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E C H E C S C O L A I R E
P L A C E E T F O N C T I O N D E L ' E P S À T R A V E R S L ' H I S T O I R E
PAR E. LÊ-GERMAIN
« ET EN EPS, COMMENT EST-IL ? ». DEVANT MA RÉPONSE CONFIRMANT L'ÉTAT D'ÉCHEC DE CET ÉLÈVE, MADAME LE PROVISEUR FIT LA RÉFLEXION SUIVANTE : « SI MÊME EN EPS, ÇA NE VA PAS, ALORS QU'ALLONS-NOUS FAIRE DE LUI ? ». CETTE PHRASE, APPAREMMENT ANODINE, CONTIENT EN RÉALITÉ, LES C A R A C T É R I S TIQUES MAJEURES DU S Y S T È M E SCOLAIRE. L ' E P S SERVIRAIT-ELLE DE
THERMOMÈTRE POUR L'AVENIR DE CES ÉLÈVES EN DIFFICULTÉ ?
La lutte contre l'échec scolaire figure en bonne place dans tous les textes officiels et constitue un des objectifs essentiels de l'école. Depuis un peu plus de dix ans. après avoir replacé l'élève au centre du processus éducatif, est clairement affichée l'intention de faire réussir non plus le plus grand nombre mais tous les élèves. Or, la notion d'échec scolaire nous semble actuellement être au cœur d'un amalgame, largement relayé par les médias, englobant violence, délinquance, école, environnement social. Aussi, avant de traiter de la place et du rôle de l'EPS dans ce système complexe qu'est le système scolaire, avons-nous choisi d'aborder les thèmes relatifs, non seulement à l'échec scolaire, mais également à l'intégration et à l'exclusion.
L'ÉCHEC COMME FONDEMENT DU SYSTÈME SCOLAIRE La notion d'échec scolaire est tellement complexe qu'elle reste difficile à définir. Elle s'inscrit en effet, en référence à une norme, celle de l'excellence scolaire. Jusqu'à la seconde guerre mondiale, le bon élève est de « la cire vierge » sur laquelle, maîtres
et professeurs impriment leur savoir [1]. Ce rapport au savoir va évoluer au cours du siècle et de ce fait, les définitions du bon et du mauvais élèves vont s'en trouver modifiées. Si le bon élève reste celui qui obtient de bons résultats scolaires et en particulier dans les matières dites intellectuelles, à la fin du 2(V siècle, il doit aussi faire preuve de diverses qualités que le monde du travail, auquel le système scolaire le prépare, réclame. Ce sont par exemple des qualités de communication, de synthèse, de curiosité, de créativité, de dynamisme, etc. Le mauvais élève, c'est d'abord celui qui est en difficulté, mais aussi celui que l'on nous montre quotidiennement dans les médias : bref, celui qui ne présente pas des comportements adaptés à la société. Antoine Prost souligne que « l'école a obligation de distribuer les populations « |2]. En relation directe avec l'image des adultes de demain, l'école se réfère en permanence à cet idéal et valorise un certain type de comportement. De ce fait, elle décide en quelque sorte des personnes capables de s'intégrer à la société et l'échec scolaire ne serait donc que « le résultat concret et ordinaire des attributions
sociales dont l'école est chargée » [3]. Pour cela, elle s'appuie sur l'expertise ; « l'expertise est la fonction essentielle de l'appareil scolaire » [3]. Or l'élève porte seul cette responsabilité. La contradiction de l'école, est donc d'être à la fois un système attaché aux valeurs républicaines et en même temps, d'orienter et de trier les populations. Issue de la Troisième République, et des lois Ferry. l'école de la République, au début du 20" siècle, entend donner à chaque Français la possibilité d'apprendre à lire, écrire et compter. Cette trilogie repose sur les principes d'égalité du citoyen et de laïcité. Cet idéal républicain se propose de faire de l'école un lieu où chacun a la possibilité d'accéder à un milieu social supérieur à celui duquel il est issu. 11 s'agit bien sûr aussi de fournir à la République une élite vouée à sa cause. C'est ainsi que sont mises en place très vite les bourses d'études qui permettront aux élèves les plus doués de poursuivre des études secondaires. Mais ce système reste très elitiste. D'abord parce que le plus souvent les enfants les plus pauvres participent aux travaux nécessaires à la subsistance de la famille et de ce fait, sont
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fréquemment absents. Comment pourraient-ils alors faire leurs preuves à l'école communale ? Ensuite et surtout, parce qu'il subsiste jusqu'à la fin des années 1950. le système de la double filière. En effet, il existe d'une part les écoles primaires publiques dont la finalité est le certificat d'études primaires et qui recrutent majoritairement les enfants des classes populaires et d'autre part, les lycées, dont le recrutement se fait principalement dans la classe « bourgeoise » et qui offrent non seulement la formation primaire mais également le secondaire et la préparation du baccalauréat. En réalité, les élèves ne peinent poursuivre dans le secondaire surtout faute de moyens financiers. La majorité des enfants intégrant le secondaire y sont en fait déjà pré-sco-larisés. alors que les enfants issus de l'école communale ont réussi le concours d'entrée en 6e, et peinent prétendre à une bourse. L'ouverture est donc limitée et le système de la double filière perdure toute la première moitié du 20' siècle. Les pouvoirs publics essaient bien de prolonger l'action de l'école au-delà du terme légal en créant des « cours pour adultes », ce qui préfigure la formation permanente instituée sur le même modèle par la loi du 11/07/1971.
Le collège unique introduit avec la réforme de 1959, abolit le concours d'entrée et ouvre les études secondaires à la multitude, laissant (enfin) planer un vent d'égalité sur l'ensemble des jeunes Français.
Le d é t e r m i n i s m e b io log ique
L'organisation générale du système scolaire repose sur le principe de l'uniformité des élèves. Chaque classe regroupe des enfants du même âge. Tout se passe comme si l'âge garantissait une homogénéité de niveau et d'aptitudes. L'élève est donc oublié
dans ses composantes humaines de personne interagissante avec le système. Il est là pour être instruit et c'est la notation qui ponctue son avancée dans les différentes classes ; l'obsession des notes perdure jusqu'à la fin du 20' siècle. On assiste donc au tri permanent des élèves. Les bons élèves, intégrés et les mauvais plus ou moins exclus. Les bons élèves sont ceux qui possèdent une faculté « qui confère au sujet des qualités dont on pense qu'elles sont nécessaires pour s'intégrer dans le champ social, cette faculté est la faculté de comprendre» [1]. Ces « bons élèves » sont donc intégrés au système scolaire et invités à poursuivre leurs études jusqu'au baccalauréat, diplôme attestant de l'excellence scolaire. Mais qu'est-il prévu pour les « mauvais » ? Rien ou presque, car jusqu'aux années 1960. il leur sera possible, quelque soit leur bagage, de trouver un travail, même peu rémunéré, ce qui ne sera plus le cas à partir des années 1970 et la fin du plein emploi. On peut ainsi dire que. dans la première moitié du 20' siècle, l'échec scolaire n'existe pas : il existe seulement des élèves inadaptés, inadaptés mais non exclus.
Pourquoi e.xiste-t-il alors des mauvais élèves ?
D'abord parce que les qualités sont évaluées grâce aux tests d'Alfred Binet (quotient intellectuel QI) ; c'est la théorie du déterminisme génétique. L'école, la même pour tous, même si elle ne l'est pas tout à fait (double filière), est censée donner ses chances à chacun. Les mauvais élèves n'en tireraient aucun bénéfice tout simplement parce qu'ils sont moins doués à l'origine. Le problème de l'échec scolaire ne se pose donc même pas. Ensuite, parce que tout repose sur l'académisme. Avant le règne des mathématiques modernes, c'est le rèane des humanités.
Le d é t e r m i n i s m e social
Les années 1960-70 marquent un tournant dans la prise de conscience collective de ce problème. L'arrivée massive des enfants du baby-boom sur le « marché scolaire » oblige le système scolaire à s'adapter. La réforme Berthoin, sur l'allongement de la scolarité obligatoire jusqu'à 16 ans. les mutations en matière de travail, de loisirs et le rapport aux connaissances, obligent l'école à s'ouvrir sur l'extérieur. Les enquêtes de l'INSEE. à la fin des années 1970 marquent l'opinion : 20 % des élèves sortent de l'école sans diplôme, un enfant sur deux est en échec scolaire, l'évaluation étant faite par une appréciation de la réussite aux examens et des retards scolaires. L'échec scolaire serait donc défini par rapport à un niveau minimum permettant d'obtenir un diplôme à un âge donné, tous les autres cas relevant eux de l'échec ! Alors que l'école n'a guère changé dans son mode de fonctionnement depuis Jules Ferry, cet échec scolaire massif trouve un élément d'explication dans les études sociologiques : après le déterminisme biologique vient le déterminisme social. Les sociologues montrent alors que les élèves en échec scolaire sont issus des milieux socioprofessionnels défavorisés, qu'en conséquence, ils ne peuvent réussir à l'école. Sans formation, sans diplôme, ils seront inéluctablement voués aux travaux les plus pénibles et les moins rémunérés, car le problème de leur insertion professionnelle ne se pose pas (du moins, pas encore). Cette explication trouve d'ailleurs son couronnement dans l'ouvrage de Bour-dieu et Passeron [4], dans lequel les auteurs montrent que l'ascenseur social qui avait fait la gloire de la troisième République n'était qu'un leurre car « l'école ne fait que reproduire les inégalités sociales » [4]. Ces théories environnementalistes sont prises très au sérieux. Elles montrent que les enfants placés dans un environnement culturel privilégié acquièrent dès le plus jeune âge des connaissances plus étendues et une curiosité accrue. Tout semble donc encore inéluctable. L'école entérine un état de fait. Les classes sociales n'ont pas vocation à disparaître. Certes la recherche didactique et les sciences de l'éducation n'en sont encore qu'à leurs balbutiements mais la place de l'enfant dans la relation pédagogique, et sa prise en compte dans sa globalité commencent à imprégner le monde éducatif. Aux Etats-Unis, on met en évidence l'effet Pygmalion et par là-même l'incidence des représentations des enseignants sur l'acte éducatif. En France, les pédagogies nouvelles qui se sont développées entre les deux guerres
Les bons élèves.
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deviennent à la mode et à travers les travaux de Freinet ou de Montessori. on met l'accent ici ou là. dans des écoles nouvelles (privées), sur le respect de l'individu et les rythmes d'apprentissage qui peuvent varier d'un enfant à l'autre. L'école de la République apparaît bien vite comme l'écrit André de Peretti. « broyeuse de particularisme et dispensatrice de certitudes » [5]. Les fondements de ces pédagogies nouvelles, s'ils ne sont pas encore développés dans les écoles publiques ont au moins le mérite de mettre en évidence l'existence de l'échec scolaire et de tenter d'apporter des bribes de solutions. Car dans les pratiques, rien ne change, il existe toujours des bons et des mauvais élèves que les professeurs regardent passer impuissants, la sélection opérée par l'école étant admise et acceptée comme telle. A la veille des années Mitterand. le phénomène de l'échec scolaire, s'il est désormais mis en évidence, ne semble pas remettre en cause les pratiques scolaires ni les contenus à enseigner.
R e n d e m e n t et c o m p é t i t i o n c o m m e m o d è l e d e soc iété
Alors que les sociétés contemporaines ne cessent de développer des imaginaires d'évasion, d'expression et d'assurance de soi, l'école demande au sujet de se conformer à un modèle standard. À partir des années 1980, de nombreux colloques sont organisés sur le thème de l'échec scolaire. On rejette alors les explications liées aux déter-minismes tant biologiques que sociaux. Le budget de l'éducation augmente de manière significative et en 1984. l'objectif annoncé est d'amener 80 % d'une classe d'âge au niveau du baccalauréat. Précisons que jusque là. 30 à 50%. selon les séries pouvaient espérer ce fameux diplôme. Les recherches didactiques et pédagogiques se multiplient alors, car nous sommes entrés dans l'âge d'or des sciences de l'éducation. On s'intéresse désormais, après l'enfant, à l'élève en train d'apprendre, à la gestion de l'hétérogénéité, etc.
L'échec au-delà des diffîcultées scolaires
L'échec scolaire est devenu au tournant du 20' siècle, « le symptôme d'un trouble du comportement » [3]. C'est pourquoi, il nous semble nécessaire de distinguer à travers la notion d'échec scolaire, quatre niveaux. L'absence d'échec (ou la réussite scolaire). Ce sont les sujets d'exception, qui constituent l'infime partie des écoliers brillants, doués, qui ont compris ce qu'on attend d'eux à l'école et qui s'y plient volontiers.
L'échec tolérable. Il regroupe les élèves qui font régulièrement des erreurs, par faiblesse (passagère) ou par manque de travail mais dont l'avenir dans la société n'est par ailleurs pas remis en cause. « Les élèves récupérables ». Ceux qui sont sur le fil du rasoir et dont l'avenir est incertain, sans être dramatique, car l'ensemble du corps professoral, d'un naturel optimiste, décèle toujours chez eux. quelques signes d'intérêt ici ou là ! L'échec « insupportable ». Celui qu'on nous expose le plus souvent ; celui qui nous fait oublier que tous les établissements scolaires ne sont pas tics coupe-gorges et que la majorité des élèves français travaillent plutôt « normalement » à l 'école. Il concerne effectivement les élèves en tics grande difficulté, ceux dont l'attitude est inadaptée au système scolaire et pour lesquels, il est urgent de chercher des solutions si on ne veut pas voir s'installer ici ou là. * la loi de la rue » [6]. Alors, quelle place et quel rôle pour l'EPS, dans ce système scolaire ?
L ' E P S : U N E V O C A T I O N À L U T T E R C O N T R E L ' É C H E C S C O L A I R E ?
La place de l'EPS s'appuie, il faut le rappeler sur la volonté politique de ne pas renouveler les désasUes humains, notamment ceux de 1871. La gymnastique enseignée est donc avant tout utilitaire, militaire, même si on lui reconnaît la possibilité d'améliorer les performances intellectuelles des élèves [4] et de lutter contre l'ennui, la fatigue et le surmenage scolaire (instructions officielles de 1923). « Un esprit sain dans un corps sain », devise très connue permet de mieux comprendre la hiérarchie admise dans le système scolaire. L'EPS doit contribuer au meilleur rendement scolaire
car l'excellence s'appuie sur la culture livresque. Les buts de l'éducation physique ne s'engagent pas en direction d'un épanouissement de la personne ni vers une quelconque réussite physique. Là n'est pas le problème ! D'ailleurs, l'éducation physique joue pleinement son rôle classifieatoire et cela, grâce aux méthodes scientifiques qu'elle revendique.
L o r s q u e l ' exc lus ion était nature l le
Basée sur le modèle de la force, la gymnastique - confondue avec les exercices militaires - entre à l'école à la fin du 19e siècle et dès lors, se plie à la contradiction de l'école que nous avons montrée plus haut. Elle participe donc à classer, trier, hiérarchiser les élèves en détectant les inaptitudes, les faiblesses corporelles des jeunes garçons. La morphologie est digne de toutes les attentions et le mérite s'appuie sur le mesurable, le quantifiable grâce au développement morphologique (taille, poids, périmètre thora-cique, etc.). L'exclusion est alors naturelle et l'élève moins développé trouve néanmoins sa place dans la société ! Alors que les ÎO de 1923 cherchent à rendre l'EP plus utile et plus attrayante, on assiste à une évolution du modèle. En même temps que s'effectue le transfert des militaires aux médecins, on assiste à un glissement de la valeur dominante, de la force vers les flux énergétiques. On s'intéresse désormais au fonctionnement du système nerveux central et ce modèle constitue une transition entre les leviers et points d'appuis et l'aire des connections nerveuses. La gymnastique s'organise autour de mouvements dont la rectitude et la normalité anatomique constituent l'axe central. L'écart par rapport à cette verticale tant recherchée permet une fois encore de classer les élèves. C'est le cas dans la méthode suédoise ; c'est aussi le cas dans la
G.I. : la théorie du déterminisme
génétique.
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méthode naturelle avec les groupes de niveaux (de I à IV). Elle offre aux élèves un dosage de l'activité en fonction de leur valeur physique : avec le travail en vague, l'enseignant mesure d'ailleurs, directement et en permanence, l'écart entre les élèves. Pourtant, on revendique déjà l'introduction du sport dans les contenus d'enseignement. Mais, le sport ne possède pas de méthode éducative et ne peut donc pas trouver sa place dans le système. De plus, il n'offre pas encore la possibilité d'évaluer précisément les élèves, car « l'expertise physique vient compléter les expertises des capacités et incapacités des élèves » [3]. L'EP participe donc à cette immense entreprise de classement et de tri des populations même si par ailleurs, déjà, elle cherche des solutions. C'est le cas par exemple à Lyon en 1928 ; l 'expérience des « classes de santé » s'adresse aux enfants en grande difficulté, issus des milieux plus défavorisés. Qualifiés de « débiles ». souvent malnutris. ces enfants sont regroupés dans une école dite de « récupération » par le Professeur Latarjet qui conduit cette expérience, assisté du pédagogue Eugène Fortunet et soutenu par la municipalité d'Edouard Herriot. Le maire, le médecin et le pédagogue restent convaincus que la société a tout à gagner à lutter contre les inégalités du système et les différences individuelles. Ces enfants vont être soumis à un régime spécial fondé sur l'hygiène et l'exercice physique. Leur emploi du temps est modifié au détriment des matières intellectuelles et l'EP est pratiquée tous les jours. Cette expérience est un réel succès : sur le plan physique, on voit une augmentation de poids et de taille : mais surtout, les résultats au certificat d'études primaires sont supérieurs à ceux des élèves témoins, dits « normaux ». Les
expériences de Vanves par le Docteur Fourastié, en 1952 produisent les mêmes résultats. La pratique de l'EP permettrait de lutter contre les inégalités et l'échec scolaire à moins que ces résultats soient le fruit de l'attention subite que l'on porte à ces enfants. Les travaux de Jean Le Boulch. dans les années 1960 renouent encore avec la continuité des pratiques d'expertise. Le courant psychomoteur considère que l'enfant doit construire une structure de base préalable à toute action motrice. Ces pré-requis incontournables permettraient en outre, à l'EP de déceler les anomalies entre le corps et les commandes nerveuses. Mais malgré la place prépondérante accordée à l'individu et l'attention portée aux théories de l'apprentissage, ies méthodes psychomotrices révèlent encore une fois un élève absent parce que parcellisé, découpé en capacités à construire sur le modèle selon lequel « l'enfant est programmé pour se développer selon des étapes précises et rigoureuses dans leur enchaînement » [7]. Le courant de l'expression corporelle, qui revendique de laisser s'exprimer son moi profond se heurte là encore aux procédures d'évaluation. On lui reproche la nécessité d'une évaluation verbale et son discours qui s'oriente vers la psychanalyse laisse planer l'entrée à l'école des méthodes de la psychologie clinique. Le sport introduit tardivement à l'école ne laisse guère de place aux courants contestataires.
Lorsque le plaisir entre à l'école Dans les années 1960. ce sont les expériences de Corbeil et de la république des sports de Calais qui démontreront la portée éducative du sport et la possibilité d'évaluer les mécanismes cognitifs lors des compétitions. Mais compte tenu des travaux
sur les apprentissages. 1 EPS organise son évaluation en terme de manque : écart par rapport à un niveau moyen dans différents compartiments de l'activité. Elle permet ainsi d'évaluer des problèmes et d'organiser ses contenus pour les résoudre. On passe donc brutalement de la finalité instructive de l'EP à sa finalité éducative car elle place désormais l'élève au centre de ses préoccupations pédagogiques dans une école « la même pour tous ». évaluatriee. catégorisante donc excluante et incluante. Là encore, la contradiction de l'école résiste. Néanmoins, avec la prise en compte des travaux didactiques, la tendance s'oriente vers une plus grande observation des comportements. Ainsi, en EPS. on évalue l'attitude des élèves en train d'apprendre, ce qui permet de fournir d'ailleurs des renseignements aux autres disciplines scolaires qui. elles, n'observent pas ou liés rarement les élèves dans des situations concrètes. En EPS. comment peut-on décrire l'élève en échec ? On s'intéressera d'ailleurs uniquement aux troisième et quatrième niveaux décrits précédemment (les élèves récupérables et l'échec insupportable). • En ce qui concerne « les récupérables ». on observe bien souvent des comportements irréguliers, des problèmes de dispenses d'EPS abusives (surtout en natation quand ils ou elles ne savent pas nager ! Lorsqu'ils ou elles sont incapables d'assumer leur silhouette devant le groupe, etc.). ou à l'opposé des élèves particulièrement investis, qui attendent la séance d'EPS avec impatience, qui ont une énergie débordante, parfois difficile à canaliser. Toute généralisation est dangereuse, mais on pourrait tout de même caractériser ces élèves par une absence de réflexion sur leur pratique, quand pratique il y a ! C'est donc dans ce cas précis que la recherche didactique nous semble avoir un rôle à jouer. • Quant aux « inadaptés au système scolaire », on retrouve tous les signes de cette inadaptation en EPS, avec souvent des comportements dangereux et des perturbations en tout genre, car au-delà de cette inadaptation, c'est un rapport à la société qui s'exprime. L'enseignant doit donc nécessairement s'interroger : comment gérer ces élèves inadaptés ? Que leur proposer ? Puisqu'il a l'obligation de les accueillir et de les former ?
L o r s q u e le p r o f e s s e u r hés i te e n t r e ense igner et é d u q u e r
L'EPS semble rester un lieu privilégié de jeux, de plaisir où l'on n'apprend pas vraiment, tout en apprenant quand même. Or. en devenant un champ dans
Evaluer l'attitude des élèves.
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lequel les aptitudes intellectuelles prennent le dessus, à son tour l'EPS crée de l'échec scolaire. Présente aux examens et notamment au baccalauréat depuis 1959, elle produit théoriquement de l'échec d'autant qu'elle s'est dotée, après être passée au premier groupe d'épreuves, du coefficient 2. Théoriquement donc, un élève peut échouer aux examens « à cause » de l'EPS ; l'EPS serait donc-une discipline « de poids ». Or, il s'avère que la note moyenne attribuée en EPS varie autour de 12. Elle ne produirait donc pas vraiment d'échec et le poids de la discipline serait donc différent selon que l'on se réfère aux textes officiels ou aux pratiques de terrain (on remarque par exemple que le nombre d'heures affectées à l'EPS n'a été guère respecté au cours de l'histoire !). Par ailleurs, les contenus d'EPS mieux définis (voir les programmes), accordent une grande place au raisonnement, à la logique, aux qualités expressives. Bientôt « situation-problème ». « évaluation formative » entrent dans le jargon du professeur d'EPS, qui cherche désormais à définir la connaissance en EPS. Les élèves en difficulté ne s'y retrouvent pas ; là où ils avaient l'habitude de briller parce que le sport constituait un domaine d'excellence (peut-être le seul), les grilles, les papiers et les crayons qui ont petit à petit trouvé leur place en EPS n'évoquent rien pour eux.
Les années 1990 mettent l'accent sur le fait que tous les enfants seraient capables d'apprendre et de réussir à condition de réunir tous les éléments nécessaires à cette réussite. Avant tout, donner du sens aux apprentissages, c'est apparemment là qu'un élément de solution existerait. Alors, quelle est donc la portée des nouveaux programmes en EPS ? Pierre Therme remarque d'ailleurs que ce n'est pas en fondant les contenus sur des capacités d'abstraction qui font justement défaut aux élèves en difficulté que l'on va parvenir à lutter efficacement contre l'échec scolaire. Car l'échec scolaire, ce n'est plus simplement des élèves en difficulté, comme c'était le cas dans les années 1960. Il n'est plus centré sur les aptitudes réelles du sujet mais sur les éléments de sa conduite (alors même qu'on parle de réintroduire le zéro de conduite). Les professeurs d'ailleurs doutent souvent et l'expriment rarement (est-ce de la culpabilité !). car c'est parfois l'aspect éducatif qui prime. Les objectifs sociaux, de respect des autres, d'instauration de règles, d'écoute, de politesse (et d'autres encore !) constituent pour certains l'essentiel du cours et l'enseignant est alors écartelé entre le mode autoritaire et laxiste.
C O N C L U S I O N
E T P R O P O S I T I O N S
Nous avons montré, à travers l'évolution du système scolaire en France, cette contradiction essentielle de l'école d'être à la fois un lieu de justice, d'harmonie sociale et de confrontation au savoir, alors qu'elle accueille quasiment de la même manière des enfants et adolescents d'horizons multiples et que son rôle formateur, certes essentiel, est ponctué par une fonction moins avouée mais bien présente, de tri, de classification des élèves qui garantit ou non leur inclusion ou exclusion scolaire et par rebondissement, sociale. L'EPS participe à cette fonction au même titre que les autres disciplines. C'est d'ailleurs grâce à cette fonction qu'elle a légitimé sa place dans le système scolaire. Elle occupe donc une place ambiguë, tiraillée entre deux options. La première, est de maintenir sa place dans le système éducatif et donc, au même titre que les autres disciplines, sanctionner les comportements. La seconde, (qui participerait
encore davantage à asseoir notre disci-pline dans le système scolaire) consiste à réaffirmer les valeurs qu'elle permet d'instaurer entre les élèves (citoyenneté, solidarité), à recentrer son action autour des relations humaines que les professeurs d'EPS entretiennent avec les élèves et notamment avec les élèves turbulents, et surtout, à poursuivre la réflexion sur ses contenus, ses conditions d'apprentissage, le sens que les élèves leur attribuent afin de trouver des solutions comme cela est possible (de nombreuses expériences dans les collèges et lycées réputés difficiles en témoignent). C'est à ce prix qu'à défaut de faire reculer l'échec en EPS et à l'école, on participera au moins à pérenniser l'ordre social dans les établissements scolaires. Car tout élève mérite que l'on prêle attention à des qualités qu'il possède et dont il ne soupçonne parfois même pas l'existence !
El i sabeth L ê - G e r m a i n
Professeur ag régée d'EPS,
Facul té des sc iences du sport Di jon -
Cen t r e univers i ta i re Le Creuso t .
Notes bibliographiques
| i | Revue Science et Vie, « L'échec scolaire à l'école ». numéro spécial 1988.
| 2 | Arnaud (P.). Les savoirs du corps, éd. PUL, 1983.
131 Therme (P.), L'échec scolaire, l'exclusion et fa pratique sportive, éd. PUF. 1995. [4] Bourdieu (P.), Passeron (J . -C) . La reproduction, éd. Minuit. 1970.
[51 De Peretli (A.), in Science et Vie, № spécial « L'échec scolaire à l'école ». 1988. [6] Rochex (J-Y.). EP.S interroge. « Rapport des jeunes au système éducatif aujourd'hui ». Revue EP.S, n° 262, 1996.
[7] Prévost ( C ) , La psychologie fondamentale, PUF. coll. « Que sais-je ? », 1994.
Bibliographie
Arnaud (P.). Les athlètes de la République, éd. Privât, 1987.
Arnaud (P.). Revue STAPS n" 26, octobre 1991.
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Duret (P.). « À propos de l'exclusion ». Question à... : Revue EP.S n" 265. 1997. Düring (B.). Ixt crise des pédagogies corporelles. éd. Scarabée (CEMEA), 198F Klein (G.). « L'utilité sociale de l'éducation physique ». Revue française de pédagogie, n c 116. 1996.
Le Bteton (D.). La sociologie du corps, éd. PUF. 1992. Lê-Germain (E.) , « les classes de santé », in Terret T. (Dir.), Sport et santé dans l'histoire, éd. Academia Verlag, 1999. Méard (F), Bertone (S.). « L'élève qui ne veut pas apprendre en EPS ». Revue EP.SIΰ 259. 1996. Pociello ( C ) . Les cultures sportives, éd. PUF, 1995.
Prost ( A . ) , L'enseignement en France, éd . A.Col in . 1968. Vangioni (J.), «Utili té de l 'EPS ». Revue Hyper n° 196. 1996-1997.
Tout élève mérite
que l'on prête
attention à
des qualités
qu'il possède...
et dont parfois
il ne soupçonne
pas l'existence !
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