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LA CO-EVALUATION EN EPS INNOVATION OU GADGET PEDAGOGIQUE ? PAR J.-A. MÉARD La co-évaluation (CE) recouvre l'ensemble des procédures qui associent les « appre- nants » à l'évaluation de leurs apprentis- sages. Son utilisation devient de plus en plus fréquente en EPS et cette évolution s'explique par le jeu de deux facteurs : - D une part, les exigences que s'impose « le prof de gym » pour rendre l'évaluation formative ne lui permettent pas. le plus souvent d'assumer seul l'infrastructure de ces évaluations. La collaboration des élè- ves devient dès lors nécessaire pour ras- sembler les indices et les observations ; - D'autre part, le glissement qui tend à libérer définitivement l'évaluation de sa stricte connotation institutionnelle (le lest, l'examen, le but en soi) et à lui rendre son rôle « d'information en retour », sa valeur éducative, pousse tout naturellement l'éducateur à associer celui qui apprend, à l'évaluation de son propre apprentissage. Cependant, l'enthousiasme récent pour ce type de pratiques, aux avantages manifes- tes, ne doit pas moins susciter trois ques- tions : Quelles perspectives offrent-elles ? Les procédures de la co-évaluation peu- vent être très variées et donc répondre à des objectifs très différents. Quelle innovation représente-t-elle ? Perçue comme une « mode », la co-évalua- tion n'est peut-être qu'un simple « gad- get » plaqué sur des pratiques finalement conventionnelles. Quelles sont ses limites ? Le recours à la co-évaluation implique l'idée d'un certain « passage de pouvoir » dans l'acte éducatif, ce qui mérite un questionnement chez l'enseignant d'EPS qui l'utilise. C'est à ces trois questions que cet article se propose de répondre par l'éclairage de plusieurs années de co-évaluation systé- matique dans un LP de la région pari- sienne. 41 Revue EP.S n°207 Septembre-Octobre 1987 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

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LA CO-EVALUATION EN EPS

INNOVATION OU GADGET PEDAGOGIQUE ? PAR J.-A. MÉARD

La co-évaluation (CE) recouvre l'ensemble des procédures qui associent les « appre­nants » à l'évaluation de leurs apprentis­sages. Son utilisation devient de plus en plus fréquente en EPS et cette évolution s'explique par le jeu de deux facteurs : - D une part, les exigences que s'impose « le prof de gym » pour rendre l'évaluation formative ne lui permettent pas. le plus souvent d'assumer seul l'infrastructure de ces évaluations. La collaboration des élè­ves devient dès lors nécessaire pour ras­sembler les indices et les observations ; - D'autre part, le glissement qui tend à libérer définitivement l'évaluation de sa stricte connotation institutionnelle (le lest, l'examen, le but en soi) et à lui rendre son rôle « d'information en retour », sa valeur éducative, pousse tout naturellement l'éducateur à associer celui qui apprend, à l'évaluation de son propre apprentissage. Cependant, l'enthousiasme récent pour ce type de pratiques, aux avantages manifes­tes, ne doit pas moins susciter trois ques­tions :

Quelles perspectives offrent-elles ?

Les procédures de la co-évaluation peu­vent être très variées et donc répondre à des objectifs très différents.

Quelle innovation représente-t-elle ?

Perçue comme une « mode », la co-évalua­tion n'est peut-être qu'un simple « gad­get » plaqué sur des pratiques finalement conventionnelles.

Quelles sont ses limites ?

Le recours à la co-évaluation implique l'idée d'un certain « passage de pouvoir » dans l'acte éducatif, ce qui mérite un questionnement chez l'enseignant d'EPS qui l'utilise.

C'est à ces trois questions que cet article se propose de répondre par l'éclairage de plusieurs années de co-évaluation systé­matique dans un LP de la région pari­sienne.

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LE VECU

Insatisfaits du formalisme de la relation prof/élèves en EPS, choqués par le contraste, chez les adolescents, entre une passivité certaine pendant les cycles d'apprentissage et une application do­cile lors des séances d'évaluation, à la rentrée 81, nous mettions en place, de façon systématique, des procédures de CE dans toutes les activités et pour tou­tes les classes. Les procédures, variées, avaient un point commun : le groupe-classe se substituait chaque fois à l'ensei­gnant pour enregistrer, interpréter, noter les prestations de fin d'apprentissage et les transcrire en notes institutionnalisées (sur 20). L'enseignant, à chaque séance de fin de cycle, se contentait de recopier sur son carnet les résultats recueillis par le groupe. Les critères retenus et la for­mule de co-évaluation avaient été préa­lablement imposés et exposés par l'en­seignant.

Il est impossible de rendre compte de façon précise de la diversité des deux cents formules (environ) de CE vécues avec les élèves (1). Nous avons donc classé arbitrairement (cf. tableau) quatre procédures d'évaluation caractéristiques en fonction du degré d'interprétation demandé aux évaluateurs (critères de plus en plus subjectifs).

L'OBSERVATION DU VECU

Pour comprendre les perspectives et les limites de la co-évaluation, il est intéres­sant de classer toutes les formules possi­bles selon leurs caractéristiques. Quatre paramètres déterminant quatre types de classements peuvent être distingués :

• Le prolongement

institutionnel de la CE

La co-évaluation peut : 1 Etre simplement prédictive (travail sur fiches en début de cycle). 2 Etre utilisée comme information par le notateur (professeur). 3 Participer à une moyenne trimestrielle avec contrôle de l'enseignant. 4 Participer à une moyenne trimestrielle sans contrôle de l'enseignant (formule re­tenue dans notre établissement). Cette première distinction souligne déjà d'importantes différences dans l'inves­tissement de l'élève. L'évaluation prend un autre sens si l'on glisse d'une simple prise d'informations sur fiches, plus ou moins anonyme, vers un contrôle figu­rant sur un bulletin trimestriel, sans rec­tification de l'enseignant. Et si cette dernière formule ne peut être mise en place dans n'importe quelles conditions

(élèves trop jeunes, critères trop globaux, examens...), elle révèle cependant bien des avantages par la mobilisation maxi­male qu'elle entraîne chez les adoles­cents.

D'ailleurs, l'observation des milliers de notes que nous avons recueillies pendant huit ans tend à prouver une objectivité et une « compétence » certaines des élè-ves-évaluateurs, dès lors que l'ensei­gnant effectue préalablement un travail de responsabilisation du groupe et de clarification des contenus et des critères. Dans ces conditions, la formule 4 sera viable et innovante, transformant la ré­sistance de « l'éduqué » en une véritable prise en charge de « l'apprenant ».

Tableau : Procédures d'évaluation caractéristiques

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Les formules de cette deuxième palette ne sont pas neutres. L'auto-évaluation, envisagée isolément, semble limitée et difficilement exploitable. Par contre, on peut l'utiliser en même temps qu'une co-évaluation. ce qui permet une compa­raison de jugements. La procédure duelle entraîne souvent des anomalies, essentiellement lorsque les critères sont globaux et qu'il y a symétrie entre les évaluateurs. La CE par groupe se carac­térise par la « négociation » qu'elle im­plique. L'intervention de l'enseignant, dès lors, est souhaitable pour pallier les problèmes de leadership et rééquilibrer la parole dans le groupe (rappels des critères, touches successives).

• Les activités et les contenus

Pour classer les procédures de CE, ce sont les contenus de formation qui sem­blent plus significatifs que les activités ; nous en distinguons trois : • convergent (athlétisme...) ; • divergent (activités duelles ou collecti­ves...) ; • favorisant l'imagination (expression corporelle, danse...). Cette classification, si elle recoupe les trois autres, est essentiellement dépen­dante de la suivante (critères).

• Les critères retenus

Nous avons pris en considération trois sortes de critères : • les critères mesurables (performan­ces...) ; • les critères mesurables servant de base à une interprétation (tir, buts, passes man­quees... en sports collectifs ; « tombé »,

« plaqué », en lutte, etc.) ; • les critères faisant intervenir une interprétation plus globale (« la diversité des actions » chez le lutteur ; le « soutien » au vol-ley-ball, etc.). Ce dernier paramètre est le plus opérant pour comprendre les

mécanismes des co-évaluations. En effet, les anomalies constatées, pendant et après ces séances d'évaluation, étaient toutes fonction d'une inadaptation des critères retenus (et des contenus sous-jacents) à l'activité, l'âge des élèves.

Ainsi, on a pu relever, par exemple : 0 pendant la séance : de la passivité (très rare), des conflits ouverts entre évalua­teurs, entre évaluateurs et enseignant, le refus de rendre des notes ; 0 dans les notes recueillies : - amplitude de notes restreinte (entre 13 et 16, par exemple) : - aucune note au-dessous de la moyenne (très fréquent) ; - sur-évaluation flagrante de certains élèves.

Toutes ces résistances sont apparues lorsque les critères impliquaient une in­terprétation trop importante. En sports collectifs, par exemple, la négociation à partir de critères difficiles à quantifier, l'obligation d'ordonner les joueurs d'une équipe et de leur attribuer une note individuelle étaient souvent mal vécues par les élèves.

Il faut souligner que l'enseignant, lui aussi, rencontre des difficultés à traduire en notes institutionnalisées des presta­tions complexes (un « bon » joueur de basket-ball, qu'est-ce que c'est ?) Mais, alors que le problème s'exprime « dou­loureusement » lors d'une CE, l'ensei­gnant, évaluant seul, peut garder pour lui ses hésitations, ses approximations, ses inéluctables erreurs. Dans les deux cas, c'est bien le traitement didactique qui importe et qui, selon l'enseignant et l'activité abordée, conduira à une alter­native entre : - une opérationnalisation précise du comportement de l'élève (au risque de découper l'activité) ; - une approche plus globale, respectant la complexité de la prestation (mais souvent floue et peu crédule. En situa­tion de co-évaluation, ce choix ne se fait plus à l'insu des enseignés.

• L'évaluation

Quatre procédés d'évalua­tion peuvent être envisa­gés : • L'auto-évaluation un élève E s'évalue lui-même.

• La co-évaluation duelle :

avec possibilité de symétrie :

• La co-évaluation par 3 :

avec possibilité de rotation :

ou de symétrie :

• La co-évaluation par groupe

Une note élève - par équipe PHOT

OS :

AUT

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EPS № 207 - SEPTEMBRE-OCTOBRE 1987 43 Revue EP.S n°207 Septembre-Octobre 1987 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

PERSPECTIVES ET LIMITES DE LA CO-EVALUATION

La manipulation des contenus et des critères par les élèves est, sans doute, le principal atout de la CE. Investis d'une responsabilité institutionnelle, les ado­lescents s'impliquent dans le processus d'apprentissage de manière édifiante, surtout quand on systématise ces procé­dures. La co-évaluation impose une co­hérence totale entre les objectifs, les situations et les critères retenus par l'en­seignement. Et, si ce travail semble aboutir quelques fois à une caricature, à une simplification extrême de l'activité

abordée, on se persuadera que l'essentiel est atteint lorsque les élèves réussissent à maîtriser les tenants et les aboutissants de la démarche pédagogique. L'appren­tissage y gagne également par la « dé­mystification de la note » que l'on ob­serve. L'évaluation n'est plus un but en soi, un contrôle ; en leur appartenant, elle prend un sens. Enfin, la CE, par l'observation de l'autre, offre à l'élève la connaissance des résultats de sa propre action. Ce mécanisme est la condition essentielle des progrès effectifs sur le plan de la motricité.

Mais, à la question de savoir si les avan­tages évidents de ces procédures sont

susceptibles de modifier véritablement les rapports des élèves au contenu, à l'enseignant ; si la CE peut transformer en profondeur les habitudes, la réponse ne peut être qu'ambiguë. En effet, en tant que procédure, elle ne résoud pas les problèmes généraux de l'évaluation et du choix des contenus de formation. Quelle que soit la formule à laquelle il recourt, l'enseignant d'EPS ne peut plus faire l'économie des questions pédago­giques d'envergure : Quelles activités ? Quels contenus ? Pourquoi ? Quels cri­tères ? Si l'on ne retient du basket-ball, par exemple, qu'un ensemble de techni­ques individuelles, la formule la plus élaborée de CE ne pourra gommer ce choix didactique réducteur. Elle s'y adaptera même : et, par sa connotation auto-gestionnaire, par son vernis innova­teur, la CE permettra même à la vision passéiste de se perpétuer en toute bonne conscience.

La co-évaluation dépend donc des contenus véhiculés et ses limites sont celles de toute procédure. Elle ne fonde pas une nouvelle méthode ; elle n'an­nonce pas de finalités originales, c'est un simple outil.

Jacques-André Méard Professeur EPS,

Collège Giraud, Bastia

DANS LA NOUVELLE COLLECTION : RECHERCHE ET FORMATION

A PARAITRE PROCHAINEMENT T h é o r i e e t m é t h o d o l o g i e - L ' e n t r a î n e m e n t spor t i f

Vladimir Nicolaïevi tch PLATONOV

Traduit du russe par N. Jonco et D. Wat tez En col laborat ion avec J.R. Lacour, Professeur de Physiologie à la Faculté de Médec ine de Saint-Et ienne

Introduction : J.R. Lacour - Aspects généraux de l'entraînement sportif. - Facteurs déterminant le niveau des performances. - Moyens et méthodes d'entraînement, les composantes de la charge

d'entraînement. - Préparations technique, mentale et tactique. - La préparation physique dans l'entraînement sportif. - Structure du processus d'entraînement - Elaboration des séances

et des microcycles. - Elaboration des mésocycles, des macrocycles et du cycle annuel

d'entaînement. - Planification de l'entraînement sportif.

Sélection et orientation des athlètes au cours du cycle pluriannuel d'entraînement.

- Contrôle de l'entraînement sportif. - Le modèle comme système de référence au cours de l'entraînement.

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