malgré ce constat alarmant, il convient ici de préciser que ce sont sans doutel’intensité des échanges qui unissent la France et le Maroc dans de très nombreux domainesqui sont à l’origine de l’engagement aussi massif de la France au Maroc : en effet, selon unautre rapport de l’ONUSIDA/OMS daté de novembre 2006, l’Afrique du Nord et le MoyenOrient le nombre des personnes vivant avec le VIH s’élèvent à 460 000 personnes, contre24, 7 millions en Afrique Subsaharienne, ou 7, 8 millions de personnes en Asie du Sud etdu Sud Est.

De plus, en étudiant la prévalence de la région, on constate que dans les autrespays dans lesquels la prévalence de l’épidémie de sida est très proche, il n’y a pas lamême intensité dans les échanges : le Maroc est le seul pays de la région à bénéficierde l’intervention du GIP Esther, alors que l’Algérie, la Tunisie, l’Iran, la Libye, le Koweït, leYémen et le Qatar font partie des pays, avec le Maroc ou l’on observe une progressionrégulière du nombre de cas. Cependant il est difficile de déterminer si cette intensité est dueà une volonté donner un signe politique fort à un partenaire de longue date, ou s’il s’agit

80 Le point sur l’épidémie de sida : décembre 2005, www.unaids.org .81 Sida et développement, un enjeu mondial, V. TOUZE, département des études de l’OFCE, THEMA, Institut d’études politiquesde Lille.82 Idem83 Le Sida au Moyen Orient et en Afrique du Nord, les coûts de l'inaction, C. JENKINS et D. ROBBALINO, Editions Eska, Paris 2004.

Page 35: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 35

plutôt d’un engagement dans l’action facilité par une proximité culturelle et sociale avec lepays partenaire.

L’importance de la coopération semble d’une certaine manière être déterminée par le« capital social », conformément à la définition qu’en fait Pierre Mercklé,

« constitué par les normes et les réseaux qui facilitent la confiance, lacoopération et l’action collective »84.

Figure 2 Carte d’intervention du GIP Esther au Maroc 85

« La santé est un champ très important de la coopération scientifique et techniqueau Maroc. Héritière d’une longue tradition de relations directes entre les communautésmédicales des deux pays, la coopération dans le domaine de la santé est aujourd’huistructurée autour de quatre grands axes : la santé publique, la coopération hospitalière,

84 Sociologie des réseaux sociaux, P. MERCLE, Repères La découverte, Paris, 2004.85 Source www.esther.fr

Page 36: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

36 BADIN Julie_2007

le renforcement de l’expertise institutionnelle, et la formation et la recherche médicale »86.C’est dans cette tradition de coopération entre les deux pays que s’inscrit la mise en placedu réseau Esther.

1.1. La mise en place du projetLa coopération Esther au Maroc a débuté avec une mission exploratoire/d’identification duGIP Esther en février 2003, suivie par la rédaction du projet, et a enfin été examinée enComité d’Examen de Projets. Une fois que La prise en charge du VIH était déjà fortementstructurée au Maroc : l’intervention d’Esther visait à intervenir avant tout dans le domainede la formation de personnel : médecins, biologistes, infirmiers, pédiatres, gynécologues…le personnel médical souffre d’une grave pénurie dans le pays. L’action est égalementorientée vers le soutien aux laboratoires pour le diagnostic des infections opportunistes, etdans le traitement de ces infections opportunistes pour lesquels les médicaments ne sontpas disponibles au Maroc, et dans la mise en place du dosage des antirétroviraux. Cettecoopération vise également à la formation de l’équipe médicale et infirmière à l’éducationthérapeutique, la formation de la prise en charge à la douleur et d’autres formationstransversales à l’usage de tous les personnels impliqués dans la question.

Le cadre politique de l’intervention d’Esther au Maroc a été donné par l’accord cadresigné le 2 juillet 2003 par les ministres de la santé marocains. Cette intervention s’inscritdans le plan stratégique national de lutte contre le sida.

Aujourd’hui il existe trois jumelages hospitaliers entre la France et le Maroc (dontdeux sont opérationnels) : l’un qui unit l’Hôpital Européen Georges Pompidou de Parisavec le CHU Ibn Rochd de Casablanca, et le deuxième entre les Hospices Civils de Lyonet le CHU Ibn Sina de Rabat. Le troisième jumelage entre le CHU de Nice et l’hôpitalpréfectoral Hassan II à Agadir est en phase de démarrage. Ces jumelages sont associésà des coopérations avec le réseau associatif à l’œuvre dans les villes concernées, avec lanette prédominance de l’Association de Lutte Contre le Sida (ALCS), première associationde lutte contre le sida au Maghreb, dont les 16 sections sont impliquées de façon active dansles différentes composantes de la lutte contre le sida dans le pays, mais aussi, à d’autresassociations sectorielles.

L’historique et les motivations des jumelages sont différentes dans les trois cas : en cequi concerne le partenariat entre Paris et Casablanca ce sont les rapports personnels entreles médecins des deux hôpitaux qui ont été déterminant, tandis que dans le jumelage entreles HCL et l’hôpital Ibn Sina, les partenaires soulignent qu’il n’y a pas de relation personnelleà l’origine de la coopération mais que ce sont les relations de longue date qui unissent Lyonet Rabat.

Les deux villes travaillent également ensemble dans le cadre de deux coopérations : lepremier projet, « Patrimoine, Lumière, Déplacement » vise à porter appui à la valorisationdu patrimoine historique de la ville et de sa mise en lumière, en participant à la mise enplace d’un plan de déplacement urbain. Il existe également un partenariat entre Lyon etRabat dans le domaine éducatif, qui fonctionne autour de partenariats inter académiquesqui mettent en relation des Académies régionales d’éducation et de formation marocaineset des Académies françaises sur des programmes construits en commun : gestion desétablissements, formation continue, jumelage d’établissements, dont le but est l’appui à ladéconcentration du système éducatif marocain.

86 Zellige n°8, Juin 2002, Lettre d’information du Service Culturel et de Coopération (SCAC) au Maroc.

Page 37: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 37

La mise en réseau par les intervenants du GIP Esther vise à permettre la créationde réseaux fonctionnels à l’intérieur du pays et avec les partenaires du Nord à traversdifférentes activités qui ont étés déterminées par les experts du GIP lors de la missionexploratoire qui ont élaboré une stratégie pays. Cette stratégie doit se faire le prolongementdes activités initiées par le pays partenaire, tout en lui apportant une valeur ajoutée et encomblant ses lacunes. En ce qui concerne le Maroc ces activités consistaient à l’origine en laformation des ressources humaines (dans les hôpitaux, les laboratoires, et les associationsprivées) à la prévention, au diagnostic et à la prise en charge, la fourniture d’équipementet de matériel (équipements administratif, médical, sécurité de personnel médical…), lafourniture de médicaments pour les infections opportunistes non disponibles au Maroc.

Présentation des Hospices Civils de Lyon Les Hospices Civils de Lyon (HCL) sont ledeuxième CHU de France, les services dédiés à la prise en charge des patients VIHsont : le service du Dr. Trépo à l’Hôtel Dieu, le service du Pr. Peyramond à l’Hôpitalde la Croix Rousse et le service du Pr. Touraine à l’Hôpital Edouard Herriot. Les HCLont pris en charge 7054 cas d’infection VIH depuis le début de l’épidémie. En 2006,286 patients ont bénéficié d’au moins une consultation dans les services spécialisés. Les HCL sont très actifs en matière de relations internationales : ils représentent à euxseuls la moitié des coopérations hospitalières que l’on recense dans la région Rhône-Alpes : ils entretiennent actuellement 12 coopérations avec des pays du Sud et del’Est : deux coopérations avec le Maroc, le Liban, le Yémen, l’Arabie Saoudite, l’Egypte,le Sénégal, le Mali, le Koweït, l’Afghanistan, la Roumanie et la Chine. « Les relationsinternationales constituent une réalité ancienne du CHU de Lyon. Au cours des annéesécoulées, les enjeux se sont multipliés : aux traditionnelles coopérations fondées sur lasolidarité et les échanges de professionnels de santé se sont ajoutées des actions decontribuant au rayonnement de Lyon. La compréhension de ces enjeux a conduit lesHCL à afficher une volonté politique d’y répondre en privilégiant, à chaque occasion des

actions communes 87 ». En matière de relations internationales, les HCL poursuiventdeux objectifs : la solidarité internationale : aider et participer à l’amélioration de laqualité des soins et de la gestion hospitalière dans les pays partenaires ; et l’excellencemédicale en échangeant des compétences. Les HCL interviennent selon des actionsconjointes aux politiques internationales, nationales, régionales et locales. Lesactions de coopération portent sur de la formation sur place, de l’enseignement oude l’assistance technique. Les interventions sont formalisées par des conventions. Laformation peut consister dans des formations de une semaine à un mois dans le payspartenaire, pour la formation de personnels médicaux, paramédicaux, administratifset techniques. Elle consiste également à accueillir au sein des HCL les personnelsdes pays partenaires pour des stages allant d’un mois à un an. L’assistance techniqueconsiste en la réalisation d’appui à la conception d’un projet de réforme hospitalière,dans la mise en place d’une démarche qualité.

1.2. La volonté de mener une action globaleLes axes de travail de la coopération franco-marocaine menée dans le cadre du partenariatEsther sont en accord avec les objectifs et les orientations stratégiques exprimées dans ladéclaration du Premier Ministre Marocain en novembre dernier, qui a fait de la santé l’unedes priorités du programme du Gouvernement :

Page 38: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

38 BADIN Julie_2007

L’instauration de la régionalisation comme base de restructuration du système de santédans le contexte de déconcentration et de décentralisation.

Le renforcement de la couverture sanitaire par l’extension de la généralisation de laréforme hospitalière afin de mettre à niveau les hôpitaux publics et d’améliorer leur gestionet la qualité de leur prestation.

La valorisation des ressources humaines, pilier de toute réforme.La poursuite du développement des programmes prioritaires de promotion de la santé

et de lutte contre les maladies.La mise en œuvre de l’inter-sectorialité et du partenariat en mettant en place les

mécanismes appropriés pour mobiliser toutes les composantes de la société et réorienterle système vers une vision plus large de la santé.

Les objectifs et les plans d’activités mis en place dans le cadre de l’initiative Esther avecses partenaires marocains s’inscrivent dans le plan stratégique national de lutte contre leSIDA. Ils sont coordonnés avec le Ministère de la santé, par la Direction del’Epidémiologieet de lutte contre les Maladies (DELM) et du programme du Fonds Mondial(une équipe degestion Fonds Mondial travaille au sein de la DELM).

La spécificité historique de la coopération Esther avec le Maroc repose sur uneparticipation très forte du côté marocain par une personne très engagée depuis la findes années 1980, (dès le premier cas déclaré en 1986), dans la lutte contre le VIH/sidaau Maroc, le Professeur Hakima Himmich, Fondatrice et Présidente de l’ALCS nationale,(première association de lutte contre le sida créée au Maghreb) et chef de service desmaladies infectieuses au CHU Ibn Rochd à Casablanca. Son rôle primordial dans la luttecontre le VIH/SIDA et pour la garantie de la qualité de la prise en charge au Maroc estincontesté.

a. les actions de formation« Jamais il n’y a eu une telle demande de médecine, d’une médecine apparemmenttoute puissante, ayant gagné ses galons d’universalité. La question posée à l’affectationplanétaire qu’est le sida obtient une réponse planétaire, en théorie tout au moins, carsi la question est posée identiquement aux être humains, la réponse c’est l’inégalitéthérapeutique qui n’a jamais été aussi grande, c'est-à-dire une insulte à notre espècehumaine ».88

L’objectif premier qui a été assigné à la coopération entre la France et le Maroc estune meilleure prise en charge des soins. Les patients séropositifs bénéficient d’une priseen charge inégale selon la région dans laquelle ils habitent. Au Maroc, les personnes vivantavec les VIH ne sont pas soignées dans les centres de traitements ambulatoires ni dans lescentres de santé, mais au niveau des CHU, notamment à Rabat et à Casablanca et dansles centres référents des hôpitaux de province.

L’amélioration de la prise en charge des malades passe par des formations : laformation est au cœur du projet Esther, sous différentes formes. Sur le terrain, elle passepar la création d’ateliers de formation animés par des médecins, chercheurs et personnelssoignants de l’hôpital français (« Ateliers nationaux de formation sur la prise en charge

88 Discours de Didier SICARD Président du Comité Consultatif National d’Ethique, lors du colloque international « Pratiquessoignantes éthiques et sociétés» en avril 2005 à Lyon.

Page 39: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 39

globale multidisciplinaire ») destinés aux personnels paramédicaux, les pharmaciens, lestechniciens et les associatifs.

La formation continue et le suivi sont assurés par un système de compagnonnageentre les équipes françaises et marocaines dans les cadre duquel s’organisent des réunionsd’équipe mensuelles, de la formation sur site, et la participation à des consultations ou àdes échanges autour des cas cliniques (il arrive régulièrement qu’il y ait, à la suite d’uneformation, des échanges Internet entre les professionnels sur des cas difficiles).

Sont également organisé des stages en France : plus d’une centaine de stagiairesmarocains, essentiellement médecins, infirmières et pharmaciens sont venus se formerdans les deux hôpitaux partenaires. Ces formations, dont la durée peut varier d’une semaineà un an, portent sur les aspects scientifiques et techniques, ainsi que sur l’accompagnementpsychosocial.

Les actions de formation qui ont été menées jusqu’à présent dans le cadre du projetEsther Maroc sont de trois ordres :

Formation à la prise en charge :Formation à Rabat de 52 praticiens hospitaliers, personnels de soins et associatifs.Formation à Casablanca de 26 médecins et 18 infirmiers.Formation nationale organisée par le CHU Ibn Sina à Rabat : formation spécifique pour

médecins référents prescripteurs d’antirétroviraux, des ateliers « observance résistanceARV » dans lesquels 40 personnes ont étés formées en novembre 2005 ; et une formationau conseil au cours de laquelle 20 personnes ont étés formées en janvier 2006.

Stages en France :Six stages de médecins, biologistes et infirmières ont étés organisés à Lyon.Deux stagiaires ont étés accueillis en missions à l’Hôpital Européen Georges

Pompidou.Missions de compagnonnage et de suivi des partenaires :4 missions ont eu lieu à Rabat et deux à Casablanca.B-la pénurie des ressources humaines.L’objectif de ces formations tourne autour d’un objectif primordial : pallier au déficit

grave des ressources humaines qui touche le Maroc et plus généralement les pays duSud89. Selon les dernières estimations de l’Organisation Mondiale de la Santé, il y auraitactuellement 57 pays en situation de pénurie aiguë de main d’œuvre, ce qui correspond àun déficit de 2, 4 millions de médecins, infirmiers et sages-femmes. Cette dimension revêtune importance toute particulière car les ressources humaines constituent un enjeu majeurdans toute politique de santé : un programme ne peut être mené à bien sans la participationde personnels compétents.

Cette question figure au premier plan des préoccupations concernant l’accès aux soinsdes populations, d’autant plus que le problème de pénurie des pays du Sud est encoreaggravé par un élément important : celui de la migration des personnels soignants vers leNord : le « carrousel migratoire »90 : un nombre important de personnels de santé choisissentde s’expatrier dans les pays Occidentaux, dans lesquels les conditions de travail sont plus

89 Cf. annexe n°390 Rapport du Conseil National du Sida « La crise des ressources humaines dans la lutte contre le VIH », juin 2005.

Page 40: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

40 BADIN Julie_2007

propices et la rémunération plus attractive : l’action d’Esther intervient également à ceniveau, en tentant d’inciter les personnels médicaux à rester dans leurs fonctions et leursétablissements, de plus, cette migration des personnels soignants a pris une telle ampleurqu’il a été évoqué lors de la première conférence ministérielle internationale Esther le 3novembre dernier, il a été évoqué la possibilité d’amener les pays du Nord qui acceptent dupersonnel médical formé issu des pays du Sud à verser une compensation.

On comprend dès lors aisément que le premier objectif assigné à la coopération avecles pays du Sud est donc la formation.

La formation initiale et continue des personnels de santé est un des éléments clésdu développement des systèmes de santé nationaux. Cependant, alors que plus de lamoitié de la dépense publique de santé est consacrée aux dépenses de personnel, leur« productivité » apparaît généralement faible. Aujourd’hui, le problème principal qui sepose au Maroc dans la lutte contre le sida n’est plus celui de l’accès aux traitements anti-rétroviraux, qui connaît un véritable progrès, mais le manque de ressources humainescompromet gravement toute tentative de lutte contre le virus.

Les causes de cette crise des ressources humaines remontent aux politiquesd’ajustement structurel qui ont été menées dans les années 80. A la fin des années 70,pour répondre la crise financière des Etats et au mauvais fonctionnement des économiesdes pays en développement, et permettre une reprise durable de la croissance et redresserleur situation, les institutions financières internationales, le FMI et la Banque Mondiale,et les pays du Nord ont « imposés » des programmes d’ajustement structurels à unecentaine de pays du Sud, dont le Maroc. Ces programmes se sont caractérisés par uneréduction colossale du financement des dépenses publiques, dont les dépenses socialespar un « dégraissage » de la fonction publique, c'est-à-dire par une réduction drastiquedes embauches de personnel de santé, une baisse des salaires, un arrêt des filièresde formation de certains personnels et une baisse du niveau de qualité des formationsexistantes. Si bien que cet ajustement structurel, malgré un rétablissement des grandséquilibres financiers dans ces pays, s’est fait au prix de graves dégradations sur le plansocial, plus particulièrement dans le secteur de la santé et de l’éducation.91

Après les années 90, bien que cette politique d’ajustement ait été maintenue, ona assisté au retour de l’idée de développement humain et de dimension sociale del’ajustement structurel, on a à nouveau prêté attention aux problèmes de santé publiqueet d’éducation, et c’est depuis cette époque que la majeure partie de l’aide est à nouveauorientée vers les secteurs clés du développement : la santé, l’éducation et l’environnement92.

Aujourd’hui, le constat sur le personnel de santé au Maroc est assez mitigé93 :tandis que les médecins multiplient les grèves les médecins, « le Maroc n’a jamaisautant manqué de personnel soignant et d’infirmiers : le déficit est estimé à 9 000personnes ». L’encadrement médical et paramédical est très insuffisant. Ce problème estencore exacerbé par l’inadéquation entre les capacités de formation et de recrutement etpar une mauvaise répartition spatiale.

La stratégie privilégiée par le GIP est donc celle de la stratégie en réseaux : cettestratégie se caractérise par des « interactions denses provoquées par un enjeu commun,entre les acteurs les mieux dotés en ressources des ressources asymétriquement réparties

91 L’évaluation des politiques de développement : approches pluridisciplinaires, J.F. BARE, L’Harmattan, Paris, 2001.92 Idem93 Article de Majdouline El Atouabi Les dessous d’une pénurie, l’Opinion, Septembre 2004.

Page 41: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 41

et des logiques qui incitent les acteurs à adopter des stratégies spécifiques ». Dans le casprésent, ces interactions impliquent les personnels médicaux du français et marocains, lespersonnels associatifs qui agissent dans le but de répondre à un enjeu commun : mener àbien la lutte contre le sida de façon globale.

Cette dimension de lutte globale est très importante : elle fait écho à la définition dela santé que donne l’OMS pour qui la santé est « un complet état de bien-être physique,mental et social. Tout est environnement sanitaire, y contribue ou en témoigne ». En effet,comment peut on travailler, élever des enfants, avoir une vie sociale lorsque l’on est enmauvaise santé ?

b. Le choix du travail en réseau : transversalité et transdisciplinaritéAujourd’hui, l’importance d’une action commune et concertée la plus large possible dans lalutte contre la maladie est fortement reconnue, et ce parce que malgré la faible prévalencede la maladie au Maroc, celle-ci est en train de progresser au sein de la population.C’est pourquoi des voix se font entendre pour que la base de la prise en charge soit plusdécentralisée et ce, surtout, au niveau de la société civile.

Cette approche décentralisée fait émerger un concept important, récurrent dès que l’onparle d’action de coopération actuellement, celui de « gouvernance ». Ce concept semble eneffet le plus à même de définir la processus de coopération qu’ambitionne d’établir le réseauEsther est celui de « gouvernance », tel qu’il est décrit par Marc Dixneuf dans son ouvrage« La santé, enjeu de nouvelle gouvernance mondiale ? »94, c'est-à-dire l’instauration d’unegestion du problème par des acteurs transnationaux qui occulte les rapports de force. Cesréseaux transnationaux doivent être compris ici comme la prolongation des réseaux desanté que nous avons évoqué en première partie, qui ont étés élaborés pour répondre auproblème que posait l’épidémie de sida dans la prise en charge des malades par la médecinsdes villes, à un contexte international. Le transnational s’entend ici comme « relation qui,par la volonté délibérée ou par destination se construit dans l’espace mondial au-delà ducadre étatique national et qui se réalise en échappant au moins partiellement au contrôleou à l’action médiatrice des Etats »95.

Dans le cas du GIP Esther de la lutte contre le sida, ces réseaux transnationauxoffrent la possibilité pour les Etats d’engager des collaborations au niveau ministériel,conformément à ce que décrit François Buton : la lutte contre le « fléau social » relève dela responsabilité de l’Etat central96, et de façon à entretenir des liens solides et visibles,puis de relayer ces coopérations à des opérateurs qualifiés qui interviennent à un échelonplus pertinent, au plus près du terrain, tout en mobilisant des « acteurs travaillant sur unequestion à l’échelle internationale, liés par des valeurs partagées, un discours commun etdes échanges denses d’information et de services97 ».

Les stratégies transnationales ont pour objectif de capter des capacités d’action enmobilisant des partenaires étrangers qui, au travers de leurs activités, vont avoir des effets

94 La santé, enjeux de nouvelle gouvernance mondiale ?, Les études du CERI, n°99-décembre 2003.95 Les nouvelles relations internationales, M.C. SMOUTS, Presses de Sciences PO, 1998.96 Sida et politique, saisir les formes de la lutte, in Revue française de science politique, presses de Sciences Po. volume

55, 2005/5-6.97 La contestation transnationale, S. TARROW in Cultures et conflits, automne 2001.

Page 42: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

42 BADIN Julie_2007

positifs sur le cadre national, en ayant accès à des ressources communes98. Cette définitionmontre que les actions transnationales vont remettre en cause le monopole des Etatsà agir sur la scène internationale. Cette remise en cause du monopole de l’Etat, entreautre en matière de relations internationales s’opère par un double mouvement : cettedé légitimation de l’Etat se fait par le « haut », du fait de la présence d’organisationsinternationales voire supranationales qui encadrent ses compétences, mais aussi par lebas, avec la multiplication des organisations non gouvernementales, et le poids des acteurséconomique transnationaux.

Cependant, il nous semble qu’à travers la création de dispositifs nouveaux que leGIP Esther, l’Etat prend en compte ces recompositions, instrumentalise ces réseauxtransnationaux afin de conserver son rôle d’initiateur des actions de coopération, deconserver la visibilité de son action, et d’en tirer les bénéfices politiques qui en découlent,tout en permettant un fonctionnement de la coopération sur un mode horizontal et pluspyramidale, en impliquant tous les acteurs potentiels. Cette configuration permet desdispositifs nouveaux, comme le partenariat public privé, qu’Esther a déjà initié dans quatrepays et qui est à l’étude actuellement au Maroc. Ces PPP, « loin d’être une façon pourle secteur public de se décharger de ses responsabilités, permettent d’apporter à l’actionpublique son efficacité, ses capacités de management, sa culture de l’évaluation […] quiapparaît être un facteur puissant pour améliorer aujourd’hui le nombre de personnes prisesen charge dans les pays en développement »99.

Cette coopération est d’autant mieux perçue et productrice qu’elle se déroule sur lemode du compagnonnage qui ne vise pas à transposer des dispositifs et façons de fairedes pays du Nord au Sud, mais bien au contraire, de s’appuyer sur la transmission desconnaissances en matière d’expertise et de logistique pour apporter une valeur ajoutée auxprogrammes initiés dans le cadre national des pays partenaire.

Ce renforcement des dispositifs préexistants ne peut se faire sans une connaissancesolide du terrain. C’est pourquoi le GIP est constitué de dix personnes dites « chargéspays » qui maîtrisent leur terrain (la chargé de pays pour le Maroc est d’origine marocaine),connaissent tous les acteurs mobilisés par la coopération qui organisent au minimum deuxfois par ans des comités de liaison, sur lesquels nous reviendront plus tard, qui sontl’occasion de faire des bilans et de déterminer les nouveaux axes à améliorer.

2/ Rendre la coopération efficace en l’appuyant sur le terrain : la« stratégie pays ».

Dans un document dressant un bilan des politiques d’ajustements structurels menéesdans les années 80, la Banque Mondiale formulait le constat suivant : « Une leçon tiréede l’expérience passée est que la réforme ne réussit pas sans une forte appropriationlocale et une approche large, qui inclut la prise en compte des institutions, la gouvernanceet la participation des acteurs- une leçon qui constitue le moteur des orientationsstratégiques de politiques de développement aujourd’hui »100. Il est inconcevable aujourd’hui

98 Idem99 Rapport à la Direction du développement et de la coopération technique du ministère des Affaires Etrangères, novembre

2004.100 Processus participatifs et lutte contre la pauvreté : de nouvelles relations entre les acteurs ?, J.P. CLING et F. ROUBAUD,L’Economie Politique n°16.

Page 43: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 43

d’envisager une politique d’aide au développement qui ne soit pas « personnalisée »,qui ne s’articule pas aux logiques et aux besoins au pays auquel elle s’adresse, sansprise en compte des réalités locales du pays. La coopération Esther, avant tout baséesur le principe du compagnonnage hospitalier est une initiative globale, qui s’organiseautour de manifestations permettant à la fois des échanges d’expériences, les contactsinterindividuels et un apport technique ou méthodologique. Ces différentes manifestationsnécessitent un contexte favorable, et la prise en compte des particularités du pays, tant surle plan politique que culturel. En ce qui concerne le Maroc, le travail du GIP Esther concernedans une plus large mesure l’accompagnement psychosocial.

2.1. Une action qui s’articule au contexte politiqueL’action du GIP Esther travaille en s’appuyant sur les besoins du pays partenaire, enfonctionnant sur un mode original, basé sur un idéal commun et un échange de savoir.Les experts du GIP fonctionnent en concertation avec le pays, ce qui facilite grandementla réussite des actions et surtout centre la prise de décision de l’agenda stratégique dansles mains des acteurs pour leur propre pays : c’est la force du projet Esther. « Il nousfaut continuer à travailler en lien direct avec les autorités nationales : pour accompagnerl’élaboration ou la mise en œuvre des stratégies nationales et dans le développement desprogrammes nationaux »101.

Ces programmes nationaux ont étés mis en place très rapidement, en 1988, c'est-à-dire deux ans après la déclaration du premier cas de sida au Maroc. Cependant, ils ontété menés à une époque marquée par les effets de la politique d’ajustement structurelmenée dès 1983102, pendant laquelle l’Etat s’est désengagé des dépenses sociales dansle domaine de la santé, laissant les individus sans sécurité sanitaire : les hôpitaux publics,qui assuraient 90% des soins en 1980 n’en assuraient plus que 65% en 1988, faisant placeaux cliniques privées. En 1995, les hôpitaux publics fonctionnaient à 50% de leur capacitépar manque de matériel et de personnel.

a. le système de santé publique marocainLe Ministère de la Santé Publique est chargé de l’élaboration et de la mise en oeuvrede la politique gouvernementale en matière de santé et de population. Il agit en liaisonavec les départements concernés. Il « promeut le bien-être physique, mental et socialdes habitants, concourre à l'élévation du niveau de santé dans les pays et assure, auniveau national, une meilleure allocation des ressources, en matière de prévention, de soinscuratifs ou d'assistance. Il est chargé d'élaborer et de mettre en oeuvre la politique nationaleen matière de médicaments et de produits pharmaceutiques sur les plans technique etréglementaire. Il suit la politique sanitaire internationale à laquelle le Maroc contribue etdéfinit, en concertation avec les départements concernés, les options de coopération dansle domaine de la santé et en assure la mise en application et le suivi. Il assure le contrôlede l'exercice des professions médicales, paramédicales et pharmaceutiques.

C’est le Ministère de la Santé au Maroc et sa Direction de l’Epidémiologie et de la Luttecontre les Maladies (DELM) qui sont chargés de décider du Plan Nationale de lutte contrele sida. Le rôle du Ministère de la Santé est redéfini par le Décret du 21 novembre 1994relatif aux attributions et à l’organisation du Ministère de la Santé publique. Par la suite, à

101 Cf. Annexe n°4102 Les effets sociaux du programme d’ajustement structurel au Maroc, in « Politique étrangère », Volume 60, numéro 4, 1995.

Page 44: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

44 BADIN Julie_2007

partir de 1995, les infections sexuellement transmissibles (IST) sont déclarées problèmede santé publique. Après quatre années de mise en œuvre du PNLS, Le Ministère de laSanté a réalisé plusieurs études qui devaient rendre une évaluation de la qualité de priseen charge des IST. Cette dernière a montré des dysfonctionnements majeurs dans la priseen charge des IST. Pour y remédier, une direction d’épidémiologie et de la lutte contreles maladies transmissibles a été crée, afin de mettre en place une stratégie adaptée auréférentiel épidémiologique national.

b. La Direction de l’EpidémiologieLa « Direction de l'Epidémiologie et de la Lutte contre les Maladies transmissibles » estchargée pour sa part d'assurer la surveillance épidémiologique de la population, et detenir un fichier épidémiologique central ; d'évaluer les caractéristiques épidémiologiquesde la population ; de réaliser toutes les enquêtes et études en matière d'épidémiologie ;de concevoir et réaliser des programmes de lutte contre les maladies ; de programmeret réaliser des actions visant à protéger le milieu ambiant et appuyer la réalisation desprogrammes de lutte contre les maladies ; d'assurer un contrôle de qualité des laboratoiresde biologie relevant du ministère de la santé publique et de définir les normes techniquesde leur fonctionnement103.

Le programme de lutte contre le SIDA marocain a débuté en 1988. Il est sous laresponsabilité de la Direction de l’Epidémiologie et de la Lutte contre les Maladies, au niveaudu Ministère de la Santé, et la DELM se charge donc d’intégrer les aides bilatérales etmultilatérales au programme élaboré nationalement.En ce qui concerne l’initiative Esther,la DELM considère ne pas avoir été impliquée spécifiquement dans la définition des projetsEsther au Maroc et dans la mise en oeuvre des activités dans le passé, ce qui est surtoutdu à l’indépendance de gestion des CHU au Maroc, qui sont les partenaires prioritairesdans le cadre d’Esther. Toutefois, le système mis en place par les autorités du Maroc pourcoordonner la lutte contre le VIH/SIDA permet une certaine transparence et fournit donc uneorientation aux différents acteurs nationaux et internationaux impliqués. La complémentaritédes interventions des différents acteurs et bailleurs contribuant au plan national est un despremiers soucis de la DELM.

Le Comité de Coordination Marocain (qui est issu d’autres structures de coordinationmises en place au Maroc depuis les années 1990) regroupe la plupart des partenaires/acteurs/intervenants dans la lutte contre le VIH/sida du Maroc. C’est ainsi que lespartenaires marocains impliqués dans la préparation des projets Esther ont pu tenir comptede manière informée de la situation nationale pour assurer une complémentarité desinterventions dans le cadre de la stratégie nationale de lutte contre le VIH/sida. CependantEsther est le seul intervenant extérieur visant une prise en charge globale de la maladie,c'est-à-dire avec ses implications psycho sociales.

Pour orienter la définition des futures interventions, Esther et ses partenaires disposentdéjà aujourd’hui de la nouvelle demande très détaillée du Maroc au Fonds Mondial de luttecontre le sida pour la période 2007-2012 qui s’inscrit dans le cadre du nouveau plan nationalde stratégie de lutte contre le VIH/SIDA 2006-2011. Ce dernier est issu d’une revue détailléedu plan stratégique antérieur.

La DELM considère être plus impliquée maintenant dans les activités d’Esther puisqu’ilsont été consultés avant la soumission des projets au comité d’examen des projets Esther,s’assurant ainsi de la cohérence au niveau national. Aussi le comité de liaison Esther de

103 Portail officiel du Maroc, www.sante.gov.ma

Page 45: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 45

septembre 2006 a été explicite aussi bien pour les acquis des projets en cours que pour lapréparation de projets futurs concernant la prévention transmission mère enfant, la pédiatrieet l’hôpital d’Agadir. Agadir est aussi un hôpital sous la responsabilité directe du Ministèrede la Santé, qui est donc forcément associé de manière plus étroite au projet.

Il est donc incontestable qu’il existe un véritable engagement politique pour la prise encharge des personnes vivant avec le VIH sur lequel Esther peut s’appuyer, qui se manifesteà travers plusieurs actions comme que la prise en charge des frais d’hospitalisation et destests de diagnostic, la mise à disposition des ARV, dès 1990 en, en partenariat avec leFonds de Solidarité Thérapeutique Internationale (FSTI), et l’organisation de cette prise encharge par une circulaire ministérielle.

Cependant, malgré toutes les actions énumérées précédemment, il convient depréciser comme le soulève Abdessamad Dialmy, qu’« il faut reconnaître et dire que lapolitique communicationnelle du ministère de la Santé publique en matière de sida estassez timide en raison de la connotation de la présence de cette maladie au Maroc.L’administration marocaine semble en effet laisser aux organisations non gouvernementalesle soin d’en parler et d’organiser la lutte publique. Comme si l’Etat était gêné par desinterventions publiques de grande envergure. L’existence du sida au Maroc gêne en effetun Etat qui se présente à l’opinion nationale comme un Etat islamique »104, en témoigneune réaction d’un député du Parti de la Justice et du Développement (PJD, parti islamistemodéré marocain) lors de la rentrée parlementaire qui s’est exclamé « Quand est-ce quevous mettrez fin aux activités de cette femme qui distribue des préservatifs à nos enfants ? »,en parlant du professeur Hakima Himmich, présidente de l’ALCS105.

Cette attitude, bien que motivée par des raisons différentes, n’est pas sans rappelercelle des pouvoirs publics français qui, jusqu’en 1985/86 ne « voulaient pas apparaîtrecomme les défenseurs d’une cause politique marginale […]. D’où une attitude de retrait :la maladie ne concerne que peu de personnes […] »106. Cette attitude de relatif retrait del’Etat laisse le champ libre aux associations, et confère une importance toute particulièreà leur action.

Dès lors, il apparaît que l’appui sur le réseau associatif, et le renforcement de son actionreprésentent une condition incontournable au succès des actions menées par Esther auMaroc.

2.2. Comme au contexte social

a. les croyancesL’analyse de la situation épidémiologique du Maroc par la Direction du service Epidémiologiedu Ministère de la Santé marocain a fait ressortir que l’épidémie du VIH/sida au Marocest caractérisée par une vulnérabilité « socio comportementale d’ordre structurel ».Conformément à la remarque de J. BENOIST et A. DESCLAUX pour qui « la réceptivité del’épidémie de sida et les conditions de son contrôle passent par des faits de comportement.

104 Le sida au Moyen Orient et en Afrique du Nord : les coûts de l’inaction,C. JENKINS, D. ROBALINO, 2004. Washington :Banque Mondiale Paris, Eska.

105 Article du 28 novembre 2005 de Maria Daïf sur www.mondeberbere.com106 Sociologie du sida, C. THIAUDIERE, Repères, Editions La découverte, Paris, 2002.

Page 46: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

46 BADIN Julie_2007

Bien qu’individuels, ceux-ci sont influencés par des courants culturels porteurs de conduitesqui favorisent ou limitent les possibilités d’infections »107.

Chez les marocains, et plus particulièrement chez les jeunes marocains qui nereprésentent pas moins d’un tiers de la population marocaine, la représentation sociale dusida est assez floue, et marquée par le tabou que représente la sexualité : « Nous vivonsdans une société conformiste qui vit mal la parole sur une maladie qui révèle les mœursdu pays » témoigne le président de l’Association des Jeunes marocains contre le sida. Ildécoule de cette absence de communication une méconnaissance du virus : les modes detransmission sont mal connus et empreints de croyances, dont on peut en citer en exemplecelle du berd.

Cette théorie fait partie du sens commun au Maroc108, et elle est utilisée commeexplication des maladies vénériennes. Elle s’inspire de la théorie « galienne » dont estinspirée la médecine arabe. Pour Galien109, chaque corps est constitué des quatre élémentsélémentaires de la matière : le feu (la chaleur), la terre (le froid), l’air (la sécheresse)et l’eau (humidité). Au sein de cet ensemble, « les maladies s’expliquent par un excèsou un défaut de chaleur, de froid, de sécheresse ou d’humidité ». Dans la théorie deGalien, le froid renvoie à la terre, à l’humide. Or « ces symboles réfèrent au féminin,la symbolique traditionnelle de la femme est la terre, qui dans cette théorie renvoie àla putréfaction du bas, en plus d’être sujette aux menstrues qui sont perçues commedangereuse, susceptibles de provoquer des maladies vénériennes, en opposition à l’air, lehaut, revivifiant, hygiénique »110.

Cette théorie du berd théorie compréhensive des maladies vénériennes perçoitl’homme uniquement comme vecteur de la maladie, qui ne peut en être affecté, et latransmettre dans le pire des cas. Le berd est berd dial la’yat : il appartient aux femmes.

Il ressort également qu’il règne une grande ignorance autour de la question de latransmission du sida : « Quelques jeunes avancent ou supposent l’existence d’autres modesde transmission que les médecins eux-mêmes ne connaissent pas. Très vite on se rendcompte alors de la présence d’éléments extra-scientifiques dans l’étiologie ordinaire du sida.Les froid, Dieu, la proximité corporelle, les esprits : les jnouns, la sorcellerie, sont invoqués.[…] Pour une grande majorité, les causes du sida sont les rapports sexuels de débaucheavec les étrangers, les homosexuels et les prostituées»111.

Conformément à ce qu’avance J. BENOIST dans Anthropologie et sida, « laconnaissance est prélude à l’action » : l’action d’aide internationale doit nécessairementcomprendre « les logiques profondément ancrées dans la culture, dans la langue, dansla religion par lesquelles les personnes se représentent la maladie et se conduisent faceà elle »112. Cette compréhension ne peut se faire sans s’appuyer sur les associationslocales qui connaissent leur terrain, partagent la même culture, les mêmes systèmes dereprésentation et pourront donc jouer un rôle déterminant d’intermédiaire.

107 Anthropologie et sida, sous la direction de J. BENOIST et A. DESCLEAUX, 1996. Editions Kartala Paris.108 Les maladies sexuellement transmissibles au Maroc, A. DIALMY, L. MANHART, 1997 Editions techniques nord-africaines,

Rabat.109 Médecin romain, IIe siècle après Jésus Christ.110 Idem.111 Jeunesse, Sida et Islam au Maroc, A. DIALMY, 2000. A. Retnani Editions.112 Anthropologie et sida, sous la directionJ. BENOIST et A. DESCLAUX, Paris, 1996.

Page 47: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 47

De plus, cette action doit prendre en compte les structures sociales du pays, cen’est qu’à la condition de maîtriser les différentes dimensions, religieuses, sociales,économiques, qu’une véritable coopération, adaptée et efficace pourra être mise en place.

b. Les populations « à risques »Une action cohérente doit s’appuyer sur la structure sociale de la population, afin de mettreen oeuvre des formations de prévention et de suivi psychosocial adaptés aux publicsconsidérés comme les plus vulnérables et donc les plus susceptibles d’être les destinatairesdes prises en charge.

Au Maroc, la jeunesse est incontestablement la population la plus touchée par lamaladie : 70% des malades en 2005 avaient en dessous de 35 ans. Or, les jeunes entre 15 et29 constituent un tiers de la population marocaine. Alors que la prévention devrait les ciblerprincipalement, la jeunesse ne fait pas l’objet de politique de prévention spécifique, qui, pourcertains serait perçue comme une incitation à la débauche113. La jeunesse est de fait une« population à risque » dans le sens ou la jeunesse est la période d’activité sexuelle la plusintense. De plus, le Maroc a connu une véritable évolution des comportements sexuels,surtout du fait des jeunes ou « malgré le retard de la modernisation du champ politique, lechamp de la sexualité connaît une évolution caractérisée par l’apparition de pratiques sociosexuelles insoupçonnables il y a quarante ans tels que la sexualité préconjugale précoce,la prostitution masculine, le multi partenariat »114. Une telle lacune dans les programmesnationaux est donc dangereuse, d’autant plus que, comme le montre une étude de l’OMSsur les jeunes et le sida « touchés efficacement par l’information préventive en matièrede sida, alors qu’ils sont encore à la recherche de leur maturité sexuelle, les jeunespeuvent adopter précocement une attitude vigilante vis-à-vis du VIH et garder cette attitudeultérieurement »115.

Actuellement, on constate un « tournant » dans les caractéristiques des populationstouchées, le mode de transmission le plus important reste le rapport hétérosexuel, ilreprésentait 74% des cas en 2005.

113 Jeunesse, Sida et Islam au Maroc, op.cit.114 Jeunesse, Islam et Sida au Maroc, op.cit.115 Etude de l’OMS « Les jeunes et le VIH/SIDA : les moyens existent il faut agir sans retard », août 2006.

Page 48: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

48 BADIN Julie_2007

Figure 3 Modes de transmission du VIH au Maroc en 2005116

C’est en ce qui concerne les femmes que la situation a le plus changé: selon lesstatistiques du ministère de la Santé de 2005, les femmes ne représentaient en 1988que 8% des cas, il est aujourd’hui de 38%. Cependant, il convient de nuancer ici ceschiffres officiels car les bénévoles des associations qui participent aux actions de dépistagegratuit et anonymes insistent sur le fait qu’une très large majorité des personnes qui ontspontanément recours au dépistage sont encore des femmes.

Enfin, il convient de préciser que le Maroc, société encore largement traditionaliste,les comportements considérés comme à risque en matière de VIH : prostitution, relationshomosexuelles et utilisation de drogues injectables sont encore moins visibles que dansles sociétés occidentales, mais ils n’en sont pourtant pas moins existants et constituent unmode de transmission du virus non négligeable. Ces populations doivent faire l’objet d’uneprévention ciblée et adaptée.

L’ALCS a pour sa part essayé de mener une action auprès des homosexuels. Cela s’estcependant avéré délicat car l’homosexualité est passible de trois à six mois de prison etn’a donc pas de visibilité. Les bénévoles de l’ALCS ont choisi d’approcher dans un premiertemps les milieux de prostitution masculine, en identifiant peu à peu ou les « lieux dedrague » et des personnes relais, ce qui a permit de constituer des groupes d’informationet de diffusion, ou de distribuer des préservatifs. Mais ces actions ont une portée limitée : lapolice considère souvent le préservatif comme une preuve de flagrant délit de prostitutionquand elle arrête des personnes sur les lieux de drague. Les usagers en prennent doncmoins pour pouvoir s’en débarrasser en cas d’arrestation117.

2.3. Importance de l’organisation du système de santéL’objectif de l’accès universel à des soins et des traitements de qualité signifie aussi, àpartir des jumelages hospitaliers, de participer au renforcement du système de santé dupays partenaire. « Dans notre pays de 30 millions de personnes, avec presque 10 millions

116 Source : portail officiel du ministère de la Santé marocain www.sante.gov.ma117 Source :Bouchra Zerouani, éducatrice thérapeutique bénévole à l’ALCS qui a bénéficié d’une formation Esher.

Page 49: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 49

d’enfants de moins de 15 ans, ou la moitié de la population est rurale, ou persistent encorede nombreuses zones enclavées, les moyens mis en œuvre par les pouvoirs publics pourune meilleure gestion de la santé sont très limités. De plus, même si ces moyens atteignentun jour un niveau convenable, leur optimisation par une gestion rationnelle sera toujoursune nécessité ». 118

a. Des inégalités entre régions très marquéesDans les pays du Sud, les enjeux et les défis que les systèmes de santé ont à releversont nombreux. Au Maroc, des progrès indéniables ont étés accomplis en matière de santémais de très nombreux problèmes restent posés et de nombreuses insuffisances grèventl’efficacité et la performance du système de santé marocain. Les structure de soins au Marocrelèvent essentiellement du secteur public qui compte environ 2 000 centre de santé etdispensaires, 120 hôpitaux régionaux et quatre centre hospitaliers universitaires. A cettepyramide sanitaire gérée directement par le ministère de la Santé s’ajoutent 200 cliniques,polycliniques et hôpitaux qui relèvent du secteur privé, militaire, mutualiste et de la sécuritésociale. L’ensemble de ces secteurs offre une capacité de 3 000 lits dont presque 90%relèvent du secteur public. Le jumelage intégral, implique bien plus que les personnelsoignants et associatifs : il concerne également tous les autres cadres administratifs,techniques, financiers, gestionnaires…

L’administration du système de soins public marocaine est caractérisée par uneforte centralisation qui contraste avec une faible capacité de régulation de l’offre etde coordination de l’action des différents acteurs du système de santé. En dépit desrésultats positifs réalisés, le système de santé marocain est caractérisé par de nombreusesfaiblesses : la plus flagrante est celle des inégalités persistantes entre régions.

La décentralisation de la prise en charge médicale des personnes vivant avec leVIH incluant l’accès aux soins pour toute la population marocaine est un des objectifs dunouveau plan stratégique de lutte contre le VIH/SIDA 2006- 2011 : la mauvaise répartitiondu personnel sur le territoire est un des problèmes importants du Maroc, beaucoup demédecins exercent dans les administrations et le personnel qualifié n’est pas répartiéquitablement : les médecins et infirmiers expérimentés sont concentrés dans les grandesvilles. De plus, jusqu’à présent, les dépenses publiques de santé favorisaient très largementle milieu urbain : en 2005, 78% des dépenses récurrentes étaient affectées aux hôpitauxet cliniques du milieu urbain. Il convient de rajouter que 31% de la population rurale –lapopulation rurale représente un peu moins de la moitié de la population marocaine, environ45%- est située à 10 Km d’un établissement de santé. Enfin, le secteur privé est limité àl’urbain et aux grandes villes, or il occupe les deux tiers de l’offre de soins de base et 20%de la capacité de lits du pays. Ces différences se retrouvent dans les chiffres, sensiblementdifférents : la mortalité infantile est de 23,8 pour mille en milieu urbain contre 46,1 pour milleen milieu rural.

b. Un appui à un processus plus global de décentralisationFace à cette situation, le Ministère de la santé marocain a fait part dans ses orientations desa volonté de régionaliser le secteur de la santé, de favoriser une décentralisation des soins :dépistage, confirmation, soins, prise en charge … au niveau du système de santé public,tout en prenant les mesures de maintien de la qualité. Ces mesures transparaissent dans le

118 La réforme de la structure de soins : élément fondamental de toute réforme du système de santé, article d’Omar CHERKAOUI,Professeur en médecine et Directeur de l’hôpital Avicenne de Rabat, sur le portail officiel www.sante.gov.ma

Page 50: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

50 BADIN Julie_2007

processus de réforme du système national de santé qui vise à une meilleure programmationet à une utilisation efficiente des ressources, qui est tributaire de l’ensemble du systèmede soins. Par là même, il doit contribuer au renforcement de la lutte contre le VIH/sida.Ce mouvement de décentralisation pour être efficace devra logiquement être suivi par unedécentralisation des activités assurées par les associations : ce qui marque peut-être la finde l’hégémonie de l’ALCS au profit d’associations plus localisées qui s’articuleraient avecles centres de santé régionaux.

Actuellement, le système national de santé s’articule autour de deux zones centréeschacune sur un pôle d’excellence pour la prise en charge des personnes vivant avec leVIH au niveau des CHU Ibn Sina de Rabat pôle d’excellence au Nord et de Ibn RochdCasablanca, pôle d’excellence au Sud. Ces pôles d’excellence devraient être étendus auxCHU de Marrakech et de Fès. De ces pôles d’excellence dépendent des centres référents(CR), qui sont opérationnels au niveau des hôpitaux régionaux : pour Rabat il s’agit deshôpitaux régionaux (Tanger, Tétouan, Fès, Meknès, Oujda, Kénitra) et de l’Hôpital MilitaireMohammed V de Rabat ; pour Casablanca il s’agit d’Agadir, Safi, Marrakech, El jadida, Beni-Mellal et Laâyoune.

119

Le projet Esther Maroc vise, en accord avec les recommandations du Ministère dela Santé à prendre en compte la répartition des personnes touchées par la maladiepour répondre à la demande du ministère de la Santé d’appuyer les centres hospitaliersrégionaux, qui sont souvent moins bien pourvus que les hôpitaux nationaux dans uneapproche décentralisante qui d’une part permettrait de décharger les pôles d’excellencesitués dans les deux capitales, économique et administrative, et permettrait d’autre part unemeilleure prise en charge des soins, à des niveaux plus proche de la population : le but est

119 Source : Présentation du Docteur Aziza BENNANI, Direction de l’Epidémiologie et de la lutte contre les maladies – Ministèrede la Santé, Mai 2006 – « Situation Epidémiologique au Maroc »

Page 51: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 51

de limiter les déplacements des patients vers les lieux de soins, et d’apporter les soins auplus près des patients en permettant la prise en charge au plus près de la population.

La décentralisation des soins concerne l’articulation des districts et des centres deréférence hospitaliers : depuis deux ans, les centres référents ont commencé petit à petit àjouer un rôle de plus en plus important dans la prise en charge des personnes vivant avecle VIH/SIDA, dans la région Souss Massa Draa et Tanssift Lhaouz (Agadir et Marrakech).

Les médecins référents prescrivent les antirétroviraux et prennent en chargecomplètement les patients. Il est aussi question de créer deux nouveaux pôles d’excellenceà Fès et Marrakech (le projet de Marrakech est déjà en cours de route). La question dedécentralisation concerne l’accès pour toute personne dans le pays, à tout le processusde conseils, de diagnostic, de prise en charge médicale et psycho sociale : l’enjeu est depermettre à tous les patients du pays d’accéder à une prise en charge efficace.

Les enjeux liés à la décentralisation sont nombreux, tant pour la formation du personnelsoignant des formations sanitaires, que pour les personnes des associations à impliquerdans l’accompagnement psychologique et social : les médecins des pôles d’excellence sontbien formés à l’annonce du diagnostic en cas de dépistage positif, en revanche les autresmédecins sont peu formés aux techniques de conseils, « pré-tests counseling » et « posttest counseling » : dans certains centre régionaux, les patients ne sont pas suivis : certainsmalades peuvent avoir un test positif sans recevoir aucune explication, dans d’autres cas,le médecin référent n’est pas informé. De plus, les centres de santé ne disposent pas dutest rapide du VIH. L’objectif est le renforcement et l’humanisation du réseau de soins desanté dans ces centres régionaux, et le développement des actions de partenariat avec lespôles en faveur de ces zones défavorisées.

Cette volonté très marquée en faveur d’une décentralisation devenue indispensablene s’applique pas seulement dans le champ de la médecine : elle s’applique égalementau champ associatif comme nous l’avons évoqué précédemment mais de manière plusgénérale à toute l’administration marocaine qui est actuellement un « chantier prioritairedu gouvernement marocain dont l’objectif est de permettre à aux citoyens de disposerd’une administration de proximité, efficace, efficiente , à l’écoute de leurs attentes etaspirations »120.

La France s’est d’ailleurs engagée à mener de façon conjointe avec la DirectionGénérale des Collectivités du Ministère de l’Intérieur marocain un projet d’appui àla décentralisation, à travers le Service de Coopération et d’Action Culturelle de sonambassade.

3/ Une approche « sur mesure » qui prend en compte le profil desacteurs impliqués.« Le sida a d’abord été appréhendé à l’hôpital sous l’angle médical etscientifique, comme maladie à traiter et sujet de recherche. Toutefois, au fur et àmesure que les caractéristiques du sida ont étés connues, d’autres dimensionsde la maladie sont apparues qui ne relevaient pas au sens strict du cadre

120 Discours du roi Mohammed VI à l’ouverture de la session parlementaire- Automne 2004.

Page 52: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

52 BADIN Julie_2007

médical. Il s’est d’abord agi de la prise en charge psychologique des patients,puis de leur prise en charge sociale »121,

Olivier Borraz ici réaffirme la nécessité d’une prise en charge globale du malade, nécessitéqui est au cœur de la stratégie du réseau Esther : le réseau implique dans ses programmesles secteurs médicaux et paramédicaux dans afin de participer au renforcement etl’humanisation du réseau hospitalier marocain et l’amélioration de la gestion et de l’utilisationdes ressources par l’adoption et l’implantation des outils développés, aussi bien dans ledomaine technique que technologique, dans le cadre de la réforme hospitalière.

3.1. L’hôpital pivotAvec l’apparition de l’épidémie de VIH, le rôle de l’hôpital a évolué : en effet, la prise encharge des malades du sida a d’abord concerné les services hospitaliers. Il apparaît évidentque l’hôpital marocain a longtemps peiné à assumer cette prise en charge : l’étude del’évaluation de la qualité de prise en charge des cas des infection réalisée en 2000122, apermis de révéler des défaillances importantes : l’entretien avec les malades n’était correctque dans la moitié des cas, le tiers seulement des médecins pratiquaient un examen cliniquecorrect, plus de 85 % des patients n’ont reçus aucune information sur la transmissionsexuelle du sida, seulement 14,7 % ont été informés sur la prise en charge du partenaire etuniquement 5,8 % informés sur l’utilisation des préservatifs.

Les deux indicateurs préconisés par l’OMS, Indicateurs de Prévention (IP) étaient à desvaleurs très basses ce qui témoigne aussi bien d’une mauvaise prise en charge diagnostiqueet thérapeutique (IP6) que préventive (IP7). Ces valeurs étaient respectivement de 13,9 %chez l’homme et de 2,7 % chez la femme pour l’IP6 et de 2,1 % pour l’IP7. Ce qui laisseprévoir un risque accru d’aggravation de la situation épidémiologique du VIH.

Les raisons avancées pour expliquer cette mauvaise qualité de la prise en charge parl’hôpital marocain étaient la faible qualification des médecins, une absence de supervisionde leur travail par une personne compétente, et de formation continue du personnel,l’insuffisance de moyens de diagnostic et de traitement et la mauvaise organisation de laconsultation curative.

L’intervention d’Esther ne se cantonne pas à l’accès universel des soins et auxtraitements, qui commencent à atteindre un niveau relativement satisfaisant au Maroc -exception faite des traitements antirétroviraux pédiatriques sur lesquels nous reviendronsdans le chapitre 2 -, mais elle vise de façon globale à une amélioration des soins, allant dudépistage au suivi psychosocial, en passant par l’annonce du diagnostic.Le but en est lerenforcement et l’humanisation du réseau hospitalier en ce qui concerne le diagnostic.

Cette annonce de diagnostic qui constitue un « rite d’institution »123, qui marquesolennellement le passage du patient de séronégatif à séropositif, « le diagnostic entérineune séparation entre l’état normal et l’état pathologique »124. Lors de cette première étapedécisive du diagnostic, la prise en charge psychosociale avec le « counseling »ou « co-

121 Olivier BORRAZ, « Les politiques locales de lutte contre le sida. Une dans trois départements français »,1998. Avec la

participation de Patricia LONCLE-MORICEAU et Cristel ARROUET, Ed. Logiques Politiques, L’Harmattan122 Institut national d’administration sanitaire, Ministère de la Santé du Royaume du Maroc, « Evaluation de la prise en charge desinfections sexuellement transmissibles , Dr Idrissi AZZOUZI.

123 Pierre Bourdieu, cité dans Sociologie du sida, op. cit.124 Idem

Page 53: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 53

conseil » est cruciale. Elle permettra de conseiller le patient, de l’informer, de le soutenirface aux perturbations psychologiques et sociales.

Au plan technique, le counseling exige écoute attentive et clarté des réponses,précision des questions et respect de l’autre. En outre, la connaissance des représentationstraditionnelles, culturelles de la maladie, le suivi des règles éthiques et juridiques sont despré requis à cette approche. Les bénéficiaires principaux du counseling sont la personneinfectée ou à risque, sa (son, ses) partenaires, la famille et les proches mais égalementtoute personne souhaitant connaître son statut sérologique. En résumé, le counseling peutse définir comme une relation interpersonnelle d’écoute, d’attention, de dialogue visant àapporter au consultant dans les situations de crise, à faciliter une démarche de solution deses problèmes et à développer ses aptitudes au changement.

Ce texte est extrait d’un guide de prise en charge psychosociale des personnes vivantavec le VIH distribué aux participants lors de formations pédagogique engagées dans lecadre du projet Esther. Ces formations visent à améliorer dans le même temps la priseen charge médicale, dès l’origine avec l’annonce du diagnostic, et psychosociale tout aulong de l’accompagnement du malade. Cet accompagnement n’est possible qu’en créant unvéritable réseau impliquant toutes les catégories de personnel. Esther « espère apporter uneréponse globale à un problème qui l’est tout autant : c'est-à-dire en prenant en compte toutesles facettes de « l’institution hôpital » : médicale, infirmière, administrative, technique etfinancière, mais aussi, « l’extra hôpital », c'est-à-dire tous les acteurs et institutions mobilisésautour de la question du VIH/sida dans le pays partenaire »125.

La raison d’être du réseau de santé est d’être centré sur le soin, mais sa particularitévient du fait qu’il reconnaît les interactions des différentes disciplines médicales, maiségalement du secteur sanitaire et du secteur social. Ces différents champs étaienttraditionnellement séparés, et leur mobilisation conjointe dans le cadre d’une action decoopération internationale est un gage de qualité et de globalité dans la prise en chargedes patients, en ce qu’ils favorisent des connexions nécessaires entre des élémentspréexistants.

Cette transversalité dans l’action est d’autant plus indispensable qu’une part de plusen plus importante des dépistages se fait au niveau des associations : les centres detraitements ambulatoire administrés par la section marocaine de l’Organisation Panafricainede Lutte contre le sida et les centres d’informations et de dépistage anonyme et gratuits(CIDAG) animés par l’ALCS assurent un nombre croissant de tests, à tel point quedepuis deux ou trois ans, la deuxième association dit être dépassée par la demande : lespermanences ont lieu tous les mercredis depuis dix ans et sont assurées par des bénévolesde l’association, mais depuis trois ans, il a fallu ajouter un nouveau jour de permanencepour pouvoir répondre à la demande de dépistage. En plus du nombre de permanencesinsuffisants, le nombre de centres lui non plus n’est pas en adéquation avec la demandequi se tourne de plus en plus vers les associations : si l’on prend l’exemple de Casablancaqui compte 5 millions d’habitants, un seul centre de dépistage ALCS est opérationnel.

On constate que les associations participent activement au suivi et à la prise en chargede la maladie : l’ALCS revendique une file active de 800 patients à Casablanca, de 300personnes à Rabat et 150 personnes à Marrakech.

Cette prise en charge des malades par les associations n’est pas le résultat d’unecontestation du monopole de l’hôpital, comme cela a pu être le cas en France ou la priseen charge à l’hôpital « a suscité des tensions puis des contestations qui ont débouché sur

125 Interview Anne Petitgirard Présidente d’Esther sur le sida www.survivreausida.net

Page 54: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

54 BADIN Julie_2007

de nouvelles formes de suivi des malades », mais plutôt de l’incapacité d’une volonté de sedécharger de ses patients indésirables :

« La prise en charge ? Certes l’hôpital fournit des infrastructures de base, mais sansl’ALCS, que seraient devenu ces malades, dont le Maroc a honte sans se l’avouer ? »126.La sphère privée semble ici avoir pris le relais de la sphère publique concernant ce thèmeque les acteurs institutionnels ne souhaitent pas s’approprier.

3.2. L’importance de l’extra hôpitalLa prise en charge médicale est assurée par un personnel médical plus qualifié etexpérimenté à l’intérieur des deux pôles d’excellence, et dans des centres de référencesrégionaux. Cependant, Le sida est une « maladie sociale, cette dimension sociale concernedeux aspects différents : la situation de précarité qui entoure de nombreux patients […] etles facteurs sociaux qui entourent la contamination.127 Or la prise en charge psycho socialene bénéficie pas de la même attention du côté des autorités sanitaires marocaines. Cettepartie de la prise en charge est assurée par les associations, à commencer par l’ALCS.La prise en charge psychosociale étant un des axes majeurs du travail du GIP Esther, unepartie importante se fait en relation avec les associations, et en premier lieu l’ALCS, dontle travail dans ce domaine est particulièrement précieux au Maroc du fait du peu d’actionsmenées par le secteur public.

Les autres associations ont souhaité être impliquées au côté de l’ALCS, dans laprise en charge, y compris pour l’éducation thérapeutique. Il est en effet nécessaire deformer le plus grand nombre de personnes possibles à la prise en charge, au sein desassociations générales et sectorielles, afin de rendre le personnel associatif apte à répondreaux demandes des malades, et pour prendre en compte la demande grandissante au furet à mesure que se décentralise la prise en charge médicale. Esther est donc amenée às’appuyer largement sur les différentes associations qui composent le paysage marocain.

L’objectif est d’impliquer « les organes secondaires » entre l’Etat et la société, demanière à mobiliser les secteurs publics et sociaux susceptibles de donner à la lutte contrele sida un caractère multisectoriel. Une action efficace implique la participation accrue desassociations pour atteindre les groupes sociaux les plus larges possibles.

En dehors de l’ALCS et de l’OPALS, les autres associations marocaines ont une trèsforte dimension sectorielle : l’association des jeunes marocaines, pour le développement,les associations de femmes, les associations de malades comme l’association « le Jour ».

Cette association est née en avril 2006 du fait de la volonté de ses fondateursporteurs du virus « de combler certaines lacunes quant au soutien aux malades séropositifs,notamment pour ce qui est du soutien psychologique dont seul un malade peut ressentirl’importance […] au Maroc, toutes les sources de soutien raisonnent en terme d’argentet de médicaments. Pour eux, le fait d’assurer la quantité de médicaments nécessairesaux malades est le seul geste susceptible de les aider. Seulement, en s’enfermant dansce raisonnement trop matériel, on oublie souvent de penser au malade en tant qu’êtrehumain. On oublie de penser à son état psychologique, à sa vie sociale et à sonactivité professionnelle qui deviennent complètement bouleversés…On oublie souvent de

126 Article de Najlae Benmbarek, in La Vie Economique, quotidien marocain francophone du 15 juillet 2005.127 Politiques locales de lutte contre le sida, op. cit.

Page 55: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 55

s’intéresser au côté humain de la chose ». 128 Cette association constituée de personnesvivant avec le VIH fait figure de pionnière au Maroc, la majorité des associations seconcentrent sur la prévention, sur les soins…mais peu d’associations travaillent sur lasocialisation des malades, sur les défis qui leur sont posés quand il s’agit de vivre avecla maladie au quotidien. Or, les différentes études qui ont étés menées sur l’impact desassociations de lutte contre le sida démontrent que ce sont elles qui ont réussi à favoriserl’intégration de l’individu malade dans la société129.

Les réactions d’hostilité et les pratiques de discrimination sont pourtant encorerelativement virulentes au Maroc, en témoigne les nombreux témoignages des séropositifsdans l’article de Telquel (hebdomadaire francophone marocain) de novembre dernier dansun dossier intitulé « Avoir le sida au Maroc », qu’illustre le témoignage d’un sidéen de 36ans, Abdelaziz :

« Je n’arrive plus à m’asseoir, ni à dormir, je perds du sang tout le temps, j’ai trèsmal. Ce n’est pas le sida qui me rend malade, ce sont les hémorroïdes. Aucunhôpital ne veut me prendre. Les médecins ont peur de me toucher et de m’opérerparce que j’ai le sida […]. Aujourd’hui, j’habite chez ma mère, je ne travaille pas,c’est elle qui me donne de l’argent de temps en temps. Ma famille sait que je suismalade, leur comportement n’est plus le même avec moi. Je sais que mon frèrene veut pas que ses enfants s’approchent.[…]. C’est très difficile à vivre, avoir lesida ça m’a complètement isolé, de mes amis, de ma famille. Ceux qui savent queje suis atteint me fuient ».

Il semble donc qu’il existe un manque du côté associatif marocain : malgré une vraiemobilisation sur le terrain dont les réussites sont indéniables, elle ne sont pas arrivées àinfluer de façon déterminante sur la perception de la maladie par la société marocaine.

Cependant, si l’on s’appuie sur l’exemple français, le discours associatif qui faisaitappel à la mobilisation de la société française contre une maladie « qui peut toucher toutle monde » demandant la solidarité envers les malades et dénonçant les stigmatisations alargement du sons succès au fait qu’il ait été relayé, en premier lieu, par les médecins etles professionnels de la santé publique130. Le réseau associatif a donc tout intérêt à menerson combat de front avec le monde médical.

Il est ici question de se demander ce qu’il est légitime et raisonnable d’attendre del’action des associations et ce qu’elles sont dans l’incapacité de faire. Doit-on les considérercomme les acteurs primordiaux et centraux de la lutte contre le sida, allant de la redéfinitionde l’opinion publique à la prise en charge des malades ou au contraire comme de simplesstructures d’accompagnement se bornant à mener son action dans les zones laissées decôté par l’action gouvernementale. L’énumération des actions que nous avons évoquéeprécédemment témoigne bien au contraire du rôle indispensable du tissu associatif, quinécessite toutefois que les pouvoirs publics lui garantissent des conditions favorables.

3.3. Un réseau associatif encore insuffisamment efficaceLa situation des associations thématiques au Maroc est assez particulière. Au contrairedes pays d’Afrique au Sud du Sahara où la société civile joue un rôle primordial dans la

128 Interview de Jamal KHALID, fondateur l’Association « Le Jour »www.survivreausida.net129 Les malades en mouvement, La médecine et la science à l’épreuve du sida, J. BARBOT, Editions Balland, Paris 2002.130 « Vingt ans après…l’évolution de l’épidémie », C. HERZLICH, Etudes, Tome 396, 2002/2.

Page 56: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

56 BADIN Julie_2007

dynamique de lutte contre le VIH/SIDA, au Maroc le tissu associatif est assez disparate.Différentes associations travaillent dans le domaine de la lutte contre le VIH/SIDA, dont laplus ancienne est l’ALCS, première association dans le domaine de la lutte contre le sidaau Maghreb en1988 par le Professeur Hakima Himmich. Chacune travaille plus ou moinsdans un domaine de « spécialisation», beaucoup dans la prévention, peu dans la priseen charge, les soins et l’accompagnement. Les groupes cibles ne sont pas toujours lesmêmes non plus. Or il serait plus judicieux de se regrouper pour donner plus de poids àleurs enjeux communs et agir de façon collective et complémentaire car en dépit du nombreimportant d’acteur mobilisés à tous les niveaux de la population, le réseau associatif est trèsfragmenté, et dès lors peu visible, si l’on excepte l’ALCS.

L’ALCS est l’association qui semble couvrir le domaine le plus large; ses interventionsconcernent la prévention, le dépistage gratuit et anonyme, les soins, la fourniture demédicaments pour les infections opportunistes (IO), l’accompagnement psycho-social etl’éducation thérapeutique en étroite collaboration avec les médecins traitants des hôpitaux.C’est aussi l’association qui a la plus grande expérience dans le domaine de la prise encharge et des soins.

« En 2002, je suis tombé malade. J’ai été hospitalisé pour une tuberculosependant deux semaines. Ils ont dit que j’avais une anémie et que je devaisêtre rapatrié au Maroc. Lorsque je suis arrivé, je pesais 43 kilos au lieu de mes76 habituels, un vrai squelette ! J’ai été hospitalisé à l’hôpital Ibn Rochd àCasablanca. Lorsque les médecins m’ont dit que j’avais le sida, j’étais effondré.Je suis passé par une dépression grave. Ce sont les gens de l’ALCS qui sontvenus vers moi, m’ont informé, m’ont soutenu. Quant à ma famille, ils ontconsulté mes analyses et appris que j’avais le sida.[…] Un de mes frères adit « Jetez-le sur la terrasse jusqu'à ce qu’il meure ! »[…]maintenant avecl’information, ça va mieux, ils en savent plus, ils ont moins peur. Au début c’étaitl’enfer, l’enfer… ».

L’OPALS (Organisation Panafricaine de Lutte contre le VIH/SIDA) couvre aussi un éventailassez large, de la prévention surtout auprès des femmes et des jeunes aux consultationsmédicales, via le dépistage jusqu’à l’accompagnement des personnes vivant avec le VIH.

La première association des PVVIH a été créée au Maroc en 2005 « l’Association dujour ». Un appui aux activités de cette nouvelle association est prévu dans les nouveauxprogrammes nationaux. Il s’est aussi crée en 2005 une association pour les enfants affectés/infectés par le VIH/SIDA –l’association SOLEIL, rendue nécessaire par l’augmentation dunombre d’enfants vivants avec le VIH/SIDA au Maroc, qui joue un rôle important dans lamise en place du projet pédiatrie sur lequel nous reviendrons dans le chapitre 2.

Les associations thématiques autres que l’ALCS estiment que cette dernière« monopolise le domaine et ne partage pas son expérience », la présidente de l’association« Soleil » se plaint que « tout soit mit dans le panier de l’adulte »131. L’ALCS travaille aussiavec des associations non thématiques (par exemple l’Association Marocaine de SolidaritéEt Développement (ADSEM), ainsi qu’avec des associations locales de développement, defemmes etc., suite au SIDACTION de décembre 2005. Par ailleurs, l’ALCS a lancé un appelà proposition aux associations avec lesquelles elle travaille pour des propositions de projets.

Le GIP ESTHER dans sa coopération avec le Maroc s’appuie surtout sur l’ALCS.Malgré des prises de contacts, ses collaborations avec d’autres associations ne sont pour

131 Entretien avec Soumia Benchekroun, Présidente de l’association SOLEIL le 18 avril 2007 à Marrakech.

Page 57: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 57

le moment pas significatives. ESTHER n’est pas encore arrivé a contribuer à la mise enplace d’un vrai réseaux d’associations comme elle l’a fait dans d’autres pays dans lesquelselles intervient.

En France ESTHER n’a pas crée de liens formalisés avec des associations dans lecadre de son projet Maroc. Une association française, SIDACTION travaille en collaborationavec l’ALCS au Maroc, c’est aussi le cas de SIDA Info Service France qui travaille avecl’ALCS sur les projets d’écoute. En 2005, 21 % de l’allocation des ressources de l’ALCSétait liée aux projets ESTHER (1 224 857 de dirhams, +/- 122 000 €) , ce qui représente ledeuxième rang derrière le Fonds Mondial marocain (2 237 400 dirhams, +/- 223 000 €) quireprésente 37 %. La plus importante part des ressources sert aux activités de préventionsuivies par la prise en charge et l’accompagnement132. Jusqu’en 2006 le GIP ESTHERsignait des conventions avec les différentes sections de l’ALCS, mais normalement, l’ALCSdevrait soumettre fin 2007 un projet national qui mènera à une seule convention entre l’ALCSet le GIP. Ce projet permettra de centraliser la gestion de la convention au sein de l’ALCSà Casablanca, permettant ainsi une meilleure coordination au niveau de l’association, deséconomies d’échelle…plutôt que de démultiplier les conventions sur tout le territoire, etpermettrait de déployer de nouveaux sites.

D’après une déclaration du ministre de la santé marocain, « la capacitéd’accompagnement de la décentralisation médicale par la société civile est un facteur àsuccès pour le futur »133. Cependant, il semble que le réseau associatif soit lui aussi trèsfortement centralisé au Maroc, autour de l’ALCS, et du Professeur Himmich, personnageincontournable du paysage de la lutte contre le sida au Maroc, qui gère la majorité desactions au niveau national.

La centralisation de la majorité des actions autour d’une association bien qu’elle soitopportune à certains titres, notamment la cohérence, le suivi des actions engagées et enterme de visibilité, rend nécessaire des efforts pour faire évoluer le paysage associatifvers une déconcentration, afin de permettre à d’autres associations plus spécifiques et deplus petite envergure de mener des actions vers les publics spécifiques. Ces associationssupportent d’ailleurs de moins en moins bien l’hégémonie de l’ALCS, en témoigne lapolémique dont le Sidaction 2005 a été le théâtre, les associations allant même jusqu’àla qualifier « d’opération marketing au profit d’une seule association »134. A l’occasiondu Sidaction 2005, les associations marocaines de lutte contre le sida ont dénoncé avecvigueur ce qu’ils qualifient de « monopole par l’ALCS ». L’association Sud contre lesida, l’AMJCS et la LM-MST se sont insurgées d’avoir été « tout simplement écartées,alors qu’ [elles existent] déjà depuis de nombreuses années et ont à leur actifs plusieursréalisations, aussi bien en faveur des patients que de la société marocaine. [Elles] se sontestimées lésées et jugent que la lutte contre le sida requiert l’engagement et l’adhésion detoutes les forces vives de la nation».

Alain Caillé135 analyse ces fractures au sein du monde associatif, en ayant recoursà un idéal typique historique qui démontre l’asymétrie de la société civile : il montrecomment l’éclatement du monde associatif actuel s’opère en fonction de deux logiques

132 Rapport d’activité ALCS 2006- Allocation des ressources par projet.133 Discours du ministre de la santé marocain M. BIADILLAH à l’occasion de l’ouverture de la journée nationale de lutte contre

le SIDA, le 10 décembre 2006.134 Aujourd’hui le Maroc, quotidien marocain francophone, du 21 décembre 2005.135 Société civile, société civique, op. cit.

Page 58: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

58 BADIN Julie_2007

de clivages principales. La première oppose des associations encore proches du mondetraditionnel, qui privilégient un principe d’interconnaissance et de sociabilité primaire136 -comme l’association Sud contre le sida peu structurée, créée dans la région du SoussMassa Drâa située dans le haut Atlas, très sévèrement touchée par l’épidémie-, et lesautres associations, qui recrutent sur la base d’une appartenance et d’une compétenceprofessionnelle reconnues.

Le plan national de lutte contre le sida 2006-2011 témoigne de la volonté Ministère dela santé marocain d’aller dans le sens d’un appui aux autres associations, notamment celledes personnes vivant avec le VIH, comme « L’association du jour », pour qu’elles puissentjouer leur rôle dans la chaîne d’interventions.

Orientée par cette décision, une mission d’accompagnement du réseau associatif a étéinitiée en mai 2006 auprès des acteurs associatifs marocains par une consultante, qui doità l’avenir faciliter le suivi et l’évolution des projets associatifs.

Chapitre 2 : Une approche en réseau sur le mode dupartenariat qui permet d'imprimer un mouvementpérenne

1/ Un cas concret : le projet PTME/pédiatrieAu fil de ses cinq années d’existence, le GIP Esther s’est efforcé de tisser un réseau entretous les acteurs qui participent à la prise en charge globale des personnes vivant avec leVIH/Sida : les hôpitaux français sont jumelés avec des hôpitaux du Sud, ils ont intégré dansleur réflexion les actions des associations et de tous les acteurs impliqués dans la luttecontre le sida dans les pays partenaires, qui permettent d’élaborer un suivi psychologiqueet social des personnes porteuses du virus. Tous les partenaires sont impliqués à tous lesniveaux du projet, ils sont tous concertés lorsqu’un nouvel axe de coopération est décidéavec l’appui du GIP Esther : les projets sont négociés, les actions à mener en priorité et lesbudgets sont décidés de façon concertée avec les coopérants, les médecins, les infirmierset le personnel associatif.

Les actions de coopération soutenues par les professionnels du réseau Esther etsubventionnées par le GIP viennent répondre à une réelle demande, à des manquesressentis sur le terrain dans la prise en charge quotidienne des patients vivant avec le VIH.L’exemple du projet PTME/pédiatrie en est l’illustration dans le sens ou, conformément àla stratégie Esther, il s’inscrit dans la convention signée entre la France et le Maroc, dansles objectifs définis de façon internationale, et répond à une vraie demande de la part despartenaires marocains.

1.1 Une vraie connaissance des problèmes qui émane du terrainL'approche d'ESTHER est centrée sur le malade et elle se fonde sur la participation conjointede tous les acteurs locaux et personnels coopérants, et sur la concertation avec tous ses

136 Pour Alain Caillé, la sociabilité primaire est celle que l’on observe dans les sociétés paysannes. La sociabilité secondaireest celle des sociétés ou il existe « une spécialisation des activités » et « des médiations institutionnelles ».

Page 59: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 59

acteurs, qu'ils soient issus des systèmes de santé ou de la société civile, qui est sans doutele gage de son efficacité et de l’adéquation de ses programmes avec la situation du pays.Ce choix de mode de coopération de réponse à une demande formulée par le partenaire estun choix politique, qui rompt avec les démarches imposées teintées de néo-colonialismed’aide au développement137 ; mais il est également dicté par un soucis d’efficacité : pourréussir durablement, l’aide apportée par les formateurs du GIP ne doit pas être imposéede l’extérieur, mais répondre aux priorités et aux stratégies définies par les partenairesmarocains.

La coordination entre le personnel impliqué dans le projet se fait lors de comités deliaisons réguliers, organisés par la personne chargée de projet au Maroc, Sakina Aznag, etde la Présidente de l’ALCS, qui, en tant que personnage incontournable de la lutte contrele sida au Maroc, remplit le rôle de coordinatrice sur place, de façon informelle. Tous lesacteurs sont invités à participer à ces comités de liaison, au cours desquels chacun fait partde ses observations sur le déroulement du programme : ils sont l’occasion de faire un bilandes actions menées en commun, mais également d’échange sur les directives nationalesconcernant la lutte contre le sida. Ces regroupements constituent des moments importantsde la vie du réseau. Ils apparaissent comme les moments d’échange par excellence dedéfinition des besoins et des problèmes de chacun. C’est également au cours de cescomités d’action qu’Esther peut évaluer le résultat de son action.

L'expertise formulée par les techniciens du GIP est comprise par ses interlocuteursmarocains parce qu'elle est rattachée à leur expérience technique quotidienne, àl’expérience des personnels impliqués dans la collaboration: c'est un véritable échange quise met en place.

Le partenariat Esther à Rabat qui unit le CHU Ibn Sina et les Hospices Civils de Lyona permis de lancer en octobre 2006 la première expérience d’un programme de préventionde transmission mère à l’enfant (PTME) au Maroc, pionnière d’une expérience de ce genreau Maghreb. Le but est de dépister 10 femmes enceintes séropositives pour le VIH, et100 femmes enceintes porteuses de l’hépatite B par an. Dans la législation française ledépistage de l’infection VIH chez la femme enceinte est régi par l’article 48 de la loi du 27janvier 1993 « A l’occasion du premier examen prénatal, après l’information sur les risquesde contamination, un test de dépistage de l’infection par le VIH est proposé à la femmeenceinte », ce qui a permis de réduire considérablement le taux de transmission mère enfantà 1% en 2005138 : le fait de dépister la maladie avant l’accouchement permet de mettre enplace un traitement anitrétroviral durant la grossesse et « d’assurer un véritable traitementpost-exposition à l’infection en poursuivant le traitement antirétroviral chez l’enfant après lanaissance »139. Pour sa part, la législation marocaine ne donne pas de caractère obligatoireau dépistage de la femme enceinte, alors que selon les estimations de l’ALCS, le sida toucheune femme enceinte sur mille au Maroc.

Ce projet il consiste à proposer un dépistage anté-natal du VIH/sida, de façon à prendreen charge les patientes au cours de la grossesse plutôt qu’à l’accouchement.

Le projet comprend des formations- la première a eu lieu en novembre 2006, avec desmédecins, des sages-femmes et des infirmières-, l’organisation du circuit des prélèvements

137 Repenser l’aide au développement aux XXIeme siècle, op.cit.138 Rapport sur la prise en charge des personnes infectées par le VIH, recommandations du groupe d’experts, sous la direction

du Professeur J.F.DELFRAISSY, Médecines-sciences Flammarion, Paris, 2004.139 Idem

Page 60: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

60 BADIN Julie_2007

et dès les résultats, la mise en place d’un circuit de prise en charge des patientes dépistéespositives au cours de leur grossesse et de leurs enfants. Ces dispositions sont d’autant plusindispensables qu’à la maternité de Rabat, bien que les infirmières et les sages-femmesne voient aucun inconvénient à s’occuper des patientes porteuses du VIH, il n’en va pasde même pour le reste du personnel paramédical de l’hôpital. Après son accouchement,la femme séropositive est transférée dans un lit ailleurs dans l’hôpital, ce qui pose unproblème du point de vue de la confidentialité, la famille de la patiente risquant d’apprendresa séropositivité. D’autre part, les infirmières n’acceptent pas que les patientes séropositivespartagent le lit des autres femmes ayant accouché –en raison d’un manque de place, il ya parfois deux femmes par lit.

C’est pour ces raisons qu’il est nécessaire de réserver une salle au sein du plateautechnique d’accouchement pour les femmes porteuses du virus.

Une collaboration entre Esther et l’UNICEF (Formation des Nations Unies pourl’enfance) est en cours d’étude sur les formations de conseil dans le cadre des projets PTMEqui seront menés dans les différentes régions marocaines. Un autre projet est égalementen cours d’élaboration, qui concerne la formation de trois pédiatres des trois sites soutenuspar le GIP Esther au Maroc (Rabat, Casablanca et Agadir).

Ce projet s’inscrit également dans les « Aspects novateurs » du programme de santénational pour la période 2007-2011, et est couplé à un autre projet, celui du programmespécifique auprès des enfants en situation de précarité.

1.2. L’implication indispensable du réseau associatif : une démarchepartenarialeEsther a soutenu ce projet à la demande des acteurs locaux qui a été soutenu lors d’uncomité de liaison en septembre 2006. Le réseau est un espace de parole et d’initiative dufait de l’implication des différents acteurs : les associations et les personnes malades jouentun rôle central et leur participation permet d’ancrer les projets sur le terrain : les initiativesEsther émanent de demandes qui leurs sont faites par les partenaires, lors des comités deliaison qui sont prévus dans les textes et qui doivent se réunir au minimum deux fois par an,mais qui peuvent être sollicité aussi souvent que nécessaire.

Le projet pédiatrie a été initié du fait du constat que les enfants ont étés laissés de côtédans la majorité des programmes d’aide au développement au Maroc jusqu’à présent. Or,les chiffres montrent qu’il est temps d’intégrer les enfants et les femmes enceintes dans lesprogrammes de coopération.

Le meilleur exemple en est sans doute le programme PTME/ pédiatrie, dernierprogramme en date mis en place : le travail sur la transmission mère/enfant et surl’effort consacré à la prise en charge des enfants infectés, conformément aux orientationsinternationales et du PNLS, qui est en cours d’expérimentation sur le terrain en concertationavec le Professeur Soumia BENZEKROUN, pédiatre et présidente de l’association SOLEIL :« Partant du constat alarmant de la situation des enfants vivants avec le VIH, qui portent untribut bien trop lourd au VIH, SOLEIL a décidé de s’associer pour assurer un renforcementdes acteurs de la prévention et de la prise en charge du VIH chez l’enfant au Maroc »140.

Au Maroc, les enfants sont pris en charge par le service pédiatrie jusqu’à l’âge de 14ans. Au-delà, les patients vont dans les services pour adultes. A Rabat, la prise en chargedes enfants se fait au niveau du service d’immunologie. Le nombre d’enfants actuellement

140 Idem

Page 61: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 61

suivis par le service immunologie est de 24 enfants positifs pour le VIH, douze d’entre euxsont sous antirétroviraux.

Il existe un manque d’expérience et de formation chez les personnels médicauxet paramédicaux dans le domaine de l’annonce du diagnostic à l’enfant, de l’éducationthérapeutique et du suivi psychologique des enfants, qui ne font pas l’objet d’un suivi plussoutenu par rapport aux adultes, et qui n’est pas adapté.

Les antirétroviraux sont gratuits pour les enfants mais il est difficile d’obtenir desantirétroviraux pédiatriques, beaucoup plus chers, or l’adhésion d’un enfant à un traitementantirétroviral classique est difficile à maintenir et le résultat du traitement est plusqu’incertain. Le GIP Esther envisage actuellement d’avoir recours à la fondation Clinton,

L’épidémie de VIH progresse chez les enfants au Maroc141. L’accès au traitementantirétroviral pour les enfants accuse un retard beaucoup plus marqué que chez lesadultes, 95% des enfants ayant besoin d’un traitement n’y ont pas accès. Faute de soinsappropriés, la moitié des enfants infectés meurent avant l’âge de 2 ans. La principale voiede contamination du virus est la transmission de la mère à l’enfant : moins de 10% desfemmes enceintes ont accès à des services pour réduire cette transmission. Moins de 10%des enfants rendus orphelins ou vulnérables par le sida reçoivent une aide publique ou ontaccès à des services de soutien.

L’objectif de la participation de l’association SOLEIL au projet ESTHER est d’amener lessoignants et les acteurs communautaires à s’impliquer dans les soins et l’accompagnementdes enfants séropositifs : « traiter les enfants est vraiment un problème, dont on a prittardivement conscience et c’est aujourd’hui un de nos principal défi »142. Le GIP Estherappuie surtout le projet ESPOIR porté par l’association SOLEIL et sa présidente, enl’impliquant au projet Esther, au moyen d’un axe de formation avec l’organisation initialeparticipative sur le VIH/sida pédiatrique au Maroc, et une formation continue à l’aide dedifférents supports : une lettre mensuelle, des fiches de formation pratique et des réunionsd’information consacrés à la prévention et à la prise en charge du VIH, à l’aide égalementd’ateliers de formation de médecins pour le diagnostic et la prise en charge des enfantsinfectés.

Le projet comporte également un axe de plaidoyer de renforcement de l’informationdes parents et des enfants vivant avec le VIH, l’appui à la réalisation de campagnes localesde diffusion de l’information et de partage des expériences menées avec les réseauxinternationaux.

2/ Le GIP Esther comme « chef d’orchestre » du réseau decoopération.

L’action du GIP Esther dans la coopération que nous avons décrite est donc de concevoirune stratégie de coopération adaptée au terrain auquel elle s’applique : de déterminerles points qui nécessitent une transmission du savoir des personnels français vers lespersonnels du pays partenaire en tenant compte des spécificités de chacun afin d’initier uneinteraction la plus bénéfique possible. Les règles qu’appliquent le GIP sont donc définies encours d’action, pendant la mission exploratoire, par les chefs de projets et les personnels

141 Entretien avec le Professeur Soumia BENZEKROUN, pédiatre et présidente de l’association SOLEIL spécialisée dans lesoutien aux enfants affectés par le VIH.

142 Entretien avec une éducatrice thérapeutique impliquée dans les projets Esther.

Page 62: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

62 BADIN Julie_2007

des deux pays : le but recherché est la hiérarchisation la plus faible possible, le GIP cherchea mettre en place une action horizontale stable et pérenne, qui n’est possible que lorsqu’elleest appropriée par les acteurs impliqués dans la coopération.

2.1. L’abandon de la substitution Les formations organisées par le GIP qui ont lieu dans les deux centres de référence depays forment les médecins à la prise en charge initiale clinique et biologique de l’infectionVIH : le système de santé marocain est organisé en centres, chaque personne appartient àun centre de santé composé d’un groupe de généralistes. Le médecin du centre de santédécidera si la personne a besoin de la consultation d’un spécialiste, cependant le but estde les former pour qu’ils puissent participer à la mise en route du traitement et au suivi dupatient. Cependant, que ce soit dans les pôles d’excellence ou dans les centres régionaux, iln’existe pas encore de système de suivi des patients, notamment pour ceux qui ne viennentpas à la consultation : à Rabat, le médecin appelle le patient sur son portable avec sonpropre téléphone, ce qui est possible car le nombre de patients est encore relativementlimité, mais cette situation, au regard des prévisions concernant l’évolution de l’épidémien’est pas viable sur le long terme.

Cependant, les chargés de projets, bien qu’ils fassent un constat généralement trèspositif des actions mettent l’accent sur le fait que le partenariat a vocation à accompagnerle pays partenaire dans ses initiatives pour améliorer la prise en charge des patients maisne peut en aucun cas se substituer au système de santé dans lequel il intervient.

En effet, tirant les leçons de l’erreur majeure qu’ont commis les politiquesde coopération qui étaient menées dans les années 1990 consistait à écartersystématiquement et à marginaliser les décideurs et les professionnels nationaux jugésincompétents. Or, l’expérience montre que la réussite d’une opération du Sud requiertune responsabilisation des acteurs du pays bénéficiaire : les objectifs et le programme decoopération doivent être négociés dans un véritable perspective contractuelle dans le cadred’un réel dialogue. Le but d’Esther est avant tout de faire acquérir de part et d’autre descompétences immédiatement utilisables, dans l’esprit d’une réelle coopération qui suppose« un certain degré de confiance et de compréhension »143, contrairement à une logiquede substitution, qui consiste pour le pays donateur à envoyer des experts pour occuperdes postes d’encadrements à la place des cadres locaux insuffisamment formés. Loin des’apparenter à une telle action ponctuelle, le GIP ESTHER ne réalise pas ses projetsen implantant des structures nouvelles, importées des pays du Nord, mais son action secaractérise par la volonté de poursuivre ce que les associations et personnels locaux ontmis en place, en leur offrant une valeur ajoutée grâce à sa logistique et à son expertise.

Grâce à cette méthode de compagnonnage, il a contribué au renforcement descapacités des services de soins des personnes vivant avec le VIH des personnels médicauxet associatifs sur place, en fonctionnant sur le mode du compagnonnage entre les différentsspécialistes et soignants, c'est-à-dire dans une démarche d’accompagnement qui doitaboutir à terme à une autonomie du pays partenaire, le GIP lui-même n’impose aucun projetmais étudie les demandes qui lui sont faites, et met les personnels adéquats en relation enfournissant les fonds nécessaires à la mise en place de ses programmes : il se contented’un rôle de « chef d’orchestre »144.

143 Définition du Petit Larousse.144 Expression employée par Sakina Aznag, chef de projet Maroc.

Page 63: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 63

D’après Hicham Sbay, Directeur des relations internationales de l’Hôpital Ibn Sina,impliqué dans la coopérations avec les HCL, l’impression générale est « qu’il s’agit decollègues qui travaillent dans le même but, chacun apportant du mieux qu’il peut au mieuxde ses expériences et de ses expertises ». Les Marocains pensent qu’il leur est difficiled’apporter un « plus » médical à leurs collègues du Nord, mais le personnel des HCL affirmeapprécier l’échange avec le personnel marocain.

Les cliniciens marocains préfèrent parler de « partenariat » plutôt que de« compagnonnage » : « en effet, on travaille au jour le jour dans une relation d’échangetechniques sur des questions médicales qui intéressent les deux parties ».

Le programme ESTHER est entièrement cordonné au niveau national, il est pris encharge intégralement par les personnels marocains. Ces derniers ont même refusé lacréation d’un poste de coordinateur envoyé par le GIP sur le terrain, et ont montré une fortevolonté de conserver le processus entre leurs mains. Cela pose la question de l’autoritésur place et de la légitimité à décider : on s’aperçoit sur le terrain que les acteurs nes’entendent pas sur le mode d’action, et que le monopole de l’ALCS crée un désordre etempêche la montée en visibilité des autres associations. L’horizontalité du programme apour conséquence de démultiplier les acteurs, et donc les niveaux de décision sur un pland’égalité, et de complexifier la visibilité et la clarté des actions.

2.2. Un dispositif encore imparfaitUn des obstacles majeurs de l’action du GIP pour le moment est le manque de visibilité duGIP Esther et de ses actions : il semble que les acteurs qui ne sont pas directement sollicitéspar Esther ne connaissent pas le réseau. Des présentations du GIP ont été faites à plusieursoccasions, qui ont permis de faire connaître l’initiative du GIP et de son fonctionnement,mais seuls les personnes partenaires possèdent les informations. La communication pluslarge d’Esther se fait essentiellement au siège du GIP à Paris lors de conférences maisdans les pays, son action reste relativement confidentielle.

A titre d’exemple, la directrice de l’Institut National de l’Hygiène (INH) a par exempledéclaré avoir beaucoup mis longtemps à comprendre en quoi consistait l’initiative ESTHERet son appui au Maroc. Au contraire de ce qu’elle avait pensé, elle a été informéequ’ESTHER n’appuyait pas seulement les hôpitaux mais aussi les laboratoires et elle adonc été encouragée par les représentants d’ESTHER à préparer une demande d’appui,ce qu’elle a fait.

Il semble également que les bailleurs bi et multilatéraux manquent d’informationdétaillées, même quand ils font partie du comité de liaison. Les partenaires des projetsEsther eux-mêmes, notamment français se plaignent du manque de visibilité de leursactions de coopération, du manque de retour sur les actions qui sont menées en communavec les partenaires du Sud. Or une plus grande visibilité serait incontestablement unmoteur supplémentaire à l’engagement dans de nouvelles coopérations et un véritable atoutpour les hôpitaux engagés dans la coopération.

Une autre des critiques formulées à l’encontre du GIP concerne une gestion des projetsencore hésitante. Le CHU de Casablanca s’est complètement de la gestion administrativedu projet Esther vers la section de l’ALCS de Casablanca, alors qu’à Rabat c’est le CHUqui gère le projet. Il convient de noter ici que les médecins soignants ont tendance à ne pasvouloir attribuer réellement d’importance aux questions administratives car ils considèrentque leur métier consiste à traiter des malades, et que le temps passé sur des dossiersadministratifs est du temps perdu pour leurs patients. D’autres acceptent cette contrainte

Page 64: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

64 BADIN Julie_2007

comme un passage obligé, parfois démotivant, pour recevoir des fonds et travailler ainsidans un environnement professionnel de meilleure qualité, avec une meilleure qualité dessoins. La gestion est encore assez approximative et il est difficile de déterminer qui piloteréellement le projet sur place, le GIP n’ayant pas de coordinateur au Maroc, et cette tropgrande « horizontalité » semble représenter un frein à l’efficacité du projet, ce sont lespartenaires qui décident des projets que le GIP va appuyer dans le cadre de la coopération.Pour Sakina Aznag, chargée du projet Esther au Maroc, « la position des personnels surplace doit être prise en compte pour ne pas leur faire perdre leur enthousiasme dansl’engagement pour les projets de coopération », cependant l’opportunité d’un projet, bienqu’elle soit nécessaire ne suffit pas à la réussite de ce dernier, une bonne gestion des fondset des personnels est indispensable.

Le GIP essaie actuellement de trouver des arrangements qui satisfont tous les acteurs,entre les administrations des hôpitaux au Nord et des associations du Sud, en leur apportantdes appuis en gestion de projet ce qui pourraient décharger les hôpitaux si ces derniers nepeuvent prendre en charge ce type de gestion. Cette formation aurait pour effet de renforcerle tissu associatif dans leur capacité de gestion de projet de coopération : c’est de cettemanière que semble déjà fonctionner le CHU de Casablanca et l’ALCS, avec cependantdes faiblesses dans le bilan des activités menées dans le cadre du projet Esther, ce quiparticipe à la faible visibilité du projet Esther.

Enfin, l’ensemble des partenaires du projet dénonce une certaine lourdeuradministrative : il y a quasiment une comptabilité, un suivi de budget double entre lespartenaires marocains (surtout l’ALCS) et la fiduciaire marocaine qui assure le transitdes fonds et garantit une comptabilité professionnelle de l’exécution des budgets. Lesassociations ou l’hôpital engagent les commandes et dépenses à l’intérieur des budgetsdisponibles.

Les budgets sont organisés en rubriques, par exemple «formation», « médicaments »,« matériel »... La procédure est facile pour le partenaire marocain, du fait que lesfinancements passent par la fiduciaire marocaine, procédé plus léger du point de vue desautorités sanitaires marocaines, qu’un passage des fonds par le ministère des Affairesétrangères, et une gestion par le ministère de la Santé. Les conventions et les budgets sontannuels, à cause de l’annualité des budgets publics en France. Ceci demande selon lespartenaires français un suivi très régulier et plus lourd, des demandes d’informations plusfréquentes, et une planification des projets potentiellement instable.

La section de l’ALCS de Casablanca déclare être suffisamment outillée et capabled’assurer la gestion complète de la coopération initiée par Esther.

La responsable des relations internationales des Hospices Civiles a déclaré que si lesHCL n’avaient pas eu préalablement l’expérience de gestion de projets de coopération, lesprocédures Esther auraient été « un casse tête ». Elle déclare passer un tiers de son tempsde travail sur les deux projets Esther tandis quelle a beaucoup plus d’autres activités dansson domaine de responsabilité : les coopérations avec l’Afghanistan, l’Arabie Saoudite, laChine, l’Egypte, le Liban, la Roumanie, la Syrie…

On voit donc ici une des lacunes du GIP Esther qui peine encore –du fait sans doutede son existence assez courte, moins d’une décennie- à garantir une stabilité dans lesdispositifs de lutte contre le sida : son rôle d’initiateur et de mise en place lui est reconnut,et le GIP s’est incontestablement imposé comme un outil de coopération performant,seulement la multiplicité des acteurs impliqués ne développera ses potentialités qu’enfonctionnant de façon plus intégrée et plus complémentaire. L’octroi de moyens à chacun

Page 65: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 65

des acteurs de la lutte contre le sida est insuffisant et le projet Esther Maroc mériterait dela part du GIP un encouragement plus fort à mener une action commune, pour une priseen charge encore plus globale, par exemple sur le projet PTME/pédiatrie, aucun travail n’aété mené pour gommer les désaccords qui existent entre les associations sectorielles et lesassociations globales, « conformément au caractère profondément instable des dispositifsde lutte contre le sida » qu’évoque Olivier Borraz145 ; on peut prendre comme exemplele conflit entre l’ALCS et l’association SOLEIL, qui pour le moment se perçoivent commeconcurrentes dans la priorité des actions encouragées par Esther.

3/ Bilan et perspectives

3.1. Les objectifs pour l’avenirLes deux grands projets que le GIP Esther compte mettre en place à l’avenir pour donnerun nouveau souffle aux échanges avec les pays partenaires sont dans un premier temps lacréation d’un Observatoire régional sur les ressources humaines en santé mais avant tout,le projet qui sera le plus déterminant pour l’avenir concerne la facilitation de création deréseaux qui ne soient plus exclusivement constitués sur l’axe vertical Nord-Sud. En effet, ilest aujourd’hui question que le GIP Esther mette en place une prolongation de cette miseen réseau pour étendre cette initiative avec des pays du Sud, conformément à la demandequ’ont fait un grand nombre des pays partenaires.

En ce qui concerne le Maroc, la structuration du système de santé public dans le cadrede la lutte contre le VIH au niveau hospitalier avec des pôles d’excellence et des centresréférents favorise une collaboration entre hôpitaux à l’intérieur du pays. Certains partenairesmarocains ont évoqué l’idée de réseaux Nord/Sud/Sud, comme par exemple un réseau/jumelage qui inclurait les HCL, le CHU de Rabat, et l’hôpital Hasan II Agadir. Mais despartenariats sont également à l’étude au niveau des hôpitaux marocains, surtout des pôles

145 Les politiques locales de lutte contre le sida, op.cit.

Page 66: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

66 BADIN Julie_2007

d’excellence avec d’autres pays de la région, étant donné que le Maroc est le pays considérécomme le plus avancé du Maghreb en matière de lutte contre le VIH. Le rôle d’Esther dansses partenariats Sud-Sud n’est pas encore définit : pour le moment les chargés de missiondu GIP hésitent entre s’investir dans ces partenariats horizontaux, ou se contenter d’appuyerle Maroc pour qu’il soit en mesure à son tour de d’appuyer les personnels d’autres paysde la région.

Concernant les échanges entre pays du Sud, un Observatoire Sud-Sud devrait êtrecréé pour gérer les échanges de personnels de santé performants d’un pays du Sud versun pays en pénurie. L’objectif est qu’à l’avenir la formation et une plus grande partie desopérations soit assurée plus fréquemment par des acteurs du Sud entre eux.

Un autre axe de réflexion du GIP actuellement est la question des partenariats publicsprivés (PPP) : le GIP a commencé un travail autour de partenariats avec les entreprises quipermet de financer et donc d’étendre les initiatives et les soins à destination d’une part plusimportante de la population touchée par le VIH/sida dans les pays du Sud. En 2006, Esthera initié trois PPP : au Cameroun, a débuté un partenariat Esther-CIMENCAM (Ciments duCameroun), au Gabon avec Veolia Environnement, au Niger il existe un partenariat entreEsther et Areva.

3.2. Le rôle grandissant du réseau Esther sur la scène internationaleAujourd’hui Esther est l’élément essentiel de la politique de coopération de lutte contre le VIHmenée par la France. L’action menée par le GIP Esther dont nous avons essayé de rendrecompte tout au long de ce travail est menée de front dans seize pays : onze des coopérationss’effectuent sur le continent africain (le Maroc est le seul pays d’Afrique du Nord impliquédans une coopération), et il existe également une coopération avec le Vietnam. Le travailmené par le GIP a été salué lors d’une réunion au siège du GIP par les ambassadeurs despays partenaires qui l’ont qualifié de « partenaire crucial dans la lutte contre le VIH/SIDAen saluant sa méthode de travail et son esprit de fraternité ». Les résultats qu’affichaient leGIP en 2006 étaient impressionnants :

Formation de 5 000 professionnels de santé et d’intervenants dans les domainespsychologique et social depuis sa création,

La mise en place de 65 jumelages hospitaliers auxquels s’ajoute des partenariats avec80 associations locales impliquées dans les pays,

Le soutien de 123 sites de prise en charge dans 15 pays partenaires : centres deréférence et centres décentralisés.

Le réseau Esther en Europe a été renforcé en avril 2003 par un engagement communde quatre pays : l’Espagne, la France, l’Italie et le Luxembourg, pour développer l’initiativeEsther. Son assise européenne a été renforcée en 2004 par l’inclusion de quatre nouveauxpays : l’Allemagne, la Belgique, l’Autriche et le Portugal. La Grèce a rejoint le réseau Estheren 2006. L’initiative européenne possède un fort potentiel pour contribuer à faire progresserla lutte contre le VIH : les pays membres d’Esther en Europe se sont engagés à lancerrapidement de nouveaux projets dans des pays supplémentaires en Amérique Latine, enAsie dans l’Europe de l’Est et dans les Balkans.

Cependant, cette volonté de faciliter la consolidation des efforts des états membreseuropéens est doublée d’une forte volonté de respecter les approches nationales decoopération bilatérale est forte et importante. La facilitation d’un réel travail en réseausous ces conditions n’est pas facile. Un premier effort commun des partenaires pour la

Page 67: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Partie 2 : une action globale qui s'inscrit dans un contexte local

BADIN Julie_2007 67

soumission d’un réel projet européen de lutte contre le VIH/SIDA a été interrompu parla Commission Européenne pour des raisons inconnues; ce qui a constitué une certainedémotivation au niveau des membres du réseau.

Il est à noter que le réseau Esther fait l’objet de nombreuses de demandesd’organisations internationales telles que l’OMS, l’ONUSIDA ou la Banque Mondiale,sollicitation qui attestent de la reconnaissance du travail effectué par le GIP depuis sacréation il y cinq ans. Le GIP entretien une collaboration de plus en plus forte avec cesorganismes internationaux, notamment deux d’entre eux : la signature du Protocole d’accordavec l’OMS et de la Déclaration commune avec le Fonds Mondial de lutte contre le sida, latuberculose et le paludisme le 25 octobre 2004 est le symbole de la place incontournablequ’a pris Esther sur la scène internationale en matière de lutte contre le sida.

« C’est une reconnaissance de l’expertise d’Esther, de ses connaissancesacquises sur le terrain, de son réseau d’experts pour la conception, la miseen place et le suivi des projets de soin et d’accompagnement psychosocialdes personnes vivant avec le VIH/sida et de leurs familles, avec pour objectifles passage à l’échelle : augmenter le nombre de personnes traitées. Enfin, lasignature d’un protocole d’accord avec le Programme Alimentaire des NationsUnies (PAM) en septembre 2006 ouvre une nouvelle dimension dans l’aide etl’expertise apportée par les experts des équipes Esther dans la concrétisationde projets sur l’appui à une éducation à la nutrition. Les deux organismes sesont engagés à coopérer dans le cadre d’un plaidoyer commun sur l’importancede traiter la faim et la malnutrition chez les populations atteintes par le VIH.« Cela peut inclure des interventions médiatiques et l’organisation de colloques,de séminaires et de conférences, et si nécessaire, lorsque les ressources lepermettent, la coopération au sein de programmes conjoints d’assistancealimentaire sur le terrain pour les personnes affectées par le VIH »146.

Il est également à noter que le GIP, afin d’élargir l’intensité et la qualité de ses interventionsa noué des alliances avec des associations et des fondations internationales : des accordscadres ont étés signés depuis 2004 avec « REMED », « Sida Info Service », « Douleur SansFrontières », la Croix Rouge ou encore « l’Appel ».

Enfin, Esther collabore avec la « Clinton Foundation HIV/AIDS Initiative (CHAI), en luifournissant une assistance technique et en participant aux formations spécifiques dans lespays partenaires.

146 Protocole d’accord entre le programme alimentaire mondial des Nations Unies (PAM) et le Groupement d’intérêt

public « Ensemble pour une solidarité thérapeutique » (GIP ESTHER) concernant la coopération pour la prévention

et le traitement du VIH/sida signé en septembre 2006 par le directeur exécutif du PAM et le Président du Conseil

d’Administration du GIP, Bernard Kouchner.

Page 68: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

68 BADIN Julie_2007

Conclusion

« L’aide au développement constitue l’une des traductions concrètes del’impératif de solidarité qui inspire l’action extérieure de la France. A ce titre,elle est une composante essentielle, et constamment réaffirmée, de la politiqueétrangère française147 ».

La France est aujourd’hui l’un des acteurs majeurs de l’aide internationale audéveloppement, elle est de tous les pays industrialisés, le plus généreux donateur, l’objectifest de passer d’ici 2012 de 0,5% de son PIB consacré à l’aide au développement à0,7% en 2012. Environ 30 % des crédits français d’aide au développement financent desprogrammes gérés par la Commission européenne et des organisations multilatérales,comme la Banque mondiale ou le Fonds monétaire international. La part la plus importantedes crédits français est donc consacrée à l’aide bilatérale –bien que ces chiffres tendent às’inverser sur la dernière décennie avec un engagement communautaire de la France deplus en plus massif- directement apportée aux pays bénéficiaires par les administrationsfrançaises ou leurs opérateurs. Cette aide bilatérale est privilégiée car elle permet auxacteurs de s’engager dans une action approfondie, en permettant un dialogue étroit etrégulier avec le pays partenaire clairement identifié, et donc de participer aux bonnesrelations qu’entretiennent les pays. Elle est donc naturellement privilégiée dans la Zone deSolidarité Prioritaire (ZSP), qui a été définie par le gouvernement français en 1998.

Elle regroupe une cinquantaine de pays avec lesquels la France entend nouer unerelation forte de partenariat dans une perspective de solidarité et de développement durable.La proximité qui découle naturellement d’une aide bilatérale permet à la France de« bénéficier d’une connaissance intime des réalités du développement. Elle en recueilleaussi les enseignements et la légitimité qui lui permettent de peser sur les orientations àpromouvoir au plan européen et multilatéral. Cette légitimité est directement fonction dudegré d’exemplarité de notre action bilatérale, de sa pertinence, de son efficacité et de sacapacité d’innovation »148.

La coopération décentralisée dans le domaine sanitaire, au travers de l’exemple de lacoopération menée par le GIP Esther montre que la coopération, débarrassée du « tout-

147 Les cahiers du jeudi, DGCID, La documentation française, 2007.148 L’aide publique française au développement, op.cit.

Page 69: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Conclusion

BADIN Julie_2007 69

Etat » n’en est que plus efficace, mais l’Etat conserve de nombreux atouts dans son jeu : ilbénéficie des vertus du partenariat privilégié, c’est lui qui initie et négocie les partenariats,car il est un acteur immédiatement identifiable, avec sa crédibilité, ses ressources, sesréseaux, ce qui donne une légitimité, une stabilité et une visibilité qui serait inenvisageableavec une nébuleuse d’acteurs. Il reste donc un acteur incontournable et décisif dans lesrelations internationales, même dans l’aide au développement, et plus particulièrement dansla lutte contre le sida, que l’on pourrait croire totalement appropriées par les acteurs nongouvernementaux dont le nombre et l’engagement ne cesse de croître.

Ce sont les relations diplomatiques traditionnelles de gouvernement à gouvernementhéritées de l’époque post-colonialiste qui perdent de leur pertinence, et les projets qui endécoulent qui sont peu efficaces en terme de développement humain : l’Etat a du conjugueravec les recompositions territoriales qui découlent des phénomènes conjugués de ladécentralisation et de mondialisation, auxquels se surajoute l’appropriation des problèmespar la société civile, et le renforcement de leur capacité. Il convient dès lors de prendre encompte l’ouverture multi acteurs et d’en tirer le meilleur parti possible.

Ces changements dans l’aide au développement font écho aux changements induitspar l’apparition de l’épidémie de sida, « ce qui est en jeu, c’est la manière d’établirles pouvoirs et de penser leur légitimité »149. L’Etat n’aura que plus de légitimité enreconnaissant qu’il n’a pas de légitimité à agir, et en faisant appel aux personnels idoines eten usant d’un dispositif adéquat : en se faisant « Etat en interaction »150 avec ses partenaires,qui reste structurant tout en se faisant plus modeste.

Dès lors, la coopération hospitalière représente la possibilité pour l’Etat d’orchestrerune coopération efficace, au niveau le plus pertinent, tout en conservant sa visibilité, lesaccords étant signés par les différents ministres concernés par la coopération. Les Etatsjouent dans ce contexte un rôle d’animateur de coopération, en poursuivant un objectifd’efficacité optimale, et de rationalité.

Cette coopération se déroule sur le mode du réseau, ils permettent une coopérationstable entre les acteurs de ce réseau. La mission assignée au GIP Esther est d’animerle réseau Esther dans sa mission de coopération, de faire fonctionner les orientationsdonnées à ce réseau dans le cadre des projets menées par les bailleurs internationaux,des engagements pris par les ministres de pays concernés, en formulant une stratégie paysqui apportera une valeur ajoutée aux programmes nationaux. La stabilité de la coopérationinitiée entre les acteurs permettra l’enracinement de la coopération dans le long terme, etson degré d’efficacité.

Dès lors le GIP est un instrument de coopération efficace, qui se fait l’articulation entredes objectifs globaux, tel que le point 6 des Objectifs du Millénaire pour le Développementdéfinis à l’échelle internationale, en s’inscrivant dans une logique locale plus opérationnelle,dans le cadre d’une politique bilatérale qui permet de faire valoir et de diffuser une certaineconception de la médecine, de la lutte contre le VIH/sida et de l’aide au développement.

149 Nicolas DODIER, op.cit.150 Essoufflement ou second souffle ? L’analyse des politiques publiques « à la française », P. HASSENTEUFEL, in la Revue

française de sciences politiques, Volume 55, 2005/1.

Page 70: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

70 BADIN Julie_2007

Bibliographie

Ouvrages

Les réseaux de politiques publiques, débat autour des policy networks, sous la P. LEGALES, Logiques Politiques, L’Harmattan, 1995.

Anthropologie et sida, sous la direction de J. BENOIST et A. DESCLAUX, Karthala,Paris, 1996.

Les relations internationales des pouvoirs locaux et l’expérience marocaine dans lacoopération décentralisée, M. BRAHMI dans La revanche des territoires, sous ladirection d’Ali SEDJARI, l’Harmattan, Rabat, 1997.

Le guide de la coopération hospitalière pour l’aide au développement, P. MORDELET,Editions de l’ENSP, 1997.

Les politiques locales de lutte contre le sida. Une dans trois départements français,Olivier BORRAZ, 1998. Avec la participation de Patricia LONCLE-MORICEAU etCristel ARROUET, Ed. Logiques Politiques, L’Harmattan

Jeunesse, Sida et Islam au Maroc, les comportements sexuels des marocains. A.DIALMY, 2000. A. Retnani Edition.

Dialogue sur la nature humaine, B. CYRULINK et E. MORIN, Editions de l’Aube, 2000.

Les enjeux politiques de la santé, études sénégalaises équatoriennes et françaises, D.FASSIN, Editions Karthala Paris, 2000.

Systèmes et politiques de santé : de la santé publique à l’anthropologie, sous ladirection de B. HOURS, Paris Edition Karthala, 2001.

De la coopération à l’aide au développement en Afrique : proposition pour une politiqued’aide de la France, J. TINTURIER, L’Harmattan, 2001.

Sida, ordre et désordre du monde, G. ALFONSI, Editions Golias, Paris, 2002.

L’évaluation des politiques de développement : approches pluridisciplinaires, J.F.BARE, L’Harmattan, Paris, 2002.

Les malades en mouvements, la médecine et la science à l’épreuve du sida, J.BARBOT, Editions Balland, 2002.

Sociologie du sida, C. THIAUDIERE, Repères, Editions La découverte, Paris, 2002.

Leçon politique de l’épidémie de sida, N. DODIER, Paris, Editions de l’EHESS, 2003.

Le Sida au Moyen Orient et en Afrique du Nord, les coûts de l'inaction, C. JENKINS etD. ROBBALINO, Editions Eska, Paris 2004.

Page 71: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Bibliographie

BADIN Julie_2007 71

Les nouvelles contributions financières internationales, J.P. LANDAU. Ladocumentation française, 2004.

La sociologie des réseaux, P. MERCKLE, Repères, Editions La découverte, Paris,2004.

Traité pratique des réseaux de santé, S. BARRE, C. EVIN, P.Y. FOURE, L. HOUDART,D LAROSE, G. POUTOUT, E. PTAKINE, Editions Berger-Levrault, 2005.

L’aide publique au développement, sous la direction de J.J. GABAS, Les études de ladocumentation française, Paris, 2005.

L'épidémie de Sida et la mondialisation des risques, P. PIOT, Editions Labor, 2005.

L’aide publique française au développement, sous la direction de J.J. GABAS, Lesétudes de la documentation française, Paris, 2006.

Guide de la coopération décentralisée, échanges et partenariats internationaux descollectivités territoriales, Direction générale de la coopération et du développement,2eme édition, La documentation française, 2006.

Regard sur le Maroc de Mohammed VI, H. EL GHISSASSI, Editions Michel Lafon,Paris, 2006.

Revues

La place de l’hôpital dans le système de santé des pays africains francophones, Eric deRoodenbeke, Gestions Hospitalières n° 327, juin/juillet 1993.

Les effets sociaux du programme d’ajustement structurel au Maroc, in « Politiqueétrangère », Volume 60, numéro 4, 1995.

Société civile, société civique ? Associationisme, libéralisme et républicanisme, P.CHANIAL in Association, démocratie et société civile, J.L. LAVILLE, A. CAILLE, P.CHANIAL, Paris, La découverte, 2001.

Refonder l’aide au développement au XXIeme siècle, J.M. SEVERINO, in Critiquesinternationales, Volume 10, 2001/1.

Deux traditions dans l’analyse des réseaux sociaux, M. EVE, Réseaux n°115, 2002.

« Vingt ans après…l’évolution de l’épidémie », C. HERZLICH, Etudes, Tome 396,2002/2.

Le sida saisi par les ONG, in la revue Humanitaires, n°6 Automne/Hiver 2002.

Sida et développement, un enjeu mondial, V. TOUZE, Département des études del’OFCE, Théma et Institut d’Etudes Politiques de Lille, n°83 bis-2002/5.

Le savoir et le risque : appropriation et adaptation des connaissances en médecinegénérale, M. SOUVILLE, Sociétés, n°77, 2003/3.

Sida et développement, un enjeu mondial, V. TOUZE, département des études del’OFCE, THEMA, Institut d’études politiques de Lille, 2003.

Page 72: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

72 BADIN Julie_2007

Hôpital et Europe, la coopération européenne dans le domaine hospitalier : initiatives,exemples, limites, D. DURAND de BOUSINGEN, Revue Sève, été 2004.

Sida et politique, saisir les formes de lutte, F. BUTON, in Revue française de sciencespolitiques, vol 55, octobre/novembre 2005.

Système de santé et qualité de vie rapport thématique « 50 ans de développementhumain & perspectives 2025 », Cinquantenaire de l’indépendance du royaume duMaroc, W.MAAZOUZI, R.ATIF, A.TOUIL, avril 2005.

Revue de l’OCDE sur le développement, Numéro 6, 2005/4

Revue Esprit, « Silence, on bouge ! », article de François CREMIEUX, janvier 2007

Rapports

Coopération décentralisée et coopération hospitalière, un vade mecum à l’usage descollectivités territoriales et de la communauté hospitalière, Commission nationale dela coopération décentralisée, 2003.

La politique internationale de la France en matière de santé – acteurs, enjeux, analyse,propositions, Didier TALPAIN, 2004.

Les dossiers du Comités d’aide au développement : Coopération pour ledéveloppement, Rapport d’activité 2004.

Rapport sur la coopération hospitalière internationale, Fédération Hospitalière deFrance, Juin 2004.

Elargir l’accès au traitement du VIH avec les organisations à assise communautaire,collections meilleures pratiques de l’ONUSIDA, juillet 2005.

Rapport au Premier Ministre, articulation et coordination des aides bilatérales et de laparticipation de la France aux programmes multilatéraux dans le secteur de la santé,Docteur Pierre MORANGE, député des Yvelines, 2005.

Portails officiels marocains et français et sitesspécialisés

www.sante.gouv.fr , portail du ministère de la santé français.

www.sante.gov.ma , portail du ministère de la santé marocain.

www.diplomatie.gouv.fr , portail du ministère des affaires étrangères.

www.esther.fr , portail du GIP Esther.

www.hcci.fr , site du Haut Commissariat à la Coopération Internationale.

www.rdh50.ma , rapports thématiques des experts mobilisés pour le bilan ducinquantenaire de l’Indépendance.

Page 73: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Bibliographie

BADIN Julie_2007 73

www.hospimedia.fr , portail d’actualité hospitalière.

www.resacoop.org , portail de la coopération décentralisée de la région Rhône Alpes.

Page 74: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

LA COOPERATION DECENTRALISEE COMME DISPOSITIF PERTINENT D’AIDE SANITAIREINTERNATIONALE DANS LA LUTTE CONTRE LE SIDA

74 BADIN Julie_2007

Glossaire

Aide au développementLa notion « d’aide au développement » selon une approche classique renvoie aux

transferts du Nord vers le Sud de ressources financières, techniques, humaines et desavoir-faire, provenant des sources publiques (agences d’aides bilatérales et multilatérales)ou privées (organisations non gouvernementales). Le motif de ces transferts est depromouvoir le développement économique et social des pays en développement, au nomde la solidarité, de la recherche d’une plus grande justice sociale et de la diminution desdisparités151.

Aide publique au développementL’APD s’est constituée historiquement après la Seconde guerre mondiale. Les Etats-

Unis financèrent la reconstruction du Japon et l’Europe Occidentale (plan Marshall) ainsique le développement de certains pays considérés comme pouvant basculer vers lesblocs de l’Est. L’APD avait donc à l’origine une importante dimension géostratégique. Trèsrapidement, les décolonisations ont fait évoluer la nature et la gestion de l’aide. Aujourd’hui,l’APD est constituée de prêts ou de dons accordés aux pays et territoires en développementà des conditions financières privilégiées dans le but de promouvoir le développementéconomique et le bien-être social.

Aide bilatéraleL’aide bilatérale résulte des activités d’aide mises en place par les anciennes

puissances coloniales en faveur de leurs anciennes colonies après la fin de la secondeguerre mondiale. Progressivement, ces activités se sont transformées en programmespermanents de coopération pour le développement. L’aide bilatérale comprend des apportsfournis directement d’un pays donateur à un pays bénéficiaire.

Aide multilatéraleL’aide multilatérale est constituée d’un réseau complexe d’organismes à vocation

de développement. Les premières structures internationales d’aide au développementont vu le jour dès 1945 avec la constitution du système des Nations Unies, la créationdu Fonds Monétaire International, la Banque Internationale pour la reconstruction etle Développement, plus communément appelée Banque Mondiale. Ces organismessont les piliers centraux du système d’aide internationale. Leurs actions se traduisentprincipalement par des soutiens financiers, de conseil de politique économique auxpays en développement, d’élaboration de cadre technique pour le développement et desensibilisation de l’opinion publique internationale.

CodéveloppementOn entend par codéveloppement toute action d’aide au développement, quelle qu’en

soit la nature et quel que soit le secteur à laquelle participe des migrants vivants en France,quelles que soient les modalités de cette participation. Il peut concerner aussi bien lesimmigrés qui désirent retourner dans leur pays pour y créer une activité que ceux qui établis

151 D’après les définitions du manuel L’aide publique au développement, sous la direction de J.J. GABAS, Les études de ladocumentation française, Paris, 2005

Page 75: Institut d’Etudes Politiques de Lyon Université Lumière Lyon 2 …doc.sciencespo-lyon.fr/Ressources/.../Memoires/.../badin_j/pdf/badin_j.pdf · inégalités Nord/Sud: l’aide

Glossaire

BADIN Julie_2007 75

en France sont disposés à soit à investir dans leur pays d’origine, ou souhaitent faire profiterà leur pays d’origine de leurs compétences, de leur savoir faire et de leurs relations.

Coopération décentraliséeAu sens français, il y a coopération décentralisée lorsqu’une ou plusieurs collectivités

locales françaises développent des relations avec un ou plusieurs collectivités localesétrangères ; il peut s’agir aussi bien de relations d’amitié, que d’aide au développement,d’assistance technique, d’action humanitaire, de gestion commune des biens…Cettedéfinition est inscrite dans la loi d’orientation n°92-125 du 6 février 1992 relative àl’administration territoriale de la République. Dans la conception européenne, tous lesacteurs non étatiques peuvent participer à des actions de coopération décentralisée.

EpidémiologieEtude statistique de l’ensemble des facteurs internes ou externes, innés ou acquis

qui influencent l’état de santé et les maladies des individus ou des groupes humains.Ces facteurs peuvent être biologiques, liés à l’environnement, aux comportements ou auxservices de santé.

Groupement d’intérêt publicEn France, le groupement d’intérêt public est une personne morale de droit public dotée

d’une structure de fonctionnement légère et de règles de gestion souples. Il met en communun ensemble de moyens dans le but d’obtenir un objectif déterminé, et a une existencelimitée.

Indicateur de développement humainCet indicateur est calculé depuis 1990 par le PNUD. Il est exprimé sur une échelle allant

de 0 à 1 permet de mesurer les progrès de développement d’un pays. Il prend en comptele niveau de santé, d’éducation et de revenu atteint dans le pays concerné.

Organisations non gouvernementalesLes ONG sont des organismes à but non lucratif agissant dans le domaine du

développement et de l’action humanitaire. Elles relèvent juridiquement de l’économiesociale ou sont liées à des organismes philanthropiques, confessionnels ou non. Toutefois,certaines associations, fondations ou agences peuvent avoir un caractère parapublic.D’autres agissent en application de contrats passés avec des Etats du Nord ou du Sud. Unenouvelle dénomination tend à être utilisée : Association de Solidarité Internationale (ASI).

Politique de santéC’est l’ensemble des lignes directrices définissant, dans le contexte de la politique

générale du pays, les stratégies et les actions prioritaires à entreprendre, aux niveauxnational, régional et local, pour assurer le maintien et l’amélioration de l’état de santé desindividus ou des groupes. Une politique de santé inclut l’ensemble des déterminants et desobjectifs relatifs à tous les secteurs qui concernent, directement ou indirectement, la santé.

Système de santéC’est l’ensemble des éléments et de leurs interactions qui concourent au maintien, à

l’amélioration et à la restauration de la santé des populations au sein d’un système politiqueadministratif et culturel d’un pays donné.