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Annales de pathologie (2011) 31, 226—228 CAS POUR DIAGNOSTIC Une lésion laryngée létale A fatal laryngeal lesion Philippe Charlier a,, Pierre-Fleury Chaillot a , Jean-Claude Alvarez b , Geoffroy Lorin de la Grandmaison a a Service de médecine légale et d’anatomie/cytologie pathologiques, UVSQ, CHU R.-Poincaré, AP—HP, 104, boulevard R.-Poincaré, 92380 Garches, France b Service de toxicologie, UVSQ, CHU R.-Poincaré, AP—HP, 92380 Garches, France Accepté pour publication le 27 d´ ecembre 2010 Disponible sur Internet le 18 mai 2011 Observation Une autopsie médicolégale a été réalisée chez un sujet masculin de 41 ans, schizophrène, retrouvé mort à son domicile, en décubitus dorsal, sur le sol de sa chambre. Des ordon- nances indiquaient une prescription de Lepticur ® (tropatepine), Imovane ® (zopiclone), Théralène ® (alimemazine), Transipeg ® (polyéthylène glycol), Tercian ® (cyamémazine) et Rivotril ® (clonazépam). Notre examen n’a pas retrouvé de lésion de violence récente décelable. Un important globe vésical était présent (près de deux litres d’urines) sans obstacle prostatique évident, d’origine neurologique vraisemblable. Enfin, il existait un volumineux œdème laryngé (Fig. 1) et rhinopharyngé (Fig. 2) pouvant avoir été à l’origine du décès par un mécanisme asphyxique, associé à un œdème pulmonaire et des bouchons muqueux bronchiques. L’examen microscopique de l’épiglotte, des bandes ventriculaires et des cordes vocales mettait en évidence un infiltrat inflammatoire assez particulier (Fig. 3 et 4). Les poumons étaient exempts de tout signe histologique en faveur d’une crise d’asthme. Auteur correspondant. Adresse e-mail : ph [email protected] (P. Charlier). 0242-6498/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés. doi:10.1016/j.annpat.2010.12.004

Une lésion laryngée létale

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nnales de pathologie (2011) 31, 226—228

AS POUR DIAGNOSTIC

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fatal laryngeal lesion

Philippe Charliera,∗, Pierre-Fleury Chaillota,Jean-Claude Alvarezb,Geoffroy Lorin de la Grandmaisona

a Service de médecine légale et d’anatomie/cytologie pathologiques, UVSQ, CHU R.-Poincaré,AP—HP, 104, boulevard R.-Poincaré, 92380 Garches, Franceb

Service de toxicologie, UVSQ, CHU R.-Poincaré, AP—HP, 92380 Garches, France

Accepté pour publication le 27 decembre 2010Disponible sur Internet le 18 mai 2011

Observation

Une autopsie médicolégale a été réalisée chez un sujet masculin de 41 ans, schizophrène,retrouvé mort à son domicile, en décubitus dorsal, sur le sol de sa chambre. Des ordon-nances indiquaient une prescription de Lepticur®(tropatepine), Imovane® (zopiclone),Théralène® (alimemazine), Transipeg® (polyéthylène glycol), Tercian® (cyamémazine) etRivotril® (clonazépam).

Notre examen n’a pas retrouvé de lésion de violence récente décelable. Un importantglobe vésical était présent (près de deux litres d’urines) sans obstacle prostatique évident,d’origine neurologique vraisemblable. Enfin, il existait un volumineux œdème laryngé(Fig. 1) et rhinopharyngé (Fig. 2) pouvant avoir été à l’origine du décès par un mécanismeasphyxique, associé à un œdème pulmonaire et des bouchons muqueux bronchiques.

L’examen microscopique de l’épiglotte, des bandes ventriculaires et des cordes vocalesmettait en évidence un infiltrat inflammatoire assez particulier (Fig. 3 et 4). Les poumonsétaient exempts de tout signe histologique en faveur d’une crise d’asthme.

∗ Auteur correspondant.Adresse e-mail : ph [email protected] (P. Charlier).

242-6498/$ — see front matter © 2011 Elsevier Masson SAS. Tous droits réservés.oi:10.1016/j.annpat.2010.12.004

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Une lésion laryngée létale 227

Figure 1. Vue postérieure du larynx en cours d’autopsie avecl’important œdème des bandes ventriculaires et des cordes vocales.Posterior view of the larynx during the autopsy with the importantedema of both ventricular bands and vocal cords.

Figure 3. Lésions de périvascularite non nécrosante avec œdèmedans le chorion de la muqueuse de la corde vocale gauche (HES,× 400)Lesions of non-necrotizing perivascularitis with edema in the cho-

Figure 2. Vue postérieure de l’anneau de Waldeyer en coursd’autopsie avec l’intense œdème de la luette, les amygdales pala-tines étant morphologiquement normales.Posterior view of the Waldeyer ring during the autopsy with theintense edema of the uvula, both palatine amygdales being mor-phologically normal.

rion of the left vocal cord mucosa (HES, × 200).

Figure 4. Plusieurs mastocytes incomplètement dégranulés pré-sents dans la sous-muqueuse (anticorps anti-CD117, × 200).Some mastocyte cells incompletely degranulated in the submucosa(antibody anti-CD117, × 200).

Quel est votre diagnostic ?

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dème laryngé immuno-allergique (œdème de Quincke)ans un contexte de choc anaphylactique.

iscussion

’œdème immuno-allergique localisé au larynx (ou œdèmee Quincke) peut être létal dans ses formes gravesar un mécanisme asphyxique (oblitération complète desoies aériennes supérieures par l’œdème intense de lauqueuse). Chez ce sujet, le contexte de choc ana-hylactique fut principalement posé par les résultatsiochimiques, le caractère post-mortem des investiga-ions (survenues 48 heures après le décès) limitant, voirempêchant l’observation de lésions cutanées de type urtica-iennes ; la dissection de l’ensemble du tube digestif mettaitn évidence une congestion intense accompagnée d’uneistension aérique (deux modifications agoniques et/ouadavériques non spécifiques).

En l’absence de signe histopathologique pathognomo-ique, un diagnostic de certitude peut être obtenu parosage sérique des tryptases, des IgE sériques (totales etpécifiques) et de l’histamine ; ainsi, chez ce sujet, aveces valeurs très largement supérieures à la normale (taux’IgE totales à cinq fois la limite supérieure) et significativesalgré leur caractère post-mortem.La recherche de toxiques dans le sang périphérique, les

rines, la bile et le liquide gastrique a mis uniquement envidence la présence d’haloperidol (Haldol®) à une concen-ration thérapeutique. Des cas de choc anaphylactique avecdème de Quincke et lésions urticariennes ont été décrits

n cours de traitement par neuroleptiques, par exemplevec la clozapine [1]. Si, sauf erreur de notre part, aucunas de choc anaphylactique à l’haloperidol n’a été rapportéans la littérature jusqu’à présent, des dystonies laryngéesiguës mimant une telle complication ont, en revanche, étéécrits chez un sujet schizophrène de 24 ans traité avecette molécule [2].

Dans notre cas, l’incrimination de l’halopéridol dansette réaction anaphylactique apparaît bien peu probable,ette molécule ayant été retrouvée tout le long des che-eux de l’individu lors de dosages toxicologiques séquentielsbien que ce médicament ne fasse pas partie des pres-riptions du patient). La substance en cause dans ce choc

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P. Charlier et al.

naphylactique demeure inconnue à l’issue de nos investi-ations ; en effet, si, d’après les données du dictionnaireidal, trois médicaments théoriquement pris par le sujetont connus pour leur potentiel sensibilisant (Théralène® :limemazine, Transipeg® : polyéthylène glycol, Tercian® :yamémazine), l’étude toxicologique a montré qu’il n’envait pas consommé dans les heures ayant précédé le décès ;ls ne peuvent donc absolument pas être incriminés dans lesésions observées.

Aucun autre toxique n’a été objectivé, en particulier,ucun dérivé opiacé. D’après Edston et al. [3], le chocnaphylactique/anaphylactoïde est une cause de décèson négligeable des toxicomanes à l’héroïne, rarementonsécutif à une réaction allergique aiguë aux produitsoupants, mais plus souvent liée aux propriétés phar-acologiques des dérivés opiacés stimulant la libération’histamine et autres substances vasoactives contenuesans les mastocytes. Rappelons qu’un taux d’IgE élevé,uoique non formel, peut ainsi amener à suspecter une prise’héroïne.

éclaration d’intérêts

es auteurs déclarent ne pas avoir de conflits d’intérêts enelation avec cet article.

emerciements

es auteurs remercient le relecteur anonyme pour sesommentaires et suggestions, et le Dr Cochand-Priollet (CHUariboisière, Paris), pour la réalisation de l’examen immuno-istochimique (Ac CD117). Les préparations histologiquestandard ont été réalisées par Isabelle Le Manner (techni-ienne de laboratoire).

éférences

1] Gelly F, Chambon O, Marie-Cardine M. Long-term clinical expe-rience with clozapine. Encephale 1997;23:385—96.

2] Ilchef R. Neuroleptic-induced laryngeal dystonia can mimic ana-phylaxis. Aust N Z J Psychiatry 1997;31:877—9.

3] Edston E, van Hage-Hamsten M. Anaphylactoid shock. A commoncause of death in heroin addicts? Allergy 1997;52:950—4.