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Université Mohammed V

FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINES

RABAT \..\

HESPÉRISTAMUDA

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HESPERIS TAMUDASous le patronage

du Doyen de la Faculté des Lettres et des Sciences HumainesSaïd BENSAÏD ALAOUI

* * *

Comité de Rédaction

Brahim BOUTALEB

Mohamed EZROURARahma BOURQIA

Abderrahmane EL MOUDDENMohammed KENBIB

Abdelahad SEBTIJamaâ BAÏDA

La revue Hespéris - Tamuda est consacrée à l'étude du Maroc, de sa société,. de son histoire,de sa culture et d'une manière générale .aux sciences ·sociales de l'Occident musulman. Elle paraitannuellement en un ou plusieurs fascicules. Chaque livraison comprend des articles originaux, descommunications, des études bibliographiques et des comptes-rendus en arabe, français, anglais,espagnol et éventuellement en d'autres langues.

Les textes, dûment corrigés, doivent être remis en trois exemplaires dactylographiés, endouble interligne et au recto seulement. Les articles seront suivis de résumés dans une languedifférente de celle dans laquelle ils ~ont publiés. Les textes non retenus ne sont pas retournés à leursauteurs. Ceux-ci en seront avisés. Les auteurs reçoivent un exempla~re du volume auquel ils aurontcontribué et cinquante tirés à part de leur contribution. Les idées et opinions exprimées sontcelles de leurs auteurs et n'engagent en rien Hespéris-Tamuda.

Le système de translittération des mots arabes utilisés dans cette revue est le suivant:

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Voyelles brèves

a

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Voyelles longues Diphtongues

Pour toute demande d'abonnement ou d'achat, s'adresser au Service des Publications, desEchanges et de laDiffusion, Faculté des Lettres et des Sciences Humaines, BP. 1040, Rabat.

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,HESPERIS

TAMUDA

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Tous droits réservés à la Faculté

des Lettres et des Sciences Humainesde Rabat (Dahir du 2910711970)

Dépôt légal W 3111960ISSN 0018·1005

Impression: Imprimerie NAJAH EL JADIDA . Casablanca

Ouvrage publié dans le cadre

du compte hors budget

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Université Mohammed V

FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINESRABAT -"l' .....,

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HESPERISTAMUDA

Vol. XXXVIII - Fascicule unique2000

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2000

HESPERISTAMUDA

Vol. XXXVIII, Fasc. unique

SOMMAIRE - SUMARIO

ARTICLES -ARTICULOS

H. Ghazi-BEN MAISSA, Les rois Imazighen et le monde grec .

Said el BOUZIDI, Les normes de la rationalité du système esclava-

giste chez les agronomes latins .

Rachid el HOUR, La institucion de la Shura en Al-Andalus en época

almoravide ..

Suzanne GIGANDET, Trois maqâlât au sujet des épidèmies de peste

en Andalousie et au Maghreb .

YoUssef AKMIR, Marruecos y la politica exterior espafiola durante

los primeros gobiernos de la restauracion 1874-1887 ..

Lidia Milka-WIECZORKIEWICZ, Groupement spécial des polo-

nais à Kasba Tadla (Maroc) en 1941.. .

Alain ROUSSILLON, Faire prévaloir la norme: identité et réformes, l"a epreuve du voyage .

Mohamed EL FAÏZ, Les Foundouks caravansérails de Marrakech :

de l'opulence marchande au refuge de la marginalité urbaine .

A. Lakhsassi et M. TOZY, Segmentarité et théorie des leff-s :

Tattuggwat/Taguzult dans le sud-ouest marocain .

NOTESETDOCUMENTS-NOTASYDOCUMENTOS

9

35

61

81

89

105

125

165

183

Mohammed STITU . Tanbih el Ikwân fimâ huwâ bidâ wa mâ huwa Sunna

(En langue Arabe) 9

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COMPTES-RENDUS BIBLIOGRAPHIQUES - RESENAS

BIBLIOGRAFICAS

GILLES, LAFUENTE. La politique berbère de la France et le na­

tionalisme marocain (Jamaâ BAIDA) (En langue Arabe ).......................... 205

Garcia· ARENAL (MERCEDES). Entre el Islam y Occidente Vida

de Samuel Pallache, Judio de Fez, Madrid, 1999 (Rachid et HOUR)

(En langue Arabe) 31

Maria ROSA de Madariapa, Espanâ y el RIf (Brahim BOUTA-

LEB)(En langue Arabe )........................................................................................ 37

Daniel RIVET, : Le Maroc de Lyautey à Mohammed V : Le double

visage du protectorat, (Brahim Boutaleb) (En langue Arabe) 41

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 9-34.

LES ROIS IMAZIGHEN(I) ET LE MONDE GREC

H. GHAZI-BEN MAISSA

La colonisation et les interventions directes dans les affaires intérieures desEtats d'Afrique mineure de la part des Carthaginois et des Romains, avaient amenéles chefs iJnazighen à établir des relations conflictuelles, politiques et culturellesaVec les Puniques et les Romains. Mais avec les Grecs, qui n'avaient pas coloniséde territoire en Afrique mineure antique(2) et dont les' interventions militaires, encette contrée, étaient des plus rares, les chefs ùnazighell avaient-ils réussi à nouerdes relations?

La civilisation grecque qui avait exercé une fascination extraordinaire surles peuples antiques de la Méditerranée, a-t-elle pu atteindre les Imazighen ou dumoins leurs chefs? Si oui, comment cette civilisation a-t-elle pu leur arriver? LesImazighen et plus précisément leurs Princes, étaient-ils comme tant de chefsd'autres peuples, capables d'établir des relations directes avec le monde grec, depuiser à la source de cette civilisation sans passer par un intermédiaire? Ou biences Imazighen avaient-ils besoin, comme on l'a souvent soutenu, des deuxmamelles carthaginoise et romaine pour se nourrir de la civilisation d'Homère?

(1) Nous préférons utiliser le terme «amazigll» et ses différentes déclinaisons à la place dumOt «berbère(s»>, pour désigner les habitants de )' Afrique mineure antique. Le vocable «amazigh»el,st u~ terme qui peut trouver son origine dans le mot «mazikes» et ses variantes dans les écrits lieantlq . -

UHe. Mais c'est surtout le nom que se donnent encore actuellement les descendants desautochton d b' l' .,. . . t' ", . es u Maghreb actuel. Le terme «ber ere» , UI, qUI n a Jamais eXls e sous cette lorme, dans1 antiquité, est une appellation qui semble dériver du mot arabe «al-barba,.,>, lui-même venant deBarba,.' ( 1 . 8 . h' .t' d R .

l, P ur. de Barbarus) , que donnaient les yzantms, en lers es omams, aux peupladesnor~-africaines échappant à leur autorité. Il est important de souligner que les descendants desAnCiens de l'Afrique mineure ne se reconnaissent pas dans le mot «berbère», gu 'ils l'icrnorentComplètement, et c'est à l'école que leurs enfants découvrent que les autres les appellent ainsi~

(2) Nous ne nous sommes pas préoccupée de la Cyrénaïque dont les relations avec le mondegrec et greco-égyptien ne sont pas à démontrer. Cette zone a fait l'objet de travaux de recherchesIm?Ortants. Cf A. Laronde, Cyrène et la Libye hellénistique. éd. CNRS, Paris, 1987 Où l'auteur apresenté également une bibliographie abondante, aussi riche que variée.

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10 H. GHAZI-BEN MAISSA

1. DES RELATIONS CONFLICTUELLES TRES RARES ET BIENLIMITÉES

A - Sur la terre d'Afrique:

Le premier contact historique(3) entre les Imazighen et les Grecs que lessources littéraires, bien indigentes, nous révèlent, est celui établi entre lesreprésentants des forces en place en Afrique du Nord et Alexandre le Grand. En324 (A.C.) une délégation nord-africaine fut dépêchée, à Babylone, auprès duconquérant grec, pour le féliciter de ses victoires, nous rapporte Diodore de Sicile,qui écrit: « L'Europe et la Libye avaient député un grand nombre de représentants.Parmi ceux de la Libye, nous précise l'auteur, on remarquait les envoyéscmthaginois et libyphéniciens, ainsi que ceux de tous les peuples qui habitent lelittoral jusqu'aux colonnes d'Hercule»(4). Ce même auteur nous révèle que,quatorze ans plus tard, des relations se sont établies entre le Roi africain Ailumaset le tyran de Syracuse, Agathocle. C'était en 310/309 (A.C.). Lors de sonembarquement en Afrique, pendant une guerre contre Carthage, le chef grec avaitconclu, nous rapporte Diodore de Sicile, une alliance avec «Ailumas, le Roi desLibyens»(S). Mais celui-ci ne tarda pas à se détacher du parti d'Agathocle et se mitdu côté carthaginois. Vaincu, le Roi amazigh, nous dit l'auteur de la BibliothèqueHistorique, fut tué, lui et beaucoup des siens(6).

Forts de leurs victoires dans le pays carthaginois, les Grecs, sous lecommandement d'Eumachos, un des lieutenants du propre fils d'Agathocle,Archagatos, auquel le tyran, à son retour en Sicile, avait confié l' armée(7),s'enfoncèrent, selon Diodore, à trois reprises dans le pays amazigh(8). Plusieursvilles y furent conquises et pillées(9) par les Grecs avant que ces derniers fussentchassés de l'Afrique par les forces carthaginoises et timazighine coalisées( 10).

B- Sur la terre grecque:

Un autre contact de nature guerrière entre les Imazighen et les Grecs futprovoqué par Massinissa lors de l'envoi d'auxiliaires numides pour combattre les

(3) La plupart de ces récits légendaires qui font état des voyages de personnagesmythologiques grecs en Afrique Mineure sont regroupés par 1. Carcopino, Le Maroc antique, 4èmeédit. Gallimard, Paris, 1943, pp. 62-72; cf aussi Diodore de Sicile, XX, 57, qui nous parle d'une citétamazighte nommée Meschela, fondée selon lui par «des Grecs revenus de la guerre de Troie» etHérodote, l'Enquête, IV, 191 qui nous dit que les Maxyes «prétendent que leurs ancêtres sont venusde Troie».

(4) Diodore de Sicile, XVII, 113.

(5) Diodore de Sicile, XX, 17.

(6) Id., XX, 18.

(7) Id., XX, 55; cf. Aussi Justin, XXII, 8, 1.(8) Diodore de Sicile, XX, 57, 58 et 60.

(9) Id., ibid.(10) Id.. XX, 59 et 60.

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LES ROIS IMAZIGHENFIT LE MONDE GREC Il

hellènes chez eux, pour le compte de Rome(ll). Pendant plus d'un quart de siècle,de 200 à J7 J (A.C.), le Numide n'avait cessé d'envoyer des troupes, souvent à sespropres frais, pour guerroyer en Orient et aider à l'expansionnisme Romain(12».Massinissa avait fait parvenir cavaliers et éléphants en Grèce pour faire la guerre àPhilippe, ensuite à Antiochos et enfin à Persée. L'engagement du Roi lors de cetted.ernière guerre est allé même jusqu'à envoyer, aux côtés des Romains, son proprefIls, Misagènes, à la tête du contingent numide(13).

Ce furent les deux et seuls contacts de nature belliqueuse, qui ont pu êtreenregistrés, dans toutes les sources que nous possédons, entre les Imazighen et lesGrecs. Les relations entre ces deux peuples, furent plutôt sereines, fondées sur deséchanges culturels et économiques.

II. LES RELATIONS COMMERCIALES: LES SUPPOSITIONSET CONFIRMATIONS

Les échanges commerciaux entre les Imazighen et les Hellènes ont eu lieu,même si l'on ne connaît pas encore leur intensité. Certains ne peuvent être queSUPposés, mais d'autres sont confirmés par des trouvailles archéologiques.

A • Les relations commerciales supposées avec les Masaesyles :

Le royaume de Suphax qui s'étendait des Colonnes d'Hercule à la Cyré­naïque(l4) abondait en bois de thuya, en étoffes de pourpre, en or et en ivoire( 15),

P~o.duits prisés dans les mondes grec et romain. Ce Roi, qui fut séduit par lacIvIlisation hellénistique(f6) peut avoir ouvert ses marchés aux commerçants grecset, le cas échéant, à des intermédiaires puniques.

B - Les relations commerciales avec les Massyles :

Massinissa, dont le royaume englobait d'Ouest en Est les principales~Os~essions de Suphax (donc ses richesses), les Etats massyles, et les territoiresfertIles conquis sur Carthage, (Emporia et Grandes plaines par exemple)(I7),pouvait continuer à exporter vers le monde grec - avec qui il était en relation - nonseulement les matières «précieuses» du royaume masaesyle, mais aussi des

II -12' (II) Tite Live, XXXII. 27. 2; XXXVI, 4, 5 et 8; XLIl, 29, 8 -10; XLIII, 6, Il -13;XLlV, 9,,XLV, 14,8 -9.

(12) Id., Ibid.

(13) Id., XLII, 29, 8-10; XLIl, 62,1-2; XLIl, 65, [4; XLII, 67, 8; XLIV, 9,11-12; XLV, 14,8-9.

(14) Cf. H. Ghazi - Ben Maïssa, Les origines du royaume d'Ascalis, Africa RO/lla/la, 1994,pp. 1403-1405.

(15) Cf. Silius Italicus, XVI, 170-176.( 16) Cf. ù~fra.

(17) Cf H. Ghazi - Ben Maïssa, Les origines du royaume d'Ascalis, Africa RO/lla/la 1994,pp. 1407-1412. . ,

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12 H. GHAZI-BEN MAISSA

céréales dont son royaume semblait regorger. G. Camps va même jusqu'à penserque l'exportation du blé était la principale source des revenus du royaume numideet que la Grèce était, avec Rome, le premier client de Massinissa( 18). C'est un pointde vue que peut conforter, dans une certaine mesure, la présence, à l'époque deMassinissa, de colonies d'Italiens et de Grecs. En effet, c'est à ce Roi, et non pas àson fils Micipsa, que doit revenir la primeur de l'installation d'une colonie deGrecs dans la capitale massyle. C'est du moins ce qui ressort, à notre sens, del'étude concernant les trouvailles archéologiques du site d'El Hofra de la capitalenumide Cirta. Les fouiHes effectuées dans ce site ont permis la mise au jour d'unsanctuaire de Baâl-Hal11l11on(l9). Ce sanctuaire renfermait, entre autres, vingt stèlesà inscriptions grecques de personnages de noms grecs(20), trois stèles «de nomsgrecs transcrits en langue punique»(2\), et quatre autres «cas douteux»(22) qu ipourraient aussi rentrer dans cette dernière catégorie(23). Que leurs vœux soientécrits en grec ou en punique, ces Grecs, en s'adressant aux divinités puniques ettùnazighine Baâl-Hal11l11on et Tanit(24), au lieu des leurs, et surtout, en exprimantleur filiation par le mot Bun(25) qui n'est autre que la transcription du bn punique(= fils de), au lieu du mot grec Nias, semblent être, au moment de la réalisation deces ex vota, paIfaitement punicisés.

Selon Fr. Bertrandy, certains de ces personnages pourraient être originairesde Thrace(26), d'autres «d'un pays Dorien, du Péloponnèse ou de Grècecentrale» (27). Selon cet auteur, «il est fOlt vraisemblable que ces hommes ont servien tant que mercenaires dans les armées numides, mais semble-t-il, à partir deJugurtha seulement. Au moment de la bataille du Suthul, en effet», poursuit cetauteur, «des transfuges de l'armée romaine, Ligures et Thraces, passèrent dans lecamp numide. C'est l'unique mention d'un fait de guerre où sont mêlés desThraces mercenaires en Numidie»(28). Hypothèse séduisante, certes, si ces Grecs

(18) Camps. Massinissa, ou les débuts de l'hisoire, dans Libyca, VIII, 1960 (= Camps.Massinissa), p. 20l.

(19) M. Berthier et R. Charlier, Le sanctuaire Jiunique d'El Hofra, Paris, 1955.

(20) Fr. Bertrandy, La communauté greco-latine de Cirta (constanttine). capitale du royaumede Numide pendant le Ile siècle et la première moitié du le siècle avant J.-c., dans LatoIllUS, XLIV,1985, pp. 490-49l.

(21) Id., ibid., p. 49l.(22)!d., ibid.

(23) Des noms latins sont aussi transcrits en punique, Cf Fr. Bertrandy, Ibid., p. 492.(24) Tanit ou plutôt Tinit ou Tifznit, qui peut vouloir dire "parole ou prophétie" ou bien

"envie de femme enceinte", n'est sans doute pas une divinité phénicienne, mais plutôt d'originetal/lazighte adoptée par les Carthaginois. En ayant Astarté, les Phéniciens ne peuvent pas avoir aussiTanit, autrement leur panthéon contiendrait à l'origine deux divinités aux fonctions identiques. ce quiconstituerait à notre connaissance, un phénomène unique et sans précédent dans le monde antique.

(25) Id., ibid.. pp. 497-498.(26) Id., ibid.. p. 493.(27) d., ibid.(28) Id., ibid.

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LES ROIS IMAZIGHEN ET LE MONDE GREC 13

20.

auteurs de ces stèles votives, et que l'on dit contemporains de Micipsa et deJugurtha, n'étaient pas, à cette date, déjà punicisés. Ces Grecs, parfaitementintégrés dans la société cirtéenne, n'apparaissent-ils pas, plutôt, comme desdescendants de familles grecques installées «depuis plusieurs générations»(29) dansla capitale numide. Ils ne peuvent donc être des membres de cette colonie dontparle Strabon(30), et encore moins ces mercenaires Thraces que voit en eux Fr.Bertrandy. D'ail1eurs peut-on admettre l'idée que ces Thraces qui sont supposésavoir combattu avec Jugurtha et contre Rome, soient, surtout après avoir trahicel1e-ci, accueil1is à Cirta, passée, on le sait, ensuite sous la tutel1e romaine, etaient bénéficié d'une vie paisible dans la capitale numide? C'est plutôt à l'époquede Massinissa que l'on doit attribuer l'installation de ces Grecs à Cirta, qui, àl'époque de Micipsa et de Jugurtha, «dans leurs croyances comme dans leursmœurs, [... ] ne se distinguaient plus guère des Africains punicisés, au milieudesquels ils vivaient»(31).

Massinissa avait, apparemment, entretenu des relations commerciales avecles Grecs en général, et les Lagides en particulier. Entre 160 et 155 (A.C.),Ptolémée VIII, Evergète II, avait rendu visite au Roi numide. II est à noter que ledéplacement du Basileus avait eu lieu au lendemain de l'annexion définitive par leMassyle des Emporia et des cités. La visite du Roi hellène, à ce moment précis,peut laisser supposer qu'elle avait pour objectif, entre autres, de négocier avec cenouveau paI1enaire, qui, par ses conquêtes, al1ait dorénavant remplacer Carthagedans ses exportations traditionnelles de blé vers le monde lagide.

C - Les relations commerciales confirmées avec les Maures:

Le commerce avec le monde grec s'est étendu jusqu'en Maurusie. Il sembleavoir existé, au moins, depuis le IVe siècle (A.C.P2); siècle où selon le pseudoScylax, «la céramique attique» arrivait jusqu'à Cerné(33). Cette île située dansl'océan, qui fait face aux côtes de Libye et plus précisément à la région où coule lefleuve Annon selon Palaiphatos, qui copie ici, semble-t-il, Hannon, est sans douteUne des îles Canaries. L'Oued Annon, dont certains ignorent probablementl'existence et qui, afin d'ajuster le texte à leurs hypothèses(34), se sont livrés à une~ritable réécriture du texte(35), est toujours présent au sud du Maroc, et plus

(29) Camps. Massinissa, p. 201.(30) Strabon. XVII, 3. 13.(31) Camps. Ibid.

(32) Cf F. Villard, Céramique grecque du Maroc. dans BAM, IV. 1960 (1962). pp. 1-26 etparticulièrement pp. 14- 15; M. TarradelL Marruecos punico, Tétuan, 1960. p. 155; Id., Nuevos datasSobre la ccramica pre-romana de barniz-roja. dans Hespéris- Tal/luda, 1960. 2. pp. 235 252 etparticulièrement pp. 247-252; P. Rouillard. Le commerce grec du Ve et du IVe siècles. dans Actes duColloque sur Urus, Larache, 8-1 1 novembre 1989. EFR, 1992, pp. 206-215"

(33) Cf, R. Roget. Le Maroc che:: les auteurs anciens. éd. Les Belles Lettres, Paris, 1924. p.

J'île(34) Cf, Carcopino, Le Maroc antique, pp. 118-149. pour les différentes identifications de

'15) Cf. Id., ibid.. p. 1J9.

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14 H. GHAZI-BEN MAISSA

exactement dans la région de Tarfaya, face justement aux îles timazighinedevenues espagnoles en 1477-1479(36).

A partir du début du Ille siècle, selon les recherches effectuées par F. Villard,cette céramique attique semble avoir été remplacée en ce qui concerne le Marocantique, par «des apports très abondants de poterie heIlénique venue d'Italie et deSicile»(37). Une thèse réfutée par 1. P. Morel qui pense que les vases, pm1iculièrementceux à vernis noir et à figures rouges exhumés en Afrique, sont d'origine attique;mais elle reste confortée par la prospérité «indéniable»(38) de la grande Grèce au IVeet au début du Ille siècle avant J.-c. et la qualité excellente et diversifiée de sacéramique(39). Cette grande Grèce était, comme l'a écrit P. Lévêque, «devenue ungros centre de fabrication dont les produits rayonnent au loin»(40) et dont les circuitsde distribution, qu'on soit en Afrique du Nord ou en Europe Occidentale du Sud,seront empruntés plus tard par les négociants romains(41).

Quoi qu'il en soit, qu'elle soit attique comme le veut J.P. Morel ouoriginaire de la Grande Grèce comme le soutiennent d'autres savants, cettecéramique, découverte en quantité dans de nombreux sites de l'Afriquetamazighte(42), reste toujours grecque. Et sa présence dans les territoires

(36) L'île de Cerné qui abritait, selon le terme utilisé par le Pseudo Scylax, des Ethiopiens.c'est-à-dire des «hommes aux visages brûlés», mais dont la peau laissait tout de même apparaître letatouage, hommes maniant avec dextérité le cheval, le javelot et l'arc, tout comme leurs voisinsImazighen du continent, n'est sans doute pas une île renfermant une peuplade négroïde, mais plutôtdes hommes à la peau bronzée (brOlée par le soleil) comme ces Touaregs qui se trouvent toujoursdans les régions Sud de l'Afrique Mineure et dont le territoire s'étend. comme s'étendait jadis celuides Ethiopiens de l'Antiquité, de l'Atlantique à l'Egypte. L'appellation même de cette île (Kerné)n'est-elle pas une déformation du nom originel donné jadis à "une des îles devenue actuellement lesCanaries? N'a-t-on pas dans les deux appellations les mêmes consonnes avec inversion des deux

dernières?(37) F. ViJJard, Ibid pp. 15-16.(38) P. Lévêque, Problèmes historiques de l'époque hellénistique en Grande Grèce, La magna­

grecia nel mondo ellenistico, Atti dei IX cO/ll'egllo di sU/di sulla maglla-grecia, Taranto, 1969, Naples,

1970, p. 289.(39) J. P. Morel, Les vases à vernis noir et à figures rouges d'Afrique avant la deuxième guel1'e

punique et le problème des exportations de Grande-Grèce, dans Allt. Afr., 15, 1980, p. 74.(40) P. Lévêque, ibid., pp. 29-70 et particulièrement pp. 48, 67·69 et discussion pp. 288-294;

Cf aussi G. Caputo, Leptis Magna e l'industria artistica campana, Rend. Dell Ace. Di Arc/l. , LeU. e belleArti di Napo/i, N. S., 35, 1960 (1961), pp. J1- 27 et G. Et C. Picard, Vie el mort de Carthage, Paris,)970, pp. )58, 173, 183 et )84.

(41) Cf P. Lévêque, ibid., pp. 293 et 294 et M. Clavel-Lévêque, Marseille, 1977, pp. 73 et n.

297.(42) * Pour les sites du Maroc actuel, Cf : M. Tarradell, Marruecos punico, Tetuan. 1960,

passim; A. Jodin, HAM, 1960, p. 36 ct fig. 6 ct 8; F. Villard, Céramique grecque noir du Maroc, BAM,IV, 1960, pp. 1-26; J.P. Morel, Céramique à vernis noir du Maroc, dans Am. Afr., Il, 1968, pp. 55-76;M. Ponsich. Note préliminaire sur l'industrie de la céramique préromaine en Tingitane, Kouass, régiond'Arcila, Karl/wgo, 15. 1669, p. 91 et suiv.

* Pour les sites de l'Algérie actuelle. Cf. P. Gauckler. MI/sée de Cherchel, Paris, 1895; St.Gsell, Fouilles de GOl/raya, Paris, 1903; Id., HAAN, IV, pp. 151-166; L. Carton, Thapsus, BI/Il. De la

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LES ROIS IMAZIGHENET LE MONDE GREC 15

!mazighen, voire la présence de son imitation, montre non seulement que desrelations commerciales existaient entre les Hellènes et les fils d'Amazigh, maisaussi que certains parmi ceux-ci, sans doute les plus aisés, appréciaient l'artisanatdes Grecs et aimaient se faire servir dans la poterie de leur fabrication. Quant à laprésence en Afrique Mineure d'ateliers d'imitation de céramique grecque, elletémoigne, pour le moins, d'abord de la séduction exercée par le modèle grec sur lemonde amazigh et prouve ensuite que l'importation à elle seule, n'arrive pas àsatisfaire, à partir d'un certain moment, une demande devenue plus large et pluspressante au sein du pays du couchant de l'Afrique Mineure antique, cette contréeoù J'on aime également s'entourer d'un mobilier hel1énistique. Des bronzes decette époque ont été exhumés dans des constructions préromaines au Marod43 }.situé à l'extrême occident de l'Afrique MineGre et qui constitue la partie la pluséloignée de ce pays par rapport au monde grec.

III. LES SÉDUCTIONS HELLÉNISTIQUES

A - Sur les Rois masaesyles :

! - Suphax If :

Le modèle de la royauté hellénistique semble avoir atteint les souverainsimazighen les plus éloignés. L'apparat de Suphax II sur ses monnaies est digne decelui des Rois Lagides(44}. Ce Roi fortuné qui ne dédaigne pas le luxe(45}, que sesconquêtes heureuses sur les Carthaginois ont amené jusqu'à la Cyrénaïque(46) a,apparemment, été séduit par le modèle égypto-hel1énistique.

La légende qui veut qu'un Sophax, Roi des Imazighen, soit né de l'uniond'Héraclès et de Tingi(47} et que Juba II semble avoir voulu s'accaparer(48), est sansdoute née sous le règne de Sophax, le Masaesyle, ce chef amazigh portant le mêmenom que le Roi mythique. «Les gens de Tingi, nous rapporte Plutarque, racontentqu'après la mOlt d'Antée, sa femme, Tingi, s'unit à Héraclès, que Sophax, leur fils,devint Roi du pays et donna à la ville le nom de sa mère; ils ajoutent que le fils deSophax fut Diodore, qui soumit de nombreux peuples libyens à l'aide d'une armée

société archéologique de Sousse. III. 1904; F. Villard. Vases attiques du Ve siècle avant J.-c. àGouraya. Libyca. 7. 1959, pp. 7-13; S. Lancel, Tipasitana III. la nécropole préromaine occidentale deTipasa. Rapport préliminaire. Campagne de 1966-67. BAA. 3, 1968; J. F. Morel, Les vases à vernisnoir et à figures rouges d'Afrique. Alli. Afr., 15. 1980, p. 29-75.

(43) Cf C. Boube-Piccot. Les bronzes antiques du Maroc. ETAM. V. 1975. vol. Il : Lemobilier. texte et planches. passim.

(44) J. Mazard. CO'ïJl/S Num/lloru/ll Nlllnidiae Mauretaniaéque. Paris. 1955. (= Mazard.CNNM). p. 20. n° 10-\2.

(45) Cf Tite Live. XXVIII. 17 et 18; Italicus. XVI. 170-228; Appien. Punica. 12; Méla. L 6.(46) Cf Ghazi- Ben Maïssa. Les origines du royaume d'Ascalis. Africa Romana. 1994. pp.

1403-1405.(47) Plutarque. Sertoius IX.

(48) Id., ibid.

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grecque d'Olbiens et de Mycéniens établis dans cette région par Héraclès(49). CeDiodore (ou Didori) qui n'est pas dit Roi dans la légende, serait-il un filshistorique, que nous ne connaissons pas, du Roi Suphax ? Un fils qui auraitconduit les opérations des grandes conquêtes de son père en Afrique dont le nomserait resté dans l'obscurité parce qu'il serait mort avant l'établissement desrelations(SO) entre Rome et le royaume masaesyle? Ces Olbiens et ces Mycéniensne seraient-ils pas des mercenaires grecs engagés par le Roi Suphax et conduits parun de ses fils répondant au prénom de Diodore(SI), ou peut-être à un prénomamazigh dont Diodore ne serait qu'un calembour? Quoi qu'il en soit, cette légendeancrée dans la mémoire des gens de Tingi, qui mêle dans son récit l'élémenthellène et l'élément amazigh, ne peut être tissée que par un Roi ou un entourage deRoi, imprégné de civilisation grecque. Ajoutons que le demi-dieu Héraclès n'étaitpas inconnu en Afrique Mineure. Il est possible que les lmazighen aient adoptécette divinité depuis la plus haute antiquité. C'est à un Héraclès déjà naturalisélibyen que certains récits anciens attribuent la création de Copso(S2), Tingi(S3),Iol(S4),Cirta(.5S) et Hippo (regius)(S6) qui sont les noms de cités timozighine, maiségalement les noms d'épouses du demi-dieu grec. Quant au nom d' /cosium donnéà l'antique Alger, il serait venu d'Eikosi, qui en grec veut dire vingt, du nombredes compagnons du héros greç(S7). Enfin, c'est entre Lixus et Tingi que la légendeplace le Jardin des Hespérides, aux pommes d'or.

Mazard, C.N.N.M., p. 20

(49) Id.. ibid.

(50) Les Historiens de l'Antiquité n'ont parlé des chefs imazighen qu'à travers les relationsde ceux-ci avec Rome.

(51) «Les Anciens écrivaient aussi Diodoros», Cf G. Walter, Plutarque. Les vies des hOlllmesillustres, éd. J. Amyot, coll. La Pléiade. Il, p. 1207. na 9.

(52) SaliuSle Bell. Jug., LXXXIX, 4: Cf Aussi P. Corbier, Hercule africain. divinitéindigène?, dans Dialogue d'histoire anciellll.e, 1. 1974, p. 101.

(53) Plutarque, ibid.

(54) G. Humbert, Art. Hercules, dans Ch. Daremberg, Ed. Saglio et E. Pottier, Dictionnairedes antiquités grecques et romaines, Paris, 1877-1919, p. 99.

(55) Apollodore, II. 7, 8.(56) Id., ibid.

(57) Solin, XXV, 17; Cf. M. Leglay. A la recherche d' Icosiul1!, dans Ant. Afr., II, 1968, p. 7.

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LES ROIS lMAZIGHENET LE MONDE GREC

2 - Vermina :

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C'est donc dans un milieu hellénisé qu'a vécu Vennina, fils et successeur deSuphax II. A l'instar de son père, le jeune Roi continua à se parer du diadèmehellénistique(58). Mais Vermina, contrairement à Suphax, d'une part, et aux gens desa nation, d'autres part, ne portait pas de barbe(59J. Le visage doux et efféminé duRoi laisse supposer que c'est la nature, et non le souci d'une mode quelconque, quiaurait privé le Masaesyle de cette parure masculine(60).

Mazard, C.N.N.M., p. 21

B - Sur les Rois massyles :

1- Massinissa:

A la même époque vivait un autre Roi amazigh qui fut séduit, lui aussi, parla civilisation grecque et qui avait, selon les quelques indications qui nous sontparvenues, établi des relations avec le monde hellénistique. Il s'agit du RoiMassinissa. Celui-ci avait, entre 160 et 155 (A.C.), reçu, comme nous l'avons ditplus haut, Ptolémée VIII Evergète II, alors Roi de Cyrène. Le faste de la cour duRoi numide était resté apparemment fixé dans la mémoire du Basileus hellène.Celui-ci, dans le VIlle livre de ses «Commentaires» rapporté par Athénée, avaitnoté que l'Aguellid se faisait servir au cours de ses banquets, dans une vaisselle enor et en argent, et avait, pour le distraire et distraire ses hôtes, engagé desmusiciens grecs. «Le Roi Ptolémée, nous rapporte Athénée, dans sesCommentaires où il parle de Massinissa, le Roi de Libye, dit: «Les repas étaientprésentés selon le style romain et la vaisselle était toute en argent. Les tables dudeuxième repas étaient embellies suivant les coutumes italiennes; toutes lescorbeilles 6taient en or et faites sur le modèle de celles fabriquées en jonc tressée.Les musiciens qu'il engageait, quant à eux, étaient grecs»(6IJ.

(58) Mazard, CNNM, pp. 21 et 22, n. 13, 14. 15 et 16.

(59) d., ibid.(60) Id., ibid.(61) Athénée. Deipnosophistes. VI, 229.

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18 H. GHAZI-BEN MAISSA

Le fait que le Basileus Ptolémée ne se soit pas contenté seulement de nousdécrire la table du Roi amazigh et qu'il nous ait rapporté aussi des anecdotes et desdétails sur la vie privée du Numide(62J, laisse supposer que ce passage du Grecchez le Roi n'était pas des plus fUliifs et peut-être ne fut-il pas le seul.

Massinissa avait lié d'autres amitiés dans le monde grec. Nicomède, le Roide Bithynie avait dressé à Délos une statue en l'honneur de l'Aguellid. Et par uneinscription gravée sur sa base, le grec exprime sa reconnaissance pour ('affectionet la bienveillance paternelle de l'Amazigh à son égard. «Le Roi NicomèdeEpiphane, fils du Roi Prusias (a consacré la statue) du Roi Massinissa, fils du RoiGaïa, qui a eu pour lui une affection et une bienveillance paternelle»(63J, tel est letexte de cette inscription que l'on ne peut dater qu'à partir de 149 avant 1.-c., dateoù Nicomède était devenu Roi après avoir ravi la couronne à son père, Prusias. Iln'est pas impossible que le Prince grec ait vécu à la cour du Roi amazigh. Lestermes «affection et bienveillance paternelle» utilisés par l'auteur de l'inscription,pourraient laisser supposer que des relations d'affection et de paternité s'étaientétablies entre les deux personnalités, relations qui ne peuvent se réaliser que si lePrince grec avait vécu pendant une assez longue période auprès du Roi a/11azigh. Iln'est pas impossible non plus, comme l'a avancé G. Camps, que Nicomède, quel'on sait ami des Scipions et de Polybe ait «trouvé un appui auprès deMassinissa»(64J, qui aurait «d'une manière ou d'une autre aidé à renverserPrusias»(65J, un Prusias dont l'image reste ternie par les écrits de Polybe. Ce mêmePolybe nous présente Massinissa, ce Roi vassal et absolu, comme étant l'un desplus grands Rois de son époque. C'est, sans doute, ces grands égards avec lesquelsle Roi recevait ses hôtes étrangers en général et Polybe en particulier, car celui-ciavait eu des rencontres avec le Numide, qui ont fait que l'historien grec a perdutout sens d'objectivité, allant même jusqu'à affirmer péremptoirement queMassinissa était l'initiateur des Imazighen dans le domaine agricole(66J.

A Délos, encore, une inscription nous révèle qu'un certain Charmylos, filsde Nicarchos de Rhodes avait élevé une statue en l'honneur du Roi: «(Statue) duRoi Massinissa, fils du Roi Gaïa (consacrée par) Charmylos, fils de Nicarchos deRhodes, aux dieux»(67J.

Nous ne connaissons pas la nature des relations liant ce Rhodien àMassinissa. Ce monument qu'il a offert était-il la concrétisation d'unereconnaissance faite au nom de l'île par cette personnalité à l'évergétisme du Roi?

(62) Cf., ibid., XII, 518-519.

(63) Durrbach, Choix d'inscription de Délos. New York, 1976, n° 93.

(64) Camps. Massinissa, p. 199.(65) Id.. ibid.

(66) Polybe, XXXVI, 16.q: H. Ghazi-Ben Maïssa, Voluhilis et le prohlème de regia Jubae.Afi'ica Romana, X. 1992, pp. 245-247 et id.. Massinissa (203-146 av. J.-c.), un grand ou un piètreAguellid dans les Actes du colloque Charles-André Julien, Rabat. 1997, sous presse.

(67) Durrbach. ibid.. nO 69.

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LES ROIS IMAZIGHEN ET LE MONDE GREC 19

On sait que Massinissa avait offert aux Rhodiens de l'ivoire et du bois deThuya(6X). Ou bien était-il la manifestation d'un remerciement personnel, pour unprivilège accordé, d'un marchand qui pourrait être Charmylos, fils de Nicarchos.En effet, la découverte à Cirta d'amphores rhodiennes «fOlt bien conservées»(69),dont les estampilles, apparentes sur certaines de leurs anses, «permettent de lesdater du début du Ile siècle»(70) (A.c.), prouve l'existence d'échanges entre l'île etle royaume numide à l'époque de Massinissa. «Existence», cependant, et non pas«importance» comme l'a écrit A. Berthier repris, sans réserve par G. Camps. Car,il serait exagéré de parler de «l'importance du commerce grec»(71), de souligner sapénétration «jusqu'au cœur de la Numidie»(72) quand on sait que le nombred'amphores découvertes était de quatre et que ce «cœur de Numidie» en questionn'était autre que la capitale du royaume. Mais nous n'irons pas non plus jusqu'àsupposer avec J. Desanges que les amphores trouvées à Cirta étaient unecontrepartie de la quantité de blé envoyée par Massinissa à Rhodes(73). Pour lesraisons que nous avons exposées plus haut, nous ne pouvons pas, non plus, sui vreles réserves émises par L. Casson quant à l'importance du commerce céréaliernumide dans le monde grec(74).

Toujours à Délos, s'élève un autre monument qui semble avoir été orné detrois statues: celles de Massinissa et de Gulussa et si l'on suit la thèse de M.F.Baslez(75), celIe de Misagénès. L'auteur pense ainsi pouvoir dater l'édifice desannées soixante-dix du Ile siècle (A.C.), au moment de la guerre contre Perséependant laquelle Massinissa avait envoyé son fils Misagénès, aider les Romains, àla tête d'une cavalerie numide.

Pour notre part, nous pensons, que même si ce monument comportait lastatue de Misagénès, ce qui n'est pas encore prouvé(76), la raison de son érectionpourrait être toute autre. En effet, on voit mal des Grecs venir remercier le Numideet sa famille pour avoir aidé à faire couler le sang d'autres Hellènes. Persée était

(68) Suidas, S.V., TlUUiII, éd., Adler, Il, Leipzig, 1931, p. 738; cité par St. Gsell, HAAN. Ill,p. 307, n. 4.

(69) A. Berthier. Les relations commerciales entre l'Afrique et la Grèce 11 l'époquecarthaginoise ct la récente découverte 11 Constantine d'amphores de Rhodes. dans Recueil des Noticeset Mémoires de {Cl SociJté Archéologique de Constantine, LXV, 1942 (Berthier, Les relarionscOl1l1nerciClles), p. 24.

(70) Id., ibid.; Cf Aussi id., Découvertes à Constantine de deux sépultures contenant desamphores grecques, dans Rev. Afr., XXXVII, 1943, pp. 23-32; A. Berthier et R. Chari icI' LesClnctuaire pUHique d'El H{~rm. Paris, 1955, p. 232;Camps. Massinissa, p. 197.

(71) Camps, ibid.

(72) Berthier. Les relCltions commerciales. p. 24 et Camps. ibid.

(73) J. Desanges. l' hellénisme dans le royaume protégé de Maurétanie (25 avant 1.-c. -40après J.-c.). dans BCTH, n.s., fasc. 20-21. Paris. 1989 (= Desanges, L'helléHisme), p. 54, n. 13.

(74) M. F. Basiez. un monument de la famille royale de Numide à Délos. dans Revue des

Etudes grecques, XCIII, 19RI, pp. 160-165.(75) M. F. Basiez. ibid.

(76) Ce n'est ici qu'une supposition de l'auteur.

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une personnalité de grande valeur qui, au milieu d'une Grèce décadente etdéchirée, a réussi à faire de la Macédoine une nation forte avec laquelle on devaitcompter sur le plan international. De plus, par son intervention armée à Byzance,ce chef grec, se présentait comme le défenseur des Hellènes contre les Barbares.En raison de ceci et de cela, Persée ne peut qu'être admiré et aimé par sescompatriotes. La défaite de Persée, sa déportation et celle de ses fils à Albe duFucin, le mauvais traitement que la famille royale subit, tout cela ne peut qu'êtredurement ressenti par les Grecs. Et l'on voit mal l'un d'eux venir remercier lesatrape de Paul Emile, sans doute un «barbare» à leurs yeux, d'avoir aidé à leshumilier et contribué au renforcement de la mainmise de Rome sur leur nation. Etsi tel était le cas, pourquoi n'aurait-on pas trouvé au même endroit et pour la mêmeoccasion un monument dédié au principal tombeur de Persée, le Romain PaulEmile? Et enfin pourquoi le nom de Gulussa, et donc sa statue, figure-t-il sur cemonument, alors que ce dernier n'ajamais participé à ces opérations?

Pour notre part, nous pensons que les Déliens avaient d'autres raisons, bienpersonnelles, cette fois-ci, pour dédier un monument sur leur île à ce Roi et à safamille. Si ce monument date des années cent soixante-dix, comme l'avance M. F.Baslez(77), il pourrait être la consécration d'un sentiment de reconnaissance desDéliens à l'égard de Massinissa, l'évergète - et non l'agresseur - et de sa famille.Le Roi amazigh avait, en effet, envoyé, en 179 (A.c.), à Délos, 2.796 médimnes deblé, soit 14.500 hectolitres, au profit du temple d'Apolloo<78J. Et il est tout à faitprobable que les Déliens sensibles à ce geste, eux qui avaient, en 180, octroyé auRoi une couronne d'or(79), aient élevé ce monument en remerciement à Massinissa,auquel ils ont associé quelques membres de sa famille, pour sa générosité.

Toujours dans l'île sainte, une autre statue fut élevée au Roi numide par ungrec du nom d'Hermon, qui se flatte d'être un ami du Roi: «(Statue) du RoiMassinissa, fils du Roi Gaïa (consacrée par) Hermon, fils de Solon, son ami ­œuvre de Polianthès»(80).

Se fondant vraisemblablement sur l'existence de quelques relationscommerciales dont on ne connaît pas encore l'ampleur entre le Roi et le mondegrec et, convaincus, sans doute, qu'un amazigh, fût-ce lin Massinissa dont on saittout de même qu'il a prodigué à ses enfants un enseignement grec, ne peut lier desrelations avec des intellectuels, les historiens(81) n'ont vu en Hermon qu'un

marchand et donc en son amitié avec le Roi qu'une amitié fondée sur le lucre. Or,rien n'interdit de voir en ce fils de Solon, qui a offert une œuvre signée, un homme

(77) M. F. Basiez. ibid.. pp. 160 et 162.

(78) F. Dun'bach, Inscriptions de Dé/os, Paris, 1929, 442A, L. 10 L J03, 104 et 106. Cf Th.Homolle, Comptes des hiéropes du temple d'Apollon délien, dans BeTH, VI, 1882, pp. 9-11 et 14­15.

(79) Durbach, ibid., 442A, L. 42 et 63

(80) Durrbach, Choix d'inscriptions de Dé/os, nO 86.

(81) Gsell, HAAN, III, p. 307;Camps. Massinissa, p. 199, Desanges, L'he!lénisme, pp. 54-55.

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LES ROIS IMAZICHENET LE MONDE GREC 21

instruit, un des professeurs des Princes. Massinissa qui devait parler le grec, car onne peut tenir des conversations directes avec Polybe(82), on ne peut recevoir lesPrinces hellènes, assez longtemps pour leur prouver de l'affection et de labienveillance paternelle(8l), on ne peut lier autant d'amitiés dans le monde grec(84),on ne peut veiller à ce que l'éducation de ses enfants soit effectuée en grec, alorsqu'on est un Roi soumis aux latins, et enfin on ne peut engager une troupe demusiciens hellènes dans sa cour, si on ne comprend pas et si on n'apprécie pas lalangue grecque. Ce Massinissa devait en conséquence, inéluctablement, lier desamitiés avec des intellectuels hellènes qu'il devait recevoir avec de grands égardsdans sa capitale, après les avoir, sans doute, engagés au prix fort; parmi eux,devaient figurer des précepteurs dont Hermon pourrait avoir fait partie.

Massinissa savait aussi flatter l'orgueil des Grecs en général et desAthéniens en particulier. C'est son fils, Mastanabal, celui-là même à propos duquelTite-Live nous affirme qu'il était instruit aussi dans les lettres grecques(85), que leRoi envoya honorer les Panathénées de 16817 ou 164/3, manifestation grecque oùles chevaux imm:ighen n'avaient pas manqué à leur glorieuse réputation(86).

Mazard, C.N.N.M., p. 32

2 - Micipsa:

Mastanabal ne fut pas le seul Prince formé par des précepteurs grecs. SelonDiodore de Sicile, Micipsa, autre fils du Roi numide et Roi lui-même, vivaitentouré de Grecs instruits qu'il faisait venir dans sa cour grâce à sa grandegénérosité. Parmi les études auxquelles il s'adonnait, figurait la philosophie. LeRoi fut pm1iculièrement fasciné par cette discipline. «lI vieillit sur le trône et dansl'étude de la philosophie»(87) nous dit l'auteur de la Bibliothèque Historique.

(82) Polybe, IX, 25. nous parle du contenu de son entretien direct avec Massinissa: ,d'ai .deplus, obtenu il cc sujet des précisions de la bouche de Massinissa», nous rapPorle-t-il.

(83) Cf L'inscription de Nicomède, fils de Prusias ,cité supra.

(84) Cf Les inscriptions citées supra et le texte rapporté par Athénée, Deipl1osophistes, VI.229.

(85) Tite Live. abrégé L. 7 «Graecis liftcris l'rudi/us».

(86) IG. 1/ .2, 2316 L. 41-44.(87) Diodore de Sicile. XXXV, exce'p/a De Virtlllibus et Vitiis, p. 605.

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22 H. GHAZI-BEN MAISSA

Mais probablement plus convaincu que les anciens, qu'un «barbare»(88) nepouvait s'adonner aux études philosophiques, St. Gsell, sans avoir pu le prouver,trouve qu'il y a «là sans doute une exagération»(89) de la part de Diodore de Sicile.

Micipsa, qui se plaisait à s'entourer d'une «intelligentsia» triée à prix d'orparmi le monde hellène, avait selon Strabon établi une colonie de Grecs dans sacapitale Cirta(90). Le géographe ancien ne nous précise ni les fonctions de cesimmigrés, ni leurs origines, ni les catégories sociales auxquelles ils appartiennent.Cependant, le goût du Roi pour les «affaires et la richesse»(91), la présence à Cirta,sous son règne, d'une colonie de négociants italiens(92), peuvent nous encourager àvoir en cette communauté de grecs installés dans la capitale, non pas desintellectuels, qui, eux devaient vivre généreusement dans la cour du Roi­philosophe, mais un groupe d' hellènes aux occupations analogues à celles desimmigrés italiens.

3 - Jugurtha:

Si à l'époque de Massinissa et de Micipsa le balbutiement de quelquessources littéraires et épigraphiques nous permet de conclure à l'existence derelations entre le royaume numide et le monde grec, relations dont on ne peut niconnaître pmfaitement la nature, ni mesurer l'importance, à l'époque de Jugurtha,aucune indication n'est relevée quant aux éventuelles relations de ce Roi avec lemonde hellène. Il faut dire que la période du règne de Jugurtha (118-105 A.-c.)était des plus perturbées. Rome n'a laissé aucun répit au chef amazigh, et a écourtéla période de son règne et de sa vie même. Le Roi ne pouvait donc établir derelations avec le monde grec, même s'il était philhellène.

4 - Gauda:

Après la disparition de Jugurtha, le pays épuisé par la guerre, fut livré parRome à Gauda, Roi débile et servile à la fois. La période du règne de celui-ci n'a,apparemment, suscité aucun intérêt pour les sources grecques et romaines. On neconnaît donc pas le comportement de ce Roi avec le monde hellène. Cependant, ladécouverte à Syracuse et à Rhodes de deux inscriptions en langue grecque,honorant les deux fils et successeurs de ce Roi, Mastéabar et Hiempsal II, peurpermettre de supposer que le foyer philhellène de Cirta ne s'était pas éteint dutemps de Gauda. Car, sans une éducation hellénisée, ces deux Rois soumis commeils étaient à Rome, n'auraient pas bénéficié de ce rayonnement dans le monde grec.

(88) Le fameux lugurlfIa, l'une des grandes figures de l'histoire de l'Afrique antique. dont lesnombreuses qualités sont reconnues par son principal détracteur, à savoir Salluste, est traité de«barbare» par cet auteur.

(89) Gsell, HAAN. VI, p. 91.

(90) Strabon, XVII, 13,3.

(91) Zonaras, IX, 27.

(92) Salluste, Bell. iug., XXI, 2; XXVI, 3.

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LES ROIS IMAZIGHEN ET LE MONDE GREC 23

5 - Mastéabar et Hiempsalll :

Si l'inscription de dix lignes de Mastéabar est fortement mutilée puisqu'iln'en reste que ces quelques mots reconstituables [Basil]eos Mastéabar Basi[!e]os(en grec) de la première ligne(93), celle honorant son frère Hiempsal II, par contre,est en bon état de conservation(94).

Ce texte gravé sur une base de statue, découverte par M. Elias Kollias en1969(95) dans la vieille ville de Rhodes et publié par V. N. Kotorini en 1975, révèleque c'est l'ensemble des Rhodiens, et non pas une personne isolée, qui ont tenu àhonorer le Roi amazigh. Dans cette inscription de six lignes «soigneusementgravée en beaux caractères du p:r siècle (A.C.), ornés d'apices(96), selon V. N.Kontorini, les Rhodiens ont tenu à faire remonter la filiation du Roi jusqu'àMassinissa en passant par Mastanabal, l'un et l'autre, faut-il le rappeler, helléniséset philhellènes».

On ignore la raison pour laquelle les Rhodiens avaient dressé ce monumenten l'honneur du Roi amazigh. V. N. Kontorini pense que cet hommage pourraitêtre mis en relation avec une visite de l'île par ce «Roi érudit, probablementécrivain, connaisseur de la mythologie grecque»(97). HiempsaJ auteur, sans doute,des Libri Punici(98), a pu être en effet formé aussi, tout comme son grand pèreMastanabal, aux lettres grecques. J. Desanges va même, jusqu'à lui attribuer,paradoxalement, non pas la rédaction des Libri Punici, comme Je laisse supposerl'assertion de Salluste, mais plutôt leur traduction en langue grecque(99l. Si tel étaitle cas, Rhodes, qui restait encore au Icr siècle, malgré son affaiblissement sur leplan commercial, un foyer intellectuel important, pourrait avoir exercé sonattraction sur le Roi. La bibliothèque assez riche de l'île était là pour assouvir lasoif de savoir de l'Amazigh.

6 - Juba 1 :

Hiempsal a-t-il transmis son érudition ou du moins son philhellénisme à sonfils et successeur Juba 1 ? Nous n'en savons rien. Nous n'avons pas non plusd'indication quant à d'éventuelles relations du royaume numide de Juba l avec lemonde grec. Mais le silence des sources peut-il signifier pour autant qu'ils n'enexistaient pas? Le fait qu'il n'y ait pas eu de guerre, ni de coupure entre le règnedu père et celui du fils, peut en effet encourager à penser que toutes les traditionsde la capitale numide, y compris la tradition helléniste, devaient y être conservées.

(93) V.N. Kontorini. Le Roi Hiempsal II. de Numide et Rhodes. dans l'Amiquilé Classique,XLIV. 1975. p. 96.

(94) Id., ibid.(95) Cf Id., ibid.. p. 89 et n. 2.

(96) Id. , ibid., p. 90.(97) Id., Ibid. p. 99.(98) Salluste, Bell. il/g., XVII. 7.(99) Desanges, L 'hellénisme, pp. 53-54.

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C - Sur les Rois de Maurétanie:

1 - Bogud:

Dans la Maurétanie Tingitane avait régné, jusqu'en 38 (A.C.), le RoiBogud(lOO), fils de Bocchus 1. Ce Roi semble avoir, lui aussi, été séduit par lacivilisation hellénistique. Sa femme portait le nom grec répondant au mot douceur:Eunoé. Il avait pour amis César et Antoine, qui, tous deux, étaient subjugués parl'Orient. C'est peut-être de la cour gréco-égyptienne qu'est venue l'épouse du Roiamazigh(lOI). Les symboles égyptiens figurant sur les monnaies de celui-ci nepeuvent s'expliquer que par une forte influence sur la personne même du Roi etmarque, peut-être aussi, l'ascendant qu'avait la Reine sur le Roi(102). Eunoé étaitune femme, sans doute, de la même trempe que la grande séductrice de l'Histoire,C1éopâtre(103). Elle avait séduit César(104), et son mari, Bogud, semble lui être trèsattaché. Alors qu'il était en guerre contre les «Ethiopiens Occidentaux», le Roitrouvait le temps de penser à elle et de lui envoyer des présents(lOS). Il n'est pasimpossible donc que cette femme ait exercé son influence sur la politique menéepar le Roi amazigh. L'amitié de celui-ci avec César, son alliance avec Antoine,l'un et l'autre subjugués par l'Orient, comme nous l'avons dit plus haut, etamoureux éperdus de Cléopâtre, ne peuvent pas être considérés comme le fait d'unpur hasard. Et c'est, faut-il le rappeler, en pays grec, la Messénie, que la vie del'Amazigh prit fin.

Monnaies d'argent du Roi Bogud, Mazard, C.N.N.M., p. 61---------

(100) Cf H. Ghazi-Ben Maïssa, Les origines du royaume d' Asca/is, AjÎ'ica Romana, 1994, p.1415. n. 78.

(101) Il n' y a pas lieu de voir en elle une affranchie. D'abord nOLIs sommes en présence d'uneépouse d'un Roi. Ensuite, si cette dame était de basse extraction, Suétone qui nous révèle sesrelations amoureuses avec César, avec le style qu'on lui connaît, n'aurait pas hésité à dénoncer lesrelations du descendant de Vénus avec une ancienne esclave.

(102) Juba Il, une génération plus tard, en est un autre exemple.

(103) «Cléopâtre était spirituelle et de parler suave, savait plusieurs langues». A. Piganiol, Laconquête rolllaine, PUF, Paris, 1967, p. 550. Cette Reine avait séduit le fils aîné de Pompée, envoyépar son père en 49, ensuite César et enfin Antoine.

(104) Suétone, César, LII, I.(105) Strabon, XVII, 3, 5.

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2 - Juba 1/ :

LES ROIS IMAZIGHEN ET LE MONDE GREC 25

C'est apparemment dans un foyer hellénisé< 1(6) qu'est né le massyle, Juba II,d'où il fut arraché, avant d'être nommé par Auguste Roi de Maurétanie. Et c'estavec raison que J. Desanges écrit: «Seul un apprentissage très précoce du grec à lacour de Cirta peut expliquer que Juba II, arrivé à Rome vers l'âge de cinq ans, aitécrit par la suite tous ses ouvrages en grec, et non en latin, langue dans laquelle ilvoyait d'ail1eurs du grec corrompu [... ]»(107). Cependant, une autre raison, à notresens, peut avoir été, eUe aussi, à l'origine du rejet de la langue de Cicéron par leRoi Juba. Cette langue n'est-elle pas la langue de ceux qui ont mené la guerrecontre son père et provoqué sa mort? De ceux qui l'ont extirpé de son foyerfamilial, royal et amazigh et l'ont traîné, enfant, devant le char de César(108J, avantde le transplanter dans un foyer étranger et latin? Quel peut être l'impactpsychologique de cet énorme malheur qui s'est abattu sur la petite tête du Prince?Ne pas écrire en langue latine, langue que l'amazigh a dû maîtriser autant que legrec dont el1e n'était à ses yeux que la forme corrompue, n'est-il pas une manière,si el1e n'est pas délibérée, du moins inconsciente, de rejeter avec mépris la languedes «bourreaux» de son père et des auteurs du drame subi par un enfant de cinqans? Cette même attitude de rejet peut être dénotée aussi chez sa femme, CléopâtreSéléné, qui, au lieu d'adopter le latin sur les monnaies, pourtant langue de sonpère, adopte le grec et qui, au lieu de donner à son fils un nom latin, celui de MarcAntoine par exemple, lui choisit celui de Ptolémée. Juba même avait tenté quelquepeu, au début de son règne, de faire figurer sur ses monnaies la légende en grec.Ainsi, sur une émission de monnaies de bronze, le Roi fit graver en cette langue lalégende lOBA Basileus(109J. Le Roi qui, peut-être, a été rappelé à l'ordre, ou qui ade lui-même estimé qu'il était allé trop loin, adopte définitivement sur sesmonnaies la langue latine. Mais si Juba II a pu abandonner le grec dans sa vieofficiel1e, il n'a pu en faire autant dans sa vie privée et intellectuelle.

Mazard, C.N.N.M., pp. 115 et 117

(106) Cf supra.(107) Dcsanges, L'hellénisme.

(108) Plutarque, César. 55; Appien. Les guerres cil'iles, II. 1() 1.(109) Mazard, CNNM. p. 1() 1. n° 270 et p. 115, na 345.

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26 H. GHAZI-BEN MAISSA

Le Roi avait rédigé son immense œuvre, nous dit-on en langue grecque.Plutarque nous rapporte qu'on le compte parmi les historiens les plus savants desGrecs(l JO). St. Gsell, dans son chapitre consacré à «Juba II, savant et écrivain»,nous affirme que le Roi «a beaucoup écrit, toujours en grec»( III). M. Croiset, dansl'ouvrage sur l'Histoire de la littérature grecque, le range parmi les écrivainsgrecs(ll2).

Les recherches de Juba sur l'histoire du théâtre, sur les Assyriens, surl'Arabie, ont, sans doute, amené le Roi à effectuer des voyages dans le monde grec eten Orient. C'est peut-être lors de l'un de ses passages par Athènes que le Roi éruditfut honoré d'une statue équestre dans un gymnase de la cité. «[ ... ] Dans legymnase, noti loin de l'agora, portant le nom de son fondateur, Ptolémée, écritPausanias, se trouvent la plaque commémorative en pierre d'Hellllae, qui mérited'être vue, et une autre semblable en bronze de Ptolémée. Là aussi se trouvent (lastatue) du Libyen Juba et celle de Chrisippus de Soli»(113). S'il est vrai que lessources qui nous sont parvenues ne nous parlent pas de déplacements du Roinumide en Orient grec, cela ne veut pas dire qu'il ne s'y soit jamais rendu(l14).Autrement, comment expliquer son deuxième mariage, celui contracté à l'âge decinquante six ans avec la princesse cappadocienne Glaphyra, fille d'Archelaus,Roi, lui aussi, et comme par hasard, érudit et chorographe, s'il n'était pas allé à lacour de ce dernier? Selon J. Carcopino, c'est lors de son voyage en Orient «entre 1et 4 de notre ère pour y servir de conseiller au jeune Caius César, petit-filsd' Auguste»(I15) que le Roi a pu visiter la cour d'Archelaüs et y rencontrer la belleGlaphyra.

Malgré sa double culture (romaine et grecque), malgré les années vécues àRome (vingt ans), Juba a fait un choix Ilet, celui d'embrasser la civilisationhellénistique. Et c'est donc exprimer une banalité que de dire que Juba II était unphilhellène.

Marié depuis l'âge de vingt-cinq ans à une grecque, descendante de la lignéede Ptolémaios, ces Rois qui régnèrent pharaoniquement sur l'Egypte pendantquelque trois siècles (de 323 à 30 A.C.), Juba, le fils de Juba, le petit-fils du Roi,Hiempsal, l'arrière-petit-fils du Roi Gauda, l'arrière-arrière-petit-fils du RoiMastanabal, arrière, arrière, arrière petit-fils du Roi Massinissa, arrière, arrière,arrière, arrière petit-fils du Roi, Gaïa, l'arrière arrière, arrière, arrière petit-fils duSuffète, Zilalsan(l16J, a voulu que son origine, bien tamazighte, remonte au demi-

(1 10) Plutarque, ibid..

(III) Gsell. HAAN, VIII. p. 305; Cf aussi p. 261.

(112) A. Croiset et M. Croisct, Histoire de la littérature grecque, Paris. 1901. pp. 402-405.

(113) Pausanias, I. 17. 12,

(114) C'est ce que semble supposer J. Desanges. L'hellénisme. p. 57.

(115) Carcopino. La Reinc Vrania dc Maurétanie. dans Mélanges F. Graf, Paris. 1946, p. 30.cf ù~ti·Cl.

(116) Cf J. B. Chabot. Recueil des inscriptions libyques. Paris. 1940-1941, na 2.

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LES ROIS IMAZIGHEN ET LE MONDE GREC 27

dieu grec, Héraclès. Sur ses monnaies, le Numide apparaît chargé des attributs duhéros hellène. Sur 171 pièces représentant Juba seul, répertoriées par J. Mazard,quarante sept(1l7), soit 27,48%, sont consacrées à la propagation de cette légende.Sur ces quarante-sept monnaies à thème herculien, trente-quatre( 118), soit 72,34%,font figurer le Roi, que l'on sait très peu énergique, coiffé de la dépouille du lionde Némée. Sur les pièces restantes, on rencontre à l'avers l'effigie du Roi et lamassue, au revers le carquois et l'arc.

Mazard, C.N.N.M., pp. 84,86,87

Avec Cléopâtre Séléné, Juba II eut un fils. Le Roi numide ne lui choisit ni lenom de Hiempsal, ni celui de Gauda, ni celui de Mastanabal, ni même celui deMassinissa, noms que portaient ses ancêtres. Mais, il lui donna celui de Ptolémée,nom faut-il le rappeler, porté par quinze souverains grecs d'Egypte, descendants deLagos.

Quand Juba II, a voulu se remarier, c'est vers une orientale qu'est allé sonchoix. Glaphyra, fille du Roi de Cappadoce, Archélaüs, veuve d'Alexandre, filsd'Hérodote, qui épousa le Numide(119) vers 6 (PC.). Mais elle ne demeura paslongtemps avec le Roi érudit. Jugé, peut-être par elle, trop absorbé par sa Science,elJe retourna dans son pays et se remaria aussitôt avec un autre fils d'Hérodote,Archelaus, ancien éthnarque de Judée de 4 (A.c.) à 6 (p.c.). Au moment de sondivorce avec Glaphyra, Juba avait 57 ans. Le Roi qui a vécu jusqu'à l'âge de 73ans, s'est-il résigné, après ses deux expériences conjugales malheureuses avecdeux femmes de sang royal, à retomber, pendant près de dix-sept ans, dans uncélibat auquel il n'était plus habitué depuis l'âge de vingt-cinq ans? Uneinscription découverte à Cherchel fait mention d'une Regina Urania, maîtresse

(117) Mazard. CNNM, n° 145, 149-152, 172, 176-188, 193-195, 199-202.211, 212. 226-238,253-257. 260- 262, 292-295.

(118) Id., ibid.. n° 145. 149-152, 176-188,211.212.226.231-236, 253-256, 260-262.(119) Josèphe. Antiquités judaïques. XVII. 13. 14; Id.• La guerre des .IuUs. Il, 7. 4. 115.

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d'une Julia Bodiné I20 ), vraisemblablement elle-même affranchie(l21). Qui pouvaitêtre cette Regina Urania? Une femme de Juba II? Ou comme le veut J. Carco­pinol l22), une épouse de son fils Ptolémée? Lequel des deux Rois était dans lasituation de se contenter d'une grecque ou grécisée de basse extraction? Un Roi àl'automne de sa vie, brisé par un veuvage et un divorce? Ou un Roi jeune, beau,descendant des Pharaons, d'Antoine le triumvir et de Massinissa et qui a toutl'avenir devant lui? C'est à lui, sans doute, et non à Ptolémée, qu'on doit attribuerce mariage morganatique(l23).

Dans sa cour, où l'on suppose qu'on parlait surtout la langue d'Homère(124),Juba II était entouré de nombreux Grecs et Grécisés. Sur soixante-quinzepersonnages, révélés par les sources littéraires et épigraphiques et supposésappartenir à l'entourage du Roi, quarante-trois, soit 57,33% portent des nomsgrecs. Il est évident que beaucoup de ces porteurs de cognol7lina grecs sontd'origine ou de condition servile et que leurs noms grecs ne signifient pas qu'ilsétaient tous d'origine hellène. Cependant, il n'en demeure pas moins que cetartifice en lui-même, est une manifestation claire de l'hellénisme, «snobismeculturel» oblige, de tous ceux qui l'ont adopté en général et de Juba en particulier.Mais parmi ces personnages nous avons un acteur venu d'Argos dont l'originegrecque est incontestable. Et d'après Pline l'Ancien, Euphorbe, le médecin du Roi,qui découvrit une plante qui porte son nom, une véritable panacée à laquelle JubaIl consacra un traité(!25), est un grec, frère d'Antonius Musa, le médecind'Auguste. Selon Ph. Leveau, des échanges d'esclaves auraient existé entre la courroyale et la cour impériale( 126). J. Desanges, lui, pense que des relations étroites,fondées « dans une large mesure sur le négoce et le lucre «, auraient existé entreles riches et puissants affranchis des deux capitaleslI27 ).

(120) «Julia Bodine 1 Reg(irlCle) Uralliae 1 h(ic) s(ila) 1'(.1'1)>>. Cf: Carcopino. La ReilleUrania, p. 31.

( 121) cr Carcopino, Ibid.. p. 34.(122) Id., ibid.. pp. 36-38. sans cloute influencé par Jes calomnies clont le Roi fut l'objet

clepuis J'interprétation de ses portraits par St. Gsell. HAAN. VIII, pp. 21-37.(123) Cf: H. Ghazi-Ben Maïssa. Encore et toujours sur la mort de Ptolémée. le Roi (1I1/(ôgh

cie Maurétanie. dans HesJiéri.l. vol. XXXIII. 1995. pp. 21-37.(124) Gsell. HAAN. VII!. p. 243 ; Desanges. L 'helléllisme. p. 58.(125) Pline. HN. V. 16.(126) Ph. Leveau. La fin clu royaume maure ct les origines cle la province romaine cle

Maurétanie Césarienne. dans BeTH. n.s. Fax 178. 1984. pp. 315-316.(127) Dcsanges. L'hellénisllle. p. 59-60.

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Mazard, C.N.N.M., p. 117

3 - Ptolémée

C'est donc dans ce milieu grécisé, riche et raffiné, qu'est né et a évolué ledemi-grec, Ptolémée, fils de Juba II. Par son aspect physique, tel qu'il apparaît surles monnaies(128) et les portraits(129), ce Roi, qui se pare du diadème, quirevient(l30) au port de la barbe, mais d'une barbe aronde(131), nous rappelle lessouverains lagides. C'est en sachant que le Roi en serait tlatté que les Athéniens lequalifient de descendant de Ptolémée. «Le peuple (athénien honore), le RoiPtolémée, fils du Roi Juba, descendant du Roi Ptolémée, pour sa valeur et sabienveillance envers lui»( 132). Tel est le 1ibellé de l' inscri ption gravée «sur unebase de marbre découverte près du portique d'Attale»(133). Une relique de la statuede Ptolémée à Athènes, élevée dans le «Gymnase de son ancêtre PtoléméePhiladelphe, sans doute, auprès de celle de Juba»( 134), et par laquelle les Athéniensexprimaient leur remerciement au Roi. «Evidemment en retour de sa générositéenvers la ville, comme il était naturel pour le Roi fastueux, fils du très érudit Juba,expert en littérature grecque et auteur fécond, écrivent J. et L. Robert»(135).

(128) M'Izard, CNNM, pp. 128, 131 et 132 et sq.

(129) De Kersauson, Musée du Louvre, catalogue des portraits romains, T.I, Portraits de laRépublique et d'époque Julio-c/audienlle. Paris, 1986, pp. 128-129.

(130) Son père Juba Il ne portait pas de barbe. Cf Mazard. ibid. p. 76 et suiv. et les portraitsdu Roi dans De Kersauson, ibid., pp. 122-125.

(131) Les Numides portent une barbe en pointe. Cf les portraits de Massinissa, de Micipsa.de Juba 1. figurant sur les monnaies dans Mazard. ibid., p. 30 et suiv. et le portrait de Juba 1 dans De

Kersauson. ibid., pp. 120-121.(132) lG., 555 ; lG. Il, 2, 3445 ; OGl, 197.

(133) Desanges, L 'hellènisme. p. 57.

(134) Gsell. HAAN, VIII. p. 283.(135) 1. et L. Robert. Bulletin épigraphique, 1963, éd. Les Belles Lettres, Paris, 1972, p. 173.

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Monnaies d'or et d'argent du Roi Ptolémée, Mazard, C.N.N.M., p. 128

Ptolémée fut honoré aussi par l'assemblée fédérative de Lycie.

«La confédération de Lycie (honore) le Roi Ptolémée, fils du Roi Juba»(i36),est l'inscription gravée sur la base de la statue découverte à Xanthos, capitale de laconfédération, élevée en l'honneur du Roi de Maurétanie. On ignore toutefois laraison du geste des Lyciens.

Selon J. et L. Robert, il serait en relation avec un voyage effectué parPtolémée en Orient, un voyage qui aurait amené le Roi jusqu'à Soura(137). En effet,sur une inscription relevée par G.E. Bean, sur un mur intérieur du temple de Saura,en Lycie, apparaît un Roi Ptolémée et son entourage composé de personnages auxnoms grecs.

Le Roi était venu consulter l'oracle de Soura, selon G.E. Bean, «to judge bythe style of the script and the JïJelling APOLLONIS (en grec) the King Ptolemy inquestion must he one of the very latest»(138).

J. et L. Robert pensent qu'il faut aller plus bas encore(l39): ce «Roi Ptolémée[... ] n'est pas un lagide d'Egypte, mais le dernier Roi de la Maurétanie, successeurde Juba II [... ]»(140). Une hypothèse que confortent d'ailleurs les deux inscriptionshonorant le Roi dont l'une est découvette à Athènes(i411, et l'autre en Lycie(142 l .

(136) OGI, 198 ; IGR, llI, 612.(137) J. et L. Robert, Bulletin épigraphique, 1963, p. Cl aussi P. Graindor, Athènes de Tibère

à Trajan. dans Recueil des travaux publiés par la faculté des Lettres. Univ. Egypt, le Caire, 1931, p.48 et n. 2 ; qui pense que c'est entre 23 et 40 (P.C). que Ptolémée, fils de Juba II «dut passer parAthènes et que le peuple athénien lui décerna la statue dont nous n'avons conservé que la base».

(138) Cf G. E. Bean, Report on a journey in Lycia, 1962. cité par J. et L. Robert, ibid.. pp.172-173.

(139) J. et L. Robert.ibid.( 140) Id., ibid.(141)OGI, 197 ;IG.,555 ;IG,11,2,Cfsupra.

(142)OGI,198 ; IGR, III. 612.

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LES ROIS IMAZIGHEN ET LE MONDE GREC 31

A en juger donc par cet entourage du Roi, par ce voyage du souverain auberceau de ses ancêtres, par l'accueil qui lui y était réservé, on peut dire quePtolémée est plus que jamais attaché à l'hellénisme et que dans la capitale maure,l'hellénisme est plus que jamais vivant. Et c'est à juste titre que St. Gsell,commentant le nombre et la qualité linguistique des inscriptions grecquesremontant à l'époque romaine, écrit que «si le grec a été en faveur à Césarée autemps des Empereurs, c'est apparemment parce qu'il l'était déjà au temps desRois»(143).

Auprès de Juba II, en effet, vivaient médecins et acteurs d'origine grecque. «

II faut certainement y joindre, comme l'a écrit St. Gsell, des secrétaires, quil'aidaient dans la préparation de ses écrits, des architectes, des sculpteurs, d'autresartistes encore, appelés pour travailler aux édifices dont il ornait sa capitale»(144).Les monuments figurant sur les monnaies de ce Roi et de son fils : des templesavec quatre ou six colonnes sur la façade, un fronton muni d'acrotères et unechapelle décorée de pilastres, les découvertes archéologiques faites sur le site de lacapitale, viennent confirmer l'assertion de Strabon qui nous rapporte que la villede lol fut rebâtie par Juba qui changera son nom en celui de Caesarea( 145). Ph.Leveau nous parle d'une véritable refondation de la ville sur le modèlehellénistique( 146).

Mais si nous savons que c'est Juba II qui est en grande partie à l'origine del'embellissement, sur le modèle grec, de sa capitale, nous ignorons tout desvéritables auteurs de cet urbanisme hellénistique que l'on rencontre dans des villesde la Maurusie telles que Tamuda(147), LixuS(l48), Tingi(149) et Volubilis(150) et qui

selon les archéologues, remonte au Ile et le siècle (A.C.). Cette traditionarchitecturale hellénistique, incontestable, qu'on rencontre dans les cités mauru-

(143) GselL HAAN. VIII, 244. Çf. aussi Desanges, L'hellénisme, p. 59 et n. 64.(144) GselL ibid.(145) Strabon, XVII, 3, 12.(146) Ph. Leveau, Caesarea de Maurétanie, une ville romaine et ses compagnes, Rome, 1984

pp. 154-166.(147) P. Quintero Atauri et C. Cimenez Bernai, Excavaciones en Tamuda, N° 9 (Memoria

reSl/men de las practicadas en 1945) Tetuan, 1946 ; P. Quintero Atauri, Apl/lites sobre arqueologiamauritana de la zona espmïola, Tétuan, 1941; M. Tarradell, Marruecos punico, Tetuan, 1960, pp. 97­119.

(148) M. TarradelL ibid., pp. 160-161 ; M. Ponsich, Lixus : Le quartier des temples . Etudcpréliminaire, ETAM, LX, Rabat, 1981; Id., Lixus, informations archéologiques, dans ANRW, 1982,pp. 787-816.

(149) M. Ponsich, Recherches archéologiques cl Tanger et dans sa région, Paris 1970 ; Id.,Tanger antique. dans ANRW. 1982, pp. 787-816.

(150) A. Jodin, La tradition hellénistique dans l'urbanisme de Volubilis, dans BAM, VI, pp.513-515 ; Id.. L'enceinte hellénistique de Volubilis (Maroc), dans BCTH, 1965/66, pp. 199-221 ;Id., Volubilis, regia .fubae, contribution cl l'étude des civilisations du Maroc antique préclaudien,Bordeaux, 1987, pp. 39-43; 85-93; J. Boube, Un chapiteau ionique de l'époque de Juba Il à VolubilisdansBAM, VI!. 1966, pp. 109-114.

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32 H. GHAZI-BEN MAISSA

siennes, reste cependant comme l'a écrit M. Euzennat «étroitement limitée, à sesdébuts, au domaine de l'architecture publique et de l'urbanisme(151), cela aumoment où l'architecture privée reste fidèle à ses habitudes locales(l52). Ce qui faitdire à M. Euzennat que cette influence hellénistique «est donc étrangère auxhabitants et révèle une volonté qui leur est extérieure mais commune»( 153). Elle estselon l'expression heureuse de l'auteur «le fait du Prince»(154).

Le Roi Ptolémée

(151) Euzennat. Héritage punique et inl1uences greco-romaines au Maroc à la veille de laconquête romaine dans le rayonnement des civilisations grecque el romaine sur les culturespériphériques (VI//ème congrés intern. d'arch. classique, Paris 1963) Paris 1965. p. 273.

(]52) Id., ibid.

(153) Id., ibid.

(154) Id., ibid.

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CONCLUSION

LES ROIS IMAZIGHENET LE MONDE GREC 33

Mais si l'on ne peut pas, en raison de l'indigence des sources, déterminer lesraisons qui ont poussé les Princes ùnazighen vers ce «mirage grec», peut-on tenterde savoir, au moins, par quel canal cette civilisation leur est arrivée ? On pensesouvent que c'est Carthage qui servit de relais entre ces Imazighen et le mondehellène. «La Carthage du ne siècle avant notre ère, écrit 1. Desanges, pouvaitpasser, à bien des égards, pour une ville du monde hellénistique»(155).

C'est elle, donc, qui aurait véhiculé la civilisation d'Homère vers lesImazighen. La cité punique aurait été une sorte de moulinette pour aider ces chefs,qui n'ont pas fait tout à fait leurs dents, à assimiler une civilisation supérieure à laleur et qu'ils étaient incapables de puiser directement à ses origines(l56). Tel est lerésumé de la thèse quelque peu condescendante, et sans preuve solide de ceux quivoient en Carthage ce relais entre le monde grec et les Imazighen. D'ailleurs, cen'est pas la découverte de quelques inscriptions des Cérérès puniques( 157) dans unpérimètre géographique limité aux zones se trouvant jadis sous J'autorité desPuniques ou l'avoisinant, qui pourrait constituer une preuve déterminante quel'hellénisme ne pouvait filtrer chez les Imazighen que par Cmthage. Les Imazighenavaient vénéré ailleurs et plus à l'Ouest des Cérérès et des Cérérès nonpuniques(158). Ils avaient aussi rendu un culte à Hercule. Le demi-dieu grec amême servi à l'élaboration de la légende dans une zone située à l'opposé deCarthage. De plus, si l'on regarde bien ces chefs - car l' hellénisme en Afriquetamazighte était un hellénisme de cour, voire de Princes - qui ont été séduits par lacivilisation grecque, on constate que :

1 - Ceux qui vivaient au temps de Carthage, c'est-à-dire Suphax etMassinissa, étaient des ennemis implacables de la cité punique. Suphax n'étaitdevenu un allié des Carthaginois que pendant les deux dernières années de sonrègne ; années pendant lesquelles, d'ailleurs, le Roi était entré complètement dansle conflit, ce qui rend à notre avis quelque peu difficile, vu les circonstances, toutapprentissage par le Roi de la civilisation grecque, même si celui-ci le désirait ence moment précis. Quant à Massinissa, ennemi féroce des Puniques, «l'un desaspects les plus importants» de son œuvre, comme l'a écrit avec raison G. Camps,fut d'avoir ouvert l'Afrique tamazighte aux Grecs, d'avoir, pour la première foisdans l'histoire de ce pays, entretenu directement des relations avec l'Orient oul'Occident sans l'intermédiaire de Carthage»(159).

2 - Les autres chefs, qui constituent la majeure partie de ces Rois, et qui sontMicipsa, Mastanabal, Mastéabar, Hiempsal II, Bogud et Ptolémée( 16()), ont vécu

(155) Oesanges. L'hellénisme. p. 56.(156) Cf G. Ch. Picard, Les religions de l'Afi'ique antique, Paris, 1954, pp. 87-88.

(157) Cf P. G. Walsh, Massinissa, dans JRS, LV, 1965, pp. 149-160.

( 158) Cf IAM2, nO 342.

(159) Camps, Massinissa, p. 203.(160) Nous n'avons pas de traces d'hellénisme des chefs imazighen qui ont suivi la période

Ol! a vécu ce Roi.

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34 H. GHAZI-BEN MAISSA

leur hellénisme dans leurs pays(!6/), quand Carthage était devenue provinceromaine. Même le relais qu'on a voulu voir dans les villes puniques d'Espagneparaît être une hypothèse non fondée. Parlant de cette influence hellénistique«incontestable»(162) dans le domaine de l'architecture et de l'urbanisme enMaurusie, M. Euzennat écrit : «Je ne pense pas qu'au Ile siècle (A.c.), elle aittransité par J'Espagne où les points de comparaison font défaut»(16J).

3 - Tous ces chefs imazighen hellénisés étaient des chefs riches et puissants.Les relations avec le monde grec ne devaient pas être chose impossible pour eux.Grâce à la qualité et à l'originalité des produits de leurs pays (thuya, ivoire,pourpre, œufs d'autruches ... ), grâce à leur générosité surtout, les Princesil7wzighen pouvaient se permettre de puiser J'hellénisme à la source même. Lesdifférents témoignages archéologiques, épigraphiques et littéraires, que nousvenons de voir, ayant trait aux relations directes, matrimoniales, amicales etcommerciales entre des Grecs d'Orient et ces Princes, prouvent que ces derniers nese contentaient pas d'un hellénisme de seconde main.

Halima GHAZI-BEN MAISSAFaculté des Lettres - Rabat

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(161) Nous n'avons pas tenu compte de Juba II qui, comme chacun sait. a vécu à Rome et y aparfait son hellénisme.

(162) Euzennat. Héri/age punique, p. 213.

(163) Id., ibid.

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 35-60.

LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEMEESCLAVAGISTE CHEZ LES AGRONOMES LATINS

Saïd EL BOUZIDI

Ce n'est pas un hasard si les textes des agronomes latins insistent dans leursrecommandations sur les pratiques sociales malgré leur caractère économique(l l.Car il est question d'établir un certain nombre de normes, relatives au contrôle età la gestion du système du travail. C'est en grande partie de la nature de cesystème et des rapports entre les responsables/dirigeants et les exécutants que vadépendre le fonctionnement de l'entreprise, et par là l'évolution de l'économierurale.

Ainsi, l'un des objectifs principaux, dans cette étude du système esclava­giste, est l'examen des moyens qui servaient à son maintien et permettaient d'entirer le maximum de profit, mais aussi de voir dans quelles mesures ils révèlent unsystème "normé", structuré et destiné à un usage bien déterminé, rationnel. Pourcela, nous allons tenter d'analyser les formes d'approvisionnement de la main­d' œuvre servile, les conditions de vie des esclaves, notamment le logement, lesrations alimentaires et les vêtements qui servaient à codifier la "bonne" gestion del'entreprise, et enfin la nature du travail et les conditions de sa réalisation d'aprèsles données des textes agronomiques.

I. FORMES D'APPROPRIATION ET EXIGENCE DE QUALITÉ:

Il existe des liens étroits entre esclave-capital, système de production etrentabilité dans l'économie rurale. Car à partir d'un stade d'évolution, l'esclave estun capital-marchand qui se développe au même titre que d'autres formes decirculation tels que les produits et l'argent(2l. C'est son acquisition par achat quiconstitue la première forme de ce capital. A partir de là, il est question"d'accroître" ce capital, par le sur-travail qui est censé entraîner la surproduction.

(1) Sur les principaux ouvrages agronomiques latins, voir P. Nisard, Les Agronomes Latins(CatO/I, Varron, Columelle et Palladiuds), Firmin Didot. Paris. 1877 ; J. Kolendo. Le traitéd'agronomie des Sasema, Varsovie, 1973 ; R. Goujard, Caton: De l'agriculture. Les Belles Lettres,Paris. 1975 ; Ch. Guiraud. Varron: Economie l'lIra!e, livre JI, Les Belles Lettres, Paris, 1985 ; J.Heurgon. Varron.' Economie rurale, livre r. les Belles Lettres, 1978.

(2) Dans son étude sur les esclaves en Italie, A. Carandini fait appel aux textes desagronomes latins sur l'organisation d'un territoire, sur la villa, notamment la villa Settefinestre. IIessaie de mettre en accord la circulation des produits italiens: vin et huile, des rapports villes-

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A ce sujet, Caton ne donne pas d'explication, mais néanmoins il est clair quel'acquisition des esclaves rentre dans le cadre de l'investissement, tout commel'achat de terres et d'animaux. Cet agronome, nous dit R. Martin, "n'a jamais étéle paysan type, aimant la terre et la vie des champs, mais il a toujours été, enrevanche, l'homme d'affaires-types, à l'esprit froid et calculateur qui mettaitl'accent tantôt sur la terre, tantôt sur le capital et jouait sans doute plus ou moinssur les deux registres"(3). Il est question d'un propriétaire foncier attaché àl'organisation et à la gestion la plus rationnelle possible du système et de toutinvestissement.

Caton avait conscience que l'acquisition d'un esclave pose divers problèmes:les modalités de l'acquisition et du recrutement, le marché et le prix, les qualités etles aptitudes de l'esclave. Mais apparemment, pour cet agronome, cette questionpasse en deuxième position, et c'est plutôt l'exploitation qui fait problème. Pourlui, le maître investit un capital, acquiert une force de travail qu'il doit savoirutiliser. A ce sujet, le texte catonien ne donne aucune précision; ni sur l'origine, nisur la nature et les modes d'acquisition, ni sur le prix des esclaves. Les esclavessont sur la propriété, prêts à accomplir les tâches pour lesquelles ils ont été acquis,ou déjà en action.

C'est par la conquête que Rome a, en un siècle, étendu son pouvoir sur unegrande partie du monde méditerranéen(4). Selon la conception antique, le droit dela guerre donne au vainqueur le droit de propriété sur tout ce qui existait sur leterritoire ennemi. La guerre est donc pour les Romains une grande sourced'esclavage, que ce soit avec les peuples italiens ou d'autres (Strabon, V. 2, 8). Lapremière guerre punique constitue le début de l'extension de la politique impéria­liste des classes dirigeantes romaines, appliquée en Italie, et ensuite vers d'autrespays de la Méditerranée. On commence à assister à une normalisation del'esclavage des prisonniers de guerre par les citoyens romains(5). D'emblée, il

campagne et l'esclave comme instrument de production. A Carandini, Schi(/\Ii in lta/ia, G/i Sll1llllenlipens(//zli dei Romani fra larda Repubb/ica a media IlIlpero. La nova Italia Scientifica. Rome, 1988.Voir aussi J. Annequin, "Capital-marchand et esclavage dans le procès de transformation des sociétésantiques". Acles du col/oque de CorTOne, 1981, SCl/ola Normale Superiore, Pise. Ecole.li,m~·aise deRome. 1983, pp. 645-648.

(3) R. Martin, Recherches sur le.\· Agronomes latins et leurs conceptiolls écollomiques. Paris,1971, p. 92.

(4) "La guerre n'était pas seulement menée pour s'emparer de bétail. d'outils ou de trésors.mais avant tout pour annexer terres étrangères et peuples étrangers. car terre et gens restaient Je pointde départ de l'accumulation des richesses", G. Schot, "De la rentabilité de l'agriculture à Rome versla fin de la République", VDI, 68, 1959. pp. 56-82 (en russe avec résumé en français). et voir aussiM.!. Finly. P. Duharcourt, "Gestion, rentabilité, efficacité et crise du capitalisme". La Pensée. 244,1985. pp. 33-43.

(5) "Vainqueurs de tous les adversaires. Régulus avait massacré ou gardait dans les chaînesune grande quantité de gens et leurs chefs en personne, et avait envoyé en avant. vers la ville. uneflotte déjà chargée d'un butin immense ct lourde du triomphe à vcnir" (Florus, 1. 18). ScIon Polybe.en deux expéditions africaines Rome s'était acquis 30.000 hommes (20.000 esclaves sur Ic territoirerural de Carthage (Polybe,!.!. 29) et lO.OOO hommes pris pendant la guerre des mercenaires (241­238) (Polybe, 1. L 61 ).

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apparaît que l'expansionnisme romain, en dehors de l'Italie, concourt aurenforcement de la propriété esclavagiste et à la formation d'un centre servile nonitalien(6).

Après la deuxième guerre punique, le recrutement des esclaves s'accroît avecla poursuite des guerres et des reconquêtes(7). Caton lui-même était à la tête d'uneexpédition en Espagne et il n'a pas cessé de réclamer la destruction totale deCarthage après la deuxième guerre punique(S). Il connaissait le travail de la terre etl'énergie qu' i1 nécessite, et sait que l'approvisionnement des marchés italiens enesclaves, en temps de crise agraire, peut être une contribution à son "amortisse­ment"(9). Ces esclaves apportent, en plus, de nou velles connaissances dans lapratique de l'agriculture. Après la bataille de Cannes, la guerre change de caractère(Tite-Live, XXXII, 61, 10). Certes, Rome ne réduit pas les peuples vaincus enesclavage massif. mais dans l'objectif de l'exploitation immédiate de leurterritoire, le pillage des hommes et des biens est l'un des traits caractéristiques del'expansion romaine dès cette époque. Cette politique se confirmera davantage ets'amplifiera en Orient, véritable marché de main-d'œuvre servile.

Dans le cadre de ce type d'approvisionnement, il ne faut pas oublier lesguerres de Rome avec les peuples qui entourent la péninsule italienne, notammentla Macédoine, l'Istrie, la Sicile, la Sardaigne, la Corse et la Gaule(I(l). L'avantagede ces îles, c'est qu'elles ne sont pas loin de l'Italie. Elles constituent, en plus, devéritables points stratégiques pour contrôler les passages des flottes, mais aussi,elles s'avéraient être de véritables "greniers" en main-d'œuvre, placée ensuite surle marché italien(II), ou exploitée sur place, comme c'est le cas des habitants de laSicile.

(6) D'après Florus, 1. 13, les premiers esclaves étrangers (non italiens) sont pris dans laguerre contre Pyrrhus. il s'agit de Molosses. de Thessaliens et de Macédoniens.

(7) Voir à ce sujet Y. Garlan, La /jI/erre dal/s l'Antiquité. Paris. 1972. pp. 46-49.(8) La guerre et le commerce des esclaves vont de pair. La guerre, surtout quand elle

ahoutissait il la prise de nomhreux esclaves. provoque la chute du prix de l'esclave (plus d'offre quede demande). C'est le cas pour la vente des habitants cie la Sardaigne en 177 av. J.-c. ; ce qui a clonnélieu au proverhe "hon marché comme un sarde".

(9) L'esclavage de guerre est approuvé par les juristes. il l'exemple de Cicéron qui explique"qu'il n'existe aueun hien personnel en vertu cie la nature; il en existe. ou bien clu fait d'uneoccupation ancienne, comme c'est le cas de ccux qui, jaclis, sont arrivés clans une contrée cléserte ; ouhien en raison d'une victoire, c'est le cas de ccuxqui ont pris possession par la guerre; ou hien envertu d'une loi. d'une convention, cI'une clause, clu sort" (Cie. ()/T VII. 21).

(10) Comme chiffre sur le nombre d'csclavcs qui ravitaillent l'Italie et Rome, J. Schmidtavance que les Romains ont capturé à "Agrigente, en Sicilc, 250.000 personnes; à Palermc, toujourscn Sicile, 14.000 prisonniers; à Capouc les hahitants qui avaient «collahoré» avcc j'cnncmicarthaginois sont tous réduits en csclavagc. En Afrique. au cours dcs opérations quc Scipion mènepenclant la troisième guerre punique, plus cie 20.000 prisonniers seront mis il la disposition dcsRomains". J. Schmidt. "Rome sc ravitaille en esclaves". Historica, 358, septcmhre 1976, p. 88.

(II) Il semhle que Ics hahitants de ces îles étaient appréciés par les Romains. il l'exemple deshahitants de l'île de Kyrnos qui "semhlent l'emporter sur ccux qui viennent d'ailleurs. pour lesservices cie la vic sociale. et cela. par un don particulier de la nature" (Diodore. V, 13).

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Si désormais la guerre a définitivement pris un caractère "esclavagiste", ellereste insuffisante pour assurer complètement et continuellement l'Ital ie enesclaves. A ce sujet, J. Annequin, tout comme M. I. Finley auparavant, relativisentle rôle de la guerre dans le fonctionnement du système esclavagiste au milieu duHème siècle A.C.: "le procès premier de l'arrachement de l'esclave ayant étéattribué trop mécaniquement à la conquête et à elle seu!e"(I2).

La guerre n'a pas réduit uniquement les peuples vaincus en esclavage, elle aété aussi l'une des causes de la servitude pour dette(I3). L'engagement militaire deRome, dans le bassin méditerranéen, dépasse ses possibilités démographiques. Lesguerres sont plus longues, se succèdent sans interruption et les recrutés doiventservir plus longtemps. De plus, les champs de batailles s'éloignent de Rome et laguerre change de caractère. Les services ne consistent plus en une campagnesaisonnière, mais en un service annuel. Il résulte de cela une militarisationcroissante de la société et les spécialistes estiment à 10% la population, romaine etitalienne, mâle adulte enrôlée(14). L'analyse de D. Rathbone fait du recrutementmilitaire la raison principale du déclin de la petite paysannerie et le développementdu système de la villa(15).

Bien qu' i1soit diffici le d'évaluer l'ampleur de la servitude pour dettes, à lamoitié du Hème siècle AC, il est certain qu'elle est une des sources de l'esclavageen Ita1ie(l6). Du fait de leur maîtrise des pratiques agricoles, et de la bonneconnaissance de leurs terres, il est possible que les "nouveaux" propriétaires lesgardent. Cette hypothèse est renforcée par le fait que, dans le De Agricultura, le

(12) A ce sujel, 1. Annequin souligne qu'il "n'esl pas question de nier l'importance de laprédation violente sur laquelle on ne s'est peut-être pas trop exclusivement penché aux dépens desformes «commerciales» d'acquisition des esclaves. Il nous paraît qu'en insistant sur ce point. laviolence qui instaure un procès radical d'aliénation d'un être social transformé en marchandise estmieux située à toutes les étapes de ce procès. J. Annequin; "Formes de contradiction ct rationalitéd'un système économique", DHA, Il, 1985. p. 229, note 38.

(13) Pour De Martino. "les premiers cas d'esclavage à Rome ne sont pas liés à des guerres,mais à des relations économiques. à des cas de débiteurs insolvables ou à des délits comme le vol". F.De Martino. "lntrodo aJl'origine della schiavitu à Roma", Dirillo e sociela nell'anlica Roma. Rome,J979, pp. 130- J61. Voir aussi J.P. Royer; "Le problème des dettes à la fin de la Républiqueromaine". RD, janvier-mars. 1967. pp. 191-240 ; M. 1. Finley. "Servitude pour dette"; RHDFE, 4èmesérie. 1965. pp. 159-184; Id., l'Economie anlique, Paris, 1973, p. 82.

(14) Sur les modes de recrutement des soldats et l'organisation de l'armée romaine, voir J.

Harmand, L'arlllée et le soldat il ROllle de 107 il 50 av. notre ère, Paris, éd. Picard. 1967 ; D. P.Eterson. La légion romaine. Izier et aujourd'Izui. Paris. 1992 ; voir aussi Y. Le Bohec. "Rome: lameilleure armée du monde". dans L'Histoire. J77, 1994, pp. 24-30.

(15) D. W. Rathbone, The development of agriculture in the "ager cosanus" during theRoman republic: problems of evidence and interpretation, JRS. 1981. pp. 10-23.

(16) Tomber dans l'esclavage pour dette n'est pas souvent mentionné par les textes. Ainsi, siCaton ne l'aborde pas clairement, Cicéron minimise aussi le problème. Voir A. Daubigney, "Lapropriété esclavagiste chez Cicéron". dans Texte, politique, idéologie.' Cicéron, Les Belles Lettres,Paris, 1976; p. 39, et les notes 41-45.

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maître, une fois arrivé à la villa, demande les comptes des biens (esclaves, etautres), (Agr. 1. 1)CI7).

A côté de la guerre et de l'endettement des paysans, comme source (interneet externe) d'esclaves, il faut ajouter l'esclavage par naissance. Mais cettehypothèse n'est pas explicitement confirmée. C'est la présence dans le texte deCaton des termes puer, et puella qui indiquent des jeunes esclaves, et laissentenvisager cette possibilité(l8}. A cela s'ajoute l'attestation de l'union de la vilica etdu vilicus pour l'accroissement du «capital» du maître par la naissance et la bonnegestion de son bienCI9}.

Reste à examiner un autre facteur qui est celui du commerce avec d'autrespays(20). Sur ce point, 1. Kolendo avance qu'au Hème et au leI' Siècle AC, il existaitdeux sources d'afflux des esclaves durant la période de floraison de l'esclavage àRome: l'achat d'esclaves dans les régions limitrophes de l'Etat romain(21 ); lecommerce est "la seconde source d'approvisionnement en esclaves avec les pays endehors des frontières de l' Imperium Romanum". En abordant cette dernière source,Kolendo précise "on a jusqu'ici, consacré peu d'attention à cette source d'affluxdes esclaves". C'est par cette voie qu'affluaient, en Italie "des esclaves d'origineThrace, dont le rôle était très important aux Hème - 1er siècles AC"(22).Malheureusement, les textes de cette époque ne traitent pas ce point. Les esclaves

(17) Sur la servitude pour dettes à la fin de la République, voir la discussion entre M. Clavel­Levêque; R. Etienne, P. Levêque, 1. Annequin, A. Daubigney, op. cit., "Texte, politique, idéologie....pp. 305-311.

(18) Voir à ce sujet J. Maurin, "Remarques sur la notion de puer à l'époque classique",B.A.G.B., 1975,2, pp. 222-230. Sur l'enfant devant le droit romain, voir M. Lemosse, "L'enfant sansfamille en droit romain", dans L'e/~fant, Recueils de la société; 1. Bodin, Pour l'HistoireComparative des Institutions, XXXV, 1975, pp. 257-270.

(19) Ce mode de production est clairement exprimé par Varron qui recommande de donneraux chefs de troupes, des compagnes esclaves, qui peuvent être nombreuses et "qui leur donnerontdes fils" (R. R. 1. 17,5). De même pour les bergers, il trouve que le fait de leur donner une femme"est utile pour attacher plus facilement les bergers à leurs troupeaux, et, en faisant des enfants ilsaccroissent la troupe des esclaves et rendent l'élevage d'un meilleur rapport" (R. R. II. 1,26).

(20) Dans son analyse sur les soulèvements des esclaves à la fin de la République, K. R.Bradley avance que "pour que ces mouvements puissent se développer, les esclaves doiventreprésenter une partie importante de la population. Les esclaves achetés doivent être plus nombreuxque ceux nés en captivité et, pour une grande part d'entre eux de même origine ethnique", K.R.Bradley, Siave/}' and Rebellion in the Roman World (140 B.C-70 B.C), Londres, 1989, pp 5-8.

(21) Pour J. Kolendo, "La guerre fournissait une grande quantité d'esclaves. Mais c'est lecommerce avec les autres pays en dehors des frontières de l'Etat romain qui assurait un affluxconstant d'esclaves. Donc ces deux sources (la guerre et le commerce) étaient indispensables pour lefonctionnement de l'économie romaine", 1. Kolendo, "L'afflux des esclaves thraces en Italie aux 11-1siècles avant notre ère", dans Dritter Internatio/laler Thrakologischer Kongress, 2-6 JUlli 1980,Wiell, Sofia, 1984, pp. 191-195.

(22) L'un des lieux essentiels d'approvisionnement en forces productives est le marché auxesclaves comme l'agora des Italiens à Délos. Ch. Le Roy insiste sur l'importance du mouvement detransit des esclaves-marchandises par ce lieu. Pour les caractères de ce marché, Ch. Le Roy s'appuieà la fois sur les textes, l'archéologie et l'épigraphie et tente de cerner la question du nombre desesclaves qui transitent, voir Ch. Le Roy, "Encore l'agora des Italiens à Délos", dans Mélanges P.Levêque. 7, Les Belles Lettres, Paris, 1993, pp. 183-208.

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orientaux ne font pas encore l'objet de spéculation de marchands italiens. Mais ilest impossible de mesurer l'ampleur de la réduction en esclavage d'un peuplequelconque, ayant été sous la domination de Rome à cette époque.

Malgré certains chiffres concernant le personnel pour les exploitations, iln'est pas possible d'établir une étude statistique, voire d'esquisser une évolutiondémographique du groupe servile, en se basant sur les maigres élémentsdisponibles(23l. De ces trois sources (la guerre, les dettes et la naissance), il n'estpas possible de dire laquelle est la plus importante. Reste à noter que dans le DeAgricuitura, on ne trouve pas de signe d'esclavage par piraterie(24l, ni d'esclavagevolontaire, ni de vente d'enfants ou d'un membre de la famille par le père. En cequi concerne la question du prix des esclaves, il est logique qu'elle demeure aucentre du débat, car elle est attachée, en grande partie, à la rentabilité del'esclavage. En effet, les prix varient en fonction de la capacité, de la formation,mais aussi des possibilités de l'approvisionnement en force de travail(25l.

L'approvisionnement global du système implique le renouvellementaccompagné de la rationalité qui se présente sous la forme de la reproduction ausein du groupe. A ce sujet, J. Annequin remarque que "la reproduction globale dusystème exige l'approvisionnement permanent en travailleurs extraits desformations sociales périphériques, c'est-à-dire qu'elle suppose que la sociétéesclavagiste soit en mesure d'assurer à son profit cette ponction, donc qu'elledemeure en position hégémonique pour pouvoir puiser par la capture, le rapt,l'achat dans ces "réserves". En un mot elle doit toujours être en mesure de fairefonctionner le marché où s'échange, se vend la force de travail"(26J.

(23) K. R. Bradley insiste sur l'hétérogénéité de la population esclavagiste à la fin de laRépublique. Pour cela, il privilégie l'acquisition des esclaves dans le marché sur la reproduction; cequi le laisse conclure à une forte domination des esclaves mâles. Mais à plusieurs reprises. l'auteurinvite les historiens "à ne pas exagérer le déséquilibre du sex ratio et à considérer que dès 225 avantnotre ère, la reproduction endogène pouvait être prise en compte par les maîtres", K.R. Bradley.Slavery and Rebellion in tlze Roman Wortd (140 B.e.-70 B.e.), Londres. 1989, pp. 22.24.

(24) Au sujet du brigandage comme source d'approvisionnement en esclaves. voir M. Clavel­Levêque, "À propos des brigands: discours. conduites et pratiques impérialistes". D.H.A., 2. 1976.pp. 259-262 ; Id., "Brigandage et piraterie: représentations idéologiques et pratiques impérialistes audernier siècle de la République, D.HA. 4. 1978. pp. 17-31.

(25) D'après J. Schmidt, "le prix moyen d'un esclave à la fin de la seconde guerre puniquevarie entre 150 à 300 deniers par rapport à notre monnaie (... ) il valait. donc. à la fin des grandesconquêtes romaines entre 60.000 et 120.000 anciens francs (le denier correspond à peu près à 400francs anciens)". J. Schmidt, "Rome se ravitaille en esclaves", Historica, 358. septembre 1976. p. 95.Certes, la question du prix des eselqves est un sujet à controverse. mais il est très difficile de donnerune estimation de cette nature. Les prix de la marchandise dépendent de facteurs divers; du nombredes esclaves. de l'origine de l'esclave, de son âge, de son savoir faire. mais aussi de la concurrence.A cela il faut ajouter que plus le système esclavagiste devient complexe. plus il se lie au marché etaux lois de l'offre et de la demande. Ainsi, le renouvellement de la force de travail servile. toutcomme son prix. dépend des possibilités de l'écoulement des produits de son travail, de laspéculation et du perfectionnement de l'organisation du travaiL

(26) A ce sujet. voir les remarques de R. Martin. "Du nouveau monde au monde antique;quelques problèmes de l'esclavage rural". Ktèma. 5. 1980. pp. 161-175, et voir les critiques de J.

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41LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLA VAGISTECHEZ LES AGRONOMES LATINS

En ce qui concerne la main-d'œuvre auxiliaire, son recrutement est plus clairque celui des esclaves. Caton insiste sur l'emplacement de la villa dans une régionoù il y a abondance de main-d'œuvre. De même, il recommande de garder de bonscontacts avec les voisins(27). Cela indique que les ouvriers salariés sont peut-êtrede la même région. Mais cela n'empêche pas l'existence d'une "migrationsaisonnière"(28), durant laquelle les hommes et les femmes quittent les régionspauvres pour chercher du travail agricole pendant les périodes de récolte (Agr. 1.3.et R. R. 1. 16, 4). Le recours à cette main-d'œuvre auxiliaire et sa totaledisponibilité, offre peut-être l'avantage d'une exploitation mieux organisée. Maisde l'autre côté, elle pose le problème de la gestion de la main-d'œuvre servile, enrenvoyant de façon permanente à la question de son renouvellement et de soneffectif dans l'espace et dans le temps.

Il ressort que chez Caton, le plus impOltant n'est pas l'origine de l'esclave, niles voies de l'approvisionnement; il suffit de tenir compte de la loi du marché,celle de l'offre et de la demande. Il applique un précepte économique basé sur"vendre le maximum et acheter le minimum". C'est cette démarche qui acertainement laissé Caton ne pas donner d'importance au mode d'acquisition desesclaves. Car la valeur de ce capital-marchand est mesuré à la satisfaction de sonexploitation et les bénéfices qu'il peut apporter. Il n'est pas un objet de luxe, maisun objet d'échange(29). Même si l'esclave se transforme en marchandise puisqu'ilest un bien acquis, il est important de le distinguer des autres objets, car il peut êtresujet à la violence et contraint au travail.

Il faut bien noter que les différentes fomes d'acquisition d'esclavesconvergent vers les problèmes de la production et de la circulation des produits.Car le mécanisme d'utilisation et d'exploitation du système prennent en comptenon seulement l'acquisition, mais aussi le renouvellement de la force de travail, cequi implique le fonctionnement du marché et l'organisation de la production. Lerecours à des groupes de main-d'oeuvre "étrangers" les uns aux autres et par

Annequin. "Formes de contradiction et rationalité d'un système économique. Remarque surl'esclavage dans l'Antiquité", D.H.A., Il; 1981, p. 211 ; Id., "L'esclavage antique" (chronique).D.HA, 16, 2, 1990, p. 330.

(27) Varron confirme l'usage des voisins comme main-d'œuvre dans la propriété. En précisantque les propriétaires qui sont entourés de voisins préfèrent les utiliser à l'année (R. R. 1. 16,4).

(28) "Les journaliers formaient parfois des équipes placées sous la direction d'entrepreneursappelés lIlancipes (... ). Il s'agit très probablement dans ces cas de migration de la populationmontagnarde vers des terres mieux adaptées pour l'agriculture, situées non loin de Rome. Ces·travailleurs étaient recrutés parmi les paysans les plus pauvres, qui ne parvenaient pas à vi vre de laculture de leur seul lopin de terre", 1. Kolendo, "Le paysan". dans A. Giardina, L'!:lOl1ll1le romain.Paris, éd. du Seuil, 1992. p. 263.

(29) Sur ce point, J. Annequin considère l'esclavage comme "une forme parmi d'autres deContrainte au travail extra-économique, il en est même la forme radicale, puisqu'il arrache un êtresocial à son milieu socioculturel d'origine. le prive de son identité au cours d'un procès continu - etsans équivoque - d'aliénation. pour le transformer en objet d'échange, en travail exprimé en lapersonne du travailleur", J. Annequin. op. cit., "Formes de contradiction et rationalité d'unsystème.... p. 208.

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42 SAlO EL BOUZIDI

rapport au maître, atteste de la contradiction et de la fragilité de ce système. Il estdonc impératif que le propriétaire s'assure d'un maximum de "qualités" quiavantagent l'exploitation des esclaves et lui assurent un profit

II. L'ÉTABLISSEMENT DES NORMES QUALITATIVESDANS L'ACQUISITION DES ESCLAVES

Les recommandations de Caton permettent de dessiner un double profil del'esclave: l'un est idéal, c'est un esclave rapide, fort, persévérant, honnête,intelligent, alors que l'autre est un mauvais esclave dont il faut se débarrasser leplus vite possible: il est paresseux, voleur et malade. Dans les deux portraits, lafuite reste la faute majeure; elle cause la perte du capital du maître; d'oùl'insistance sur la surveillance et les châtiments réservés à ce délitOO). Le pivot deces qualités est l'honnêteté dans le travail et envers le maître.

Si Caton insiste sur les qualités morales des gestionnaires, c'est pour deuxraisons: d'une part, c'est avec eux qu'il a le plus de contacts et ils doivent donnerl'exemple aux autres esclaves; d'autre part et surtout parce qu'ils le représententauprès des autres esclaves. En outre, ils entrent en contact avec les voisins, lesacheteurs et les entrepreneurs. Leur comportement reflète l'image du maître.Enfin, ils gèrent son capital, ce qui implique le sens des affaires et se traduit pardes contacts avec le monde extérieur.

Au sujet de ses qualités, nous sommes en présence de l'esclave "idéal" quechaque propriétaire se doit d'avoir: un gestionnaire qui se dévoue pour son maître.Son grand souci est le profit qu'il peut lui apporter(31). Mais d'un autre côté, cetteinsistance sur les qualités morales montre que le comportement des gestionnairesn'était pas aussi "idéal" que Caton le présente. Ils étaient conscients que tout lebénéfice était pour le maître et qu'ils ne représentaient pour lui qu'un simple"instrument" de travail(32).

Après les qualités morales des esclaves, il reste à analyser les qualitésphysiques de la main-d'oeuvre en question. Le travail agricole était considérécomme un châtiment pour les esclaves de la ville envoyés à la campagne, ce quimontre la nature pénible de ce travail. Et pour l'accomplir, il faut que l'ouvrierdispose de qualités physiques lui permettant de supporter la charge de travail.

(30) À ce sujet, Varron est plus prévoyant, il recommande d'examiner les normes qualitativesavant l'achat d'esclaves et même d'établir un contrat. Le vendeur s'engage à énumérer les qualités etles défauts de l'esclave et prévoir des indemnités pour le maître, dans le cas où l'esclave comporte undéfaut (R. R. II. 10,5).

(31) Voir à ce sujet M. Marotti, "Le vilicus et l'exploitation de la villa en Italie", Antik.Tamulmanyok. Budapest, 1974, XXI, 2, pp. 189-203 (en hongrois avec un résumé en anglais).

(32) Par là, nous ne remettons pas en cause le système esclavagiste comme cause de la criseagraire au Hème siècle AC. L'esclavage n'a jamais été inefficace dans l'agriculture. Mais avec lesresponsabilités grandissantes, les esclaves se rendent compte de leur place dans la société en tantqu'éléments producteurs, ce qui va accentuer les mouvements de protestations à la fin de laRépublique. Voir à ce sujet, M. 1. Finley, L'économie antique. Paris, 1974, pp. 108-1 Il.

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LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLA VAG/STE 43CHEZ LES AGRONOMES LATINS

Si les qualités morales ou intellectuelles, exigées chez un esclave, évoluentavec le temps, par contre les qualités physiques, exigées au temps de Caton, sontvraisemblablement identiques à celles décrites par Columelle. Pour cette raison, etafin de compléter nos lacunes, il nous apparaît utile d'examiner les propos desautres agronomes à ce sujet.

"les qualités physiques de la main-d'oeuvre"

REF. L'esclave en question La qualité recommandéeR. R. 1. 17.2-3 operarii - être capable de supporter la fatigue

- avoir moins de vingt-deux ansDe R. R. 1. 9 vilicus - avoir un corps assez vigoureuxDe R. R. 1.9 bouvier - avoir une taille imposante

- avoir un corps assez vigoureux- avoir une voix forte

De R. R. 1. 9 ceux qui travaillent la - être de petite taillevigne - avoir des épaules larges

- avoir des muscles développésR. R. Il. 10. 1 pastor - être adulte, résistant, solide et rapide

- être capable de défendre les bêtes- être capable de charger sur les bêtes

De R. R. 1. 9 autres ouvriers - avoir la force nécessaire pour supporterle travail

Il ressort du tableau qu'en plus d'un physique développé, l'esclave doit avoird'autres qualités, en fonction de la tâche qu'il doit accomplir. Ainsi les bouviers,en plus de la taille, doivent avoir une voix qui résonne. Les vignerons doivent êtrede préférence de petite taille, pour être tout près de la vigne, avec des épaules trèsmusclées. Pour les bergers, il faut, en plus d'une bonne santé, une certainesouplesse alliée à la rapidité et la légèreté: des qualités athlétiques.

L'âge constitue l'un des facteurs déterminant pour la potentialité du travaildes esclaves, notamment pour le travail agricole. Ainsi, le démographe J. D.Durand, dans sa tentative d'évaluation démographique sous la République, estimeque l'espérance moyenne de vie des esclaves se situe autour de vingt ans(33J.Comme cause de la mortalité, il y a la malnutrition, les maladies, la mise à mOlt etl'usure due au travail.

Pour les gestionnaires, Caton ne détermine pas leur âge; c'est plutôtl'habileté et l'expérience qui l'emportent(34J. Par contre, Varron préfère que le chef

(33) 1. D. Durand, "MortaIity Estimates from Roman Tombstones Inscription" dans A.JS, 65,1959-1960, pp. 364-373.

(34) C'est la même exigence que Columelle avance, Le vilicus ne doit être ni trop jeune nitrop vieux: "Un jeune homme n'est pas plus apte à ces fonctions qu'un vieillard; le premier n'aurapoint l'autorité nécessaire pour se faire obéir de ceux qui sont plus âgés que lui, et j'autre succomberasous le poids des travaux" (De R. R. 1. 8).

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44 SAID EL BOUZIDI

des pâtres soit "de préférence plus âgé que les autres et plus compétent" (R. R. II.10. 2). Pour les ouvriers auxiliaires; le propriétaire a plus de marge de manœuvrece qui lui permet d'exiger un âge très jeune. Il est possible que cette tâche soitlaissée au custos, qui doit agréer les travail1eurs et le fruit de leur travail (Agr. 144.1-5). L'une des qualités des ouvriers fournis par l'entrepreneur est leur jeune âge,ce dont le custos doit s'assurer. Si Caton ne précise pas exactement leur âge,Varron par contre, adopte sans réserve l'idée de son interlocuteur Cassius en disant"qu'il faut se procurer des travail1eurs qui puissent supporter la fatigue, qui n'aientpas moins de vingt-deux ans et qui soient capables d'apprendre l'agriculure "(R. R.I. 17,3). L'âge est un facteur à ne pas négliger pour évaluer le travail servile dansl'économie rurale. Pour l'esclave,l' âge est donc déterminant en vue de son"intégration" dans un groupe de travail ou dans un autre, mais pour le maître, c'estun facteur qui valorise à la fois l'esclave et sa production.

Reste à s'interroger sur le nombre des esclaves, par rapport aux libres quiconstitue une obsession dans les études économiques et historiques. Ce manqued'informations empêche d'apporter des réflexions cohérentes, sur la structureagricole et sur la composition de la société rurale, et cela pour toute l'antiquitéromaine(35. Mais il faut souligner que la main-d'œuvre esclave ou libre nereprésente pour les agronomes qu'un outil de travail qu'il faut limiter, pour en tirerle maximum de profit. Pour cela, il faut qu'il y ait plus de travail que de main­d'oeuvre. Et c'est dans cette perspective qu'il y a précision à la fois du nombregénéral des travailleurs (Agr. 10. 1) et celui du personnel qui doit occuper unetâche précise, (Agr. Il. 1).

Les agronomes placent au premier plan la dimension de l'exploitation et lanature des cultures comme critères pour détenniner le nombre du personne\. AinsiVarron, lorsqu'il critique Caton sur le nombre des composants de la fwnilia,avance "qu'au sujet de la familia, Caton en règle la composition à deux fins,d'après les dimensions données d'un champ et le genre déterminé de ce qu'on ysème" (R. R. I. 18, 1). Dans les textes des frères Saserna, on trouve un autre critèreen précisant "qu'un homme suffit pour 8 jugères, il doit les piocher au cours de 45jours, bien qu'il puisse piocher unjugère en 4 jours"(36).

Les chiffres dont on dispose soulèvent un certain nombre de problèmes: toutd'abord, le nombre du personnel est en fonction de la superficie et du type deculture (treize personnes pour l'oliveraie et seize pour le vignoble) (AgI'. 10. 1; Il.1). Ensuite, on trouve les mêmes appellations du personnel, à la fois pour le

(35) Le manque de chiffres et de statistiques sur la population servile a laissé Brunt dire qu'ilest "... évident que, si nous n'avons aucune idée du nombre des gens il propos de qui nous écrivons etlisons, nous ne pouvons les envisager dans leur réalité concrète", P.A. Brunt, Italien Manpower (225B.C - A.D. 14) 2e éd .. Oxford, 1987, p. 3. Voir aussi C. Nicolet, Rendre cl César. ECOIIOI/lie et sociétédans la Rome antique, éd. Gallimard, Paris, 1988, p. 45.

(36) Sur les fragments de ces textes, voir 1. Kolendo, Le traité d'agronomie de Saserna.Varsovie, 1973.

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LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLA VAGlSTE 45CHEZ LES AGRONOMES LATINS

vignoble et l'oliveraie, d'où le problème de savoir s'il s'agit du même personnelou d'un personnel différent pour chaque culture et enfin, une grande ambiguïtéconcerne le statut juridique(37). Ces difficultés n'empêchent pas de se faire une idéesur le nombre global du personnel travaillant dans l'entreprise, et de pouvoirdistinguer ensuite esclaves et libres.

Nous nous limiterons au personnel du vignoble et de l'oliveraie commeéchantillon au sein de l'entreprise, considérant que les operarii sont des libres(38).On arrive à déduire que le nombre des esclaves, travaillant dans une exploitationde vignoble et d'oliveraie de 340 jugères, représentent 48,28%, alors que lesoperarii représentent 51,43%. Dans cette estimation, il faut bien voir qu'il estquestion d'une exploitation agricole, et qu'il s'agit du personnel en action.

Même dans un milieu où les esclaves sont supposés être majoritaires, laprésence des libres est encore importante. Cette main-d'œuvre travaille au mêmetitre ques les dépendants(39). Néanmoins, on constate que les esclaves commencentà l'emporter sur les libres dans le travail agricole. Avec une certaine marged'erreur, on peut estimer la proportion des esclaves, dans un domaine de superficiemoyenne et ayant comme culture dominante l'arboriculture, à moins de cinquantepour cent. Les esclaves doivent travailler toute l'année pour être rentables, de plus,avec les tendances à la spécialisation, les propriétaires préfèrent avoir affaire à desspécialistes qui ne sont pas forcément des esclaves. Cela se manifeste, dansl'entreprise catonienne, par la présence des entrepreneurs, avec qui il assure lesbénéfices, en leur confiant les travaux(40).

Quel que soit le nombre, l'esclave ne prend de la valeur que par la formationet l'acquisition d'un savoir-faire. Cela passe par l'accumulation d'un certainnombre de connaissances et d'expériences, lui apportant de la valeur morale et

(37) Sur le statut juridique des dépendants dans le De Agricullura. voir S. El Bouzidi, "Levocabulaire cie la main-d'œuvre dépenclante dans la De Agricliitura : pluralité et ambiguïté", D.H.A ..2511. 1999, pp. 57-S0.

(38) Le mot opemrius désigne précisément un homme qui accomplit une tâche quelconque(opera) et non le statut juridique. Il peut désigner un esclave ou un libre. Les operarii chez Catonsont certainement des saisonniers et ne font pas partie du personnel de lafamilia. Voir à ce sujet lesremarques cie J. Helll'gon, Varroll, écollomie rurale, I. Les Belles Lettres. Paris; 1978, p. 140.

(39) Nous ne sommes pas de l'avis de J.-Ch. Dumont qui généralise (à partir cie la lIème

guerre punique) la clomination des esclaves dans le secteur rural. en avançant que dans une sociétéessentiellement agricole "les esclaves ruraux (occupaient) plus de cieux tiers des esclaves totaux", J.­Ch. Du mont, Serl'us. Rome el /'esclal'age sous la République. EFR., Paris, 1987, p. 68. Voir aussi, àcc sujet, les remarques cie J. Annequin "L'esclavage antique" (Chronique), DHA, 16,2, 1990. pp.331-340.

(40) Dans le contrat du traitement cles olives (Agr. 144. 4), le cOllduclor cloit fournir. aumoment de la récolte, cinquante saisonniers qui sont probablement libres. R. Goujard avance que cechiffre "est sans cloute minimal". Ce n'est pas sûr. car la superficie ne dépasse pas 240 jugères. et lescinquante hommes. plus les membres de lafalllilia sont largement suffisants pour cette superficie. Ilfaut ajouter que plus le nombre de la main-c1'œuvre est élevé. plus le problème de surveillance estimportant. Et moins il y a de surveillance. moins il y a de rentabilité. R. Goujarcl. "Caton !JeAgricullum". Paris. 1975, pp. 294-295, note 10.

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46 SAlO EL BüUZlO1

professionnelle(4I l . D'après les recommandations de Caton, la formation desesclaves passe en premier 1ieu par l'obéissance, la fidélité, la reconnaissanceenvers le maître et ses amis, mais aussi par sa disponibilité pour l'apprentissage etsa faculté d'assimiler ce que le maître lui "enseigne", c'est du moins ce qu'on peutconclure des conseils de Caton au vilieus (Agr. 7 et 151).

Il est possible de trouver chez Caton des données sur la formation de certainsde ses esclaves à l'inverse de Cicéron(42 l. Reste à s'avoir qui s'occupe de laformation? Quand et comment se fait cette formation? Quels sont les esclaves quisont destinés à la recevoir? Et enfin, les esclaves, ayant reçu une formation,travaillent-ils sur les exploitations du maître ou sont-ils destinés au marché?

Plutarque rapporte deux versions contradictoires sur la formation etl'éducation des esclaves par Caton. Une première fois, sa femme "donnait le seinaux petits enfants de ses esclaves, afin que cette nourriture commune leur inspirâtde l'affection pour son fils" (Plut. 20.5). En deuxième lieu, il dit que Caton"achetait surtout des prisonniers de guerre encore petits et que l'on pouvait élever,dresser comme des jeunes chiens" (Ibid. 21. 1). Dans le De Agrieultura, le fait dedésigner le personnel par sa fonction, comme bubuleus, eustos asinarius ... , laissepenser que les esclaves ont reçu une formation leur permettant d'avoir une valeurajoutée (R. R. 1. 17,4).

Le personnel ayant reçu une formation, est celui qui a une tâche biendéterminée, notamment le bubulcus qui doit savoir à la fois guider les bœufs etmanipuler le chariot. Ce n'est pas un hasard si Caton recommande d'être "quelquepeu accommodant à l'égard des bouviers, pour les encourager à prendre soin desbœufs" (A gr. 5. 6). Mais Columelle accorde au bubl/leLls plus d'importance, eninsistant sur ses qualités physiques, mais aussi morales: "le laboureur lesgouvernera (animaux) plutôt par la voix que par les coups qui ne doivent être quesa dernière ressource" (De R. R. II. 2-3). Il Yaussi les pressureurs (capulatores) quidoivent avoir une connaissance du matériel, mais aussi du produit te! que le vin etJ'huile (A gr. 66. 1-2). A côté d'eux, on trouve des servants (j"actores) qui reçoiventcertainement une formation.

Mais les plus concernés par la formation sont le vilieus et le eustos (AgI: 5.16; 145. 1-2). C'est à eux que Caton s'adresse par une multitude de conseils et dedirectives concernant le travail. Ils sont à la tête de la hiérarchie des dépendants,responsables de la gestion des affaires du maître(43). La formation est entièrement

(41) Pour Aristote, "L'apprentissage dans un domaine particulier n'est que science d'esclave"(Pol., 1255 b. 23-31). Mais de l'autre côté, il y a celle du maître, "celle qui dit comment utiliser lesesclaves, mais elle aussi n'a rien de grand et on peut parfaitement s'en décharger aussi sur un esclaved'encadrement" (ibid., 1255 b, 31-37).

(42) D'après l'analyse de A. Daubigney, Cicéron "ne requit pas pour lui-même, ni pour levilicus une formation agronomique". op. cil.. "Texte, politique, idéologie...", p. 22.

(43) Lorsque Caton parle des devoirs du vilicllS. on se demande s'il s'agit d'une formation oud'un simple rappel. Alors que chez Columelle, il est très clair que le vilicllS reçoit une formation: "onchoisira donc un métayer, un homme expérimenté, et endurci aux travaux des champs dès son

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47LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLAVAGISTECHEZ LES AGRONOMES LATINS

technique, il n'y a pas d'informations sur une formation intellectuelle du viliclIs;même si on suppose qu'il sait lire et écrire(44). Ses connaissances intellectuelless'arrêtent à la reconnaissance des ordres écrits par le maître. Le dépendant, ici, aune fonction bien déterminée: veiller sur les biens du maître. "II s'agit, dedévelopper les vertus propres de l'esclave en tmit qu'instrument"(45).

Quant aux méthodes de formation, on suppose qu'il s'agit uniquement de lapratique et de l'assistance du déroulement des travaux. Caton ne développe pas dethéorie là-dessus, mais en se fiant aux normes de la distribution des rationsalimentaires, on peut dire que les esclaves avaient intérêt à profiter de la formationdonnée, pour évoluer dans la hiérarchie de iü dépendance et échapper au travail deschamps et de la vigne. On sait que la formation cies esclaves ne constitue pas unfacteur pour échapper à la servitude.

Si Plutarque rapporte que Caton forme et dresse des esclaves pour lesrevendre plus cher, en revanche, on ne trouve pas d'écho de ce genre de pratiquedans le De AgriclIitllra, où le seul esclave faisant l'objet d'une vente est l'esclavemalade. La formation de l'esclave ne constitue dans l'explicite du discours qu'unfacteur de valorisation, mais elle offre au maître une meilleure réalisation du travail.

III. LE CONTROLE DE LA STRUCTURE SOCIALE SERVILE PAR LESCONDITIONS DE SURVIE

L'abondance des références consacrées à l'entretien des esclaves (notammentJ'alimentation et le vêtement) dans le De Agricu!tllra, fait de cet oeuvre une dessources principales pour l'étude des conditions de vie des esclaves sous laRépublique. L'alimentation, dans le droit romain, constitue une obligation à lacharge du maître envers la familia(46). Mais il faut souligner que si les référencesconcernant l'alimentation sont plus fréquentes que celles qui concernent lesvêtements et le logement, c'est parce que la distribution des rations répond à des

enfance" (De R. R. 1. 8). Il ajoute un principe important dans la gestion en précisant "qu'il ne faut pasque ceux dont le devoir est d'obéir instruisent celui qui leur commande; il est impossible d'ailleursqu' un ho mme pui sse bien l'ai re exécuter les travaux, s' il a besoi n de demander d'abord desinstructions à ceux qui lui sont subordonnés" (Ibid;). Ces principes s'appliquent à la fois pour lesgestionnaires et pour les propriétaires.

(44) A ce sujet, Colummelle minimise le savoir - sauf celui de l'agriculture - ct laconnaissance de la lecture et de l'écriture du vi/icus : "Un vilicus pourra très bien administrer uneferme sans savoir écrire, pourvu qu'il ait la mémoire sûre". Un tel vi/icus, nous dit Cornélius Celsus"apportera plus souvent à son maître de l'argent que des livres de compte parce que son ignorance nelui permettrait pas de les falsifier, et qu'il n'oserait non plus les faire falsifier par les autres" (De R. R.1. 8). La formation intellectuelle du vilicus ne doit pas dépasser le strict nécessaire par 'crainte qu'ellene joue à l'encontre des intérêts du maître.

(45) J.-Ch. Dumont, Servus, Rome et l'esclavage sous la République, éd. EFR, Paris, 1987,p.746.

(46) A ce sujet, voir F. Wyeik, Alimenta et l'ictus dans le droit romain classique, RHD, 50,1972, pp. 205-228. En ce qui concerne les obligations juridiques du maître envers ses esclaves ausujet de leur entretien, voir M. Morabito. Les réalités de l'esclal'{lge d'après le Digeste, Les BellesLettres, Paris. 1981, pp. 186-190.

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48 SAID EL BOUZIDI

critères, alors que pour les habits, le changement se fait une fois tous les deux ans.Enfin, le logement apparaît moins important en raison du regroupement desesclaves dans un seul endroit.

On peut se demander si cette distribution ne reflète pas le coût de l'entretien.La réponse est oui. Ce n'est pas un hasard si Caton indique les villes où lepropriétaire peut se procurer les habits les moins chers pour les esclaves, de mêmepour les rations alimentaires, en établissant des règles pour la distribution.Cependant, pour le logement, (le moins représenté), il suffit d'une pièce aménagéeà cet usage; alors que pour les vêtements, même si le maître récupère les anciens,avec l'usure, il est obligé d'en racheter un certain nombre. Reste enfinl'alimentation, elle constitue l'énergie de l'instrument, c'est un besoin quotidien.

Sur le lieu de logement des esclaves, on a seulement quelques indices. Lesrares passages laissent supposer qu'ils logent dans le même groupe de bâtimentsque celui où le maître s'installe; on ne trouve donc pas de logement des esclaves àl'extérieur de la villa. Trois indices peuvent nous apporter quelqueséclaircissements à ce sujet.

Le premier concerne le degré de "confort" du logement: "que les esclaves nesoient pas dans de mauvaises conditions; qu'ils n'aient pas froid" (Agr. 5, 2). Onpeut voir ici un degré de sentiment "paternel" et de pitié; mais ce qu'il faut retenirle plus, c'est l'insistance sur la conservation de cet instrument de travail. Dans lemême chapitre, on lit: "qu'il veille (vWells) à ce que la ferme soit close, à ce quechacun soit couché à sa place" (Agr. 5. 5). Ce qui montre que le logement desesclaves se situe au sein de la villa, au milieu d'autres bâtiments, et l'ensemble desbâtiments est entouré d'un mur de clôture, dont la seule sortie possible est lagrande porte (Agr. 14 et 15). On retrouve là, les précautions, les dispositions pourempêcher les esclaves de s'enfuir; mais aussi une protection pour le maître.

Le troisième indice est plus significatif, en effet il précise bien que lesesclaves logent dans des cellules: " ... des cellules pour les esclaves" (Agr. 14, 2).Elles peuvent être individuelles ou collectives. Ces cel1ules constituent unesécurité de plus, après les portes et les murs, pour empêcher leur fuite. Lelogement des esclaves se situe au centre de la villa, certainement près de la cuisineponr bénéficier de la chaleur, tont comme les animaux. Il est entouré à la fois parl'étable et les ateliers de travail. Son emplacement an centre de la villa est uneprécaution de surveillance, mais il assure aussi un celtain confort (la chaleur)(47).

D'après le deuxième indice, on peut dire que chaque eSGlave a dans la villaune place réservée, qui lui est probablement assignée par le vilicliS. Nous ignorons

(47) Chez Caton comme chez Varron. la séparation des logements des esclaves "libres" deceux enchaînés n'est pas attestée comme on le trouvera plus tard chez Columelle: "Les chambres desesclaves lihres auront l'exposition du midi équinoxial. Quant aux esclaves enchaînés, on leur ferasous terre une prison aussi saine que possible. et éclairée par des fenêtres nombreuses. étroites etaussi exhaussées pour qu'ils ne puissent y atteindre avec la main" (De R. R. 1. 5).

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LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLA VAGISTE 49CHEZ LES AGRONOMES LATINS

les modalités de l'enchaînement des esclaves, mais on peut déduire de l'existencedes cellae une recommandation pour l'enfermement des esclaves la nuit, et peut­être même leur enchaînement dans des endroits aménagés(48J.

Il est intéressant, maintenant, de s'interroger sur le logement du vilicus entant que responsable. Caton ne donne pas de précision à ce sujet(49J, ce qui peutlaisser supposer qu'il loge aussi dans une cellule comme les autres esclaves.Cependant, on sait que le maître n'est pas souvent à la villa, que le vilicus a unefemme, la vilica, et probablement des enfants, mais surtout que sa responsabilitédépasse, de très loin, la tâche de la surveillance des esclaves. Eléments qui laissentplutôt envisager que le vilicus a le privilège d'avoir une petite loge et non unecella, se situant dans le quartier central. Situation qui permet de surveiller lesesclaves, les réserves et les ateliers, et marquer une distance avec le reste de lafamilia pour maintenir son autoritéC:ïOJ.

A l'intérieur de la familia, et lors des distributions des rations alimentaires,Caton distingue les esclaves entravés (compediti) des libres (Agr. 7. 1). Ce quinous intéresse ici, ce sont les conditions de logement de cette catégorie d'esclavesdite "dangereuse". Caton ne parle pas d'ergastule, ni d'aménagement de logementpour les esclaves enchaînés, comme le fait Columelle (De R. R. I. 5)C" J. La seulechose dont on est certain, c'est que ces esclaves sont enchaînés, ce qui laissesupposer deux possibilités: dans le cas où cette catégorie d'esclaves est logéecollectivement dans un dortoir, ils sont entravés par des chaînes, attachées au murou directement au lit. Et pour cela, l'endroit est aménagé à cet usage. Dans le casoù ces esclaves sont dans des cellae, il est probable qu'ils sont entravéssimplement par les pieds, sans être liés à un piquet(52).

(48) Dans Recherches sur l'Ergastule, R. Etienne avance que "tous les esclaves - quelle quesoit leur catégorie - couchent dans des cel/ae prévues par l'architecte; oLl le viliclis surveille chaquesoir leur coucher". Or, le fait que le vilicus soit lui-même un esclave implique qu'il soit enfermé dansune cel/a tout comme les autres. Nous pensons que ceux qui sont enfermés la nuit sont des esclavesde rang "inférieur et non ceux qui se trouvent à la tête de la hiérarchie comme le vi/icus, la vifica et leCl/stoS. Voir R. Etienne, "Recherches sur J'ergastule" Actes du Colloqlle sllr l'esclavage deBeswlçon, 1972, Les Belles Lettres, Paris, 1974, p~ 255. ' ,

(49) Par contre, Varron, qui le suit littéralement sur la composition de lafamilia, précise quele vi/iells dispose d'une cella proche de la porte d'où "il surveille les allées et venues nocturnes" (R.R. 1. XIII). Certes, il critique Caton sur la composition de la famifia, mais uniquement en ce quiconcerne le nombre (R. R. 1. 18) ; à part ces réserves mineures, on peut dire sur ce point que fa.ramifia de Varron est entièrement calquée sur celle de Caton.

(50) C'est en tout cas une réalité qui correspond davantage à son poste de responsabilité.D'ailleurs, on trouve cette réalité exprimée clairement chez Columelle qui conseille que "le vi/icllsaura sa chambre (non la cella) près de la porte principale, pour qu'il soit à même de surveiller ceuxqui sortent ou qui entrent" (De R. R. l. 5).

(51) "L'ergastule - la bande de forçats: les quinze enchaînés d'Apulée - n'est pas encoreprévu pour un domaine - le mot n'est pas né, même si la présence de forçats ne peut être mise endoute", R. Etienne, op. cil., "Recherches sur J'ergastule...", p. 255.

(52) Voici comment J.N. Robert voit J'entravement des esclaves: "Les hommes portent deschaînes, c'est-à-dire qu'ils ont chaque cheville prise dans un anneau et reliée par une chaîne à unanneau central, lui-même relié par une chaîne ceinture", J.N. Robert, La vie il la call1paglle dalls/"Antiquilé RO/1laille, Les Belles Lettres, Paris, 1985, p. 194.

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50 SAID EL BOUZIDI

Sur la question du confort, on sait qu'ils ne doivent avoir ni chaud ni froid.R. Etienne conclut que «dans les cellae de nuit nous rencontrons une nouvelleopposition: les compediti ne disposent pas de lit à la différence du reste de lafamilia; ils doivent se coucher sur une litière ou sur une simple couverture»(53l.Nous nous alignons sur cette conclusion, et nous ajoutons qu'il est possible que ladistribution, à la fois des places, des lits et des couvertures, soit de la même natureque la distribution des rations alimentaires. C'est un moyen comme un autre decontrôle et d'incitation au travail pour subsister. Si l'ergastule, tel que le décritColumelle répond à un mode de production servile ayant comme type de propriétéune lat(fundia, rien de ceci n'est attesté au Hème siècle AC. Toutefois,l'aménagement des cellae pour les esclaves et l'attestation de l'enchaînement decertains d'entre-eux expriment un stade assez évolué dans l'histoire de l'esclavage.

En matière de logement, l'esclave doit être vêtu par le maÎtre(54), ce quiexplique la raison pour laquelle Caton donne des recommandations très précisessur les vêtements des esclaves (Agr. 59. 1). C'est le vilicus qui a la charge del'achat et de la distribution des vêtements; comme l'indique le passage suivant: " ...tous les travaux qui doivent être faits dans la propriété et ce que l'on doit acheter etse procurer et la façon dont nourriture et vêtement doivent être fournis auxesclaves, je lui rappelle qu'il doit s'occuper de tout cela" (Agr. 142. 1).

Tous les habits ne sont pas achetés, puisqu'il récupère les habits usés quiservent de centolles pour les jeunes esclaves. Ce sont les esclaves eux-mêmes quise chargent de réparer leurs habits. Ce travail se fait uniquement lorsque le tempsest pluvieux et qu'ils ne peuvent pas sortir dans les champs. Cependant, pours'occuper, ils "devaient ravauder leurs hardes et leurs capuchons" (Agr. 2. 3). Onne trouve pas de distinction entre les vêtements des esclaves "libres" et entravés,comme on le trouvera plus tard chez les autres agronomes(5:i). De même il n'estpas possible, à partir du texte, de faire la distinction entre les vêtements pourhommes, pour femmes et pour enfants. Par contre, il est certain que les esclavessont vêtus d'une seule tunique attachée au milieu avec une ceinture, ou simplementune corde, et chaussés de sabots de bois. En hiver, ils portent des capuchons pourse protéger de la pluie, du vent et du froid.

Le changement de leurs habits a lieu tous les deux ans. Mais on se demandecomment il est possible qu'une seule tunique puisse résister deux ans, en sachantqu'elle sert de vêtement de travail. A ce sujet, R. Martin parle d'une certaineladrerie de la part de Caton, mais ce dernier ne fait, en réalité, qu'obéir aux

(53) R. Etienne. op. cit., "Recherches sur l'ergastule... ". p. 256, notamment la note 1.(54) Il s'agit d'une nécessité tout comme la nourriture, c'est du moins la conclusion qu'on

peut déduire lorsque Columelle recommande au maître de s'assurer lui-même "s'ils ne sonl pasprivés ni de vêtement ni des autres choses qui leur sont nécessaires" (De R. R. 1. 8, 9). En plus, ilapporte davantage de renseignements sur le type de vêtement des esclaves pour l'hiver et l'été, demême qu'il distingue entre les vêtements de travail et ceux à porter.

(55) Columelle, par exemple, incite le maître à vérifier "l'état de leurs vêtements (lesesclaves enchaînés), de leurs manches et de leurs chaussures" (De R. R. 1. 8).

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LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLAVAGISTE 51CHEZ LES AGRONOMES LATINS

préceptes généraux de son époque et aux principes sociaux d'une certainementalité esclavagiste. Les habits ne constituent pas un signe de distinction au seindu groupe des esclaves. Il s'agit ici d'·une nécessité pour l'esclave et non d'unsigne pour valoriser la position sociale ou la richesse du maître. Cependant cette"ladrerie" au sujet des habits montre l'extrême exploitation des esclaves.

L'alimentation des esclaves représente un souci particulier des maîtres.Caton est le seul des agronomes qui ait consacré, entre autres, un chapitre à cesujet(56) (Agr. 56; 57; 58). Mais avant d'examiner ces rations alimentaires et lescritères de leurs distributions, il convient de noter qu'il faut distinguer la réalité dusouhait de Caton à ce sujet. Comment peut-on croire que le vilicus, qui a la chargede la distribution des rations, reçoive moins que ceux qui travaillent dans leschamps et les esclaves entravés (Agr. J42)? Il est évident qu'on est, ici, loin de laréalité, surtout lorsqu'on sait que le maître n'est présent que pour demander lescomptes au vilicus.

Mais néanmoins, ces chapitres restent une source capitale et fondamentale.Cela, non seulement en raison de la nature des rations, mais aussi de la quantité,chose qui permet, par exemple, à R. Etienne de tenter le calcul des calories quechaque esclave consomme(57). Le critère fondamental de la distribution des rationsalimentaires est le travail. Ainsi, un esclave malade n'est pas nourri comme celuiqui travaille (Agr. 2. 4). Caton insiste sur ce principe et module les rations suivantla qualité de l'esclave et l'effort fourni(58).

La prestation des rations pour les esclaves est entièrement en nature et on nenote pas de prestation en argent. Quant aux operarii, ne serait-il pas possible qu'il

(56) Varron, tout comme pour les habits. ne s'est pas donné la peine de prescrire des rationsalimentaires. chose qui aurait constitué un point de comparaison pour examiner si les rationsalimentaires ont évolué avec le temps. Comme on l'a vu auparavant. au sujet des habits, son silenceau sujet des rations alimentaires peut être expliqué par son accord avec les idées exprimées parCaton. De même chez Columelle, où il est possible de déduire que la nourriture du vi/icus estmeilleure que celle des autres esclaves. puisqu'il "lui sera permis d'admettre à sa table de temps àautre, et surtout les jours de fête, celui qui aura montré le plus d'assiduité au travail" (De R. R. 1. 8).Même si plus tard il recommande au vi/icus de manger le même pain que celui des autres esclaves(Ibid.) A noter ici, que chez Columelle aussi, le critère pour avoir une bonne ration alimentaire restel'assiduité dans le travail. Sur l'histoire générale de l'alimentation, voir 1.1. Hemardinquer. "Pour unehistoire de l'alimentation", Cahier des Annales, 28, Paris, 1970; 1. André, "L'alimentation et lacuisine à Rome, Les Belles Lettres, Paris, 1981.

(57) R. Etienne, "Les rations alimentaires des esclaves de la «familia rustica»" d'après Caton,Index, 10, 1981, pp. 66-67.

(58) Chez les autres agronomes, on ne trouve pas de critère de distribution de rations, et onpense qu'ils s'alignent entièrement sur les critères de Caton. Chez Columelle on trouve une précisionconcernant la qualité de la nourriture, recommandant au vilicus de veiller "avec soin à ce que le paindont il (le vilicus) mangerait lui-même fût bien fait et que les autres aliments fussent apprêtéssainement" (De R. R. 1. 8). On ne trouve pas de recommandations particulières à ce sujet chez Caton,par Contre le fait que ce soit la vilica qui prépare les repas aux autres esclaves laisse supposer que la

nOurriture est identique à celle du vilicus.

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y ait dans leur salaire une prestation pour leur nourriture(59), en plus d'une part dela production (surtout l'huile). Dans les prestations, on distingue trois rubriques: leproduit pour l'alimentation notamment le blé, les produits alimentaires surtout lepain, les raisins et les boissons, vin et piquette; et enfin, il faut ajouter certainsfruits secs comme les figues, les raisins secs et l'hallec au vinaigre qui constituentun supplément à l'alimentation de base.

"les rations de blé et de pain pour les esclaves"(60)

types d'esclaves1

hiver été moyenne1

moyennemensuelle journalière

-------~1vil~cLts, vilic'a 3 l1lodii 3 modii 26,101

0,870eplstate et pastor

1._- . ., 1 .. f---.----- _.

1 '--"-_...

esclave ordll1~ure ; 4 modu mensuels 4,5 l1lodii 37 1 1,233! =34,80 mensuels =39,15 1_..._-----------+-----_.

5 livres de pain 42,331

1,411esclave enchaîné 1 4 livres cie pain1 journalier =39 journalier =49i 1

1

Les esclaves recevaient tout d'abord du blé, qui constituait apparemment labase de leur alimentation, cette distribution était mensuelle. Pour ceux quitravaillent aux champs, elle est, durant l'hiver - période de repos relatif -, de 4modii par mois, et pour l'été - période de travail et de chaleur - de quatre modii etdemi. Le vilicus, la vilica, le surveillant (epistat) et le berger dont les fonctionssont physiquement peu éreintantes, recevaient une ration un peu inférieure, soittrois modii (AgI'. 56. 1).

Quant aux esclaves enchaînés, n'ayant pas la possibilité de piler les grains,ils recevaient les céréales sous forme de pain. Sachant que la distribution du painétait quotidienne, on leur donnait quatre livres pendant l'hiver, et cinq en été, ilsrecevaient donc plus de rations que les autres esclaves, et cela vient du fait qu'ilsétaient chargés des travaux pénibles.

Les esclaves ne recevaient pas uniquement du blé et du pain; ils recevaientaussi ce que Caton appelle le "Pulmentarium": alimentation qui fait passer le pain(AgI'. 58. 1)(61). Elle se compose essentiellement de trois produits: des olivesmûres, dont on ne pouvait plus tirer d'huile et qu'il fallait conserver dans le sel(AgI'. 58. 1), et des figues sèches (AgI'. 23. 1). Quand les réserves d'olives étaient

(59) On ne trouve nulle part chez les autres agronomes ce qu'on appelle de nos jours dans lemonde des ouvriers "les primes de panier". Il n'existe qu'une seule allusion chez Caton quirecommande de donner aux servants une portion d'huile proportionnelle il la quantité produite. Maislà aussi, il ne faut voir qu'un encouragement pour inciter à la production (AgI'. 145. 2).

(60) Ce tableau est présenté par R. Etienne, op. cir.. "Les rations alimentaires... ", p. 67, où lesportions de blé et de paill SOllt traduites ell kilogrammes: "le l/lodillS de blé représente Ull poids de 20livres, soit 6,54 kg et augmente d'un tiers à la panification, soil 2,18 kg, au total 8,72 kg".

(61) En se basant sur Pline H. N. XVIII. 66-68, W.-J. Oates avance que la ration de pain descolllpediti chez Caton était comptée par jour. W.-J. Oates, "A Ilote on Cato". De agriCllltura. A.J.Ph,LVI, 1934, pp. 67-70.

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CHEZ LES AGRONOMES LATINS

épuisées, les esclaves recevaient de l'hallec au vinaigre(621, dont les quantités nesont pas précisées. On leur donne aussi, chaque mois, un setier d'huile, ce quireprésente un peu plus d'un demi-litre par mois. Quant au sel, chacun doit recevoirun I1wdius par an.

"L<.'s rations de vin pour lafamilia par annt-('''

15. oct-15 déc(3 mois)

15 déc. - 15 Jan1 mois

15 Jan. -15 Mai5 Illois

15 Mai.-15 Sep4 mois

o 5 10 15 20 25

Nombre de litres par période (saufJa piquette)

,\ \.'c:" pIUJlIll.~ dIIIIlCIIIClII\'" <alulIldll icVlll. Ljlll C"i Cil 1<Ill LIll\.' ,,(lnc Je

"piquette" (la fora. dont on trouve la recette au ch, 25 de De Agricu!tum), Cl dontles qualités varient selon les mois. La consommation de vin augmente avec ledéroulement des travaux agricoles, et atteint son maximum entre le 15 décembre etle 15 janvier, où en un mois l'esclave reçoit 8 litres soit 46% du total du vin. Parcontre, cette ration diminue entre le 15 janvier et le 15 mai, où il ne reçoit que 3litres et demi de vin par mois soit J 6%. La ration commence à augmenter entre le15 mai et 15 septembre, où l'esclave a le droit à 6 litres par mois soit 35%, pourêtre totalement supprimée entre le 15 octobre et le 15 décembre, le vin estremplacé par la piquette. A noter que dans ce domaine aussi, les esclavesenchaînés perçoivent une ration supérieure à celle des autres esclaves.

La consommation du vin est dense entre le 15 décembre. et le 15 janvier.Pourtant d'après le calendrier des travaux agricoles(63), cette période ne constituepas une période de "plein travail". Il est donc possible d'expliquer la "densité" deconsommation de vin dans ce mois par la participation des esclaves à des fêtes,comme les fêtes de Saturne qui étaient très répandues, par exemple dans le Latium

(62) "Chair de poisson non encore réduite à l'état de garllll/". R. Etienne. op, cil.. "Les

rations alimentaires ...", p. 78.(63) P. Mazan, "Les Travaux ct les Jours". CO/limeil/aire, Paris, 1914 ; M.-C. Amouretti.

"Les rythmes agraires dans la Grèce antique", dans Riles el l'YI/illies agraires. Maison de l'Orient,Lyon. 1991. pp. 119-126. Pour le calendrier des travaux chez les Romains, voir en outre J. N. Rohert.La vie cl /a clIIl/pagne dans l'Allliquité romaine. Les Belles Lettrcs, Paris, 1985. pp. 215-217. Dans lecalendrier présenté par Varron (R. R. J. 6. 1-5), celui-ci divise l'année en huit périoeles. dont la

période de faihles travaux s'étend du 25/12 au 612.

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et d'autres régions de l'Italie. Sachant que les Saturnales tombaient vers la findécembre "les maîtres admettaient les esclaves à leur table et leur en faisaientmême les honneurs". Et comme, les maîtres étaient souvent en ville, les portionsde vin, élevées en cette période, peuvent être considérées comme le "cadeau dumaître". Pour les autres mois, on constate que le vin sert de support d'énergie.Avec le froid et la densité de travail, le vin apporte de la chaleur. Par contre, versl'été le vin est totalement exclu.

On constate l'absence de certains aliments comme la viande et leslégumes(64), mais il est évident que les esclaves peuvent se rassasier pendant lesjours de fêtes où ils participent aux festins rituels. Caton nous donne l'exemple dusacrifice annuel pour les semailles, et rappelle qu'on consomme - sitôt le sacrificeachevé - les mets composés de viande lors de la cérémonie pour la santé desboeufs(65). On remarque aussi dans le régime alimentaire l'absence de produitslactés et de fruits frais. Il reste à savoir si ces rations constituaient la seulenourriture du personnel servile. R. Goujard semble répondre par l'affirmati ve.Mais nous trouvons dans le De agricllftllra un indice qui nous permet de dire queles esclaves avaient droit - pour accompagner leurs rations de pain - à autre choseque le plilmentarilim. En effet, on lit au ch. 143, "qu'elle ait soin de tenir cuit dequoi manger pour toi et les esclaves ..." Cette phrase indique, sans équivoque, queles esclaves consomment aussi de la nourriture cuite dont la vilica avait laresponsabilité.

Reste maintenant à examiner les formes d'union et la sexualité quiconstituent un thème capital dans les études de groupes sociaux, et notamment decelui des esclaves dans l'antiquité(66). Ce thème apporte à la fois desrenseignements sur la population et son effectif, mais aussi sur le comportementaffectif ou abusif du dominant envers le dominé<67).

(64) Caton insiste à maintes reprises sur la consommation du chou; "Du chou. combien il ade vertu. et d'autres propriétés relatives à la médecine" (AgI'. 156. 1-7). C'est un produitindispensable pour l'alimentation. Il le conseille pour certains remèdes et donne des recettes pour sapréparation; pourtant on ne le trouve pas parmi les rations alimentaires des esclaves. Sur le chou etsa consommation dans l'Antiquité, voir E. De Saint-Denis, "Eloge du chou", Latomus. XXXIX.1980, pp. 838-849.

(65) "Dès que j'offrande sera faite, consommez les mets sur place" (AgI'. 83). Sur laconsommation de la viande et les habitudes alimentaires à Rome. voir M. Corbier. "Le statut ambigude la viande à Rome", DHA, XV, 2, 1989, pp. 107-158. Concernant la consommation des produitslaitiers, voir R. Etienne, "Fromages et alimentation à Rome", Histoire et Géographie des .fi'omages,Actes du Colloque de géographie historique, Caen, 1985, pp. 299-304.

(66) Sur la sexualité dans J'Antiquité, voir M. Foucault, "Le Souci de soi", Histoire de lasexualité, 2, Gallimard, Paris, 1981. Sur certains caractères de la vie sexuelle des esclaves et lavéritable nature du droit romain, voir M. Morabito, "Droit romain et réalités sociales de la sexualitéservile", DHA, 12, 1986, pp. 371-387. Les désirs sexuels sont souvent exprimés dans les rêves desesclaves; voir à ce sujet 1. Annequin, "Les esclaves rêvent aussi ... Remarques sur <<la clé des songes»d'Artémidore". DHA, 13, 1987, pp. 71-113.

(67) C'est le cas, par exemple, chez Martial où "les relations maître/esclave s'exprimentprincipalement dans le domaine des relations sexuelles", M. Garrido-Hory, Martial et l'esclavage,Les Belles Lettres, Paris, 1981, pp. 163-168.

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Il convient, ici, de traiter ces deux thèmes ensemble, parce qu'ils sontindissociables, d'une part, et, d'autre part, en raison de la rareté des informationsque nous possédons. Caton n'en dit presque rien. Ces besoins affectifs(sentimentaux) entrent surtout dans le cadre des rapports esclaves/esclaves etprécisément entre hommes et femmes. Outre les rapports viliclls/vilica, (Ag/~ 143,1-3), et la manière avec laquelle le ViliCllS doit traiter sa femme, nous ne trouvonsnulle trace d'un quelconque rapport entre les esclaves femmes et hommes. C'estpourquoi il est difficile d'étudier le problème sexuel des esclaves à partir du texte.Nous sommes loin de ce que rapporte Plutarque sur la prostitution organisée chezCaton(68). Le seul indice révélateur sur ce point est la phrase unique concernant lavilica : "si le maître te l'a donnée comme femme, tu te contenteras d'elle ..." (Agr.143, 1). Caton emploie exactement le terme llxor qui indique épouse et noncompagne. Ce qui laisse entendre qu'il est question, ici, d'un couple qui forme unefamille. Mais n'oublions pas que la vilica est une esclave choisie parmi les autresfemmes, et qui est donnée au vilicus. Ici, l'esclave ne fait pas lui-même le choix, ilne fait que respecter la volonté du maître.

De même chez les autres agronomes, les références à ce sujet sont limitées. Ilest donc difficile de se faire une idée claire sur les formes d'union chez lesesclaves ruraux et sur leur contribution dans l'augmentation de J'effectifesclavagiste(69). Tout comme Caton, Varron envisage aussi, pour les esclavesresponsables, des compagnes, ce "qui les rendra plus sûrs et plus attachés audomaine" (R.R. 1. /7,5)<70). Mais ni Caton, ni Varron ne semblent considérer cette"donation" pour les autres esclaves, en tout cas on n'en trouve pas de références.En revanche, Varron trouve utile de joindre une femme au pastor qui ne rentre pasSouvent à la maison; pour lui les esclaves étaient nombreuses, au point que leshommes pouvaient sans grande difficulté trouver une compagne (R.R. II. 10,6).

Columelle, en revanche, apporte plus de clarté à ce sujet, ainsi ilrecommande au vilicllS, tout comme Caton, une compagne prise dans les esclaves,et "qui l'attachera davantage à son devoir" (De R.R. 1. 8, 5). Aussi, il abordeclairement le rôle reproducteur de la femme et va même promettre la liberté pourune femme qui a donné naissance à plus de trois garçons, ce qui constitue unencouragement à la reproduction(7/).

(68) "Persuadé que les plus grands méfaits des esclaves ont pour cause l'instinct sexuel. ilstipula que les esclaves s'uniraient aux servantes en payant une taxe fixe, mais qu'ilsn'approcheraient jamais une autre femme" (Plutarque, Ca!. 21,2).

(69) R. Martin, "Du Nouveau Monde au Monde Antique: quelques problèmes de l'esclavagerural", Ktèllla, 5,1980, pp. 161-175.

(70) Varron aborde davantage la question des unions d'esclaves, notamment celle deséleveurs; voir à ce sujet R. Martin, "La vie sexuelle des esclaves d'après les Dialogues rustiques deVarron dans Etudes, 14, Les Belles Lettres, Paris, 1978, pp. J J3-126.

(71) "Quant aux femmes esclaves, nous avons toujours dispensé de tout travail et mêmerendu à la liberté celles qui avaient élevé plusieurs enfants; une esclave qui avait mis au monde troisgarçons n'était plus assujettie à faire aucun ouvrage, celle qui en avait davantage était entièrementlibre" (De R. R. 1. 8, 19). Il conclut ce sujet en encourageant la reproduction des esclaves, disant

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A quoi est due la négligence de cette question chez Caton? Il est possiblequ'il ait les mêmes idées que Xénophon(72) - qui constitue certainement "une deses références, même s' il ne le dit pas - qui expri me une grande réserve sur cepoint. Il recommande la séparation des deux sexes afin "que les esclaves ne fassentpas des enfants sans notre permission" (Xénophon, Econ. 9. 5). Mais si Catons'aligne sur cette idée, il n'en dit rien.

Concernant la contribution de la procréation des esclaves dans l'augmen­tation des effectifs serviles, les textes des agronomes ne permettent pas de se faireune idée précise. Mais néanmoins, on note l'encouragement des unions entreesclaves (notamment entre les supérieurs), on rencontre aussi des pueri quipeuvent être des petits esclaves, fruit d'une union d'esclaves. Or, certainsminimisent ce facteur, et soutiennent que la reproduction des esclaves, dansl'antiquité, n'a jamais constitué une véritable source(73). Cette hypothèse, SUltoutpour l'époque de Caton, reste très discutée, on ne trouve nulle part de limitation oud'interdiction de la reproduction des esclaves. En outre, même si la politiquemilitaire de Rome était une source d'esclavage, elle n'était pas suffisante pourrépondre à la demande.

Il ressort de l'examen des normes de la structure sociale servile et desconditions de survie que la réalité de l'esclave, c'est sa valeur matérielle, et ce quele maître achète représente en vérité une force de travail. Dans le système del'esclavage, pour s'approprier la force de travail et le produit du travail, il fauts'approprier le producteur. Et Caton le classe parmi les énumérations des biens, carla possession d'esclaves est un signe de richesse. Il est donc une machine,puisqu'il s'achète et se vend, et dans le droit romain, l'esclave est sous lapuissance de son maître qui a tous les droits sur lui. En conséquence, Je maître asur lui droit de vie et de mOlt(74). L'Etat n'intervient que pour protéger la propriété.On n'a aucun exemple d'intervention de l'Etat républicain pour protéger unesclave contre un maître cruel. Il faudra attendre le milieu du premier siècle pc.,pour voir apparaître dans le droit romain, des mesures limitées de protection del'esclave, comme par exemple, l'interdiction de livrer des esclaves aux bêtes sansl'approbation d'un juge.

qu'''une conduite équitable et sage de la part d'un chef de famille contribue beaucoup àl'accroissement de son patrimoine" (De R. R. 1. 8, 19).

(72) R. Martin op. cil., "La vie sexuelle des esclaves...", p. 175.(73) "Les esclaves ont la direction effective des entreprises, mais ils n'ont pas d'enfants (... )

Le fait est impressionnant: personne n'oserait affirmer que les esclaves ne font pas l'amour. Or. ilsignorent la pilule et pourtant ils se reproduisent peu". C'est un texte que j'ai relevé chez R. Martin.op. cil.. "La vie sexuelle des esclaves..... , p. 169. et que lui-même a tiré du dialogue entre P.c. Gaunuet G. Suffert. publié sous le titre La pesle blallche. Paris. Gallimard. 1976. p. 119.

(74) Sur la place de l'esclave dans le droit romain, voir G. Boulvert. op. cil.. "L'émergencedes rapports esclavagistes dans le domaine du droit romain ...", pp. 78-81 et voir aussi M. Morabito,op. cil., "Les réalités de l'esclavage d'après le Digeste ... 3, pp. 203-222 et les référencesbibliographiques; de même, voir J.-Ch. Dumont. op. cil.. "Servus. Rome et l'esclavage sous laRépublique...... pp. 83-125.

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57LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLA VAGISTECHEZ LES AGRONOMES LATINS

À la fin de la République, les esclaves sont dans tous les secteurs del'activité, dans l'agriculture, l'artisanat, les tâches domestiques. Ils interviennent àtous les niveaux de la production. Cette généralisation de l'emploi des esclaves estle flUit d'une dynamique économique et sociale dont on commence à connaître ledéveloppement et les résultats, mais elle cache aussi un malaise qui détruit lasociété: la crise agraire. Le fondement de cette dynamique dans le domaine agraireest largement prédominant, il faut le rechercher en posant la question de larentabilité de l'esclavage dans l'Italie après les guerres puniques, mais aussi cellede sa place dans le développement de l'économie rurale et sa contribution dansl'aggravation de la crise agraire.

IV. LA PLACE ET LES LIMITES DES ESCLAVES DANS L'ECONOMIE RURALE

Il n'est pas possible de cerner cette question en quelques lignes. Notreintention est de présenter et de revoir certaines idées, parfois trop générales, sur lerôle des esclaves dans la mutation de l'économie agricole, au début de la deuxièmemoitié du second siècle AC(75). Pour mesurer la place de la production esclavagistepar rapport à la production globale de la campagne, M. 1. Finley suggère la priseen compte de trois critères : la concentration de la terre, une agriculture tournéevers le marché, et l'absence de l'intervention de la main-d'œuvre libre dans letravail(76). En abordant le rôle des esclaves dans l'économie rurale, les étudesclassiques placent les esclaves dans les villae et les paysans libres dans les petitesexploitations(77). De là, elles arrivent à déduire que le système esclavagiste acontribué de près à la désertification de la campagne italienne et même plus tard àla chute de l'économie rurale romaine(78).

L'examen des rapports entre le capital, qui est l'entreprise, et la main­d'œuvre, nous permet-il d'évaluer le rôle de l'esclave dans l'économie rurale?C'est une démarche à suivre, en raison de la complémentarité entre la possessiondes deux capitaux: terre et esclaves. La notion du capital, notamment foncier(79),

(75) Pour une mise en parallèle du fonctionnement du système esclavagiste, dansl'organisation du travail agricole, dans le monde grec et romain, voir Y. Garlan, "À propos desesclaves dans l'Economique" de Xénophon, dans Mélanges P. Lel'êque. 2. Les Belles Lettres, Paris.1989, pp. 237-244.

(76) M. 1. Finley, op. cit.. Esclavage antique... , pp. 165-200. Sur les critiques de ces critères,voir M. Corbier, "La place des esclaves dans l'économie romaine aux 1er et lIème siècles après J.-c.,Opus. 6, 1982, pp. 109-113, et voir à ce qujet les réflexions de J.-c. Dumont, "quelques aspects del'esclavage et de l'économie agraire chez Pline", HelmGntica, XXXVII, 1986, pp. 293-306.

(77) Il faut bien noter que le type d'économie de la ferme paysanne, dont il est question autemps de Caton (Agr. 1. 7) et de Varron, est difficile à analyser en raison du manque de document.Voir à ce sujet, V.1. Kuziscin, "L'exploitation paysanne de l'ancienne Rome en tant que typeéconomique"; VDI. 1973, l, pp. 35-54 (résumé en français).

(78) A ce sujet, voir M. Jacota, "Les transformations de l'économie romaine pendant lespremiers siècles de notre ère et la condition de l'esclave agricole", dans Hommages il J. Macqueron,Aix-en-Provence, 1970, pp. 375-383.

(79) De Caton à Columelle, on trouve toujours une insistance sur les modalités del'acquisition du fonds. C'est par son choix que se détermine le sort de l'entreprise. A ce sujet, C.Nicolet remarque que le capital, qu'est la terre, "demeurera toujours le placement le plus sûr, le

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celle du revenu et le souci de la gestion chez les agronomes sont omniprésentes.C'est le capital qui sert de base pour déterminer le coût d'investissement, à savoirla nature et le type de production, les moyens employés pour réaliser le travail etles perspecti ves de l'entreprise(80).

À l'époque qui nous occupe, l'entreprise agricole catonienne est basée, entreautres, sur la possession et l'exploitation des terres. Mais pour que ce "capital"devienne rentable, il doit accueillir des cultures destinées au marché telles que lavigne et l'oliveraie. Ce type de culture constitue en soi un deuxième capitalrentable à long terme. L'engagement dans ce type de culture implique un troisièmeinvestissement, dans les ateliers, pour la transformation des produits agricoles enproduits alimentaires(8I l. La terre, comme capital isolé des ateliers, n'est pasrentable. Et pour que le profit soit efficace, il faut que la main-d' œuvre, dans cesdeux secteurs, soit non seulement en quantité sutTisante, mais aussi de qualité(82).

De là, il nous a paru possible de nous servir de la terre comme capital pourexaminer la place des esclaves dans l'économie rurale. Car les rapports entre lesdeux capitaux impliquent l'évaluation de l'esclave par rapport à la terre, de sontravail par rapport au temps de travail et au produit du travail. C'est dans cet étatd'esprit, strictement économique, qu'on peut comprendre le fameux conseil deCaton qui encourage à vendre les vieux esclaves, tout comme les chariots et les

placement-refuge par excellence: son prix restera le prix de référence pendant les périodes de criscou de dépréciation monétaire, dont il est, semble-t-i1, le meilleur indice", CI. Nicolet, Rome el laconquête du monde méditerranéen, t. 1: les structures de l'Italie romaine (Nouvelle Clio, 8), Paris,1977, p. 116.

(80) La terre. pour les Romains, était plus qu'un simple placement du capital. c'est uninvestissement de prestige pour "la haute société". C'est un signe de distinction sociale fondé sur lapossession d'un capital foncier se distinguant du capital marchand. Ce rôle s'est accentué après la lexClaudia en 218 av. J.-C. pour des raisons économiques et sociales. Sur la notion de terre commecapital, voir P. Grimal. La Civilisation Romaine, Arthaud. Paris, 1960, notamment le ch. VII, "Romeet la terre", pp. 205-234.

(81) Ce n'est pas un hasard si Caton a consacré plusieurs chapitres à la construction et il lacomposition des pressoirs. Il répondait aux questions quotidiennes des propriétaires sur les problèmesqui les tracassaient. Ainsi, il indiquait même les marchés de l'Italie pour acquérir les "appareils" dupressoir (AgI'. 135). On a l'impression que l'investissement dans l'équipement de la vil/a pour latransformer en une entreprise est de même nature que l'acquisition de la terre. Voir G.E. Fussel et A.Kenny, "Equipement d'une ferme romaine", Annales ESC, 1966, pp. 306-323.

(82) Il convient de noter que V.l. Kuziscin, dans son étude sur le domaine esclavagisteromain, conclut "qu'en Italie le type économique prédominant est la villa de dimensions moyennes,mais qu'il existe en fait trois structures économiques fondamentales: 1) la ferme paysanne, quiconserve son organisation archaïque; 2) la villa liée au marché et de banlieue (suburbanum), porteursdu mode de production esclavagiste sous sa forme classique; 3) le domaine il production extensive, eten paniculier la latifundium, qui constitue une structure spéciale, base pour l'extension de rapportsautres qu'esclavagistes", V.l. Kuziscin, Le domaine esclavagiste romain au If siècle av. J-c. 1ersiècle de n. è;, Moscou, 1973, p. ]4 (trad. M. Raskolnikoff). Pour la période qui nous occupe, on nepeut accepter que les deux premières structures qui sont attestées par Caton; la ferme paysanne et lavilla rustica avec les domaines de banlieue (A gr. 7. 1-4).

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LES NORMES DE LA RATIONALITÉ DU SYSTEME ESCLAVAGISTE 59CHEZ LES AGRONOMES LATINS

animaux. L'esclave rentre, là, dans l'engrenage de la rentabilité exigée par lastructure économique. D'ailleurs, Columelle, dans la même perspective, conseillede ne pas hésiter à payer le prix fort pour l'acquisition d'un esclave adroit pour levignoble (De R. R. III, 3,7).

Dans les rapports entre la ten'e et les esclaves, il faut se garder de voir systé­matiquement dans une grande exploitation un effectif important d'esclaves(83).L'exemple de Caton à ce sujet est révélateur. Dans une exploitation viticole de 100jugères (25 ha), on ne trouve que seize personnes, dont dix sont des operarii,certainement des saisonniers (A gr. Il. 1). Il s'agit bien là d'un domaine de culturepour le marché, dont la superficie est considérable pour l'époque. Pourtant,l'effectif des esclaves ne dépasse pas le 1/4. Il est possible de dire que Catonrationne la main-d'œuvre servile, mais néanmoins on constate qu'elle n'est pastoujours proportionnelle à la superficie du domaine ou à la nature de la culture.

L'esclave ne dépasse pas le secteur de la production dont il est chargé. C'estle maître qui dicte les limites de son intervention. On ne lui donne même pas lapossibilité de démontrer ses qualités dans la gestion des affaires. L'esclave estdonc réduit à un simple instrument d'intervention et d'obéissance. Ceci est encoreplus clair quand les agronomes lui interdisent l'accès au secteur financier, qui estcelui du commerce. Caton, Varron et Colummelle interdisent formellement auvilicus de se livrer à des activités commerciales. Il s'agit là d'une stricte limitationdu rôle de l'esclave.

Pour conclure sur la place des esclaves dans l'économie rurale, on peut direque celle-ci n'est pas en fonction de la superficie du domaine, ni du type deculture. Elle répond à la loi de l'offre et de la demande, celle du marchél84). Lesesclaves sont présents en masse dans les domaines si la guerre alimente sans cessele marché, ce qui permet aux propriétaires de se procurer ce dont ils ont besoin.Les esclaves n'étaient intégrés dans la société rurale que par le produit de leurtravail(85). Cette séparation est attestée au niveau économique et même juridique.À ce sujet, l'attitude de Caton est significative: il les classe parmi les biens aumême titre que le bétail et les outils de travail (AgI'. 10.1.).

(83) M. I. Finley conclut, quant à lui, que "la concentration de la propriété n'entraîne pasautomatiquement un accroissement de la taille des unités d'exploitation, et seules ces dernières sontimportantes pour l'examen des progrès et de la croissance économiques potentiels", M. 1. Finley, op.cit., "L'esclavage antique... ", p. 179.

(84) "Dans le monde antique, l'action du commerce et le développement du capital marchandaboutit toujours à une économie esclavagiste; ou, suivant son point de départ, elle. peut aboutir à lasimple transformation d'un système d'esclavage patriarcal orienté vers la production de moyens desubsistance directs en un système orienté vers la production de plus-value", C. Marx, Le Capital. III.l, sec. 4, chap. XX, éd. Sociales, t. VI, Paris, 1965, p. 340.

(85) Sur le mode de production esclavagiste: les forces productives, le régime foncier,l'organisation de la société et la fiscalité dans l'ensemble du monde romain, voir les rétlexions de G.Pereira-Menaut, "From Siavery Research to Political Economy", dans Mélanges P. Lel'êque, 5, LesBelles Lettres, Paris, 1990, pp. 307-314.

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60 SAlO EL BOUZlOI

Mais la structure des esclaves ruraux n'était pas homogène. Elle secaractérisait par la constitution de groupes plus ou moins importants. On peutdistinguer deux groupes, la familia rustica qui est constituée par des dépendantsattachés à la villa. C'est le groupe le plus important et le plus organisé, ce quiexplique que Caton recommande de les surveiller de près. C'est au sein de cegroupe qu'on trouve une structure hiérarchisée et, même si elle est imposée par lemaître, elle révèle l'existence d'une organisation. Le deuxième groupe estconstitué des bergers ayant la "liberté" de parcourir les territoires. Même si leurnombre est inférieur à celui du groupe précédent, ils sont plus "dangereux" : leurscontacts leur permettent de suivre la situation politique et économique de l'Etat,chose dont lafamilia rustica est totalement privéetR6).

On ne peut pas dire que cette structure dépasse le cadre de travail pouratteindre le domaine politique(87). D'ailleurs, les propriétaires étaient si bienorganisés que toute tentative de révolte était immédiatement réprimée. Il était, parexemple, difficile à un esclave de s'enfuir (Age. 2. 2), comme il lui était interdit decontacter d'autres personnes que les amis du maître. Cet isolement, s'ajoutant à lacréation du désordre (Plut. CalO. 21. 4) dans les rangs des esclaves, visait à cassertoute tentative d'organisation sociale servile et par là préserver les intérêtséconomiques de la classe dirigeante.

Saïd EL BOUZIDIFaculté des Lettres - Kénitr:.J

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JJ~J ~K.,:r- JjWI Jl c!~ t.?.lll ~~I .~,)L.,a;;~1 ~\~i~~~~I

.~.Œ\ Q~\ c..i ~.)W'Jf1 ;;~\ c..i~\(86) Sur l'organisation sociale cles classes inférieures. voir J. Annequin. M. Clavel-Lcvêquc

ct F. Favory. op. cÎl.• "Formes d·exploitation ...... pp. 26-32 ; F.M. De Robertis. Storia Sociale diROllw. le Classi !T~feriori, L'Erma, Roma. pp. 5-40 et 105- J23.

(87) Dans son étude sur les esclaves et la crise des institutions il Rome. J.Annequin démontrecomment les classes dirigeantes maintiennent les divisions dans les rangs des esclaves ct commentelles utilisent la peur du mouvement scrvile pour affoler l'opinion publique. J. Annequin."L'esclavage et la crise des institutions à Rome: la Conjuration de Catilina de Mériméc··. DHA. 18.1. 1992, pp. 37-58.

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 61-80.

LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUSEN ÉPOCA ALMORAVIDE

Rachid EL HOUR

En este trabajo intentaremos demostrar, por un fado, que el mush<lwar y elmufu son la misma persona, y por el otro, destacar los mecanismos deI cargo deimush<lwar en al-Andalus(l) en época almonivide, hacienda hincapié en ladistribuci6n geografica de los mushüwarOn.

mushawar y mufti

AI referise a los jurisconsultos (mush<lwarOn, pl. de mush<lwar) y los muftfes(muftOn, pl. de mufti), las fuentes ofrecen noticias y terminologfas ambivalentes paradesignar estos cargos jurfdicos. l.Se trataba, en realidad, de dos cargos dentro de laadministraci6n judicial andalusf 0 estos términos designan un solo cargo?

Mush;iwar procede dei verbo sh;iwara "consultar, pedir consejo", es decir,pedir una opini6n a otra persona sobre cierto tema. La persona a quien se pideopini6n se Hama l11ushüwar y no mushüwir(2), ya que esta ultima vocalizaci6n alteratotalmente el sentido de la palabra. El término mush;iwir ("el que consulta") puedereferirse al propio cadI.

Para designar esta funci6n, las fuentes biogrâficas(3) ofrecen la siguienteterminologfa :

Término calificativo: faql11 l1ulsh;iwar, denominaci6n que aparece mucha en laépoca almonivide; shüwira, slnÏwirafi l-abk<l111, sh<lwara-hu, quddùna /i-I-shOra.

Término que se refiere al desempefio dei cargo: muqadda111fi sh-shOr<i, tawallakhuççat ash-s/nÏra, wulliya ash-shOra y wulliya khuççat ash-shOra.

Término que refleja la pertenencia a un grupo: min jillat al-mush;iwarÏn, künafi 'id;id al-mushüwarïn.

(1) Véase en particular M. Marfn, "Shürà et ahL aL-shürà dans al-Andalus" Studia IsLamica,

61-62 (1985), pp. 25-51 Y "Shüra (dans al-Andalus)", E.I.2., S.v.(2) Juan MaI'tos Quesada, en su Tesis Doctoral (no publicada) que se titula Los lill/ft/es

andaLus/es (92-8981711-1492): colltribucion aL estudio de Las ùzstÏfuciones jurfdicas en aL-Andalus,

Granada, 1985 y D. Peinez Portales en su artfculo "La Shürà en al-Andalus", Anaquel de EstudiosArabes, IX (1998), 129-150, siguen esta voca!izaci6n en sus respectivos trabajos.

(3) En particular, Ibn 8ashkllwal, Ibn al-Abbar, Ibn az-Zubayr e Ibn 'Abdal-Malik al­

Marrakllshl. Véase la biograffa de nuestros personajes en las notas correspondientes.

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62 RACHID EL HOUR

Término que refleja su preeminencia en la instituci6n: taqallada ash-shür<ï,J;üza ri'üsat ash-shOrü; "adr fi ahl ash-shürü y ra 's fi-ash-shürü, etc...

En cuanto al segundo término, mufti, procede deI verbo aftü, ("dictaminar 0

responder a una consulta legal"). Las Fuentes manejadas utilizan la siguienteterminologfa:

Mufti, ~adr al-mufrTn, bna fi 'idüd al-mL!ftTn, za'iin al-muftiil, :;adr fi man

yustajtü, yuftT 0 aftü; kabTr al-n1LiftTn; k,inat al-futyél tadOnt 'alay-hi y 'aly-hi k:in

mad,ir al-futy,i, muqaddam al-muftin, ta:;addara al-futyü, ra 's .fi l-futyü, darb bi-l­

futy:ï, kana yuftTfi-l-ahkam, yuftTal-quç/cit fi nawazil al-ahk,im(4), kabir al-muftin, aft;:Ï

an-nüs, etc...

Estos son los términos mas importantes que ofrecen las Fuentes para designarel cargo dei jurisconsulto y el de muftI. A ellos podemos aiiadir las siguientesvariantes:

Faqih mushawar fi-l-ahkélm wa "adr al-n1L!ftin/ ra s ash-shOra... hinat al~futyél

tadOru 'alay-hi/ za'im al-muftiil wa muqaddam fi ash-shüd/ slnïwira ma 'a

shuyukhihi wa-dürat 'alay-hi-m al-futyü/ shaykh ahl ash-shürü... wa-'alay-hi kün

madür al~lutyü fT waqti-hi/ qaddama-hu li-sh-s/nïra wa-k:in mad,ir al~futy:l/

muqaddal11 fi sh-s/uïra... aftü (Ola 'umuri-hi/ J;élza ri'asat ash-s/uïrà... nuiftiyan...

darb bi-l-fatw,V darat 'alay-hi al-futy:L min al fuqah:l' al-mush:iwarTn/ ra s fi-l­

fatw,L wa ~adr fi ahl ash-shürü/ "adr ash-shürcl... wa-küna yuftL/ muqaddam fi-sh­

shüra, ha.?ir hi-l-fatw,V quddima li-sh-shüra wa-l-futyül/ shOwira hi-haladi-hi ~va­

aft,V mL!fti muqaddam fi-sh-shürü, etc... Ademas de esto, hemos de subrayar que lasFuentes bio-bibliognlficas utilizan diversos términos para referirse al mismomagistrado, como en los casos que se detallan a continuaci6n:

A 10 largo de la biograffa de AbC! Ja'afar Abmad b. al-I:lu.'?ayn b. 'Abd aJ­

Malik b. Isbaq b. 'Aççaf al- 'Uqaylï, Ibn Ad-DajnC'l, Ibn al-Abbflr dice: KélnafT 'id:id

al-muftiil; en cambio Ibn 'Abd al-Malik utiliza: shüwira. De 'Abd al-Wabid b. 'Isa b.

Sulayman al-I1bïrï, AbC! Mubammad, Ibn az-Zubayr dice: /J,iza ri',isat ash-shüra;

Ibn Bashkuwal, en cambio, dice: mufti. .. darb hi-l~f'atw:i. De Abü 'Abd Allah

Mubammad b. Idrïs al Juç!amï Ibn Gurrama al-JiIlïqï(6) Ibn al-Abbflr dice: k,ina

faqThan mL!ltiyan; en cambio, Ibn 'Abd al-Malik dice: kana a/wd al-fuqahél 'al­

mush,iwariil, etc ... Por tanto, podemos decir que las Fuentes al referirse a un mismo

personaje no siempre distinguen entre mushawar y n1Ldii.

En nuestra opini6n, este diferente canicter que se da a las dos funciones 0

cargos se debe a razones ligadas a dos aspectos de una misma funci6n ejercida por elalfaquf.

(4) Esta expresi6n no es muy usual y figura linicamente en época almoravide.(5) lA (C), 149; DT, t, 1. 20.(6) DT, t. YI, 298; lA (C), 1224.

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LA INSTITUCI6N DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORÂVIDE 63

Intentaremos aclarar el asunto a través de una noticia que ofrece al­Wansharïsï(7) y que consideramos respuesta adecuada a nuestro problema. Esta

noticia figura en las pâgs. 49-50 el vol. X dei Mi 'yar, donde se plantea una pregunta

al qaçii al-jam;ï'a de C6rdoba, AbD 'Abd Allah b. al-l:Iajj at-Tujïbï<8) acerca de las

condiciones fundamentales para ocupar el cargo de jurisconsulto (mushawar)(9).

Después de haber contestado a la pregunta, Ibn al-Ijajj aiiade 10 siguiente: una vezque se reunen esas condiciones en el candidato, el cadf debe consultarle y esentonces cuando puede elaborar dictâmenes jurfdicos pedidos por la gente (... wajaba

'alà al-qélçii mushélwaratu-hu, wa- 'alay-hi yufti an-néls /1Jïna 'idhin). De esta frase de

Ibn al-Hajj deducimos que cuando hablamos oel consejo consuItivo (majlis ash­

shür;l) deI cadf, estamos frente a un funcionario de la administraci6n judicial; es

decir, se le lIamaba jurisconsulto (mush{iwar) por su relaci6n administrativa con elcadI. En cambio, cuando se trataba de cuestiones y de preguntas jurfdicas planteadaspor particulares, a éste mismo magistrado se le lIamaba muftl.

Compartimos esta opini6n con Tyan(IO) cuando afirma que en al-Andalus, el

mushélwar deI cadf es la persona que emite fetuas al cadf; persona que formaba partedeI consilium deI juez, a quien el cadf pedfa fetuas. Lo que da un carâcter particular a

la instituci6n de la shOrél y la distingue de las demâs funciones publicas, es que se

confude fntimamente con laflltyél 0 consulta libre. Pues el mllshélH/ar estâ Iigado porun nombramiento regular a una jurisdicci6n determinada conservando el derecho de

ejercer laflltyél( II).

Hemos lIegado a la conclusi6n, al igual que L6pez Ortiz(l2), de que los dos son"conceptos vecinos, y a veces superpuestos, pero no son idénticos". El fundamentoes el mismo: se trata de responder a una consultajurfdica sobre un casa concreto(l3).

Estudio especial de la shüra

La slnïrél en el Islam ha sido objeto de varios estudios(14). Aquf pretendemosante todo Ilevar a cabo un analisis centrado en el estudio de las caracterfsticas de estecargo jurfdico administrativo desde el final de la época de taifas y en la épocaalmoravide.

(7) Al-Mi'yür al-mu'rib wa-l-jümi' al-mughrib 'an fatüwü fti'iqiya wa-l- Andalus wa-l-

Maghrib, cd, M. Hajjl y otros, Rabat, 1983, 13 vols.(8) lB (C), 1278; D, 25; GU, 47-53; IAM, 102, pp. 114-6; AZ, 11I/61,96, 102; MU, 102.(9) Destacaremos estas condiciones mas adelante.(10) L'histoire de l'organisation judiciaire en pays d'Islam, ParIs, 1938, t. I, p. 327.(lI) Véas E. Tyan, op. cit., p. 345. .(12) Derecho lIlusulman, Barcelona, 1932, p. 78. Véase también M. MarIn, "ShOrà et ahl

ash-shOrà... ", p. 49.(\3) M. Marfn, op. cit. p. 49.(14) Véase al respecta, Mab müd al-Khalidl, ash-ShOr.i, Beirut, 1984; Ka Ka KheI:

Muhammed Nazeer, "The conceptual and institutional development of shura in early islam", IslamicStudies, XIX (l980), pp. 271-282; M. Shafiq, "The rule and place of shura in the islamic polity",Islamic Studies. XXIlI (1984) pp. 419-441.

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64 RACHID EL HOUR

El estudio de la terminologia nos ha demostrado que en las dos épocas que nosocupan, existen las siguientes diferencias:

- época de taifas: Faqïh mushawar, mushéÎwar, mushawar fi-l-abkéÎm. küna fi

'idad al-mushéÎwarïn, shaykh ash-shüréÎ; muqaddam fi -ash-shüréÎ; shüwira fi-l­

abkam, tadüru. 'alay-hi ash-shüra. muqaddam fi ash-shüra, a/wd al-mushéÎwarïn,

wulliya ash-shüra.

- época almorâvide: Faqih mushawar, wulliya al-khaçaba wa sh-shüra.

taqallada ash-shüra, qaddama-hu li-ash-shüra, béÏza ri'asat ash-shüréÎ. wulliya

khuççat ash-shüréÏ(l5), albaqa-hu bi-sh-shüréÎ. min a,'>béÎb ash-shüréÏ, ,,>adr fi-ash­

shüra. shüwira, taqallada khuççat ash-shüréÏ.

La primera cuesti6n que nos Ilama la atenci6n es que no se menciona la khuççat

ash-shüra a finales de la época de taifas, 10 que podrfa significar que la shüréÎadquiri6 su canicter institucional en época almonivide.

Tanto al-Marrakushï coma Ibn'Abdün apû1tan datos interesantes acerca de losjurisconsultos en la época almoravide. Ibn 'Abdün, a través de su tratado debisba(l6), dice: "debe el cadi hacer que cada dia se sienten por turno en su curia dosalfaquies, a quienes pueda consultar, 10 cual dara mayores ventajas al publico ymayor eficacia y justicia a las sentencias. El cadi examinara sus proposiciones y lasprobara 0 no. Estos alfaquies consejeros no deberan ser mas de cuatro, dos en lacuria deI cadi (majlis al-qaçli) y dos en la mezquita mayor (aljama), cada dia pOl'tumo". Es verdad que Ibn 'Abdün habla de la ciudad de Sevilla a principios deI sigloVI/XII, pero estas noticias pueden generalizarse a muchas ciudades de al-Andalus, 0

al menos las mas importantes, coma Granada, C6rdoba y Valencia. El autor de al­

Mu"jib apoya 10 dicho pOl' Ibn 'Abdün y dice: "Continu6 'Alï (b.YÜsuf b. Tasht'ïn,segundo emir almonivide) la tradici6n de su padre en insistir en la guerra santa yatemorizar al enemigo y defender el pais (...). Fué muy dado a los alfaquies y sinombraba a uno de sus cadies, 10 comprometfa, entre otras cosas, a que no decidieseningun asunto ni dictase sentencia en materia pequefia 0 grande, sino en presencia decuatro alfaquies"(I7). No sabemos hasta qué punto esta noticia es cierta, ya que, enningun momento, las demâs fuentes arabes hablan de este numero de jurisconsultosen el cadiazgo andalusf bajo el poder almorâvide.

(15) Este término se encuentra con abundancia entre los jurisconsultos de Jativa y Valencia.Véase nuestra Tesis Doctoral (inédita), La Organizacion jurîdica de los almoravides en al-Andalus,U.A.M .. Madrid, 1996.

(16) Ibn 'Abdün, Rüüla.fi l-qaç/:ï' wa-/-/:Jisba, en Tahït ras:ï'iI anda/u.I'iyya.fi :ïd:ïb a/-bis/xIwa-I-mubtasib, ed. Lévi-Provençal. El Cairo, 1955, p. 9, trad., E. Garda Gomez y E. Lévi-Provençal.

Sevilla a colllienzos dei sig/o XII, el tratado de Ibn 'AbdOI1, Sevi lia, 1981, p. 53. Véase cl estudiointroductorio de E. Lévi-Provençal, "Un document sur la vie urbaine et les corps de métiers à Séville

au début du XIIe siècle. Le traité d'Ibn 'Abdün", Journal Asiatique. CCXXIV (1934), pp. 177-299.

(17) AI-Marrakushï, Al-Mu'jib .fT talkhïs akhb:ïr al-Maghrib, ed. M.S. al-'Aryan y M. al­

'ArabI al-'Alaml. Ad-dar al-Bayçla'. 1978, pp. 252-3. trad.. A. Huici Miranda, Tetuan, 1955. pp. 127­128.

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORÂVIDE 65

Respecto al numero de los mushélwarOn, parece ser que esta regla ya eraaplicada en Oriente en una época temprana, pues "en el siglo IV/X, Ibn Bajar indica,

en la cronica dedicada al cadf de Egipto, Ibn al-Baddad, que ese ultimo mantenfaaudencia, rodeado de cuatro personas, dos a la derecha y dos a la izquierda"(18).

Ademas el califa fatÎmf designo en la sede de El Caira a Ibn 'Awwam, en 40511 014"il lui intima l'ordre, dans le diplôme d'investiture de ne sièger, pour rendre la

justice, qu'avec l'assistance de quatre fukaha' de la cour, afin d'éviter qu 'il ne rendîtdes jugements contraires cl la doctrine adoptée par le calife "(19). Es muy curioso elhecho de que los fatimfes tuviesen esta norrna dentra de la administracion judicial.No sabemos, sin embargo, si se trata de influencia oriental en cuanto al numero de

los mushélwarOn en la audencia deI cadf andalusf en la época almoravide, 0 si se tratasolo de una simple coincidencia.

La shOrél como cargo jurfdico caracterizo las administraciones judiciales deiMaghrib y de al-Andalus, hasta el punto de que el funcionamiento "correcto" dedicha administracion dependfa, en gran medida, deI papel que desempefiaba el juris­consculto. Dice Ibn Farbün(20) que la audencia deI cadf es solo valida con laasistencia de un hombre de ley. Sin embargo, hemos de reconocer que "el sistema deconsilium es uno de los aspectos que fueron marginados dentro deI sistema judicialmusulman"(21). Los cadfes debfan consultar a los alfaqufes antes de tomar cualquierdecision jurfdica(22). Abü I-Mu\:arrif ash-Sha'bï(23) (m. 49711104) ofrece un caso

interesante acerca de la importancia de la shOra. Se trata de una pregunta que le fueplanteada cuando era cadf de Malaga(24), acerca de un bakim que habfa emitido susentencia sin pedir consulta alguna a los alfaqufes. El cadf Abü I-Muçarrif ash-Sha'bi

respondio que el bakùn debfa haber consultado a los alfaqufes, como era costumbreentre los compafieras deI Profeta. Dijo también que Sabnün habfa indicado que elcadf debfa consultar a los que gozaban de su confianza y que el mufti era quiendictaminaba mientras que el cadf solo debfa ejecutar 10 que éste habfa dictaminado.

Papel juridico dei mushawar

El siglo VIXI da testimonio de varios acontecimientos en los que se manifiestael papel primordial de los jurisconsultos respecto a las decisiones jurfdicas. Basta con

(18) Véase E. Tyan. op. cit., p. 321.(19) Ibidem, p. 321 ;

(20) Tab,'iirat al-bukkâlll. [s. a], p. 29.(21) E. Tyan, Histoire, t. 1, p. 315.(22) No estamos de acuerdo con Gaudefroy-Demonbynes (Les institutions lIlusulmanes, 3°

edici6n, Paris, 1964, p. 153) cuando dice: "Le cadi juge seul, et si la doctrine l'engage à s'entourer deconseillers (choura), iln 'est nullement obligé de tenir compte de leurs avis".

(23) Véase al-Abk[l/ll, ed. AI-Sadiq al-Halwï, Beirut, 1992, p. 97, casa n° 58. También al­

Wansharïsï menciona este caso, v. al-Mi'yar, t. X, pp. 58-59.(24) Fue nombrado por el emir Yusuf b. Tashfin. Véase lB (C), 739; D, 1041; TM, VIII, 186.

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66 RACHID EL HOUR

citar el famoso casa de Ibn I.Hitim at-Tulaytulï<25) que fue ejecutado tras varias

consultas a los alfaqufes mas conocidos en aquel entonces, Ibn 'Attab e Ibn Sahlentre otros. En época de taifas se confirma que las consultas jurfdicas, dentro

siempre deI marco general de la escuela malikf, traspasaban los Ifmites adminis­

trativos y las fronteras polfticas. El caso de Ibn I:-Iatim at-TulaytulI pone demanifiestro varias cuestiones: en primer lugar, demuestra la unificaci6n de al­Andalus a nivel deI madhhab predominante, ya que vemos al cadf de Toledoconsultando a los alfaqufes de varias ciudades y taifas de al-Andalus, en particular a

los de C6rdoba. En segundo lugar, vemos que Ibn I:Iatim fue ejecutado en C6rdoba,es decir, que a pesar de la divisi6n polftica de al-Andalus, el poder polftico-judicialde la taifa sevillana respet6 el desarrollo deI casa y ejecut6 al culpable después de

haberle ofrecido el derecho dei i 'dMir. De este modo, vemos que la pena de muerte

contra Ibn I:Iatim at-Tulaytull tuvo lugar s610 después de haber hecho variasconsultas entre los alfaqufes de todo al-Andalus. Por su parte, Ibn SahJ{26) ofrececasos interesantes que ponen de manifiesto el deber deI cadf en consultar a losalfaqufes. Por ejemplo, en uno de ellos(27) nos informa que un hombre compr6 unamula en Toledo en rabI' I 456/marzo 1064 Y se la !lev6 a Valencia. Dos mesesdespués se di6 cuenta de que la mula tenfa algunos defectos, present6 una denunciaal cadf de Valencia, acompanandola de argumentos que aseguraban que la mula tenfadefectos antes de comprarla. El cadf de Valencia comunic6 la queja a través deIdelegado deI comprador al cadf de Toledo. Ademas el cadf le ofreci6 al vendedor elderecho deI i 'dhar. Este ultimo present6 a sus testigos, que eran al mismo tiempoveterinarios, y que aseguraron que habfan asistido a la venta de la mula y que notenfa ningun defecto.

Lo mas importante de este casa es la petici6n de consulta hecha a los maestrosmas importantes de la época, Ibn 'Attab(28\ Ibn al-Qanan(29) e Ibn Malik(30).

La shür<Ï fue un mecanismo fundamental que caracteriz6 la historia deI Islam,pero no se sabe hasta qué punto se aplic6 a nivel jurfdico, en particular en Oriente,

25) Véase en particular, M. 'A., KhallaF, TaWl wathü'iq.fi lIlubürabat al-ahwü' wa-I-bida'.fial-Andalus. El Caira, 1981. Documento 3, p. 103; M.I. Fierra, "El proceso contra Ibn Hâtim at­Tulayçulï (aoos 457/1 064-460/1 072)", Estudios Onomastico-Biogréificos de al-Andalus. VI (1994),pp. 187-215.

(26) Véase M. 'A. Khallaf. WaI!J']'iq.fi a(-(ibb al·isWmJ wa-wa{:ifatu-hu.fi mu'üwallat al­

qaçiiï.fi ai-Alldaills (mustakhraja min mahk(ll( al-abk<"ïm al-kubrü li-I-q:ïçlïAbo I-A"bagh 'Isà b. Sahlai-Alldalusï), El Cairo, 1982, casa n° l, pp. 16-18.

(27) Ibidem, casa n° 12, pp. 82-83.

(28) Mubammad b. 'Attab b. Mubsin, Abü 'Abd Allah. Véase lB (C), 1194; DM, 1l/241-242;TM, t. Vlll, p. 131; MK, V1/584; SN, 119.

(29) Ahmad b. Mubammad b. 'Isa b. Hilal, Ibn al-Qanan, Abü 'Umar. Véase lB (C), 130;DM, 1/181-182; TM, t. Vlll/135-l36; TH, 1ll/246; SN, 119.

(30) 'Ubayd Allah b. Mubammad b. Malik, Malik, Abü Marwan. Véase lB (C), 670; TM, t.VIII, 136-137.

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORÂVIDE 67

donde la shOra se caracteriza por su papel polftico mas que jurfdico. En al-Andalus,parece que la shOra goza de un desanollo mas importante que en Oriente(31). El

cargo de la shOra existia salo en el Maghrib y al-Andalus(32) coma una de las khurarcomplementarias deI cadiazgo andalusf.

Nombramiento dei mushawar

Normalmente el mush:Jwar es nombrado par el califa, a el emir, pero en otroscasas vernas que otros responsables intervenfan en este nombramiento. Khallat'(33)

afirma que el nombramiento de los mushawarün en la época almoravide dependfadirectamente deI emir, pero nuestro estudio muestra que también en épocas de crisispolftica, el nombramiento de los mush:JwarOn podfa efectuarse fuera deI control deIpoder central. Manuela Marfn(34) dice: "Après la disparition du califat umayyade. la

nomination des mushawarüm reste une prérogative du pouvoir politique. mais dansdes périodes d'effacement de ce pouvoir, les juges désignent leurs conseillers". Porotra paIte, en la biograffa de Abü -Qasim b. al-Jadd(35) podemos observar que la

poblacian de Niebla la nombra para la khurrat ash-sluïr:J. Ademas las fuentes nosinforman que el cadf de Murcia, Abü I-'Abbas b. al-I-:lallal(36), nombra a Abü 'Abd

Allah b. al-Faras(37) para la khurrat ash-slnïr:J de Murcia. Tenemos constancia de que

el cadf de Valencia, Abü Muhammad b. Jabbaf, nombra a Abü 'Abd Allah

Mubammad b. 'Abd Allah b. al-Bana'(38), en la khurrat ash-shLïra en Valencia. Parotro lado, las fuentes biograficas nos informan de que el gobernador, a su vez, podfa

nombrar a los mushawanïn. Tenemos constancia de que Abü Mubammad 'Àshir b.

Mubammad b. 'Àshir b. Khalaf b. Murajja b. Ijakam al-An~arl(39) fue nombrado

para la khurrat ash-shOra par el gobernador almoravide deI Levante, Abu Zakariyya,Yabya b. Ghaniya.

De este modo, se observa que los gobernadores también podfan intervenir en el

nombramiento de los mushawanïn en época almoravide.

Evolucion de la shüra

Parece c1aro que la shOréJ évoluciona a 10 largo de la historia de al-Andalus,coma refleja en parte la terminologfa(40). Khallaf(41) ofrece datos acerca de estos

(31) Cf. M. Marin, "Shûrà et ahl ash-Shûrü ", p. 28.(32) M. 'A. Khallaf, Ta'rïkh al-qaç/ü' bi-l-Anclalus min al-fath al-islümi ilü al-qarn al-khümis

al-hijrJ, El Caira, 1992, pp. 321-380.

(33) T;lrikh al-qaçùl'... , p. 328.(34) "Shüra", op. ci!. Véase también E. Tyan, op. cit., t. 1, p. 344.(35) Véase lB (C), J267; DT, t. VI, 841.(36) Cf. lA (C), 174; IAM, 28, pp. 40-41; DT, t. 11/627; D. 368.(37) Cf. lA (C), p. 508, n° 1394; DT, t. VI, 995; DM, II/pp. 261-262; SN, 452.

(38) Cf. DT, t. VI, 718; lA (C), 1319.(39) lA, 1954; IZ, 319; DT, t. VIl, 182; D, 1274.(40) Hemos visto que en la época almonivide apareciô el término Klut{{at ash-shûrü.

(41) Ta'rikh al-qaçfü'... , p. 328.

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68 RACHID EL HOUR

cambios indicando que en la época de taifas, el l11ushliwar 'Abd Allah b. Thabit b.Sa'id b. Thabit(42) llevaba el nombre de awwal al-jam~ï 'a en Zaragoza y que era elunico que 10 llevaba, ya que no existfa en ninguna de las demas taifas, cosa quellama poderosamente la atenci6n.

Estos cambios nos empujan a suponer que la shOr~ï a principios de la historiade al-Andalus no era un cargo jurfdico, sino que la ejercieron fitqah<î' prestigiosos,

coma Yahyà b. Yahyà (m. 234/484), Sa'ïd b. Basan (m. 235/849) 0 'Abd al-Malik b.Babïb (m. 238/852), que viajaron a Oriente y estudiaron con los grandes juristas desu tiempo"(43). Pero en la época almoravide, la shOr{i se convirti6 en un cargo

jurfdico bajo el nombre de khuttat ash-shOr<ï, 0 wil<ïya, los cuales son, segunTyan(44) términos reservados especialmente para designar las funciones publicas.Creemos que los almoravides se distinguieron, en 10 que respecta a la administraci6njudicial, pOl' su sistema de consejo consultivo, insistiendo en que este sistema comamecanismo controlaba el buen funcionamiento de la justicia y la actuaci6n deI cadI.De esta forma, en nuestra opinion, los almoravides ponfan de manera indirecta a losjuristas al servicio de la ideologfa deI estadd4S).

El l11ush<îwar en la época almoravide tuvo un gran peso tanto jurfdico comapolftico debido a la polftica que aplicaron los almoravides hacia la clase de losalfaqufes desde el principio de su movimiento. La mayor parte de las fuentes arabes,en particular Ibn 'Idharï, al-Marrakushï, Ibn Abï Zar' al-Fasï, entre otros que hablandeI movimiento almoravide, pone de relieve esta polftica y sefialan sus elementosfu ndamentales(46).

Hemos de tener en cuenta que existfan dos tipos de consultas, las que hacfa elemir a los alfaqufes y las que hacfa el propio cadI. El emir hacfa consultas sobrecuestiones administrativas y sobro problemas tanto religiosos como civiles(47). POl'

ejemplo, el emir 'Alï b. Yüsuf b. Tashfin nombr6 l11ush~ïwar suyo al jurista 'AbdAllah b. Shabüna al-Azdï y contaba con él para dictaminar fetuas(48); ademas

(42) Véase lA (C), p. 1954.(43) M. Marin, op. cit.(44) Histoire ... , p. 344; M. Marin, op. cit.

(45) NlIestro estlldio dei cargo de ~übib al-abkii/ll nos ha demostrado que la evoluci6n de laadministraci6n judicial era paralela al desarrollo polftico y social deI estado almoravide. Véase

también la Tesis Doctoral (inédita) de M. al-MaghrawI, Khurrat al-qaç/:ï' bi-I-Maghrib Ji ad-dawla

al-muwabbidiyya, 551-668/1121-1269, Diploma de Estudios Superiores de Historia, Universidad

Mubammad V, Rabat, 1987, en particular el 10 cap.(46) Véase nuestro artlculo, "C6rdoba frente a los almorâvides: familias de cadfes y poder

local en al-Andalus", Revista del 1nstituto Egipcio de Estudios 1s/amicos en Madrid, XXIX (1997).pp. 182-210.

(47) Véase M. Marin, op. cit.. p. 30.

(48) Véase TM, t. VIII, p. 206. Este jurista fue jurisconsulto de] cadi de Salé Ibn Qasim;

luego se traslado a Aghmat. Goz6 de una gran posici6n en la época dei segundo emir almoravide,

'Ali. También véase GU, p. 454.

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORA VIDE 69

nombr6 a Abü Bakr b. al-'Arabï como mush<ïwar antes de ser nombrado cadf deSevilla(49). Por su parte, al-Wansharïsï(:'iO) aporta casos interesantes acerca de las

consultas que hacfa el poder polftico. Tenemos constancia que el emir 'Alï b. Yüsufmand6 una carta al cadI Abü Abmad b. Mubammad b. Ward y a otros alfaqufesandalusfes para consultarles sobre la venta de las propiedades de los dhimmfes(51).

Las Fuentes bio-bibliograficas ofrecen mas datos acerca deI cargo de la shüràen la época almoravide, de los cuales se puede deducir que el consilium en estaépoca se desalTollaba de manera muy paralela al conjunto deI sistema polftico entero,sobre todo si tenemos en consideraci6n el hecho de que el funcionamiento deisistema judicial refleja muy claramente el tlorecimiento 0 la debilidad deI sistemapolftico.

En las Masa'il de Ibn Rushd se recoge un casa en el que un cadI aceptaba losargumentos sin consultar a nadie, y se conformaba con su propio conocimiento, por10 que fue destituidO<52).

La existencia de los jurisconsultos limitaba la libertad de la acci6n deI cadI -enparticular en la época almoravide, ya que fue una polftica apoyada por el régimen

polftico- sobre todo si se trataba de fuqaha' de gran prestigio y que gozaban de graninfluencia polftica, pero la personalidad deI cadI también era un factor importante(53),ya que, seglin Ibn 'Abdün(54l, el cadI ejerce a su vez una especie de control sobre losjurisconsultos : "El cadI examinara sus proposiciones (...) si se conforma con estadecisi6n, bien, y si no, que se les destituya". No sabemos por tanto hasta qué puntose respetaban las opiniones de los jurisconsultos. Es verdad que el cadI toma susdecisiones jurldicas y emite su sentencia después de consultar a los alfaqufes. Sinembargo, frente a cualquier desacuerdo entre los alfaqules, el cadI tomaba lasdecisiones jurfdicas basandose en las opiniones de los jurisconsultos y cuando losalfaqules no estaban de acuerdo, se le ofrecfa la posibilidad de aplicar su propiocriterio, con cierta Iibertad(55l. El cadI, durante la primera etapa de la evoluci6n de la

shürà, consultaba a los mushawarun en su I1lOjlis( 56l, la que provocaba discusionesanimadas cuando habfa opiniones diferentes entre sus consejeros. Pero parece ser

que, con el tiempo, los l1U1shawarun tomaron la costumbre de dar sus respuestas a

(49) Cf. lB (C), 1297; D, 180; DM, 11/252-256; YQ, 1/268, pp. 202-262; MU, 105-106; NT(A), 11/25-36; SN, 136; IS, 1/249; GU, 66-72.

(50) Véase al-Mi'yiir, t, VIII, pp. 56-57.(51) Ibidem, t, VIII, pp. 56-64.(52) Véase el t. Il, la cuesti6n na 12 deI casa na 304, pp. 1127 Yss.

(53) M. MarIn, op. cif., p. 46.

(54) Ibn 'Abdün, op. cit., p. 9, trad., p. 53.(55) Véase Masii'illbn Rushd, ed. Muhammad 'Abd aI-Habib at-TijkanI, Ad-Dar al-Bayçla'.

1992. casa na 30, pp. 174-175; D. Powers, "Kadijustiz or qiiçlT-justice? A paternity dispute l'romfourteenth-century Morocco", lslamic Law and Society, 3 (1994). pp. 332-366, espec .. p. 366.

(56) Véase Lévi-Provençal. l'Espagne mllsllimane all Xe siècle: lnstifwions et vie sociale,

ParIs. 1932. p. 82.

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70 RACHID EL HOUR

los cadfes desde sus casasC'i7), ya que Ibn 'Abdün(58) se opone a esta actitudexplicando los motivos y dice: 'Ninguno de ellos (los alfaqufes consejeros) debenitener consulta en su casa, pues unas veces sentirfa tentacion de salir y otras estarfadurmiendo, descansando 0 divirtiéndose, sin cuidarse de sus visitantes, con 10 cuallos emolumentos [de los alguaciles que acompafian a los litigantes] aumentarfan, losdfas pasarfan y l,acaso el hombre sano siente los dolores dei enfermo? Ello serfatambién motivo de que el dinero de las gentes se fuese en gastos de justicia, porqueel alguacil [que acompafiase al litigante a casa dei alfaquf y no 10 encontrase] dirfa:"He pasado con él todo el dfa y no me ha dado mas que tanto. Que los alfaqufestomen su parte de responsabilidad en 10 que he dejado de ganar"; osea, que elalguacil se convertirfa también en reclamante y litigante. Evidentemente, el que losalfaqufes tengan consultas en sus casas y el que haya que ir a verlos constituye unabusa grave".

Las consultas inclufan todos los aspectos de la vida cotidiana, ademas deproblemas polfticos. Las obras de fiqh que aparecen en la época almoravide ofreceninteresantes datos acerca de los problemas de la sociedad maghrebo-andalusf y

destacan a los mushawarLÏn que pmticipaban en resolver estos problemas. A travésde los casos presentados se ven claramente las etapas de su desarrollo y como sereparten las tareas, dei cadf por una parte, y de los jurisconsultos por otra.

La obra de Ibn Sahl, Al-Abkam al-kubr;ï(59), presenta una serie de casos en losque se observa la actividad de los consejeros hasta el sigloV/XI: basta con citar,ademas dei caso de Ibn I:Hitim ya mencionado, el dei asesinato de aç-Tubnï, en el quemuestra como los jurisconsultos expresaban sus opiniones por escrito.

La época almoravide produjo un numero abundante de obras defiqh, de 10 cualse puede deducir que esta época se caracterizo por una importante elaboracion

jurfdica. Entre las mas impOitantes se encuentran: MaséÎ'il de Ibn Rushd 0 Fataw;ï deIbn Rushd(60), Madhahib al-bukkam de al-Qadï 'lyad(61), Naw;ïzil de Abü 'Abd

Allah b. al-Hajj at-Tujïb~62), Al-Abk;ïm de Abü I-Muçarrif b. Qasim ash-Sha 'bi,

Nawazil de Ahmad b. Sa'ïd b. Bashtaghir al-Lakhmï al-Lürqï, que murio en51611122-1123(63), Abk;ïm de Ibn Dabbüs(64), Naw;îzif de Abü l-Walïd Abmad al-

(57) Véase E. Tyan, op. cit., (Consilium du magistrat en Andalusie), p. 399; M. Martin,

"ShOr~l", op. cit.(58) op. cit., 9, trad., pp. 53-54.

(59) Véase las varias publicaciones Ilevadas a cabo pOl' Muhammad 'Abd al-Wahhab Khallafantes mencionadas.

(60) Véase Fatawà Ibn Rushd, ed., AI-Mukhtar at-Talïlî, Beirut, 1987,3 vols. y Masiï'il IbnRushd, op. cit.,

(61) Ed. M. Bencherïfa, Beirut, 1990, traducciôn y estudio de Delfina Serrano, Madrid, 1998.

(62) 'Abd ar-Rahman al- Yüsufï (Universidad 'Abd al-Malik as-S'adï, Tétuan) estapreparando la ediciôn de este manuscrito.

(63) Muhammad Boukhobza de Tetuan esta preparando la ediciôn de este manuscrito.

(64) La ediciôn de este manusrito ha sido tema de Tesis en Dar al I:-Iadït al-I:-Iasaniyya de

Rabat, presentada pOl' Idrïs as-Sufyanï que fue leida en 1994. La tesis no esta publicada.

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORÂVIDE 71

Hilâlï al-GharnaÇï, Ibn Baqawï, que muri6 en 53011135-1136, ,Naw(lz.il de Abü 1­Qasim Abmad b. Mubammad b. 'Umar at-Tamïmï, Ibn Ward(65}, entre otras.

Todas estas obras proceden de la época almoravide y salvo la obra de IbnDabbüs, pertenecen a autores andalusfes. En ellas se pone en evidencia tanto el papel

de los mush(lwarün y sus actividades jurfdicas, coma las consultas hechas por lapoblaci6n, los cadfes 0 por el emir almonivide, que representaba la maxima

autoridad polftico-religiosa. Por ejemplo, las Mas(]'il de Ibn Rushd proporcionandatos acerca de una consulta(66} que le hizo al cadf, jurisconsulto y mufti de C6rdoba,

Abü l-Walïd b. Rushd (al-Jadd), el emir almoravide, AbC! Ya'qüb Yüsuf b. Tashtln.

La consulta trata de la postura almoravide hacia 'ibn al-kaWm. En otra ocasi6n lasmismas Mas(]'il ofrecen datos acerca de un debate que tuvo lugar en Tanger entre losulemas de la cidad(67}. El casa trata sobre lafutyâ, categorfas de muftfes y el ijtih(ld.Ibn Rushd es unD de los muchos ejemplos que demuestran las caracterfsticas de la

funci6n de la shürajutya en al-Andalus en la época almoravide. En otro casa queofrece Al-Mi'yélr(68), aparecen registrados los nombres de los fJu/sh(hvarüll mas

destacados de la época almoravide: Abü Mubammad b. 'Attab, Abü I-Qasim

Asbagh b. Mubammad, AbC! I-Walïd b. Rushd, Abü 'Abd Allah b. al-Hajj, Abü'Abd Allah b. Khalïfa, AbC! I-Muçarrif ash-Sha'bï.

Condiciones deI mushawar

En cuanto a las condiciones fundamentales para ocupar el cargo de mushawarson, en cierta medida, semejantes a las deI cargo cadI. En particular, el candidatodebe ser un faqTh versado en la ciencia dei derecho y debe presentar garantÎas

suficientes de piedad y moralidad(69}. Abü 'Abd Allah b. al-H~ljj at-Tujïbï, qaç1ï al­

jama'a de C6rdoba, citado por al-WansharïsPO), pone de manifiesto las condiciones

fundamentales para el cargo de mushawar, bajo el tftulo "~ifat al-ladhTyanbaghi ail

yush(lwar". El cadf y mufti de C6rdoba cita varias condiciones: el candidato debe serun sabio efectivo; debe temer a Dios; debe tener confianza en sÎ mismo y en susabidurfa; debe ser conocedor deI Coran, las tradiciones deI Profeta y la juris­prudencia; debe ser conocedor de lexicografia y semantica; debe ser una persona encuya religiosidad y piedad se pueda confiar; debe creer en 10 que dictamina, aconsejao propone, y no debe inclinarse hacia sus propios deseos ni ser codicioso (al-haw(]

wa-ç-çamd).

(65) Van Kaningsveld esta preparanda la edici6n deI manuscrito en la Universidad de

Leiden.(66) Masa'il, casa 153, pp. 716-718.

(67) Masa'U, casa n° 354, p. 1319.(68)T.X,p.51.(69) Véase Tyan, op. cil., p. 319.

(70) Mï:)'<II~ t. X. pp. 49-50.

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72 RACHID EL HOUR

No obstante, estas condiciones son mas formales y teoricas que pnicticas yreales, ya que el ejercicio de los cargos judiciales ha demostrado que hay muchasmagistrados a miembros de la administracion judicial que no poseen cualidadessuficientes para ocupar los cargos jurfdicos, sin embargo, fueron nombrados cadfes,a jurisconsultos. Fijémonos en el casa concreto de la edad. La fuentes bio­

bibliograficas ofrecen datas acerca de muShaWarLln que ocuparon sus cargos siendomenores de edad, coma Mubammad b. Abmad b. 'Abd al-Malik b. Müsa b. 'Abd al­Malik b. 'Abd al-Jabbar(71) que ocupo el cargo de mushawar antes de cumplir losveintiun anos. En cambio, tenemos constancia de otros personajes que ocuparon el

cargo de mush<zwar siendo mayores, coma AbC! 'Umar Abmad b. 'Abd al-Malik al­Ishbïlï (m. 40111 01 0)(72), que tenfa InaS de cuarenta allaS cuando ocupo su cargo a

'Abd a~-~amad b. Müsa b. Hudhayl(73) (m. 48311 090), que ocupo el cargo teniendo

alrededor de cincuenta allaS. El propio Ibn Sahl fue nombrado mushawar antes de

cumplir los cincuenta allaS, pero 'Abd ar-Rabman b. 'Attab tenfa alrededor de lostreinta anos cuando la hizo.

Pensamos que la cuestion de la edad no era decisiva en la eleccion de los

mush<zwaron, sino que se imponfan el conocimiento y la sabidurfa dei candidato, enparticular el conocimiento del.fiqh, y de los kutub aljurO', en la época almonivide.A veces se tomaban en consideracion otros elementos, par ejemplo la pel1enencia afamilias conocedoras dei fiqh y famosas par ello. Se trata, entonces, de cargoshereditarios de la administracion judicial. Par ejemplo, la familia de los BanC! 'Attflb,cuyos miembros fueron jurisconsultos-muftfes, al menas durante la época que nosocupa; ademas tenemos constancia de que algunos miembros de la familia de los

Banü Mughïth de Cordoba ocuparon el cargo de jurisconsulto, a la familia de losBanü Qudra de Valencia, entre otras.

Dentro de la institucion de la shürà, pensamos que no habfa jerarqufa alguna, yque se trataba solo de elementos ligados a la persona que ejercfa el cargo de

mushawar. Las fuentes bio-bibliognificas nos aseguran que las diferencias eransolamente terminologicas y no reflejaban nada respecta a las categorfas de la

funcion. De hecho, algunas fuentes dicen que tal alfaquf fue mush<1war y otras ,sadr

ash-shOr<1. Estamos de acuerdo con Tyan cuando dice: "Cependant, par l'effet de lacompétition qui s'établit nécessairement entre les membres d'une même profession,un certain nombre se distinguent pour leur valeur personnelle. On leur connaÎt alorsen fait une certaine préséance, certains titres honor(fiques. Ainsi tel juriste devient

"le premier parmi les mushawar de Seville, ou "le chefde la shOr<î", ou "le sh:zykhdes gens de la shOr:ï "(74).

(71) Véase lA, 749 YlA (C), 1514.(72) Véase TM, IV/635.(73) Véase lB (C), SOS.(74) E. Tyan, op. cil., p. 346.

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORÂVIDE 73

La distribucion geogratica de los mushawarClll(75)

Nuestro estudio de los mush<ïwarOn en al-Andalus pone de manifiesto que la

mayor parte de los mush<ïwarOn estaba concentrada, como se vera mas tarde, endeterminadas localidades, especialmente en las mas conocidas por su papeltrascendental en la evoluci6n de la administraci6n judicial andalusf. Por otro lado, ytal como se ha podido apreciar en nuestro estudio sobre los cadfes, la instituci6n de

la shem.I, a su vez, conoci6 una gran proliferaci6n de mush<ïwarOn en lugaresdispersos por toda la geograffa andalusf. A esta se une el hecho de que la época

almoravide se caracteriz6 por un numero abundante de mush<ïwarOn en comparaci6n

con la época anterior. Por ejemplo en las localidades donde figuran mush<ïwarOn enlas dos épocas observamos 10 siguiente:

En Calatayud, uno en época de taifas y uno en época almoravide; en Almerîa,dos a finales de época de taifas y seis en época almoravide; en Cordoba, once enépoca de taifas, cuatro en época de transicion y diecisiete en época almoravide; enGranada, tres en época de taifas y veintiuno en época almoravide; en Jéitiva, uno enlas dos épocas y seis en época ahnoravide; en Malaga, dos en época de taifas y dosen época almoravide; en Murcia, dos en época de taifas, uno en época de transicion yseis en época almoravide; en Sevil1a, dos en época de taifas, unD en época de

transicion y siete en época almoravide; en Valencia dos en época de Ibn JabbM ycatorce en época almoravide y en Zaragoza, cuatro en época de taifas y cuatro enépoca almoravide.

De estos datos se observa que elnumero de los mush{iwarOn en época de taifasno Ilego a superar los 28; en cambio alcanzo los 69 en época almoravide. La mayorîa

de los mush<ïwarOn se concentra, coma es logico, en Granada por su estatus decapital andalusî en esta época, le siguen Cordoba, Valencia, Sevilia, Almeria, Jativa,Murcia y Zaragoza. Ademas de estos, las fuentes biograficas dejan c1aro que losalmonivides crearon mas puestos de mush<ïwarOn en localidades que carecîan deellos en época anterior con la finalidad de conseguir el mayor control posible. Yestas localidades son las siguientes:

Alcantara (uno); Algeciras (tres); Badajoza (uno); Beja (uno); Cambil (dos);Denia (ocho); Guadix (uno); Jaén (siete); Lérida (U11O); Niebla (uno); Onda (uno);Orihuela (dos); Priego (uno); Santa Marîa de Algarve (uno); Silves (cinco); Tortosa

(uno); Ubeda (uno); Valencia (dos en época de Ibn JabbM y catorce en épocaalmoravide).

No cabe duda que Valencia adquiri6 una importancia peculiar en épocaalmoravide tanto a nivel polîtico como a nivel judicial(76). Valencia en particular y elLevante en general se beneficiaron de la situacion geografica como arma de defensafrente a enemigo cristiano, par 10 que los almoravides prestaron un gran interés a

(75) Véase la nomina de los J1luShÜrarüll en nuestra Tesis Doctoral antes mencionada.

(76) Un trabajo en preparacion.

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74 RACHID EL HOUR

esta zona deI Levante, y al mismo tiempo proporcionaron una cierta libertad al poderlocal de la ciudad, también al poder de otras localidades, para que se hiciera con el

control de la administraci6n de justicia. Si los Banü Wajib al-Qaysï, los Banü 'Abd

al-'Azïz y los Banü Jabbaf destacaron coma cadfes, los miembros de la familia de

los Banü Qudra at-Tujïbï destacaron coma jurisconsultos. Tenemos constancia de

dos miembros de esta familia, Abü Bakr 'Abd al-'Azïz b. Mubammad b. Sa'd, Ibnal-Qudra(77) que ejerci6 de fnllshüwar en época de Ibn Jabbaf y su hijo Abü I-Hasan

'A~im b. 'Abd al-'Azïz b. Mubammad b. Sa'd b. 'Uthman at-Tujïbï, Ibn al-Qudra(78)que los hizo en época almonlvide(79).

Algumas familias andalusfes, como veremos a contrinuaci6n, controlaron el

cargo de fnllshüwar en sus correspondientes localidades. Obervamos, por ejemplo,

que varios miembros de la familia de los Banü 'Attab y Banü Mughïth ejercieron el

cargo de jurisconsulto de C6rdoba; los Banü al-Jadd al-Fihrï 10 hicieron en Sevilla;

los Banü Zamanïn y los Banü al-Qa~ïr y los Banü ad-Dajn al-'Uqaylî 10 hicieron enGranada. Todo ello puede confirmar el hecho de que la élite andalusf se tOl'nabasobre los cargos judiciales en sus correspondientes ciudades independientemente delas condiciones exigidas para ejercer los cargos.

Dada la amplia lista de los fnushüwarün nos limitaremos a proporcionar lan6mina de los jurisconsultos de Granada, G6rdoba, y Sevilla:

-GRANADA:

Abü Khalid y Abü Mubammad 'Abd Allah b. Mubammad b. 'Abd ar­Rabman b. Mubammad b. Mubammad b. 'Abd Allah b. Zamanïn al-Murrï(80) (497­545/1104-1150).

Abü Mubammad 'Abd al-I:Iaqq b. Ghalib b. 'Abd ar-Rabman b. Ghalib b.

Tammam b. 'Abd ar-Ra'üf b. 'Abd Allah b. Tammam b. 'Açiyya(81) (481-541/1089­1147).

'Abd al-Malik b. Abmad b. Mubammad b. Abmad b. Mubammad al-Azdï, Ibn

al-Qa~ïr(82) (m. antes de 540/1145-1146).

Abü Marwan 'Abd al-Malik b. Mubammad b. Ïsà b. Sulayman al-Hama­

dhanï<83) (m. después de 530/1135-1136).

(77) 18 (C), 792.(78) lA (A), 2459; DT, t. VII, 185.(79) Cf. M. L. fi" vila, "Sociedad", p. 355. La autora ofrece el nombre de otro miembro de esta

familia: Mubammad b. Sa'd b. 'Uthman, Ibn al-Qudra at-TujlbI, AbD Mubammad, m. d. 444/1052.(80) IZ3, 162; DM, 1, p. 446; 10, t. 111/412-413; lA (C), p. 829, nO 2016.(81) IZ, t. VII, 5; IAM, 340, 259-260; lB (CÀ, 828; MU, p. 109; DM, II/57-59.(82) IZ3, 395; lA, 1707; DT, t. VII. 8.(83) IZ3, 396.

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORÂYIDE 75

Abü I-Qasim 'Abd ar-Rahïm b. Mubammad b. al-Faraj b. Khalaf b. Sa'ïd b.

Hisham al-AnsarT al-Khazraji, Ibn al-Faras(84) (472-542/1079-1148).

Abü Mubammad 'Abd Ar-Rabman b. Jamra b. Mubammad b. Jüdi as-Sa'di,

Ibn al-Qaffal(85) (m. 509/1115-1116).

Abü Bakr 'Abd ar-Rabman b. Sa'Td b. Juzayy al-Kalbi(86) (480-55311 088­1158).

Abü la'far Abmad b. 'Abd al-W~lbid b. 'Ïsa al-Hamdani(87) (50-53911106­1145).

Abü l-I-:-Iasan Abmad b. Abï 'Umar b. Mubammad b. Mubammad al-Azdi<88).

Abü I-I-:-Iasan Abmad b. Abmad b. Mubammad al-Azdi, Ibn al-Qasir(89) (m.531/1137).

Abü la'far Abmad b. al-I-:-Iu~ayn b. 'Abd al-Malik b. Isbaq b. 'Attâf al­'Uqayll, Ibn ad-Dajn(90) (471-542/1079-1148).

Abü Ja'far Abmad b. 'Umar b. Khalaf al-HamdânT, Ibn QabamJ(91) (460-526/1068-1132).

Abü I-I-:-Iasan 'Ali b. Mubammad b. al-I-:-Iasan al-tIaçframi, Ibn al-Muradï(92)(m. alrededor de 540/1145-1146).

Abü I-I-:-Iasan 'AIT b. Mubammad b. Ibrahïm b. 'Abd ar-Rabman: Ibn al­

Oabbak, Ibn al-Baqari, an-Nafzi(93) (509-559/1115-1162).

Abü 'Abd Allah Mubammad b. 'Abd allah b. 'Abd ar-Rabman al-Midhhaji<94)(m. antes de 540/1145-1146).

Abü 'Abd Al1àh Mubammad b. 'Abd Al1àh b. ar-Rabman b. Mubammad b.

Sa'ada b. Ahmad b. 'Uthman al-Midhbajï, Ibn Sa'ada(95) (m. 532/1137).

Abü 'Abd Allah Mubamad b. 'Abd al-'Azïz b. Baghi<96) (m. 518/1124-1125 0

519/1125-1126).

(84) IZ3, 380; IAM, 223, p. 245; lA, 1664.(85) IZ3, 300.(86) IZ3, 320.(87) lA (C), 138; DT, t. 1/350. Su padre también fue jurisconsulto.(88) D, 383.(89) DM, 11198; lB (C), 198; DT, t. III O.(90) lA (C), 149; DT, t. 11120.(91) lA (C), 95; DT, t1l45 l; D, 449; DM, III 20.(92) IZ, 172; lA, 1852.(93) IZ, 193; lA, 1854; DM, 11/115-116; DT, t. YII, 566.(94) lA (C), 1273; DT, t. YI, 987.(95) DT, t. YI, 749.(96) lA (C), 1193.

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76 RACHID EL HOUR

Abü 'Abd Allah Muhammad b. Ahmad b. Malik al-Murrï<97) (m. 53711142­1143)1

Abü 'Abd Allah Muhammad b. Sa'ïd b. Ahmad b. Sa'ïd b. 'Abd al-Barr b.Mujahid al-An~arï, Ibn Zarqün(98) (501 0502-586111070 1108-1190).

Abü I-Basan Yahyà b. Muhammad b. Sa'ïd b. 'Umar b. Dï-n-Nün ath­Tha'labï, Ibn ar-Ramalyuh(99) (m. 57611180-1181).

Abü Bakr Yabyà b. 'Uthman b. 'Uthman al-Hamdanï, Ibn Furnujaluh(IOO)(500-57011107-1176).

-CORDOBA:

Abü I-Asbagh 'Abd al-' Azïz b. 'Abd Allah b. Mubammad b. Abmad b.Bazmün(IOl) (440-508/1049-115). Es probable que también ocup6 el cargo en épocade taifas.

Abü I-Qasim(I02) 'Abd al-'Azïz b. Muhammad b. 'Attab b. Mubsin(I03) (440­491/1049-1098). Es probable que jerciera el mismo cargo en la época de taifas.

Abü Marwan 'Abd al-M~dik b. Masan'a b. Tufayl b. 'Azïz al-Yah~ubï(I04)

(476-55211084-1157).

Abü I-Qasim 'Abd ar-Rahman b. Abmad b. Khalaf b. Riç!â(IOS) (470-54511078-1150).

Abü 1-:f:Iasan 'Abd ar-Rahman b. Muhammad b. 'Abd ar-Rahman b. SayyidAbï-hi(I06). Puede que haya ejercido el cargo en las épocas taifas y almoravide como

jurisconsulto y 0cïbih as-süq, pero como predicador y director de la oraci6n en laépoca almoravide.

Abü Muhammad 'Abd ar-Rahman b. Muhammad b. 'Attab b. Muhsin(I07)(433-520/1042-1126).

(97) DT. t. VI. 138; lA (C), 1277.(98) DT, t. VI, 597; lA (C). P. 540, N° 1468, DM, 11/259-260.

(99) lA (C). 653.(100) IZ. 362.(101) lB (C), 795; GU, 173.

(102) Hijo de Abü 'Abd Allah Mubammad b. 'AW'ib b. Mubsin lIlawlà de 'Abd al-Malik b.

Sulayman b. Abï 'Attab al-Judhamï que fue secretario dei cadï Ibn Sashïr y luego jurisconsulto.(103) lB (C), 793.

(104) IZ3, 404; lB (C), 778; IAM, 233, pp. 253-254; DM, 11118; Fatjwà Ibn RIIShd, t. Il p.1097; Al-Mi'y<ïr, t. III, p. 388.

(105) IZ3, 318; IAM. 217, pp. 249; lB (C), 754; 0,999.(106) lA. 1565; IZ3; 295. IZ, 148.(107) lB (C). 747; DM, 1/479; MK. V/184.

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORAVIDE 77

Abü Ja'far 'Abd a~-Samad b. Müsà b. Hudhayl b. Mubammad b. Tajït al­

Bakrï(108) (433-495/1 042-11 0 1).

Abü Ja'far Abmad b. al-Bu~ayn b. 'Abd al-Malik b. Ishaq b. 'Aççaf al­

'Uqaylï, Ibn ad-Dajn009) (471-542/1079-1148).

Abü Ja'far Abmad b. Ibrahïm b. Abmad b. Ibrahïm, Ibn SufyanOIO) (446-511/1068-1117).

Abü Ycmus Mughith b. Yünus b. Mubammad al-An~arï, Ibn a~-Saffar(lll)

(496-552/1 094-1157).

Abü 'Abd Allah Mubammad b. 'Abd al-Malik b. Mas'üd b. Müsà b.BashkuwaI b. Yüsuf b. Daba b. Na~r b. 'Abd al-Karïm al-An~arï(l12) (m. 514-/1121­] 122).

Abü 'Abd Allah Mubammad b. Abmad b. Abï Süfa al-HajarïCI13) (m. 513/1119-1120).

Abü I-Walïd Mubammad b. Abmad b. Mubammad b. Rushd(l14) (450-520/]058-] ]26).

Abü 'Abd Allah Muhammad b. 'Ali b. 'Abd al-'Aziz b. Ijamdin at­TaghlibiC 115) (439-508/1 048-1114).

Abü 'Abd Allah Muhammad b. A~bagh b. Mubammad b. Mubammad b.A~bagh al-Azdi, Ibn al-Muna~if(C116) (m. 536/1141).

Abü I-Walid Mubammad b. Yünus b. MughithCl17) (480-547/1 088-1152).

Abü I-Ijasan Yünus b. Mubammad b. Mughith b. Mubammad b. Yünus b.'Abd Allah b, Muhammad b. MughiI b. 'Abd Allah, Ibn a~-Saffar(118) (447-532/1055-1137).

. SEVILLA:

Abü I-Ijasan 'Ali b. Abmad b. 'Abd ar-Rahman b. Abmad b. 'Abd ar­Rahman b. Ya'ish az-Zuhri, al-Baji(l19) (409-567/1097-11171).

(108) lB (C), 806.

(109) lA (C), 149; DT, t. 11120.(110) lB (C), 163.

(III) 18 (C), 1386; IAM, 177, p. 196; IZ3, 83; D, 1375.

(112) lA (C), p. 526, n° 1429; DT, t. VI, 1096.

(113) lA (C), 1176; DT, t. V/2, 1156.(114) 18 (C), 1270; D, 24; DM, II1248-250; YQ, 259, pp. 254-255; GU, 54-7; MU, 98-99:

AZ, III/59; IS, 1/162; RQ, 112; IG, 1/114.(115) D, 231; lB (C), 1254; GU, 46-47; TM, t. VIII, p. 193.(116) rs (C), 1288; IS, t. 1, p. 51; IAM, 118, p. 130-131.

(117) lB (C), l301.(118) lB (C), 1518; IAM, 313, pp. 319-21; D, 1505.(119) IZ. 204; lA, 1861; IAM, 269, pp. 185-286.

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78 RACHID EL HOUR

Abu I-Qasim AI-Hasan b. Mubammad b. al+Iasan al-Hawzanï(120) (435­51211044-1119).

Abu Bakr Mubammad b. 'Abd Allah b. Mubammad b. 'Abd Allah b. Abmadb. Mubammad b. 'Abd Allah, al-Ma'Mirï, Ibn al-'Arabi"(l21) (468-5431107611148).

Abu Bakr Mubammad b. 'Abd Allah b. Yahya b. Farb b. al-Jadd al-Fihri",Ibn al-Jadd(l22) (496-58611 102-1 190).

Abu Bakr Mubammad b. Abmad b. Mubriz b. 'Abd Allah b. Sa'i"d b. Mubrizb. Umayya, al-Muntajinshi"(123) (479-56911086-1 174).

Abü 'Abd Allah Mubammad b. Sulayman b. Khali"fa b. 'Abd al-Wahid(l24)(m. en 49911 105-1 1060500/1106-1107).

Abu Bakr Yabyà b. 'Abd Allah b. Jadd al-Fihri"(125J. Ejercio su cargo enépoca almoravide y quizas en la época de taifas.

CONCLUSIONES GENERALES

La institucion de la s/uïrà junto al cargo deI cadf y otros miembros de laadministracion formaban la otm cara deI sistema polftico almoravide, sobre todo sitenemos en consideracion que la shürél y los mushélwarün, seglin creemos, fueronuna fuente primordial de la legitimidad deI poder polftico, sobre todo para lapolftica de los impuestos(126J. Debido a esta raz6n, el desarrollo y la evoluci6n deambos poderes fueron paralelos y la debilidad de uno de ellos tuvo comaconsecuencia la debilidad deI otro. Los acontecimientos que sufrio al-Andalus afinales de la época almoravide, en particular las varias derrotas deI ejércitoalmorâvide, y la debilidad deI poder central, motivaron la aparicion de variasrevueltas e intentos de independencia encabezadas par cadfes a partir de 539/114­1145(127J.

(120) lB (C), 318.(121) lB (CÀ, 1297; D, 180; DM, 11/252-256; YQ, 1/268, pp. 202-262; MU, 105-106; NT

(A), 11/25-36; SN, 136; IS, 1/249; GU, 66-72.(122) lA (C), p. 542, nO 1469; DT, t. VI, 840; YQ, 1/278, pp. 272-273.(123) lA (C), p. 512, nO 1400; DT, t. VI, 139.(124) lB (C), 1242: TM, t. VIlI, 187; MU, 100; D, 127; NT (A), 100.

(125) D, 1483; 18 (C), 1481.(126) Ibn Rushd, que era cadf y jurisconsulto en la época almoravide, fue quien propuso al

emir 'AlI b. Yüsuf b. Tashfin la construcci6n de mut'allas; ademas y coma consecuencia de esto, el

poder almoravide orden6 la paga dei famoso impuesto at-ta'tTb para lIevar a cabo dicha construcci6n

(Véase al-Bayün, t. IV, pp. 73-74). Esta orden no recibi6 protesta alguna pOl' parte deI poder judicial.A esta se une el hecho de que el poder polftico, a su vez Iigitimaba y ejecutaba las "6rdenes"

procedentes deI poder de los alfaqufes. Basta con citaI' la quema de la obra de Ibyü' 'uLOm ad-dTn de

aI-GhazalI 0 la de portaci6n de los mozarabes.

(127) Basta con citaI' la rebeJi6n de Abü Ja'far b. I;Jamdln en C6rdoba, Ibn Juzayy en Jaén,

Abü Marwan b. 'Abd al-Malik b. 'Abd al-'Azlz en Valencia, Abü I-f:lasan b. Adbà en Granada, Ibn

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LA INSTITUCION DE LA SHURA EN AL-ANDALUS EN ÉPOCA ALMORÂVIDE 79

El estudio de la administraci6n judicial de al-Andalus en la épocaalmoravide, particularmente el consejo consultivo, demuestra que hubo unacontinuidad en sus Ifneas generales, con algunas diferencias Iigada al nuevorégi men norte-africano, de la instituci6n de la shilnL Este estudio pone demanifiesto que en la época almoravide, y posiblemente en épocas anteriores, elmuftt y el mushawar eran la misma persona, y que hubo un numera abundante defuqaha' muhâwarilm, sobre todo si la comparamos con la época anterior. Hemosvista que en época almoravide aparacen algunos términos para designar el oficiodeI mushâwar~ en los cuales se puede apreciar un cierto cambio en la instituci6n dela slnïrâ. Creemos que los almoravides, norteafricanos, plantearan en al-Andalus,gracias a la creaci6n de varios puestos de mush;;ïwar en varias localidadesandalusfes, una polftica judicial para conseguir un control severo sobre laactuaci6n de los cadies polftica y judicialmente.

Rachid EL HOURMadrid

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Abï la'far Murcia y Ibn Hassün de Malaga! Todas ellas fueron revoluciones encabezadas pOl' cadfes.

Véase en particular M.I. Fierro, "The qtiç/î as ruler" en Saber religioso y poder polftico ell el Islam,Madrid, 1994, pp. 71-116, pp. 87-110; M.J. Viguera, Los reùlOs de taifas y la illvasiones magrebies.Madrid, 1992, pp. 189-201; '1. Dandash, AI-Andalusft nihfiyat al-murabitîfl, Beirut, 1989, pp. 76-94;también véanse nuestos artfculos "Biograffas de cadres en época almoravide: analisis de las fuentesarabes", Estudios Onollulstico-Biogrcijicos de al-Ane/alus, Vlll (1997), pp. 177-199y "C6rdoca enépoca almoravide: al-Andalus y el poder polftico almoravide", Qurruha, 1IJ (1998), pp. 81-94.

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80 RACHID EL HOUR

SIGLAS DE LAS FUENTES ARABES:

lA: Ibn al-Abbar, At-Takmila li-kitüb a,'i-5ïla, ed. F. Codera, Madrid, 1887­89,2 vols.

IAA: At-Takmila li-kirab (/.'j-Si!a, ed. M. Alarc6n, en Miscelanea de estudiosy textos arabes, Madrid, 1915.

lA (C): Ibn al-Abbar, At-Takmila li-kitüb a,'i-Sila, ed. '1. al-Husaynl, ElCairo, 1955, 2 vols.

IAM: Ibn al-Abbar, Al-Mu'jam ft asb:ïb al-qüçlï al-imüm Abï 'Ali a,'i-.:·''adaji;ed. Codera, Madrid, 1885 (B.A.H., IV)

lB (C): Ibn Bashkuwal, Kitüb ah5i!a, ed. '1. al-'Aççar, El Cairo., 1955.

IG: Ibn al-Khattb, Al-Ib:ïça ft akhb:ïr Gharn:ïça, ed. M. 'A 'Inan, El Cairo,1973-77, 4 vols.

IZ: Ibn az-Zubayr, Silat a.:;-Sila, ed. E. Lévi-Provençal, Rabat, 1937.

IZ3: Ibn az-Zubayr, Sitat as-Sita, ed. 'A.S. al-Harras y S. A'rab, AI­Muhammadiyya, 1993.

IS: Ibn Sa'ld, al-Maghribl, Al-Mughrib.fï bulà al-Maghrib, ed. Sh, L)ayf, ElCairo, 1955, 2 vols.

D: Ad-Qabbl, Bughyat al-multamis ft tarïkh rijül al-Andalus, ed. Ibrahim al­Abyarl, Beirut, 1989.2 vols. (D).

DM: Ibn Farbün, Ibrahim b. 'AIl, Ad-Dïbüj al-mudhahab ft ma'rifat a'yün'ulama' al-madhhab, El Caria, 1972, 2 vols.

DT: AI-Marrakushl, Ibn 'Abd al-Malik, Adh-Dhayl wa-t-takmi!a, l, ed. M.Bencherlfa, Beirut, [s. a.], (2 partes); V, ed. 1. 'Abbas, Beirut, 1965 (2 partes); VI,ed. 1. 'Abbas, Beirut, 1973 (2 portes). VIII, ed. M. Bencherlfa. Rabat, 1984, 2 vols.

GU: 'Iyad, Abü I-Fadl b. Müsa, Al-Ghunya, ed. M. Jarrar, Beirut,1402/1982.

MK: Kahhala, 'Umar Ridà, Mu'jam al-mu'alliftn. Tanïjim musannif-i l-kutubal-'arabiyya, Damasco, 1376-8111957-61, 15 vols.

MU: AI-Nubahl, Al-Marqaba al-'uly:ï ed. E. Lévi-Provençal, El Cairo, 1948.

RQ: Ibn Abl Zar', Al-Anis al-muçrib bi rawç1 al-qirçüs ft akhbé-ïr muiok al­Maghrib wa-madïnat Füs, Rabat, 1973.

SN: Makhlüf, M., Shajarat an-nOr az-zakiyya jï rabaqüt al-mülikiyya, ElCairo, 1950-52.

TH: Adh-Dhahabl, Tadhkirat al-buff:ïz, Hyderabab, 1968-7, 4 vols.

TM: 'Iyaçl, TartTb al-madürik wa-taqrïb al-mas:ïlik li-ma 'rifat a 'lümmadhhab Mé-ïlik, varias editores, Rabat, s. a., 1983, 8 vols.

YQ: Ibn al-Qadl, Jadhwat al-iqtibüs ft dhikr man balla min al-a 'l<ïm madïnatFüs, Rabat, 1973-74,2 vols.

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 81-88.

TROIS MAQALÀT AU SUJET DES ÉPIDÉMIES DEPESTE EN ANDALOUSIE ET AU MAGHREB

SUZANNE GIGANDET

La peste, ou plutôt "les pestes", de l'antiquité à l'époque moderne, ont faitl'objet d'innombrables spéculations philosophiques, religieuses, politiques et scienti­fiques dont les trois petits traités présentés ici fournissent des exemples, car leursauteurs ne font que reprendre en fait les idées de leurs prédécesseurs. Les trois

maqaléït ont été copiées au XVe siècle, en 861 et 877/1457-1472, puis réunies dansun recueil dont un manuscrit, peut-être unique, est conservé actuellement au Maroc.

Les vagues successives des épidémies qualifiées du nom générique "peste"sont attestées dès le Ve siècle avant J.-C.: la peste d'Athènes, qui a fait un nombreconsidérable de victimes, est restée un des symboles les plus forts de la terreurqu'inspirait le fléau venu d'Orient. Ces épidémies se sont succédé en Occidentjusqu'au XIxe siècle, et peut-être même au XXe sous la forme de la "grippe espa­gnole", que certains soupçonnent d'être un avatar de la peste pulmonaire.

Les chroniques et les récits arabes font état de ces situations catastrophiques,mais sous une forme fragmentaire, en mettant l'accent sur des données chiffréesconcernant la chelté des denrées, conséquence de leur raréfaction, et le nombre desvictimes qui, sans doute, n'est pas toujours exact.

Ainsi, la Dhakhïra as-sanniyya fi tarikh ad-dawla al-marïniyya, de Ibn AbïZar"(l) nous donne pour l'année 658 une liste des prix des denrées de base: blé,fèves, miel, farine blanche, etc., mais sans mentionner une cherté anormale. Pour leMaroc, on trouvera des études sur les famines et les épidémies à partir de l'époquemérinide, XIIIe-XIVe siècles, jusqu'à celle du royaume saâdien, xve-xvne siècles.L'ouvrage de M. Kably, Société, pouvoir et religion au Maroc à la fin du Moyen­Age(Z) apporte des précisions sur ces situations de crises au Maghreb aux XIVe etXVe siècles, notamment celles de 723-72411323-1324, la Peste Noire de 749/1348,l'épidémie de 76111360, "une année d'épidémie meurtrière" en 846/1441 (pp. 126,159-160, 238). Pour une période un peu plus tardive, B. Rosenberger et H. Trikiexposent de façon détaillée la succession des épidémies, très souvent liées aux

(1) Dar a1-Man~ür, Rabat, 1972, p. 95.(2) Maisonneuve et Larose, Paris, J986.

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famines, en exploitant les sources arabes, portugaises et anglaises, documents diplo­matiques, correspondances et rapports(3) ; ces catastrophes s'étendaient généralementau reste du Maghreb et au sud de la Péninsule ibérique, du fait des relations commer­ciales et des conflits entre tous ces pays.

Les maladies "venues d'ailleurs" ont été perçues sous des angles différents:l'historien, le religieux, le médecin s'attachant chacun à relater ou à mettre en relief,soit les circonstances de l'apparition du fléau et ses ravages, soit l'intervention divinepar le moyen d'émanations mystérieuses venues des astres et le recours à la clémencede Dieu, le seul valable en présence de la peste - attitude contaminée parfois par lerecours à des pratiques magiques - soit la recherche des causes et Je combat contre lamaladie par la prévention et Je traitement.

Peu d'ouvrages médicaux sur ce sujet nous sont parvenus, mais il est permisde penser qu'un nombre plus important a été diffusé en Occident et plus patticulière­ment en Andalus et au Maghreb. Nous connaissons les ouvrages de trois médecinsandalous, composés lors de l'épidémie qui a atteint les pays de la Méditerranée occi­dentale au XIV" siècle, à partir de 74911347 sur la côte orientale de l'Espagne: IbnKhatima al-Ansarï (mort en 77011368 à Alméria), Tab,~il gharaç! al-qü;>id fi taf>il al­maraç! al-w<!fid ou: Réponse à la demande de qui désire étudier la maladie soudaine,dans lequel il expose de manière rigoureuse les définitions des maladies épidé­miques, leurs causes, la prévention et le traitement; Abü 'Abd Allah Mubammad b.al-Khatïb as-Salmanï (71311313-776/1375) Muqni'a as-Sii'il'an i-l-maraç! al-hü'ilou: Démonstration pour celui qui questionne sur le mal effroyable; enfin Abü 'AbdAllah Mubammad al-Lakhmï as-Saqürï (né en 727/1327) dont le traité important surla peste, Tabqiq an-naba' 'an amr al-wabü' ou : La véritable information au sujet del'épidémie, n'a pas été conservé, mais dont il a composé un extrait, an-Na;>J1](l ou : Leconseil judicieux. Ces trois médecins ont une approche rationnelle et scientifique duphénomène épidémique, ce qui leur a valu surtout pour les deux premiers, deviolentes critiques de la part des milieux religieux, et ce qui explique leurs tentativespour désarmer leurs détracteurs en montrant que le projet divin n'exclut pas lesressources de la médecine pour assurer la santé des hommes; as-Saqürï en fait unedémonstratiol1!ii en règle dans sa Na:;,iba.

L'épidémie de peste a ensuite sévi par vagues successives, jalonnées pard'autres ouvrages; la Maqama fi amr cil-waba' ou : Le discours à propos de l'épi­démie de 'Umar al-Malaqï, datant de 84011436-37 (information communiquée par

M. Jean-François Clément, que je remercie vivement ; la Maq<Îla al-bikmiyya fi-l­anmïç! al-waba'iyya ou: Le discours scientifique sur les maladies épidémiques. de'Alïb. 'Abd Allah b. Mubammad b. Haydür (mort en 81011407 ou en 816/ 1413); laWa;>iya an-n<Î,sib ou: La recommandation du conseiller avisé, de Abü 'AmrMubammad b. Man?-ür al-Qaysï (mort après 86411460). Ces deux derniers traités

(3) «Famines et épidémies au Maroc aux XVIe et XVlle siècles», Hespéris-Tamuda, vol.XIV et XV, 1973-1974.

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témoignent chacun d'une perception particulière de l'épidémie: la Wa.?iya se réfèretrès explicitement à Ibn Khatima et as-Saqürï pour les mesures préventives mais nedit mot des causes naturelles du fléau, l'orientation mystique de l'auteur étant mani­feste ; Ibn Haydür aborde le sujet en médecin et reprend, se référant surtout àHippocrate et Galien, leur explication des causes des épidémies et leurs conseils deprévention; il attribue en outre un rôle très important aux causes politiques, c'est-à­dire à la responsabilité des dirigeants qui ont encouru le châtiment divin, et en consé­quence il accorde un crédit certain aux pratiques magico-religieuses. Nous y revien­drons plus loin.

Ces deux derniers traités accompagnés de la Na..,iba de as-Saqürï sont rassem­blés dans le recueil qui va faire l'objet de mon analyse. Mais il me paraît intéressantde résumer auparavant les idées de Ibn Khatima, un précurseur dans l'effort de ratio­nalisation des concepts d'épidémie et de peste, tentati ve qui fut extrêmementcombattue par les hommes de religion, mais inspira les œuvres ultérieures.

Dans une première partie, il donne une définition lexicographique de ce quel'on nomme a(-(:.1' un, la peste, et de al-wabü', l'épidemie, en citant les grammairiensconnus. Jawharï : la peste est la mOlt (résultant) de l'épidémie: Mukhta.'jar al- 'ayn

donne les mots issus de la racine ta 'ana (frapper, transpercer) puis il décrit lamaladie: ce sont des ulcérations qui apparaissent aux aisselles et ailleurs et laissentpeu de temps (de survie) au malade, car elles gagnent rapidement tout le corps aprèsleur appmtion ; Jawharï dit que l'épidémie est une maladie qui se transmet à tous et ildonne les mots formés sur cette racine waba'a; al-Khalïl : l'épidémie c'est la peste, eton dit que c'est toute maladie générale. Certains savants disent: «La peste, at-(ü'un,

est définie par les abcès qui sortent sur le corps; l'épidémie, al-waba', est l'extensionde la maladie, et l'on appelle toute épidémie (ü'un à cause de la similitude de la mortdans les deux cas». Ibn Khatima conclut ainsi ces explications: «La peste est uneépidémie, mais la réciproque n'est pas vraie». Il cite le terme mawtün qui a pris lesens métaphOlique d'épidémie, le sens propre étant: la mort qui frappe le bétail.

Dans les trois textes du recueil que nous étudions, le nom (Ü'UIl n'apparaît pas,et comme leur objet est la prévention et non un traitement spécifique, on peut penserqu'ils concernent toute épidémie aussi bien que la peste; il est cependant avéréqu'une épidémie de peste a touché l'Andalousie et le Maghreb vers 87011465, maisde quelle "peste" s'agissait-il? On sait que le typhus exanthématique a sévi fréquem­ment au Maghreb et a pu être confondu avec une "peste". On voit bien ici toute l'am­biguïté du vocabulaire. L'épidémie, al-wabü', est souvent désignée par des péri­phrases comme: al-mar:.Içi al-h:.l'il, le mal effroyable, chez Ibn Khatïb ; al-marûçf al­

w:.ljïd, la maladie qui survient, dans la Wa"iya .. al-'araç/ al-wabü'i, l'irruption del'épidémie, dans la Na"jba .. al-wllrü/çi al-wabü'iyya, les maladies épidémiques,

dans le traité de Ibn Haydür.

Dans la seconde partie de ce premier chapitre, Ibn Khatima donne des défini­tions médicales de la peste, a{-(ü'üll : «Nous la qualifions de maladie touchant

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l'ensemble des individus, le plus souvent mortelle, causée par de multiples facteurs».II explique ensuite une expression du titre de son ouvrage, employée fréquemmentdans nos textes, al-maraç! al-w<îfid : «Ces maladies sont caractérisées par deuxchoses: premièrement, elles viennent de l'extérieur vers la population, appOltées parl'air, et ne sont pas générées par les aliments, les boissons, des facteurs psychiques etd'autres analogues; deuxièmement, elles touchent la plupart des gens». Il étaye sonaffirmation sur le sens de la racine wafada : envoyer, déléguer, et du substantif wafd:délégation. On objectera que cette affirmation est toute théorique, par exemple auregard des témoignages rassemblés par B. Rosenberger et H. Triki à propos descontaminations par des nourritures infectées, cadavres, animaux et parfois mêmehumains, cueillette de plantes sauvages, eaux polluées (<<Famines et épidémies, 2èmepartie, pp. 18-19). Mais Ibn Khatima veut dire que ce n'est pas le corps ou l'esprithumain qui génère ces maladies, elles sont "envoyées" aux hommes, de l'extérieur,et n'ont pas une origine interne; si les aliments sont contaminés, ils le sont par l'airinfecté qui est à leur contact. Hippocrate puis Galien avaient déjà défini ce que l'onappelait épidémies, mais Ibn Khatima, le premier, a mis en évidence leur transmis­sion due à la contamination de l'air par des facteurs qu'il analyse dans la suite de sonexposé: les causes lointaines, c'est-à-dire les influences astrales, hors du domainehumain, et les causes prochaines: des guerres meurtrières qui font de trèsnombreuses victimes dont les cadavres infectent l'atmosphère, des famines qui affai­blissent les populations, des épizooties causes de contamination. Nous retrouveronsces causes reprises par Ibn Haydür qui donne une explication des processus d'infec­tion de l'air que nous respirons. Si Ibn Khatima a l'intuition de "pmticules délétèresvenues d'ailleurs", il est évidemment bien loin d'imaginer le rôle des germes infec­tieux tels qu'ils sont conçus actuellement. II n'en est pas moins un précurseur dansles tentatives d'explication des épidémies et dans les mesures de prévention: assainirl'air qui amène les germes de la maladie, désinfecter les locaux, les corps, les vête­ments, veiller à la salubrité des aliments. Ibn Khatima expose ensuite les différentesformes de la maladie, puis les traitements possibles, parmi lesquels la saignée a unrôle important. Mais l'objectif des trois maq<îlat que nous étudions se limite àl'explication des causes de l'épidémie et des moyens de prévention.

Ibn al-Khatïb, dans le Muqni' as-sEï'il, reprend, en les résumant, les idées deIbn Khatima sur les causes des épidémies et les formes différentes de la peste, puis ilexpose les divers moyens de prévention sous la forme de réponses aux questions de"l'ignorant". Il me semble intéressant d'ajouter que le copiste a fait suivre cettemaq<îla d'un extrait du livre d'Ibn al-Khaçib, Kit:ïb 'amal man rabba li man babba,passage relatif aux fièvres épidémiques où les traitements sont exposés en détail ;après cet extrait, il cite les prières et les invocations propres à conjurer "le maleff.royable", peut-être pour désarmer les critiques contre la position purement ration­nelle de l'auteur du Muqni'.

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Les trois maqalat sur la prévention de l'épidémie

Les trois textes qui nous intérssent sont réunis dans un manuscrit provenant dela bibliothèque de M. Muhammad al-Manünï. Le manuscrit a été copié en 861 et en877, c'est-à-dire vers la fin de l'époque mérinide, période très troublée, marquée pardes famines et des maladies meurtrières, et plus précisément entre les deux datesmentionnées par les historiens: 84611461 et 87011465 (voir ci-dessus). Cette copie aété faite à Velez, Ballas ou Ballis, ville dont la localisation est difficile, car il existeplusieurs Velez en Andalus : dans la province d'Almeria, Velez Blancos et VelezRubio, dans la province de Malaga, Velez Malaga et dans celle de Grenade, Velez deBenaudalla, dans les Alpujarras; Velez Rubio est restée au pouvoir des Nasridesjusqu'en 89311488 (Encyclopédie de l'Islam, nouvelle édit., l, p. 1127, Balish).

Le copiste a "signé" son travail: il s'agit de 'Ubayd Allah'Alï b.Qasim b. Alïb. Muhammad b. Abmad al-Bayaç1Ï al-An~arï. Nous n'avons trouvé qu'une brèvenotice à son sujet: «' AIT b. al-Bayaçlï al-AndalusT, jurisconsulte et prédicateur àMeknès, mourut en l'an 916. Il fut inhumé à l'extérieur de la porte des Bourreliers,une des portes de Meknès, dans l'ancien mausolée de Salih Abï Muhammad, 'AbdAllah b. Ahmad, que nous avons mentionné ci-dessus»(4).

Je présente ici les trois maqiil;ït dans l'ordre du manuscrit, qui n'est pas leurordre chronologique. La plus ancienne est celle de as-SaqürT, elle date de l'époque dela Peste Noire de 74911358 et reflète l'approche rationnelle; Ibn Haydür a probable­ment écrit la sienne à la charnière des XIVe-xve siècles et Ibn Man~ür environ dansla deuxième moitié du xve, lorsque sévit une nouvelle épidémie.

1 - Wa;;iya an-nü,'iib al-awad fi at-ta/lO..fjil? min al-maraç/ al-w<ïfid iç/a wqf"adaou : La reconnaissance du conseiller avisé en charge de la protection contre

l'épidémie lorsqu'elle survient, de Abü 'Amr Muhammad b. Mubammad b.Muhammad b. Muhammad 'Ubayd Allah Muhammad b. Man~ür al-QaysT.

L'auteur a exercé la fonction de qaçlï de Grenade, il est connu pour son œuvrejuridique et il composa durant cette période, en 864/1460, une fatwa : Les droits desfemmes et des répudiées(5). On peut voir dans ces mots du titre de la maqüla: "duconseiller avisé en charge de la protection" une allusion à sa charge de q;ïçfï respon­sable de la santé morale et physique des Croyants, allusion qui se confirme dans lateneur des conseils qu'il prodigue.

Dans sa Recommandation, Ibn Man~ür dit expressément qu'il reprend lesexposés de Ibn Khatima et as-SaqürT sur la protection contre l'épidémie, mais il nefait aucune allusion à ses causes et dans une longue première partie il développe sapropore position, religieuse, étayée par des citations du texte coranique et de badiths: une attitude de confiance et de soumission devant le décret divin, la récitation des

(4) Ibn a\-Qadi. DL/l'rai al-/lipl. Tunis-Le Caire. Ill, p. 212. notice 1219.(5) K. Brockelman. TürTkh al-adab al-arabT, AI-hay'a a\-mi~riyya a\-amma li-\-kitab. Le

Caire, 1995. tome 7, p. 536.

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oraisons propres à éloigner le mal et des prières où le croyant implore le pardon deDieu, car la peste est perçue comme un châtiment du Ciel ; la prière de Jonas, parexemple, est particulièrement recommandée (sourat Jonas, XXI, 87).

La seconde partie reproduit textuellement des passages de la Na~ïba et de IbnKhatima au sujet des mesures prophylactiques, qui consistent surtout en des conseilsd'hygiène générale: I:assainissement de l'air, le mouvement et le repos, l'alimenta­tion en insistant sur les interdits alimentaires, le sommeil et la veille, la réplétion etl'évacuation (suivant le plan traditionnel des traités d'hygiène). Ibn Man:(':ür insiste àla fin de ce chapitre sur l'impOltance d'un état psychique serein et confiant, soumisau décret divin et entretenu par la lecture du Livre sacré, contredisant en cela l'affir­

mation de Ibn Kharima qui nie toute influence psychique sur la maladie. La troi­sième partie mentionne quelques recettes magiques d'après Aristote, ar-Razï, Ibn

Zuhr, at -Tabarï, mais l'auteur ne semble pas convaincu de leur efficacité, et réaffirmele pouvoir de la foi.

II -Na.'jïba ou : Conseil judicieux, de Abü 'Abd Allah Mubammad b. Alï b.,Abd Allah al-Lakhmï as-Saqürï.

L'auteur, né en 72711327, appartenant à la même génération que Ibn KhiHima,affirme son attitude rationnelle en commençant par définir le rappOlt entre la foi et lamédecine: il n'existe pas de contradiction entre elles.Le Prophète lui-même areconnu la valeur de la médecine et a invité à sa pratique, mais «ceux qui ignorent lamédecine ne doivent pas se mêler eux-mêmes de cela...». Après ses conseils deprévention, as-Saqürï fait encore une mise en garde et recommande «...d'interdireaux ignorants et aux rétrogrades de nuire aux Musulmans en leur donnant des médi­caments sans consulter les médecins, et de pratiquer eux-mêmes la saignée...». Doncpas de confusion des compétences dans deux domaines distincts, celui de la sciencemédicale et celui des thaumaturges qui confondent superstition et religion.

Pour as-Saqürï, la cause de l'épidémie «est l'infection qui se répand dans l'airrespirable» ; il indique donc des moyens pour assainir cet air et pour conserver leursanté aux bien-portants, en utilisant essentiellement les vertus désinfectantes desplantes et de diverses substances aromatiques : rose, myrte, tamaris, vigne, santal,camphre, musc, vinaigres et fruits acides comme le citron et le cédrat, employées enaspersions, lavages, fumigations, inhalations et boissons de sirops et thériaques. IIrapporte "du bout des lèvres" quelques recettes magiques d'Aristote, at-Tabarï, IbnZuhr et ar-Razï, en espérant qu'elles seront efficaces, mais ne mentionne, contraire­ment aux auteurs des deux autres traités, aucun recours à la prière ou aux talismans.

III - al-Maqüla al-bikmiyya ft al-amr:ïçl al-wabü'iyya ou : Le traité médicalsur les maladies épidémiques, de 'Alï b. Abd Allah b. Mubammad b. Haydür at­Ti"ldilï

Nous avons pu réunir quelques renseignements sur cet auteur: a) Le catalogueII de la Bibliothèque Royale de Rabat, p. 31, nous donne la date de sa mort,

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TROIS MAQALAT AU SUJET DES ÉPIDÉMIES DE PESTE 87EN ANDALOUSIE ET AU MAGHREB

81611413; b) Dans son ouvrage Histoire de la médecine au Maroc(6), Mustapha

Akhmisse indique pour sa mort la date 81011407, et dit que Ibn Haydür était untraditionaliste et médecin célèbre; c) B. Rosenberger et H. Triki<7) citent une notice

de l'ouvrage inédit de Mubammad al-Kanünl, Türikh ar-çibb al-'arabïfi'u,';iür

duwali-l-maghrib al-aq"ii : «Un médecin mort dans le premier quart du XV" siècle,'AIl b. 'Abd Allah b. Haydür at-Tadill al-Fasl, exprimant une opinion commune desmédecins et des savants, incrimine la nourriture et J'humidité de l'air. Il note que lesmaladies épidémiques apparaissent et se répandent par des temps humides. Il connaîtaussi le lien étroit, inexorable, qui existe entre les troubles (politiques), la hausse desprix, la disette qui, en durant et en s'aggravant, provoque l'épidémie. C'est, dit-il,

une science celtaine, une loi bien établie...». Deux œuvres de Ibn Haydür sont citéesdans les répertoires de savants, mais on n'y trouve aucune mention de sa Maqala al­bikmiyya. Ibn al-Qaçll,jadwat al-iqtib!/s(8) : «'Ail b. 'Abd Allah b. Haydür at-Tadill,le guide dans le domaine des obligations religieuses et celui de l'arithmétique, alaissé un commentaire(Sharb) de l'Abrégé d'Ibn al-Banna sur l'arithmétique et une

transcription (taqyid) de Ra!, al-b(i?!/h du même auteur (c'est un autre ouvrage arith­métique). il avait une belle écriture et était versé dans plusieurs arts. Il mourut aucours d'une famine à Fas en l'an 816». On trouve les mêmes informations chez

Kabbala, Mu'jam al-mu'allifïn, VII, p. 141. Az-Zarkall(9) ajoute des indications

bibliographiques, mais ne cite toujours pas la Maqala al-bikmiyya : le Commentairede l'Abrégé (Talkhl~'i) se trouve à la Azhariyya, cote Tambl~-h,et à la Bibliothèque de

Rabat, cote galawl- 862 ; le Taq.vïd de Ra! al-bijüb est à la Bibliothèque Vaticanesous le nom de TuNat aç-çullab wa Umniat al-bisüb, 1403 arabe.

Ibn Haydür composa son traité probablement vers la fin du Vme/XIve, ou ledébut du ge, en tous cas après 764/1363, car c'est la date qu'il indique pour son

entretien avec Sldl Abu I-Qasim b. Riçlwan à propos d'un songe, à l'époque de "laseconde épidémie qui sévissait à ce moment-là". On pense à l'épidémie de 761/1360signalée par M. Kably (Société, pouvoir et religion, p. 159) et qui aurait pu seprolonger en plusieurs épisodes.

Face à l'épidémie, Ibn Haydür raisonne en médecin formé à la doctrined'Hippocrate et de Galien dont il cite plusieurs livres: pour lui l'équilibre du tempé­rament naturel, c'est-à-dire la cohabitation harmonieuse des quatre humeurs, est lacondition primordiale de la santé ; la perturbation de cet équilibre prédispose à lamaladie. L'air "sain" a lui aussi son propre équilibre naturel dont l'altération causeun déséquilibre chez l'homme. Mais l'air peut aussi véhiculer l'infection qui estalors transmise à l'homme, et c'est l'épidémie. Ibn Haydür fournit une explication,un peu obscure à vrai dire, des processus de contamination de l'air.

(6) Imprimerie Eddar El Beida, Casablanca, 1991, p. 49.(7) «Famines et épidémies au Maroc», Hespéris-Tamuda, XV, 1974, pp. 51-52.(8) Rabat, 1974, p. 475.(9) AI A'lüm, Beyrouth, 1984. IV, pp. 306-307.

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Mais pour lui la dégradation de l'équilibre naturel peut avoir d'autres causesqui sont elles-mêmes les conséquences d'une situation politique et sociale désas­treuse associée à la sécheresse, fréquente au Maroc. Ibn Haydür, le Tadilï, était origi­naire et peut-être habitant d'une région stratégique qui commandait la route Fès­Marrakech, vers le Sous et au-delà, et qui donc était fréquemment ravagée et pilléepar le passage des troupes et des tribus plus ou moins dissidentes, en cette périodedifficile pour les Mérinides. Cette situation se traduisait par des "chertés" (ghala')périodiques qui débouchaient sur des famines, lesquelles contraignaient les gens àconsommer des nourritures avariées, ou contaminées, ou non adaptées à l'alimenta­tion humaine, ou même toxiques (<<Famines et épidémies», 1ère partie, pp. 119-121 ;2ème partie, notes, pp. 18-19). Bien que ces informations ne concernent pas la mêmeépoque, il est probable que les conséquences humaines étaient semblables. Pour lasituation politique de l'époque mérinide, voir Société, pouvoir et religion, pp. 50-51,160. Ibn Haydür met donc en évidence l'enchaînement fatal: guerres et sécheresse =chelté = famine = affaiblissement et contamination = épidémies. «Dans l'énuméra­tion, il donne la priorité aux désordres (fitna), ce qui laisse supposer que la cherté, ladisette et la maladie qui s'ensuivent sont, dans sa conception, une manifestation de lajustice divine, comme un châtiment pour le trouble causé par les hommes à l'ordredu monde, plutôt qu'une conséquence résultant de phénomènes de l'ordre naturel...»(Tarikh ar-ribb ai-cambi).

Dans son exposé des soins préventifs, Ibn Haydür présente comme premièreméthode celle de la science des lettres, c'est-à-dire l'usage des talismans composésdes noms divins, propres à désarmer le courroux de Dieu, et en seconde position laméthode des médecins, ses prédécesseurs. La Maq;ïla ai-bikmiyya apparaît ainsicomme une synthèse des trois approches de l'épidémie que nous avons distinguéesci-dessus: les points de vue politique, religieux et médical, qui ne sont pas nécessai­rement opposés et peuvent se concilier et se compléter, comme chez le médecinmarocall1.

Suzanne GIGANDETBordeaux

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 89-104.

MARRUECOS y LA POLITICA EXTERIOR ESPANOLADURANTE LOS PRIMEROS GOBIERNOS

DE LA RESTAURACION 1874-1887(1)

Youssef AKMIR

Existen diversas razones para estudiar la polftica exterior espafiola durante laépoca de Restauraci6n, situandola en un marco global tanto en 10 que se refiere a[espacio coma al tiempo. Se trata de analizar el contexto en el que se insertan losorigenes de la acci6n exterior espafio[a en un momento clave de su historia reciente.

El periodo que abarcara este estudio es una época en que se vivenacontecimientos y procesos polfticos esenciales en la configuraci6n de la EspafiadeI ultimo tercio deI siglo XIX. En [os inicios de [a Restauraci6n, nos encontramosa un paIs recién salido de una desastrosa guerra civil, con una joven monarqula quedebe afrontar nueva experiencia consticiona[, en un marco de las relacionesintemacionales dominado por el autoritarismo de los Imperios Centrales, y dondela alianza entre ellos les permite controlar el equilibrio a nivel mundial(2).

El analisis de la polîtica exterior espafiola ha de ser definido, de este modo,en un marco dominado por el precario equilibrio sostenido por las grandespotencias. Para su estudio, se plantean cuestiones tales coma la polftica exteriorespafiola y el equilibrio intemacional ; el dominio de nuevas posesiones colonialesy la cuesti6n de Marruecos(3) que sera el eje de este trabajo.

(l) Las correspondencias diplomaticas citadas en este artfculo son manuscritos inéditos quepertenecen al Archivo General deI Palacio de Oriente de Madrid. A través de su contenido sacamos porvez primera a la luz pûblica unas negociaciones hispano-francesas sobre el repaz10 de Marruecos en1886-1887.

(2) En la Hamada Europa de Bismarck. los fundamentos de las relaciones intemacionales fueron :la nueva configuraci6n que conoci6 el equilibrio entre los pafses deI continente europeo tras la guerrafranco-prusiana y también. tras la pauJatina formaci6n del bloque de las potencias por las monarqufas e laEuropa central, "Alemania-Austria-Hungrfa", Martinez Carreras J.. Po/ftica Exterio!' Espaiio/a durante[a Restauracion, 1875-1931. Ed. Juan BT. Vilar. Murcia. l889. pag. 82.

(3) Nos hemos encontrado ante la importancia de tratar los origenes de la polftica exteriorespafioJa durante los primeros afios de la Restauraci6n por la cual hemos intentado plantear en esteestudio. las cuestiones mas importantes que marcaron el concierto internacional; donde Espafia tenfa unapresencia cumplimentaria pero al mismo tiempo indispensable. sobre todo en algunas cuestiones quedeclinaban la batanza deI equilibrio entre las potencias. En este sentido cabe destacar el ejemplo de

Marruecos.

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90 YOUSSEF AKMIR

1. LA POLITICA EXTERIOR ESPANOLA A PRINCIPIOS DE LARESTAURACION y EL EQUILIBRIO INTERNACIONAL

AI estudiar la polftica exterior de cualquier pafs, deben destacarse losfactores que marcan su polftica interior. En el casa de Espafia, la proclamaci6n deAlfonso XII coma Rey de la naci6n marc6 el inicio de una monarqufaconstitucional gobernada por los dos partidos deI turno, quienes a través de susgestiones lograron la estabilidad de un nuevo sistema polftico que toma comareferente las pautas modélicas de las monarquias europeas.

Desde el advenimiento de la Restauraci6n, el conservador Canovas deiCastillo sera el encargado de dirigir los destinos deI pafs hasta su relevo por elfusionista Mateo Sagasta, iniciando asf la mecanica dei sistema(4). Ambos lfderestuvieron que afrontar los cambios surgidos en el equilibrio intenacional, al frentede una naci6n que acaba de vivir recientes cambios en la estructura de su Estado, ycon una larga tradici6n de soberanfa fuera de la Metr6poli. Estas circunstanciaspresiden la actuaci6n de Espafia frente a los cambios y las grandes tendenciasgeopolfticas que dominan la Europa dei ultimo tercio dei siglo XIX.

1.1. La actuacion de Canovas ante la situacion internacional :

En los primeros afios de la Restauraci6n, se plantea la necesidad demantener una polftica exterior muy prudente, a fin de evitar cualquier conflictoexterior, de modo que pudiesen dedicarse todas las energfas a la reconstrucci6ninterior dei pais. El Gobierno conservador insistira reiteradamente en la imperiosanecesidad, de adoptar una polftica neutralista. En la sesi6n dei Senado dei 19 dejulio de 1876, el propio Canovas afirmaba que "la situaei6n aetual en que noshallamos, dado el aumento de la deuda después de perdida una parte de nuestrasantiguas colonias y teniendo guerra en Cuba, nos aparta de aventura "(5).

La neutralidad de la actuaci6n exterior espafiola durante la primera dacadade la restauraci6n tenfa ciertamente sus motivaciones. Jer6nimo Bécker aseguraque Canovas conocfa sobradamente los obstaculos que se interponfan ante Espafia.La ca6tica situaci6n interna derivada dei sexenio revolucionario impide queEspafia pueda adoptar ningun compromiso êxterior. Esta situaci6n se entiendemejor en un contexto hist6rico en el que algunas potencias coma Inglaterra y

Alemania habfan negado en 1875 la soberania espafiola sobre las Islas Carolinas(6).La polftica exterior de Canovas fue por 10 tanto conservadora, y opt6 por la vfa deser neutral ante la gravedad de un hipotético compromiso con una de las grandes

(4) M. Fernandez Rodriguez, Espwla y Marrl/ecos en los primeros atlOS de la Restal/raciôn(1875-1864), Ed. CSIC, Madrid, 1985, pag. 38.

(5) Ibid., pag. 44.(6) J. Becker, Historia de las relaciones exteriores de Espa/la dl/rante el siglo XIX, Tom. Il, Ed.

Voluntad Alcala, Madrid, 1926, pag. 383.

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potencias. Esta opciôn se tuvo su plasmaciôn en la denominada poUtica deIrecogÏJniento(7).

1.2. El Gobierno de Canovas y lacuestiôn marroqui :

La intervenciôn en Marruecos es una cuestiôn cuyos origenes proceden deIsegundo tercio deI siglo XIX. Francia duefia de Argelia y con permanentesambiciones coloniales, pretende extenderse en las fronteras deI Este de Marruecos,teniendo toda la seguridad de lograrlo tras su victoria en la batalla de Isli en 1844,y tras las concesiones conseguidas en el convenio de Lala Megn{a. Ademâs, lasbuenas relaciones que mantenfa el Gobierno francés con Moulay el Hassan leconvierte en el primer candidato que podrfa intervenir en el casa de ruptura deIstatu quo, para anexionar Marruecos a su colonia argelina(8).

En cuanto a la actuaciôn espafiola ante las intenciones de Francia enMarruecos, se caracterizô al principio por su tolerancia y su simpatfahaciacualquier iniciativa francesa -fruto de la simpatfa que dedicaba Canovas al pafsvecino-, pero también por su defensa deI statu quo en dicho Imperio. En laconversaciôn mantenida con el embajador francés M. lauré, Canovas manifestôque Espafia prefiere tener de vecinos a los franceses que a Ulla kabilas barbaras,pero al mismo tiempo Cânovas considera al statu quo como la mejor soluciôn de lacuestiôn man·oquf(9). .

Es fâcil observaI' una especie de contradicciôn en las opiniones de Canovas.En primer termino, prefiere tener a Francia vecina en Marruecos que a wza tribussalvajes. En segundo lugar, insiste reiteradamente sobre la conversaciôn deI statuquo en este pafs. A decir verdad, esta contradicciôn nos confirma la inconstanciade la polftica exterior canovista durante su primer gobierno, una polftica orientadaa la prudencia y la abstenciôn ante cualquier hecho exterior que pudiera causargrandes problemas a la joven monarqufa y al incipiente Gobierno constitucional,en un marco en que el dominio de las grandes potencias es muy evidente.

En 1875 el Gobierno de Cânovas planteô la posibilidad de extenderse en losalrededores de Ceuta y Melilla. La reacciôn de las potencias internacionales fueinmediata : el ministro plenipotenciario inglés en Madrid, H. Layard recibe deDrummond Hay una carta en la que confirma su esperanza en un acuerdo con losgabinetes europeos para paralizar cualquier eventual fortificaciôn espafiola en lasfronteras de estas ciudades ; iniciativa que segun éJ podra dejar a salvo las viascomerciales en el Mediterraneo. Drummond Hay cree que el Gobierno espailol

(7) J. Becker, ESjJaiia e lnglaterra, sus relaciones polfticas desde las paces de Utrech, Madrid,

1906, pags 420-421.(8) Amor José Maria Campo, sei'iala que en 1870, Francia ocupô a Uargla y Taggurl,

extendiéndose mas de mil kil6metros de Argel y reprimiendo todo tipo de la resistencia aut6ctona.lM. Campo Amor, La Actitlld de Espmïa ante la ClleSÛÔI1 de Marruecos (1900-1904), CSfC, Ed.

Ares, Madrid, 1951, pag 55.(9) M. Fernandel' Rodriguez, op. cil., pags 54-55.

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espera s610 la oportunidad adecuada para desarrollar sus planes intervencionistasen Marruecos(IO).

Las circunstancias hist6ricas determinaron que la cuesti6n de Marruecostuviese una interpretaci6n singular pOl' parte de Canovas. La realidad europeajustifica el escaso papel que desempefiaba su polftica de recogimiento. S610entendiendo esta realidad europea -la realidad que defiende los intereses de losfuertes-, se puede entender la inconstancia y la timidez de la polftica canovista antela cuesti6n marroquf. Sin embargo, Canovas afirma que Espafia no podrfa actuaren ausencia de alianzas con algunas de las potencias ; pero al mismo tiempo haceénfasis en la dignidad nacional, y considera que la incorporaci6n de Espafia alsistema de las alianzas tiene que ser una oferta europea y no una solicitudespafiola. A este respecto, Canovas argumentaba que "se puede tener aliados enuna cuesti6n. coma par ejemplo. respecta a Africa .. no temo decir que en esacuesti6n siempre tendremos aliados .. tal coma esta planteada la cuesti6n deMarruecos. siempre habra alguien que nos (ofrezca) su alianza... "(11).

En general, la posici6n canovista respecto al tema marroquf sobrepasara susmodestas pretensiones iniciales, para inventar un espacio en el que se desarrollaranlas ambiciones mercantiles de un joven grupo de presi6n espafiol. Dicho grupo, fuebautizado en 1877 con el nombre de Movimiento Africanista. un movimientoimpulsado por la ideologfa romantica deI expansionismo peninsular que exalta lahistoria, la cultura y los derechos de Espafia en estas tien'as. La interferencia entrelos aspectos ideol6gicos y econ6micos Ilevara a Canovas a considerar a Manuecoscoma una continuaci6n geografica de Espafia, buscando un antecedente para laacci6n colonial espafiola en la polftica de Fernando el Cat6lico. De este modoCanovas escribfa que "En el Atlas estd nuestrafrontera natural. .. "(12).

2. EL GOBIERNO LIBERAL y LAS NUEVAS LINEAS ORIENTALISTASDE LA POLITICA EXTERIOR ESPANOLA

En febrero de 1881 Canovas abandona el Gobierno marcando el fin de la eraconservadora y el principio de la época liberal. Esta etapa tendra unaspeculiaridades que la diferencianin de la anterior. El primer paso de la polfticaexterior liberal fue el hecho de tomar consciencia ante la continuidad hist6rica delos grandes acontecimientos que mat'caron la época conservadora. En este contextocabe decir que la mayorfa de los acontecimientos hist6ricos que dominaran almarco internacional entre 1881 y 1887 tienen sus rafces en la etapa anterior. La

(10) Las reformas propuestas pOl' Sr Drummond Hay, consisten en "la constl'llcd6n de alll1acenesy casas para los cOll1erdantes eUl"Opeos; supresiôn de los âltill10s vetos cOll1erdales; y la instaladôn deun cable telegrcifico elltre Gibraltar y Tanger". El Cuerpo diplomatico europeo cuando se enter6 de lasproposiciones de Hay, present6 claramente su oposici6n y denunci6 a cualquier iniciativa inglesaencaminada hacia este objetivo. M. Fernandes Rodriguez, op. dt., pag 35.

(II) V. Morales Lezcano, Léon y Castillo Embajador (1887-/9/8), un estudio sobre la polfticaexterior de Espafia, Gran Canarias, 1975, p. 23.

(12) J. Dias de Viellegas, Africa il través dei pellSilll1iento espmïol, CSIC, Madrid, 1949, pag. 77.

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relacion con la Triple Alianza, la relacion con Francia y la tension causada por elstatu quo de Marruecos seran las lfneas basicas que orientanin la polftica exteriordurante la etapa liberal. En un marco internacional muy conflictivo, el Gobiernoliberal se encontrara ante la necesidad de actuar, empleando todas sus habilidadesante unos acontecimientos de gran trascendencia que se cruzan entre sI. Estoshechos se convertiran en las primeras preoccupaciones deI nuevo ministro deEstado espanol, Marques de la Vega de Armijo. En 1881, cuando se bautiza elprimer Gobierno liberal en Espana, solo existfa una alianza ordenada y preparadapor Bismarck y Andrassy en agosto de 1879. Esta alianza viene a resolver eldesacuerdo entre Rusia y Alemania tras las especulaciones que afirmaban laposibilidad de una proxima ofensiva rusa contra Austria en el Oriente(l3).

En 1881, Francia pudo establecer su protectorado en Tunez mediante lafirma de un acuerdo con el Bey. Esta intervencion produjo un cierto descontentoentre todas las potencias europeas. Espana, por su parte, no se mostro nadaindiferente. Vega de Armijo dirigio a sus representantes en el extranjero unacircular que impidfa toda iniciativa encaminada a perjudicar los intereses deEspana en el norte de Âfrica, especialmente en Marruecos. En la misma circular, elministro de Estado sostenfa la necesidad de mantener en Marruecos una polfticafirme y enérgica en el casa de que hubiese un peligro que pueda danar los interesesde Espana. Asf manifiesta Vega de Armijo su opinion : " ... la necesidad dedesenvolver nuestra riqueza y nuestro comercio, nos aconsejan no emprender unapolftica de aventuras, no por ello debemos olvidar tampoco nuestros tradicionalesdeberes... tallto mâs,cuanto que hay potencias cuyos intereses estân relacionadoscon el continente africano, donde Espaiia tiene plazas fuertes, para cuyosostenimiento ha hecho cualltiosos sacrificios... Podrân otras naciones extendersu dominacion en aquellas regiones sin producir recelo y alarma para Espaiia ;pero no sucederia ciertamente lo mismo si se tratase del territorio en que estânenclavadas sus posesiones, y donde pasadas glorias la llaman, cuando menos, aevitar otras preponderancias ,,( 14)

2.1 Relacion de Espafia con la Triple Alianza

La relacion de Espana con la Triple Alianza respondfa a la necesidad deconseguir buenas relaciones con las potencias de la época. Moret va a orientar lapolftica exterior espaiiola hacia nuevos objetivos, conectando sus intereses con lasmonarqufas mas influentes de Europa. El primer paso que contribuira al progresode las relaciones entre Espana y los pafses de Centro-Europa es la visita dei ReyAlfonso XII a Alemania en 1883. Tras este acontecimiento, los diplomâticosespafioles estimaron que el viaje real a los imperios de la Europa Central tenfa masventajas que inconvenientes y pOl' 10 tanta no puede resultar al Gobierno espanol

(13) J. Becker, Historia de las relaciolles exteriores de Espwia durame el Siglo XIX, op. cir.,

pag.383.(14) A.M.A.E. (Archiva dei Ministerio de Asuntus exteriores). Leg 1331, n° 133, Conde de

Benomar alministro de Estado, Berlfn,2 de junio de 1881.

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compromisos de ningun aspecto(l5). La visita viene a expresar los lazos deIparentesco existentes entre la Reina Marfa Cristina y las dinastfas alemana yaustrfaca(l6). En toma a esta realidad, se situa una Espafia afectada por los rasgosdeI aislamiento diplomatico, buscando puertas hacia el esterior, optando pOl' unacercamiento a la alianza mas poderosa deI mundo y contando en este casa conItalia -pafs que formaba parte de la Triple- coma intermediario. Moretconsideraba que el acercamiento a la Triple Alianza tenfa varias objetivos.Primera, asegura la permanencia de la monarqufa espafiola amenazada par lasconspiraciones republicanas que estan actuando desde Francia ; segundo, defenderlos intereses de Espafia en el Mediterraneo y consolidar su posici6n respecta aMarruecos, amenazada par la ambici6n francesa ; tercera, tener a su lado Italia,una potencia de la Triple, afectada par la acontecido en Tunez y dispuesta asumarse a Espafia en la defensa de sus intereses marroqufes t l7).

Los contactas que mantuvo Espafia con la Triple Alianza se limitaron a unasingular relaci6n con Italia. Es decir que Espafia no se incorpor6 a la alianza, sinoque procur6 simplemente mantener una estrecha y particular relaci6n con Italia.Pero al mismo tiempo, todos los acuerdos y los objetivos compartidos entre ladiplomacia de ambas naciones latinas han tenido que contar con el consentimientoaustriaco-aleman en cada decisi6n tomadatI8 ). La relaci6n entre Espafia y laTriplice se concreta el 4 de maya de 1887, cuando el ministro de Estado espafiol,Moret, y el plenipotenciario de Italia, Maffei, canjearon en Madrid unas notas,poniéndose de acuerdo sobre cuestiones de diversas fndoles tI9).

Una de la cuestiones mas discutidas en la polftica exterior espafiola fue lanaturaleza de la relaci6n que mantuvo Espafia con la Triplice. Acerca de estacuesti6n existen opiniones diferentes y opuestas. Antonio Maura afirm6 en uno desus debates parlamentarios que Espafia nunca habfa estado ligada a la TripleAlianza, porque si "hubiera entrado en el/a hubiera sido la Cuddruple"(20). Las

(15) Ibid., pags 515-517.(16) V. Moralez Lezcano, Leon y Castillo Embajador, op. cit., pag 48.(17) M. Fernandez Rodriguez, op. cir., pag 19.(18) Sobre estas notas cangeadas entre Italia y Espai'ia, cabe mencionar los seguientes artlculos:

cucsti6n nO l, "L'Espagne et l'Italie ne sc prêtero~t envers la France, en ce qui concerne, cntre autres,les telTitoires nord-africains, à aucun traité ou arrangement politique quelconque qui serait directementdirigé contre l'Espagne, l'Italie, l'Allemagne et l'Autriche-Hongrie ou contre l'une ou l'autre de cespuissances".

Cuesti6n n° 3 : "En vue des intérêts engagés dans la Méditerranée, et dans le but principal demaintenir le statu quo actuel. l'Espagne et l'Italie se tiendront sur ce sujet en communication, en sefaisant pan de tout renseignement propre à s'éclairer sur leurs dispositions respectives, ainsi que surcelles des autres puissances"

J. Becker, Historia de las relaciones exteriores de EljJ{l/la durallle el Siglo XIX, op. cit.. pp. 700-701.

(19) Ibid.(20) La l'rase que esta entre comillas representa parte de la intervenci6n de Maura en las Cortes

dei 7 y et 9 de julio de 1904.

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ideas polfticas deI que entonces era ministro de Estado, nada tienen que ver con laafirmacion de Antonio Maura. Moret, no solo apoyaba el contacta con la TripleAlianza, sinD que 10 exigfa y 10 consideraba como una necesidad hist6rica paraEspafia. El conde de Romanones, en su estudio sobre la polftica exterior espanola,considera explicable la posicion deI ministro de Estado ante las potencias centraeuropeas. Romanones expone un documento donde Moret defiende la entrada deEspafia en la Triple Alianza con la siguiente expresion ; "Dada la situacion deEuropa y desde el momento en el cual todos los grandes Estados se han agrupadoen derredor de los tres lmperios, no es dudoso que Espmïa ha de miraI' siemprecon gran interés a lo que es el centro y lafuerza de donde irradia hoy la direcciondel movimiento europeo. " Luego afiade : "Si ha podido creerse que Espmïa pod{avivir indiferente a la combinacion de los grandes sucesos que han ocurrido enEuropa. la experiencia de ltalia, y hasta cierto punta de Prusia, enseiÏaelocuentemente que los paises, al parecer mas pequeJïos, pueden, si sabenaprovecharse de las circunstancias, acometer grandes empresas y obtenerglorioso engrandecimiento. "

Seglin Romanones, esta opinion es comprensible si la situamos en sucontexto historico, porque "Moret present{a que Espmïa, del brazo de los grandesImperios. pod{a llegar a sel' una Polencia de primer orclen, coma lo habla llagadoa sel' ltalia. Este sue/io de grandeza en aquellos primeros dfas de la Regencia eraun tonico absolutamente precisa para destruir el pesimismo que sobre todospesaba en aquellos momentos.... "(21).

Acerca de la misma cuestion, contamos con la opinion de Albert Mousset,quien nos cornenta que en la sesiôn de las Cortes deI 7 de junio de 1904 se desvel6un gran secreto hist6rico, porque durante los debates se confeso que Espana habfaestado comprametida por un tiempo de cinco anos con la Triple Alianza, sin que lasupieran mas de dos 0 tres personas. Mousset cita la rectificaci6n de Romanoneshecha en las Cortes dos dfas después, donde este ultimo expuso las siguientesafirmaciones ; "podré no haber sido feliz en la expresion al decir que estuvieseEspaiia comprometida, pero ahora 10 hago ya con mas dominio dei asunto. Encuestiones relacionadas con la alta polftica, en cuestiones internacionales, estuvoEspaiia adherida, compartio con la Triple Alianza determinados puntos de vista eneuestianes de importancia "(22).

Mousset considera que la adhesi6n de Espana a la Triple Alianza procede defebrera de 1887, tras unas negociaciones lIevadas acabo por el ministro de Estado

Conde de Romanones. Moret y su aClUaciôn en la polftica exteriol' de /c,spmïa, Discursopronunciado por Exvmo. Sr. Conde de Romanones. Presidente deI Ateneo de Madrid; en la sesi6ninaugural deI curso de 1921-1922, Ed. Gratica Ambos Mundos. Madrid. 1921. pag 52.

(21) Conde de Romanones, Moret y su actuaciôn en la po/ftica exrerior de Espmïa, op. cir., pags

36-37(22) A. Moussel, La polfrica exrerior de Espcl1ïa /873-/9/8, Ed. Biblioteca Nueva, Madrid.

1915, pagSD.

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espafiol y el Gabinete de Roma. Es decir que Espafia se encontro ligada a laspotencias centro europeas cuatro meses antes dei acuerdo hispano-italiano firmadoen Madrid.

La iniciativa no habia tenido un buen recibimiento pOl' parte de la prensa yla opinion publica. Los diarios conservadores publicaron una serie de artfculoscriticando al Gobierno liberal, que pretendia implicar a su pais en un peligrosocompromiso con la alianza bismarckiana en el casa de que se produjese unaguerra contra Francia(23). La oposicion de algunos periodicos espafioles a lapolftica exterior adoptada pOl' el Gobierno liberal tiene dos explicaciones : laprimera es el rechazo de la prensa conservadora a las iniciativas aperturistas deMoret en los compromisos internacionàles. La segunda explicacion consiste en lasimpatfa y la adhesion que guardaba el pueblo espafiol a la vecina Republicafrancesa, gran enemiga de Alemania. En un telegrama fechado el 12 de abril de1889, el plenipotenciario espafiol en Berlfn, conde de Benomar, comenta a la Reinaque la situacion diplomâtica entre Alemania y Espafia se esta torciendo tras estasimpatfa que demuestra el pueblo espafiol hacia Francia; y que un alto funcionarioaleman le habfa afirmado que Bismarck "ha tenido desde siempre la convicci6n deque en Espaiia las corrientes francesas son (tan) fuertes ... y que en esta causaparece que Espaiia (esta) condenada a renunciar a toda libertad de acci6ndiplo/1uitica. y a ser de hecho un satélite de Francia en todas las eventualidades.aun en el presente en que Francia esta en el aislamiento diplol1uitico /1uiscompleto." En la misma carta, Benomar afiade : "los rumores que llegan de Romahan hecho créer al Cancilier que Espaiia, cediendo una vez mas a las corrientesfrancesas, quiere desembarazarse dei pacto ajustado. "(24).

2.2. La actitud deI Gobierno Liberal ante la cuesti6n de Marruecos :

A diferencia de Cânovas, Sagasta tenfa plena confianza en sus ministros,especialmente en los planteamientos de su ministro de estado, Segismundo Moret,debido a su gran experiencia polftica y diplomâtica perfeccionada durante suestancia en la embajada espafiola de Londres. Desde que sucedieron a losconservadores en 1881, los miembros dei Gobierno liberal mostraron una granvalentia y preparacion para !levaI' a cabo una polftica exterior capaz de sobrepasarlos limites dei aislamiento anterior. Los esfuerzos que dedico Moret desde lacartera de Estado hicieron posible el mantenimiento de estrechas relaciones convarias potencias extranjeras y abrieron una etapa de un relativo aperturismo.

La cuestion de Marruecos va a recibir un tratamiento especial, no solo pOl'los planes aperturistas de Moret, sino también pOl' una serie de condicionantes que

(23) La Época, 29 de abril de 1887.En El Mundo y El 1mparcial dei 9 de noviembre e 1887, encontramos artlculos que critican la

presencia de Espaoa en el Convenio deI MeditelTaneo y su adhesi6n a la politica Bismarckiana. Ambosartfculos advierten por las consecuencias de una eventual guernl entre Francia y los palses de laAlianza.

(24) A.GP. (Archivo General deI Palacio Real). Fondos Alfonso XII, Cajon 13/2. Cartamellldada dei mùûstro de Esp(lfïa en Berlin a S.M. la Reina regente, 12 de abri! de 1889.

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se interponen entre SI : la situaci6n de indefensi6n y compromiso en que seencontraba el Imperio de Marruecos tras la firma dei acuerdo de Madrid en 1880-que habla concedido grandes ventajas a la potencias extranjeras y a sussubditos-, era una cuesti6n capaz de producir alteraciones a nivel nacional tanto enla polftica como en la sociedad espafiola debido al papel hist6rico, geopolftico yecon6mico que representaba Marruecos para Espafia.

La enfermedad dei sultan Moulay el Hassan en 1886-1887 acentu6 lacompetencia europea y converti6 a Marruecos en un renovado centro de interés; uninterés justificado por los actos de piraterfa realizados en la zona de Rif, y tambiénpor las frecuentes insurrecciones de algunas tribus marroqules. Esta situaci6nprovocarfa el inicio de las maniobras intervencionistas europeas. Inglaterracomunic6 a los gabinetes de Paris, Roma y Madrid que su Gobierno enviarabuques de guerra a la bahla de Tanger con el objetivo de que se adoptasen algunasmediadas efectivas para mantener el orden en el Imperio ; poco después, el mismoGobierno inglés anunci6 su intenci6n de evitar cualquier tensi6n internacional entoma a Marruecos(25). En cualquier caso, la declaraci6n inglesa puso sobre eltapete la posibilidad de romper el statu qu6 marroqul y revel6 sus intencionescoloniales.

En cuanto a Francia, su Gobierno estaba siguiendo los mismos pasos desdehace tiempo. A través de sus primeras operaciones de extensi6n en la zona Este deMarruecos, apoderandose de algunas regiones que hacfan Frontera con Argelia elGabinete de ParIs mostr6 sus verdaderas aspiraciones intervencionistas para hacerefectiva su presencia en este Imperio.

La enfermedad de Moulay el Hassan fue considerada por Francia coma granoportunidad para alterar el statu qu6 en un futuro no muy lejano. Dichoacontecimiento fue aprovechado para establecer su protecci6n sobre los Xorfa deWazan, una de las familias mas influyentes de la sociedad marroquf y la unica quepodrla disputar el Trono a los Alauitas y facilitar la intervenci6n francesa en elcasa de que muriera el Sultan(26).

Las intenciones alemanas, tampoco permanecieron ocultas ante la delicadasituaci6n que vivfa Marruecos. El propio Joaqufn Costa revel6 a la opini6n pûblicaun artlculo de la revista Anales Politicos en la que se afirmaba que la costa deMarruecos era un objetivo perseguido por Alemania, con las miras de instalar allfuna estaci6n naval. Segun este artlculo, el suefio de Bismarck era convertir alImperio aleman en una potencia naval, y mientras Alemania no tuviese una

(25) 1. Becker. Historia de las relaciones exteriores de Espmïa durante el Siglo XIX, op. cà.,pags 646-647.

(26) El Senor Ordega. Ministro de Francia en Tanger ofrecfa en 1884 la protecci6n francésa alXrif de Wazan. y preparaba declaradamente el protectorado francés en Marruecos. El documento quehemos consultado nos atlrma que ha habido por pane de Espaoa la intenci6n de paralizar la acci6n deISenor Ordega. considerando que ambas potencias tienen la obJigaci6n de mantener el statu quo enMarruecos, A.G.P., Fondo Alfonso xm, Cajon 13/2, Correspondencia dei conde de Benomar alministro de Estado, Moret, 18 de octubre 1887.

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estaci6n mediterninea todos los planes de su polftica colonial serfan estériles. Seplanteaba ademâs la posibilidad de una inteligencia con Inglaterra, a la quefavorecerfa en Egipto "campensândola par este media de la que perderia en atropunto "(27).

Se aseguraba también que desde hace algunos meses "el principe deBismarck mantenia una perfecta inteligencia con el Gobierno italiano para ejerceruna acci6n camun en las castas qfricanas. Como consecuencia de ella, !talia seapoderaria de Tripoli, a cuyo efecto habla concentrado en Sicilia considerablesfuerzas, mientras Alemania realizaria un desembarco en las costas de Marruecas,haciendo suyo unos de los puntos a prop6sito para instalar una estaci6npermanente, afin de canvertirla a puerto militar... "(28).

Espafia también va a intervenir en la cuesti6n marroquf. Su inestableposici6n refleja par un lado el delicado estado de este problema y revela por otro lainteligente labor de la diplomacia espafiola que procura evitar su implicaci6n encualquier acta bélico. Pero esta timidez nunca quisa decir que Espafia renunciara asu presencia en la evaluci6n dei conflicto marroquf. Para Espafia, la vigencia deIstatu qu6 en Marruecas significaba que francia no extiende sus derechas hasta elAtlântico y que cualquier otra patencia no amenazanl sus calonias africanas y susterritorios peninsulares. Aun mas, la significaci6n geopalftica y estratégica deMarruecos planteaba para Espafia problemas de cal'acter cultural y ecan6mica, enuna épaca marcada par el aperturismo internacianal. Este interés consagrada a lacuesti6n marroqui venfa manifiestandase a 10 largo de la segunda mitad dei sigloXIX. Desde las primeras expedicianes cientfficas y diplamaticas hasta la Guerra deMelilla en 1893-1894, Marruecos permanece en la historia de Espafia como una

(27) No sabemos hasta que medida puede ser verdad 10 que plantea el sefior M. Bresson en suartfculo mencionado y traducido par Joaqufn Costa, la unica cosa que sabemos, es que Alemaniatampoc6 se qued6 alejada dei conflicto diplomatico que result6 el problema marroquf. El complejointerés que representaba Marruecos, consiste en formar paI1e de un problema mas complicado aun; essu posici6n geografica -Mediterraneo Occidental- que le convierte a lin punto donde se interponen nos610 las intenciones de Alemania, sinn de todas las potencias europeas.

J. Costa, "Marruecos, Alemania y Espafia", Revista de GeografTa Comercial, Tom 1, Madrid.Afips 1885-1886; pags 205-206.

(28) En el mismo artfculo traducido por Joaqufn Costa se hace referencia a la lIegada de linnuevo ministro plenipotenciario aleman a Tanger, para negociar con el Sultan un acuerdo de comercioque pueda favorecer a Alemania las ventajas de establecer sus factorfas en alglinos puntos dei litoral.Joaqufn Costa Sllpone la posibilidad de que la embajada marroqllf enviada a Madrid, vina a comprobarla posici6n de Espafia en cl casa de que el Sultan concedeni ventajas a Alcmania. Costa, menciona unartfculo publicado en Le Temps donde su aulor comenta que ", ..el Su/tân se hal/a en visperas deconc!uir con Alemania LIn tratado que asegurarâ al comercio alonân LIna sùuacù5n excepcional as! enlas costas COI1IO en 10 interior de Marmecos, y otorgarâ al Imperio la facultad de establecer en estelm/Jerio factorfas, agencias consulares y dipôsùos de carbôn y viveres. El Sultân procura resistir a lmpretenciones de Alemania, que quiere obtener para sus subditos concesiones de minas. de viasférreas yde obras pûblicas en el Mogreb H.

Joaqufn Costa advierte por los peligros de las negociaciones que mantiene Alcmania conMarruccos, y estima necesario que no se conceda ventajas a ninguna potencia sin el consentimiento deiGobierno espafiol. /dem.

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encrucijada donde se interfieren la seguridad, el honor patri6tico, la culturaadversaria y los intereses econamicos. En definitiva, la conciencia espanolaconcebfa a Marruecos como un espacio secundario cuya colonizacian no estapermitida a nadie sin su consentimiento.

Los primeros pasos dei aperturismo de Moret dan a la polftica exteriorespai'iola un caracter pragmatico, a fin de asegurar la presencia de Espaoa en unode los escenarios internacionales en los que se jugaba el destino de las grandespotencias. Ante las interminables iniciativas coloniales de Francia, y tras lasamenazas de Alemania e Inglaterra, Moret manifesta su oposici6n a la ruptura deIstatu qua en Marruecos. En llna circular mandada en 1886 a sus representantes enel extranjero, Moret considera "que debemos familiariwr a los Cabinetes deEuropa con la idea de que nada puede ocurrir en Marruecos, sin que Espmîa tomeen eUo preferente y decisiva parte". Un afio mas tarde, el mismo ministro deEstado remite otra circular declarando que" los agentes de EspalÎa en el extrm~jero{deben aprovechar} las ocasiones que se les presenten para afirmar de LInamanera terminante que Espmîa considerara cualquier modificaci6n que en elrégùnen 0 en las condiciones territoriales de Marruecos pudiera ocurrir camo wU!

cuestion espmîola, en la que estar{a resuelta a intervenir por todos los medios a sualcance "(29).

Espafia, vecina septentrional aprovechara su posicion geografica y polfticapara intervenir crecientemente en Marruecos, donde la inteligente labor de sudiplomacia suplfa SllS debilidades en el concierto europeo, tanto en 10 relativo a lospafses de la Triple Alianza -a quien se encontraba ligada en base de unoscompromisos poUticos, los llamados acuerdos del Mediterrâneo- como conFrancia, quien le proponfa generosas ofertas relativas a un posible reparto deMarruecos.

Moret era consciente de que los intereses de Espaiia en Marruecos tenfanque contaI' con el placet de Berlfn y Parfs. Mantener una posicion equilibrada entredos potenciàs tan opuestas fue una labor bastante diffcil en una Europa entregadaal sistema de Alianzas y con una historia que conserbava mIn las huellas de unadesastrosa guen"a franco-germanica. Las actividades diplomMicas mantenidas porla representacion espafiola en Berlfn consiguieron que Espaiia obtuviese una seriede beneficios internacionales. En los acuerdos deI Mediterraneo y en el canje denotas entre los dos gabinetes italiano y espaiiol, se puso de manifiesto el graninterés que representaba la cuesti6n deI Mediterraneo occidental, aludiendo a latrascendencia de la amenaza francesa en el Norte de Âfrica.

Sobre la posibilidad de compaginar el consentimiento de la Triple Alianza ylas ofertas francesas relativas a Marruecos, hemos consultado una serie dedocumentos que revelan la importancia de la labor ejercida por la diplomaciaespafiola. En un telegrama fechado el 12 de octubre de 1887, el ministro

(29) Conde de Romanones, Moret y .l'li actuaciôlI ell la polftica exterior de Espaiia, op. cil., pags

46-47.

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plenipotenciario espafiol en Ber1fn, conde de Benomar, transmite al ministro deEstado, el contenido de las negociaciones mantenidas entre el ministro deNegocios Extranjeros italiano, Crispi, y el conde de Bismarck quienes informarona Benomar que apoyarfan resueltamente a Espaiia en Manuecos en el· casa de quesus intereses se viesen amenazados por Francia, a fin de conservar el equilibro defuerzas en el Mediterraneo. Por su parte, Benomar considera que "todos los tratossobre Marruecos haMan sido de tal punto favorables a nuestra politica... (y que elGobierno aleman) haMa tratado con Crispi la cuestion marroqu{ en un sentidocompletamente favorable a la poUtica y a las tendencias y a los intereses deEspQlïa conforme con los pactos existentes con ltalia, procedera en esto deacuerdo con el gobierno italiano y también con el inglés que tiene, como Esp(uïa,interés en el mantenimiento de la integridad territorial de Marruecos "(30). En elmismo texto Benomar alude a la declaraci6n deI ministro italiano quien afirm6"que antes de ver a Francia posesionarse de Marruecos prefiere ver a EspaJïaduelïa de aquel imperio... ltalia tiene el papel de marchaI' en primera /{nea conEspaJïa en esta cuestion, quedando en reserva Alemania y Austria... "(31).

Esta declaraci6n nos plantea el problema de averiguar por qué quedarfan enreserva grandes potencias coma Austria y Alemania ante esta cuesti6n; ~acaso elministro italiano desconocfa las ambiciones colonialistas alemanas? ~Acaso

ignoraba las intenciones de Bismarck relativas al mantenimiento deI equilibriofrente a los fines deI expansionismo francés? Lo cierto es que Alemania procurabadisfmular -como hemos mencionado antes- sus intenciones acerca de Marruecos,de tal modo que este encubrimiento le concediera las manos libres ante Francia ysus problemas coloniales. En unD de los telegramas transmitidos a Moret, Benomarmenciona esta posici6n alemana, asf afirma que, en una de las entrevistas, elprfncipe de Bismack asegur6 que "Alemania y Austria procuran aparecer alejadaspara no provocar recelos de Francia ... (y que) ltafia, EspaJïa y lnglaterra puedenllegar a una resolucion referente a la cuestion de Marruecos si aparecen solas...Si acaso la situacion requiere acto béfico... Alemania no manda buques peromarca su union con lnglaterra... "(32).

Seglin el informe de Benomar, el conde de Bismarck considera que a"d(ferencia de intereses que en el Mediterraneo y pOl' consiguiente en Âfrica,tienen dichas tres potencias .. los de !tafia son muy grandes .. los de Austria sonimportantes, pero los de Alemania son pequeiios (pOl' eso) cuando se trata de unacuestion dei Mediterraneo, se tiene que avisaI' a Italia y Austria "(33) para compatirlas decisiones tomadas al respecto(34).

(30) AG.P., Fondos Alfonso XIII, Caj6n 13/2, BenoJ1U1r a Moret, 12 de octubre de 1887.(31) Idem.(32) AG.P., Fondos Alfonso XIII, Caj6n 13/2, Benomar a Moret, 12 de octubre de 1887.(33) AG.P., Fondos Alfonso XIII, Caj6n J3/2, Benomar a Moret, 18 de octubre de 1887.(34) En la misma carta, Benomar informa también que el Canciller aconseja al Gobierno espaiiol

de .....que en vista de las proposiciones de Francia debfamos conectar nuestra respuesta para que éstarespondiendo a la situaciôn po/(tim general estuviese conforme con los compromisos contnlÎdos quenuestra lealtad CI 10 pasado nos informa el deber que cOl1(tamos consultando simult6neamente en FJI'IllacOl1fïdencial a los Gabinetes de Ber/(n, Viena y Roma ". Idem.

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MARRUECOS y LA POLITICA EXTERIOR ESPANOLA: 1874-1887 101

Aparte de su relacion con la Trfplice en torno al Mediterraneo occidental,otra cuestion que obsesiono a la polftica exterior espafiola fue la oferta francesa deun supuesto reparto de Marruecos, hecha por su embajador en Madrid, M.Cambon. Moret considera oportuna la idea de un reparto que convirtiese elproblema marroquf en una cuesti6n exclusivamente hispano-francesa, pero a la vezsabe perfectamente que una propuesta tan delicada coma ésta podrfa despertar lasusceptibilidad de la Triple Alianza, especialmente de Alemania -enemiga eternade Francia-. Pese a ello, Moret entablara con Francia negociaciones sobre laresoluci6n de dicho reparto. En un telegrama fechado el 25 de octubre de 1887,Moret comunica al conde de Rasc6n, embajador de Espafia en Londres que nuncahabfa, "llegado a mayor interés en nuestras relaciones con Francia en lo que a lacuestion marroqui se refiere ... y que M. Cambon le expone la siguiente oferta : 1)Mantenimiento de los compromismos contraidos .. 2) inteligencia de Espmla yFrancia para hacer de la cuestion marroquf una cuestion exclusivamente franco­espmlola .. 3) reparticion eventual de Marruecos cuando nos conviniera "(35).

Moret afirma también en su calta que el embajador francés "no ha llegado min ensus proposiciones hasta el punto de fijar la lfnera de reparto, ni losprocedùnientos y medio de hacerlo .. si bien ha indicado Cambon que Espmlatendrfa toda la parte Norte de Marruecos hasta el Atlantico y Francia toda laparte meridional, siguiendo el curso dei Muluya y las vertientes septentrionalesdeI Atlas, también hasta el Atlântico, en el cual segt/n afirma Cambon Franciatiene el mayor interés en poseer un puerto, afin de apoyar sus establecùnientos entodo el centra de Africa "(36). Con el mismo proposito, el ministro de Estadoespafiol envfa otro telegrama al conde de Benomar, avisandole de que : "Elembajador de Francia ha adelantado su vuelta (1 Madrid y, como es natural, vinoal Ministerio el mismo dia en que se llego. Su conversacian file muy ind(ferente...me habla de Marruecos y se apresuro a desliz.{l/~ que no a establecn; lasproposiciones siguientes : Francia no reclama mas que el cumplùniento de loscompromisos con Espaiia ... esos compromisos Francia los ha cumplido con granlealtad ,. el gran interés de Francia y 10 que busca es hacer de la cuestion deMarruecos una cuestion hispano-frmzcesa ... una vez. conseguido esto, podemoshacer lo que queramos, incluso, dividùnos a Marruecos tamanda Espaiia la costadel Norte y ellos el resto, 0 de cualquier otra manera "(37).

La respuesta deI conde de Benomar respecto a la propuesta dei repartorefleja la posicion de Espafia ante una cuestion que no deja de ser compleja,porque puede afectar a los compromisos que le ligaban a la Triple. Benomar nodejo de advertir de las nefastas consecuencias que podrfa originar la propuestafrancesa ; por eso considera necesario consultar a Alemania antes dedar cualquier

(35) A.G.P.. Fondas Alfonso XIII, Caj6n 13/2, Del minislro de Eslad; a/ conde de Rascon, 25de oclubre de 1887.

(36) Idem.(37) A.G.P., Fondas Alfonso XIII, Caj6n 13/2, De Morel a Benol/lar, Madrid, 16 de octubre de

/887.

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102 YOUSSEF AKMIR

paso en las negociaciones con Francia. En un telegrama remitido a Moret, leinforma que "comprende ... que la idea de Francia es aislarnos de la Europaindisponiéndonos con elta y quedarse en Marruecos frente a frente de Espmia solapara apoderarse... de aquel Impe rio... no depende de la voluntad de Francia elque la cuesti6n de Marruecos sea 0 no europea. 10 es de hecho desde el mOinentoen que hay otras potencias que alt{ tienen intereses.... "(38).

Benomar transmite también al Gobierno espafiol las reticencias deBismarck, comentando que "respecto a la proposici6n de Cambon de dar a lacuesti6n !11arroqu{ el caracter de cuesti6n franco-espmiola. estuvimos cOl~f"Ormes

en que M. Cambon no pod{a menos de reconocer que ni esta en manos de Francia.ni de Espmia, ni de nadie ,. que la cuesti6n marroqu{... es europea desde elmomento en que Italia e Inglaterra tienen en elta intereses de primer orden "(39).

Pero Benomar sabfa que su Gobierno no se mostrarfa en ningun momentoindiferente ante la oportunidad deI reparto y pOl' ello dedic6 todo su esfuerzo aconseguir el consentimiento de Bismarck, cosa que no fue nada facil. Unhipotético reparto entre Espafia y Francia equivaldrfa a la marginaci6n de losintereses de la Triple en el Mediterraneo. POl' otra parte, Alemania no podrfaconsentir al establecimiento de un protectorado francés en Marruecos que harfarealidad el suefio de construir el gran Imperio colonial francés en Âfrica. Benomarmantuvo una serie de entrevistas con el conde de Bismarck, afirmandole queEspafia respetarfa las acuerdos internacionales y solicitarfa deI Gobierno francés lanecesidad de respetar los intereses de todas las potencias en la resoluci6n deIproblema marroquf. En una correspondencfa, el embajador espafiol -Benomar­comenta que en la ultima conversaci6n mantenida con el gabinete aleman se trat6de la propuesta relativa al reparto de Marruecos. En eHa el conde de Bismarckrecomend6 a Benomar la posibilidad de negociar con Francia acerca de laproposici6n de Cambon "una cosa es que ofrezca a Espmia las costas y lospuertos ,. y otra muy diversa que ofrezca la mayor parte deI Imperio marroqu{".Durante esta conversaci6n se hizo referencia a que de "esta cuesti6n deblan tenerconocùniento !taUa e Inglaterra para que en ningân momento pudieran ùnaginarque habla deslealtad pOl' parte de Espmia "(40).

La oferta francesa despert6 las ambiciones deI Gobierno espafiol, en especialde su embajador en Berlfn, quien lIeg6 a afirmar que 10 concedido a Espaiia par

(38) A.G.P.. Fondas Alfonso XIII. Caj6n 13/2. Del conde de Benomar a Moret, Ber/fn, 17 deoctubre de 1887.

(39) A.G.P.. Fondos Alfonso XIII, Caj6n 13/2, De Benomar a Moret, Ber/fn 18 de octubre de1887.

(40) En esta correspondencia Benomar informa a Moret que el conde de Bismarck aviso y di6explicaciones necesarias al embajador inglés Eduard Males para que éste transmita a Salibury el temade la propuesta hecha por Camb6n sobre el repm10 de Marruecos entre Espniin y Francia. y, sobre laactitud deI Gobierno de Espaiin en torno a esta propuesta.

Segun Benomar. el Conde de Bismarck considera necesario informar al ministro italiano enMadrid Maffei de la proposiei6n francésa relntiva a Marruecos.

A.G.P.. Fondos Alfonso XIII. Cnj6n 13/2. Benomar a Moret, Berlfn, 21 de octubre de 1887.

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MARRUECOS y LA POLITICA EXTERIOR ESPANOLA: 1874-1887 103

parte de Francia hacia que la soberanîa espafiola se extendiera "dei Rfo Muluya.desde su desembocadura hasta el punto en que dicho Rfo encuentra la lînea de/5 0

grado de longitud ; continuara por dicha lînea hasta su interseccion con elparalelo 3J de lathud y seguir por éste hasta su desembocadura en el Océano. Demodo que Agadir quede para Espaiia. Todo el territorio I1wrroquf situado al Nortede esta lînea comprendido entre ella. el Medherraneo. el Estrecho de Gibraltar yel Océano quedarâ para Espmla y el resto shuaelo al sur de dicha lînea. pasaFrancia "(41). El mismo telegrama refleja las ideas de Benomar favorables aaprovechar la oferta cuando dice a Moret que ha "examinado muy atentamente...la proposicion de Cambon y no encuentr(a) que sea absolutamente mala. Si laampliase... serîa una huena proposicion (y que) en el bien de la paz general y dela civilizacion de Marruecos conviene a EspOlla que acepte 10 que Francia leofrece. Espwla estarfa dispuesta a admitir S~l injluencia y su protectorado enMarruecos que gobernarfa de acuerdo con el Sultân, por medio de un residentegeneral, reservândose el derecho de guarnecer con tropas espaJ101as algunos desus puestos y dando las garantfas necesarias. no solo de que los Tratadosexistentes sean respetados, sino de que emplearâ. su accion para abrir al comercioy a la industria europea aquel pais hoy cerrado... "(42). AI mismo tiempo,Benomar afirma la necesidad de consultar a las potencias, agregando que no sepuede aprobar ninguna iniciativa respecto a la cuestiôn deI reparto sin tomarconciencia de la situaciôn internacional y de las relaciones que ligan a Espafia conotras potencias, por las cuales "no darâ un paso en este asunto sin el acuerdo denuestros tres aliados y el de lnglaterra... de no hacer nada SÙlO de COI1Uln acuerdocon ellos... "(43).

La verdad es que ni Moret ni sus mll1lstros en el extranjero estabanconvencidos de la oportunidad de dar un paso tan arriesgado. De este modo, losartifices de la polftica exterior espafiola postergaban la posibilidad de establecer unprotectorado sobre el Imperio marroqui, a pesar de las ofertas hechas por Francia.En este sentido, Benomar comunicô a Moret que sôlo el hecho de pensar en elposible reparto provocaria el malestar de los paîses de la Triple. El ministroespafiol en Berlin considera que 10 que mis importa ahora es el mantenimiento delstatu quô en Marruecos, pues esta seria -segun Benomar- la posiciôn mas cligna ymas patriôtica para Espafia, "porque es el ûnico media de contener a Franciaapoyandose en las del1uls potencias. Patriotica, porque no es el tiempo todavia deacometer la empresa de Marruecos si a ello nos obligan y nos fuerzan lascircunstancias ,. pues para esta empresa necesitamos rehacer nuestras fuerzasnacionalc5 y asegurar el futuro deI rey nino, y esto exige algunos alios. En cuantoal porvenir, si Marruecos ha de ser nuestro, 10 sera por acuerdo de todas laspotencias interesadas "(44).

(41) A.G.P., Fondas Alfonso XIII. Caj6n 13/2, Benolllar a Moret. Berlîn. 7 de N(JlIielllbre de

1887.(42) Idem.(43) Idem.(44) A.G.P., Fondas Alfonso XIII. Cajon 13/2, Benomar a Moret, Berlîn, 18 de octubre de 1887.

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104 YOUSSEF AKMIR

Espafia, inmersa en un proceso de reconstrucci6n interior, y con unosnuevos planteamientos en su polftica exterior, volc6 en Marruecos toda la energfade su diplomacia. Esta acci6n diplomâtica serâ también condicionada pOl' losintereses de la burguesfa mercantil dominada pOl' la idea de explotar los mercadosmarroqufes. La polftica espafiola irâ pragresivamente mostrândose a los ojos deEuropa menos neutral, confirmando que los contactos mantenidos con el pafsvecino engloban los intereses econ6micos, geopolfticos e hist6ricos.

La inestabilidad que deriv6 de la enfermedad de Moulay el Hassan incit6 lareacci6n de la diplomacia espafiola que se mostr6 ambicionada pOl' el intersés quedespert6 la generosa oferta sobre un supuesto reparto de Marruecosexclusivamente hispano-francés. Sin embargo la poiftica exterior espafiola optanlpor la reflexi6n y la prudencia. La competencia internacional en torno à la cuesti6nmarroquf, la rivalidad franco-alemana, el interés de Inglaterra, Italia y Austriaredujeron la ambici6n colonialista espafiola y motivaron el fracaso de lasnegociaciones hispano-francéses sobre dicho reparto.

En definitiva, la poiftica exterior espafiola durante los primeras Gobiernosde la restauraci6n no dependfa de Madrid, sino de las decisiones tomadas enBerlfn, Viena, Londres y Parfs. Espaiia tendrfa que esperar hasta principios deIsiglo XX para que las potencias internacionales le otorgaran la ocupaci6n de unaparte de MaITuecos.

Youssef AKMIRMadrid

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 105-124.

GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAISÀ KASBA TADLA EN 1941

LIDIA MILKA·WIECZORKIEWICZ

"Voilà comment on nous traite maintenant sous le drapeau de la Franceaprès avoir combattu ensemble avec le drapeau de la Pologne". C'est avec cesmots qu'ont manifesté leur mécontentement les Polonais ayant vu ZbigniewSkoplak, sorti de l'hôpital de Casablanca, pour être transféré par la Gendarmeriedu D.LM. (le Dépôt des Isolés Métropolitains de Casablanca) à Kasba Tadla avecles menottes aux mains, à la date du 21 mai 1941 (l).

La citation ci-dessus vient du recueil déposé aux Archives du Château deVincennes - Service historique de l'armée de terre, intitulé "Groupement spécialdes travailleurs polonais du Tadla (1941)". La documentation porte sur lesPolonais, notamment les soldats et les officiers de réserve, qui, après la défaite dela France, lors d'une évacuation clandestine, sont parvenus au Maroc où ils ont étéregroupés par les autorités du Protectorat au camp de Kasba Tadla à 200 km ausud-est de Casablanca.

Le gouvernement de Vichy a procédé à la démobilisation de l'Arméepolonaise à la fin du mois de juillet 1940. Des centres de démobilisation ont étécréés auprès des camps polonais de Toulouse, Marseille, Lyon, Vichy, Limoges etAuch - pour les soldats revenant avec du retard de la captivité nazie ou bienaffluant de Suisse, où la 2e Division d'infanterie avait été internée. Les soldats endémobilisation touchaient une rémunération, une prime de démobilisation ajoutéeà leur solde. A l'heure de la démobilisation, les autorités militaires françaises ontdonné l'ordre d'organiser des compagnies de travail auxquelles devaient êtreassignés les soldats ainsi que les sous-officiers demeurant sans travail. Lesmilitaires venant de Pologne étaient les premiers concernés ainsi que ceux quin'envisageaient pas de rentrer chez eux dans la zone occupée. Incorporés dans lescompagnies de travail, ils étaient censés couvrir les frais du gîte et du couvertmoyennant une partie de leur rémunération. Les officiers, à lem' tour, devaientbénéficier d'une allocation dont le montant variait en fonction du grade. Ils avaientégalement droit aux logements particuliers ou bien aux foyers pour officiers

(1) Le Capitaine Doucin, Commandant le Groupement Spécial des travailleurs Polonais du Tadlaau Général Commandant la Division Territoriale de Casablanca, Etat-Major, 2e Bureau, N° 526 D du 26mai 1941 [dans:] Service Historique de l'Armée de Terre, Vincennes, sygn. 3H 1322 (cité plus loinS.H.A.T.).

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expressément mis en place. Si les militaires ont applaudi l'ordre à ladémobilisation, ils affichaient en revanche une certaine hostilité au concept descompagnies de travail. Il se sont alors soumis volontiers à l'appel des autoritéspolonaises de Londres à l'évacuation(2).

La décision d'une évacuation collective a été prise après que legouvernement français ait entrepris les pourparlers de capitulation. Le 18 juin1940, le général Wladyslaw Sikorski, Premier ministre du gouvernement polonais(à partir du 30 septembre 1939) et Commandant en chef (à partir du 7 novembre1939), s'est envolé de Bordeaux dans la direction de Londres où, le lendemain, ils'est entretenu avec Winston Churchill. A l'issue de cet entretien, les deux partiesont exprimé publiquement leur ferme volonté de combattre l'occupant et leCommandant en chef, pour sa part, a lancé un appel à l'intention des troupespolonaises afin qu'elles atteignent les ports atlantiques et méditerranéens ou bienla Suisse neutre. Churchill avait suggéré de dépêcher des bâtiments et naviresbritanniques dans les ports français ainsi que de mettre en place des dispositifs dedéploiement en Ecosse. Des unités polonaises de la Marine de guerre ontégalement participé à l'action, notamment "Blyskawica" et des bateaux decommerce et de pêche. L'opération s'appliquait aux institutions du Ministère desAffaires Militaires comme à l'Etat-Major Général et aux détachements au-delà dufront, focalisés en trois sites: dans la région de Coëtquidan, Parthenay, Saintes etdans la vallée du Rhône. Les pilotes étaient évacués particulièrement depuis lesports de la Méditerranée (Vendres et Sète) vers l'Afrique du Nord, pour parvenirenfin en Angleterre. Cette action de retrait dirigée par un état-major expressémentnommé, avec le général Marian Kukiel à sa tête, a cessé le 25 juin 1940. Au total19.451 soldats (parmi 84.500 personnes mobilisées dans l'Armée polonaise) et3.000 civils ont été évacués en Angleterre et en Ecosse(3l.

Dans les dernières journées du mois de juin 1940, la Brigade Indépendantedes Chasseurs des Carpates (dont 319 officiers et 3.437 soldats), commandée par legénéral Stanislaw Kopanski, faisant partie de l'Armée du Levant, est passée depuisla Syrie jusqu'à la Palestine où elle a renforcé les troupes britanniques(4l.

Par crainte d'être bloqués, dix navires et bateaux polonais ont quitté à leurtour les ports de l'Afrique occidentale française, de même que deux naviresd'école "Iskra" et "Wilia" levaient l'ancre de Port Lyautey, au Maroc (Kénitraactuellement) où ils étaient stationnés depuis l'automne 1939(5).

(2) Voir M.Z. Rygor Slowikowski, Wtajnej sluzbie (/n secret service). Polski wkald doswyciestwa w Drugiej Wojnie Swiatowej (The Polish contribution for victOl:v in the second World War).Londres. 1977, pp. 26-28. .

(3) Voir W. Bieganski, Wojsko Polskie we Francji /939-1940. Warszawa 1967, pp. 351-335.(4) Idem, Zaczelo sie w Coëtquidan. Z. dziej6w polskich jednostek regularnych we Francji.

Warszawa, 1977, pp. 254-264.(5) Etant donné que les marins de 1"'lskra" et du "Wilia" ont été transportés en Angleterre déjà en

novembre 1939, les équipages suivants étaient recrutés parmi les réfugiés polonais en provenance de

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN 1941 107

Les militaires des détachements combattant dans la France métropolitaine,ayant échappé à l'emprisonnement et parvenus dans le Midi de la France, ont subiune évacuation clandestine. Depuis la mi-août, sur la recommandation du généralJulian Kleeberg, elle était dirigée par le commandant Mieczyslaw Slowikowski,futur chef de l'office de renseignements polonais "L'Afrique du Nord" (mai 1941­septembre 1944). L'évacuation clandestine s'est avérée difficile étant dbnnéqu'après un long intervalle de désorganisation, les autorités françaises ont reprisleurs fonctions. Or, des mesures ont été prises qui entravaient la circulation despersonnes, à savoir spécialement celle des ressortissants pour qui le déplacementd'un département vers l'autre était interdit. Le franchissement en train demandaitune autorisation spéciale, nommée "sauf conduit", délivrée par la gendarmerie quisurveillait les gares. Les préfectures se trouvaient sous l' œil vigilant et non officielde la Gestapo. Par ailleurs, les consulats étrangers ont mené une politique.rigoureuse de visas. La situation s'aggravait avec la fermeture, le 1er octobre 1940,requise par les autorités de Vichy appuyées par les Nazis, de l'Ambassade dePologne et de tous les consulats polonais dans Ja zone non occupée. A leur place,des Offices polonais ont été instaurés, et au lieu de l'ambassade - la DirectionGénérale des Bureaux Polonais.

C'est la frontière franco-espagnole qui est longtemps restée l'itinéraireprincipal de l'évacuation par laquelle les soldats étaient transférés en clandestinité.Cependant, des particuliers, voire des groupes entiers, tombaient trop souvent dansles embuscades, pour être ensuite déportés au camp d'une mauvaise renommée,Mirando deI Ebro, ce qui a forcé les organisateurs à chercher d'autres solutions.Seule la voie maritime demeurait ouverte. Les transfelts au moyen de bateaux àmoteur, de bateaux de pêche ou d'embarcations moins importantes échouaient àcause d'un contrôle portuaire sévère et de J'interdiction de sortie en mer sansl'autorisation de la Commission d'Armistice, ainsi que de la pénurie du fuel aumarché noir. Deux directions étaient alors prises en considération: à traversl'Afrique du Nord ou bien à travers la Syrie et le Liban. La seconde était d'ailleurséloignée et peu fréquentée, le choix portait plutôt sur l'Afrique du Nord.

Les soldats faisaient donc l'objet d'une "contrebande", menée par les marinsdes bateaux de commerce faisant la navette entre Marseille et les ports de Tunis,Bône, Alger et Casablanca. Le tarif de la "croisière" oscillait en fonction dunombre des personnes transportées entre ]00 et 300 F. Le Maroc et le port deCasablanca passaient pour les endroits les moins dangereux. En novembre 1940,des officiers ont été dépêchés sur la côte africaine en vue de la préparation des

France, militaires et civils, y compris les pilotes. La plupart des 1.200 pilotes évacués de la France versOran qui se sont finalement retrouvés à Casablanca, ont embarqué sur deux navires anglais, le 2 juillet1940. Le consulat de Pologne à Casablanca a envoyé le reste à Port Lyautey atin de s'embarquer sur le"Wilia". Les deux navires ont atteint Gibraltar le 5 juillet 1940, après quoi le "Wilia" a été réintégré auconvoi des 5 bâteaux qui ont ramené les aviateurs polonais de ]'Afrique en AngletelTe. Voir 1. Pertek,Wielkie dni malej f1oty. Poznan, 1972, pp. 218, 249-264.

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établissements de réception et ensuite de leur transport à Casablanca. Le sous­lieutenant Krasinski s'est rendu à Tunis à cet effet, le lieutenant W. Gordon àAlger, et à Casablanca le capitaine diplomatique Jan Krzysanowski et l'officieraspirant Kazimierz Badeni. De juillet 1940 à mai 1941, on est parvenu à évacuerplus de 2.500 soldats de grades divers(6). Tadla était alors l'un des nombreux pointsde regroupement des Polonais au Maghreb.

L'ensemble archivistique consacré au regroupement des Polonais à KasbaTadla compte 129 pages et contient la documentation officielle, y compris ducourrier détaillé échangé entre le commandant du camp et les services particuliersdu Protectorat, dont; les Services de Sécurité Publique, le Dépôt des IsolésMétropolitains et l'Etat-Major du 2e Bureau. Ce courrier est composé entre autres:de notes de service et de renseignements, de comptes-rendus, de communiqués,d'états nominatifs, de feuilles de renseignements et de déplacements, de messageset de télégrammes, d'enquêtes, de procès-verbaux, de demandes de recherches,ainsi que de dossiers médicaux, de réclamations, de demandes de libération etd'autorisation de séjour.

L'analyse des effectifs porte à constater que plus de 200 Polonais ont été enrésidence surveillée à Kasba Tadla, dont deux-tiers issus de l'ancienne ArméePolonaise. Seule une partie de soldats s'y est retrouvée directement, le reste a étédéplacé vers d'autres camps: El Ayachi à Azemmour, Aït Ouaritane à Marrakech,Colomb-Béchar, Bou Arfa, Oujda, Imfout, Agdz, Berguent ou bien en résidenceforcée à Zagora. Un groupe de cinq personnes de l'ex-Armée Polonaise, refouléede Dakar, a été expédié à Tadla après l'arrivée du vapeur "Asie" à Casablanca le15 mars 1941 (7).

L'installation et la disposition des travailleurs étrangers, des ex-militairestout comme des internés civils, dans les camps particuliers étaient assurées par leDépôt des Isolés Métropolitains. C'est par l'intermédiaire du D.LM. de Casablancaqu'une partie des Polonais a été, à son tour, transférée de Tadla vers les campsd'Oujda, Berguent, Bou Arfa, Monod, Oued Akreuch, Settat, Erfoud, en résidenceforcée à Zagora et Rabat ainsi qu'aux camps situés en Algérie; à proximité deBogar, Colomb-Béchar, Mécharia et Mascara. Les effectifs du groupement à Tadlaétaient donc variables.

Suivant la suggestion du capitaine Bard, commandant du D.LM. deCasablanca, approuvée par le Général de Brigade, commandant de la DivisionTerritoriale de l'Etat-Major du 2e Bureau à Casablanca, le Groupe des TravailleursPolonais du Tadla a pris la composition suivante:

(6) Voir M.Z. Rygor Slowikowski, op. cit.. pp. 31-52.

(7) Les documents ne mentionnent pas le camp d'Ain Chok. Dans les archives de l'Ambassade dePologne à Rabat, une lettre du chancelier du consulat à Casablanca a été épargnée, adressée auContrôleur Civil Longin, responsable de la Région civile de Casablanca du 20 juillet 1940 sur lesressortissants polonais s'y trouvant.

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN 1941 109

6 Surveillants

1 Chefde Groupe

1 Adjoint au Chef de Groupe2 Surveillants-Chefs

Capitaine Doucin

Lieutenant SénégatAdjudant-Chef Gautier

Aspirant Buslowicz

Sergent-Chef Forge

Aspirant Kleybor

Aspirant Kowalski

Aspirant LangAspirant PelipeykoAspirant Wojtanowicz(8).

Le problème majeur que devait affronter le commandement du camp étaitcelui des évasions. Dans le dossier, on a mentionné 65 évasions auxquelles lessurveillants ont largement participé. D'après la documentation, c'est l'aspirantMichal Buslowicz, surveillant-chef, qui prit les devants: il est parti en absenceillégale avec 35 travailleurs au passage du groupement à Casablanca, en juillet1941 (9).

Quelles étaient les causes des évasions? L'analyse des rapports policiers nenous permet pas de fournir une réponse crédible à la question. Ainsi, à titred'exemple, les douze anciens militaires, arrêtés par la Gendarmerie le 25 juillet1941 sur la plage des Zénatas, à proximité de Fédala (Mohammadia actuellement),interrogés au sujet de l'évasion, pour la plupart s'en référaient à la version du sous­lieutenant Stanislaw Marek :

"J'affirme que nous étions campés à cet endroit pour notre plaisirseulement et nous n'avions nullement l'intention de nous embarquer pour quitterclandestinement le Maroc. Je perçois d'ailleurs au camp un traitement mensuel de900 francs. Je n'ai aucune raison de vouloir m'enfuir". Cependant, l'aveu dusoldat, Jozef Borowiec, paraît plus crédible: Sachant que je devais être dirigé surle Sahara pour les travaux du transsaharien, j'ai décidé de quitter le camp... J'aiété blessé au cours de la campagne 1939-1940 dans la région parisienne. Je n'aijamais eu de mauvaises intentions à l'égard de la France que je considère commema seconde patrie. Je certifie n'avoir quitté le camp de Kasba Tadla que parcrainte d'être envoyé dans le désert(IO).

Le capitaine Doucin, dans son rapport secret du 4 août 1941 sur lestravailleurs déserteurs, a porté un jugement convaincant sur la situation. "D'après

(8) Le Capitaine Bard, Commandant de D.LM. de Casablanca, au Général de Brigade.Commandant la Division Territoriale, Etat-Major, 2e Bureau. Casablanca, le 16 avril [dans:] S.H.A.T.

(9) Voir, entre autres, télégramme officiel nO 698/0 du 18 jui1Jet 1941 et Message postal duCommandant Groupement Polonais Berguent à Général Commandant Division Territoriale, Etat-Major,2e Bureau, nO 688/S.D. du 19 juillet 1941 [dans:], ibid.

(10) Le procès-verbal écrit par la Gendarmeie Nationale - Brigade de Fédala, n° 293 du 25 juillet1941 constatant la découverte et l'aITestation de douze travailleurs étrangers [dans:], ibid.

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110 LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZ

certains renseignements - écrivait-il - le lieutenant Polaniecki et l'aspirantBuzlowiecz étaient de connivence pour faciliter l'évasion des travailleurs del'ancienne Armée Polonaise". Il attirait J'attention sur le rôle du commandantWysoczanski : «Lui-Inême ne serait pas étranger à la chose, il aurait tenu despropos assez troublants lors de son dernier passage à Kasba Tadla, disantnotamment: "Je voudrais bien me débarrasser des Polonais ex-légionnaires, maisj'ai encore besoin d'eux pour masquer mes opérations,. je ne pourrai le faire queplus tard"». Il exprimait la conviction que "les Officiers polonais cherchent partous les moyens à faire partir les travailleurs de l'ancienne Armée Polonaise,. lesPolonais ex-légionnaires ne les intéressent nullement". En conclusion, il asouligné la nécessité "de prendre des mesures de toute urgence pour mettre unterme à une situation qui n'a que trop duré et qui risque de prendre desproportions inquiétantes si l'on n 'y met hon ordre ,,( Il).

Doucin ne se trompait pas dans son jugement sur le rôle du commandantWysocsafiski. Celui-ci, ancien officier de la Brigade Internationale, avait étédésigné par le général Kleeberg pour prendre le commandement du camp dessoldats évacués en Afrique du Nord. Il est resté pOUltant à Casablanca et a expédiéà Kasba Tadla les membres de l'organisation de l'évacuation clandestine deFrance: le capitaine Tonn, l'aspirant Badeni et le capitaine Krzyzanowski. Tous lestrois, en conflit avec Wysoczanski, collaboraient avec l'Office de renseignementspolonais, dirigé d'Alger par le commandant Slowikowski, pseudonyme Rygor.Outre ces trois personnages, deux autres membres de l'organisation deJ'évacuation clandestine sont apparus dans le camp: le capitaine WladyslawIwanowski et le capitaine Kubiscki(l2).

Il semble que les services policiers du Protectorat ne sont pas arrivés àdéjouer la conspiration des officiers cités ci-dessus. Les archives ne signalent quel'absence illégale de 1wanowski, Krzyzanowski et Badeni en octobre 1941, tandisque Tonn et Kubiscki sont cités exclusivement sur les listes des effectifs. Ledossier contient en revanche des traces de la surveillance des civils soupçonnésd'avoir apporté leur aide aux déserteurs. Dans la nombreuse communautépolonaise peuplant Casablanca, Leon Kotarba et Maria Cykowska suscitaient uneméfiance particulière. Or, une note sur Kotarba, munie de la mention "très secret",finit par l'affirmation suivante: "de l'enquête à laquelle il a été procédé, riend'irrégulier dans sa conduite, et particulièrement dans ses relations possibles avecdes déserteurs polonais, n'a pu être relevé "( 13). Dans une note confidentielle surl'affaire Maria Cykowska, née Weiss, "soupçonnée de donner asile aux officierspolonais évadés de Kasba Tadla" on constate que "d'après les renseignements

(II) Rapport du Capitaine Doucin, commandant le Groupement Spécial des Travailleurs Polonaisdu Tadla au sujet des travailleurs déserteurs, na 731/S.D. du 4 août 1941 [dans:], ibid.

(12) Voir M.Z. Rygor Slowikowski, op. cit" pp. 50,54,78 et 87.(13) L'inspecteur Audy Yves au Chef de la 2e Brigade Mobile, Casablanca, le 5 septembre 1941

[dans:] S.H.A.T.

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN 1941 III

recueillis aucun élément étranger ne viendrait lui rendre visite"(14). Toutefois, iln'est mentionné nullement le cas de Madame Goworowska, collaboratrice duService de renseignements polonais en Afrique du Nord. Tout en tenant une grandepharmacie en ville, elle hébergeait des soldats polonais. C'est chez elle qu'un posteémetteur radiophonique, "orgue de Barbarie", fourni par Tonn, était déposé(l5).

Cependant, le 2e Bureau français connaissait sans doute le personnage ducolonel January Grzedzinski, officier d'Etat-Major du général Sikorski ainsi quepremier chef du camp militaire à Coëtquidan en Bretagne (22 septembre-30novembre 1939), affecté aux Polonais en vertu de l'accord signé à Paris le 9s~ptembre 1939 portant sur la formation en France d'une division polonaise. Apartir du 20 septembre, les premiers groupes y étaient conduits, sortis des 20.000bénévoles qui, au déclenchement de la guerre, s'enrôlaient dans l'Arméepolonaise( 16).

Le nom de Grzedzifiski est mentionné dans le dossier du GroupementSpécial de Tadla. Il constitue l'objet d'une note de renseignement confidentielled'où il résulte que "le nommé Grzedzùïski January, arrivé à Casablanca en 1941sur le sis Aleine en provenance de Dakar, a présenté un passeport diplomatique sedéclarant colonel et conseiller d'ambassade, aryen, cathoüque"(17). L'auteur de lanote donne un démenti à l'affirmation ci-dessus: "a) il est israélite, b) il n'est pascolonel, c) il n'est pas diplomate (fragment illisible) e) il a été désavoué parl'autre Polonais,f) lors d'un précédent séjour à Casablanca, il a escroqué 14.000à M. Torre, ex-consul de Pologne ". La remarque "le nommé Grzedzinski estaujourd'hui une personne de 25 ans" témoigne de ce que les services françaisconnaissent bien l'âge du colonel. De là, les "conclusions" de la note: "individuintrigant et malhonnête indésirable au Maroc" étaient catégoriques. Elless'appliquaient par ailleurs à Danielle, qui prétendait être la femme de JanuaryGrzedzinski( 18).

Toujours est-il que le vrai colonel Grzedzifiski, après la défaite de la France,est effectivement arrivé au Maroc et s'est installé pendant plusieurs années àCasablanca, ce qui résulte nettement de son dossier personnel conservé àl'Ambassade de la République de Pologne à Rabat. Plus intéressant encore, dansson journal, un grand publiciste polonais Stefan Kisielewski nous fait part(1'information date du mois de mars 1975) de la cérémonie des funérailles de

(14) Le Commissaire, Chef de la Police Administrative au Commissaire Divisionnaire, Chef de laSûreté régionale, Casablanca, le 15 décembre 1941 [dans:], ibid.

(15) Voir M.z. Rygor Slowikowski, op. cit., p. 158.(16) Voir W. Bieganski, op. cif., pp. 62-63,153-167.(17) Une note de renseignements manuscrite avec une mention confidentielle, sans date ni

signature [dans:] S.H.A.T.(18) Le colonel Grzedzinski, d'après son dossier personnel conservé à l'Ambassade de Pologne à

Rabat, était divorcé. Les coordonnées de Danielle qui prétendait être sa femme sont contenues dans la"Fiche à remplir par chaque hébergé" [dans:], ibid.

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112 LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZ

Grzedzifiski décédé peu avant. "Parmi ses nombreux titres, décorations et lesvicissitudes de la fortune - écrivit Kisielewski - une chose peu habituelle étaitévoquée: <prisonnier des camps de concentration français au Maroc>. C'estfort! "( 19). Compte tenu du document cité, le séjour du colonel à Kasba Tadlasemble être un malentendu évident.

La présence d'un groupe des anciens militaires polonais au Maroc étaitd'autant plus gênante pour les autorités du Protectorat qu'elle n'échappait pas àl'attention de la Commission d'Armistice allemande fort représentée. Lestentatives d'une action concertée, faites auprès des Allemands, ont échoué. Unelettre conservée dans le dossier en témoigne de façon indéniable, celle du chef dela Commission d'Armistice, Teodor Auer, du 22 juillet 194 l, qui aurait étéadressée au Résident Général, Charles Noguès. Auer, en réponse à la lettre N°134/Cab. du 18 juillet, adressée au Consul de Suède, qui lui a été transmise par leConsulat d'Espagne, y affirmait hardiment: "mon Gouvernement ne reconnaît pasl'existence d'un "Officier polonais". Le gouvernement français s'est engagé àdissoudre tous les anciens consulats polonais,. du côté allemand, on aparticulièrement insisté sur le fait que des organismes semblables aux consulats,comme celui de "l'Office polonais" ne sont pas autorisés". En outre, ilrevendiquait "de lui faire connaître dans quel but on doit vér(fïer l'aptitude auservice des anciens militaires polonais "(20).

En octobre 1941, les anciens militaires polonais ont été transférés de KasbaTadla à Mascara, en Algérie, où les officiers se sont installés dans un hôtel, alorsque les simples soldats étaient dans un camp aux conditions pénibles. II faudraitcompter parmi les officiers, entre autres, le capitaine dip\. Tonn, le capitaine dip!.Krzyzanowski et l'officier asp. comte Badeni. Le 1er octobre 1941, lecommandant Wysoczanski séjournant jusqu'à ce moment-là à Casablanca, les arejoints. Un mois plus tard, Wysoczanski a tenté d'organiser une évasion collectivedu camp des anciens militaires polonais à bord d'un navire qui devait venir deGibraltar.

D'après le rapport du lieutenant Gordon, pseudonyme "René", mentionnéplus haut, membre de l'organisation de l'évacuation clandestine de France, etensuite du réseau de "Rygor", la côte recouverte de forêts à proximité de la localitéde la Macta, au milieu de la baie d'Arzew (entre les ports d'Arzew et deMostaghanem) devait être un lieu de rassemblement. En l'espace de trois jours (1­

3 novembre), des groupes de militaires y sont arrivés par train afin de rejoindreceux qui s'impatientaient pour l'embarquement. Le rassemblement de quelquescentaines de militaires sur une étendue limitée devait forcément attirer l'attentiondes Français, d'autant que le camp et l'hôtel étaient vides. En conséquence, les

(19) Stefan Kisielewski, Dzienniki, Warsawa, 1996r., p. 836.(20) La lettre d'Auer du 22 juillet 1941, adressée à "Monsieur le Général", dont l'objet était

"anciens militaires polonais réformés" [dans:] S.H.A.T.

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN 1941 113

unités militaires et de la gendarmerie ont encerclé la côte. A part le commandantWysoczanski et quelques autres officiers qui ont eu la chance de s'embarquer, lesdéserteurs ont été arrêtés et renvoyés en punition au camp Mecharia, situé plus loinau sud. De là, ils ont été ensuite déplacés vers Colomb-Béchar pour les travaux deconstruction du chemin de fer Alger-Niger.

Le comte Emeryk Hutten Czapski, délégué du gouvernement de laRépublique de Pologne pour l'Afrique du Nord, plaidait pour une amélioration dela situation des militaires de Colomb-Béchar. Grâce à ses démarches, il a obtenu letransfert du camp polonais vers le sud du Maroc, à Erfoud, où les conditions de viesemblaient meilleures. A la suite d'une intervention du gouvernement polonais àLondres, après le débarquement des alliés en Afrique du Nord, le 6 décembre1942, le camp entier a été transporté en Ecosse(21). Ainsi s'achevaient lespérégrinations des militaires pour qui l'évacuation de la France, en passant parl'Afrique du Nord jusqu'en Ecosse (où des unités de l'Armée polonaise seformaient), a duré deux ans et demi.

LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZPologne

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(21) Voir M.Z. Rygor Slowikowski, op. cit., pp. 152, 164,368,386.

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114 LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZ

INDEX DES NOMS POLONAIS

Adamczyk CzeslawAdles Bronislaw

Archutowski (Archtowski)Henryk

Badeni Kazimierz

Bass Philippe

Berger-Jankowski Stanislaw

Berniker StefanBerwicki Wladyslaw

Biegajski StefanBienenfeld Abraham

Boisse StanislawBorowiec J6zef

Borysewicz

Brammer Herber

Brocles Jaroslaw

Broniarczyk J6zefBuchta PawelBudzienny StanislawBurstyka

Busko Protar

- 2e classe; vient du groupement "B";- démobilisé; affecté au Groupe des travailleurs étrangers

na 10 à Oued Akreuch, le 25 mars 1941; signalé enabsence illégale;

- s/lieutenant; parti en absence illégale de Berguent avec 5Polonais (juillet 1941); en absence illégale (octobre1941);

- aspirant; vient de l'Armée polonaise; en absence illégale(septembre-octobre 1941) :

- ex-E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 sur D.LM. de Casablanca;

- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale (juillet1941);

- 2e classe; vient du groupement "B";- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale (juillet

1941);- vient de l'Armée polonaise;- ex-E.Y.D.G.; vient du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

transféré sur le D.LM. de Casablanca;- 2e classe; vient du groupement "B";- vient de l'Armée polonaise; né le 23 mars 1919 à

Borysl6w, fils de Wladyslaw et de Maria Stankiewicz;en absence illégale (juillet 1941); arrêté le 25 juillet1941;

- s/Iieutenant; de nationalité belge; en mai 1941 interné aucamp d'Agdz comme étranger; assimilé à un prisonnierde guerre; soumis au régime des internés libérés surparole; en résidence forcée à Rabat;

- ex-E.Y.D.G.; vient du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;

- ex-E.Y.D.G.; vient du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;dirigé sur Bou Arfa ou Colomb Béchar;

- 2e classe; vient du groupement "B";- 2e classe; vient du groupement "B";- dirigé sur Oujda le 15 avril 1941;- il ne s'est jamais présenté au 62e Escadron Mixte du

Train;- dirigé sur Oujda Je 15 avril 1941;

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN 1941 115

Buslowicz (Buslowicz)Michal

Carnys WiktorCheiminiak WladyslawChmielewski DamazyChmielewski KazimierzChopcian J6zef

Chrzanowski EdwardChrzastowski Edward

Chrzastowski JuliuszChrzastowski StanislawChrzastowski WaclawCoracy Zenol1Corak TadeuszCrezatowski MosawCykowska Maria née WeissCzapski Kazimierz

Dobrowolski Jan

Domagala J6zefDurkowski J6zefDworakoswki Kazimierz

Dyba J6zefDyzma MieczyslawDzieciatko Henryk

Erhmann Rudolf

Einhorn Joseph

EmkerWily

- né le 9 juin 1912 à Hyrckiewic (?); aspirant; parti enabsence illégale au passage du groupement deCasablanca (12 juillet 1941); en absence illégale(septembre 1941);

. vient de l'Armée polonaise;- lieutenant; Mascara; sous réserve (octobre 1941);- 2e classe; vient du groupement "B";- 2e classe; vient du groupement "B";- vient de l'Armée polonaise; né le 7 octobre 1910 à

Boutznniow (?); fils de Michal etde Katarzyna Kwiat­kowska; en absence illégale (juillet 1941); arrêté le 25juillet 1941;

. 2e classe; vient du groupement "B";- capitaine; il commande le détachement polonais de

Kasbah Tadla en septembre 1941;- lieutenant;- lieutenant;- capitaine;- 2e classe; vient du groupement "B";- vient de l'Armée polonaise;. capitaine;- née le 2 octobre 1896 à Varsovie;- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale (juillet

1941 );

. Démobilisé; il s'est évadé du D.LM. le 2 avril 1941;arrêté par la Sûreté le 21 avril;

- en absence illégale (juillet 1941);vient de l'Armée polonaise;capitaine; dirigé sur Berguent le 14 juillet 1941; parti enabsence illégale avec 5 Polonais; arrêté à Kasbah-Tadlale 1el" septembre 1941;2e classe; vient du groupement "B";dirigé sur Oujda le 15 avril 1941;vient du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

- ex E.V.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le DJ.M. de Casablanca;

- ex E.V.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;

- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.I.M. de Casablanca;

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116

Feil Franciszek

Filipecki WitoldFilipkowski Eligiusz

Friedmann Leopold

Frania Franciszek

Gackowski Jan

Garnys Wiktor GlokowskiG6rak (Gorak) Tadeusz

G6recki (Gorecki) Moszek

Grzedzinska DanielleGrzedzi nski JanuaryGutkowski Tadeusz

Guz Wladyslaw

Hall Herbert

LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZ

- né le 28 mars 1882; 2e classe; venant d'Azemmour;déserteur du 29 août 1941;

- le 14 janvier 1942, dirigé sur Sidi El Ayachi;- né le 18 novembre 1904 à Kammiskoie (Russie), fils de

Antoni et le Elzbieta Dziemianowicz; vient de l'Arméepolonaise; en absence illégale Guillet 1941); arrêté le 25juillet 1941;

- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.1.M. de Casablanca;

- 1ère classe;

- lieutenant; placé en résidence forcée à Zagora, ayantsigné une déclaration aux termes de laquelle il désiraitêtre remis aux autorités du Reich pour être employécomme tavailleur en Allemagne; dirigé sur Casablanca(au D.LM.) en avril 1941; rapatrié Quillet 1941);

- en absence illégale Guillet 1941);- 2e classe; né le (?) mars 1918 à Lw6w, fils de J6sef etde

Agata Kuzniar; en absence illégale (juillet 194 J); arrêtéle 25 juillet 1941; déserteur du 12 septembre 1941;

- né le 23 février 1914 à Nowy Dw6r, fils de David etPolar Kochenvasseur; ex-légionnaires du 2e RégionEtranger d'Infanterie; il a quitté sans autorisation lecamp sud de Kasbah-Tadla, s'est présenté au Régimentde Marrakech le 25 juillet 1941, dirigé le même jour surKasbah-Tadla, remis au bureau de garnison de OuedZem, ne s'est pas présenté au Centre d'hébergement;recherché à partir du 25 août 1940; se présente àColomb Béchar - Groupement "B" des TravailleursEtrangers - Groupe n° 23;

- née le 11 octobre 1919 à Wigielz, nationalité polonaise;

- vient de l' Armée polonaise; en absence illégale Quillet1941);

- né le 12 février 1918 à Kosmov, fils de Franco etMariana Kazimerka; travailleur étranger, en novembre1941 au Groupe de travailleurs n° 9 à Imfout; enabsence illégale le 24 octobre 1941; disant vouloircontracter un engagement dans la Légion Etrangère;

- le 13 janvier 1942 venant de la Division Territoriale deCasablanca; le 18 octobre 1942 dirigé vers le Groupedes Travailleurs Etrangers àBou Arfa;

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN 1941 117

Hryniszyn JanHunka Stanislaw

Hunick (Husnick) Kurt

- vient de l'Armé polonaise;- né le 5 septembre 1893; 2e classe; vient de l'Armée

polonaise; déserteur du 29 août 194];- détaché à la Chefferie du Génie de Casablanca, le 23

avril 1943; a été mis en route sur Camp Monod;

Iwanowski Wladyslaw

Iwasieczk JanIzylowski CzeslawJankowski Antoni

Jankowski BronislawJankowski StefanJanta-Lipinski (Lipinski)

FlorianJaraska

Jirus Louis

Juskiewicz StefanJ6zefkowicz Kazimierz

- né le ]8 février] 913 àBiala Podlaska; capitaine venantde l'Armée polonaise; refoulé de Dakar; arrivé le 15mars 1941 àCasablanca par le vapeur "Asie"; dirigé surKasba Tadla, en absence illégale (octobre 1941);

- dirigé sur Oujda le 15 avril 194 J;- vient de l'Armée polonaise;- né le 18 décembre 1893 à Libawa, fils de Jean et de

Anna Gielzymka; militaire de carrière; vient de l'Arméepolonaise; en absence illégale Guillet] 94]); arrêté le 25juillet 194];

- vient de l'Armée polonaise;

- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale Guillet1941);

- en mai 194] au Camp de travailleurs étrangers internéscivils d'Aït Ouaritane à Marrakech; venu d'Ouarzazateau D.LM. de Casablanca, il a été mis en route sur KasbaTadla le 30 mai 1941;

- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;dirigé d'Oujda à Kasba Tadla en avril] 94]; manquant àFès;

- vient de l'Armée polonaise;- lieutenant;

- aspirant; en absence illégale (septembre-octobre 1941);- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

transféré le ]5 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

transféré le 15 avril] 94] vers Je D.LM. de Casablanca;- né le ]3 mars] 914 à Barnoszcze; sergent; vient de

l'Armée polonaise; refoulé de Dakar, arrivé àCasablanca le 15 mars 1941 par le vapeur "Asie"; dirigéà Kasba Tadla; en absence illégale (juillet] 941);

Karczunski (Kartzynski) J6sef - vient d'Azemmour;Kic Witold - vient de l'Armée polonaise;Kirmii'iski BoleslawKlejbor (Kleybor) StanislawKnapp J6zef

Kolosowski Stanislaw

Kock Zoltan

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118

Konewko StefanKorona ChaimKosatka Wladyslaw

Kotala Antoni

Kotarba Leon

Kowalski TadeuszKoza RomanKozakowski (Kozarowski)

Roman

Kozula JanKrojna

Krzysanowski JanKubicki Tadeusz

Kubicki Zbigniew

Kuzmifiski (Kurmifiski)Boleslaw

Landes ErnestLandesman Rabael

Lang TadeuszLitwinowicz (Litwinowiez)

AntoniLisko (Lysko) Pawel

Machaj (Machacj) Jaroslaw

Marek Stanislaw

LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZ

- 2e classe; vient du groupement "B";

- né le 1 avril 1912 à L6dz; fils de Wojciech et deAntonina Zawieja; vient de [' Armée polonaise; enabsence illégale Quillet 1941); arrêté le 25 juillet 1941;

- né le 14 novembre [916 à Lw6w : fils de Antoni et deKatarzyna Kemerec; vient de ]' Armée polonaise; enabsence illégale Quillet 1941); arrêté le 25 juillet 1941;

- né le 2 avril 1891; fils de Pierre et Prada Regina;arrivéau Maroc en mars 1925;

- aspirànt; en absence illéga[e (septembre-octobre 1941);- 2e classe; vient du groupement "B";- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;dirigé sur Bou Arfa ou Colomb-Béchar;

- vient de ]' Armée polonaise; recherché à partir du 16octobre 1941;

- capitaine; en absence illégale (septembre-octobre 1941);- ex E.Y.D.G.; dirigé d'Oujda à Kasba Tadla en avril

1941; manquant àFès;- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;il a été

conduit le 12 mars 1941 vers le D.LM. de Casablanca;- aspirant; en absence illégale (septembre-octobre 1941);

- 2e classe; vient du groupement des travailleurs "A";- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale (juillet

1941);- aspirant;

- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale Quillet1941);

- ex E.V.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;dirigé sur Bou Arfa ou Colomb-Béchar;

- s/lieutenant, né le (7) janvier 1916 à Sosnowice-Like,fils de Franciszek et Go'znowska J6zefa; dirigé surBerguent le 14 juillet 1941, parti en absence illégaleavec 5 Polonais; arrêté le 25 juillet 1941; parti enabsence illégale d'Oujda à la suite d'une permission de

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN J941 119

Markowski KaralMartyniak WasylMatenko Jan

Mazur Sbigniew.MazU!" SygmuntMezl JaroslawMielec Andrzej

Mink Werner

Miserka Henryk

Molusek Jozef

Mostowski Stanislaw

Moscicki Waclaw

Nawojski Zdzislaw

Neumann GustawNeumann Stanislaw

Niessner Etienne

Nurmbergue Jean

Olczak IgnacyOlszewski Henryk

Orawski Kara]

24 heures (juillet 1941); en absence illégale (octobre1941);

- aspirant; en absence illégale (septembre-octobre 1941);- dirigé sur Oujda le 15 avril 1941;- vient de l'Année polonaise; en absence illégale (juillet

1941);- venant à Kasba Tadla le 6 juin 1941;- vient de l'Armée polonaise;

- vient de l'Armée polonaise; sergent, né le 29 janvier1914 à Wilno; refoulé de Dakar, arrivé le 15 mars 1941à Casablanca sur le vapeur "Asie"; mis en route par leD.l.M. de Casablanca sur Kasba Tadla le 30 mai 1941;en absence illégale (juillet 1941);

- ex E.V.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.l.M. de Casablanca;

- vient de l'Armée polonaise; né le 20 juillet 1912 àBydgoszcz, fils de Jozef et de Wiktoria Baranowska; enabsence illégale (juillet 1941); arrêté le 25 juillet 1941 :

- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.l.M. de Casablanca;dirigé sur Bou Arfa ou Colomb-Béchar;

- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale (juillet1941);

- vient de l'Année polonaise;

- sllieutenant; en résidence forcée à Zagora (juillet 1941);transféré de Casa à Mascara le 1octobre 1941;

- né le 7 mars 1902 à Varsovie, entré au camp d'El Ayachile 22 novembre 1940, sorti le 6 avril 1941; dirigé àKasba Tadla;

- ex E.V.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.l.M. de Casablanca;

- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.l.M. de Casablanca;

- dirigé sur Oujda le 15 avril 1941;_ vient de l'Armée polonaise; caporal chef; dirigé sur D.l.

d'Oujda le 25 septembre 1941;- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale (juillet

1941 );

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120

Paluszak MaciejPasierb JanPaszek IgnacyPelipejko Borys

Perling Edmond

Piatkowski ZbigniewPiesiak MieczyslawPilarczyk Marian

Pilifiski J6zef

Piskorz-Waldyfiski RyszardPlichta MarianPokorski WladyslawPolaniewski (Poloniecki)

BernardPolanowski StefanPopper Heinhorn Stefan

Pruss JozefPrzysiecki Tadeusz

Rebifiski (Ribenski) Jan

Reicher LeopoldReuter Walter

Rieger Jerzy

Rigler Adolphe

Roehr

LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZ

- en absence illégale Uuillet 1941);- 2e classe; vient du groupement "B";- 2e classe; vient du groupement "B";- aspirant (s/Iieutenant); dirigé sur Berguent le 14 juillet

1941; parti en absence illégale avec 5 Polonais; enabsence illégale (octobre 1941);

- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le DJ.M. de Casablanca;

- s/Iieutenant; Mascara, sous réserve (octobre 1941);- vient de \' Armée polonaise;- vient de \' Armée polonaise; né le 7 juillet 1915 à Luck,

fils de Jan et de Kazimiera Basefiska; en absenceillégale Guillet 1941); arrêté le 25 juillet 1941;

- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale Guillet1941);

- aspirant; engagé à la Légion Etrangère (juillet 1941);- s/lieutenant;- 2e classe; vient du groupement "B";- sllieutenant (lieutenant);

- 2e classe; vient du groupement "B";- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;- dirigé sur Oujda le 15 avril 1941;- vient de l'Armée polonaise; caporal chef, né le 9 février

1906 à Skiry; refoulé de Dakar, arrêté à Casablanca le15 mars 1941 sur le vapeur "Asie"; dirigé à KasbaTadla; en absence illégale (juillet 1941);

- 2e classe; vient du groupement "B"; dirigé sur Berguentavec les travailleurs polonais dans la première quinzainede juillet 1941;

- provenance d' Azemmour;- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;- s/lieutenant, né le 19 juin 1919 à Lw6w, fils de Roman

et de Mizeidja (?) Wanda; arrêté le 25 juillet 1941 par laGendarmerie nationale, conduit à la Prison civile deCasablanca où il a été écroué; en absence illégale(septembre-octobre 1941);

- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;

- capitaine, en octobre 1941 dirigé sur Oujda;

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASBA TADLA EN 1941 121

Rozenwurcel David

Rusinkiewicz WilhelmRybak AJeksanderRzadkowski Boleslaw

Rzeplewski

Sadziak Jozef

Samolik RomanSchwarz Jakub

Semaniak Jan

Siewczynski (Siewczynski)Waclaw

Skibniewski vel Kot­Skibniewski

RomanSkoplak Zbigniew

Skorzewski JanSkorzynski (Skorzynski) PiotrSkorzynski (Skorzynski)

StanislawSkulimowski JozefSlomkoswki Aleksander

- ex-légionnaire; Polonais, né le 28 avril 1905 à Varsoviede Szmul et Warhaftig Elka; engagé le 5 février ]939pour la durée de la guerre au 3ème R.E., il fut dirigé parla suite sur le Groupement des travailleurs étrangers deBou Arfa le 22 septembre 1940; démobilisé le 8 mars]94]; 24 juin 1941 transféré au Camp des travailleursétrangers de Kasba Tadla;s/lieutenant;2e classe; vient du groupement "B";sllieutenant, né le 17 août 1916 à Geziena (?), fils deYnias et de Telk L~nard; arrêté le 25 juillet 1941; enabsence illégale (septembre-octobre 194 J);

- 2e classe; vient du groupement "B"; dirigé sur Oujda le15 avril 1941;

- aspirant; en absence illégale (septembre-octobre 1941);- ex E.Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;

transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;- 2e classe; né le 2 juin 1907; engagé en mai J938 à Paris

au titre du 1er Régiment Etranger d'Infanterie, passé le23 novembre J938 au Ille R.E.!. à Fès; envoyé enfévrier 1941 dans un camp à proximité de Boghar(Algérie) pour y attendre sa libération définitive,renvoyé au bout de 3 semaines environ sur le Maroc, endétachement; demeuré au D.LO. d'Oujda pendant 3semaines environ; il s'est présenté au D.LM. deCasablanca le 30 avril 1941; dirigé sur Kasba Tadla;déserteur du 29 août 1941 ;

- démobilisé; il a établi une demande de rapatriement enmars 1941; il faisait partie d'un convoi, contrôlé à lasortie d'Oujda, le 2 avril 1941;

- lieutenant;

- démobilisé; il s'est évadé le 2 avril; arrêté par la Sûretéle 21 avril;

- dirigé sur Oujda le ]4 avril 1941;- en absence illégale Guillet 1941);- vient de l'Année polonaise;

- vient de l'Armée polonaise;

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122

Slomkowski Feliks

Smiezinski BoleslawSmyezynski (Smersizki,

Smerdzyski) Stanislaw

SmyczynskiSobanski (Solanski) JanSonnenschein HenrykSeuleuwski Tadeusz

Sungel JanSut HenrykSylwestrowicz Janusz

Szarzynski BronislawSzczepaniak StanislawSzczerbik DobroslawSzczurek WladyslawSzmigiel Jan

Szydelko TadeuszSzyszynski Walenty

(Valentin)Sroda Jan

Taraska Ludwik (Luis)

Tomalak CzeslawTonn Marian

Urba Bronislaw

Wacnick StanislawWajngarten IzraelWajngarten Jankiel

LIDIA MILKA-WIECZORKIEWICZ

- Incorporé au Groupe des travailleurs étrangers n° 9 àImfout; en absence illégale en novembre 1941; né le 25mai 1919 à Obrabek, fils de Alexandre et de HenrietteKarolak, appartenant à la classe 1939, W Mie 208, duRecrutement de Versailles; il a déclaré qu'il désirait serengager dans la Légion Etrangère (p.v.);

- s/Iieutenant;- vient de l'Armée polonaise; s/Iieutenant 1ère classe; né

le 17 septembre 1916; dirigé sur le D.1. d'Oujda le 25septembre 1941;

- 2e classe; vient du groupement "B"; dirigé sur Oujda le15 avril 1941;

- ex E.V.D.G. du Camp El Ayachi à Azemmour- vient de l'Armée polonaise; né le 25 avril 1914 à Vol no

(?), fils de Stanislaw et de Helena Gromadzka; solliciteson rapatriement en Pologne;

- dirigé sur le D.1. d'Oujda le 26 septembre 1941;- vient de l'Armée polonaise;- vient de l'Année polonaise; en absence illégale (juillet

1941);- aspirant; en absence illégale (septembre-octobre 1941);- 2e classe; vient du groupement "B";- aspirant;- vient de l'Armée polonaise;- sergent chef; dirigé sur le D.1. d'Oujda le 25 septembre

1941;- vient de l'Armée polonaise;

vient de l'Armée polonaise; né Je 21 décembre 1911 àKaziny, fils de Propok et de Maria Chabieb; en absenceillégale (juillet 1941); arrêté le 25 juillet 1941;

- 2e classe; dirigé sur le D.1. d'Oujda le 25 septembre1941;

- 2e classe; vient du groupement "B";- capitaine; vient de l'Armée polonaise;

- vient de l'Armée polonaise;

- s/Iieutenant; Mascara, sous réserve (otobre 1941);

- ex E.V.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le DJ.M. de Casablanca;

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GROUPEMENT SPECIAL DES POLONAIS À KASflA TADLA EN 1941 123

Wajsberg Izrael

Wayers Jerzy

Wiec1aw (Wiec1aw) Florian

Widlo/Wi Ido Roman

Wierzbicki Bernard

Wysoczanski Michal

Wiszniewski WladyslawWlodarczyk StefanWojciechowski JerzyWojtanowicz Lucjan

Wolanski JanWolczek (Wolczek)

WladyslawWoloszanski AleksanderWr6bel Tadeusz

York Franz

Zablocki Waclaw

Zawieja AntonianaZielinski JanSielinski Ryszard

Zoliniack Teodor

Zubicki ZbigniewZurek Stanislaw

- ex E. Y.D.G. du Camp d'El Ayachi à Azemmour;transféré le 15 avril 1941 vers le D.LM. de Casablanca;

- provenance d' Azemmour; en absence illégale (juillet1941);

- vient de \' Armée polonaise; sergent, né le 19 août 1913à R6wne; refoulé de Dakar, arrivé à Casablanca le 15avril 1941 par le vapeur "Asie"; dirigé à Kasba Tadla;en absence illégale Guillet 1941);

- vient de \' Armée polonaise; en absence illégale Guillet1941);

- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale Guillet1941);

- commandant; Mascara, sous réserve (octobre 1941); enoctobre 1941 dirigé sur Oujda;

- provenance d'Azemmour;- vient de \'Armée polonaise;- vient de l'Armée polonaise;- aspirant; dirigé sur Zagora (juillet 1941); parti en

absence illégale de Berguent avec 5 Polonais (jui Ilet1941); dirigé sur Kasba Tadla le 26 août 1941; transféréà Zagora le 28 août 1941; en absence illégale(septembre et octobre 1941);

- caporal; du groupement "B";- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale Guillet

1941);- aspirant;- lieutenant;

ex E.Y.D.G. du camp d'El Ayachi à Azemmour, transférésur le D.LM. de Casablanca;

- s/lieutenant; dirigé sur Berguent le 14 juillet 194 J; partien absence illégale avec 5 Polonais; en absence illégale(octobre 1941);

- vient de l'Armée polonaise;- vient de l'Armée polonaise; en absence illégale Guillet

1941 );- 2e classe; vient du groupement "B"; 'dirigé sur Oujda le

15 avril 1941;

- 2e classe; vient du groupement "B"; dirigé sur Oujda le15 avril 194J ;

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 125-164.

FAIRE PREVALOIR LA NORME:IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

Alain ROUSSILLON

Dans une certaine mesure, l'archaïsme desrefus est aussi joué que le modernisme destransactions.

J. Berque, Le Maghreb entre deuxguerres, Paris, Seuil, 1962, p. 392

Réelle ou fictive, la relation de voyage (rihla) a été, depuis Tahtâwi(l),régulièrement mobilisée par les intellectuels et penseurs musulmans pour tenterd'élucider le sens du cours des choses et de l'Histoire qui faisait du présent «le paradisdes infidèles et l'enfer des croyants» : instauration d'une posture d'extraterritorialité àpartir de laquelle il devenait possible d'apercevoir la relation entre historicité,dimension dans laquelle se déploie le sens de l'être-au-monde et du vivre-ensemble,garanti par la promesse qui fonde l'univers lui-même, et histoire, dimension de laresponsabilité humaine, individuelle et collective, dans la mise en œuvre du «Croissezet multipliez-vous» qui constitue la charte du califat (khalifat) confié par Dieu àl'homme sur cette terre sur le mode d'une mise à l'épreuve. A un moment où ~<Ies

musulmans»(2) pouvaient apparaître en passe de perdre le contrôle de leur histoireelle-même(3), la littérature de voyage nous fait témoins de ce que l'on pourraitdésigner comme une tentative d'aggiornamento du rapport des sociétés musulmanes àleur propre historicité, aggiornamento rendu nécessaire et urgent par l'irruption dansleur histoire elle-même d'une historicité concurrente et conquérante dont il s'agit depréciser le statut en même temps que le sens des remises en cause qu'elle introduit.Remises en cause dans l'ordre de l'anthropologie religieuse, c'est-à-dire du regardque l'homme porte sur lui-même à travers sa relation avec Dieu: la question est ici

(1) Rifâ"a Râfi" at-Tahtâwi, Taklzl~ al-ibrïz fi talkhii;; Bi'irlZ, publié au Caire en 1834; traductionfrançaise par Anouar Louca, L'or de Paris, Paris, Sindbad, 1988.

(2) Les guillemets désignent ici la difficulté de nommer, qui est précisément l'un des principauxenjeux de ce qui s'accomplit dans ces textes.

(3) «Syndrome» d'al-Andalus, réactivé par la chute d'Alger, l'occupation de l'Egypte, l'instaura­tion des protectorats et autres mandats français et britanniques au Maroc, en Tunisie, dans le BilM ash­Sh;ïm. en Iraq et par l'abolition du Califat ottoman.

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126 ALAIN ROUSSILLON

celle de la qualification religieuse «en miroir», pourrait-on dire, du Soi et de l'altéritédans un univers où les termes mêmes de la promesse faite par Dieu aux hommessemblent en passe d'être inversés, ce qui ne peut manquer d'entraîner une révision desclassements. Remises en cause dans l'ordre de l'anthropologie philosophique, c'est-à­dire dans la représentation qu'a l'homme de son rapport à lui-même et à sa propresociété, dans lequel vient en quelque sorte s'immiscer la figure de l'altérité: parl'exhibition de ses performances(4), puis de plus en plus directement, jusqu'à prendrele contrôle de société qui se découvrent «colonisables». Ce qu'une part d'elles-mêmesrefuse avec la dernière énergie, au prix du sang versé, mais qu'une autre part accepte,au moins provisoirement, honteusement ou de façon avouée, au bénéfice del'accélération du changement induite par la colonisation, dont on escompte bien qu'ilsera un jour possible de le retourner contre le colonisateur<5). Très concrètement, laquestion posée est ici cel1e-ci: quel1es relations puis-je admettre d'entretenir avec cetautre sans prendre le risque de remettre en cause ce que je me dois à moi-même?Quels sont les termes du «tri» qu'il convient d'opérer au sein de ce que l'Autre a àm'apprendre et quel est le prix à payer pour cet apprentissage? Ou encore: que peut-ily avoir entre nous en commun? Répondre à ces questions revient à engager un travail,non pas tant sur la norme el1e-même qui n'est tel1e, d'autant que révélée, que dansl'immédiateté(6) et dans la transparence(7), pourvue de l'évidence des origines, que surses modes de présence à l'histoire. C'est-à-dire sur les conditions de sa transpositionhic et nunc, dans l'épaisseur de la durée sociale, de quoi dépend la fidélité de lasociété à elle-même et au principe qui la fonde. D'une part, nommer, tracer lescontours de ce Nous qu'une même référence/révérence à la norme suffit (en principe)à pourvoir d'une identité consistante, à la fois sujet et objet des causalités à l'œuvredans l'historicité providentielle, et rendre compte, du point de vue de cette historicitémême, des vicissitudes du présent. De l'autre, identifier ce qui fait, sinon la positivité,du moins la supériorité - militaire, technologique, organisationnelle, mais aussiphilosophique - scientifique... - de l'altérité occidentale, ces vertus par lesquelles Dieului-même semble avoir décidé qu'il Lui était loisible de laisser des impies vivreheureux, plus heureux en tout cas que les musulmans et plus forts, au point desoumettre ces derniers à leur domination.

Reste à préciser, sur la base de ces prémisses, l'intentionnalité heuristique quipréside au choix des deux textes qui fournissent la matière de la présente étude: d'une

(4) La visite des expositions universelles, y compris coloniales, est un thème récurrent de lalittérature de voyage. Sur ce thème, voir Timothy Mitchell, Colonizing Egypt, Cambridge UniversityPress, 1988, en particulier le premier chapitre intitulé: "Egypt at the exhibition", pp; &-33.

(5) Sur l'émergence d'une pensée que l'on pourrait qualil1er d"'anationaliste" en Egypte, AlainRoussillon, "Réforme sociale et production des classes moyennes: Muhammad 'Umar et l'arriération desEgyptiens ", in A. Roussi lion (éd.), Entre réforme sociale et MOUFement national: identité etmodernisation en Egypte (1882-1962), Le Caire, CEDEJ, 1995.

(6) Immédiateté paradoxale de l'isnüd, la chaîne des transmetteurs véridiques en forme de Sablb­mais qui ne parvient jamais à réduire totalement la prolifération des contrefaçons.

(7) Transparence également paradoxale de ['élaboration théologale dans la forme prescrite desU.~ol- mais qui ne parvient jamais à interdire à certains d'emprunter d'autres Voies.

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127FAIRE PREVALOIR LA NORME:IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOyAGE

part, quelles sont les questions que je leur adresse; de l'autre, ce qui justifie, au-delàde leur simple appartenance à un même «genre» littéraire, à les lire en parallèlemalgré la différence des contextes dans lesquels ils ont été produits et les positionsquasi-antagonistes, au premier abord, de leurs auteurs pour ce qui a trait, enparticulier, à la question centrale de l'historicisation de la norme religieuse. Le Récit

de 'Isa ibn Hishüm, de l'Egyptien Muhammad al-Muwaylihi, publié au Caire en]907(8), et le Voyage à Marrakech, du Marocain Muhammad ibn 'Abdallah al­Mu'aqqit, publié également au Caire en ]933(9) ont en commun d'être de <ifaussesRihla-s», des récits de voyage fictifs, où l'auteur/nanëiteur se donne la commodité deprésenter son héros en étranger dans sa propre société qu'il va dès lors inviter lelecteur à découvrir avec lui. Dans l'un et l'autre cas, le prétexte est le même: uneplongée au cœur de la cité anomique, dénaturée, infidèle au principe qui la fonde,dont la découverte horrifiée confronte le voyageur à la nécessité d'une prise deposition proprement existentielle, ontologique, qui engage la totalité de son être. Dansl'un et l'autre cas, le projet même des deux auteurs s'énonce dans l'emboîtement destitres et des sous-titres qu'ils donnent à leur ouvrage. Le lfadith de Muwaylihi a poursous-titre «De l'époque» ifatra min az-zaman), explicité dès l'adresse par l'auteur quiprécise que s'il a traité

son sujet sur le mode de la fiction et de la figuration ('ala nasaq at-takhy1l wat­

taswïr) , il s'agit en vérité d'une réalité patente traitée dans la forme d'unefiction, et non d'une fiction qu'on voudrait faire passer pour la réalité, danslaquelle nous avons tenté d'exposer les moeurs des gens de cette époque et

l'évolution de leur condition (akhWq ahl alfa,,,r wa atw<ïrihim), en manifestantce dont il faudrait se détourner et les vertus qu'il conviendrait de mettre enpratique( 10).

Le titre donné à la deuxième partie de l'ouvrage, «Le deuxième voyage» (ar­

ribla at-thüniya), qui conduit le narrateur et son groupe à Paris, traduit et effectue lepositionnement de l'auteur par rapport à «l'époque» : apprécier à sa juste valeurl'adultération dont nous fait témoins le voyage au cœur de la société égyptienne,travaillée par l'imitation de l'Europe, implique de saisir en quelque sorte à la source lavérité de la «civilisation» (madaniya) européenne et de questionner sa prétendueuniversalité dont «les Orientaux peuvent avoir quelques raisons de penser», de l'aveumême de l'un de ses représentants, «qu'elle n'est pas autre chose que l'un desinstruments de la conquête, propre à permettre la réalisation des objectifs et lasatisfaction des convoitises.»(ll) Quant à la Ribla marrtïküshiya de Mu'aqqit, elle apour premier sous-titre «Le miroir des turpitudes de ce temps» (mir'fit al-masüwi al-

(8) /:ladTth 'Isa ibn HislWm. Les citations que j'en donne sont tirées de la réédition préfacée parMahmüd Tarshüna, Tunis, Dàr al-Janüb lin-Nashr, 1992 et sont traduites par moi.

(9) Ar-ribla al-mamïkushiya. J'utilise une édition publiée sans date au Maroc par Dar al-Ma'rifa,et les citations traduites sont également de mon fait.

(10) Hadïth, p. 22.(II) Ibid., p. 304.

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128 ALAIN ROUSSILLON

waqtiya), qui désigne le niveau où se totalise la leçon du voyage en même temps quele caractère dominant du texte lui-même, qui se présente comme un recueil de bida'(innovations blâmables) sous une forme «romancée» propre à atteindre, au-delà des

seulsfuqaM, l'ensemble du public lettré de l'époque; un deuxième sous-titre, «L'épée

tirée contre qui se détourne de la Sunna du Prophète» (as-sayf al-maslO( 'ala al­

nuIarrij 'an sunna ar-rasLÏl) désigne la posture préconisée par l'auteur lui-même parrapport aux «turpitudes de ce temps», qui active ou réactive le rôle censément dévoluaux élites musulmanes d'ordonnancement du Bien et de pourchas du Mal (al-amr bil­I1w'rüfwa-nahya 'an al munkar).

Plus loin, les parcours accomplis par les personnages centraux des deux textesapparaissent tout à la fois comme homologues pour ce qui est du rapport à l'histo­ricité - tous deux inscrivent leur trajectoire dans une temporalité de la chute et dureniement -, et opposés - conCUlTents - pour ce qui est des perspectives qu'ils ouvrentsur l'avenir et, pour ce qui nous occupe ici, de la question centrale de l'historicisation­du mode de présence religieuse. Le Pacha de Muwaylibi, contemporain de

Muhammad 'Ali ressuscité d'entre les morts dans l'Egypte du Khédive 'Abb~""ts

Hilmi II sous protectorat britannique, accomplit un périple dans le temps qui leconduit, sinon de la cité juste à la cité impie, du moins d'une société régie par la foi etdes hiérarchies «naturelles» qui en garantissent la puissance, à une société que l'oublide sa propre norme, et en particulier, on verra en quels tennes, de sa nonne religieuse,a placé sous la tutelle matérielle et (im)morale de l'Autre occidental. Mais ce parcourslui-même est pédagogique: et même c'est cette progression qui constitue le principalenjeu de la dramaturgie: à 'Isa ibn Hisham qui, écœuré par ce qu'il (re)découvre àtravers le regard paradoxalement neuf du Pacha, suggère une sage retraite au milieudes livres, celui-ci affirme sa résolution d'aller jusqu'au bout de son explorationajoutant:

La colère et la vivacité qui s'emparaient de moi m'ont quitté. Tout ce quim'était difficulté m'est aujourd'hui aisé. Mes idées noires se sont muées enoptimisme et je n'avise plus les défauts des créatures qu'avec patience etcommisération. J'ai appris à endurer sans en être atteint, à considérer les choseset non à les déplorer, à prendre mes dispositions sans m'en exaspérer.Aujourd'hui je me distrais de leur fréquentation et prends amusement à memettre à leur niveau. Tu n'as donc plus d'excuse à m'opposer [pour refuser dem' accompagner)< 12).

De fait, de mentor guidant les premiers pas du Pacha dans les temps nouveaux,'Isa se mue en quasi-disciple de celui-ci qui, à l'issue de son périple, aura acquis, enplus de la pureté «native» qu'il a conservée de sa naissance à l'époque héroïque deMuhammad'Ali, la compréhension des défis de la «modernité», en prélude aunécessaire relèvement de l'Egypte des musulmans. Quant à Mu'aqqit, ce qui le jettesur les routes et le conduit à MaITakech, c'est la fuite devant les «turpitudes de cetemps», quête désespérée d'une communauté préservée - «une terre exemple de

(12) Hadith, p. 179.

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 129IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOyAGE

bidaca (... ) où se conserve le vrai»(13), où l'on pourrait continuer à vivre adéquatementen tant que musulman et en l'absence de laquelle la mort elle~même est préférable. MaisMaITakech va se révéler irrémédiablement corrompue, acculturée, le contraire d'une citévertueuse, véritable condensé de ces turpitudes que l'auteur passe en revue de détailavec une truculence désespérée et qui laissent présager l'apocalypse prochaine. Deuxtextes prolongent le Voyage à Marrakech: les Gens du navire ou le XIVe siècle (ash,ïb

as-safina aw al-qam ar-rabic 'ashar), publié en 1935, décrit les ultimes dérives d'unehumanité condamnée par ses propres errements, parmi laquelle seule une petitecommunauté de justes sera épargnée(14); une humanité condamnée dont Le voyage dansl'au-delà (ar-ribla al-ukhrawiya) publié à Fès en 1946, passe en revue avec une cruellecomplaisance les supplices qui l'attendent, en identifiant par le menu ceux qui sontpromis aux tourments les plus effroyables: oulémas, muftis, gouvemants, qadi-s, 'udül-s,mubtasib-s, shaykhs de confréries, caïds, pachas ... Il n'y a rien à apprendre de cevoyage que le musulman ne sache déjà: il n'y a aucune positivité dans les intéractionsqui se nouent entre Marocains/musulmans et Occidentaux, aucun apport, aucun modèlequi vaille; l'histoire elle-même n'est plus que le théâtre d'une irrémédiable déperditiondu sens et il ne reste au musulman qu'à tenter de préserver son intégrité, y compris surle mode du repli sur le for intérieur, dans un monde où, du fait de l'expansionoccidentale, même la hijra est devenue problématique.

Ajoutons que si près de trente ans séparent les deux textes, lourds de «péri­péties» pour ce qui est du devenir de l'humanité musulmane, leurs auteurs écriventchacun un qUaJt de siècle après l'occupation coloniale de leurs pays respectifs, ce qui,sans en tirer à ce stade aucune conclusion, pourrait suggérer une lecturè «généra­tionnelle» : une classe d'âge dont la jeunesse a été marquée par l'irruption colonialean-ive dans la force de l'âge; une autre génération arrive à l'âge adulte qui n'a connuque la colonisation. On peut faire l'hypothèse que les textes que nous lisons sontproduits à une sorte de lieu métaphorique des interactions entre ces deux générations,«arbitrées» par le colonisateur, hypothèse qui nous permettrait de rendre compte dustatut et des enjeux des débats dont leurs auteurs se font l'écho sur l'école, l'évolutionde la condition féminine, le POlt de la barbe ou du turban ou l'adoption de modesvestimentaires occidentales. Le point crucial est que nos deux auteurs, tout endéfendant des positions que l'on pourrait qualifier d' homologues sur ce type dequestions, en ce sens qu'elles traduisent, pour faire bref, une même visée de «défenseet illustration» de l'identité articulée autour du référent religieux, le font à partir deconceptions sensiblement différentes, voire antagonistes, quant au mode de présence,d'actualisation, de la norme dans l'histoire. Un Jacques Berque i1'est pas loin de voiren Muwaylibi l'un des représentants les plus lucides et les plus çmverts de cettegénération «héroïque» de la Nahda égyptienne dont le chef de file est Muhammad

(13) Ribla, p. II.(14) Je me permets de renvoyer le lecteur à la réédition de ce texte - Rabat, Markaz al-babth wal­

itti::;al ath-thaqMi, 1998 - et à sa traduction par Abdallah Saaf et Alain Roussillon,Casablanca, Afrique­Orient, 1998, avec une postface, "Muhammad Ibn 'Abdallah al-Mu'aqqit al-Murraküshi: un salafite.précurseur paradoxal de la modernisation au Maroc".

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130 ALAIN ROUSSILLON

'Abduh, «partisans des lumières» qui ont compris qu' «au vrai, les risques de'l'occidentalisme', tafarnuj, ne sont pas ceux de l'adaptation à l'externe non plus queceux de toute acquisition du nouveau (...), et que le renouvellement s'accomplira nonpar le jeu des influences, ou par l'automatisme de l'emplUnt ou par la contagion desidées et des mœurs, mais par une double remise en cause: de l'autre et de soi­même»(I5). Un «pragmatique»? A l'inverse, Mu'aqqit peut apparaître à l'auteur del'une de très rares études qui lui soient consacréesCl6) comme «une très pureexpression du pharisaïsme musulman (...), comme possédé par une sorte de iahvéismefiévreux qui lui commande de se retrancher de toutes les Babels où l'humanité pourritdans le péché (...), [un homme qui] appartient à la race d'Ibn Tummt et de Calvin».Un «intégriste» dirait-on aujourd'hui! Ouverture critique au monde à pmtir d'uneidentité où la norme (religieuse) est en quelque sorte épurée, ramenée à son principe,en même temps que réactivée vs. repli sur la littéralité révélée d'une norme conçuecomme système de signes marquant différence et séparation et non susceptible d'êtrerévisé. Ouverture à une perspective assumée de critique historique - y compris sur lemode salafi - des modes de présence à l'histoire de la Révélation vs. réactivation del'apologétique la plus traditionnelle comme seule et exclusive social theory propre àfaire pièce aux menées de la social theory occidentale. «Progressisme» politico­intellectuel dont force est rétrospectivement de constater qu'il fut privé d'avenir par laradicalisation des confrontations identitaires vs. «passéisme» que l'on aurait pu croirevoué à déshérence mais qui produit aujourd'hui de vilUlents surgeons...

D'où le projet même de la présente étude et les questions que j'adresse à cestextes: non pas tant pourquoi Muwaylibi et Mu'aqqit, artificieusement rapprochés àtravers le temps et l'espace par la seule lecture que j'en fais, adoptent des positions sidifférentes par rapport à la norme religieuse et à ses modes de présence à l'histoire,question qui pourrait se satisfaire de réponses de type historique - deux situationscoloniales fondamentalement différentes ... - ou sociologiques - leurs trajectoiressociales respectives ... -, mais comment ces deux auteurs, à travers un même coded'écriture et dans une intentionnalité que j'ai pu qualifier d'homologue, inscrivent lanorme religieuse (identitaire) dans le processus même de production du sens qu'ilsentreprennent de mettre à jour du cours des choses et de l'histoire. Non pas montrercomment <<l'Islam» déterminerait les représentations que nos deux auteurs se font du

politique, de la morale ou de la relation à l'Autre, mais en quoi Muwaylibi etMu 'aqqit ressortissent d'une même posture, d'une même «clôture» que l'on pourraits'accorder, sous bénéfice d'inventaire, à qualifier de réformiste: tout à la fois systèmed'action et de représentation qui s'auto-identifient comme tels et modèle d'analysed'un «constlUit sociétal» - la raison identitaire dans ses œuvres, si l'on veut - qu'ilnous appmtient d'élaborer et de mettre à l'épreuve(l7). C'est ici à la stlUcture et aux

(15) 1. Berque, Egypte, ùnpérialisme et révolution. Paris, Gallimard, 1967, p. 216-217.(16) Adolphe Faure, «Un réformateur marocain: Muhammad B. Muhammad B. 'Abd Allah al­

Muwaqqit al-Marrakushi, 1894-1949», Hesperis, l, 1950.(17) En termes opératoires, et en empruntant au vocabulaire de Pierre Bourdieu, je propose de

définir une «clôture» comme ce qui - systèmes de contraintes et principe de convertibilité des ressources

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 131IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

termes même des débats «de société» dont se font l'écho nos deux auteurs qu'il nousfaudra être attentifs: sur quelle(s) scène(s) se produisent les discours qu'ils tiennent etquelles représentations eux-mêmes en donnent-ils? Comment structurent-ils lesressources de légitimation disponibles et à quelles disputes introduisent-elles? Enfin,quelle position eux-mêmes occupent-ils au sein de cette clôure et dans quelle mesureleur œuvre même permet-elle d'en apercevoir la configuration?

1. LA PLONGEE DANS LA CITE IMPIE: MODES DE PRESENCEID'ABSENCE DE LA NORME A L'HISTOIRE

En m'inspirant de deux des «théorèmes» parmi les plus fondamentaux de la«théorie des champs» développée par P. Bourdieu - une œuvre «reflète» ou«transpose», dans son langage propre, la structure du champ dans lequel elle a étéproduite; les stratégies des acteurs dépendent tout à la fois de la distribution du capitaldans un champ et de la perception que ceux-ci ont de la structure même de ce champ-,je ferai de la dramaturgie de nos deux textes mon point de départ pour analyser lesmodes de présence/absence de la norme qu'ils énoncent.

L'un et l'autre mettent en scène deux catégories de personnages: d'une palt, legroupe central des pérégrins, tout à la fois dépositaire collectif du sens et de lalégitimité et garant de la transmission du projet socio-historique identitaire que leurdébat a vocation à expliciter dans les circonstances de l'heure; de l'autre, une série de«comparses», personnages de rencontre qui viennent en quelque sorte typifier, ensituation, les turpitudes du temps et les différentes figures de l'anomie sociale. Notonsque dans l'un et l'autre cas, nos voyageurs restent singulièrement absents à la cité

disponibles - articule elltre eux plusieurs champs ou plusieurs Iliveaw: de la pratique sociale. d' autantplus rigide et contraignante que l'autonomisation de ces champs est moins avancée. plus récente ou plusfragile. et que le passage de l'un à l'autre exige moins de procédures, sans que les acteurs ne soient. enparticulier. tenus de convertir le capital qu'ils détiennent dans l'un pour intervenir dans l'autre. La«clôture réformiste» peut ainsi être appréhendée, dans sa structure et le système des positions qui laconstituent. selon un double aspect. D'une part. la clôture réformiste peut être définie comme le systèmedes systèmes de positiolls ell voie de cOllsolidatioll et d'maollomisatioll ell tallt que champ intellectuel,champ reLigielLr et champ politique, selon un axe que l'on pourrait identifier comme celui de l'effectivitéde la réfonne. axe du changement et des ruptures ou. si l'on veut. celui de la modernisation des choses etdes esprits: mécanismes d'appropriation - au double sens de faire sien et de rendre propre à un usage ­des effets de modernisation importés. créativité institutionnelle. procédures d'arbitrage entre cesdifférents champs au nom de l' «intérêt généra!» ou de l' «intérêt national». De l'autre. la clôtureréformiste peut être envisagée du point de vue de ce qui la peqJétue - systèmes de contraintes dansl'ordre des pratiques et des représentations. structure et distribution de la légitimité, consolidation d'unimpensé euphémisé en termes identitaires et structuré en "idéologies de combat" (contre le colonialisme.l'impérialisme, le sionisme, la féodalité ou la réaction... ) - et qui fait que l'autonomisation de cesdUTérents champs ne peut jamais être poussée jusqu'à son terme. De ce double point de vue, rendrecompte de la pérennité de la clôture réformiste consisterait à montrer comment celle-ci englopel'ensemble des acteurs de cette scène - ceux qui se disent réformistes. mais aussi les nationalistes.oulémas. islamistes.... l'acteur colonial - autour de ce que l'on pourrait désigner comme une formuledépolitisée du passage au politique qui tend à faire de la sphère morale et de l'éthique le lieu privilégiéde la confrontation des positions en présence. Je me permets de renvoyer le lecteur à A. Roussillon,R~forJlle sociale et identité. Essai sur l'émergence de l'intellectuel et du champ politique moderne ellEgypte, Casablanca. Le Fennec, 1998.

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132 ALAIN ROUSSILLON

qu'ils parcourent; dans l'un et l'autre cas, ils y sont entrés comme par effraction ­ressuscité d'entre les morts et après un passage au poste de police et au tribunal pourle Pacha de Muwaylibi : après avoir dû, faute de permis de circuler, graisser la patted'une patrouille du guet aux portes de Marrakech, pour Mu'aqqit - ; les uns et lesautres se garderont bien d'intervenir en aucune circonstance dans ladite cité, quelleque puisse être leur indignation et le caractère scandaleux des situations auxquelles ilssont confrontés. Ils demeurent spectateurs et, sauf exception, n'entrent pas eninteraction avec les «indigènes», comme invisibles en des lieux où leur mise et leurmaintien ont pourtant tout pour les faire apparaître comme étrangers et incongms. Defait, le problème auquel sont confrontés les personnages centraux des deux récits estprécisément celui de savoir comment faire retour dans une cité où la norme estabsente ou corrompue et dont l'exigence même ne se perpétue plus qu'en eux seuls oupresque.

1.1. Muwaylihi: raison et révélation à l'épreuve de l'histoire

j'ai évoqué dans ce qui précède l'échange qui se noue entre '1sa ibn Hisham etle Pacha: après avoir tiré ce dernier des griffes d'une justice pour luiincompréhensible, devant laquelle il a été traîné pour un délit encore plusincompréhensible - avoir insulté un ânier? -, le narrateur, qui se présente comme un

«homme de plume» ('amali ;,imî'a al-aqUim), nous fait part de

[sa] résolution de ne pas [se] séparer de lui et de l'accompagner pour luimontrer ce qu'il n'avait jamais vu, lui faire entendre ce qu'il n'avait jamaisentendu, lui expliquer ce qui lui apparaîtrait obscur ou incompréhensihle dans

l'histoire du temps présent (türikh al- 'asr al-hiïdir) et recueillir [en retour] son

opinion quant à la mise en balance (muqübala) entre celui-ci et le passé, desorte que d'établir laquelle de ces deux époques était préférable et laquelle deplus de mérite(f8).

Au moment de sa rencontre avec le Pacha, '1sa, dans lequel on peut sans doutevoir le porte-parole de Muwaylihi lui-même, apparaît comme une sorte de«survivant»: intellectuel d'ancienne manière, un peu égaré, immergé dans la sociétéanomique produite par plus d'un demi siècle de démissions identitaires face àl'influence occidentale, il semble pourtant avoir préservé sa propre intégrité moraledans une sorte de posture romantique qUi le pousse à la rêverie solitaire dans lescimetières. Au Pacha qui figure une sorte d'état de nature ou de «normalité» de lanorme identitaire, conservatisme élitiste et auto-satisfait à qui même un Muhammad'Ali n'est pas parvenu à inculquer le sens de l'avenir, '1sa dévoile la vérité des chosesdans le monde comme il va. A commencer par les manquements de la génération etde la classe du Pacha lui-même: n'est-ce pas son propre petit-fils qui n'en finit pas debrader l'héritage familial pour pourvoir à sa quête du plaisir à tout prix? 'lsa fournit àson compagnon une double clé d'analyse:

(18) Hadith, p. 35.

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 133IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOyAGE

- d'une part, il énonce le système des causalités qui préside à la stérilisationprogressive de la norme endogène, en des termes que ne renieraient pas un

Muhammad' Abduh ou un Qasim Amin: au Pacha qui s'indigne de ce que la Loi deDieu et de son Prophète ait pu être «abrogée», 'Isa répond qu'il n'en est rien et que

celle-ci demeure et demeurera telle qu'en elle-même tant que subsistera dans le

monde et entre les nations le sens de la justice, mais qu'elle constitue [pour

l'heure] un trésor négligé par ses détenteurs, une perle dont la valeur est

méconnue par ceux qui font profession d'en faire commerce. Ils sc sont

détournés des voies d'une élaboration qui J'aurait faite effective (vvujüh

tashyldihi wa tamklnihi), se consacrant aux questions dérivées (jurü'),

délaissant les principes (u,:.;01) et préférant l'écorce au fruit lui-même. Ils se sont

mis à diverger quant aux qualifications légales (abluïm), s'attardant aux

questions les plus insignifiantes ct associant la religion aux intérêts les plus

sordides. Ils se sont détournés de la vérité au profit de l'imagination, du possible

au profit de l'impossible (... ) Pas un seul jour ils ne se sont avisés cles

implications cles évolutions qui accomplissent le cours du temps (ma tajri bihi

abk<i11l az-zal11<infl dawratihi) et ils n'ont pas compris qu'à chaque époque

échoit cI'appliquer les dispositions de la loi divine de manière à ce que prévaille,

parmi les gens, Je bien commun (al-ma,slaba). A J'inverse, ils se sont contentés

cie l'effort minimum, impavides, comme si le temps avait suspendu son cours

(..,) et sont la cause cie ce que la loi divine (ash-shar' ash- sharif) a pu être

accusée de stagnation, d'inconhérence (wahn a/- 'aqd) ou d'inaptitucle à rendre

justice aux gens dans leur vie quotidienne et leur environnement en s'adaptant

au renouvellement et ~I la diversité des temps et des époques. Et voilà comment

le besoin a été engendré de créer des tribunaux civils (ahliya) à côté des

tribunaux religieux (shar' iya)(I9).

Entendons ce propos pour ce qu'il dit: si les musulmans, et en pmticulier leursélites savantes, sont rendues responsables de la déperdition du sens et des valeursendogènes qui frappe la société, cette reconnaissance a pour contrepartie l'affinnationdu caractère potentiellement positif - effectif et pourvu de sens - du cours de l'histoirelui-même, même si, du fait encore une fois de leur impéritie, les musulmans, engénéral, et les Egyptiens, en particulier, en font aujourd'hui les frais. En d'autrestermes, le besoin auquel répondent les tribunaux et les législations «civiles» est lui­même objectif, renvoyant à une histoire qui est celle de l'humanité elle-même,indépendamment de la démission des élites endogènes à en prendre en charge lagestion. Les tribunaux «civils» rendent aussi la justice. J'y reviendrai.

- C'est également 'Isa ibn Hisham qui énonce, en se plaçant, dit-il, du point devue de la culture occidentale, les motivations des Occidentaux eux-mêmes dans leur

rapport avec l'Orient:

Ceux qui entreprennent le voyage en Orient sont de deux sortes: il y a, d'une

part, des oisifs (ahl alJar<igh wal jidda) , que la richesse a rendu indifférents à

(19) Ibid.. p. 47. C'est moi qui souligne.

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134 ALAIN ROUSSILLON

tout (abtarahum al-ghina) et qui ont été jusqu'au bout des jouissances queprocurent toutes les perversions de la civilisation (bida' al-madaniya) si bienque plus rien n'apparaît nouveau à leurs yeux. Comme si la nature se vengeait

ainsi de tous leurs manquements à ses lois (khurOjihim 'an sunaniha). En proieà l'ennui et au dégoût, ils pérégrinent à travers le monde dans l'espoir de seguérir de cette maladie en visitant des contrées moins avancées que les leursdans l'échelle de la civilisation (madaniya) et en résidant dans des pays plus

proches de la nature instinctive (al-fitra al-gharïziya). Quant à la deuxièmecatégorie, elle se compose de gens de science, de politiciens et de coloniaux, quiutilisent leur savoir et mettent en œuvre leurs idées en vue de j'occupation despays, de l'appropriation des contrées et de la dépossession de leurs habitants dessources de leurs richesses et le leurs terres. En cela, ils sont l'avant-garde de ladestruction, plus nocifs dans la paix que ne le sont les avant-gardes des arméesen temps de guerre(20).

L'argument présente la même structure et le même mouvement queprécédemment: disqualification philosophique et morale des motivations desOccidentaux dans leur rapport à l'Orient et aux Orientaux - ce qui les met enmouvement, ce n'est pas un souci de l'universel comme ils l'affirment, mais lesaspects les plus négatifs de leur madaniya elle-même, ses effets pervers, pourrait-ondire -; mais simultanément, affirmation du caractère rationnel, planifié, pourvu d'unsens qui est celui du cours de l'histoire elle-même, des visées des Occidentaux, contrelesquelles il serait vain d'espérer résister sans avoir recours aux mêmes méthodesqu'eux. Des visées, c'est le point crucial, dont le sens ne se réduit pas, pourMuwaylibi, à une pure et simple reprise de la Croisade contre laquelle un nouveauJihad devrait être entrepris.

Le périple de 'Isa et du Pacha les confronte à une série de situations queMuwaylihi construit comme autant d' «analyseurs» des dysfonctionnements, sinon dela norme endogène elle-même, du moins de sa gestion par ses ayant-droits,dysfonctionnements qui posent le problème du secours aux modèles étrangers enmême temps que celui du statut de la madaniya alternative que proposent - ouimposent - les Occidentaux. J'ai évoqué dans ce qui précède les démêlées du Pachaavec la justice civile, des griffes de laquelle il finira par se sortir à son honneur. C'estencore une fois 'Isa qui livre le sens de cette «expérience»: alors que celui-ci, quivient d'être condamné en première instance, dit préférer la mOlt aux affronts qu'ilsubit, il l'admoneste, expliquant qu'il leur reste des recours légaux et que

la succession des époques et les vicissitudes du temps transformentj'architecture de situations et exigent de s'adapter à la réalité des choses. Cequ'hier on considérait comme une vertu apparaîtra demain comme un vice. Ceque les gens du passé considéraient comme manquement ou insuffisanceapparaît aujourd'hui comme perfection et accomplissement. Si l'honneur, dansle passé, empruntait son éclat à la force et la capacité à se faire respecter (a/­

mana 'a) et reposait sur la bravoure et la vigueur agressive (a/-barsh), l'honneur,aujourd'hui, tout l'honneur, repose dans la soumission à la loi.

(20) Ibid., p. 226.

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135FAIRE PREVALOIR LA NORME;IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

'Isa va jusqu'à conclure cet exercice de relativisation de la norme en rappelantau Pacha qu'il est «une règle acceptée par tous les sages et les gens raisonnables qui

est de se soumettre au système légal (nizam al-a/Jkéïm) en vigueur dans le pays oùl'on a choisi de résider»(21). En quoi il faut sans doute entendre ,que lui-même ­Muwaylibi? - l'a accepté et que le système de normes religieuses/sociales dont estporteur le Pacha, même si de haute époque, n'a pas d'autre choix que de s'y soumettreà son tour. L'effet de cette mise en perspective historique de la norme est d'autant plussaisissant que cette première «expérience» a pour pendant le tableau de ladégénérescence des institutions en charge des affaires religieuses, identitaire dirait-on,auquel donne lieu les démêlés du Pacha avec le tribunal shar'i et son personnel danssa tentative, vouée à l'échec, de reprendre le contrôle du waqfqu'il a constitué. Toutepositivité semble avoir disparu du jeu des institutions endogènes et le mécanisme quedécrit Muwaylihi est ici celui par lequel les dysfonctionnements de ces institutionssont cela même qui opère, mécaniquement, la dissolution des élites indigènes rendantainsi possible la mainmise des Occidentaux. Contre laquelle il n'est, semble-t-ilsuggérer, d'autre recours ou d'autre parade que les limites que leur loi elle-même leurimpose - à condition d'accepter les règles de ce jeu.

Un effet nan'atif m'apparaît ici significatif, en ce qu'il conespond, peut-être, auvœu de Muwaylibi pour ce qui est des voies d'actualisation de la norme: le seulpersonnage «positif» croisé par le Pacha et 'Isa dans leur parcours entre justices civileet religieuse est celui de ce jeune magistrat en charge des procédures d'appel,

jeune homme de belle prestance, arborant une barbe anticipant son âge souslaquelle affluait la vigueur de la jeunesse comme la lumière scintille derrière les

nuages [...] A sa droite se trouvait un livre en langue étrangère ('ajami) et à sagauche un livre arabe: le livre de droite était de Voltaire, l'athée français, etcelui de gauche d'Ibn 'Arabi, le mystique unitariste»(22).

Nécessaire et improbable synthèse...

Les mésaventures du Pacha avec la médecine et les médecins délivrent la mêmeleçon, mais en quelque sorte inversée. Lorsqu'il tombe malade, un ami bienintentionné lui conseille de ne se fier qu'aux médecins occidentaux. Ceux-ci font tantet si bien qu'il se retrouve aux portes de la mort. Jusqu'à ce gue se manifeste lepraticien providentiel qui explique que la cause de l'aggravation de son état résidedans l'application à son cas de diagnostics et de thérapies qui conviennent «à ceuxdont le sang des pères s'est figé dans les veines dans la froidure londonienne, mais pasà ceux dont s'amollissaient les articulations de leurs ancêtres dans la fournaisecaïrote»(~3). Réhabilitation principielle des fondements théoriques de la médecinearabe, par quoi celle-ci a rendu possible l'essor de la médecine occidentale elle-même.L'enjeu de ce retournement apparaît clairement dans la façon dont Muwaylibi traite

(2 J) Ibid., p. 53-54.

(22) Ibid., p. 58.(23) Ibid., p. 120,

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136 ALAIN ROUSSILLON

de la question controversée - notamment à propos du pèlerinage - de la quarantaine etdes mesures de protection contre les épidémies: au Pacha qui s'interroge sur l'utilité,

voire sur la légitimité même, de tenter de se soustraire au décret du Destin (al-qaçléï'wal-qadar), '1sa oppose les conditions d'un article, lu dans la presse, qui établit larelation entre le tribut payé par les différents secteurs de la société aux épidémies etleur être-au-monde social-culturel. L'aliicle distingue, d'une pmi,

la populace (tabaqa al- 'allll1la), façonnée à accueillir ce type de calamités avecrésignation et en s'en remettant au décret du destin et à la fatalité. Ils ne saventrien de l'épidémie, non plus que des germes qui la propagent, rien de la maladieni de sa guérison, rien des causes qui conduisent au trépas ou à la rémission. Etil n'est au pouvoir de personne, prêcheur éloquent ou rhéteur accompli. de lesdétourner de leurs croyances et de les convaincre que la protection peut écarterle fléau et la médecine éviter l'issue fatale(24l.

La soumission absolue à l'ordre de la croyance tourne, pour cette classe, à lasuperstition, qui est la négation de la foi en ce qu'elle méconnaît la vérité ducommandement divin .. D'autre part, dans une attitude en quelque sOlie symétrique àcelle de la populace, l'atticle identifie un second groupe qui désigne l'impossibilitémorale, existentielle, de s'en tenir à la science sans croyance, à une norme purement«positive», non pas tant une classe qu'une génération

de formation récente (badïtha an-nash'a) et d'éducation récente (badït/w at­tarbiya), chez qui la foi n'a pas été implantée dans les cœurs et dont l'éducationreligieuse n'a pas formé les âmes. Ceux-là n'ont reçu aucune culture religieuseet ne peuvent se reposer sur aucune certitude. Tout ce qu'ils ont, ce sont les

savoirs mécaniques, les techniques industrielles (al-funOn as-sinü'iya) qu'ilsont appris à l'école (... ) et ils ont emprunté à l'Occident leur attitude de dédainpour le commandement divin et de mépris pour la foi(25).

Face à l'épidémie, ils sont les plus malheureux des hommes car c'est leur savoirmême qui leur permet de se représenter la mOlt à leurs trousses en même temps que lavanité des efforts qu'ils déploient pour lui échapper sans aucun espoir dans un au-delàqui leur permettrait de se 'résigner à sa survenue. Entre ces deux extrêmes et pOlteusede la leçon que délivre ce discours, celui-ci identifie une élite, plus morale quesociale, définie comme

la classe supérieure (tabaqa al-khassa), gens de foi et de conviction qui s'enremettent également au décret du destin (... ) et sont convaincus que rien ne peutles atteindre que la volonté de Dieu (... ), mais qui ne voient dans la mise enœuvre des instructions des médecins en matière de protection contre ces tléauxrien qui contrevienne à leurs convictions ou qui contredise la Loi divine,dispositions qui peuvent se révéler inutiles mais qui ne sauraient nuire(26).

(24) Ibid., p. 131.(25) Ibid., p. 133.(26) Ibid., p. 130.

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 137IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

Comme à l'issue de leur périple judiciaire, c'est la possibilité même de tellessynthèses qui constitue la leçon des «expériences» successives par lesquelles passent'lsa et le Pacha, désignant la nécessité et l'urgence pour les musulmans d'uneactualisation de leur système normatif - tout à la fois réintroduction de la norme dansl'Histoire dont elle s'est absentée dans sa vérité et son efficace, et appropriation de

celle-ci aux exigences de l'heure.

Dans ce monde où la norme est absente ou altérée, en quels termes 'Isa et sescompagnons la convoquent-ils à travers leurs échanges? J'ai évoqué, dans ce quiprécède, les rôles dévolus au Pacha et à 'lsa dans la «division du travail» d'élucidation

du présent qu'institue le f-fadïth. Le premier personnifie les valeurs du passé dans leprocessus même de leur actualisation: il va progressivement se dépendre d'attitudes,de traits de comportement propres à son époque, conjoncturels pOUiTait-on dire, sansencore savoir par quoi les remplacer. Quant à 'Isa, il est, on l'a vu, celui qui expliciteles situations: il maîtrise les nouveaux codes mais ne possède pas lui-même desolution à la question insistante du Pacha - comment continuer à vivre en musulman?L'un et l'autre entretiennent un rapport que l'on pourrait qualifier de purement«référentiel» à la norme: ils en ont la mémoire, sont capables de la restituer et d'en

mobiliser les ressources interprétatives sur le mode du qiyéls (analogie). Sonénonciation elle-même s'opère sur le mode de l'adab, dans la multiplication de boutsde poèmes, faits et dits, éléments de sagesses et de philosophies de toutes

provenances, aphorismes... - rarement versets coraniques ou badith-s prophétiques,même si la «totalisation» de l'ensemble est incontestablement «musulmane». Maisprécisément, ainsi énoncée, la norme demeure pour eux un principe statique dereconnaissance, comme une sOlte de répeltoire permettant de qualifier, le plus souventnégativement, les situations de rencontre, sans pour autant leur permettre d'identifierune alternative à cette négativité, impuissance qui expose le Pacha au désespoir et 'Isaà la tentation du cynisme.

C'est à ce point que survient l'Ami (a,s-"adïq), dans lequel on peut sans doutevoir un avatar de la figure tutélaire de Muhammad 'Abduh, qui va dorénavant lesaccompagner, en pmticulier dans leur voyage à Paris, dont c'est lui qui se chargera dedélivrer le sens et les enseignements. Dans la division du travail que met en place lerécit, l'Ami se voit attribuer un double rôle que l'on pourrait qualifier de «dyna­mique» par opposition au rôle «statique» du Pacha et de 'lsa. D'une part, c'est lui quidésigne les voies et les registres de l'auto-dépassement de l'intérieur de ce que l'ontpounait désigner comme la «tradition» ou la «culture» endogène, son actualisation audouble sens évoqué dans ce qui précède: c'est ainsi l'Ami qui présente à ses deux

compagnons un shaykh «éclairé» (':ïlùn min afiiç/il al- 'ulam:ï wa nubah;i'ihùn) qui varégler pour eux, dans le sens de ce qui apparaît bien comme une «modernisation» dela norme, un point éminemment controversé de doctrine, celui de la licité del'audition de la musique, question point aussi anodine qu'il n'y paraît au premierabord. Ce qu'il me paraît important de souligner ici, c'est la structure même de

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138 ALAIN ROUSSILLON

l'argumentation: à partir de ce qu'il présente comme les savoirs scientifiquementfondés de la zoologie et de l'anthropologie, qui confirment ce que savaient déjàPythagore et Hermès, mais aussi des découvertes les plus récentes d' «un groupe demédecins européens parmi les plus grands qui ont établi, à force d'expériences que lechant est un traitement (dawa) efficace pour de nombreuses maladies, [méthode]qu'ils ont appelé 'mélothérapie' comme il y a une hydrothérapie ou une électro­thérapie» -, il établit le caractère de part en pmt naturel de la musique, ce qui explique«qu'il existe très peu de religions dans le monde qui n'y aient recours dans leursrituels, sous forme de psaumes ou de cantiques qui favorisent la purification des âmes,l'épanouissement des esprits et l'accès au monde spirituel»(27). Voilà pourquoi l'Islam

ne peut pas interdire la musique - n'est-il pas la religion de l'adhün? - ni continuer às'en tenir à une interprétation restrictive de la norme. Et c'est l'Ami lui-même qui secharge d'énoncer les enjeux de cette «réhabilitation» de la musique: la question n'estplus de décider si celle-ci est licite ou non, mais de savoir pourquoi les Egyptiensn'ont pas de bonne, de vraie musique. A quoi il répond que c'est précisément cettemauvaise interprétation de la norme qui explique son statut déprécié et le fait qu'ellesoit considérée comme un moyen vil de gagner sa vie. De façon plus ambiguë, c'estencore l'Ami qui va expliquer à ses compagnons que penser et que faire des éléments«antéislamiques» de l'histoire/de l'identité égyptienne: d'une pmt, il confesse l'intérêthistorique des traces monumentales de ce passé, tout en soulignant que ce sont surtoutles Occidentaux qui sont sensibles à cet intérêt pour tout ce qui se rapporte aux«recherches sur les anciens (akhMir al-awa'il) et la philosophie de l'histoire» (falsafa

at-tarïkh) ; de l'autre, ce n'est visiblement pas cette dimension du turélth égyptienqu'il souhaite privilégier, suggérant au gouvernement de mettre en vente celtainespièces d'antiquités existant en plusieurs exemplaires, feignant de se demander

ce qui est le plus utile pour la nation (umma) égyptienne musulmane [...]:exposer aux regards telle statue d'Apis ou d'Isis, le bras de Ramsès ou la cuisse

d'Aménophis, ou mettre en circulation tel livre d'ar-Razi, tel traité de Farabi, telopuscule d'Ibn Rushd, telle épître d'al-Ja1)iz ou tel poème d'Ibn ar-Rüm~28).

- De l'autre, l'Ami est celui qui prend en charge, pour ses compagnons, la miseen perspective de la relation avec l'Occident en même temps qu'il prend en main laprogression heuristique de leur séjour à Paris. A 'Isa, trop prompt à s'enthousiasmersur ce qu'il découvre et à retrouver les envolées lyriques de ses prédécesseurs àpropos de la Ville-lumière, l'Ami rappelle la charte de leur voyage:

Nous sommes las et plus que las d'entendre les exagérations dont on nous rebatles oreilles dans la description de ces contrées (...) N'es-tu pas un chercheur

(rajul babbüth), un observateur avisé, attentif à considérer des choses leursaspects cachés et leur vérité profonde? Rien n'est plus nécessaire pour nousmaintenant que de défaire notre pensée de ces descriptions et de cesinformations qui ont trop longtemps peuplé nos imaginations et de les oublier

-------(27) Ibid., p. 185.(28) Ibid., p. 279.

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139FAIRE PREVALOIR LA NORME:IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

une bonne fois pour toutes. Que notre jugement se fonde sur la seule

observation et le constat visuel (al-mushühada wal- 'i.v:ïn), dégagés deprésupposés sans fondement ou implantés dans nos esprits par des informations

de seconde main(29).

Comme symétriquement, au Pacha prompt à s'indigner des atteintes à la moralemusulmane qu'implique le projet même d'emprunter à la madaniya occidentale,l'Ami propose une sorte de mode d'emploi ou de guide «négatif» du voyage enOccident. Les gens qui accomplissent ce périple - et se croient bien souvent autorisésà écrire à son propos -, sont, explique-t-il, de plusieurs sortes: ce sont en premier lieudes étudiants, bien peu armés pour exercer leur sens critique et qui se laissentfacilement abuser par les séductions de l'Occident; ce sont ensuite des touristes, quivont y passer l'été, dont la quête de l'agrément est la seule motivation et dont onconçoit qu'ils se gardent d'apercevoir les aspects négatifs de la civilisationoccidentale; ce sont encore ces fonctionnaires qui, sans avoir eu l'occasion d'y faireleurs études, voient dans le voyage en Occident l'occasion d'augmenter leur prestigeou d'améliorer leur image - un œil, tout de même sur leur portefeuille par crainte dedépenses excessives; ce sont enfin ces intellectuels qui, tout en s'étant donné la peined'observer de près la civilisation européenne, semblent avoir pris son parti et qui sontpoussés par le souci de faire école ou de se singulariser et apparaissent comme des

«agents de l'étranger (kal-ajir lil-ajnabï) qui portent aux nues sa civilisation pours'élever avec elle»(30). Il va sans dire que, pour l'Ami, nos voyageurs ne relèventd'aucune de ces catégories puisque, précisément, leur souci est d'enquêter sur lesfondements de la madaniya occidentale afin d'identifier ce qu'elle peut avoir àapprendre aux musulmans. Le point crucial est que c'est de l'intérieur même quesemble s'annuler la prétention de l'Occident à s'ériger en norme universelle. Tout estencore une fois ici affaire de dramaturgie: les voyageurs orientaux n'ont même pasencore engagé le dialogue avec l'Occident que déjà ils surprennent sa vérité au détourd'une conversation dont ils sont témoins - passivement - entre trois figures embléma­tiques dont les discours croisés disent le sens de la relation Orient-Occident.

L'Ecrivain - on devrait sans doute entendre le journaliste, adïb min kuttâb al- 'a,'>r ­énonce crûment la philosophie de l'impérialisme sous couvert de «missioncivilisatrice»:

Il est temps que la civilisation éradique la barbarie (al-hamajiya) et la bestialité(al-wal;shiya) de ce monde. Nous devons diffuser le message que nous nOLIssommes préparés à délivrer aux gens. Nous devons réformer l'homme, où qu'ilse trouve, et lui inculquer les principes de la civilisation et ses enseignements.Nous porterons ainsi le monde humain à l'apaisement (ra1;a) perpétuel et aubonheur absolu dans cette vie. Sinon où serait le mérite de notre combat pourles arts et les sciences et de notre quête du progrès et de l' avancement?(31).

(29) Ibid., p. 297.(30) Ibid.. p. 301.(31) Ibid., p. 302.

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140 ALAIN ROUSSILLON

Et de conclure que cela vaut de toute façon mieux pour les Européens que de secombattre entre eux, ce qu'ils ne manqueraient pas de faire, note-t-il, vu les quantitésd'armes accumulées. Un propos que ne peut manquer d'approuver le Marchand (at­

tajir), deuxième figure de cette scène, qui ne voit pas pourquoi les Chinois luicontesteraient le droit d'exploiter les richesses de leur pays dont eux-mêmes ne fontrien. C'est cette «sainte alliance» des intérêts et de l'idéologie que démasque latroisième figure, celle du Sage ou de l'Orientaliste (rajul min aséÏtidha al-falsafa wa

min al-mustashriqin) qui énonce la vérité de ce projet et délivre la leçon durelativisme historique et de la pluralité des normes et des civilisations en se faisant leporte-parole des Chinois contre les prétentions de l'Ecrivain et du Marchand:

Si vous avez une civilisation occidentale, nous avons, pour notre part, unecivilisation orientale, consolidée par les expériences des siècles accumulés etqui s'est conservée pure, raffinée par les siècles et la main du temps de sorte quene sc sont conservées au fil des jours que les mœurs et les habitudes enracinées

dans notre nature elle-même (ma k<Ïna la/ut a,'il th;ïbit wa jawhar naqï). Et sivous faites remonter votre existence à quelque sept mille ans, nous pouvonsnous prévaloir de centaines de milliers d'années. Et si votre civilisation est lafille d'un siècle ou deux, notre civilisation à nous compte des dizaines de

siècles, dont nous avons nommé et composé l'histoire (i,'itala/m<Ï 'alayh;ï wa

alifnüha), et durant lesquels la vie nous fut bonnc(32).

Je vois, pour ma part, la marque d'une singulière modernité de la pensée deMuwaylibi dans cette récusation des termes d'un débat où ce qui serait en questionserait la supériorité de l'Orient sur l'Occident ou leurs mérites respectifs, question àlaquelle il substitue, par la bouche du Sage, celle des conséquences pour l'humanitéelle-même du système de relations que l'Occident impose au reste du monde par laforce de ses armes et de son organisation: oubli de soi pour les cultures qui nesauraient pas résister, rejet de l'autre et repli sur soi pour celles qui refuseraient derenoncer à elles-mêmes. Le sage est plus qu'un interlocuteur ou qu'un intermédiairepour l'Ami et son groupe: une sorte d'alter ego, garant qu'une transparenceréciproque reste possible entre les cultures sur le telTain de la pensée rationnelle et dela science pure, et qu'elles peuvent avoir à apprendre les unes des autres. Dont cetteultime leçon, même si elle n'est qu'esquissée: c'est de l'intérieur de la civilisation

occidentale que viendra, avec le socialisme (al-madhhab al-ishtirélki), la contestationde la prétention de celle-ci à imposer ses modèles au reste de l'humanité. Sans douteest-il encore trop tôt pour en parler - deux brèves mentions dans le Hadith pour direqu'on n'en parlera pas -, mais le groupe de voyageurs orientaux pourra constater devisu, dans les mines de charbon, à quel coût peut être extrait le «pain de lacivilisation» (khubz al-madaniya).

En forme de conclusion paradoxale au périple parisien de nos voyageurs, lavisite au pavillon égyptien(33) de l'Exposition universelle - celle de 1900 - fournit ce

(32) Ibid., p. 304.

(33) La visite du pavillon égyptien des Expositions universelles est un «classique» de la littératurede voyage de l'époque; ci Anouar Louea. Voyageurs et écrivains égyptiens en France au XIXe siècle,

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 141IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

qui peut apparaîre comme une véritable clé d'analyse: ce qui fait l'objet de leur rejet,ce n'est pas la civilisation occidentale elle-même, dont le dialogue entre le Sage etl'Ami nous a livré le secret et qui ne fait jamais que témoigner de la permanence de la«nature humaine», que le regard que l'Occident porte sur l'Orient et qu'il est en train,avec la complicité des Orientaux eux-mêmes, de faire advenir dans la réalité. Lecauchemar de 'Isa et de ses amis, auquel donne corps la mascarade obscène etblasphématoire dont ils y sont témoins - danse du ventre, faux muezzin et faux

kutt<ïb ... -, est que le pavillon ne soit, sinon l'Egypte elle-même, du moins lamétaphore d'une société anomique, produite par la compétition de deux normes et dedeux cultures étrangères l'une à l'autre et qui, en quelque sorte, y annulent leursefficaces respectives, somme des adultérations qu'elles ont dû subir pour parvenir àcohabiter tant bien que mal dans l'espace colonial.

. Mu'aqqit : le salut par la lettre

Il y avait quelque chose à apprendre, des leçons à tirer, un enrichissementpersonnel dans le double périple de 'Isa et de son groupe au Caire puis à Paris.L'espoir d'une seconde Nahda qui viendrait parachever les avancées de la première etrestaurer dans leur dignité l'Egypte et les musulmans. Tel n'est pas ou tel n'est plus lecas du récit de Mu'aqqit : le monde qu'il parcourt est en proie à ('anomie la plusdévastatrice et il ne semble rien discerner, sinon fugitivement, de positif dansl'histoire telle qu'elle va. Le sens qu'il assigne à son voyage est celui de la quête d'unimprobable refuge où se serait rassemblée la «communauté des derniers jours», ultime

dépositaire du Vrai (al-ta'(fa allati la tazül 'ala al-baqq), auprès de laquelle il seraitencore possible de vivre en musulman. En fait, le groupe qui se constitue autour dunarrateur - Mu'aqqit lui-même - constitue une sorte de préfiguration ou de métaphore

de cette communauté préservée. Le shaykh 'Abd al-midi, rencontré aux portes deMarrakech et qui décide d'accompagner le narrateur dans sa quête, est la figure

centrale du groupe: salafi intransigeant pour qui ne sont ma 'sOm, impeccables et

dignes d'imitation que le Prophète lui-même, «dépositaire de la Sharï'a» ($:ïhib ash­

shari'a), ses pieux Compagnons et les mujtahidOn reconnus des trois premierssiècles- mais dans le discours de qui s'entremêlent pourtant, pas toujours identifiées,

les voix de Rashïd Rida, Muhammad HMiz Ibrahïm, Ibn al-Qayyim al-Jawziya et de

nombreux autres fuqaMi' maghrébins de plus basse époque ., il figure le maîtreintégral. Non seulement il concentre en sa personne tout le savoir disponible pour unmusulman - fiqh, u"ül, furü', langue et grammaire, médecine, rhétorique,mathématiques, adab, histoire, astronomie, poésie, philosophie, tawqït... -, mais c'estlui qui départage, au sein du groupe, les avis divergents et chacune de ses sentencesest reçue comme l'expression de la vérité entière et difinitive.

Le shaykh 'Abd al-Hadi va se «radicaliser» au fil de la Rihfa. Au début du récit,

alors qu'ils viennent à peine d'arriver à Marrakech, 'Abd al-Hadi fait mine d'être prêt

Paris, Didier, 1970, notamment le chapitre intitulé «L'Egypte aux Expositions universelles de Paris(1867, 1878, 1889, 1900), p. 181 et s.

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142 ALAIN ROUSSILLON

à transiger avec le «fait accompli», entendons la présence coloniale française - c'estl'une des très rares fois où la France est identifiée explicitement -:

L'Histoire nous a appris, en professeur averti, que l'Etat français avait atteint le

degré de progrès (taqaddum) et de civilisation (haç1üra) pour lequel il estréputé, et qui surpasse tous les autres Etats européens, grâce au soin apporté auchoix des hommes les plus compétents et expérimentés en même temps que les

plus honnêtes pour occuper les fonctions d'autorité (al-wa?,l 'if as-saniya) et lespostes élevés. C'est ce qui lui a permis de vivre une vie prospère, heureuse, à sa

convenance, d'autant que la plupart de ces lois sont en accord avec la sharT'aislamique et qu'il se trouve des hommes pour les faire respecter à la lettre, sur labase du principe selon lequel le respect de la loi engendre la stabilité (al­istiq,ïma) qui est elle-même le salut des êtres et du monde et son âme même(34).

Si donc, poursuit-il, le gouvernement que cet Etat français a installé au Marocplaçait aux fonctions d'autorité des hommes de vertu et de résolution, chrétiens oumusulmans précise-t-il - propos qui vaut notamment pour l'exclusion des juifs qu'ilprononce implicitement -,

alors les convoitises rellueraient, le sentiment de la justice et de l'équanimité

prévaudrait et chacun se contenterait de son droit et serait satisfait de son sort.

Mais, bien sûr, tout cela n'est qu'un mirage,

un rêve mensonger, des espérances sans objet et il n'y a à espérer ni paix, nisécurité, ni bonheur ni tranquillité, ce dont, si Dieu veut, tout le monde finirapar s'aviser(35).

Il ne cessera dès lors de vitupérer, on verra en quels termes, l'imitation del'Occident qui constitue à ses yeux la principale modalité, sinon la cause même, des«turpitudes de ce temps». 'Abd al-Basit, le troisième personnage du groupe est leurguide à Marrakech, l'homme du terrain, capable d'évoquer tous les titres de gloirepassés de cette vil1e et de leur faire découvrir, dans ses moindres recoins, l'étendue dela calamité. C'est par exemple lui qui passera en revue, à la demande de 'Abd al­

Hadi, la liste interminable des confréries, zawiya-s et autres marabouts qui détournent

les musulmans de la vraie foi et de la sharï'a(36l. Quant à 'Abd a~-Samad, l'Egyptien,il est là pour témoigner que de tel1es choses se produisent aussi en Orient: n'y a-t-onpas vu des oulémas se raser la barbe et se tailler les moustaches

à l'imitation des kuffar de façon qui annihile la beauté de ce qu'il y a d'humain

(bahja al-adamiya) et sa perfection (kamal al-ins'ïniya)(37l.

'Abd al-Qayüm, enfin, incarne la situation faite au jeune musulman dans lasociété de ce temps: orphelin de bonne heure, il lui faut trouver un gagne-pain et il

(34) Rift/a, 1, p. 12.(35) Ibid., 1, p. 13.(36) Ibid., 1, p. 140 et s.(37) Ibid., 1, p. 101.

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 143IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

pense à devenir 'adOI, ce dont 'Abd al-midi le détourne en dressant le portrait

horrifique des turpitudes de cette profession; il illustre l'aporie à laquelle la Nljawaqtiya, les exigences du temps et du lieu, confrontent les individus:

Les gens de notre époque sont placés devant une alternative: la vertu et le

malheur ou le vice et la vie [prospère](38).

Leur petit groupe arpente la ville, presque invisible: ils écoutent aux portes,regardent par les fenêtres, posent des questions en gardant pour eux leurscommentaires. Surtout, ils se gardent bien de mettre en œuvre, par la langue (bi!­

lisan) ou par la main (bU-yad), ce devoir sacré qui, selon 'Abd al-Hadi lui-même,incombe à tout musulman d'ordonner le Bien et de pourchasser le Mal (al-amr bil­

ma'rC!fwal nahyu 'An al-munkar) partout où il le rencontre: ils ne répondent rien auxpropos les plus immoraux ou les plus blasphématoires tenus en leur présence(39) et ilsn'empêcheront pas une jeune fille sans défense d'être livrée, sous leurs yeux, à laprostitution(40). C'est que leur Rihla est d'abord une hijm, un exil intérieur: le replisur une norme que, seuls ou presque dans ce monde corrompu, ils conservent dansson intégrité et qui les conduit à se retrancher du monde dans le mouvement mêmepar lequel ils en explorent et recensent les turpitudes hic et nunc.

Car, en effet, même s'il n'y a fondamentalement rien à apprendre dans le mondetel qu'il va, Mu'aqqit n'en prend pas moins la peine d'en livrer une description

souvent minutieuse, obsessionnelle, selon la même dramaturgie que le Hadith deMuwaylibi - la traversée de la cité impie - mais avec de toutes autres conclusions. Al­waqt, «ce temps»(41), désigne le rapport du présent à l'historicité fondatrice del'Umma et est progessivement construit comme objet, au fil de la RiMa, en tant querapport à la norme énoncé en termes de conformité/écart. Sous sa forme adjectivale ­waqti, waqtiya -, ce terme est susceptible d'être indexé à toutes les situations et à tousles acteurs rencontrés, marqueur de leur appartenance à cette temporalité corrompue:

«les us et coutumes de ce temps» (al- 'awéï'id al-ma 'IC!fa al-waqtiya), les «nécessités

de l'heure» (al-bélja al-waqtiya), les oulémas et les qéïdi-s de ce temps ('ulaméï' al­

waqt wa quçüïtihi), les écoles de ce temps (al-madéÏris al-waqtiya), les riches, lesjeunes, les femmes de ce temps ... Ce qui constitue le waqt comme temporalitéadultérée, déviante par rapport à l' historicité téléologique de l'Umma, toute entière

(38) Ibid., l, p. 29.(39) Ainsi de cet épisode - Rib/a, l, 97-98 - où deux personnages de rencontre livrent leur

conception du bonheur: pour Je premier, devenir chef d'une riche zawiya et faire «du gras» sur Je dos desaffiliés: pour le second, devenir le tuteur (wa"iy) d'un riche orphelin et le dépouiller de son bien.

(40) Ibid., l, p. 108. C'est, semble-t-i!, l'attitude même de Mu'aqqit qui considérait son devoiraccompli avec la publication de ses pamphlets. l'exécution de ses "recommandations" relevant d'autresautorités - le Makhzen/les Français -, et i! n'y a pas trace dans la presse locale ou dans la mémoiremarrakshi d'esclandre provoqué par l'intransigeantfaq/11.

(41) Les gens du bateau, ribla apocalyptique déjà évoquée, qui prolonge Ja Ribla marr;ikuslIiyaporte significativement comme sous-titre: «Le Quatorzième siècle» (al-qam ar-n/bi' 'ashar).

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144 ALAIN ROUSSILLON

tendue vers la préparation delà l'Heure, c'est la rupture de son unité même, mode deretrait ou du reflux de la norme dans l'histoire: Dieu a mis des lois (sunan muttaba 'a)à la marche (sayr) des nations, dont la première est de rester fidèles au principe qui lesfonde; dès lors, ce qui amorce le déclin de l'Umma musulmane, c'est le passage du

lien religieux (ar-rabita al-diniya) au lien doctrinal ou sectaire (ar-rabita al­madhhabiya), qui constitue

le facteur unique et le premier pas derrière la division du noyau (jawhar) deJ'Unzma musulmane. En lui-même, ce passage ne suffirait pas à susciter ladivision, car le cercle de l'islam est trop large pour être menacé par l'existencede deux ou de dix écoles (madhhab) tant que celles-ci ne divergent pas sur lenoyau de la religion. Mais le démon ne se satisfait pas de cette situation: ce quile satisfait, c'est que chaque école cherche à s'emparer de ce qui appartient auxautres, par la parole ou par l'action, si elle en trouve le moyen(42).

L'identification, dans l'historicité propre de la nation musulmane, de la causalité«en dernière instance» de son déclin vaut, transposée dans l'histoire elle-même, hic etnunc - ce que MuCaqqit nomme al-waqt -, désignation des responsabilités qui luiapparaissent comme les plus immédiates. Celles des oulémas, en premier lieu, dont la

démission et les turpitudes sont dénoncées par'Abd al-midi tout à la fois comme lacause première et comme la condition sine qua non de l'anomie qui prévaut dans la

société: alors même que des fonctions comme celle de q<zçiï, de muhtasib ou de nu!rasont si difficiles et si importantes que les Compagnons du Prophète eux-mêmeshésitaient à s'en charger, ceux qui les exercent «en ce temps» sont ignorants etvénaux, n'hésitant pas à s'enrichir aux dépens des justiciables et contribuant par là àla dissolution du sens de la justice dans la société toute entière. Responsabilité desconfréries (aç-çawü'ij al-waqtiya), à la dénonciation desquelles 'Abd al-Hadiconsacre une notable part de son énergie, produits d'une imagination satanique(makhyala shaytaniya),

aussi différentes les unes des autres qu'autant de races et d'espèces distinctes(mutammayiza 'an bacçiiha il1ltiyaz al-naw' wal-jins) , où chacun regarde sonfrère musulman comme s'il regardait un étranger à sa religion (...), et qui jouentavec le shar', chacune accommodant la religion en fonction de ses passions(43).

Mais aussi responsabilités du nationalisme naissant(44),

toutes ces élaborations du patriotisme (hadha at-tajanIHUl fi al-waçaniya), quiont réduit à néant tous les autres liens unitaires (sa 'ir ar-rawabit al- 'amma ash­

sharnila) et qui s'est révélé le facteur le plus puissant de dissolution de l'unitéde la religion,

(42) Ribla, l, p. 33.(43) Ibid., p. 117.(44) MuCaqqit écrit au moment où s'arrête la résistance année, mais aussi à la veille de la création

de J'Action marocaine qui publie un «Plan de réformes marocaines». imprimé en arabe au Caire - commela Ribla de MuCaqqit, avant d'être publié en français au Maroc.

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 145IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

dans lequel Mu'aqqit est bien près de voir, comme nombre de réformistes pour qui latutelle étrangère est moins lourde de conséquences que la division symbolique del'Umma, l'arme la plus efficace des «ennemis de l'islam».

C'est précisément parce qu'elle est au fondement de l'unité de l'Umma que lanorme - le <<noyau de la religion» - ne peut être qu'univoque, à la fois immuable dansJ'espace et dans le temps et susceptible d'une seule lecture qui elIe-même commandela soumission: elle n'est donnée que dans sa littéralité et c'est celle-ci qui constitue, sil'on peut dire, son principe unificateur actif, ce qui fait que l'unité de l' Umma peutêtre vécue et expérimentée par chacun de ses membres dans l'infinité des situationspossibles. En elle-même, la norme n'est pas susceptible d'explicitation, maisseulement de contemplation ou de «commentaire» - dont par exemple la bikma, lafalsafa ou le 'ibn - qui n'ont de valeur que relative et dont l'efficace propre tient, nonpas tant à la recherche de la vérité toujours déjà donnée depuis qu'a été scelIée laRévélation, qu'à leur efficacité polémique dans la lutte contre J'erreur: ainsi dessuperstitions propagées par les isr<ï'iliy<ït qui empoisonnent l'esprit des musulmans et«affligent le cœur des gens raisonnables (aL- 'uqahï')>>, comme cette idée que la terreest posée sur la corne d'un taureau, alors que la vérité en cette matière

réitérée par la science moderne (qarrarahu al- 'ibn al-badïth) c'est que la terreest un morceau du soleil qui s'est détaché de celui-ci, a pris une formesphérique et qui flotte dans l'espace en tournant. C'est à cause de cela que scproduisent le jour et la nuit, que changent les saisons - ce qui est exactement ceque l'on comprend du Coran...

Suivent trois versets qui énoncent cette vérité plutôt qu'ils ne l'appuient puisquece sont ces versets qu'il convient de croire, non le discours scientifique(45J. End'autres termes, la norme, dans j'immédiateté de son énonciation littérale, estsusceptible d'être prise dans un celiain nombre de «discours de vérité» qui, sans yajouter, peuvent en quelque smie en témoigner - encore une fois la bikma, lafalsqfa,l'adab, le 'ibn dans son acception moderne -, et 'Abd al-Hadi, tout salqflqu'il soit, nerépugne pas à citer Socrate ou Aristote, Ibn ar-Rümï ou Ibn Rushd(46J. Le principaleffet de cette exigence de littéralité de la norme est qu'elle est Là tout entière, ou toutentière absente, selon deux figures en quelque sorte symétriques: par défaut,abrogation par la créature du commandement de son Créateur; par excès ou par ajout,intervention humaine, trop humaine dans son énonciation ou son interprétation. C'est'Abd al-Basit, l'homme du terrain, qui décrit la déplorable condition des gens destribus (ahl al-bawadi) en matière de croyances (Caq<ï'id) et de pratiques Cib<ld<ît)religieusec :

Que te dire? Des gens dont la doctrine (madhhab) est le manque de loyauté etl'hostilité, qui ne s'acquittent pas des obligation.s légales (al-fard), qui ne font

(45) Rib/a, l, p. 45.(46) Il faudrait vérifier dans quelle mesure ces citations ne correspondent pas aux passages

«empmntés», notamment à Muwaylibi.

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146 ALAIN ROUSSILLON

pas la différence entre celles-ci et ce qu'on entend par sunna (... ) Comme s'ilsavaient été façonnés de la même argile que leur bétail. Ils n'ont pas pitié du petitet ne respectent pas le grand. Ils laissent leurs parties à découvert et leursvêtements sont imprégnés de matières impures. Ils utilisent les mosquées pourles affaires d'argent, pour manger ou boire, et bien peu d'entre eux s'yprosternent ou s'y agenouillent. Leurs enfants sont en permanence quasi nus et

leur aspect évoque les fous (...) Leurs mariages sont comme des batailles...

C'est le même 'Abd al-Basit qui, je l'ai évoqué, passe en revue les turpitudesinfâmes - croyances superstitieuses, rituels, pratiques magiques, transes et débauches,mais aussi lucre et commerce de la religion - à quoi se résument l'activité desconfréries.

Toute la Rihla va dès lors se résoudre en l'inclôturable et lancinant cataloguedes modalités de l'absence de la norme et des manières dont cette absence produit dela division dans la société. A commencer par les plus voyantes, celles par quoi celle-cise donne à elle-même le spectacle de sa division, à l'enseigne de «l'imitation de

l'infidèle» (taqUd al-k{ifir) : l'abandon du turban, «couronne des Arabes et emblêmede leur force» au profit du chapeau, «signe distinctif des infidèles»(47); le port du

((pantalon rOmi», qui empêche de faire ses ablutions(48); se raser la barbe au prétexted'~ygiène,

alors que s'ils interrogeaient leur médecin sur les avantages de cette pilosité dupoint de vue médical, nombre d'entre eux la conserveraient (...) Les gens decette époque, écrit-il, commettent deux horreurs: la première est de se raser labarbe ou de la tailler, la seconde est de se laisser pousser la moustache jusqu'àrecouvrir la bouche et plus, alors que le port de l'une et la suppression de j'autre

'sont des obligations rituelles (jarç1)

dictées par l'obligation religieuse de se distinguer des Majüs, des juifs et des

Francs(49); l'abandon du «as-saléîm 'alaykum» au profit du salut des Francs (al­Ifrinj)C50); les échecs, les dames, les cartes(51) ; l'usage pernicieux du tabac, cette

«herbe juive maligne» (hadhihi al- 'ushba al-khabïtha al-yahOdiya)(52); l'habitude de

se promener le samedi, à l'imitation des «gens du sabbat» (a?bab as-sabt), cette«secte maudite»(53) ; l'oubli de la langue et l'utilisation d'idiomes étrangers(54). Etbien sûr les femmes; à propos desquelles «la liste des transgressions des gens de cetemps emplirait des volumes entiers»(55) : abandon du voile et exhibition honteuse de

(47) Ibid., 1, p. 101.

(48) Ibid., Il, p. 41.

(49) Ibid., I, p. 100.

(50) Ibid., " p. 100.(51) Ibid., I, p. 106.

(52) Ibid., Il, p. 35.(53) Ibid., 1, p. 56.(54) Ibid., 1, p. 105.

(55) Toute la première partie du livre Il est consacré à passer en revue ces transgressions.

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 147IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

leurs charmes (tabarruj); fréquentation des marchés et des cimetières; réunionslascives dans les hammams; utilisation crapuleuse des terrasses; prostitution... Autantde bida' qui suffisent à compromettre l'honneur de la société tout entière quand on

sait, comme 'Abd al-Hadi et ses compagnons que

les femmes sont l'objet des regards et de la convoitise des hommes et sont, parlà fauteuses de désordre (jilna) et instruments de transgression.

Et de conclure:

Pourquoi ne pas fermer la porte à ce désordre? Pourquoi ne pas supprimer lacause de ces convoitises en mettant les femmes à l'abri d'avoir à fréquenter lesmarchés et autres lieux?(56l.

Ajoutons que Mu' aqqit ne s'en tient pas aux seules «apparences» ou auxaspects les plus voyants de J'absence de la norme. L'absence de la norme, c'est aussila désorganisation d'une «économie sociale» fondée sur la zakat, la proscription dugain usuraire et qui réprouve l'enrichissement pour lui-même:

La situation de la présente génération et de celle qui l'a précédée traduit un

éloignement extrême de la sharï'a islamique, ce qui n'a pas manqué d'avoir desrépercussions également extrêmes sur les habitudes des gens. Ainsi, des

commerçants et des autres professions (/liraj) dont les pratiques et lescomportements ont été bouleversées (inqalahal), dans leurs maisons, dans leursprix et dans le reste de leurs dépenses, de telle sorte qu'ils ont rendu difticileaux gens de trouver leur subsistance (rizqi57l.

Les riches de ce temps sont décrits comme littéralement possédés par le démonqUI

s'est insinué en eux, mélangeant chair et sang, nerfs et sens, contrôlant lesmembres puis gagnant les cerveaux, croissant et se multipliant(58).

Ce sont ici clairement les interactions qui se nouent avec \'économie coloniale

que désigne la critique de 'Abd al-Hadi, énonçant en termes religieux les enjeux descompOliements économiques: ainsi de la spéculation immobilière, dans laquelle il voitune tentative coupable d'échappement à la zakat, ajoutant que

les principaux commerces de ces investisseurs (al-mutamawwilïn) sont l'achatd'immeubles, en particulier de cafés et de tavernes, et autres oflicines du vice,ou encore d'immeubles réservés au logement des chrétiens et des juifs, ­

opérations auxquelles s'associent les oulémas et les qaçiïs de ce temps, sanshonte et sans crainte de Dieu, ne pensant qu'à attirer les dirhams quelle qu'ensoit la manière(59).

(56) Ibid.. Il, p. 41.

(57) Ibid., l, p. 33.(58) Ibid., l, p. 36.(59) Ibid., 1, p. 39.

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148 ALAIN ROUSSILLON

Dans le noir tableau que dresse Mu'aqqit, on peut distinguer deux modalités

selon lesquelles «l'imitation du k,ïfir» vient en quelque S0l1e combler le vide laissépar la norme endogène absente. D'une part, ce que l'on pourraitdésigner comme un«effet de proximité» qui prend la fOlme des interactions avec cet «autre de l'intérieur»

que sont les juifs marocains, ce que 'Abd al-Basit dénonce comme une «promiscuité»pourtant interdite par le calife 'Umar, qui avait ordonné que les dhimmi-s vivent

à l'écart des musulmans, dans des endroits spécifiés, afin qu'entre eux et lesmusulmans l'accord ne puisse se faire sur rien (mltw4aqafi shay 'in may60).

Le point à mon sens crucial est que c'est ici l'argument religieux et lui seul quipermet à Mu'aqqit d'articuler sa dénonciation du rôle joué en particulier par lescommerçants juifs comme intermédiaires fonctionnels entre les intérêts européens etla société musulmane marocaine. Au risque de ne saisir qu'un aspect, sans doute leplus symbolique, de la mécanique dévastatrice de la «protection», dont le principalenjeu, dans le cas marocain, était de concerner aussi des sujets musulmans(61). Leparadoxe que pointe Mu'aqqit, sans peut-être en avoir conscience, c'est que cetteoccidentalisation que l'on pourrait qualifier d'occidentalisation «de sUlface» - dontl'un des aspects les plus notables est précisément l' émancip,ltion, sinon de lacommunauté juive, du moins de ses notables - a pour contrepartie le renforcement desmodes les plus traditionnels de contrôle de la société. Ainsi du pouvoir des caïds etdes chefs de tribus qui, en s'appuyant sur

l'autorité que leur confère le gouvernement (a!-/1Uküma)(621, sont devenus lesmaîtres des campagnes (a,'ibüb al-bawüdi) en soumettant tribu après tribucomme des troupeaux de moutons ou des bovins que l'on tond, trait ou abat à saguise. Si les agents du pouvoir de ce temps ('lImm/il al-waqt) trouvaient lemoyen de prélever le kharf!j sur les bêtes sauvages, lajizya sur les poissons oula ::aUt sur les anges (... ), nul doute qu'ils le feraient (... ) A cause de toute cettetyrannie, cie ces injustices et cie ces scandales de la part cie ces dirigeants, lesgens des campagnes, au Maroc, ne font plus la clifférence entre la perdition (açf­

çfal:ill) et la voie droite (al-hudü), entre le vice (fisq) ct la piété (tuqü) ct, envérité, sont devenus comme de pures ct simples bêtes sauvages (/wmajiya) ,

risibles même aux yeux des Européens(63).

On peut interroger la p0l1ée de cet «humour» - celui de Mu'aqqit (c'est 'Abd al­

Basit, le Marraqshi, «sujet» du tout-puissant Glaoui, qui parle), sinon iconoclaste dumoins irrévérencieux pour les taxations imposées par la Divinité à sa créature, et celuiprêté aux Européens face aux aspects les plus «exotiques» de ce «vieux Maroc» queprécisément Lyautey prétendait conserver. En fait, dans ce tableau du pOlllTissement

(60) Ihid., J, p. 57.(61) Sur cette question. M. Kenbib, Les protégés. COll/ributiOIl cl l'histoire colllemporaille du

Maroc. Publication de la Faculté des Lettres et Sciences humaines de Rabat. 1996.

(62) Par hllkulIla, distingué de lIlakh:.ell, Mu'aqqit désigne clairement l'administration coloniale.et en particulier les juridictions «civiles» mises en place par le Protectorat.

(63) Rib/a, Il, p. 155.

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149FAIRE PREVALOIR LA NORME:IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

de la société marocaine par des valeurs et des comportements réputés «allogènes», onest encore du côté du «naturel» que la restauration dans son intégralité de la normeendogène suffirait à discipliner et à ramener dans la voie droite - y compris les juifs

qui doivent rester à la place que la sharl'a leur a assignée et qui est précisément leurplace dans la société. D'où parfois cette truculence qui échappe à la plume del'austère Mu'aqqit, laisse place à des traits d'humour et semble parfois se complaire,sur le modèle de la séance d'adab aux anecdotes les plus croustillantes ou les plusscabreuses à propos de ses compatriotes. En d'autres termes, c'est bien sur ce temlin­là, avec ces gens-là, des hommes et des femmes commettant ces transgressions-là,nommables dans les catégories de la norme endogène<64), que le rétablissement decelle-ci demeure possible.

Le ton et les enjeux ne sont plus les mêmes dès lors que Mu'aqqit identifie unprojet d'occidentalisation «active» à l'œuvre dans la société et promu par une fractionde ses élites. Jusque-là, la norme était en quelque sorte encore présente, en puissance;à travers les modalités mêmes de son absence ou des transgressions dont elle étaitl'objet; il n'en va plus de même dès lors que les «réformes» engagées compromettentla possibilité même d'une restauration de la norme endogène en substituant unemadaniya étrangère, européenne, à celle fondée par la Révélation:

Dieu éprouve la nation islamique en cette époque par l'intermédiaire d'ungroupe (fi'a) qui a pris sur ses épaules de nuire aux musulmans dans leurreligion et leur croyance en les abusant avec toutes sortes de mensonges etd'erreurs à propos cie Dieu et cie la science. Leurs langues et leurs plumes necessent cie distiller toutes sortes cie perversions ct d'exagérations (al-laghw wal­la/l'V), comme s'ils pensaient par leur action pouvoir nuire à l'islam, le fairerégresser dans ses territoires (watan), Je tout sous le couvert trompeur durenouveau (tajdid)(65).

Les cibles sont ici très précisément identifiées: le tartïb, fiscalité «positive»mise en place pour rendre possible la rénovation du vieux Makhzen et financer les

réformes, et en particulier les mukOs, par quoi Mu'aqqit désigne toutes les taxations«non coraniques», notamment en matière commerciale; l'école moderne et sesprétentions scientifiques, qui font que les enfants ne respectent plus leurs parents, etceux qui affirment la nécessité même des interactions avec l'Europe et les Français etprêchent l'apprentissage des langues étrangères; c'est enfin et surtout legouvernement, al-hukOma, qui met en œuvre ces politiques dont l'enjeu ne peut êtreque de dépouiller la société de tout ce qui la qualifie comme musulmane. C'est de la

bouche même de l'un de ces «fonctionnaires» (',ïmil), cynique et désabusé, que nosvoyageurs recueillent l'énoncé des motivations qui peuvent inciter un individu à

entrer au service du gouvernement (khidma al-hukOma), faute dans la plupalt des cas,explique-t-il, d'avoir pu embrasser d'autres caITières telles que le commerce ou les

(64) On pourrait parler ici d'un antisémitisme «instrumental» de Mu'aqqit: dénoncer l'inl1uenceou J'imitation des juifs. c'est se situer encore sur le terrain de la norme endogène.

(65) Rib/a, 1. p. 18.

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150 ALAIN ROUSSILLON

«professions libres» (al-sinéï'<ît al-burra): une première motivation est l'argent, maiselle rend esclave et ne peut qu'être déçue ou satisfaite au prix de la corruption; laseconde est le prestige lié à la fonction et l'aspiration à la promotion, mais il seraitvain d'attendre celle-ci du mérite ou de la compétence dans un monde où seulescomptent les relations et la ~ervilité ; la troisième motivation est de lutter contrel'ennui et le sentiment de vide intérieur qui poussent ceux qui en sont atteints àrechercher l'excitation malsaine du pouvoir et de ses intrigues; enfin, la motivationqui a le plus de chances d'être déçue est celle qui fait entrer au service dugouvernement dans l'espoir de

servir la patrie (khidmat al-watan) et d'être utile à la nation (I/af' al-url/ma),ambition vouée à l'échec du fait de l'incompatibilité entre le maintien à son

poste et l'indépendance d'opinion qu'exige le service de la patrie(66).

Ce qu'il me semble important de souligner ici, c'est la façon dont ce déni depositivité, qui fait du gouvernement le lieu même de l'anomie, est étendu à l'école,dont la seule fonction qu'entrevoit Mu'aqqit est précisément de former ces fonction­naires, rendue responsable de ce que je pourrais désigner, au prix d'un anachronisme,comme une «désocialisation des élites»:

Les manières que nos fils apprennent avec les sciences des écoles de ce temps?Ils apprennent à se croire supérieurs à leurs pères et à critiquer leur ignoranc~,

alors que dans le temps, le garçon était, face à son père, timide et réservécomme une jeune vierge, n'osant pas lever les yeux sur lui ou lui adresser laparole autrement que pour répondre à une question(67).

Il n'y a plus place ici, comme chez Muwayli1)i, pour une quelconque positivitédans la rencontre avec l'Occident, et si Mu'aqqit semble parfois prêt à confesser qu'ily a sans doute quelque chose à apprendre auprès des «nations civilisées» (al-umam al­

mutammaddina) et à admettre l'existence, ailleurs, d'une «modernité» (hadéltlw) que

l'humanité (insaniya) pourrait avoir en partage, c'est pour dénier aussitôt toute valeurde «modèle» à l'expérience historique des sociétés occidentales, ce qui reviendrait àadmettre les «lacunes» de ceux transmis aux musulmans par le Prophète et ses pieuxCompagnons. A fortiori n'y a-t-il rien à apprendre du voyage en Europe, et larecherche même du contact avec l'Autre .ne peut relever que de la pure et simpleperversion que rien ne permet de justifier: alors que, dans le passé, il n'existait quetrois destinations légitimes vers où cheminer - les sanctuaires de Médine, la Mekke et

al-Aq~a -,

ils ont fait de l'Europe leur Ka'ba et s'y rendent pour y apprendre les sciencesphilosophiques, physiques, les sciences de la dialectique et de la tricherie, toutessortes de ruses et de tromperies. Ils s'y imprègnent de doctrines incompatibles

avec l'esprit (rüb) de j'islam et sa civilisation (madaniya) et en reviennent

hostiles (sakhirün) à la religion et aux religieux, critiquant ceux qui continuent

(66) Ibid., III, pp. 69-71.(67) Ibid.. III, p. 66.

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151FAIRE PREVALOIR LA NORME:IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

d'adhérer aux règles de la religion droite, critiquant les habitudes de leursproches et de leurs parents en matière de prière et de jeûne (... ) Et ils seprétendent patriotes! Dieu extirpe le patriotisme qui conduit au mépris de lareligion, à l'affaiblissement de ses fondements et à la confrontation avec sespartisans(68) .

On peut se demander qui est visé par ces accusations et ce qui justifie leurvirulence :Mu'aqqit ira jusqu'à contester la qualité de musulmans de ceux quiaccomplissent ce «pèlerinage» en Occident. En regard de cette sévérité, la lecture desquelques récits de voyageurs marocains disponibles suffit pomtant à convaincre queceux-ci étaient pour le moins circonspects quant aux emprunts possibles à lamadaniya européenne, ne manquant jamais de réaffirmer vigoureusement leurattachement indéfectible à la religion du Prophète et leur condamnation des pratiqueshaïssables des h!f{ar(69). En fait, on est ici à ce qui m'apparaît comme l'une desarticulations cardinales de la visée de Mu'aqqit - ce qui fait qu'il n'est pas un simplesalafi mais bien un «réformiste» au sens qu'on tentera de préciser dans ce qui suit - :l'objet de sa critique, ce n'est pas tant les emplUnts à l'Occident, dont il refuse deconcéder explicitement qu'il peuvent dans certains cas être utiles ou justifiés, quel'utilisation qui en est faite pour réduire la sphère d'emprise de la norme religieuse,c'est-à-dire, en dernière analyse, celle où s'exerce l'autorité des oulémas dont

Mu'aqqit fait de 'Abd al-Hadi le représentant sourcilleux. D'où ce retournement del'enchaînement des causalités: ce n'est plus la colonisation qui produit l'occidenta­lisation de la société ou de certains de ses secteurs, mais l'inverse, c'est-à-dire que cesont les «occidentalisés» eux-mêmes qui vont se voir accusés d'avoir en quelque sorteinduit la mainmise coloniale:

Les étrangers qui voient ce type de gens dans leurs pays pensent qu'ils ont

affaire à l'élite et aux chefs de leur peuple (sarélt al-qawn wa 'AliyatuhwII wa

qüdatihim). Qu'en est-il lorsqu'ils les voient se complaire à toutes les formesd'ignorance et se vautrer dans une mer de perdition? Ils pensent à n'en pasdouter qu'une nation qui a de tels chefs ne peut être que la plus basse et la plusvile des nations de cette tene, par la raison et le tempérament - une nation sur

laquelle les gens raisonnables (ar-rashidïn) ne peuvent qu'étendre la main pourla sauver de cette déchéance (... ) Ces gens sont responsables de l'arriération desnations orientales, et c'est à cause d'eux que se sont réveillées les convoitisescolonialistes (... ) Comment leur faire comprendre qu'en imitant les Francscomme ils le font, ils fournissent l'instrument par lequel est détruitel'indépendance de leur pays, détruite sa richesse et réduit à néant leurnationalisme (qawmiyatihùnpO).

(68) Ibid., 1, p. 45.(69) Sur ce point, je me permets de renvoyer le lecteur à A. Roussillon, «La division coloniale du

monde à l'épreuve du voyage: deux Marocains à Paris en 1845 et 1919», in Genèses. Sciences sociales ethistoire. n° 36, juin 1999.

(70) Ibid.. I, p. 46.

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152 ALAIN ROUSSILLON

La boucle est bouclée: on est bien en présence d'une analyse du Protectoratalors même que celui-ci tout comme d'ailleurs la France ou les Français sont à peinenommés et je fais l'hypothèse qui sera discutée dans ce qui suit que cette nonnomination constitue en quelque sOIte la «niche» dans laquelle peut être accueillie,même par un Mu'aqqit, ce que l'ont peut s'accorder à désigner comme la «modernité».

II. MUWAYLIHI ET MU'AQQIT DANS LA CLOTURE REFORMISTE

Ce long détour narratif dans le texte de nos deux auteurs avait pour fonctiond'introduire à la formulation d'une double interrogation:

- d'une part, me mettre en situation de montrer en quoi Muwaylibi et Mu'aqqit,en dépit de tout ce qui, au premier abord, peut sembler les opposer, sont justiciablesd'une analyse en termes de «réformisme», ce qui nous renvoie, beaucoup plus qu'aux«représentations du monde» dont l'un et J'autre sont pOIteurs ou qu'aux «projets desociété» dont ils se font les pOlte-parole, à la façon dont peut être constlUit commecatégorie heuristique ce que je propose de désigner comme la «clôture réformiste» ;

- de J'autre, tenter de manifester la place que J'un et J'aùtre occupent au sein decette clôture, hic et nunc, c'est-à-dire du point de vue des rapports de forcespolitiques, religieux, intellectuels, sociaux.. , qui prévalent dans leur société aumoment où ils écrivent, mais aussi du point de vue de J'éventail des «possibles» ausein de cette clôture, compte tenu des ressorts qui président à sa mise en place et à son«fonctionnement».

l'ai évoqué brièvement, dans ce qui précède, une hypothèse «générationnelle»pour rendre compte, un qUaIt de siècle après les occupations respectives de l'Egyptepar la Grande-Bretagne et du Mm:oc par la France, de l'émergence dans ces deuxcontextes de figures telles que celles de Muwaylibi et de Mu'aqqit et de posturestelles que celles qu'ils adoptent tant vÎs-à-vis de la norme héritée et des conditions desa gestion que par rapport aux effets de l'acculturation coloniale. De ce point de vue,ce qu'ils ont en commun et qui les cpnstitue comme «réformistes» au sens qui tenteici de s'élaborer, c'est d'avoir à se prononcer sur la question du prix identitaire à payerpour la «remise à niveau civilisationnelle», pourrait-on dire, de la communauté, enmême temps que sur ce que doit signifier l'appartenance à celle-ci. Une démarche quise décompose en trois «moments» ou en trois mouvements, par quoi s'opère lepositionnement réformiste de nos deux auteurs: 1) constat d'échec de la réformeendogène et identification d'un principe d'entropie qui détermine l'incapacité de lasociété à se reproduire dans l'histoire en conformité au principe qui la fonde: pas plus

que les TanZltl1éït ottomanes, les réformes de Muhammad 'Ali ou celles de Hassan l,

Moulay 'Abd al-'Azïz ou Moulay 'Abd al+Iafi? n'ont tenu leurs promesses, constatqui donne lieu, on l'a vu, de la palt de nos deux auteurs, à une sévère distribution desresponsabilités - oulémas démissionnaires, dirigeants corrompus, notables pervertis,populaces ensauvagées ... , 2) dénonciation des «effets pervers» de l'acculturationcoloniale, qui se traduit par l'emplUnt des pires aspects de la madaniya européenne -

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 1S3IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

mais il y a là, ne nous y trompons pas, la démarche par laquelle ce qu'il peut y avoird'universel, d' «appropriable», dans cette madaniya est dissocié, dans l'ordre dudiscours, de la négativité objective des interactions réel1ement en cours, dont j'aisouligné que, dans l'un et l'autre cas, elles n'étaient pas nommées; 3) produit de cedouble constat, la posture réformiste se construit comme contre-paradigme de lar~forme conduite par l'Autre: travail sur le Soi et la norme qui le fonde, pour enréactiver les potentialités «civilisationnel1es» recouvelies par les scories de l'histoire;travail sur ce qui se présente comme une (des) «universalité(s) concurrente(s)>>, dont ilne s'agit pas tant, ou pas seulement, de réfuter ou de relativiser les fondements, que defaire en sorte que ses (leurs) pelformance(s) pratiquees), qu'il s'agit d'appi'oprier - audouble sens de faire sien et d'adapter à un usage -, ne déconstruisent pas ceux del'universalité dont le Soi se réclame, On est là à ce que l'on pourrait désigner commeun niveau de surface: ce que les réformistes eux-mêmes disent de leur projet et lesdébats que suscite sa mise en œuvre. Ce qui fait, par exemple, de la question del'héliocentrisme ou du géocentrisme, de celle de l'origine des espèces ou, dans unautre registre, de la condition féminine et de la façon de traiter de ces questions desenjeux discriminants du point de vue du jeu des positionnements au sein de ce que jepropose de désigner comme la clôture réformiste(7I). Ou encore, ce qui fait de lapolémique avec l'orientalisme une stratégie particulièrement efficace pour la conquêtede positions de dominance sur cette scène(72).

Au-delà de ce niveau de sUlface, mon hypothèse de travail dans la lecture de cestextes est que ce qu'ils ont en commun, dimension de leur appartenance à la clôtureréformiste en même temps que ce qui les différencie et les oppose même au sein decette clôture, c'est la façon dont ils se positionnent par rappoli à une double visée:

- une visée heuristique, que l'on pourrait définir, en anticipant sur ce qui suit,comme celle d'une double herméneutique croisée de la norme héritée par la normeimportée, ou si 1'on veut de «l'identité» par la «modernité>P)l, et, réciproquement, dela seconde par la première - dans cet ordre : ce qui constitue le réformisme commeposture réactive, c'est ce que j'ai pu désigner comme l'antériorité de la pratiquer~formatrice de l'Autre, sur son propre territoire. d'abord, ce dont fait témoin levoyage en Europe, et dans le territoire du Soi où il a pris en main le processus dereproduction de la société elle-même(74).

(71) Voir, par exemple les «contorsions» d'un Tahta wi par rapport à la question del'héliocentrisme: un passage figurant dans la première édition. évoquant la contradiction entre les thèsesdes astronomes européens et la Révélation. est omis dans la seconde édition; A. Louca, «Le journal d'unorpailleur». préface à L'or de Paris, op. cil.

(72) Par exemple, les retentissantes controverses qui opposent Renan et Afghani. GabrielHannotcaux et Muhammad Abduh, le comte d'Harcourt et Qasim Amin.

(73) C'est seulement progressivement que vont se mettre en place les catégories permettantd'énoncer ces oppositions qui viennent en quelque sorte relayer et prolonger dans de nouveaux registresl'opposition principielle du 'oqf et du /loqf: (l"afa/mu' à~ara, a.~ïf/w~fid...

(74) Sur ce point, A. Roussillon, «Le partage des savoirs: effets d'antériorité du savoir colonial enEgypte», Annafes isfalllofogiqlles, vol. XXVI, automne 1992.

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154 ALAIN ROUSSILLON

- une visée politique dont le principal enjeu est l'aménagement de la relation àl'Autre colonial: Fanny Colonna propose de définir «le centre d'une société dominée,à un moment donné du temps» comme «le groupe qui prend ou reçoit l'initiative dedéfinir l'enjeu et les formes de la lutte contre la société dominante. Par la suite, l'enjeude la lutte se confond en fait avec les intérêts particuliers du groupe qui s'érige encentre, et les formes de la lutte avec les moyens les. moins coûteux pour ce grouped'atteindre l'enjeu»(75). Dans la logique de ces remarques, je me propose de montrerque ce qui différencie «nationalistes» et «réformistes» et ces derniers entre eux, ce nesont pas tant les objectifs qu'ils poursuivent que les stratégies qui les constituentcomme acteurs et les systèmes d'action qu'ils mettent en œuvre, sur une scène où lesrapports de force internes sont en quelque sorte «arbitrés» par la puissance coloniale.Ce qui ferait du réformisme, dans sa relation ambigë avec le nationalisme,l'expression politique-morale de secteurs et d'acteurs dominants au sein du secteurdominé (colonial) de la société, ce par quoi ils construisent leur position dedomination dans l'économie politique coloniale, intermédiation dont on peut fairel'hypothèse qu'elle constitue la logique même de la mise en place du champ politique.

- Restaurer/instaurer une orthodoxie

Toute la dramaturgie du Hadith 'Isa ibn Hish<lm et de la Ribla marrükushiya, eten paIticulier la façon dont se stmcture, dans l'un et l'autre texte, le groupe qui seconstitue autour du narrateur suggèrent l'hypothèse que deux choses se jouent, deuxbatailles se livrent à travers le tableau de l'absence de la norme dressé au fil duvoyage: l'instauration ou la restauration d'une orthodoxie comme seule modalité deprésence adéquate de la norme à l'histoire; la recomposition du groupe des interprètesautorisés en charge de la gestion de cette orthodoxie. Ce qui fonde l'autorité de l'Ami

et celle du shaykh 'Abd al-Hadi, c'est leur capacité à se prononcer dans trois registres,dont j'ai tenté ailleurs de montrer qu'ils sont, solidairement, constitutifs de la viséeréformiste dont ils stmcturent les «performations» cognitives(76) :

- ils ont autorité pour se prononcer sur ce qu'est le tur<lth (patrimoine), entenducomme le produit d'une relecture des productions culturelles léguées par les salaf(prédécesseurs) dans une double optique: trier, dans cette production, ce qui apparaîtcomme utile pour fonder une «modernité» satisfaisant aux exigences normatives de la

fidélité identitaire; identifier ce qui, de ce turath en constitue la valeur universelle,opposable aux prétendues «missions civilisatrices» dont se prévaut l'Occident. Au­

delà de la teneur même des «turath-s» que Muwaylibi et Mu'aqqit constituent àtravers le système de références mis en œuvre dans leurs récits, ce qu'ils ont encommun, c'est le rapport même qu'ils entretiennent à ce que l'on pourrait désignercomme le corpus des expressions identitaires, au sein duquel il s'agit d'opérer un «tri»pour en réactiver l'efficace civilisationnelle. Pour Muwaylibi, il s'agit très clairement

(75) Fanny Colonna, Savants, paysans, éléments d'histoire sociale sur l'Algérie rurale, Alger,OPU, 1986, p. 209. C'est J'auteur qui souligne.

(76) Cf. A. Roussillon, Réforme sociale et identité... , op. cif.. p. 58 et s.

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155FAIRE PREVALOIR LA NORME:IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

sinon des références les plus «hétérodoxes» produites par ce que les orientalistesconsidèrent comme l'âge d'or de la «civilisation arabo-musulmane», du moins deregistres - jalsafa, bikma, mystique... - ou d'auteurs que la réaction ash 'arite et la

fermeture ghazalienne des portes de l'ijtihad ont rendu suspects aux défenseurs lesplus intransigeants de la pureté du dogme et de la police de la pensée: un tllrathouvert, poulTait-on dire, fondé sur l'expérimentation plus que sur la normativité. PourMu'aqqit, à l'inverse, et même s'il puise, comme je l'ai montré, sensiblement aumême répertoire - au point de démarquer des passages entiers du texte de Muwaylibi-,

la logique de délimitation du tllr<Ïth qu'il met en œuvre se présente comme le repli surle corps d'interprétations de la norme codifiées par l'école malékite, reçues dans leuracception la plus littérariste, école

dont la plupart des gens de cette époque se détournent, alors que l'Ummamuhammadienne s'accorde à reconnaître que son fondateur (malikuha) est lemeilleur guide (qudwa) en matière de badith et que ses enseignements(madhhab) est le plus juste et le plus digne d'être suivi(77).

Un tllrâth conçu non plus comme source d'inspiration mais comme répelioirede modèles à imiter.

- Ils désignent les termes d'une nouvelle division du travail intellectuel quiintègre non pas tant, ou pas seulement, les savoirs positifs qui constituent lacontribution irréductible de l'Occident à la marche du monde comme il va, quel'image de soi et de la société - musulmane, égyptienne, marocaine... - produite par

ces savoirs. Plus précisément, ils sont ceux à qui leur maîtrise du turâth et de la normeendogène permet de recevoir le savoir sur le Soi produit par l'Autre et, le cas échéant,de lui répondre. J'ai évoqué, dans ce qui précède, les polémiques avec l'orientalisme­

Afghani contre Renan, 'Abduh contre Hannoteaux, Qasim Amin contre le ducd'Harcourt... - dont Muwayli1)i a été le contemporain direct. C'est un raccourcisaisissant de la façon dont se noue cette interaction que livre le shaykh 'Abd al-Hadiquand il rapporte avoir interrogé

un homme expert en langues étrangères sur la situation des nationsmusulmanes, lui demandant ce qu'en disaient les Européens. Il lui rapportaavoir discuté avec un. touriste allemand qui avait vécu presque vingt ans parmiles gens de l'!mq et acquis leurs sciences et qui avait composé un livre où ilprouvait que les nations musulmanes étaient entrées en décadence (inqirüçi) à

cause de l'indigence (rad;ï'a) de leurs méthodes d'enseignement, de lastagnation de la pensée (jul1lüd al-afkar) et de leur ignorance des progrès desnations civilisées (h<ïçiira). Après la mort des idées ne peut survenir quel'affaiblissement des corps, [conclut-il]

Ce qu'il me semble important de souligner ici, c'est la structure même du moded'administration de la preuve: le témoignage de l'orientalisme est reçu dans la mesure

(77) Ribla. l, p. 71.

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156 ALAIN ROUSSILLON

où il témoigne, dans le même mouvement, de l'efficace passée de la norme et des

causalités de son affaiblissement. Réciproquement, l'Ami et 'Abd al-Hadi sont ceuxqui sont capables de dire la différence entre l'imitation de l'Occident et l'effectivité dece que l'on désignerait aujourd'hui comme la «modernité» - par exemple endénonçant la caricature d'individus modernisés que produisent les nouvelles écoles,tel ce <~jeune homme à la peau blanche et aux yeux bleus, à la barbe rasée et vêtu d'un

costume européen en train d'insulter la religion», croisé par 'Abd al-midi et songroupe, qui se révèle être élève d'une de ces écoles waqtiya où l'on

ne se préoccupe plus de l'islam des jeunes ou de leur impiété, mais où la seulechose qui compte c'est qu'ils progressent (yataqaddal7lu) dans cc monde

périssable (ad-dul/ya a/~ti7l/iyyap8).

- Ce sont eux qui énoncent le statut des légitimités alternatives dérivées desusages «modernes» cIe la raison mis en œuvre par les Occidentaux: les différentesapplications de la rationalité scientifique, technologique ou gestionnaire, mais aussiles «idéologies» en présence dont il s'agit - contrairement au projet habituellementprêté aux réformistes de dissociation des fondements «philosophiques» de lamodernité de ces applications «pratiques» - de préciser la relation avec j'avancement­ou l'arriération - des nations et des peuples. Avec à la clef la mise en évidence destermes de possibles accommodations entre ces légitimités alternatives et celleshéritées des origines, ou à l'inverse, la démonstration de leur incompatibilité radicaleavec la fidélité aux dites origines.

Dans chacun de ces registres, les réponses apportées par nos deux auteurs auxproblèmes dont le voyage constitue la mise en scène peuvent bien être opposées, voireantagonistes, le plus impoltant, du point de vue de la grille d'analyse que je tente icide mettre en place est qu'ils répondent aux mêmes questions et participent d'un débatinscrit dans le même horizon de sens et qui désigne les mêmes enjeux identitaires parrapport auxquels aucune transaction n'est acceptable. Une orthodoxie fondée sur et

produite par la raison, placée au cœur d'un «Islam des Lumières» par un Muwaylibiqui semble bien près d'accéder à une représentation de la «relativité civilisationnelle»:n'est-ce pas le Sage qui livre à l'Ami, alors que celui-ci croit pouvoir trouverargument des dégâts provoqués par des inondations catastrophiques pour dénigrer lamadaniya occidentale, la formule de la cohabitation et des interactions entre les deux«civilisations» qui est aussi le «mot de la fin» du voyage de 'Isa et de sescompagnons.

Tu exagères, Ami! Ta description est excessive, même si on ne peut contesterqu'elle est vraie et justi/ïée dans certains de ses aspects. Mais cette civilisation

présente de nombreux aspects positifs (mabûsin) de la même façon qu'elle

présente des aspects négatif5 (masûwi). Ne dénigrez pas ces mérites pas plus

que ses potentialités. Vous autres Orientaux (ma'shar ash-sharqiyin) [seriezavisés] de lui emprunter ce qui peut vous servir et ce qui vous convient, et de

(78) Rib/a, l, p. 98.

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157FAIRE PREVALOIR LA NORME:IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

laisser ce qui vous contrarie et s'oppose à votre tempérament Uibü'ikllln). Tirezparti de la force de son industrie et de la puissance de ses machines, et utilisezces emprunts pour vous renforcer contre l'appétit des colonialistes.Transplantez les mérites de l'Occident en Orient et continuez d'adhérer à ce quifait la vertu de vos moeurs et de vos habitudes, qui vous dispensent d'emprunter

à autrui sa morale (at-takha//uq bi-akhlüq ghayrikul1l); et jouissez, enlin, de larichesse de vos pays, rendant grâce à Dieu de ce dont il vous gratifie(79).

Soulignons la portée de l'argument, délivré par l'Orientaliste qui apparaîtencore comme l'interlocuteur privilégié des Orientaux: c'est bien parce que la111adaniya occidentale est impmfaite, relative poulTait-on dire, qu'il est loisible de luiemprunter ce qui fait sa force, seul moyen de s'opposer efficacement à sesempiétements. Ou encore: ce qu'il y a d'universel dans cette I1wdaniya est précisé­ment ce qui en est transposable, ce qui désamorce d'emblée la question des fonde­ments mêmes de cette universalité et de ce qui fait précisément sa spécificité et son

. caractère proprement «européen» au bénéfice de la dénonciation de l'impérialismeoccidental. Mais simultanément, il y a là, de la patt de Muwaylihi, identification de ceque l'on poulTait désigner comme des dysfonctionnements internes de l'historicitéendogène, diagnostic qui ouvre, comme en creux, la niche dans laquelle peut émergerle projet d'une historicisation de la norme elle-même: sans doute le Commandementdivin continue-t-il à prévaloir, pour les musulmans, en tout temps et en tout lieu, maisce qu'énonce le Sage, en prêchant des emprunts raisonnés à la civilisationeuropéenne, c'est aussi, en dernière analyse, que musulmans et Chinois ont des droitstout aussi imprescriptibles à faire prévaloir leur propre norme ou leur propre«authenticité» .

Une orthodoxie que l'on pourrait qualifier d' «oppOltunisme Iittérariste», pourMu'aqqit, où l'essentiel est de faire entrer l'inépuisable diversité des situations vécuesdans la grille intangible et close des qualifications dérivées de la Révélation et del'Age fondateur. Une Olthodoxie pour laquelle la différence - et la divergence - nesaurait qu'être réduite, si ce n'est dans sa réalité, du moins dans l'ordre idéel, en.précisant le statut par rappOlt à la norme, un statut qui ne peut s'énoncer qu'en termesmoraux ou de désirabilité sociale, dans la gradation des qualifications qui opposent et

conjoignent le baWl et le bar{i111 - maqbül, l'acceptable en ce sens que rien ne s'y

oppose explicitement; makrüh, non explicitement interdit mais socialement et/ou

moralement objectable; j{i'iz. le permis, sauf à être à la source de détriment... Desqualifications dont l'essentiel n'est peut-être pas tant dans ce qu'elles peuventautoriser, tolérer ou proscrire - dimension de l' «opportunisme» de cette posture -, quele fait qu'elles s'appliquent à tous dans les mêmes termes - dimension de sa littéra­rité -, qualifiant à ou excluant de l'appartenance à la communauté. Mais aussi, c'estbien parce que la norme identitaire est posée comme parfaite et intangible que

l'emprunt reste loisible à la madaniya européenne, sous le contrôle étroit des fuqah:I'malékites: d'une patt, l'emprunt cesse d'en être un dès lors que ce sur quoi il pOlte-

(79) fjodl/h. op. cil.. p. 349.

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158 ALAIN ROUSSILLON

par exemple les découvertes de la science moderne - a pu être en quelque sorteanticipé par la Révélation; de l'autre, tout ce qui fait la spécificité des assetscivilisationnels empruntés est évacué dans le processus même de leur appropriation àtravers les catégories prescrites de la norme endogène, évacuant par le mêmemouvement la question du prix identitaire à payer pour cette appropriation.

Sur la base de ces orthodoxies opposées, Muwaylibi et Mu'aqqit ont encommun de construire l'autorité et la centralité qu'ils revendiquent, sinon pour eux­mêmes, du moins pour les héros positifs de leurs Ribla respectives, sur la mise enœuvre d'une double intermédiation constitutive de la visée heuristique propre à ce queje désigne ici comme la clôture réformiste:

- en termes encore une fois empruntés à P. Bourdieu, intermédiation entre lechamp intellectuel et le champ religieux, en voie d'autonomisation mais dont c'est latension même de la visée réformiste que de suspendre ce processus, et c'est leurcapacité revendiquée à énoncer dans les termes d'un champ les enjeux centraux del'autre qui constitue le principal ressort des positions, sinon nécessairement dedominance, du moins de centralité qu'ils établissent sur la scène politico-intellec­tuelle; ou encore, la position d'intelface qu'ils occupent entre ces deux ëhamps, dontleur positionnement même contribue à r~ndre «visibles» les frontières, est celle àpanir de laquelle une même censure structurale va dès lors pouvoir s'exercer dans lesmêmes termes dans l'un et l'autre champ;

- intermédiation entre Soi et l'Autre, position à partir de laquelle ils sont ensituation de discriminer les interactions acceptables de celles qui ne le sont pas enmême temps que de qualifier les transgressions en termes indissolublement religieux(moraux), politiques et culturels.

Ce qu'il m'importe de souligner ici, c'est le prix à payer pour la construction depositions de centralité ou de dominance fondées sur cette double intermédiation, quidésigne ce qui m'apparaît comme l'aporie heuristique de la visée réformiste:impossibilité de totaliser l'image/le savoir de/sur l'Autre à partir des catégoriesendogènes d'auto-identification qui échouent à rendre compte de l'historicitéspécifique dans laquelle celui-ci inscrit son existence et qu'il tend à imposer, nolensvalens, au reste de la planète - il Y a là la «niche» de tous les inclôturables débats àvenir sur la «modernité», le «développement» ou la «laïcité»... -; impossibilitésymétrique de totaliser l'image/le savoir de/sur le Soi, dès lors que ceux-ci doiventêtre inscrits dans une historicité dont le Soi lui-même a perdu le contrôle matériel etsymbolique, pelte de contrôle dont témoigne la prégnance de l'image/savoir produitspar l'Autre sur le Soi - terrain des futurs débats récurrents sur l' «authenticité», la«spécificité» ., .

. La formule politique du réformisme

Autant la question de la relation à l'Autre pouvait apparaître centrale du pointde vue de la structuration de la visée réformiste telle que je tente de la déchiffrer dans

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 159IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

les récits de Muwaylibi et Mu'aqqit, autant on ne peut qu'être frappé par la façon dontces deux textes ont en commun d'euphémiser les enjeux proprement politiques decette relation. Au Pacha qui se demande si les Français sont revenus quand il luiapprend que c'est dorénavant le «Code Napoléon» qui est appliqué en matière civileet pénale, 'Isa répond qu'il n'en est rien, soulignant qu'il s'agit là du choix desEgyptiens eux-mêmes «qui ont prétëré leur loi pour remplacer notre sha,.'»(80), mais iln'éprouve pas le besoin de l'informer que d'autres que les Français ont pris le

contrôle du pays. Les Anglais né sont nulle part nommés dans le Hadith et si l'autrese livre à une critique en règle de l'impérialisme européen, on a vu que ç'est enFrance que celle-ci est formulée, par la bouche du Sage, porte-parole de ce que lamadaniya européenne a de positif, et cette critique tl'est à aucun moment «rapatriée»,même implicitement, pour dénoncer la mise sous tutelle britannique de l'Egypte. Dela même façon, j'ai souligné, dans ce qui précède, les «sorties» anti-nationalistes deMu'aqqit : autant celui-ci dénonce de façon virulente l'imitation de l'Occident/del'infidèle, autant il se montre discret et rien moins qu'allusif quant à ce qu'ilconviendrait de faire contre la présence de la source même de cette imitation au cœuret aux commandes de la cité musulmane. Sans doute peut-on y voir l'indice que lechamp politique, pas plus que le nationalisme ne se sont encore pleinement constituéset autonomisés : 1919 et le Wafd sont encore loin en Egypte et le Patti National, dansla mouvance duquel se situe Muwaylibi, se déclare encore, alors que la France etl'Angleterre viennent de s'entendre «cordialement» sur le dos de l'Egypte et duMaroc, «égyptien ottoman»; et sans doute était-il difficile, dans le Maroc «pacifié» dumilieu des années 1930, où les Français étaient passés maîtres dans l'art du diviserpour régner en s'appuyant sur les «féodalités» tribales des grands caïds, de dire le sensde l'alliance objective entre le Makhzen et la puissance coloniale - le «makhzen desFrançais». On peut cependant voir dans cette «abstention» une incitation à intelTogerce qui apparaît comme l'un des principaux lieux communs de l'écriture de l'histoirede la colonisation/décolonisation: la représentation d'une corrélation entrel'émergence du nationalisme, entendu comme l'ensemble des systèmes d'action misen œuvre dans les sociétés considérées pour obtenir leur indépendance, et lastructuration d'un «champ politique, toujours déjà «moderne», entendu comme leterrain ou le théâtre spécifique, de la mise en œuvre de ces systèmes d'action, ycompris la lutte armée. Ce qui, compte tenu des modalités du maintien et de lacolonisation de la tutelle coloniales, appuyée sur des élites locales «traditionnelles»,voire «féodales», tendrait à faire de la politique une activité ou une pratiquegénériquement et génétiquement oppositionnelle, voire révolutionnaire.

La question que je voudrais formuler ici, sans ambitionner d'y répondre, estcelle de savoir s'il est possible d'identifier des modes de passage au politiquespécifiquement «réformistes», désignant l'unité d'une posture qui pourrait constituerune alternative aux mobilisations nationalistes/partisanes et dans laquel1e on pourraitvoir à la fois l'effet et le révélateur de la façon dont l'intervention extérieure analyse

(80) Hadith, p. 48.

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160 ALAIN ROUSSILLON

un système de pouvoir pour le consolider plutôt que pour le remettre en cause. Nonque les réformistes ne soient pas nationalistes ou que les nationalistes ne soient pasréformistes: les réformes ont inéluctablement vocation à déboucher sur la restaurationde la souveraineté et l'indépendance, tout comme, en retour, celles-ci ne seraient riensans les réformes par quoi elles se donnent un contenu. Mais je fais l'hypothèse quece qui oppose l'une et l'autre posture, c'est tout à la fois la façon dont elles mticulentla relation du soi à l'altérité, médiatisée dans le passage à l'acte politique ou infra­politique, et la façon dont elles hiérarchissent les priorités - libérer les corps et lesesprits vs. commander le bien et interdire le mal, si l'on veut. Il va de soi que je nesaurais prétendre dériver des textes de Muwaylibi et de Mu'aqqit des réponses à cesquestions ou la vérification de ces hypothèses, au risque d'extrapolations qu'il meserait impossible d'étayer à pattir de ces textes eux-mêmes. Tout au plus tenterais-jede dégager, de façon problématique, les principales articulations proprementpolitiques de ce que je désigne comme la clôture réformiste, par quoi précisément leurabstention fait sens et peut être analysée dans les mêmes termes en dépit desdifférences d'époque et de contexte:

- L'illégitimitéfondamentale de la revendication du pouvoir: pour Muwaylibicomme pour Mu'aqqit, la dévolution et l'exercice du pouvoir ne peuvent êtreconsidérés comme légitimes que s'ils sont fondés sur une autorité qui s'imposed'elle-même, causa sui pourrait-on dire, apanage exclusif de son titulaire naturel, etqui ne saurait, comme tel, être l'objet de contestation ou de compétition. Unmagistère, au sens fOlt du terme, et quelle que soit laforme même du pouvoir, seulmode légitime d'exercice de celui-ci dans la mesure où il englobe et désigne tout à lafois les attributs de la légitimité, les registres dans lesquels s'exerce le pouvoirlégitime et les objectifs qui président à cet exercice. Mais aussi un sacerdoce,modalité proprement réformiste de la division du travail politique qui désigne etconstitue, à distance du pouvoir, le corps des garants de la mise en œuvre de la normepar celui-ci: très étroitement, on l'a vu, le corps des oulémas malékites pour unMu'aqqit; une intelligentsia éclairée, qui fait advenir la fonction critique pour unMuwaylibi. Mais pour l'un comme pour l'autre, tout se passe comme si, dès lors quela société accepte d'être gouvernée par un pouvoir illégitime, il ne rime à rime à riende contester directement celui-ci - ce qui ne ferait qu'ajouter à la.fitna dominante -,attitude dont le fondement théorique réside dans le verset coranique selon lequel Dieune change rien dans le destin des groupes humains que les membres de ceux-ci n'aientcommencé à le changer par eux-mêmes, dans lequel on peut voir la véritable chaltepolitique du réformisme. D'où, chez la plupart des réformistes, une tendance auquiétisme, paradoxalement plus marquée à l'égard des autorités coloniales, pour peuque celles-ci prennent la précaution de ne pas heurter de front les «impératifscatégoriques» de la fidélité identitaire(8I l, qu'à l'égard des pouvoirs indigènes rendusle plus souvent responsables des manquements à ladite fidélité. D'où aussi, sans que

(81) L'insurrection que provoque la tentative d'imposer la mise en œuvre du dahir berbèreconstitue une bonne illustration des limites de cette «tolérance».

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 161IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

l'on puisse généraliser, une certaine répugnance à l'égard des modes de mobilisationpartisans, réputés diviseurs de la communauté, au bénéfice de modes d'action quel'on pourrait qualifier de «proximité», visant à l'exemplarité et accomplissant ce quej'ai tenté d'analyser, dans le contexte de l'Egypte des années 1940, comme passagedépolitisé au politique, dans lequel je vois, pour ma part, une composante essentiellede la visée réformiste(82).

- En découle l'exigence, plus que du consensus, de l'unanimité. ijnûl', nonseulement sur les objectifs du vivre-ensemble, mais également sur les moyens etmodalités de sa mise en œuvre et sur la teneur du lien social fondé sur la défense etillustration de l'appartenance commune. Une scène politique spécifiquementréformiste pourrait ainsi être caractérisée par la dissociation qu'y opère le jeu duréférent identitaire entre deux aspects cardinaux du politique: la représentation de la

collectivité, dont la mise en œuvre ressortit d'un consensus, ijm<Ï', d'autant plusnécessaire que son existence même est menacée dans ce qui fait sa spécificitéidentitaire - par l'intervention extérieure, par l'entropie interne, par l'acculturation... ;l'organisation et l'expression des intérêts des différentes composantes de la sociétédans le cadre et les limites de l'intérêt général, qui est lui-même plus et autre choseque la somme des intérêts particuliers. D'une part, la visée réformiste désigne unescène politique «idéale» - en fait idéelle dans la mesure où la charte en est poséed'emblée par le modèle des origines sur le mode contraignant du Commandementdivin -, où l'intérêt collectif serait pris en charge et garanti par un "souverain naturel"dont le pouvoir serait immédiatement identifiable et accepté comme légitime par tousles membres de la société, et où les intérêts de ceux-ci seraient intégralement réaliséspar leur conformation à l'intérêt collectif. D'autre part, elle désigne la formule mêmede l'illégitimité dans la confusion entre la gestion de l'intérêt collectif et des intérêtsparticuliers qui, en s'imposant en tant que dominants, créent les conditions de lafitna.Le point crucial est que cette extériorisation de l'intérêt collectif par rapport auxintérêts particuliers, objectifs, joue dans les mêmes termes quel que soit le référentidentitaire qui permet de l'énoncer et de le totaliser: La Nation occupe dans le projetnationaliste la même position structurelle que l'Ununa dans le projet réformiste, etc'est précisément cette homologie structurelle - beaucoup plus qu'une quelconqueambiguïté sémantique - qui en fait des projets concurrents. Ajoutons que la mêmeunanimité est de rigueur pour ce qui a trait aux interactions acceptables ou condam­nables avec l'Autre et on a vu, chez Mu'aqqit plus que chez Muwaylibi, la radicalitédes termes de la dénonciation que s'attirent ceux qui acceptent de se compromettreavec l'Autre. Comme si la celtitude de pmtages marqués par l'opprobre liée à leurtransgression autorisait à s'abstenir de nommer les interactions acceptées ou d'en

expliciter les enjeux.

(82) A. Roussillon, «Réforme sociale et politique en Egypte au tournant des années 1940»,Genèses, sciences sociales et histoire, 5, 1991.

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162

CONCLUSION

ALAIN ROUSSILLON

Je me suis attaché, dans ce qui précède, à manifester ce qui m'apparaît commeune communauté de structure entre deux textes singuliers, «toutes choses étantdifférentes par ailleurs». Toutes choses, c'est-à-dire le contexte de leur production, eten particulier le mode de sujétion coloniale en vigueur en Egypte et au Maroc et sesimplications du point de vue des conditions d'émergence d'élites intellectuelles etpolitiques susceptibles de prendre en charge la riposte à la colonisation. Touteschoses, c'est-à-dire aussi, en aval, le projet auquel le voyage donne corps et auquel ilpermet d'imaginer un vécu - refuser les atteintes des temps au pacte des originesvS.mettre celui-ci au diapason des exigences de l'époque -, même si, au bout ducompte, les enjeux et les défis sont les mêmes: faire prévaloir la norme et conjurerl'altérité. Sans doute cette communauté de structure ressortit-elle, pour une large part,du fait que ces deux textes relèvent d'un même «genre littéraire», la relation devoyage, encore renforcé par le fait qu'il s'agit, dans les deux cas de voyages «fictifs»,doublement encodés, pourrait-on dire, par les «lois du genre» et par la «projectionphilosophique» quasi voltairienne dont le voyage constitue la scène. C'est cettecommunauté de structure qui autorise Mu'aqqit, je l'ai évoqué, à démarquer des

passages entiers du Hadith de Muwayli1)i, sacrifiant au poncif du voyageur recopiantses prédécesseurs et mettant par là en scène cette communauté de visée: aller chezl'autre pour rendre compte de ce que l'autre fait chez soi(83). Une communauté destructure dont j'ai formulé trop rapidement l' hypothèse qu'elle pourrait renvoyer à ceque j'ai désigné comme un «effet générationnel»: textes produits au moment où seconfrontent deux générations constituées par leur rapport au traumatisme del'intrusion coloniale - ceux qui ont connu le bon vieux temps d'avant ou qui se viventcomme son prolongement dans un présent déchu et qui tentent d'en sauver ce qui peutencore l'être vs. ceux qui n'ont connu que le temps colonial et qui se mettent àreprocher à leurs aînés d'avoir en quelque sorte «fait leur temps» et se mettent enquête de nouvelles solutions pour faire cesser le scandale de la déperdition identitaire.Au premier abord, au-delà des différences de contextes, Muwayli1)i et Mu'aqqitpourraient sembler occuper des positions inverses, antagonistes même, dans cetteconfrontation générationnelle : le second incarnerait, jusqu'à la caricature, le vieuxmonde qui se refuse à disparaître et dont l'intransigeance ferait trop bien le jeu ducolonisateur en maintenant la société désarmée face à la modernité; quant àMuwayli1)i, il incarnerait les promesses de «Modernes» qui, ayant dressé l'inventairedes richesses héritées des Anciens, sauraient les remobiliser pour répondre aux défisde l'heure.

En fait, on pourrait montrer que les choses ne sont pas aussi simples et qued'autres lectures sont possibles. En dressant le constat qu'il n'est plus, en ce temps,

(83) Ce parallélisme des visées de Mu'aqqit et Muwaylihi est encore plus flagrant si l'onprend en compte, ce que je n'ai pas fait ici, la deuxième rib/a du faqih de Marrakech - Les gens dunavire. op. cif. - qui constitue le pendant du Deuxième voyage. deuxième partie du Ijadith '/sa ibnHisham. Cf supra .

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FAIRE PREVALOIR LA NORME: 163IDENTITE ET REFORMES A L'EPREUVE DU VOYAGE

possible de vivre en musulman «intégral», voire en musulman tout court dans lasociété telle qu'elle va, Mu'aqqit annonce le retrait des oulémas de la scène politique

sur le mode de la «secte préservée», at-té/'ifa aUati la tazal 'ala al-baqq, hégireintérieure qui garantit la possibilité d'un nouveau dépmt; et c'est ce retrait même quidégage le telTain sur lequel d'autres idiomes et d'autres modes de mobilisation, ceuxdu nationalisme précisément, vont pouvoir se déployer en formulant de nouvellesarticulations du(es) référent(s) identitaires, et en particulier du référent religieux(84J.Quant à Muwaylibi, sous des dehors plus «progressistes», la «rénovation» du vieuxpacha qu'il met en scène préfigure peut-être aussi le conservatisme, anti-nationalisteparce qu' anti-populace, qui apparaît comme une sorte de «marque de fabrique» duréformisme égyptien de l'entre-deux-guelTes tel qu'il s'incarne dans les Libéraux­Constitutionnels, les associations philanthropiques-religieuses ou les Frèresmusulmans(85 l. Pour autant, il ne s'agissait pas, dans ce qui précède, de mesurer les«mérites» respectifs de nos deux auteurs du point de vue d'une histoire en train de sefaire, en Egypte et au Maroc, au moment où ils prenaient la plume, et moins encore dupoint de vue rétrospectif d'une histoire advenue en les mettant, en quelque sorte,devant leurs «responsabilités»(86l. Plus modestement, l'objectif de la présente étudeétait de proposer un protocole de lecture de ces textes qui permette de «désagréger»

trois niveaux ou trois aspects de ce qui s'y énonce en termes de réforme (i,'>Wb) et, parlà même, de préciser le statut heuristique de la lecture en parallèle que j'en propose:

- le niveau des réformes effectives, le plus souvent le fait du prince ou des élites,et qui visent à confOlter leur système d'emprise sur la société: réforme de l'armée, dela fiscalité, du système éducatif, juridique... ; à ce niveau, l'opposition qui apparaît laplus significative, structurante des positions en présente, est celle qui distingueréformes «exogènes», imposées par une intervention extérieure ou mise en œuvre ül'inspiration de modèles impoltés, et réforme de l'intérieur, réactivation de méca­nismes endogènes de production de normes;

- celui des discours tenus sur la réfonne, par quoi elle se constitue en projet et sedote de dispositifs de légitimation qui valent également discours de la méthode: c'està ce niveau que s'mticulent les différentes élaborations possibles du réformisme entant que visée indissolublement cognitive, politique, philosophique, morale; à ce

(84) S'est-on suftïsamment avisé que c'est seulement au moment où le discours salafite. d'unepart, le discours nationaliste, de J'autre sont pleinement constitués que j'usage de la langue française etdu costume occidental se répandent dans les territoires des élites? Sur ce point, je me permets derenvoyer le lecteur à A. Roussillon, «La division coloniale du monde à l'épreuve du voyage...» art. cil...Plus largement, cette hypothèse d'un retTait des oulémas est discutée dans notre postface il la traductiondes Gens du navire, op. cit. Sous le titre: «Mohammed Ibn Abdallah al-Mu'aqqit al-MurrfLkushi: unsalafite, précurseur paradoxal de la modernisation au Maroc», auquel je me permets également derenvoyer le lecteur.

(85) A. Roussillon, «Réforme sociale et politiquc...», art. cil.

(86) C'est-à-dire, dans la configuration simpliticatrice, à tout le moins, des débats en cours, dupoint de vue de l'émergence contemporaine de l'islamisme, que l'un anticiperait et que l'autre n'auraitpas su (contribuer à) empêcher.

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164 ALAIN ROUSSILLON

niveau, l'opposition structurante est celle qui confronte le projet de «réformer lasociété par la science», au fondement de tous les modernismes, et celui de «réformerla société par l'identité», c'est-à-dire dans la plupart des cas, par la religion,inspiration à la base de tous les fondamentalismes, réponses différentes, voire antago­nistes à des questions semblablement articulées;

- celui d'un modèle d'analyse, niveau auquel je me suis situé tout au long de laprésente étude - en parlant, par exemple de «clôture réformiste» -, sans en avoirencore explicité les enjeux, alors même que c'est ce projet même qui détermine lapertinence heuristique de la démarche comparative qui a été ici la mienne. Un modèled'analyse, c'est-à-dire un système de questionnements qu'il serait possible de fairefonctionner dans différents contextes socio-historiques - et pas seulement dans lemonde «arabo-musulman»(87) - et qui permettrait de manifester: 1) des configurationsd'acteurs, saisis dans le procès de leur constitution en tant qu' «élites» - ou «contre­élites» -, et qui présenteraient des trajectoires ou des modes de reproduction, desmodes de mobilisation et des systèmes d'action homologues; 2) une articulation dupolitique spécifiquement «réformiste» dont mon hypothèse de travail est que celle-cidoit être saisie du point de vue de sa relation au nationalisme, et qui se caractériseraitpar une apolitisation du passage au politique; et 3) une articulation du sens et de lanorme qui fait du registre identitaire - quel que soit par ailleurs le référent par rapportauquel celui-ci s'énonce -l'horizon dans lequel viennent s'inscrire et se réinscrire tousles enjeux et tous les défis du vivre - ensemble, par quoi une société peut espérerperdurer et persévérer dans son être.

Il va sans dire que la lecture à laquelle je me suis livré des textes de Muwaylibiet de Mu'aqqit ne saurait se présenter même comme un début de mise en œuvre de ceprogramme. Tout au plus ambitionnait-elle d'en préciser les termes.

Alain ROUSSILLONC.N.R.S.-C.E.SH.S. - Rabat

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(87) Le Japon, l'Inde, les Philippines ou le Brésil, pour ne citer que ces exemples, constitueraientde fructueux terrains de comparatisme.

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 165-181.

LES FONDOUKS CARAVANSÉRAILS DE MARRAKECH

De l'opulence marchande au refuge de la marginalité urbaine

Mohammed EL FAIZ

Les fondouks, qu'on traduit généralement par le terme de "caravansérails",

constituent un des riches aspects du patrimoine urbain de la vil1e de Marrakech.

L'histoire de ces organismes mercantiles est aussi vieille que la cité el1e-même.

D'où l'intérêt de donner un aperçu sur l'évolution historique de ces fondouks

depuis l'origine jusqu'à nos jours, de préciser le vocabulaire qui sert à les désigner

et quelques-unes de leurs fonctions et structures. L'étude du passé des fondouks

nous aidera à établir un diagnostic de la situation présente et, surtout, à

comprendre le processus qui les a transformés en refuges de la pauvreté urbaine.

L'exploitation des résultats d'enquêtes socio-économiques effectuées à des

époques diverses (196], 1972, ]989, ]995) nous permettra de dégager le profil des

ménages, leurs conditions de vie et d'habitation et, en fin d'analyse, de discuter les

éléments d'une stratégie d'intervention susceptible de limiter les effets de la sur­

densification, qui menace d'une dégradation irréversible non seulement les

fondouks, mais l'ensemble du centre historique de Marrakech.

1. ÉTYMOLOGIES DES FONDOUKS

Les lexicographes arabes ont élaboré, dès le Moyen-Age, une terminologie

spécifique pour désigner les caravansérails. On parle ainsi, selon les régions

géographiques de l'Islam, de khâns, dejondouks ou de wak<ïla. Le khan est un nom

persan. Son étymologie renvoie au mot 1)ânot (boutique) d'origine araméenne. En

turc, il désigne un local à usage artisanal ou commercial. On l'utilise aussi pour

parler des gîtes d'étape qui servent au logement des caravanes commerciales. Les

khans sont également synonymes de grands magasins(ll.

Si l'on croit le lexicographe Ibn Mandhür (XIIe s.), le mot fondouk serait lui

aussi d'origine persane. Il désigne dans l'étymologie syrienne les nombreux khüns

(1) Rifüat Moussa Mohamed, al·wakülm wa-l huyawl al-islümiyya fi m(~T al- 'ul/llüniyya (Les

wakalas et résidences islamiques dans l'Egypte ottomane), éd. Ad-Dar al misriyya al-Iubnaniya, Le

Caire, 1993, p. 43.

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166 MOHAMMED EL FAÏZ

qui jalonnent les routes commerciales(2). En outre, ce mot peut avoir d'autressignifications : hôtel pour les marchands et les voyageurs, feuille de calcul,document comptable, etc.

Quant au terme wakiila (pluriel wakiilat ou agences), il dérive du mot arabewakïl qui veut dire mandataire ou gérant. Cette appellation fut surtout utilisée enEgypte depuis l'époque fatimide. L'historien al-Makrïzï l'interprète encore, auXIVe siècle, dans le sens de khan ou fondouk(31.

Si les dénominations du caravansérail varient suivant les lieux et lesépoques, on peut constater qu'aujourd'hui, la plupart des pays arabes semblent sefixer sur le choix d'une désignation à l'exclusion des autres. C'est ainsi qu'enSyrie et en Irak la préférence est donnée au mot khan, en Egypte et en Tunisie àcelui de wakala (ouakala) et au Maroc à celui de fondouk par fidélité au modèled'Al-Andalus.

II. SUTRCUTRES ET FONCTIONS DES FONDOUKS DE L'ÉPOQUEPRÉ-COLONIALE

La structure architecturale des caravansérails a très peu varié au cours dutemps. On peut la réduire presque partout au modèle de base suivant :

Une entrée simple ou monumentale qui donne accès à une vaste cour carréeou rectangulaire, à ciel ouvert et entourée sur les quatre faces de galeries surlesquelles s'ouvrent des boutiques et des étages de même plan réservés aulogement des marchands et des voyageurs. Les rez-de-chaussée servent générale­ment d'entrepôts et d'écuries pour les animaux. Au milieu de la cour, on trouve unpoint d'eau qui peut être un simple puits, une fontaine ou un bassin plus grand et,occasionnellement, un coin de verdure. Selon les époques et les lieux, lescaravansérails peuvent bénéficier d'équipements structurants qui garantissent leurautonomie vis-à-vis de l'extérieur (bain maure, four, lieux de culte ... ).

L'architecte des caravansérails a tenu à regrouper, dans le même espace, lesmagasins servant d'entrepôts pour les marchandises, les locaux pour héberger lesmarchands et les voyageurs, les boutiques de commerce, les écuries et tous leséquipements nécessaires au confort des habitants.

Ces établissements s'adonnaient au commerce de gros et de détail etjouaient un rôle essentiel dans les opérations d'import-export. On en trouve quisont spécialisés dans l'échange des produits de base (grains, huiles, sucres, dattes,sels ... ), des objets rares et précieux et des produits du commerce à longuedistance(41.

(2) Ibn Mandhûr, Lis;)n al-Arab, éd. Dar Sadir, Beyrout. 1956.

(3) Rifaat, op. cir.. p. 52.(4) A. Raymond, Grandes villes arabes il l'époque ottomane, éd. Sindbad. Paris. 1985. pp.

248-259.

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LES FONDOUKS CARA VANSÉRAILS DE MARRAKECH 167

Le fonctionnement interne des caravansérails est resté très peu connujusqu'à une date récente. On sait, aujourd'hui, que ces organismes commerciauxpouvaient bénéficier d'un encadrement spécifique composé d'un personnelnombreux et assez spécialisé :

Un administrateur ou consul quand il s'agit des étrangers ; un commissaire­priseur; des agents intermédiaires pour faciliter les opérations d'achat et de vente ;un traducteur-interprète ; un portier qui surveille les entrées et sOlties et s'occupede la collecte des loyers ; un agent chargé de la pesée ; un notaire ; des témoins ;des porteurs et un juge des marchés(5).

Le développement historique des caravansérails doit être lié à l'expansionurbaine et marchande du monde arabo-musulman au Moyen-Age. En effet, durantla période qui va du VIlle au XIIe siècles, c'est dans cette région du Vieux-Mondeque se trouvent les centres moteurs de l'activité économique et culturelle. L'essorurbain sera marqué par la création de villes puissantes qui furent à l'origine d'unecirculation marchande intense. Ces villes avaient de vastes maisons à coursintérieures et à galeries pour assurer non seulement le transit des marchandises, desanimaux et des biens les plus précieux, mais aussi pour protéger les agents actifsde l'activité commerciale.

Quand on sait que les caravanes réunissaient souvent 5.000 à 6.000dromadaires pouvant transporter une charge comparable à celle d'un gros voilier,on comprend mieux le rôle des fondouks dans l'intensification des courants del'échange international.

Le nombre de caravansérails étant un indice sûr de l'activité économiqued'une ville(6), on ne peut s'empêcher ici de donner quelques exemples qui illustrentle développement de ces établissements et leur fonctionnement, des siècles durant,comme symboles de l'opulence marchande des cités musulmanes.

Les Almoravides, fondateurs de la ville de Marrakech, ont fait appel, dès ledébut, à des architectes andalous pour la construction des fondouks. Depuis cettedate, le nombre de ces établissements n'a cessé d'augmenter.

Le géographe al-Idrïsï (XIIe siècle) a recensé 970 fondouks à Alméria. Onparle à la même époque de l'existence de 477 fondouks à Fès(7). AI-Ansârï, plustardif (xve siècle), avance le chiffre de 360 fondouks pour Sebta. Le GrandFondouk (al-funduq al-qabïr), qui est le plus important, dispose de 52 magasinsdont la capacité s'élève à des milliers de quintaux de blé. Ouvert par deux portesmonumentales, ce fondouk pouvait absorber des caravanes entières avec leurchargement. On cite pour la même ville le cas de Fondouk Ghanem destiné à

(5) Rifflat, op. cit., pp. 70 et suiv.(6) A. Raymond, op. cit., p. 251.

(7) Torres Balbas Leopoldo, "Las alhondigas hispanomusulmanes y el Corral dei Carbon deGranada", in Al-Andalus, XI (1946), pp. 447-480.

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168 MOHAMMED EL FAÏZ

l'hébergement des marchands et des voyageurs. Cet édifice fut constmit sur troisétages avec 80 chambres et 9 appartements.

La même source parle du Fondouk de l'Oranais (al-wahrânï) qui fûtspécialisé plutôt dans la vente des matériaux de construction (briques cuites,chaux ... ). Tous ces caravansérails avaient une grande beauté architecturale etdisposaient de voûtes et de piliers en marbre(8).

Léon l'Africain nous donne, pour sa part, des renseignements plus completssur l'état des fondouks de Fès au XVIe siècle.

"II y a dans Fès, dit-il, 200 hôtelleries vraiment très bien construites.Certaines sont extrêmement spacieuses, celles qui sont voisines du grand Templeentre autres, et toutes comportent trois étages. Il en est qui ont 120 chambres,d'autres plus. Toutes sont munies de fontaines et de latrines avec leurs égouts pourl'évacuation des immondices"(9).

Si la ville de Fès fût amputée d'une grande partie de ses fondouks, force estde constater que ceux qui restent sont tous alimentés en eau potable et bénéficientde l'accès au réseau d'assainissement.

"Mais, ajoute l'auteur, bien que ces hôtelleries soient belles et grandes, ellesconstituent un détestable logement, car elles ne comportent ni lits, ni literie.L'hôtelier fournit au locataire une couverture et une natte pour se coucher. Si cedernier veut manger, il faut qu'il s'achète des aliments et les donne à cuire.

Il n'y a pas que les étrangers qui logent dans les hôtelleries, mais tous leshommes veufs de la ville qui n'ont ni maisons, ni parents. Ils occupent unechambre seuls ou se mettent à deux dans une chambre et se procurent eux-mêmesleur literie et font leur cuisine"(IO).

Les fondouks constituent donc un habitat privilégié pour les étrangers, lesruraux de passage et les célibataires de la ville.

"Les hôtelleries, remarque-t-il, sont fréquentées constamment par tous ceuxqui mènent la vie détestable la plus déplorable. Les uns vont pour s'enivrer, lesautres pour assouvir leur luxure avec des femmes vénales ... Les hôteliers ont unconsul et paient une redevance au gouverneur"( Il).

Face à ces caravansérails pour pauvres et marginaux, il y en a d'autres "oùlogent les négociants d'une classe supérieure".

(8) AI-An~arï as-Sabn, Ikhti.:;;ïr al-akhbür, éd. Arabe de M. Abdelwahab b. Mansur, Rabat,1983, p. 38.

(9) Léon l'Africain, Description de l'Afrique, trad. Fr. A. Epaulard, l, Maisonneuve, Paris,1981, p. 190.

(10) Ibidem.

(Il) Ibid., p. 191.

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LES FONDOUKS CARA VANSÉRAILS DE MARRAKECH 169

Les renseignements fournis par Léon l'Africain nous donnent unedescription assez fidèle de l'état des fondouks à son époque. On peut constater quecertaines fonctions n'ont pas varié au COurs du temps et sont toujours actuelles.

La ville de Marrakech a connu depuis sa fondation un mouvement deconstruction des fondouks à l'instar de Fès et d'autres villes du Maroc. On nedispose pas d'informations sur le nombre exact de ces fondouks. Mais on saitqu'ils ont connu un développement important aux moments de l'apogée del'activité commerciale et de la confirmation de la ville dans son rôle de capitaled'Empire. La renaissance du commerce lointain au XVIe siècle a stimulé lacréation de caravansérails pour les marchands étrangers. On cite souvent le cas duFondouk de la Douane (dit aussi fondouk des Ch:-étiens) qui fut édifié en 1547pour encourager les échanges avec l'Europe(l2).

Ces fondouks se situent généralement dans les grands centres commerciaux,près des portes et des grandes places de la ville. Parmi les fondouks les plusanciens, on peut citer: fondouk as-sukkar (sucre), fondouk al-malh (le sel),fondouk an-naranj (le bigaradier) ... Certains de ces établissements se sonttransformés en maisons particulières, d'autres ont disparu(l3).

p. Lambert note en 1868 l'existence, à Marrakech, de fondouks qui serventde comptoirs et de magasins pour les marchands de gros. Les principaux sont :fondouk Rangia (lire naranja, bigarade), Djedid (le nouveau), Selem, Haj al-Arbyet Sidi Amara. Ces fondouks ferment la nuit pour se protéger contre les voleurs.

"En outre de ces fondouks, ajoute-t-il, occupés par les négociants, il y aencore une centaine, moins bien tenus, sales et incommodes, servant pour lesArabes étrangers et leurs montures, ânes et chameaux. Un voyageur descendantdans ces fondouks paye deux muzüna (0,077 franc) par jour pour sa monture etune muzüna (0,038 franc) pour son abri personnel. Le maître de l'établissement estresponsable des animaux en cas de vol ; quant à la nourriture chacun fait comme ilpeut" (1 4).

Cette description confirme la différenciation entre fondouks pour riches etfondouks pour pauvres et nous renseigne, entre autres, sur le montant des loyersqui reste modique (équivalent à ce que paye une personne pour entrer au bainmaure).

Jusqu'à la fin du XIxe siècle, la construction et l'entretien des fondouks sontrestés une préoccupation permanente de l'Etat marocain soit pour encourager lecommerce, soit pour résoudre le problème du logement des pauvres de la ville. Unexemple de cette préoccupation est fourni par l'époque du règne du Sultan Moulay

(12) G. Deverdun, Marrakech des origines il 1912, éd. Techniques Nord-Africaines. Rabat.1957, p. 248.

(13) 1bid.. pp. 356 et 388.

(14) P. Lambert, "Notice sur la ville de Marrakech", in Bulletin de la Société de Géographiede Paris. 1868. p. 36.

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170 MOHAMMED EL FAïz

Abdelaziz, où il fut procédé en 1893 à l'agrandissement du Fondouk ad-Darawish(des pauvres) pour loger davantage de nécessiteux. Le montant des dépenses s'estélevé à 15.307,5 uqiya (soit 2.357,4 francs)(15).

A la veille du Protectorat (1912), Marrakech hérita d'un grand nombre defondouks, pLus d'une centaine, qui ne présentaient pas tous un grand intérêtarchitectural et artistique. Certains étaient imposants, richement décorés etreprésentatifs de l'urbanisme domestique d'une ville qui est restée longtemps unecapitale d'Empire. D'autres, peut-être les plus nombreux, étaient de dimensionsplus modestes, dénués de toute ambition architecturale et servant au logement desruraux de passage et des miséreux de la ville.

Ce qui a longtemps encouragé la promotion de ces établissementsmercantiles, c'est le fait qu'ils aient constitué, de tout temps, un placementrentable, surtout pour les fondations pieuses (habous, waqf) intéressées par leurvaleur locative. Ils ont continué ainsi à jouer un rôle essentiel dans la régulationdes flux commerciaux jusqu'à leur transformation durant la période coloniale.

III. LES FONDOUKS DURANT LA PÉRIODE DU PROTECTORAT :UNE ÉVOLUTION VERS L"HABITAT PRÉCAIRE'

Les fondouks, qui furent les supports du capitalisme marchand médiévalvont se transformer peu à peu en structures d'accueil pour la pauvreté urbaine. Iln'est pas nécessaire ici de remonter aux causes lointaines du déclin qui sont àchercher dans le déplacement des routes du commerce de la Méditerranée versl'Atlantique et dans la fin du rôle de Marrakech en tant que centre d'affairesinternational. Retenons seulement les facteurs plus récents : exode rural massif dela période entre les deux guerres et surdensification puis taudification de laMédina.

Marrakech, capitale régionale du Sud, va constituer, à partir des annéesvingt, un pôle d'attraction privilégié pour les ruraux qui affluent vers l'espacehistorique. Entre 1910 et 1930, la population musulmane a gagné près de 60.000nouveaux habitants. Le mouvement s'est amplifié entre les deux guerres. Et en1950, la population totale a doublé par rapport à 1912 (près de 186.000 habitants).

Les causes de l'exode rural sont à chercher dans le déracinement de lapaysannerie, la désagrégation des structures traditionnelles, le développement dusalariat et l'attraction des nouveaux marchés de la colonisation (création d'emploisdans le bâtiment et le secteur de l'infrastructure économique et sociale).

Entre 1910 et 1936, la ville de Marrakech a drainé Il,8% du nombre totald'immigrants devenant ainsi la deuxième destination après Casablanca(16).

(15) Registre des recettes et des dépenses du bureau de Marrakech (Kunnash ad-dakhil walkharij), manuscrit D. 1690, Salle des Archives, Rabat.

(16) A. Zafzaf, La Médina de Marrakech: étude de géographie urbaine, Thèse de 3ème cycle,Université d'Aix-en-Provence, 1985, pp. 115-116.

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LES FONDOUKS CARAVANSÉRAILS DE MARRAKECH 171

En l'absence d'un plan d'aménagement de la médina, le résultat de cemouvement de population fut une extension anarchique de l'urbanisation, laconsommation des espaces verts qui constituaient les deux tiers de la ville, lemorcellement des grands 'riyy;ïd et la taudification de l'aire historique. À cesphénomènes s'ajoute celui de la "ruralisation".

"Aucune pol itique cohérente de logement n'ayant été entreprise, écrit A.Mandleur, l'excédent de la population à revenus nuls ou faibles s'installeclandestinement et aux moindres frais. C'est l'apparition d'un habitat différentdans son aspect, de celui des bidonvilles de Casablanca"< 17). '

" La médina, constate M. de Leenheer, qui devait être jusqu'au début dusiècle, un modèle d'organisation spatiale, a connu depuis une densification et unedégradation progressive, son adaptation aux rythmes et aux aspirationsd'aujourd'hui s'avère particulièrement malaisée sinon impossible"(I8).

Ainsi, les fondouks, tout en conservant quelques-unes de leurs fonctionshistoriques (hôtel, magasin, écurie), vont se transformer graduellement en habitatpermanent, densifié et insalubre.

IV. LE PHÉNOMÈNE DE LA "FONDOUKISATION" DEPUIS L'INDÉPENDANCE

Nous définissons la "fondoukisation" c9mme un processus de transfor­mation graduelle des caravansérails et d'abandon de leurs fonctions historiques auprofit d'un habitat permanent et précaire, où s'entassent plusieurs ménages pauvresde la ville. Un logement est "fondoukisé" quand il est occupé par 4 ménages etplus n'ayant entre eux, le plus souvent, aucun lien de parenté ou d'alliance. Lesoccupants peuvent être dans ce cas des célibataires ou des familles de deux ouplusieurs personnes. Cette définition peut s'appliquer aussi aux anciens riyyaef-s

(grandes maisons bourgeoises) désaffectés et transformés en cellules d'habitation.

Marrakech a hérité de la période coloniale deux legs difficiles à gérer : lesdouars spontanés ou périphériques et les îlots d'habitat insalubre et précairereprésentés essentiellement par les fondouks et les nouaias (huttes) intra-muros. Celourd héritage sera périodiquement interrogé et diagnostiqué. Il connaîtra même audébut des années soixante une tentative de solution. Puis, nous avons l'impressionque durant les trois dernières décennies, l'action fut paralysée. L'Etat et lesinstitutions gestionnaires de la ville ont "laissé faire le temps", se limitant àrecueillir d'un moment à l'autre des informations sur la situation générale desfondouks, sans intervention notable. Ils ont adopté vis-à-vis de ce problème laposition du médecin qui préfère multiplier les diagnostics au lieu d'intervenir pourstopper l'évolution de la maladie. La connaissance est celtes nécessaire. Mais ellene suffit pas pour résoudre un problème que l'inaction ne fait et ne feraqu' aggraver.

e17) A. Mandleur, "Croissance et urbanisme à Marrakech", in Revue de Géographie duMaroc, n° 22, 1972, p. 45.

(18) M. de Leenheer, "L'habitat précaire à Marrakech et dans sa zone périphérique", in ReFuede Géographie du Maroc. 1970, p. 45.

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172 MOHAMMED EL FAÏZ

§ 1. De 1956 à 1976 ; l'échec d'une politique de "recasement"

Cette période a connu un mouvement d'accélération du processusd'urbanisation anarchique. La médina, avec plus de 200.000 habitants, soit ledouble de sa capacité normale, atteint un niveau de saturation inquiétant. En 1960,la densité de la population à l'hectare habité fût de 540, enregistrant des pointes de723 hab./ha au Mellah et plus de 600 hab./ha dans les secteurs de Bab Doukkala,Bab el Khémis, Bab Ghmat et le Centre-Nord(19).

Une enquête réalisée en 1961 par la Direction Régionale de l'Habitat et del'Urbanisme (D.R.H.U.) a réussi à identifier quelque 140 fondouks et groupementsde noualas par 3.500 foyers. La population de ces fondouks constituait à cemoment là près de 10% de la population totale de la Médina. Elle se répartissaitcomme suit:

Nombre de personnes par foyer 1 2 3 4 5 6 7 8 9Nombre de foyers 645 874 575 480 349 261 148 81 81% 18,5 25 16,5 14 10 07,5 04,5 2 2

Source: A. Mandleur, art. cité., p. 49.

Le statut d'occupation de ces fondouks était le suivant

Propriétaires Locataires (loyers en dirhams)

Gratuit 1 à 4 5à9 10 à 14 15 à 19 20 à 24 25 à 29 > 30Nombre 342 240 1070 1406 495 75 12 02 03% 10 8,5 30,5 40 14 02 0,4 0,005 0,01

Source: "La résorption des bidonvilles", D.R.H.V., Marrakech, 1961. Citée par A.Mandleur, p. 49.

On peut relever que près de 90% de la population des fondouks est locataire.Le faible pourcentage des propriétaires confirme l'existence d'un mouvement demigration de la vieille bourgeoisie de la Médina vers les nouveaux quartiers extra­muros, plus confortables et plus aérés. Cette fuite de l'élite urbaine, souvent la plusinstruite et la plus solvable financièrement, a hâté la transformation des fondouksen espaces d'accueil pour les ruraux et précipité, par conséquent, leur dégradation.

L'enquête de 1961 a permis de constater l'état de dénuement des habitantsdes fondouks qui vivaient dans la promiscuité et le besoin. Les logementsconnaissaient des densités élevées : près de 10 personnes s'entassent dans despièces de 13 à 15 m2•

Pour résoudre ce problème, l'Etat a déclaré insalubres les fondouks de laMédina et procédé au recasement des familles dans la cité satellite Mohammedianouvellement créée dans l'espace extra-muros. Une des 5 unités de la cité fut

(19) A. Zafzaf, op. cit., pp. 271-273.

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LES FONDOUKS CARAVANSÉRAILS DE MARRAKECH 173

réservée à la réalisation d'un programme de recasement appelé "Trame sanitaireaméliorée" (T.S.A.). Entre 196.1 et 1965, trois mille logements préfabriqués furentconstruits à des prix avantageux et dans des délais très courts. La surface dechaque lot fut de 48m2 comprenant une pièce d'habitation, un point d'eau, unW.c., un patio et un espace disponible pour ajouter une seconde pièce.

M. de Leenheer considère que la réalisation des T.S.A. fut, à son époque, unprogrès incontestable par rapport à l'habitat dans les fondouks et dans les douarspériphériques. Mais, il relève deux limites importantes à ce programme ambitieux:

1 - La sUlface retenue ne suffit pas pour un ménage de 5 ou 6 membres. Enplus, un grand nombre de foyers possèdent des animaux domestiques qu'ilspeuvent difficilement loger dans un espace aussi étriqué et si mal approprié ;

2 - Le déplacement de la population de la Médina vers la cité Mohammedian'a pas résolu le problème relatif à l'emploi et aux sources de subsistance(20).

Toutes ces limites vont jouer pour expliquer l'échec de l'opération desT.S.A. qui fut d'ailleurs abandonnée par l'Etat sans que ses services compétents entirent les leçons qui s'imposent.

Beaucoup de familles déplacées loin de la Médina d'où ils puisaientl'essentiel de leurs ressources économiques vont se dessaisir de leur logement àdes prix dérisoires (3.000 dirhams) et regagner leur habitat d'origine. Les îlotsinsalubres furent vite repeuplés annulant tant d'efforts et de bonnes intentions.

On aurait pu s'attendre à ce que la D.R.H.U. procède à une évaluationscientifique du programme des T.S.A., qu'elle rectifie le tir et s'engage dans desvoies alternatives. Mais il semble que l'Etat ait opté pour une politique de "laisserfaire", pensant que le temps finira par résoudre un des problèmes cruciaux de laMédina : celui de l'habitat précaire des fondouks.

§ 2 - De 1976 à nos jours : Face au progrès des enquêtes... l'indécision

Un examen des tendances de l'urbanisation actuelle s'avère nécessaire pournous aider à interpréter correctement les résultats des enquêtes réalisées et à établirla corrélation positive qui existe entre la surdensification, la "fondoukisation" etl'exode rural.

A - Quelques tendances de l'urbanisation actuelle

L'observateur du mouvement d'urbanisation de Marrakech, depuis le débutdes années soixante-dix jusqu'à nos jours, ne manque pas d'apprécier les effortsaccomplis en matière de logement. Les surfaces urbanisées sont passées de 2.000hectares en 197]-.1974 à 3.700 hectares en 1986-1988. La promotion immobilièrepublique (ERAC/Tensift, Délégation de l'Habitat, ANHI. .. ) a joué un rôleimportant dans l'accès à la propriété pour des ménages solvables venant de lamédina ou d'autres zones sur-densifiées.

(20) M. de Leenheer, art. cit., p. 45.

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174 MOHAMMED EL FAïz

Si dans l'action de l'Etat comme dans celle des promoteurs immobiliersprivés ce sont les quartiers extra-muros qui furent privilégiés, la Médina acontinué, malgré l'extension de certains équipements de base (eau, électricité,téléphone ... ), à constituer une zone marginalisée. Pourtant, le centre historique atoujours occupé une place prépondérante dans l'ensemble urbain de Marrakech.

Au début des années quatre-vingts, la Médina s'étendait sur 20% des espacesurbanisés de la ville, fournissait 60% de l'emploi et concentrait une grande partie del'activité commerciale, des services et de la production artisanale. Malgré cetteimportance, le centre historique fut livré à lui-même, sans plan d'aménagement(2\).

Entre-temps l'engagement du Maroc dans un long cycle de sécheresse afavorisé la reprise de l'exode rural qu'on croyait ralentie. Le taux de croissancedémographique fut de 3,6% entre 1982 et 1994. Un nouveau découpageadministratif est intervenu en 1992 divisant la communauté urbaine de Marrakechen 5 municipalités : Ménara-Guéliz, Médina, Méchouar, Sidi Youssef ben Ali(SYBA) et Nakhil (la palmeraie). En vertu de ce découpage, la superficie de lacommunauté urbaine fut étendue à 184.000 ha, absorbant les douars périphériquesqui furent intégrés au périmètre de la ville(22). Cette extension a consacré le reculde la Médina-Méchouar qui ne constitue plus en 1994 que le tiers de la populationtotale de la Communauté urbaine et près de 12% de sa superficie.

Il semble aujourd'hui que le centre historique de Marrakech ait atteint sonniveau de saturation maximal avec une population qui oscille autour de 200.000habitants. Malgré cette stabilisation, les problèmes relevés par J. Pégurier etl'équipe qui a élaboré le schéma directeur de 1982 ne firent que s'aggraver. Eneffet, la Médina continue à fonctionner comme "un réservoir principal des faiblesniveaux de vie" (64% des ménages avaient un revenu mensuel ne dépassant pas600 dirhams en 1977)(23). L'évolution de la densité urbaine à l'intérieur desremparts n'a fait que s'accélérer depuis la fin des années 70 jusqu'au début desannées 80.

En 1976, les densités les plus fortes furent enregistrées au Centre-Nord (785hab./ha), à Bab Dbagh (929 hab./ha) et au Mellah (906 hab./ha). Malgré ceschiffres élevés, ils étaient encore inférieurs à la densité excessive enregistrée dansla ville de Fès en 1971 (1.500 hab./ha)(24).

L'évolution comparée des densités urbaines entre 1982 et 1990 indique,quant à elle, un début de ralentissement de la densification.

(21) J. Pégurier, "La Médina de Marrakech entre son passé et son avenir", in Présent etavenir des Médinas (de Marrakech cl Alep), Fascicule de recherche, na 10-11, Tours, 1982, p. 74.

(22) A. Rhellou, "Dynamique de la centralisation urbaine à Marrakech", in Revue marocained'économie et de droit comparé, 24 (1995), pp. 92 et 104.

(23) J. Pégurier, art. cil., p. 79.

(24) A. Zafzaf, op. cil., p. 273.

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LES FONDOUKS CARA VANSÉRAILS DE MARRAKECH

Tableau : Evolution comparée des densités urbaines (1982-1990)

Densités (en habitants par hectare)

Arrondissements 1982 1990Nord 732 715Bab Doukkala 607 563Jamaa Lafna 553 517Est 728 665Bahia Sud 427 507

Moyennes 629,5 593,5

Source : Données sur la Préfecture-Médina, Service des Statistiques, Marrakech.

175

Cependant, la baisse tendancielle de la densité urbaine ne doit pas nouscacher les disparités qui existent entre les zones de chaque arrondissement. Eneffet, à certains endroits situés au Nord et dans la Bahia Sud, des densitésexcessives apparaissent dépassant pour la première fois les 1.000 habitants àl'hectare.

B - quantification et analyse du phénomène de la "fondoukisation"

1 - Bilan de trois décennies d'enquêtes

Quand l'économiste cherche à établir le bilan de plus de trois décenniesd'évolution du phénomène de la "fondoukisation", il bénéficie d'un atout majeur:celui de disposer d'une base de données assez bien étalée dans le temps et fiable.Cette base de données fut élaborée par les services de l'urbanisme et de l'habitatdès le début des années soixante et périodiquement actualisée. On peut dire que lesouci de connaître la situation des fondouks et de leurs occupants fut unepréoccupation permanente de l'Etat. Cette avancée réelle de la recherche peut êtrefacilement établie par l'examen du nombre d'enquêtes effectuées et l'étendue deleur champ d'investigation.

Tableau des différents recensements des fondouks

Dates Nombre de Nombre deFondouks Ménages

1961 140 3.4941972 141 2.4821989 145 1.8901995 113 1.672Moyennes 135 2.385

Sources : Jacques Pégurier, Fondouks, enquête 1972, Municipalité de Marrakech, D.R.H.U. ;Médina-Marrakech, Réhabilitation des fondouks, Ministère de l'Habitat, DirectionRégionale du Tensift, juin 1991 ; Fiche technique synthétique concernant lesfondouks, Division d'Urbanisme, Marrakech-Médina, 1996.

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176 MOHAMMED EL FAÏZ

A l'exception de l'enquête de 1995 réalisée par la Direction d'Urbanisme dela Province de la Médina - enquête en cours d'exploitation et dont on ne connaîtpas encore le degré de fiabilité - le reste des recensements donne des résultats plushomogènes. Nous utiliserons comme base d'analyse et de comparaison les donnéesdes enquêtes de 1972 et de celle de 1989. Cette dernière sera particulièrementprivilégiée en raison de son exhaustivité et de son intérêt pour les fondouks à lafois en tant que cadre bflti, lieu d'habitation des ménages et, enfin, comme local àusage professionnel.

Les ménages des fondouks constituent près de 5% du nombre total desménages de la Médina.

Cette proportion paraît faible. Mais on ne doit pas oublier que les conditionsde vie de ces ménages sont en partie responsables de l'état de dégradation avancéedu cadre bâti qui constitue un des riches patrimoines urbains de la ville deMarrakech.

1.1 La précarité des conditions de logement

Le tableau de la localisation des fondouks et de leur composition nousdonne les renseignements suivants :

Localisation et composition des fondouks

Arrondissements Nombre de % Nombre de %Fondouks Ménages

Centre (1) 46 32 376 20Bab Doukkala (II) 22 15 424 22Nord (III) 55 38 1000 53Sud Bahia (IV) 17 12 18 01Est (V) 05 03 72 04Total 145 100 1890 100

Source : Enquête-Fondouks, 1989.

La localisation des fondouks n'est pas un fruit du hasard. II s'agit d'unerépartition déterminée historiquement par la fonction commerciale de Marrakechet ses rôles de capitale d'Empire. Cette localisation est restée pratiquement fidèle àl'ancienne organisation spatiale de la Médina et sa distribution en zonesrésidentielle, artisanale, commerciale et de souveraineté.

La majorité des fondouks (soit 70%) est concentrée dans le Nord et leCentre de l'espace historique. Elle se situe généralement à proximité ou le long desvoies carrossables.

Si la localisation géographique est restée plus ou moins inchangée, lesfonctions des fondouks ont beaucoup varié, surtout à partir des années 30 lorsquela zone centrale s'est déplacée du Nord de la Médina vers la place Jamaa Lafna. Ce

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LES FONDOUKS CARAVANSÉRAILS DE MARRAKECH 177

déplacement a favorisé leur envahissement par les métiers de l'artisanat et leur

"bazarisation".

Au vu de ces données, peut-on préciser la typologie des fondouks de

Marrakech?

On distingue généralement 5 types de fondouks en partant, soit de leur

logement géographique, soit de leurs fonctions :

Les fondouks de porte, situés à proximité des ouvertures qui saignent les

remparts (Bab Khmis, Bab Debagh ... ) et des souks hebdomadaires ; les fondouks

entrepôts qui jouxtent les souks; les fondouks écuries localisés dans

l'arrondissement sud et servant de parcs pour les calèches et les charrettes; les

fondouks ateliers où se localisent les métiers de l'artisanat (Centre, Bab

Doukkala); enfin, les fondouks logements, concentrés surtout dans le nord de la

Médina.

Cette classification n'exclut évidemment pas la polyvalence qui reste la

caractéristique principale de ces fondouks où peuvent coexister différentes

fonctions (logement, commerce, artisanat, écurie ... ). La lecture de la carte des

localisations permet de constater cependant que les fondouks à usage locatif

représentent plus de 50% des fondouks et accueillent plus de 80% de la

population. Le surpeuplement des fondouks, leur envahissement par l'artisanat et

les bazars de pacotille, la transformation des cours en parking pour calèches et

charrettes ou en cellules supplémentaires d'habitation, tous ces phénomènes liés,

en fait, au développement d'une économie de survie et qui sont à l'œuvre depuis

les années 30, expliquent la dégradation continue des fondouks et l'altération de

leur beauté architecturale.

L'analyse de l'état du cadre bâti montre que la majorité des caravansérails

(soit 69%) comportent deux niveaux. Les fondouks à un seul niveau (28%) sont en

fait des fondouks en ruines ou anciennement démolis et envahis à nouveau par

l'habitat. Quelques fondouks seulement ont conservé une architecture originale et

possèdent réellement une valeur artistique.

Le tableau suivant nous permettra de dégager un premier constat de l'état

des lieux.

Etat des lieux selon les arrondissements

Arrondissements Total %

Etat des lieux 1 II III IV VTrès bon 04 01 00 02 01 OS 5,5Bon 12 03 05 01 00 21 14,5Moyen 19 05 22 OS 03 57 39Médiocre Il 13 2S 06 01 59 41Moyenne 46 22 55 17 05 145 100

Source :Enquête-Fondouks, 1989.

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178 MOHAMMED EL FAÏZ

Si en 1972 les fondouks ayant conservé une architecture de caravansérailsconstituaient 42% de l'ensemble, cette proportion n'était plus que de 32% en 1995.Par contre, les fondouks en mauvais état ont vu leur proportion s'accroître passantde 34% (1972) à 41 % (1989) et à 57% actuellement. La corrélation très forte entrela surdensification et la dégradation du patrimoine architectural des fondouksapparaît très clairement dans le cas de l'arrondissement Nord (III). C'est dans cequartier surpeuplé, où les densités enregistrent des taux records, que se trouve laplus grande concentration de fondouks en mauvais état (soit 59%).

Faut-il, dans ce cas, considérer la dégénérescence du cadre bâti comme unefatalité et s'interdire toute action ?

Il nous semble qu'aussi bien l'Etat que les élus locaux et les citoyens de laville doivent prendre conscience du fait que la dégradation du patrimoineimmobilier (fondouks, riyy<ïd-s .. .), qui semble s'engager depuis les dix dernièresannées dans un processus irréversible, constitue en fait un problème grave. Parconséquent, si des solutions urgentes n'interviennent pas, l'espace historique dansson ensemble sera menacé.

1.2 - Le profil des ménages

En se basant sur les résultats de l'enquête ménage (1989), on peut dégager leprofil des habitants des fondouks et déterminer leurs conditions de vie etd'existence.

La répartition des chefs de ménage selon leur lieu de naissance indiquequ'une part de plus en plus importante de cette population (plus de 65%) est issuede la ville même de Marrakech. Une telle donnée montre que le phénomène de la"fondoukisation" tend à devenir un phénomène structurel, alimenté par lesménages urbains qui se trouvent dans un état d'extrême pauvreté. Une autrecaractéristique démographique peut être relevée : la concentration de la strate desjeunes et adultes (37% ont un âge situé entre 15 et 44 ans) et d'une population nonnégligeable formée de personnes très âgées (8% ont un âge supérieur à 65 ans).

L'étude de la répartition des ménages par pièces nous permet de voir que lapart des ménages qui vivent dans une seule pièce reste significative (59% en 1989)malgré son fléchissement (84% en 1972). Par contre, on remarque une netteprogression de la proportion des foyers qui vivent dans trois pièces et plus.Comment alors interpréter ces chiffres? S'agit-il d'une amélioration desconditions de logement ?

Apparemment, tel peut être le cas si la surface des fondouks était extensible.En réalité, pour desserrer l'étau de la surdensification (15 ménages en moyennepar fondouk en 1995), les habitants sont obligés d'ajouter des pièces parasitaires,confectionnées en roseaux, en tôle ou d'autres matériaux de récupération,produisant ainsi une grande fissure dans l'unité architecturale des caravansérails.Beaucoup plus qu'un signe d'amélioration du bien-être de la population, la

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LES FONDOUKS CARA VANSÉRAILS DE MARRAKECH 179

progression du nombre de pièces apparaît plutôt comme un résultat del'aggravation de la taudification de l'habitat et de sa précarité.

La lecture des données relatives à la profession des ménages permet deconstater que la proportion des catégories qu'on regroupe sous la dominationvague "sous-profession et sans profession" a beaucoup augmenté par rapport aupassé (48% des ménages en 1989 contre 5% en 1971).

En outre, la catégorie des fonctionnaires et professions libérales quiconstituait 3,5% des ménages dans les sondages précédents a presque disparu desfondouks d'aujourd'hui. Tous ces faits confirment la tendance des caravansérails àfonctionner comme refuge de la marginalité urbaine.

Le statut d'occupation des logements montre que la part des locataires est laplus importante (80% de l'ensemble) alors que celle des propriétaires est en voiede disparition. Mais avant de parler de la structure des loyers, il nous faudraanalyser les données de la répartition des revenus. Celles-ci, même en tenantcompte des précautions d'usage quant à la fiabilité des déclarations de revenus, nefont que corroborer les résultats d'enquêtes précédentes où la Médina dans sonensemble apparaît comme un réservoir principal de ménages modestes et à faiblesrevenus. Si plus de 80% des ménages déclarent un revenu inférieur à 1.000dirhams par mois, on peut remarquer que la part de l'arrondissement nord dans lastrate des revenus les plus faibles est prépondérante.

85% des locataires pay~nt un loyer mensuel inférieur à 100 dirhams. Ce quiconfirme l'existence d'une certaine corrélation entre les faibles revenus et lesfaibles loyers.

Un autre constat apparaît clairement: c'est la faiblesse des équipements debase des fondouks. En effet, 79% des logements ne disposent pas de cuisine, 47%n'ont pas d'eau et 39% ne sont pas branchés au réseau électrique.

L'interprétation des données quantitatives nous a permis de percevoir laprécarité des conditions d'existence des habitants des fondouks. La corrélationentre la surdensification et la dégradation du cadre bâti a été suffisamment établie.On imagine le désarroi d'une population maintenue en économie de survie et, bienque peu représentative à J'échelle de l'ensemble des ménages de la Médina, elle estpar contre représentative de la marginalité urbaine.

CONCLUSION: LE DEVENIR DES FONDOUKS DE MARRAKECH

La "fondoukisation" ne constitue pas un problème propre à Marrakech ou àd'autres villes du Maroc (Fès, Salé... ). On rencontre un phénomène similaire enTunisie où il fut analysé en termes d'''oukalisation'' (de la racine wakala qui estl'équivalent du mot fondouk). Au début des années quatre-vingts, une enquête arecensé dans la Médina de Tunis quelque 373 wakalas composées de 1.532ménages et concentrant une population de 7.878 individus. Les chercheurs qui ont

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180 MOHAMMED EL FAÏZ

dépouillé les résultats n'ont pas manqué de relever le sous-équipement deshabitations, la dégradation du cadre bâti (54% en mauvais état) et la pauvreté deses occupants(25). On peut multiplier les exemples d'autres villes arabes qui ont vu,au cours du temps, leurs caravansérails se transformer en refuges de la marginalitéurbaine.

Face donc au problème de la "fondoukisation", qui est appelé à durer tantque durera l'extension de la taudification des médinas, l'expérience historiquemontre qu'on ne peut résoudre le problème de la précarité de l'habitat dans lesespaces historiques en "laissant faire le temps". Car, plus on attend, plus larecherche des solutions devient difficile, compliquée et coûteuse. A Marrakech,lors de l'enquête de 1989, les résidents faisaient remarquer aux enquêteurs qu'ilsont participé pendant des décennies à un nombre important d'enquêtes, sans querien n'intervienne pour améliorer leurs conditions d'existence. Cette remarquejudicieuse montre que les ménages enquêtés attendent des solutions concrètes àleurs problèmes et non des questionnaires qui, une fois remplis, sont vite rangésdans les tiroirs des administrations compétentes et oubliés. Alors que faire?

On commence à parler ces dernières années de "dédensification" de laMédina de Marrakech. Les statisticiens avancent le chiffre de 2.666 logementsvacants, soit 7,2% du parc de logements de la médina en 1990. Cette informationfut vite récupérée par les partisans de l'attentisme, qui considèrent qu'il n'y a pasd'urgence à intervenir puisque l'espace historique se dédensifie de lui-même.

Ce discours, s'il persiste, risque de conduire à l'aggravation de la situationdéjà critique de la médina. Outre le fait que l'existence de logements vacants nesignifie pas forcément "dédensification", et même à supposer que ce lien existe, ila peu de rapports avec l'état des fondouks. Car, dans ce cas spécifique, le basniveau des loyers ne fait qu'augmenter la pression des détenteurs de revenusmodestes et des exclus qui sont de plus en plus nombreux à trouver dans lescaravansérails une solution avantageuse au problème du logement. On évoqueaussi la relance du programme de recasement comme alternative au processus de"fondoukisation". Il nous semble qu'on doit examiner cette proposition avecprudence et bien méditer la leçon des échecs précédents.

En effet, on a établi depuis longtemps la corrélation entre les lieux derésidence et les lieux d'emploi dans la médina. En 1976, 71 % des actifs occupésdans l'espace intra-muros travaillaient à l'intérieur des remparts(26). L'enquête de1989 a montré que plus de la moitié des occupants des fondouks exercent leuractivité dans la médina.

Partant de ces données, on ne peut détacher des centaines de familles de leurmilieu de survie sans penser sérieusement aux nouvelles opportunités d'emploi.Cette question mérite d'autant plus la réflexion que les limites de l'action passée

(25) Jellal Abdelkafi, La Médin{t de Tunis, Presses du C.N.R.S., 1989, pp. 95, 146-165.(26) A. Zafzaf, op. cit., p. 215.

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LES FONDOUKS CARAVANSÉRAILS DE MARRAKECH 181

risquent de jouer à nouveau du fait que la plupart des ménages vivent de petits

métiers qui peuvent difficilement s'épanouir en dehors du cadre de l'espace

historique de Marrakech.

En conclusion, les solutions au problème spécifique de la "fondoukisation"

nous paraissent devoir s'engager dans les voies suivantes: premièrement, ne plus

penser le problème des fondouks uniquement d'un point de vue technique et

pragmatique, mais aussi dans sa dimension humaine et sociale. Le phénomène

gagnerait à être inscrit dans le cadre d'une stratégie d'ensemble de lutte contre la

pauvreté urbaine et plus particulièrement celle qui touche le centre historique de

Marrakech; deuxièmement, s'inspirer des expériences en cours dans d'autres villes

au Maroc ou ailleurs (Tunis, Alep ...), étudier leurs causes de réussite ou d'échec

afin d'élaborer un programme d'intervention réaliste capable de canaliser l'action

des pouvoirs publics et des promoteurs privés et lui garantir un maximum

d'efficacité; troisièmement, on ne doit pas oublier que les fondouks de Marrakech

ne sont pas seulement un héritage architectural et monumental. Les 1.150 locaux à

usage professionnel qu'ils renferment montrent qu'ils sont également des lieux

d'activité artisanale, commerciale et de service. Et en tant que tels ils sont vivants,

dynamiques et continuent à évoluer en s'adaptant à une conjoncture économique de

plus en plus difficile. L'essentiel, comme le dit Jean-Claude David, c'est de pouvoir

réaliser un certain équilibre entre l'action de protection "et une initiative privée

dans la mesure où cette initiative modifie et adapte l'espace sans le détruire"(27).

Mohamed EL FAIZUniversité Qadi 'Ayad

Marrakech

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(27) J.-c. David, "Le patrimoine: architectures et espaces. pratiques et comportements; les

souks et les khans d'Alep", in Revue du Monde Musulman et de la Méditerranée. n° 73-74. 1996, p.

203.

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Hespéris-Tamuda, Vol, XXXVIII (2000), pp. 183-214.

SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S :Tahuggwat-Taguzult dans le sud-ouest marocain*

A. LAKHSASSI ET M. TOZY

Les sarcasmes et les fous rires que suscite toute enquête sur le système desleif-s cachent mal chez les personnes interrogées une sorte de malaise qu'éveille eneux la réactivation d'une partie de leur mémoire. Une fois passé ce momentd'hilarité nerveuse, c'est une écoute de qualité qui se manifeste. Et cela aussi biendans le Souss que dans le Haut-Atlas marocain où les acteurs gardent encore dansleur mémoire les ramifications de ces anciennes alliances dont ils ont perdu la clefpour les rendre opérationnelles. La canalisation de la violence au travers d'unmonopole d'Etat leur a fait oublier les multiples usages de cette "carte génétique".

Les informateurs ne cessent de nous dissuader de ne pas nous intéresser àces vieilles pratiques caduques, mais plutôt à des choses plus actuelles, plusvivantes et plus pratiques. Quand on a commencé à reconstituer avec eux lesitinéraires de circulation des femmes, les stratégies matrimoniales et le systèmed'alliance politique actuelle, ils ont été les premiers à être surpris par cetteperspective nouvelle d'intelligibilité de leurs propres actes.

Du coup, l'hypothèse que le système des anciennes alliances, décrit parRobert Montagne, Léopold Justinard, al-Mukhtar as-Soussi et Jacques Berque,présente quelque intérêt politique actuel et soit capable de décrire, ou à défaut derendre intelligible, des comportements politiques ou culturels, ne paraît pluscomme une gageure. Car on croit fermement que le sens de l'histoire se constitue àl'insu des acteurs.

I. SEGMENTARITÉ APPLIQUÉE À LA SOCIÉTÉ BERBÈRE

La théorie segmentaire séduit ses protagonistes par son pouvoir explicatif.Beaucoup plus que la théorie des leif-s, elle fournit un éclairage satisfaisant et àtous les niveaux, du maintien de l'ordre dans les sociétés où le monopole de la

(*) Nous tenons à remercier A. Sebti pour avoir relevé certaines maladresses de style.

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184 A. LAKHSASSr ET M. TOZY

violence légitime échappe à l'Etat. La société berbère marocaine offre àl'anthropologue un spécimen pur du principe de segmentation. D'après ErnestGellner, cette limpidité relative revient à la présence des saints au sein des tribusberbères. La segmentarité est une sorte de modèle d'abstraction par excellence. Cequi fait dire à Gellner que "la caractéristique clUciale de la définition des sociétéssegmentaires n'est pas seulement la présence de la segmentation, mais aussil'absence (ou presque) de quelque chose d'autre" (Gellner, 1976 : 38 et 20- 1).

Il ne s'agit pas ici de relancer le débat déjà très riche sur la segmentaritémais plutôt d'articuler, pour le besoin de clarification de notre sujet, le lien entreles deux théories. Nous parlons de théorie dans le cas des leif-s, bien que Gellnerrefuse de lui accorder une force explicative. Pour sa part, telle qu'elle a étéprésentée par R. Montagne du moins, elle pèche doublement. Au niveauempirique, il y a des régions du Haut-Atlas comme Isksawn (les Seksawa) où lesleif-s ne fonctionnent pas. À cela nous ajouterons que le système politique chez lesIda-Utanan dans la partie septentrionale du Haut-Atlas n'est pas binaire maisplutôt ternaire. D'autre part, toujours pour Gellner, au niveau spéculatif, cettethéorie n'arrive pas à fournir une explication satisfaisante des conflits à un degréplus bas que celui où s'articulent les leif-s. C'est précisément à ce niveau, dit-il,que la théorie de la segmentarité d'Evans-Pritchard devient plus pertinente(Gellner 1981 : 190- 1).

Rappelons ici les trois principes fondamentaux caractérisant le systèmesegmentaire qui inclut "une théorie de la cohésion sociale : diviser pour ne pasêtre gouverné". (Gellner 1976 : 14-6) :

- Dans la société segmentaire, le contrôle social est principalement etpresque uniquement maintenu par un jeu "d'équilibre" et "d'opposition" entre seséléments.

- Seul ou presque un système stlUctural de groupes - subdivisés en sous­groupes, et ainsi de suite jusqu'aux familles et aux individus - existe dans lasociété segmentaire (conséquence du premier principe).

- L'absence ou presque d'interférence entre les groupes et les critèresd'appartenance. Seules ou presque, les articulations des divisions et sous-divisionsen éléments constituants importent. Les sectes, les associations, les clubs - s'ilsexistent dans une société segmentaire - n'interfèrent pas, en principe, avec lesdivisions et les sous-divisions en clans.

Brièvement, si les conflits sociaux peuvent être contrôlés à des stades autresque celui des le.ff-s, leur existence n'est donc pas le nœud de la question de l'ordresocial. Ils ne sont effectivement opérationnels qu'à un certain niveau de lasegmentation. Il faudrait par conséquent, dit Gellner, les considérer plutôt comme"une bizarrerie de plus, quoique intéressante, (... ) une variante de la stlUcturesegmentaire, qui est, elle, l'institution clUciale pour maintenir l'ordre." (Gellner1976: 41).

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 185

Tel est le rapport qu'établit l'auteur des Saints de l'Atlas entre les deuxthéories, l'une n'étant qu'un sous-ensemble de l'autre. Ce qu'il faudrait remarqueravec Hugh Roberts, c'est que les leif-s s'inscrivent dans une perspective quiprojette son regard sur l'organisation politique de la société berbère. Elle jette unéclairage sur ses institutions politiques comme la jmaCa (assemblée), le rôled'amghar (chef tribal) et inflas (membres de l'assemblée tribale), le droitcoutumier, taqbilt comme unité principale de gouvernement. En même temps, ellene donne pas d'importance à la signification politique de la parenté. Lasegmentarité, par contre, présuppose l'absence de toute institution politique ets'intéresse à l'organisation sociale et au rôle des saints. Brièvement, la théorie desLeff-s répond à la question : comment ces populations, indépendantes dugouvernement central, arrivent à se gouverner politiquement? tandis que lasegmentarité se pose la question de savoir comment, dans l'absence d'institutionsspécialisées, l'ordre social est maintenu? (Roberts, 1993 : 3-4). Autrement dit, laquestion cruciale est la suivante : qu'adviendra-t-il du "principe d'ordre social"quand les saints prennent parti et se mettent à la tête d'un clan ? En effet, lathéorie des leif-s réintroduit une certaine cohérence et un degré de rationalité, là oùla théorie segmentaire seule n'est pas opérationnelle.

Si comme Je dit Paul Coatalen dans la postface à sa traduction de l'article deGellner, "Comment devenir un Marabout 7", la théorie de la segmentarité "pèchepar sa trop grande généralité, son trop haut niveau d'abstraction qui fait qu'elle estapplicable à un nombre énorme de sociétés très différentes entre elles ... ", lathéorie des 1e.tJ-s, elle, le fait par défaut - comme on vient de le voir. Elle laissetrop de taches noires sur son passage et n'éclaircit pas en profondeur l'existenced'un ordre relatif dans cette société sans gouvernement. Dans son cas, nousparlerons volontiers de sous-théorie si on se permet de qualifier la segmentarité desuper-théorie.

II. FONCTIONNEMENT HISTORIQUE DES LEFF-S DANS LE SUD­OUEST MAROCAIN

C'est au niveau de l'Anti-Atlas, au-delà de Assif n'Ulghass, que la théoriedes alliances et groupements politico-militaires, trouve sa pleine expression. Lacompétition entre les groupes y obéit intégralement à la logique du jeu par le faitdu caractère très atténué de l'ingérence du pouvoir central. Les gens deTahuggwat, comme leurs adversaires, les Iguzuln, sont à rattacher à cette théorie,dite des Leif-s. Le terme "Leif' est l'équivalent arabe du terme berbère-Tachelhit"amqqun" qui vient du verbe "qqn" signifiant "attacher", "lier", "fermer". A partirde la réflexion de R. Montagne sur ce sujet, Mohammad Berdouzi en donne unesynthèse succincte : le leif serait "une alliance 'personnelle' ou familiale, ancienneet générale, qui structure les relations entre les taqbilt-s en une opposition dualisteéquilibrée, de façon stable et rigide."

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Or, si cette définition se veut générale par le fait qu'elle vise à tenir comptede toute l'aire géographique où se jouent les lefJ-s, dans le cas du domaine deTaguzult et Tabuggwat (l'Anti-Atlas et le Souss) elle doit être nuancée parl'instabilité relative de ces mêmes alliances - en comparaison avec le Haut-Atlasoù, d'après l'étude de R. Montagne, ils sont stables et rigides. En effet, certainestribus changent de camp selon la conjoncture politique. Plus caractéristique del'Anti-Atlas et peut-être de la plaine du Souss est le fait que certaines tribus qui sedisent Taguzult s'allient avec le groupe Tabuggwat contre le parti des Iguzuln etvice-versa. Comment tenir compte de ces "aberrations" en parlant de l'oppositionTabuggwat/Taguzult dans le jeu des alliances politiques dans le Sud-Ouestmarocain, est la question cruCiale que confronteront les théoriciens des leif-s, ycompris R. Montagne lui-même. Nous y reviendrons.

A. Signification des termes

Le terme tabuggwat, auquel s'oppose taguzult, est le substantif formé àpartir du nom propre de Hugga. On désigne un homme de cette ligue par Ahllggwa(pluriel : Ibuggwatn). D'après al-Mukhtar as-Soussi, le terme tahllggwat est aussiun sobriquet pour désigner les Ayt Berbil (Soussi 1966 :239). En fait, latoponymie dans le Souss marocain conserve encore de nos jours les traces de ceterme. Le tombeau d'une sainte aux environs de Tiznit se nomme Lalla BuggwaBmad (La Sainte Bugwa, fille de Bmad). On retrouve aussi ce nom donné à unpetit oued, Assif n'Tabuggwat que se partagent trois tribus (Ayt Walyad, Ida-Wktiret Ayt Mzal), dans les Id-Agw-Nidif, entre Agadir et Tafrawt par la route des AytBaha, comme d'ailleurs il y a un Assif n'Iguzuln dans les Haha entre Agadir etEssaouira. Par contre, si as-Soussi connaissait encore, il y a juste un demi-siècle,des femmes qui portaient encore le nom de Buggwa (Soussi, 1943-6 : 168-9), ilest de nos jours sinon inexistant, du moins de plus en plus rare. En effet, unelégende recueillie dans les Ayt Swab fait remonter l'alliance des gens deTahuggwat à une femme ancêtre portant ce même nom(l). Du nom de la tribu desIguzuln (singulier: aguZlll ; arabe : JOZllla ou guezula) qui constitue le noyau del'alliance opposée est dérivé le substantif taguzult. Pour se référer à ce parti, onutilisera indifféremment les deux termes.

(1) Certains ont voulu rapprocher le nom de Huggwa, de celui de Eve en arabe (Huwwa).Ainsi Huggwa serait tout simplement le nom berbère de l'épouse d'Adam. D'autre part, une femmeportant le nom de Huggwa (Houa bent Abdallah), serait devenue sainte à l'âge adulte après avoir eu,en tant qu'enfant, une rencontre avec Sidi Hmad U-Moussa. C'est Lalla Haggoua de Tiwwadou dans)' Anti-Atlas. Voici comment Abou Zayd Abderrahman b. Muhammad al-Jazulï at-Taman{Lrti (mortcn 1070/1660) avait relaté son histoire avec le saint de Tazerwalt : "La cause de sa sainteté est lavenue du Cheikh, dans son pays, au temps de sa jeunesse (à lui). Elle était une petite fille et le suivaitsur la route, en contrefaisant sa démarche comme font certains enfants. Il se retourna vers elle endisant : "La bénédiction sur toi, c'est ainsi que tu marcheras". - Elle dit : "La puissance mystérieusede son regard et la trace de sa parole restèrent dans mon cœur". Quand j'eus l'âge de raison, j'allai àlui. Il dit: "C'est toi qui contrefaisais ma démarche 7" - Je dis :"Oui". - Il me dit: "Tu y esarrivée". (C'est-à-dire au stade éminent), Tamanarti, 1953 :87/ Voir aussi Man;lqib al-Hudayguï(extraits traduits par Justinard) dans Archives Marocaines, XXIX, Paris, 1933, p. 34.

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B. Les chefs-lieux des deux Jeff-s

Notons tout d'abord que les deux grandes alliances, Tabuggwat et TaguzuLt,prennent d'autres noms ailleurs que dans l'Anti-Atlas et la plaine du Souss. Dansle Souss central (autour du djebel Sirwa et du djebel Saghro) on appelle le !effanti­Taguzu!t Taskwtant ou Isukwtan (d'où Sektana) plutôt que Tal:lUggwat et dans larégion du Draa, au sud de l'Anti-Atlas, on utilise les termes Mellul et Mahbub. ÀUnayn, en plein Haut-Atlas, on parle de Ayt Atman et Ayt Iratn correspondant àTabuggwat et TaguzuLt respectivement.

Pour l'Anti-Atlas, et jusqu'au début de ce siècle, les chefs-lieux de TaguzuLt.tels I1igh dans le Tazerwalt, Agulmime (Goulimine) avec la famille Bayruk,Tamanart dans la région du Bani, et Tiyyut au sud de Taroudant, étaient bienconnus et prestigieux. Ceux de Tabuggwat, par contre, étaient moins renommés etplus rares. Le plus notoire et qui a longtemps tenu tête à la Maison d'I1igh durantle siècle dernier était TalCint des Ayt Jerrar dans l'azaghar de Tiznit.

Etant moitié Taguzu!t, moitié Tabuggwat, Ifrane de l'Anti-Atlas par exemplerestait sans cesse un des points brûlants entre les deux camps. En effet, Bennirane,chef des Imjjad (Mejjat), et Madani des Akhsass y combattaient continuellementpour leur hégémonie respective. De même, Imi n'Ugadir (Fum Lab"an) étaitencore jusqu'aux années trente du XXe siècle un lieu de conflit permanent entre,d'un côté, la famille al-Khathiriyyun d'Agerd à Tamanart (Taguzult) et, de l'autre,les Ayt Umribt et leurs alliés Ayt Berbil (Tabuggwat). Louis Gentil parle d'unAssif n 'Iguzuln dans les Baba séparant la tribu du Caïd Anflous de celle deAgguilul (Guellouli). Sur cette frontière, écrivit-il le 30 janvier 1904, "se sontlivrés, il y a quinze jours encore, des combats sanglants". (Gentil 1906 : 193).

Dans l'Oued Nefis, la vallée de l'Unayn constituait un lieu stratégique deconfrontation entre les deux leff-s : Ayt Atman et Ayt Iratn. La compétition entreles grands caïds emplllnta les lignes de fractions entre ces deux alliances politiquesopposées. Dès le milieu du XIXe siècle dans le prolongement de la politique decontrôle territoriale de Hassan 1er, Aguntaf (Goundafi) entreprit d'élargir sesdomaines vers le Sud, dans la vallée de l'Unayn et plus exactement chez les AytSemmeg dont il contrôlait déjà les cols depuis 1860 (Montagne 1930 :300-6).Ayant du mal à s'allier avec ses frères du leffAyt Iratn et Ida U-Zddag chez les AytSemmeg, il chercha alliance chez les Ayt Atman et s'est établi à Tamtarga. Lamémoire locale des habitants de cette vallée rappelle que le [eff des Ayt Iratn, alliénaturel des Iguzuln du Tazerwalt, fit appel aux Iglawiyn (Glawa) qui, par Tifnut,emplllntèrent le même chemin que les Igurramn installés chez les Ayt Ikhelf. Letriangle Afurigh, Tigmmi n'Iguzuln et Tawarda dans la vallée de l'Unayn,constitua le centre de rayonnement politique des Glawa. Inquiet de cette intlllsionGoundafi demanda le soutien du Makhzen. Ses troupes, aidées par des renfort;venus du Souss "soutinrent un siège de quatre mois contre les villageois retranchésà Tagordmi[t] et Tinsmlal, villages situés non loin du col de Tizi N'mri. On s'y

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souvient encore aujourd'hui de l'épreuve et de l'inégalité des forces. Le village deTagordmi[t] ne se soumit qu'à la mort de son amghar Malek N'Ayt Daoud" (Arrif1985 : 356). Un arbitrage fixa les limites entre les deux concessions fiscales desGrands Caïds. La dernière grande bataille eut lieu à Tug Lkheir.

Les stigmates de ces références sont à peine visibles. Il a fallu quelquesannées de fréquentation assidue pour rétablir le lien entre la résistance durantquatre mois des habitants du douar de Taqordmit, en 1892, les quolibetsqu'essuyaient leurs descendants au Souk un siècle après et la revanche qu'ils ontprise sur l'histoire en devenant le premier village électrifié de la vallée de l'Unayn.Le même épisode a été évoqué pour rendre intelligible le refus catégorique desgens de Tinsmlal de s'associer avec Tamtarga pour faire fonctionner une turbinequi aurait permis d'électrifier tout ce flanc de montagne.

C. Discours sur les leff-s

Le discours sur les leff-s Ibuggwatn et Iguzuln, faut-il y insister, est le faitexclusif de personnes appartenant au clan Taguzult (poètes, chanteurs, historiens,oulémas, ... ). Les données sur lesquelles se sont basés les historiens des le,ff-s sontpresque exclusivement produites par les porte-parole des Iguzuln. Même dans lecas de joutes poétiques qui sont conservées dans la tradition orale, comme le casdu poète }Iummad Ighil avec son fils Jarnac Ighil(2), il nous paraît évident que lefils ne joue le camp Tabuggwat que pour permettre à l'autre protagoniste de mettreen relief le statut et la noblesse de Taguzult. Pour cette raison même, nous avonschoisi volontairement d'accéder à la tradition des leifs par le biais de Tabuggwat,leff dépourvu de porte-parole historique. À tous les niveaux, les gens deTabuggwat sont sciemment évacués du cercle producteur de sens.

De cette donnée vient peut être le fait qu'on considère d'habitude Iguzulncomme étant nobles par rapport à Ibuggwatn. "Aguzul est un homme et Abuggwaest une femme", dit-on généralement. As-Soussi, qui est lui-même issu deTaguzult, écrit : "Le parti Taguzult est caractérisé par une ferme piété religieuse,la virilité et la science ainsi que par l'attachement aux valeurs morales en général.

(2) Sur ces deux poètes, voir As-Soussi, al-Ma 'sol (Casablanca). 196 I. vol. 16, pp. 261-262et vol. 3, p. 415, et Min afwah ar-rijal (Tétouan, 1963), vol. 2, pp. 88-92. Sur une étude de certainspoèmes épiques de I:Iummad concernant les contlits tribaux, voir K. Brown, "Violence and Justice inthe Sus: A 19 t11 Berber Tashelbit Poem", in Actes du 1er congrès d'études des culturesméditerranéennes d'influence arabo-berbère. SNED, Alger, 1973, pp. 347-357 ; et Lakhsassi­Brown, "Poésie, histoire et société : une guerre tribale dans le Souss du XIXe siècle", in A la croiséedes études libyco-berbères, Mélanges offerts à Paulette Galand-Pemet et Lionel Galland, Paris :Geuthner, 1993, pp. 451-465. Le manuscrit de Lhusayn Ggu-Wijjan contient le dialogue entreI:Iummad U-Ali Ighil et son fils Jam

eU-I:Iummad Ighil concernant la dispute entre Taguzult et

Tabuggwat dont l'hypothèse de Ggu-wijjan sur l'origine des leff-s ne constitue que l'introduction.Malheureusement, en dehors de quelques lignes (sur un total de plus de 70 vers), la transcription enlettres arabes du texte berbère, par manque de vocalisation, résiste à toute compréhension. A défautde pouvoir déchiffrer ce manuscrit original et sans doute intéressant, on a choisi d'inclure dans undes appendices à la fin de cette étude des fragments de textes et chansons concernant l'oppositionTaguzultlTahuggwat conservés dans la tradition orale et recueillis par des auteurs comme Justinard.

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Ainsi, les lieux de la science ont surtout poussé dans le terroir des tribus Iguzulnalors qu'ils sont plus rares chez les tribus Tabuggwat comme peut encore constaterses vestiges quiconque se promène dans la région ... On a appris que l'idée mêmede la dynastie saâdienne était le fait des partisans de Taguzult parmi les gens duSouss ainsi que la fondation de la petite dynastie d'Iligh qui, par son prestige etson autorité, a, pendant soixante cinq ans (1018-1081 [1609-1670]), rayonné dansle Souss et jusqu'au Ghana". (Soussi 1943-3 : 169).

III. LES DIFFERENTES THEORIES DES LEFF-S(3)

Nous avons fait le pari de permettre un croisement des regards du dedans etdu dehors en comparant une approche autochtone des leff-s avec cel1e déjà connuedes professionnels. Les travaux de Robert Montagne et du colonel Justinard nouspermettent d'explorer les thèses des chercheurs impliqués directement dans leprocessus de "pacification" et inscrivant leur action au service d'un dessein. Maisces travaux restent néanmoins liés par les clauses formelles d'une connaissanceréglée où les présupposés ont le statut de lapsus. Nous verrons qu'aussi bien chezMontagne que chez Justinard la filiation théorique avec le paradigme segmentairea embarrassé les deux chercheurs. El1e a rendu presque impossible une prise encharge des leff-s dans une perspective de science politique où les vicissitudes del'action pragmatique des groupes impliqués dans des enjeux réels l'emportent surle déterminisme des segmentations ethniques.

La convocation de Mukhtar as-Soussi et de Lbusayne Ggu-Wijjan(4) dans ledébat permet d'éclairer autrement la théorie des leff-s au travers de deux lieux deparole antagoniques. As-Soussi est un aguzul alors que Ggu-Wijjan est originairede la tribu des Ida Wba'qil idéologiquement Taguzult et politiquement Tabuggwat.As-Soussi se montre perspicace malgré une certaine contradiction flagrante entreson explication historique qui reprend les thèses de son clan et son explication

(3) Déjà au XIIe siècle, le géographe ash-Sharif al-Idrisi (m. 564/1 169) écrit à propos de cetterégion : "Les gens du Souss se divisent en deux groupes partisans : les habitants de Taroudant serattachent au parti des Musulmans malikites, traditionalistes trop stricts (hashwiyah), et ceux de

Tiwiwin [Tiyyut ?] se réclamant du parti de Müsâ ibn Ja'far [surnommé al-Ka:(.im, 7è imam desChiites duodécimains, mort en 1831799]. Entre les deux groupes, il y a continuellement guerres etluttes, effusion de sang et vendetta (ldrissi 1972-75 : 228).

(4) A ces quatre thèses (celles de Montagne, Justinard, Soussi et Ggu-Wijjan), il faudraitpeut-être ajouter deux explications plutôt mythiques chères à la pensée populaire. Les deux légendesconcernant l'origine des deux leff-s circulent oralement dans l'Anti-Atlas : (a) La première futrecueillie autour des années 1940 dans la tribu des Ayt Swab par un commandant au poste de Tanaltdans les Ayt Baha (région d'Agadir). Le texte ethnographique berbère, intitulé "La~I n'Tahggwat dIgwzuln" (Origine des leff-s Tabuggwat et Taguzult) peut être résumé comme suit : "Autrefois, unchef local gouvernait avec force et justice. A sa mort, comme son fils était encore en bas âge, lesnotables du pays décidèrent de laisser la mère gouverner en attendant qu'il soit capable de prendre laplace du père. Quand le garçon eut grandi, il voulut prendre le commandement, mais sa mère refusa.C'est alors que certaines tribus obéirent à la femme qui s'appelait "I::Ieggwa" et d'autres à son fils quis'appelait "Agzoul". Les troubles commencèrent et les tribus firent scission. Ainsi naquirent les deux

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politique qui embrasse le réel et rend compte des processus d'élaboration desalliances politiques. Ggu-Wijjan reste, quant à lui, très proche du discoursdominant sans démordre de la dissociation entre l'engagement militaire et leproblème des origines.

A. Robert Montagne

Pour Montagne, l'origine de l'antagonisme TabuggwatlTaguzuLt et des Leif-snord-africains en général préexistent à leur fonction qui se résume essentiellementdans le maintien d'un équilibre des forces entre les tribus. L'équilibre visé estclairement plus défensif et n'aspire à aucune suprématie quelconque. L'institutionde l'opposition TabuggwatlTaguzuLt serait donc "la cause initiale" des formes desolidarité (ou hostilité) entre les protagonistes (Berdouzi 1986 : 167). Ce systèmede deux grandes alliances était donc une sorte de garantie pour que le moins fort nesoit pas nécessairement écrasé par le plus puissant, puisque les deux grands Leif-sétaient généralement de force égale. C'est pour cela que Tabuggwat et TaguzuLtsont généralement à un niveau latent en temps de paix mais prennent toute leurimportance aux moments des conflits. Montagne nous fournit deux explicationsquant à l'origine de ces alliances politiques: a) une historique et évolutive et b)l'autre psychologique.

a - Le niveau où se produisent les alliances à l'intérieur de la société tribalechange en fonction de la sédentarisation des populations. Montagne remarque quela force des "groupements ethniques" qui régissent la vie nomade diminue au fur età mesure que ceux-ci se sédentarisent pour faire place à des alliances de tribus oude confédérations tribales. Une fois la sédentarisation avancée dans les régions oùelle est ancienne et où la population est très mélangée comme c'est le cas dans lesoasis, les alliances se font entre différents villages. Ainsi, ethnique au départ, le Leifdevient politique, bien qu'il demeure "la survivance de luttes très anciennes entreautochtones et envahisseurs".

b - A cette explication sociologique, Montagne se voit comme obligé d'enajouter une autre qui fait plutôt appel à la psychologie des peuples. Les Leif-s sont,dit-il, "la projection sur le sol de deux tendances opposées et complémentaires dela vie berbère: l'esprit d'association et le goût de la discorde" (Berdouzi 1986:169).

La question est de savoir si ces deux explications sont compatibles ou si, dumoins, la deuxième hypothèse ne diminue en rien la force explicative de lapremière.

lefls entre les tribus qui demeurèrent ennemies jusqu'à l'arrivée du Makhzen dans leurs pays".(Podeur 1995 : 112-3) ; (b) Quant à la deuxième, on la retrouve dans les Ida-Ggwnidif (voisins etennemis des Ayt Swab). Elle est relatée par Lhajj Brahim, l'infonnateur de John Waterbury dansNorth for the Trade (p. 2)) que David Hart cite comme suit : "Tabuggwat et Taguzult étaient deuxfemmes qui ont épousé un seul homme. Comme les co-épouses, takniwin [sing. Takna),naturellement se haïssent, leurs enfants se détestent aussi et chacune est à l'origine des deux lignagesqui divisent le Souss" (Hart 1980 : 137).

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B. Le colonel Justinard

Quant à Justinard, il met en relief deux explications qu'il essaie de concilier:a) une historique et b) l'autre religieuse(5

).

a - L'hypothèse historique, Ihuggwatn autochtones et 19uzuln envahisseurs,est argumentée comme suit. Pour lustinard, ces derniers étaient encore, à la fin duXIe siècle, mi-nomades, mi-sédentaires. En effet, al-Bakri (mort en 460/1 068)

parlait encore des Guezoula (lguzuln) et des Lamta comme coupeurs de routessahariennes. S'appuyant alors sur le passage de ce géographe andalou d'un côté etsur la division des Berbères en Branes (Guezula, Sanhaja, Masmuda, Haskoura,Lamta, Ketama) et Botr (Dharisa, Meknassa, Zenata, Neffoussa, Oddasa, Louata)opérées par l'historien Ibn Khaldun de l'autre, Justinard en arrive à l'idée que lasédentarisation des Iguzuln dans le Souss et l'Anti-Atlas commençait au tempsd'al-Bakri (Justinard 1933: 62).

A la question : que s'est-il passé entre cette période et le temps où Léonl'Africain et Marmol (XVIe siècle) parlèrent des montagnards Guezula de l'Anti­Atlas ? la réponse semble être claire pour lustinard : pendant ces quatre sièclesd'intervalles, à savoir les périodes almoravide, almohade et mérinide, les Guezoulaétaient en train de comprimer les autochtones pour les laisser cohabiter avec euxsous peine de les chasser des bonnes terres ou des pâturages dans le Souss etl'Anti-Atlas. De là découle l'hypothèse que les 19uzuln sont les descendants desvainqueurs alors que les Ihuggtawtn-lsukwtan ont pour aïeux des vaincus.

b - Quant à son explication religieuse, elle part de l'hypothèse suivante misesous forme d'interrogation : "Ne peut-on pas penser qu"aux siècles obscurs', autemps des guerres de religion, les leff-s rivaux ont cristallisé autour des partisreligieux ; orthodoxe et non conformiste - partisans d'Ali et Kharijites, chacuntraitant ses rivaux d'hérétiques, et que le souvenir de ces anciennes luttes s'estconservé dans les noms des leff-s?"

A ce sujet, Justinard cite un dialogue rapporté par al-Baydaq entre le Mahdialmohade et ses partisans à propos des Almoravides. La scène eut lieu à Asdrem,au pied même du plateau du Kik où se trouve la tribu Taskwtant (Sektana), c'est-à-

dire Tahuggwat :

- Ils nous traitent de "Kharijites",

_Appelez-les "anthropomorphistes", aurait répondu Ibn Toumert.

Jusqu'au XVIe siècle, on considère encore Iskwtiyn (les Sektana) commedes hérétiques descendants des Kharijites. Or, ce nom Taskwtant que porte unetribu berbère, est aussi celui d'un des deux leff-s : Tal;uggwat. Aussi, les gens du

(5) Sur l'hypothèse de cet auteur, voir aussi Justinard 1940 : 173-179 (Appendice intitulé"Note sur les Iefs du Sud-Ouest marocain) ; Justinard 1951 : 221-224 ; et Justinard 1954 : 121-125(l'Appendice V, intitulé "Sur les Ouled Jalout et l'origine des lefs du Souss").

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leff Taguzult disent-ils des l1)uggwatn qu'ils étaient des musulmans non­orthodoxes arrachés à leur hérésie et devenus musulmans par la force. Dansl'opposition des deux leff-s, il y a donc souvenirs de guerres de religion. Les gensde Taskwtant-Ta1)uggwat étaient associés aux hérétiques Kharijites que les Iguzulnont convertis par le sabre.

C. Mukhtar as-Soussi

As-Soussi oscille pour sa part entre une explication historique plutôtlégitimiste et une explication politique.

a - La cause principale de l'existence des deux leff-s, Ta1)uggwat etTaguzult, serait la Grande Peste de 749/1348 qui a vidé le Souss (comme le restede l'Afrique du Nord et même l'Europe) de la plupart de sa population autochtone,principalement guezoulienne à l'origine. Il insiste sur le fait qu'il n'y a aucundoute sur la nature aborigène des Iguzuln (a"li) , cette ancienne tribu berbère quihabitait depuis longtemps les montagnes des Ida-Weltit et jusqu'à Ayt Bacamran.Pour lui encore, les l1)uggwatn, qui sont des Berbères du Sahara, ont été poussésvers le Nord par l'invasion arabe hilalienne. Seule une partie d'entre eux, lesZenaga, sont restés sur place.

A partir de cette constatation qui est pour lui l'évidence même, as-Soussi sedemande simplement à quel moment donc les Iguzuln ont été envahis par les autrestribus berbères ? Ici, il rapporte avec beaucoup de prudence ce qu'un autre, "plusinformé", dit-il, lui a communiqué à ce propos. Mais la question ainsi poséefournit d'ores et déjà une réponse évidente à son explication de l'origine des deuxleff-s : "Venus du Sahara après la Grande Peste de 749 [11348]), les Ayt Berbil,qui font partie des tribus Lamta et Guddala, se sont installés dans le Souss où unegrande partie de la population avait été décimée. Les Ayt Berbil ont donc pris leurplace en bousculant les habitants épargnés par ce fléau. C'est ce qui a engendré lesluttes permanentes entre les deux groupes. Les Iguzuln considèrent les Ayt Berbilcomme des envahisseurs et les méprisent pour cette même raison, et les Ayt l:Ierbilse défendent pour rester sur place". (Soussi 1966 : 238-240).

b - Quant à l'explication politique avancée par as-Soussi, elle est commesuit: "Les tribus changent d'alliances chaque fois qu'elles y voient un intérêtparticulier. Ce qui explique le fait qu'on trouve par exemple les Ida Wba'qil, quifont partie des Iguzuln, embrasser le parti de Ta1)uggwat, et la tribu des Id-Brahimautour de Taghejjijt qui fait partie de Ta1)uggwat s'allier avec Taguzult. Et celapour la simple raison que l'origine de la haine a été complètement oubliée une foispour toutes. Plus étonnant encore est le cas des Mejjat (Imjjad). Ceux-ci ontémigré comme leurs frères berbères sahraouis (. .. ) pour occuper la région deTizlmi d'où ils ont expulsé certains groupes des Ayt Berbil. Pourtant Imjjad sontréputés être, et jusqu'à nos jours, les fervents partisans de Taguzult, toutsimplement parce que leur propre intérêt va plutôt du côté des Iguzuln à l'inversede leurs opposants Ayt l:Ierbil. Ce qui indique que les Ayt Berbil ont quitté leSahara bien avant les Mejjat" (Soussi 1943-6 : 166-9).

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 193

Ces deux explications ne sont pas juxtaposées arbitrairement chez l'historiendu Souss. Celui-ci présente la seconde hypothèse comme une étape ultérieure de lapremière. Par conséquent, son explication rejoint en un sens celle de RobertMontagne. Si les leff-s sont ethniques au début de leur formation, avec le temps, lasédentarisation et le genre de vie correspondant, ils sont guidés par l'intérêtpolitique.

On voit donc que la nuance ajoutée à son explication historique (Iguzuln :autochtones et Tabuggwat : envahisseurs) introduit une autre explication par lastructure segmentaire et l'intérêt politique. Cette nuance de taille - qu'il considèrecomme une étape ultérieure de l'invasion par les tribus Tabuggwat de la régiondominée jusqu'alors par les Iguzuln - arrive en fait à prendre en charge tous lescas insolites (Ida-Wba'qil, Imjjad, Id-Brahim) de l'histoire récente du Souss al­Aq~a. Alors que l'hypothèse historique est faiblement argumentée, l'explicationpar la structure, elle, rend compte d'une façon beaucoup plus convaincante desvicissitudes historiques que subissent les alliances socio-politiques dans la région.

D. Lhusayn Ggu-Wijjan

Comme introduction à une joute poétique (muna?ara) au sujet du conflitTaguzulttTabuggwat entre le poèteI:Iummad Ighil et son fils, L!)usayn U-L!)asan,un notaire ('ad!) de Wijjan, mort dans les années 1960, nous explique l'origine desleff-s dans le Souss comme suit(6) :

Depuis très longtemps et jusqu'à nos jours [1950], les tribus berbères duSouss se divisent en deux leff-s opposés. Les premiers, Iguzuln, sont les partisansdes Chérifs Idrissides jusqu'à nos jours. Les seconds, ce sont les gens deTabuggwat, fidèles aux Berbères Maghrawa [Sanhaja et Zenata]. Ceux-ci avaientarraché le pouvoir politique aux Chérifs idrissides qu'ils avaient chassés de Fès,leur capitale ancestrale. Deux grandes dynasties les encourageaient dans cetteentreprise : tantôt les Omeyyades d'Espagne et tantôt les Abbassides d'Orient. Enles surveillant de très près et en les soumettant à de sévères contrôles, ils les ontbousculés de partout au point que la plupart d'entre eux ont fini par nier leurattachement à la famille chérifienne. Aussi ont-ils été marginalisés.

Ainsi, la constitution des leff-s TaguzulttTabuggwat s'inscrit dans le cadre dela conquête musulmane de l'Afrique du Nord et sa lutte pour se détacher de ladomination arabe d'Orient. En un sens, cette explication rejoint l'hypothèsehistorique d'as-Soussi dans le fait qu'elle fait des IguZliln le peuplement sédentaired'origine, partisans des Chérifs idrissides et des Ibllggwatn des nomadesenvahisseurs : Sanhaja et Zenata, deux grandes confédérations berbèresfondatrices d'empires.

***(6) Manuscrit privé de Mohamed Benihya al-Wijjani. Qu'il soit ici remercié de nous avoir

permis d'en faire une photocopie.

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L'exposé de ces quatre thèses autorise quelques remarques. Tout d'abordpour ce qui est des statuts d'autochtone et d'allogène, as-Soussi et Justinardprésentent des explications historiques diamétralement opposées. Le fait que lepremier est lui-même un Aguzul authentique pousse à se méfier de son hypothèsehistorique et encourage à reconsidérer favorablement l'argumentation de Justinardau détriment de son argumentaire. Quand on y ajoute un examen, même sommaire,de l'occupation réelle des lieux par les tribus constituant la base du leif Tahuggwat,ainsi que le genre de vie dominant - agro-pastoral pour les 19uzuln et agricole pourles lhuggwatn - on ne peut qu'être encore plus satisfait de ce choix. Cela ne nousempêche pas de souligner l'apport très original fait dans une seconde étape par as­Soussi dans la mesure où il a su, contrairement à Justinard et même à RobertMontagne, fournir une explication théorique apparentée davantage à une démarchede science politique. En fait, son interprétation segmentaire a réussi à prendre encharge toutes les anomalies de la vie politique locale, à savoir tout aussi bien leschangements d'alliances que le décalage entre l'identité revendiquée et les donnéesde terrain. Le cas le plus flagrant et le plus notoire est celui des Ida Wba'qil qui,avec une fierté déconcertante, se disent 19uzuln mais qui s'allient au campTahuggwat à chaque fois qu'il y a crise dans la région. Cette haine historiquedevenue presque pathologique entre Tazerwalt et Ida-Wba'qil est très bienconservée dans les deux vers suivants(7) :

S'il y a du baroud dans l'Autre-Monde, vous saurez que

Ce sont les Ida Wba'qil et Tazerwalt qui se battent

Il faut attendre l'arrivée d'Ahmad al-Hiba dans le Souss au début du XXesiècle pour voir changer complètement l'échiquier politique de la région. Bien quel'opposition binaire domine, ses éléments ne sont plus les mêmes. A la place desdeux leif-s, on voit s'opposer à la montagne indépendante la plaine soumise auMakhzen-Protectorat. Ainsi, l'intervention d'al-Hiba va pouvoir créer unrapprochement, peut-être pour la première fois(8), entre des ennemis irréductibles

(7) Anonyme (en berbère) :

- Igh illa lbarud gh likhert, at-tssent

- Is-d Ida Wba'qil d Utzerwalt a immaghn

Voici comment un Aba"qil des Ida Gw-Agwmar justifie ce décalage entre l'appartenanceidéologique des Ida Wba"qil et leur position politique: "Nous ne sommes pas Abuggwa (... J, maisles gens de la plaine nous avaient fait "debiha" [sacrifice sanglant]. Et depuis ce temps-là, nous étionsavec eux. Avant la venue de "l'Arabe" (c'est ainsi qu'on appelle el Hiba dans le Souss), à toutmoment nous descendions dans]' Azaghar pour nous battre, aux côtés des gens de Tiznit, contre lesgens d'Aglou. La moitié des Bakila [Ida Wba'qil] sont morts ainsi pour la cause de Tiznit (ssi'r)".(Justinard 1926 : 360). Le terme berbère "ssi 'r" apparemment utilisé ici pour justifier un tel décalagesignifie: esprit de "patriotisme" qu'il est honteux de ne pas respecter.

(8) En ce qui concerne le non-fonctionnement des leff-s, il faudrait mentionner aussi lapériode de l'apparition, dans les Ayt Ba'mran, de Boublas qui suivit la mort du Sultan Mohamed benAbdallah (1785). Durant la campagne de ce prétendant dans le Souss, il y avait, comme au tempsd'Ahmed EI-Hiba, surpassement du jeu des leff-s (1ustinard 1925 : 270 et Justinard 1926 : 361).

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comme les Ida Wba'qil et Tazerwalt d'un côté, Aglou et Tiznit de l'autre, etc ... En1913 par exemple, les Ayt Uglou étaient venus aider les gens de cette vil1e àchasser le sultan bleu .. D'autre part, sans l'alliance entre les Ida Wba'qil etTazerwalt, Mrebbi Rbbuh, son successeur, n'aurait jamais trouvé refuge chez lesIda U-Wba'qil, à Kerdous dans l' Anti-Atlas (Justinard 1926 : 361).

IV. ACTUALITE DES LEFF-S ; UNE HYPOTHESE A HAUT RISQUE?

La théorie de la segmentarité a trouvé dans la présence des leff-s et leurrelative activité jusqu'au début de ce siècle une bonne ilIustration historique de sapertinence. Toutefois, au même titre que la segmentarité a été démentie d'unefaçon cinglante par une dizaine de biographies de chefs locaux, les leff-s nerésistèrent guère à une approche en terme de micro-histoire. La théorie de lasegmentarité a longtemps permis de défendre l'idée d'un équilibre immuable entreles groupes fonctionnant comme un "dissolvant" pour toute tentative deconcentration de pouvoir. Or, on sait par ailleurs que certains chefs locauxaccédèrent de facto au pouvoir absolu dans des principautés qui, par la suite, sontdevenues presque autonomes. Aussi i1\ustrent-ils alIègrement ce même principed'une concentration de pouvoir confortée par une hiérarchisation implacable.Malgré la relative abondance de la littérature qui aborde ce problème des leff-s etmalgré les multiples usages militaro-politiques qui en ont été faits, l'hypothèse trèsforte d'une actualité du phénomène permet de garder ouvert ce chantier.

Le projet d'une lecture de l'espace en terme de leffpeut susciter une certainesuspicion(9l. Il peut paraître aussi très peu fécond si l'on se place du point de vue

Dans les régions insoumises au pouvoir central, les leif-s fonctionnaient encore jusqu'auxannées 1930. Parlant d'un point chaud du cnntlit TabuggwatlTaguzult dans le djebel Bani. Mukhtaras-Soussi, connu pour son nationalisme intransigeant, notait que les gens de cette région ignoraienttotalement, avant l'arrivée de l'armée du Makhzen-Protectorat, ce qu'est une paix durable. Et ilrevient sur la même idée en ces termes ; "s'instaJJant à Fum Lab~an [Imi Ugadir], à la fin des années1352 [ /1933], l'armée gouvernementale réussit à faire régner la paix dans la région. Tout le mondepeut désormais profiter de la vie sans avoir peur. Avant, et des siècles durant, les gens vivaient sousune terreur continue. Cela est un fait bien connu de nous autres qui avons vu de nos propres yeux. Or.celui qui ne connaît que par ouï-dire ne peut pas apprécier ma remarque à sa juste valeur (Grande estla différence entre Ja vue et J'ouïe). Je ne fais qu'enregistrer des faits historiques pour la postérité.Loin de mon intention est l'idée de faire l'éloge du Protectorat et de ses actes. Quant à ma positionenvers ce système et tout autre colonialisme, elle est certes bien connue" (Soussi 1960 : 25).

(9) John Waterbury est encore plus méfiant. Pour lui, même dans le passé, il est difficiled'établir l'étendue du fonctionnement des Ie,ff-s (Waterbury 1972 : 20)/ David Hart, qui est du mêmeavis que l'auteur de Nortlz for tlze Trade, ajoute à ce jugement une hypothèse à ·lui ; "Nous avonsaffaire ici à une fonnule nomenclaturale utilisée par souci de commodité afin de classer par catégorieles rivalités locales qui sont en fait beaucoup plus récentes. Encore une fois, comme cela arrivesouvent dans ce genre de situations, le passé devient le miroir du présent. Il est vu en fonction de cemême présent auquel il sert d'explication" (Hart 1980 : 137). Il est à relever ici une erreur de DavidHart (p. 137) héritée de John Waterbury (pp. 20-21), à savoir que le Sultan s'appuie sur les tribus deleffTaguzult qu'il récompense pour leur soumission au Makhzen et que Tabuggwat, pour garder sonindépendance locale, lui résiste. C'est plutôt l'inverse qui est juste.

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exclusivement scientifique. Il est aisé de faire face à ces objections en tenantcompte des multiples zones d'ombre qui jalonnent le parcours de tous ceux qui onteu à aborder les leif-s. En outre, on est convaincu, d'une manière ou d'une autre,qu'une partie infime de l'explication de l'actualité politique réfère à la théorie desleif-s. Celle-ci permet de faciliter le repérage des lignes de rupture entre lesgroupes sociaux. En même temps, elle peut servir d'explication pour la réussite oul'échec d'une dynamique de mobilisation en terme de développement participatif,comme c'est le cas concernant le comportement de certains groupes sociaux dansle Haut-Atlas : douars Afra et Taqordmit dans la vallée de l'Unayn face au ProjetTarga 1993. Pour ce qui est des zones d'ombre, on ne peut pas s'empêcherd'évoquer certaines interrogations :

- La question de la pertinence d'une identification des groupes sociaux parrapport à des systèmes d'alliance, ainsi que la possible corrélation de celle-ci avecles stratégies politiques et matrimoniales;

- L'énigmatique "dominance" du discours explicatif émis par un seul desdeux leff~s antagonistes, alors que la voix du leif adverse est totalement occultée auniveau de la littérature écrite ou orale. Pourtant, le leff Ta1)uggwat n'est niminoritaire, ni vraiment vaincu. D'ailleurs, un des paradoxes constatés est quecette domination idéologique des Iguzuln ne correspond pas à la réalité du terrainpuisqu'il est indéniable que les 11)uggwatn occupent les meilleures terres dans larégion;

- Une autre question non moins intéressante est relative à la portée et ausens de l'habillage religieux de cette confrontation entre les deux groupes par lebiais d'un discours savant, mais néanmoins partisan, sur les origines des leif-s.Pourtant, tout le monde reconnaît la religiosité des gens du leif Tabuggwat et leurorthodoxie islamique. Les homologies proposées entre Tabuggwat et Kharijiteshétérodoxes d'un côté et Taguzult et Sunnites orthodoxes de l'autre, seraientplutôt, pour nous, une reconstruction idéologique projetée à contrecoup par lediscours dominant des Iguzuln. Etant très lointaine dans le passé, cette hypothèsehistorique est aujourd'hui presque impossible à vérifier.

Ce qui est réalisable, par contre, c'est la vérification de la transposition, surl'ancien conflit Taguzult/Ta1)uggwat; des luttes sociales et politiques qui ontdéchiré la région à une période proche de nous, telles que les conflits entre lesconfréries Derqawa et Nassiriyya, entre Salafiyya et maraboutisme ou, encore plusprès de nous, entre le nouveau parti de l'Union Nationale des Forces Populaires(U.N.EP.) et l'ancien parti de l'Istiqlal juste après l'indépendance. Les joutespoétiques, mettant face à face chanteurs partisans de l'une ou de l'autre formationpolitique, ne cachent-ils pas l'ancienne ligne de démarcation entre les deux leif-s ?On pense notamment à Rays Mbark Ushallush (décédé au mois d'avril 1994)faisant l'éloge de l'UNFP et de son leader al-Mahdi Ben Berka face à Rays U­Bakki qui défendait le parti de l'Istiqlal et son za 'im Allal al-Fassi. Ce genre de

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 197

joutes poétiques politisées duraient des soirées entières, à Tamanart dans le djebelBani, et pourquoi pas ailleurs, au début des années 1960(10).

Concernant la référence aux leff-s et leur actualité, nous pensons que cetteséquence de la mémoire historique opère aux côtés d'autres référentiels alorsmême que les fondements empiriques et structurels de sa faisabilité sur le terrainont tendance à disparaître. Notre point de départ est cette association insolite quefait, presque inconsciemment, al-Mukhtar as-Soussi entre obédience mystique etappartenance aux leff-s. Notre point de chute est l'analyse de deux incidentsanodins : le premier concerne un projet de développement à Unayn dans le Haut­Atlas alors que le second a surgi tout récemment à Casablanca lors de la mise enplace d'un processus de redéploiement du mouvement associatif dans le Souss.

A. Le leff, levier d'implantation confrérique ?

En ce qui concerne ce volet encore vierge et promettant, nous nouscontenterons ici de laisser parler le texte d'al-Mukhtar as-Soussi. Cet auteur relateun épisode de l'histoire de la confrérie des Darqawa dans son effort à s'implanterdans la région où elle avait encore du mal à bousculer la Nassiriyya déjà en placedepuis longtemps. L'extrait de l'auteur met face à face un chef politique (LbusaynU-I:Iemmu) et un chef spirituel (Cheikh Ali ad-Darqawi) par une troisièmepersonne interposée (le poète Jarnac U-I:Iummad Ighil). Il s'agit bien ici du mêmepoète Jarnac Ighil (mort en 1949) qui, dans une joute poétique un soir devant lechef de Tazerwalt, Lhusayn U-Hachem (mort en 1886), avait pris, à lIigh, le partide TaflUggwat face à son père I:Iummad Ighil (mort en 1912) qui, lui, défendaitTaguzult. Sur l'épreuve de force entre le missionnaire soufi et le chef d'Isht,l'auteur de Min afwE/h ar-rijül écrit (Soussi 1963 : 89 et suiv.) :

"Le cheikh al-lIghï de la secte des Darqawa se trouvait une fois dans ledjebel Bani essayant d'expliquer [les préceptes de] la confrérie darqawa aux gensd'Imi Ugadir [Fum Lab~an]. Lhusayn U-I:Iemmu se moquait de lui et de sondiscours, disant que le mode de vie des Soufis ne leur permet ni de se battre, nimême de se défendre. En entendant un tel discours, Jarnac [Ighil] se sentit blessédans ses sentiments religieux et alla immédiatement rapporter de tels propos à soncheikh. Il conseilla même à ce dernier de ne pas aller visiter Isht ni rencontrer lechef de ce lieu, Lbusayn U-I:Iemmu(lI).

(10) A propos du Haut-Atlas, déjà fin des années 1930, Justinard écrivit: "Tout homme mûrsait exactement à quel lef appartient telle ou telle fraction, quel que soit leur enchevêtrement, parexemple dans les hautes vallées du versant Nord de l'Atlas: Aghbar, Aogdemt, Oued Nfis. HautGuedmioua [IguedmiwnJ, où c'est un véritable damier. Un montagnard d'Aogdemt nous dit que dansles séances d'ahouach, les rangées de danseurs qui se font vis-à-vis sont formées selon les ancienslefs. Il y a d'ailleurs des chansons d'ahouach qui en sont les témoins" (Justinard 1940 : 176).

(II) Pour plus de détails sur Lbusayn U-l:1emmu (mort après 131811900), voir as-Soussi, al­Macsol, 19 : 260-261. Ici, as-Soussi nous informe que ce chef avait tué une personne pour avoir oséinviter les Soufis darqawa chez lui.

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- N'es-tu pas le poète qui se tient dans le rang d'abwash (danse communale)en face de ton père avec qui tu dialogues en vers sans décence aucune, en présencedes femmes?

- Oui, répondit Jarnac

- N'es-tu pas, aujourd'hui, capable de rentrer à Isht psalmodiant 'il n'y ad'autre dieu que Dieu'?

- Si.

- Par conséquent, mets ce chapelet (sub/w) autour de ton cou et parsimmédiatement.

En pleine puberté, Jarnac entra à Isht psalmodiant 'Il n'y a d'autre dieu queDieu'. Les gens du village pensaient qu'il était possédé, ensorcelé par les Darqawacomme ils s'y attendaient. Un des inflas (membres de l'assemblée tribale) deLl:msayn U-Bemmu s'empara de son gros chapelet et commença à écraser sesgrains un par un. Jarnac retourna chez son cheikh et lui raconta sa mésaventure. Cedernier lui donna un deuxième chapelet qui, encore une fois, fut cassé en petitsmorceaux. Accompagné de ses habitants, sédentaires et nomades, le cheikh quittaalors Imi Ugadir pour se diriger vers Isht. À la frontière des jardins de ce village, legroupe s'arrêta. Seuls quatre parmi ses disciples - l'un d'eux étant le beau-frère deLbusayn U-Bemmu - l'accompagnèrent dans sa marche vers la mosquée où ilsa','sient l'habitude de chanter, sans problème, leur dhikr habituel. Quelque tempsaprès, ils entendaient le crieur public annoncer que "quiconque ose aller à lamosquée écouter les Darqawa, ou accepter leur chapelet, serait considéré commecoupable de trahison ; que leur Voie est une innovation (bid'a) et que nous nereconnaissons que la Voie Nassiriyya". Isht est en effet affilié à Timgilcht et nereconnaît que ses cheiykh-s".

Que faut-il conclure d'un pareil incident tel que le rapporte as-Soussi ? est­il possible que, dans cette région où la sensibilité segmentaire et "leff-ienne" est àfleur de peau, une telle concordance entre la ligne TabuggwatIJaguzult et celle desrécentes luttes confrériques soit une simple coïncidence ? Pour notre pm1, nous nele pensons pas, nous sommes plutôt de l'avis de ceux qui préfèrent croire que rienn'est fortuit ni dans la marche historique des groupes sociaux, ni dans leurs luttespolitiques, ni même dans leurs préférences pour certaines idées et croyances plutôtque pour d'autres.

B - ùe prix de la lumière : De Taqordmit à Tinsmlal

Pour l'observateur non averti, la vallée de l'Unayn dans le Haut-Atlas neserait qu'un bassin montagnard dont les eaux pluviales sont drainées par l'Assifn'Lemdad, affluent de l'Oued Souss. Tout au plus, ce serait une zone enclavée depetite agriculture de subsistance dont les populations ont cherché très tôt, pourvi vre, des ressources complémentaires à l'extérieur. Il s'agit pourtant d'unimportant verrou stratégique qui contrôle la vieille piste reliant le Souss au Haouz

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 199

de Marrakech. En témoignent J'histoire socio-politique de l'Unayn et la richesse etl'intensité de la vie sociale qui s'y déroule. Cette vallée constitue une zonefrontière entre les confédérations des Ayt Wawzgit et des Ayt Semmeg. Le vocablede "tribu" est exprimé ici par celui de taqbilt, mais ce dernier est flexible puisqu'ilsert à désigner aussi bien la totalité de la collectivité de cette cuvette que lesdifférentes fractions qui la composent. Au-dessous de la Taqbilt, on trouve lafraction (dite firqah) dont la vitalité a été plus ou moins forte à travers l'histoire.Elle donnait lieu à l'organisation des Ijnuna 'n (assemblées des quarante) seréférant à une vieille tradition déjà existante chez les Almohades. Le douarreprésente l'organisation territoriale de base.

Comme on l'a évoqué plus haut, le système des leff-s s'y décline sous ladomination des Ayt Iratn et Ayt Atman. L'origine de cette division en damierremonte à un passé lointain. Ce qui est remarquable, c'est que les alliances entredouars traversent les appartenances "tribales" (Ayt Wawzgit et Ayt Semmeg) et leszones d'influence caïdales.

C'est dans cette configuration ethnique qu'un projet de développement,initié par le sociologue Paul Pascon (mort en avril 1985), a été conduit par uneéquipe domiciliée à l'Institut Agronomique et Vétérinaire Hassan II (Rabat) depuis1983. On peut se demander en quoi la lecture de l'espace en terme de lellprésenterait un quelconque intérêt: Nous allons essayer d'y répondre en relatant lesfaits sans aucune prétention analytique, ni stylisation superflue.

Le cheminement de Paul Pascon dans la vallée entre 1982 et 1985 nousintriguait. Sa façon d'entretenir un équilibre judicieux dans la répartition desvisites entre les villages de Tamtarga, Ayt Ikhelf et Tigmmi N'Iguzuln commençaitpar nous amuser et finissait par nous agacer pour être mise Sur le compte d'unedéformation professionnelle. Son texte sur l'histoire du peuplement de l'Unayn(Pascon 1983) et celui d'Ahmed Arrif sur le découpage territorial (Arrif 1985)'sontvenus sanctionner académiquement cette vocation "d'archéologue" et clore ceregistre historique. Dix ans après, nous nous sommes trouvés complètement "enpanne" pour expliquer deux faits, a priori, contradictoires, concernant les villagesde Taqordmit et Tinsmlal.

Le premier a fait l'objet d'une action d'adduction d'eau potable etd'électrification qui ont mis à contribution les trente quatre foyers composant ledouar durant presque deux ans. Les moyens matériels et humains mobilisésdépassaient de loin les capacités des villageois. La détermination de ces derniers etleur prédisposition à relever le défi nous ont étonnés. Ce sont les acteurs eux­mêmes qui ont suggéré le détour par l'histoire pour rendre compte de cecomportement singulier. L'épisode de quatre mois de résistance au Caïd Agountaf(Goundafi) n'est qu'une étape de leur détermination. Cette référence structurellerenvoie à la position de ce village dans l'échiquier politique du Haut-Atlas. Situéen teITitoire Ayt Atman, Taqordmit s'est structuré en forteresse face à l'hégémonie

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du douar Tamtarga qui a fonctionné depuis l'indépendance comme un pôlemakhzen. Les habitants de Taqordmit, dans un rétlexe segmentaire, ont choisi lecamp du projet, lui faisant jouer, à son insu, le rôle d'un pôle anti-makhzen( l2).

A Tinsmlal, la référence au système des leff-s a joué négativement. Levillage dispose d'une source d'eau qui, une fois équipée avec une petite centralehydraulique, pouvait électrifier l'ensemble du douar et ses voisins de Tamtarga. Lafaible densité démographique de Tinsmlal rendait les coûts prohibitifs si le choixse portait sur une électrification autonome. Les habitants réunis en assemblée ontchoisi de renoncer au projet d'électrification pour ne pas s'allier avec leursadversaires historiques.

C. Redéploiement des leff-s dans le mouvement associatif : piste ouimpasse '!

Le cadre n'évoque pas les sentiers rocailleux du djebel Bani, théâtreprivilégié des affrontements inlassablement répétitifs entre les deux leif-s. On s'estdéplacé de ces territoires traditionnels de la Siba - où jadis apparaissaient tropsouvent à l'horizon les chevaux des Imjjad (Mejjat) venant secourir 19uzuln contreI/JUggatn - vers un haut lieu de la modernité: l'hôtel Sheraton. En effet, le siègede Casablanca Trade Center a abrité, fin mai 1997, une rencontre nationale sur larelation entre les Organisations non gouvernementales (O.N.G.) et l'Etat. Cettemanifestation a été organisée par "l'Association Iligh pour le Développement et laCoopération". Le nom "Iligh" en lui-même est chargé de symboles. Il interpelle,par delà le siècle, des moments très fOlts de l'histoire marocaine et introduit dansdes enjeux politiques actuels la capitale historique des Iguzuln(l3). On a parlé enson temps d'une stratégie d'encadrement des confins par le biais d'Associationsculturelles que les partis politiques de l'opposition aimaient qualifierd'''Associations-bidon des montagnes et des cours d'eau ...". Dans une ambiancetrès cossue, un peu plus d'une centaine de personnes qui sont en majoritéoriginaires du Souss-extrême, devisaient sur les chances de l'émergence d'unesociété civile et la part que peut prendre le capital humain et financier soussi dansle développement durable de leur région d'origine. Il y avait dans la salle la finefleur de l'élite: beaucoup d'anciens diplômés des Ponts-et-Chaussées, desministres originaires du Souss, des scientifiques et des hommes d'affaires. Unepartie des exposés tournait autour des réalisations des ONG locales exerçant sousl' œil protecteur de la grande Association Iligh dont les principaux animateursoccupent des positions de proximité aux frontières très convoitées du Pouvoir.

Dès la première pause, dans un aparté mouvementé, le concept de

Tabuggwat a été balancé par un des participants originaire de Oued Noun et prochepar certains côtés de la Maison Bayrük d'Agulmim. Au début, on avait cru à une

(12) Les gens d'Unayn appellent les gens de Taqordmit "le Polisario".

(13) Sur plus de détails sur le rôle politique et social d' lIigh, voir surtout as-Soussi 1966 etPascon et al., 1984.

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 201

exagération d'un collègue habité depuis quelque temps, dans le cadre de sesactivités de chercheur, par la problématique tribale, un simple aphorisme lumineuxpour impressionner. On avait aussi cru que c'était une réaction normale d'unresponsable d'une Association locale vassalisée, à son insu, au profit del'Association IIigh dans le prospectus distribué aux invités. Pour nous qui étions enpasse d'achever cette étude, l'occasion était trop belle. Du coup, nous l'avonsinvité à développer cette réflexion considérée par tous comme anachronique,même si les rires nerveux qui ont accompagné ce débat trahissaient un réel enjeulatent. Notre ami parla même de l'Association I1igh comme d'un "complotTabuggwat" et s'efforça de nous convaincre d'aller voir du côté de l'identitéethnique de la majorité de ses fondateurs. Il essay~, dans un langage qui rappellebel et bien celui du XIXe siècle, de nous persuader que la consolidation de lapénétration du Makhzen dans le Souss ne pouvait pas se faire en dehors de sesalliés locaux traditionnels, les gens de Tabuggwat.

Un voyage rapide de l'un de nous à Tiznit, un report des 1.000 km de routeque l'Association I1igh comptabilise à son actif sur la petite carte des leff-s deRobert Montagne nous ont quelque peu troublés. Trop de coïncidences ne peuventêtre le fruit du hasard. A quelques exceptions près, la zone de réalisation prioritairepasse par l'intérieur et dessine un arc qui traverse certaines des anciennes tribusTabuggwat, englobant ainsi Ashtoukn (Ayt Baha), Amanouz, Ammeln et IdaWba'qil.

Ces dernières remarques ne doivent pas prendre les allures d'une conclusionhâtive et tendancieuse, elles ne visent qu'à ouvrir les pistes pour de nouvellesinterrogations. Loin de notre intention est l'idée d'affirmer que les leff-s sontencore fonctionnels, ou qu'ils sont en train de reprendre une quelconque vigueur.Nous voudrions tout au plus suggérer que les logiques de la structuration de lamémoire d'un groupe échappent souvent aux acteurs. Les protagonistes du jeupolitique actuel sont en train de ré-élaborer de nouveaux référentiels quand ilsmettent en avant la "légendaire solidarité soussie" au service d'une "nouvellesociété civile dynamique et entreprenante"; mais leur quête de la tradition premièreest encore déterminée quelque part par de vieilles logiques, de vieux réflexes,même si ces logiques n'ont plus aucun fondement au niveau du réel.

A. LAKHSASSI ET M. TOZYUniversité Mohammed V - Rabat

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202 A. LAKHSASSI ET M. TOZY

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S

ANNEXES

ANNEXE A : Différents tableaux des leff-s dans le Sud-Ouest marocain

Différentes dénominations des leff-s

203

Taguzult

MellulTaguzultAyt TzulitAyt Iratn

Tahuggwat

MehbubTaskwtantffajakantId U-ZeddaghAyt Atman

Lieu

Région de l'Oued DraAu Sud de TaraudantAu Nord de TaraudantRégion de l'Oued Nfis

I. Tableau approximatif des leff-s dans le Sud·Ouest marocain (d'aprèsMonteil 1948)

1) Chez les Tekna (Ayt Vtman V-Manda)

AytJmel

- Ayt Jmel

- Ayt Lahcen- Ayt I:Imad : Ayt Unmulil

- Ayt Mussa U-'Ali

- Izerguiyn

Ayt Bella

- Ayt Bella

Izafadn (Azwafid)Awlad BelhwaylatAyt I:-Imad : Izegzawn

- Ayt Nnas :Ayt NnasId Brahim

- Ayt Ussa·

2) Dans le Jebal Bani et Anti·Atlas oriental

Tamanart(chef-lieu de Taguzult)

La moitié de TanaId U-KensusTagmut : Ayt Ni~erHaIn (Hilala)

Ayt Ali de TamanartAyt Herbil de TamanartIchtImi n'Ugadir

L'autre moitié de TanaId U-ZeddutTagmut : Ayt SemnatAsaId U-ZekliGeççiwa

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204 A. LAKHSASSI ET M. TOZY

3) Dans les Ayt Bacamran et Lakh~a~

SbuyaImstitnId Bu-Ifulun de Madani Akh~a~i

4) Dans les Ida Weltit

Id U-SemlalId U-GwarsmukAyt Ma'der

Tassila n'Masst : Tassila et JuwabrShtouka (quelques Iguzuln)

Ifrane : AmsraAyt Rekha (origine Tahuggwat)

Ayt WafqaAmanuzAyt Isi

5) Dans la vallée d'Ammeln

Ayt Smayun d'Ammelen

Ayt LkhomsAyt BrayyimId Bu-Yassin de Bu-Hiya

Ida Wba'qil tI4)

Ouled JerrarTiznitAyt BrayyimAhl SahelLe reste de Masst (Massa)

Ifrane : Ayt Taskala et Ayt TankertIghshshan

AmmelnIsagenAyt 'AbellatI5)

Ida U-Gnidif(16)

(14) D'origine Taguzult. Autrement dit, les Ida Wba 'qil sont idéologiquement et au niveau dudiscours des Iguzuln, mais politiquement et sur le terrain, ils sont Tahuggwat du fait qu'ils s'allientsouvent, sinon toujours, avec ce leffcontre les tribus Taguzull.

(15) D'origine Taguzull.

(16) Ida U-Gnidif sont divisés en deux leff-s opposés par Asif n'Tahuggwat.

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 205

II. Répertoire des fractions des Ayt Swab selon les deux leff-s (d'après Podeur1995 : 42)

Clan Iguzuln Clan Tahggwat

ImdiwnImkwinIsagn

AshtuknAyt 'AinAyt BahmanAyt UghanAyt WigmanAytIbyaAzur nIghallnIgislIndriffTakucht

TiwwazzuynTudma

III. Les leff-s dans les l;Iaha (d'après Doutté ]905)

"Une des caractéristiques des leff-s dans cette région est qu'ils se modifientsouvent tout en maintenant un équilibre entre les deux ligues par le jeu des intérêts.C'est par le 'ar, moyen jeté par une dbiba, qu'on sollicite la neutralité d'unmembre du camp ennemi" (E. Doutté).

Répartition des leff-s dans la région de Mogador

1er leff 2e leff

1) Les Mtougga (tous)

Les l;IahaNiknafaIda U-ZemzamIda U-s'mIda UgerdIda WadilIda Ayt 'Aysi

2) Chiadma

MeskalaEl HenshanLa moitié du DraLa moitié des Ulad Bu-Seb'a

Ida U-GellulAyt 'AmerIda U-TrummaImegradAyt ZeltenIda U-BuziaIda U-Kazzu

KuraymatVlad AïssaL'autre moitié du DraL'autre moitié des Vlad Bu-Seb'aEnnjum

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206

IV. Dans l'Oued Nfis

Ayt Iratn

Ayt Khelf (12 douars)Afra (Igadirn et Targa)Larb'a de TamtergaAshddirLa moitié de TagnitLa moitié des Ayt SwalTakushtAzaznTamjejt

Ayt TashrifIguzuln(l7)

Etc ...

A. LAKHSASSr ET M. TOZY

Ayt Athman

IghermImin n'Tislit (Afra)TazudaTaqordmitTin-SemlalTaliwin n'Ayt MimunTamsultTarga n' Ayt HmitIkrimniwnAyt Mess'udAyt Wa'zizTagwnit n'Ugadir.; ..

(17) rguzuln est le village de la famille des rd-Su-rsafarn qui sont liés directement à LhusaynU-Ali U-Muhammad U-Lhusayn U-Hashem de Tazerwalt.

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Robert Montagne, Les Berbères et le Mak/zzell..., pp. 200-201.

Schema de~ Leff5 du ,'Anti-AtlasCentral et occidental

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Robert Montagne, Les Berbères et le Makhzell ..., pp. 202·203.

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 209

ANNEXE B Quelques fragments de poésie et textes au sujet de l'opposition

TaguzultiTahugwat

1. Fragment de poésie sur l'éloge des Iguzuln (Justinard 1926 : 362)

Texte berbère

- Azerg ad gan Iguzuln, ar izzad ur-akkw ishwwir

- Allah incal Ahggwa gh-unwal ula agharas

- Mshshi, a taydit n dderb, almsir ur-am illi

Traduction françaiseTaguzult, une meule qui vous broie sans faire attention à rien

Que Dieu maudisse Ahggwa sur les chemins et dans la maison.

Pas de rognures pour toi. Va-t-en, chienne du quartier.

II. Autres fragments de poésie sur l'éloge des Iguzuln (Justinard 1926 : 362­

363)

Texte berbère

- Nbena-kwunt, a Yahuggwa, gh Iqsir ula ttisi';

- Amin ad gin Igizuln imshd n tamment,

- Ar ukan gis siggiln Ahuggwa asafar.

- Iggut uqbil n udayn, mish ur a nqqan,

- DIa agwlif n izan ra iskr tamment

- Att igan Tahuggwat a yan isellan.

- Amin. At-tgit, Igizuln, imshed n tamment

- Iga ti wjddig, ira gis kuyan asafar.

- Amin at-tgit, a Tahuggwat, alim n tumzin,

- Ad ukan allgh tazert, yawi-t usmmid.

Traduction française

Je n'ai pas plus souci de toi, Ahggwa, en terrain large qu'à l'étroit.

Amen. Que les Igizuln soient comme un rayon de miel

Et que les Ahuggwa y cherchent un remède.

La tribu des juifs est nombreuse. Mais, en vérité, elle ne tue pas

Plus que ne peut faire du miel un essaim de mouches

C'est le cas de Tahuggwat, à qui veut l'entendre.

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210 A. LAKHSASSI ET M. TOZY

Vous êtes, les Iguzuln, un rayon du mielDes tleurs où chacun cherche remède.Et tu es, toi, Tahuggwat, comme la paille de l'orge,Dès que je lève ma fourche, voilà que le vent l'emporte.

III.Fragments de joute poétique entre les deux leff-s (Justinard 1926 : 363-364)

Une joute poétique dans le djebel Bani entre, d'un côté, les gens de Taguzultdont le chef était le Caïd des Id-Brahim de Tamanart à Aguerd et, de l'autre, lesgens de Tabuggwat dont le chef était le Caïd Bel'id des Ayt Umribet.

Texte berbère

Ahuggwa- Mkelli tga zzit gh wasif n' Sus- Ad ukan gan Igizuln, myarn akuray

Aguzul- A lqayd Bel'id, amghar n timgharin- Aha tasra n sherg, ihkem-kunt akuray

Ahuggwa- Tagust ittutn gh umlal ur a qway-nt,- Ghikkan ad gan Igizuln ur hlin i yat

Aguzul- Meqqar kullu ssan meddn lbirir d lmerf- Iws n Ggu-Guerd a mu gant mekda ran

Traduction française

AhuggwaAinsi que les olives dans le val du SoussAinsi sont les Igizuln habitués aux coups.

Aguzulo le caïd Belaïd, le seigneur des femmes (tributaire du bâton)Saponaire du Désel1, le bâton est tout ce que tu mérites.

AhuggwaPiquet planté dans le sable et qui ne tient pas,Ainsi bons à rien du tout sont les Iguzuln.

AguzulTous les gens ont beau coucher sur le drap et sur la soie.C'est le fils du Ggg-Uguerd à qui tout vient à souhait.

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S 211

IV. Texte concernant les leff-s dans l'Oued Nfis (Justinard 1940 : 176-177)

Il est établi qu'au milieu du siècle dernier, après de longues luttes entre AytAtman et Ayt Iratn, enchevêtrés dans tout l'Oued Nfis, toute cette vallée esttombée sous l'autorité d'un petit chef du pays, l'amghar Mohammed des AytLhassen de Tagountaft, du lef des Ayt Iraten.

De l'aute côté du Tizi n'Test, sur le versant du Souss, la tribu des AytSemmeg, voisine des Goundafa, était déchirée par ~es luttes entre les Ida U-Zdaghd'U-Bazzi et les Ayt Zulit d'U-Talemt. Ces dernIers étaient soutenus par leursfrères de leff, les Goundafa Ayt Iraten.

Au cours de ces luttes, des Ayt Semmeg du lef d'U-Bazzi, passant parl'Oued Nfis, furent emprisonnés et mis aux fers dans l'Agadir n'Outguntaft. On ditqu'un jour, l'amghar Mohammed fit venir ces prisonniers et leur tint ce discours :

"Nous voulons l'amitié. Vous n'en voulez pas. Nous voulons le baroud.Vous n'êtes pas de taille. Le Bazzi vous demande un metqaI. Vous le lui donnez.Nous vous demandons seulement une ouqia. Vous la refusez".

Alors, un certain Mohammed n' Ayt Maballa répondit à l' amghar :"l'argent, ce n'est rien. Mais (en montrant sa poitrine) le cœur, il aime U-Bazzi, ettoi, il ne t'aime pas".

Après cette fière réponse, on les remit en prison et ils étaient employés àcreuser la grande citerne de l'Agadir.

V. Autre texte sur les leff-s dans l'Oued Nfis (Justinard 1940 : 177).

Un jour, deux Goundafa conversaient. L'un d'eux, Si Taieb n'Ayt Shger (delef Ayt Atman), disait à Bou Na:;;er (du leff Ayt Iraten) :

"Vous autres, Ayt Iraten, gens faméliques (id bou ju '), vous tombez toujourssur nos bons pays, plus nombreux que des mouches. Et il faut vous les laisser".

C'est toujours l'idée des bonnes terres des Ayt Atman [Ihuggwatn] commela belle cuvette de Tinmel et de Talat N'YaCqub, contre la rude montagne des AytIraten [Iguzuln]. On dit aussi :

- Mm igi uburi ishman, ikun inza gh Ayt Atman

Là où il y a un beau fusil, on le vend aux Ayt Atman.

VI. Traduction d'une chanson et texte sur les leff-s dans l'Oued Nfis(Justinard 1940 : 177-179)

Au temps du sultan Moulai Lbasan et de la jeunesse du caïd Si TaiebGoundafi, un Ayt Semmeg de Targa Lhenna [Taguzult], pris à voler des bœufs,avait été mis en prison à Talat N'YaCqub par le khalifa [du Sultan] Si 'Ali Alghom.

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212 A. LAKHSASS1 ET M. TOZY

Or Targa Lhenna, de Leff Ayt Zoulit [Taguzult], était des alliés des GoundafaAyt Iraten [Taguzult]. Un jour que les prisonniers étaient à moissonner sous lesmurs de la kasbah, le jeune caïd Taieb apparut à une fenêtre. "Est-ce le caïd ?"demanda le prisonnier Ayt Semmeg. "C'est lui".

Alors il se mit à chanter cette chanson :

Si tu pouvais regarder, Sidi Mohammed [père du caïd Taieb]Au-dessus de toi, la terre, et voir ton TaiebOublieux du temps où tu combattais les Ayt Tuzzalt [Tahuggwat - Ayt

Atman]Ceux de l'Azaghar et tous ceux du Souss levés contre toiPar Allah, Sidi, est-ce que pour toi, il n'est plus du toutD'Ayt Mahalla ni d'Ihangiren [Tahuggwat - Ayt Atman].Ceux-là sont tes ennemis avec de la haine,Mais U-Tzulit [Taguzult - Ayt Iraten] est ton frère et peut te tirer d'affaire.Hélas, ma mère chérie, à quoi bon mon âneA quoi bon chercher de l'huile, et les sous de MarrakechEt tous les voyages.S'il faut que je sois mis dans les fers par Alghom [Tahuggwat - Ayt Atman]Et qu'il dise à Salem: "Place-moi celui-ci au milieu de la chaîneJusqu'à ce qu'il ait acquitté le prix des bœufs" ;Si j'ai mangé les bœufs, je les ai bien payés.

On dit qu'en entendant cette chanson qui évoque les luttes passées et lesouvenir de son père, et l'amitié de Le.tf, le "sia'r" (solidarité de let), Si Taieb fitmonter le prisonnier près de lui, l'embrassa en pleurant et le renvoya dans son paysavec une mule, des vêtements et toute sorte de présents (... ).

Les précisions sur les leff-s ne sont pas non plus sans intérêt : Ihangiren etAyt Mahalla étaient du Leff Ou Zdagh, ennemis des Goundafa, alors que les AytZoulit étaient leurs frères de leff Les Ayt Touzzalt qui furent un temps caïdd'Amizmiz, étaient aussi du Leif des Goundafa. Une phrase de la chanson évoqueleurs luttes et aide à comprendre un propos qui pourrait sembler obscur. Le caïdTaieb parlait un jour de Moulai Ll)asan et de la confiance que lui témoignait cesultan pour sa constante fidélité. "Par ordre de Sidna", disait-il, "j'avais été amenéà soutenir le caïd d'Amizmiz, de la famille des Ayt Touzzalt, contre les Guedmiwarévoltés qui étaient mes frères de Leif. Plus tard, Sidna, en louant ma conduite encette affaire, avait des larmes dans les yeux".

On ne comprendrait pas cette émotion du sultan si on ne savait pas quelleétait la force de ces liens de Leffet qu'il était dur et méritoire de s'en dégager pourle service du makhzen.

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SEGMENTARITÉ ET THÉORIE DES LEFF-S

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Hespéris-Tamuda, Vol. XXXVIII (2000), pp. 215-220.

Gilles Lafuente - La politique berbère de la France et le nationalisme marocain:Ed. L'Harmattan, coll. «Histoire et Perspectives Méditerranéennes», Paris,1999,401 p.

Gilles Lafuente est né à Rabat en 1937. Il a vécu au Maroc 51 années, dont 25passées à enseigner à Marrakech, puis s'est installé en France où il a préparé une thèsede doctorat à l'université de Provence sur le «dahir berbère»; une façon pour lui derester en contact avec son pays natal. C'est le fruit de cet effort qu'il livre au lecteurdans l'ouvrage que nous présentons ci-dessous.

Dans l'introduction de son travail, Gilles Lafuente constate la parution, en 1979,d'un ouvrage en langue arabe sous le titre Al-Haraka al wataniyya wa Dahir albarbari (le mouvement nationaliste et le dahir berbère)(l). L'auteur pensait y trouverune mine de renseignements, mais il fut déçu car ce volumineux livre de 681 pagesn'est qu'un recueil de textes (au nombre de 211) reflétant les différentes réactionsenregistrées à travers le monde arabo-islamique contre le «dahir berbère». GillesLafuente juge que c'est là une répétition des mêmes idées, avec des arguments fortcontestables. Il s'agit généralement d'une redondance visant à frapper les esprits, àprovoquer la colère du lecteur, l'émouvoir, mais non à l'informer. C'est pourquoi ilpropose aux lecteurs une approche objective et analytique de la question.

D'emblée, il fait le constat suivant: le dahir berbère porte préjudice à l'autoritéreligieuse du sultan_ Il est donc contraire à l'esprit du traité de 1912 qui stipule que «lerégime sauvegardera la situation religieuse, le respect et le prestige traditionnels dusultan, l'exercice de la religion musulmane et des institutions religieuses, notammentdes Habous». Ce constat entraîne automatiquement une interrogation: Le dahir est-ildonc contraire à l'esprit de Lyautey, architecte du Protectorat?

Lorsqu'on lit la lettre du «coup de barre» (circulaire du 18 novembre 1921), onest tenté de placer le dahir de 1930 dans la case de la «bêtise» contre laquelle Lyauteya mis en garde ses proches collaborateurs, mais force est de constater que ce dahir estle résultat de tout un processus dont Gilles LAfuente essaie de démêler les éléments.Il s'arrête longuement sur cette évolution, évoque la politique des grands caïdsinaugurée à Marrakech en 1912 et renforcée par le contexte de la Grande Guerre, puisanalyse le contexte qui a produit le dahir du Il septembre 1914 (un autre dahirberbère souvent oublié!) qui stipule dans son article 1er: «Les tribus .dites de coutumesberbères sont et demeurent régies et administrées selon leurs lois et coutumes propressous le contrôle des autorités»; un texte promulgué par Lyautey polir ménager lemonde berbère, en l'occurrence le groupe Zaïan, qui opposait une résistance farouche

(1) Hassan Bou"ayyad, Al-Haraka al-wataniyya wa dahir al-bw-bari. Lawnull akhar minnachat al-hw'ka al-wataniyya fil kharij, 1348H/1930, Dar at-Tiba"a al-Haditha, Casablanca, 1979,681 p.

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216 BIBLIOGRAPHIE

à l'occupation coloniale. Lyautey, même dans sa retraite, n'a pas manqué d'appolterson adhésion au dahir de 1930.

La politique berbère est-elle une invention du Protectorat? Elle s'est basée surune opposition Arabes/Berbères; cette opposition est-elle fictive?

Selon Lafuente, cette opposition est indéniable bien avant le Protectorat; maiselle n'était pas aussi tranchée, elle n'était pas érigée en politique. Ladite opposition aretenu très tôt l'attention des observateurs et explorateurs étrangers, notammentfrançais. Elle fut un champ d'investigation pour celtains «spécialistes» encouragés parles autorités françaises dans le cadre de la «pénétration pacifique». Nombreusesétaient les institutions et les comités qui avaient pour raison d'être d'apporter unconcours «scientifique» à cette œuvre. La Mission Scientifique, le Comité del'Afrique française et le Comité du Maroc sont des exemples parmi d'autres de lamobilisation de cercles intellectuels à des fins politiques. Les uns et les autres ontproduit études et travaux d'une qualité incontestable, mais dont les buts étaientrarement académiques. Le monde berbère a été particulièrement privilégié. Lamajorité des chercheurs appaItenant à ces milieux avaient tendance à accentuer lestraits de différences et d'opposition entre Arabes et Berbères, entre Bled Makhzen etBled Siba (Michaux-Bellaire); tandis qu'une minorité (Eugène Aubin, EdmondDoutté) avait une vision plus nuancée, soutenant que la frontière entre les deux entitésn'était pas toujours très nette et que la souveraineté du Makhzen subissait desfluctuations au gré des circonstances. Très souvent, l'allégeance au pouvoir centraln'était pas remise en cause, mais les tribus contestaient telles exactions (payer desimpôts ou fournir des contingents militaires) ou tel fonctionnaire makhzénien jugé unpeu trop vénal et véreux. Les mêmes spécialistes ont souvent relevé certainespratiques païennes ou maraboutiques chez les Berbères pour en déduire hâtivementque leur Islam était superficiel; un simple «vernis» facile à effacer. Emile Laoustparle, à ce propos; de «la présence permanente du très ancien «tuf» païen sousl'islamisme de sUlface». Les tenants de la politique berbère ne manqueront pas des'appuyer sur cette littérature pour envisager pour les Berbères d'autres voies de salut,à savoir le christianisme et la francisation.

Bien sûr, il y eut le précédent Kabyle (Algérie) qui a inspiré de nombreuxfonctionnaires du Protectorat, Lyautey en tête. C'est d'ailleurs dans cet esprit qu'ilpromulgua le dahir de 1914, suivi, en janvier 1915, de la fondation d'un Comitéd'Etudes Berbères qui édita la revue «Archives Berbères»; une mine derenseignements sur le monde berbère.

La floraison de cette production «scientifique» allait de pair avec l'évolution del'occupation, dite «pacification», et la mise en application du dahir de 1914 (et de lacirculaire d'application de 1915). La confrontation de la théorie avec la réalité nemanqua pas de révéler des difficultés inattendues. L'interpénétration des tribus arabeset berbères a posé un énOlme problème de classification; les coutumes étaient diverseset souvent orales; lorsqu'elles étaient écrites, c'était en arabe!! Très vite, les autoritésfrançaises ont réalisé combien les coutumes des tribus berbères étaient empreintes

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BIBLIOGRAPHIE 217

d'Islam grâce à l'action des chorfas, des zaouia, desfuqaha, du pèlerinage... Il y avaitchez ces populations une cohabitation pacifique du shar avec la coutume (lzer.!) etparfois même une avancée du droit coranique sur le droit coutumier. Tout cela a rendubien difficile l'application du dahir de 1914!!

Pendant cette phase, un grand effOlt de collecte des coutumes a été fait. Leshistoriens et autres anthropologues et ethnologues ne peuvent aujourd'hui qu'en êtresatisfaits. Il s'agit de tout un patrimoine qui a été sauvegardé. Gilles Lafuente nousprésente quelques exemples de ces coutumes pour relever quelques-uns de leurspoints fOltS, notamment l'absence de la peine de mort et l'exclusion de la femme dansle domaine de l'héritage familial afin de maintenir intact le patrimoine tribal.

La politique berbère, comme elle a été menée au Maroc et en Algérie, ne peutêtre dissociée de l'image du Berbère dans l'imaginaire colonial. Toute une littérature«berbérophiJe» a présenté les Berbères comme les <<fils de la louve romaine et duchristianisme antique» (p. 85). A ce propos, l'auteur cite et compare les écrits deplusieurs écrivains: Victor Piquet, le Père Ange Koller, Maurice Leglay et GeorgesSurdon. Ce dernier, dans son recueil de conférences à l'adresse des futurs officiers desAffaires Indigènes (1928), soutient que les Berbères sont des musulmans non soumisau shar" et insiste sur la prédominance de la coutume; coutume qui, à son sens, devaitêtre maintenue, renforcée et érigée en rempart contre l'Islam et contre la langue arabe(vecteur de l'Islam). Selon Surdon, il faut donner à la coutume un «fondement légal»,le dahir de 1914 n'étant qu'une promesse à respecter les coutumes berbères et lesjma<a créées ne reposent que sur la circulaire de 1915. L'appel de Surdon fut entenduet le dahir, dit berbère, fut signé le 16 mai 1930.

Mais l'assise judiciaire et légale était-elle suffisante pour mener à terme lapolitique berbère? Non, il fallait la consolider par un effort dans le secteur del'enseignement. Il ne fallait SUltout pas faire le jeu de l'arabisation; il fallait franciserles Berbères par l'école, la langue française devant les préparer à l'intégration dans lecreuset de la civilisation française. Dans cette école, l'instituteur, c'est le soldatfrançais ou, mieux encore, un Kabyle algérien converti au christianisme. Il fallaitéviter le taleb (arabe ou arabophone) comme intermédiaire; c'était d'ailleurs resterfidèle à l'esprit de Lyautey qui écrivit dans une circulaire confidentielle:

«Nous n'avons pas à enseigner l'arabe à des populations qui s'en sont toujourspassées. L'arabe est un facteur d'islamisation, parce que cette langue s'apprend dansle Coran; 01; notre intérêt nous commande de faire évoluer les Berbères hors du cadrede l'Islam» (cité p. 97).

L'œuvre scolaire en milieu berbère consistait en la créatioil d'écoles franco­berbères; cette action, entamée dès 1923, fut coiffée par l'ouverture du collèged'Azrou en octobre 1927.

Gilles Lafuente fait une remarque intéressante au sujet de l'évolution de LouisMassignon. Ce grand arabisant et islamologue a effectivement pris palt aux côtés duCdt Marty à cet effort scolaire en milieu berbère. Comme beaucoup d'autres,

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Massignon croyait alors à la possible assimilation du Berbère dans le creuset de lacivilisation française et chrétienne; n'était-ce pas dans la ligne de son maître le PèreCharles de Foucauld? Lorsque, en 1928, le baptême de Mohammed Ben Abdeljalil(étudiant à Paris, boursier de la Résidence) eut lieu à Notre Dame à Paris, son parrainn'était autre que Louis Massignon. Mais les convictions de ce dernier en matièred'évangélisation allaient évoluer avec le temps et au vu même du tollé soulevé par laconversion de l'étudiant fassi. En 1951, dans une lettre adressée au Père Dom Denis,il expliqua son itinéraire sur la question et soutint qu'il ne fallait plus combattrel'Islam, seul véritable rempmt contre le laïcisme et le communisme, voire contre unnationalisme xénophobe.

Parallèlement à l'œuvre scolaire, une propagande maladroite de la revuefranciscaine «Le Maroc catholique», organe de l'évêché, a semé des propos qui, à lalongue, ont contribué à l'échec des projets de christianisation. Notons que dans cetterevue, une rubrique intitulée «Pages des Amitiés Berbères» était animée par PaulHector, pseudonyme du Père Peyriguère qui vivait à El Kbab au Moyen-Atlas; unhomme qui, à l'instar de Massignon, allait évoluer sur les questions de colonisation etd'évangélisation. Pendant les années cinquante, ses positions favorables auxnationalistes marocains allaient irriter la Résidence Générale.

Ce sont là, brièvement, quelques éléments, surtout d'ordre endogène, que GillesLafuente a développés pour expliquer les facteurs ayant engendré le dahir berbère.Mais le tableau serait incomplet si on ne signalait pas quelques éléments d'ordreexogène; c'est pourquoi l'auteur évoque l'impact de la salafiyya réformiste dont lesidées étaient propagées au Moyen-Orient par un Jamal Eddine al-Afghani, unMohammed Abduh, un Rachid Réda et d'autres. Tous prônaient le renouveau del'Islam face au défi de l'Occident et leurs idées ont trouvé un terrain favorable auMaroc qui venait de perdre sa souveraineté pour subir des mutations forcées dans sesstructures socio-religieuses; mutations considérées par les lettrés marocains, lecteursd'Al-Manar de Rachid Réda ou d'Al-Fath de Mohieddine al-Khatib, comme uneagression contre Dar Al-Islam. Les idées réformistes trouvèrent audience au sein de laQaraouiyyne, mais aussi dans les écoles libres que les nationalistes marocains avaientfondées pour échapper au système scolaire français dont les programmesbannissaient, ou réduisaient au strict minimum, l'enseignement de la langue arabe etde l'Islam. Ces idées allaient bientôt évoluer vers un nationalisme susceptible dedonner des réponses concrètes aux réalités marocaines où l'administration «directe»supplantait celle plus discrète adoptée jadis par Lyautey.

Un catalyseur vint opérer une synthèse des éléments de toute une évolution etlaisser exprimer des sentiments jusqu'alors refoulés au sein des sociétés secrètes,d'écoles libres et autres groupements qui n'avouaient pas toujours leurs aspirationspolitiques. C'est le dahir berbère, promulgué le 16 mai 1930 et qu'un jeune sultan devingt ans, au pouvoir depuis seulement trois ans, avait signé sans réaliser qu'il lui ôtaitl'essentiel de ses prérogatives. Son article 6 déclencha la tempête. Il stipulait qu'entribu berbère, en matière criminelle, «toute infraction serait jugée selon les lois du

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code pénal français, quelle que soit la condition de l'auteur du crime». En d'autrestermes, c'était tout simplement soustraire des millions de Berbères à l'autorité ducadi, et par voie de conséquence à l'autorité du shar' et du sultan (Amir al-Muminine).Dans le contexte déjà évoqué du prosélytisme de l'Eglise en milieu berbère, leditarticle était vite interprété comme une tentative de «déislamisation» du Maroc.L'article 6 imposait le code pénal français, tandis que les autres stipulations du dahirconsacraient les coutumes locales, perçues par les réformistes musulmans comme dessurvivances de la Jahiliyya (pratiques antéislamiques). Rien de plus normal dans lecontexte maghrébin d'alors: célébrations du centenaire de l'occupation d'Alger et lecongrès eucharistique de Carthage.

C'est à Salé qu'on enregistra une première réaction (20 juin 1930) activementpréparée par Abdellatif Sbibi. Dans les mosquées, les fidèles récitèrent le Lari/,implorant Allah pour ne pas séparer Berbères et Arabes(2). L'aITestation de Sbibi etde quelques autres jeunes nationalistes ne fit qu'exacerber la colère et, bientôt, lapratique du Lapf fit tache d'huile dans d'autres centres urbains. La mosquée étaitappelée à jouer un rôle d'espace d'information et de communication pour lemouvement national, à un moment où la presse nationaliste et la vie syndicalen'étaient pas encore tolérées. L'accent était mis sur l'aspect religieux (le schar pourtous, enseignement musulman, hostilité à J'action des missionnaires chrétiens), sanstoutefois remettre en cause le «Protectorat». Le l3'août ]930, la récitation du Lariffutinterdite. Parallèlement, la répression avait frappé plusieurs chefs nationalistes.Pouvaient échapper à ces mesures tous ceux qui bénéficiaient d'une protectionétrangère (Hassan BouCayyad, Ahmed Mékouar, les Diouri, ...) et qui pouvaient, de cefait, faire valoir l'immunité judiciaire. Ainsi, les «protégés» qu'on disait, jadis, vendusaux chrétiens, étaient appelés à jouer un rôle important contre l'emprise colonialed'une puissance chrétienne. A cela, il faudrait ajouter le rôle des postes étrangères,surtout anglaises, dans la diffusion de la propagande nationaliste.

Ayant réalisé tardivement l'imprudence de certains missionnaires, le RésidentGénéral Lucien Saint adressa aux officiers supérieurs commandant les régions de Fès,Meknès, Marrakech, Taza, Boudenib et Kasba Tadla (6 octobre] 930) une circulairedans laquelle étaient évoquées les «imprudences commises par ce/1ains propagateurstrop zélés de la foi chrétienne ayant voulu faire croire que le Gouvernement duProtectorat voyait sans déplaisir les projets de christianisation des Berbères». Ilajoutait que des pasteurs anglais et américains avaient <1ait preuve du zèle le plusmaladroit en distribuant des évangiles traduits en berbère» (cité, pp. 210-211), avantde rappeler l'interdiction de tout prosélytisme chrétien en milieu mllsulman).

Les possibilités d'action politique et de propagande étant assez restreintes auMaroc, le mouvement national avait porté, avec un certain succès, son activité àJ'étranger. Gilles Lafuente s'étale sur cette action en éclairant les lecteurs sur sesprincipaux foyers (France, Espagne et Moyen-Orient) et ses acteurs les plus en vue.

(2) «0 Sauveur, sauve nous des mauvais traitements du destin et ne nous sépare pas de nosfrères les Berbères».

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Le mouvement national, privé au Maroc de liberté d'expression et de tout moyend'information, avait su orchestrer une propagande de grande envergure à l'extérieurdu pays. Il publia, en France, un ouvrage anonyme consacré à la question berbèreC~) etutilisa les colonnes de plusieurs revues et journaux en Orient et en Occident. L'actionde cette propagande s'étendit jusqu'à la lointaine Indonésie. L'auteur donne desspécimens de cette littérature, analyse minutieusement leur contenu et s'attarde surleurs acteurs, Marocains et étrangers, pour constater enfin qu'elle est souvent enclineà l'exagération, à l'amalgame, voire au travestissement de la réalité. Mais, n'est-cepas là une caractéristique essentielle de la propagande? Ont pris pmt à cette campagnedes personnalités aussi différentes que Balafrej, EI-Ouazzani, Mekki Naciri, Robeli­Jean Longuet, Chakib Arsalane, Mohieddine al-Khatib et Rachid Réda.

Les autorités du Protectorat n'étaient pas indifférentes à cette propagande. Ellesse virent obligées d'interdire l'introduction au Maroc de plusieurs publications et leRésident Général Lucien Saint dut intervenir auprès de ses collègues à Alger, Tunis,Damas et Le Caire pour demander d'opposer une contre-propagande à des campagnescensées ternir l'image de la France dans la région.

Au fil du temps, les autorités françaises du Maroc réalisèrent les défauts et leslacunes de leur politique berbère, mais hésitèrent longtemps à la reconsidérer. Quandelles furent enfin prêtes pour franchir ce pas, en 1934, c'était déjà trop tard car lemouvement national, lui, était déjà passé àune autre étape de son combat. En effet, aumoment où la Résidence se résigna, en avril 1934, à abroger l'article 6 du dahir, qui aété tellement décrié, les nationalistes s'apprêtaient à annoncer la naissance du Comitéd'Action Marocaine et à réclamer un Plan de Réformes Nationales (décembre 1934).Désormais, les nationalistes allaient peu à peu abandonner leurs doléances contre cedahir (qui n'a été abrogé officiellement qu'après l'indépendance) pour faire le procèsde tout le système colonial imposé à leur pays.

L'ouvrage de Gilles Lafuente, sans faire de révélations inédites sur le dahirberbère, a regroupé une masse de précieux renseignements jusqu'à ce jour éparpillésici et là, les a enrichis d'investigations dans les archives françaises et en a fait uneanalyse historique minutieuse et objective, ne négligeant ni les faits, ni leurs acteurs,ni leurs contextes. Par réflexe d'historien, l'auteur a annexé à son étude un corpus detextes traduits en français et extraits du recueil de Hassan BouCayyad; ces mêmesdocuments que l'auteur avait critiqués dans son introduction parce que répétitifs etpassionnés. Par ailleurs, ces annexes ont déjà été publiées, en 1984, par Lafuente dansune revue d'Aix-en-Provence(4). Cela dit, nous sommes en présence d'un livre dequalité qui vient enrichir la bibliothèque de l'histoire contemporaine du Maroc.

JamaâBAIDA

(3) Mouslim Barbari [pseud.], Tempête sur le Maroc ou les erreurs d'une «politiqueberbère», Ed. Riedcr, Paris, 1931, 74 p.

(4) Gilles Lafuente. «Dossier marocain sur le Dahir berbère de 1930», in ReFue de l'OccidentMusulman et de la Méditerranée. Aix-en-Provence, n° 38, 2e trimestre 1984, pp. 83-116.

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BOOGERT. A SaLIs berber poem on Sidi Ahmad-IBN NASIR. revue Etudes et (3)

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Ibid, p. 121. (4)

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Maria Rosa de Madariaga, Espaiia y el Rif, Cronica de un historia casi olvidada, la

Biblioteca de Melilla, 2000 (591 p.).

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40

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Daniel Rivet, Le Maroc de Lyautey à Mohammed V: Le double visagedu protectorat, Paris, Denoël, 1999 (461 p.)

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Daniel Rivet, Lyautey et l'institution du protectorat, Paris, L'Harmattan, 3 vol., 1988. (1)Albert Ayache, Le Maroc, Paris, Editions sociales, 1956. (2)Georges Spillmann, Du protectorat à l'indépendance, Maroc, 1912-1956, Plon, 1967. (3)Charles-André Julien, Le Marocface aux impérialismes, 1415-1656, Paris, Editions (4)Jeune Afrique, 1978.

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