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  • HESPERIS TAMUDA'Sous le patronage

    du Doyen de la Facult des Lettres et des Sciences HumainesSad BENSAD ALAOUI

    * * *

    Comit de RdactionBrabim BOUTALEB

    Mohamed EZROURARahma BOURQIA

    Abderrahmane EL MOUDDENMohammed KENBIB

    Abdelahad SEBTIJama BADA

    La revue Hespris - Tamuda est consacre l'tude du Maroc, de sa soc:it,- de son histoire,de sa culture et d'une manire gnrale .aux sciences 'sociales de l'Occident musulman. Elle paraitannuellement en un ou plusieurs fascicules. Chaque livraison comprend des articles originaux, descommunications, des tudes bibliographiques et des comptes-rendus en arabe, franais, anglais,espagnol et ventuellement en d'autres langues.

    Les textes, dment corrigs, doivent tre remis en trois exemplaires dactylographis, endouble interligne et au recto seulement. Les articles seront suivis de rsums dans une languediifrente de celle dans laquelle ils ~nt publis. Les textes non retenus ne sont pas retourns leursauteurs. Ceux-ci en seront aviss. Les auteurs reoivent un exemplaire du volume auquel ils aurontcontribu et cinquante tirs part de leur contribution. Les ides et opinions exprimes sontcelles de leurs auteurs et n'engagent en rien Hespris-Tamuda.

    Le systme de translittration des mots arabes utiliss dans cette revue est le suivant:

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    Voyelles brves

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    Voyelles longues Diphtongues

    Pour toute demande d'abonnement ou d'achat, s'adresser au Service des Publications, desEchanges et de la"Diffusion, Facult des Lettres et des Sciences Humaines, BP. 1040, Rabat.

  • ~HESPERISTAMUDA

  • Universit Mohammed V

    FACULTE DES LETTRES ET DES SCIENCES HUMAINESRABAT

    ,

    HESPERISTAMUDA

    Actes du colloque inter1UltionalLES MINORITES ETHNIQUES ET RELIGIEUSES

    DANS LE MONDE ARABO-MUSULMANRabat 28-30 novembre 1995

    Vol. XXXVII- Fascicule unique1999

  • Tous droits rservs la Facultdes Lettres et des Sciences Humaines

    de Rabat(Dahir du 29/07/1970)

    Ouvrage publi dans lecadre du compte hors budget

    Dpt lgal N 31/1960ISSN 0018-1005

    Composition: ANCYF Znadi RabatImpression: Imprimerie NAJAH EL JADlDA - Casablanca

  • HESPERISTAMUDA

    Vol. XXXVI, Fascicule unique (spcial)

    SOMMAIRE SUMARIO

    1998

    Prsentation 9

    PREMIERE PARTIE

    Abraham L. UDOVITCH Juifs et Musulmans en Sicile aux XIe-XIIIesicles: Espace et communication 15

    JeanPierre MOLNAT. Point de vue sur la permanence et l'extinction dela minorit chrtienne dans l'Occident musulman mdival . 31

    Mohammed HAMMAM. Les minorits ethniques dans les cours royalesde l'Occident musulman au Moyen-Age 49

    Bernard VINCENT. La rivire morisque 59

    Lucette VALENSI La deuxime mort de Sabbata Sevi, ou la fin desSaloniciens de Thrquie 71

    DEUXIEME PARTIE

    Simon LVY L'offensive ibrique du XVe sicle. et le devenir de laminorit juive marocaine 87

    Mercedes GARCIAARENAL et Gerard WIEGERS Au-dessus desfrontires: Samuel Pallache 99

  • Hespris.Tamuda, Vol. xxxvn (1999), pp. 911.

    PRESENTATION

    La question des minorits ethniques, religieuses et culturelles demeure, demanire gnrale, d'une extrme complexit, et ce, quels que .soient l'approchesous laquelle elle est tudie et les progrs raliss, principalement dans le mondeanglo-saxon, par la recherche portant sur les phnomnes intercommunautaires etl'thnicit.

    C'est pourquoi le Colloque international dont les Actes sont publis dans leprsent ouvrage s'est limit une aire gographique et culturelle particulire, lemonde arabo-musulman en l'occurrence. li s'est essentiellement assign l'analysedes fondements et des aspects les plus significatifs de la cohabitation entre -Musulmans, Juifs et Chrtiens en terre d'Islam.

    Outre l'esquisse d'une sorte d'tat des lieux et l'vocation des principalesinterrogations que suscite un tel objet d'tude, il s'agissait de tenter d'apprhender,dans le cadre de cette rencontre qui se voulait pluridisciplinaire, les principalescaractristiques de ces minorits, les composantes de leur identit, leursspcificits et les mcanismes de rgulation de leurs relations avec la majoritelle-mme d'ailleurs parfois plurielle, notamment sur les plans ethnique etlinguistique ; tout cela en prenant soin de situer les faits dans le contexte qui fut leleur, c'est--dire en tenant troitement compte de la fluctuation dans le temps etl'espace des rapports intercommunautaires et de la diversit des facteurs de tousordres, tant internes qu'externes les ayant inflchis dans un sens ou un autre

    C'est, notamment, dans cette perspective que sont exposs le cadre et lesconditions dans lesquels les minoritaires ont volu et ont russi assurer traversles sicles leur prennit, leur singularit et leur cohsion interne en tant quegroupe malgr les vicissitudes et les alas ayant mis, diverses poques, rodepreuve non seulement pareille permanence et la coexistence intercommunautairemais aussi l'ensemble de la socit et de l'Etat au sein duquel ils vivaient.

    La cohabitation entre Musulmans, Juifs et Chrtiens en terre d'Islam, a tmarque, du fait mme de la longue dure dans laquelle elle s'est inscrite, partoutes sortes d'influences mutuelles, voire d'interpntrations. En dpit ds limitesexplicites ou plus diffuses que majorit et minorit (s) se traaient pour prserverleurs diffrences respectives, leurs contacts et leurs changes n'en ont pas moinscontribu de manire significative faonner ce qui, la longue, a fini par formerun patrimoine culturel commun dans lequel se sont fondus et amalgams lesapports des uns et des autres.

  • 8 SOMMAIRE

    Bernard ROSENBERGER. - Les Juifs au Maroc dans la premire moitiduxve sicle '" 113

    Khalid BEN SRHIR. - Prsentation d'un document indit sur le mellah deMarrakech la fin du XIxme sicle 163

    Jama BAIDA. - La presse juive au Maroc entre les deux guerres 171

    Mohammed KENB. - Les Juifs du Maroc pendant la Deuxime guerremondiale. La phase 1939-1942 191

    Edmond Amran EL MALEH. - Tmoignage d'une exprience: Leparcours d'un Juif marocain 207

    COMPTES -RENDUS BLIOGRAPHIQUESRESENAS BLIOGRAFICAS

    Jacques TmRY. - Le Sahara Libyen dans l'Afrique du Nord mdivale(Mohammed HAMMAM) 215

    Nicolas MICHEL. - Une conomie de subsistances. Le Maroc prcolonial(Mohamed HOUBBAIDA)............................................................................... 218

    Michel ABITBOL - Les commerants du roi (Tujjar-as-Sultan) : Une liteconomique jude6 marocaine aux XIXme sicle, (Jama BAIDA).................. 221

    Ant6nio de SALDANHA. - Cronica de Almanor, sultao de Marrocos(1578-1603). - (Otman MANSOURI) (en langue arabe)................................. 7

    Daniel RIVET. - Le comit France -Maghreb : rseaux intellectuels etd'influence face la crise marocaine (1952-1955) (Brahim BOUTALEB)(en langue arabe)............................................................................................... 9

    Abdelkader KAIOUA. - Casablanca, l'industrie et la ville (BrahimBOUTALEB) (en langue arabe)....................................................................... 13

  • PRSENTATION Il

    dcennies (1948 -1967), ont rduit les communauts juives, rparties nagure travers tout le pays, une sorte de communaut tmoin essentiellement concentre Casablanca (mais toujours prsente aussi Rabat, Fs, Marrakech et ailleurs).C'est avec cet arrire - plan que se situe le propos d'un tmoin de l'poque (E.A.El Maleh).

    En dpit de son cachet ncessairement personnel et subjectif le point de vuede l'auteur de Parcours immobile et de Mille ans, unjour n'est pas en fait, certains gards, totalement loign de l'approche spcifique de _1' historien. Par desvoies diffrentes il rejoint les proccupations de celui-ci et de sa discipline;l'histoire, crit, en effet, Fernand Braudel, n'est pas autre chose qu'uneconstante interrogation des temps rvolus au nom des problmes et curiosits, etmme des inquitudes et des angoisses, du temps prsent qui nous entoure et nousassige.

    Mohammed KENBm

  • 10 PRSENTATION

    Ce legs qui a rsist l'usure du temps et, dans lequel ils sereconnaissaient tous, tait partie intgrante de la manire dont ceux qui l'avaienten partage se percevaient par rapport au reste du monde et, inversement,apprhendaient les autres nations et les frontiresqui les en sparaient.

    A titre comparatif, et dans une sorte d'inversion de la perspective, il taitgalement utile d'examiner des cas o, du fait de la Reconqute chrtienne et deses succs territoriaux, les Musulmans, majoritaires auparavant et matres dupouvoir politique, devenaient leur tour des minoritaires et se voyaientcontraints de dvelopper des stratgies comparables certains gards, dans le casde l'Espagne notamment, celles de juifs devenus marranes aprs 1492.

    Des communications ont ainsi trait des Juifs et d(!s Musulmans en Sicile(A.L. Udovitch) et de La rivire morisque (B.Vincent ). Elles seraient mettreen parallle avec celles qui ont t consacres La permanence et l'extinction dela minorit chrtienne dans l'Occident musulman mdival (J.M. Molnat) et auxMinorits ethniques dans les cours royales de l'Occident musulman auMoyen-Age (M. Hammam) - des Slavons dans le cas d'espce.

    Mme si, dans son souci d'apprhension du phnomne minoritaire dansrensemble du monde arabo-musulman, le colloque se voulait initialementouvert des tudes de cas partir de l'exprience des millets de l'empireottoman; quasiment, seul l'exemple de

  • PREMIERE PARTIE

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  • Hesprls-1muda, Vol. xxxvn (1999), pp. 15-30.

    JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX XIexmeSICLESEspace et communication

    Abraham L. UDOVITCH

    LLES MUSULMANS PEUVENT-ILS VIVRE SOUS LA LOI DES INFIDELES?A l'extrme fin du xve sicle, Abo al'Abbas Ahmad b.Yahya a1-Wansh8l1'si, le

    plus grand juriste de son poque, est consult sur la question suivante: quelle est laposition lgale des musulmans vivant dans les territoires qui sont tombs sous ladomination chrtienne - autrement dit, l'Espagne. Sa rponse, sous la forme d'unefatwl, est sans quivoque, dure, sans compromis. Selon ce grand docteur, lesmusulmans qui se trouvent pris sous l'autorit de chrtiens doivent partir, abandonnerleurs biens et leurs amis, et faire leur mjra dans des territoires soumis la souverainetde l'Islam. La position de Wansharisi s'appuie sur le modle du Prophte Muhammadqui, obissant Dieu, s'chappa de La MecqUe paenne - fit la mjra - et se rendit Mdine, invitant tous ses fidles suivre son exemple. Les Musulmans de l'Espagnechrtienne devaient en faire autant, sauf les malades, les infirmes- et les gens tropfaibles, qui devaient diffrer leur dpart vers des terres d'Islam(1).

    On doit relever au passage la symtrie entre ce jugement de a1-Wanshatisi etJ'expulsion impose du ct chrtien. On observe en effet dans beaucoup de domainesconcernant les relations entre minorits et majorits dans la Mditemme mdivale,qu'il y a une COlTeSpondance entre la prohibition impose par le groupe dominant et lescontraintes que s'imposent les groupes domins.

    Quelque 350 ans plus tt, le juriste malkite a1-Imm al-Mazati, qui taitd'origine sicilienne et que l'on voit en activit Mahdia au milieu du XIIe sicle, estplac devant un problme semblable. On l'interroge sur "les jugements que rendent lescadis en Sicile et sur les tmoignages des tmoins professionnels - shuhad 'udrJI - qui Y

    (1) Lafatwl de al-Wambarfsi a C6 6dicte et publie par Hossein Morts sous le tille: AsnI almatljir fi boy'" ahIc8m man ghoJab 'ail WdI01IiIri an-naslrl wa/am yuhljir, dans Sahi[al ma'hod addiraslt al-isllmiyafimodrid, vol V (1957), pp.l29-191. Mos accompegne le texte d'une introductionqui fournit des infonnations sur l'auteur et sur le document. La fatwll, est publie sous une formelgrement ditTrente dans Miylr(lkyrouth, 1981), voL 11. pp. 137 sq.

  • JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX XIe.XIIIe SICLES 17

    ll. FRONTIERES POLmQUES ET COMMUNICATIONMDITERRANtENNE.

    B.l. Dplacements des juifs et des musulmaDSTout d'abord, dans le monde mditerranen des XIe-XIIIe sicles, les frontires

    politiques ne concident pas avec les divisions ethniques et religieuses. Toutes nossources, anciennes ou plus rcentes, dmontrent qu'il y avait des dplacementsconstants entre la Sicile et l'Afrique ,du Nord, et tout spcialement la Thnisie, maisaussi, un moindre degr, entre la Sicile, la Libye et l'Egypte. Juifs et musulmansfranchissaient dans les deux sens les frontires politiques et religieuses qui sparaient laSicile et l'Afrique. Les conditions de ces dplacements n'taient pas exactement lesmmes pour les juifs et les musulmans, et nous connaissons mieux celles quiconcemaient les juifs. Mais, autant qu'on puisse le savoir, les autorits normandes deSicile n'exeraient aucune surveillance particulire sur l'entre des juifs et desmusulmans sur leur territoire. Ds n'imposaient pas davantage de sgrgation cestrangers, comme c'tait le cas quelquefois Byzance. Ceci est tout fait remarquable,parce que beaucoup de ceux qui venaient de Thnisie et du pourtour de la Mditerrane 'n'taient pas simplement des visiteurs de passage ou des commerants presss. Ilss'installaient sur l'le de manire pennanente, ou du moins y passaient plusieurs annes.

    II.2. Aspects de la transition entre la Sicile musulmane et la Sicilechrtienne.

    D y a, me semble-t-il, une diffrence importante entre la manire dont nouscomprenons les divisions religieuses dans le monde mditerranen au Moyen-ge, etla manire dont les gens de l'poque vivaient ces divisions. Nous avons tendance considrer comme un vnement majeur, comme un tournant dans l'histoire de laSicile, le passage d'un rgime musulman un rgime chrtien. Et de fait, si on prendles choses sur plusieurs sicles, ce qui se passe dans les annes 1070 marque unchangement capital: la Sicile avait appartenu l'espace musulman pendant plusieurssicles. Cette appartenance avait videmment marqu sa culture religieuse et littraire;la langue arabe tait la langue courante. Or tous ces liens devaient se dfaire, et lapolitique, la langue et la culture siciliennes devaient se reformer et s'orienter versl'Europe chrtienne.

    Mais si ce changement est fondamental sur le long terme. il n'y a pas eu derupture immdiate et dramatique dans la vie des Siciliens et dans les relations qu'ilsentretenaient avec le reste de la Mditerrane. Par exemple. dans les documents de laGeniza du Caire. qui refltent la vie courante de gens ordinaires. le changement dergime en Sicile ne parait pas avoir perturb gravement les changes pistolaires.sociaux et commerciaux. Les dplacements des marchandises. des hommes, desnavires. les changes de lettres, continuent sans intenuption. Le contenu et la forme deschanges ne modifient pas pendant au moins u.~ sicle aprs la conqute normande,c'est--dire. pratiquement, jusqu' l'avnement de Frdric n. D ne faut pas exclure lapossibilit que cette continuit ait t plus forte pour les juifs qui. comme Goitein l'a

  • 16 ABRAHAML.UDOVITCH

    rsident. Ces jugements et tmoignages sont-ils recevables quand on ignore si le sjourcontinu des musulmans en Sicile rsulte de leur libre choix ou de la ncessit".(2) Larponse est ici plus modre, plus pragmatique et nuance. Son auteur ne met pas encause l'interdiction pour un musulman de rester sous un rgime chrtien, il la raffinnemme vigoureusement. Mais il manifeste la proccupation toute pratique d'assurer desservices juridiques rguliers et efficaces aux Musulmans de Sicile. Et il n'est pasvraiment affect par le fait que les juges et le personnel judiciaire soient nomms par legouvernement chrtien. Il adopte le principe du 'udhr, de l'excuse, ou, pluspositivement, de l'acceptation de la prsence prolonge des musulmans sous ungouvernement infidle; et sur ce principe, il ne cherche pas rcuser l'autorit desfonctionnaires musulmans en Sicile. De fait, cette fatwa lgitime la prsenceinstitutionnelle des musulmans en Sicile.

    Il y a donc un durcissement des positions au cours du Moyen-Age, et unedfmition plus rigoureuse des frontires entre groupes religieux (et on peut le regretter).Mais nous ne chercherons pas dcrire cette dtrioration ni encore moins l'expliquer. J'essaierai plutt d'analyser la coexistence entre musulmans, juifs etchrtiens en Sicile aux XIe-xme sicles et dans le monde mditerranen de cettepoque. Pour les juifs, le passage de la domination musulmane la dominationchrtienne en Sicile ne posait pas les mmes problmes juridiques, ou pratiques, qu'auxmusulmans. Les musulmans vivaient un renversement de situation qui affectait presquetoute leur"existence. Pas les juifs.

    Quel tait, en effet, l'horizon des juifs et celui des musulmans cette poque, oudans la priode de domination musulmane qui prcde, ou quel hritage les Normandsavaient-ils laiss?

    (2) Abdel.Magid Turlci, "Consultation juridique d'al-Imam al-MIZal'i sur le cas des musulmansvivant en Sicile sous l'autorit des Nonnands", Mlanges de l'Universit Saint-Joseph, Tome L (1984), pp.691-704.

    Pour un traitement plus rcent de ces deux.fatw1S et du problme de la rsidence des musulmanssous un rgime nonmusulman, voir AbdelMagidTurki, "Pour ou contre la lgalit du sjour desmusulmans en territoire reconquis par les chrens: Justification doctrinale et ralit historique", in B.Lewis et Fr. Niewhner ds., Religionsgesprilche im Mittelalter, WolfenbUtteler Mittlalter-Studien,Wienbeden, 1992, pp. 3OS-323.

    Pour diverses raisons, le problme que pose au droit musulman la prsence historique decommunauts musulmanes sous des r6gimes non musulmans a fait l'objet d'une lIUenIion nmuvele de lapart des chercheurs et on peut s'attendre une floraison de travaux dans les prochaines llIU1es. Panni lescontributions r6centes, les deux suivantes intressent le d6b8ts sur les fatwlS cites plus haut: BernardLewis, "Legal and Historical Reflections on the Position ofMuslim Populations under Non-Muslim Rule",Joumallnstilute ofMuslim Minority AJfoin, volume13:1 (1992), pp. 1.16; Muhammad Kbaled Masud,'The Obligation to Migrate: The Doctrine of Hijra in Islamic Law", dans D. Eickelman et J. Piscatori ds.,Muslim Travellers: Pilgrimage, Migration, and Ul Religious lmaginolion, Califomia, 1990, pp. 29-49.

  • JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX XleXIIIe SICLES 19

    Du point de vue qui nous intresse ici, il y a quelque chose de merveilleusementsymbolique dans la manire dont ibn Ytj crit l'adresse de ses deux frres. Il crit ses frres " Mahdia. si Dieu veut. ou n'importe o en Ifriqiyya"(6) (Ifriqiyyacorrespond Ia-Thnisie actuelle). La lettre est envoye d'Aden en septembre 1149 etelle finit bien par arriver chez ses destinataires; mais ceux-ci ne se trouvent pas enItiiqiyya, mais prcisment Mazara, en Sicile. o ils taient venus pour chapper l'inscurit qui affecte le littoral tunisien. Que les destinataires de la lettre l'aient reuemontre' bien que pour ces familles juives. la Sicile et la Thnisie faisaient partie dumme es." culturel et conomique..

    A peu prs au mme moment, vers 1150. un juif abandonne Thnis avec safamille en raison des troubles qui y rgnent n s'arrte en Sicile, avec l'intention d'allers'tablir en Egypte. Mais il est sduit par les charmes de l'le et dcide de rester Palenne. De l, il crit son frre en Egypte, pour le convaincre de venir le rejoindre:"...Si tu fais le projet de dmnager, le mieux est de venir en Sicile (ou Palerme),parce que les pices d'Orient se vendent bien ici. Ce serait bien pour le plaisir et pourles affaires. Nous nous soutiendrions pour lever le prestige de notre famille et serionsheureux ensernble"(1).

    Il semble que les juifs aient maintenu leurs relations de part et d'autre de laMditerrane pendant plusieurs sicles sans solution de continuit. nsemble mme quela communaut sicilienne ait bnfici d'apports renouvels de sang neuf enprovenance de Thnisie, de Libye et du reste de la Mditerrane musulmane. C'est peut-tre ce qui explique qu'ils aient continu crire en judo-ai'abe et conserv deshabitudes culturelles caractristique de la Mdite~musulmane. L'immigration, un moment donn du xne sicle. de juifs de Jerba Palerme, offre un autre exemple deces changes. Jerba a alors t pour un moment sous domination normande.(8) Cetteespce de nomadisme montre que les juifs mditerranens de l'poque n'taient pas trsaccrochs ce que nous appellerions de manire anachronique une quelconque"citoyennet"..

    (6) GoItein, ~1'$, p. 206.(1) Ooitein, Lene1'$, p. 326-(8) Sur le~ de juifs de Djerba pour Palenne, voir R. StI'llUII. m. J_n im KiJIIl,reich

    SitiliMt UlWr Normtmen lINl SD(mt, HeicIeIJerI, 1910, p. 109; pour des exemples de mipation vera laSicile de juifs d'autres J6Iions de la~ daeienne (Italie et C8taIope notamment), Henri Breac.Un morttkMIi~ EcottotrWsociIIIfiII SIcIle lJOO.I45O, &ole PranaiIe de Rome, 1986,11. p.630. Autres cas d'6tabliaement de juifs en Sicile clins C8mbricJ1eUnivenity UbIwt, T.S. Misc. Box 28folio, Ietbe de 1176 COI'" de l'IOI11InuIea r..... lla Sicile et l des lIl8I'ChaDarrivant en Sicileou en partant, en relation avec:: le comrnc:r avec:: l'Inde. Recto, lignes I.rq. de ce docu1nent dit ceci:"MansOr et AbQ al'l1z et tout un poupe de juifs se llOIll rendus en Sicile, tell que Ibnm-Harish et d'autresdont je voua ai dejl entftlt8lU, lIinai que delc:1if1icu1* qu'ils cd idfroI..." La liane 17 6voque auui lemaitre de la Sicile -~~

  • 18 ABRAHAM L. UDOVITCH

    magistralement montr, formaient "une socit mditerranenne". Il est vrai, en effet,que beaucoup de musulmans ont migr de Sicile dans le demi-sicle qui a suivil'tablissement de la domination nonnande. Mais il vaut la peine de voir de prs le casdes juifs, qui forment un exemple (une des multiples possibilits) des effets que produitun changement politique radical sur la vie d'une communaut.

    La correspondance de la deuxime moiti du XIe sicle montre que les changescommerciaux continuent normalement, mme dans les annes soixante, soixante-dix etquatre-vingts du sicle, qui cOlTeSpondent aux affrontements et l'instabilit lis laconqute normande. Il arrive que telle bataille perturbe les chargements etdchargements de navires, mais ces interruptions durent peu: quelques semaines, ou aupire, quelques mois. En tout cas, il n'y a pas de rupture des changes. Chaque situationreste spcifique, ponctuelle(3). Le rseau de marchands juifs qui assuraient lecommerce de la Sicile avec le reste de la Mditerrane ne manifeste pas de signes dedsintgration sous l'effet des vnements militaires et politiques. Cette situationcontinuera, dans une large mesure, tout au long du xne sicle et pour une grande partiedu xme. Le dclin apparent du volume des changes commerciaux et maritimes entrela Sicile d'une part, et l'Afrique du Nord et l'Egypte d'autre part, semble tenir moins l'appartenance religieuse des maitres de la Sicile qu' des changements pls gnrauxdans les courants du grand commerce international. Un processus plus gnral voitreculer les hommes d'affaires juifs - et du reste, musulmans - dans le commercemditerranen alors en expansion. Une tude encore indite d'Olivia Remie Constablemontre que ces changements dans la gographie commerciale de la Mditerrane sefont au profit des hommes d'affaires italiens ds les xne et xme sicles, aux dpensdes marchands juifs et musulmans(4).

    Mais cette rduction de leurs activits ne change pas la nature des relations queles juifs entretiennent avec leurs coreligionnaires d'Egypte et d'Afrique du Nord. Vers1150, Abraham b. Yij, n Thnis, qui a pass plusieurs annes en Inde et y a faitfortune, crit d'Aden son frre et sa famille qui avaient quitt la Thnisie pour laSicile, et plus exactement Mazara. La lettre est adresse son frre. C'est, commetoujours, la fois une lettre prive, personnelle et d'affaires. Il donne des dtails surl'envoi de balles de poivre et d'autres marchandises pour l'Egypte. Il demande sonneveu de venir en Egypte pour s'occuper de ses affaires - ce qui confirme la facilit desdplacements entre la Sicile et l'Egypte. IbnYijO en profite pour voquer le problmedu mariage de sa fille, qu'il souhaite vivement donner un fils soit de son frre soit desa sur. Ceci confirme galement ce que nous verrons plus loin: que les frontirespolitiques n'empchent pas le maintien de liens familiaux et communautaires.(S)

    (3) Voir Cambridge University Library, Taylor Schechter Collection (dsonnais T.S.) Mise. Box8, f. 103 pour les annes 1060, et' 1corpus de documents sur Nahray pour d'autres exemples.

    (4) Voir son article "Qenea and Spain in the Twelfth and Thineenth Centuries: Notarial Evidencefor a Shift in Patterns ofTrade", TIu1 Journal ofEuropean Economie History, vol. 19 (1990), pp. 63S-6S6.

    (S) Cambridge University Library, T.S. 12 folio 337; sn. Goitein, Letters ofMedieval JewishTmders, Princeton University Press. 1973. pp. 201-206.

  • JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX XIeXIIIe SICLES 21

    ll.4. Contexte politique et militaireParadoxalement, l'action politique et militaire vigoureuse des princes nonnands a

    fourni un contexte favorable la persistance de certains traits arabo-musulmans de laculture sicilienne du XIIe sicle. Cette politique active, surtout en direction de l'Afriquedu Nord. est une des composantes essentielles de ce que David Abulafia appellel'''hritage nonnand" de FIdric n. Jusque vers 1160, la prsence nonnande est fortedans les vnements qui affectent la partie littorale de la Thnisie. "Roger fi, lanantd'abord une expdition en Afrique du ,Nord l'appel des mirs africains, se constIUitpour lui-mme un petit empire aficain qui englobe Mahdia, point d'arrive descaravanes ge l'or, et Tripoli".(13) fis interviennent, qu'on les y appelle ou non, dans lesaffaires des villes de la cte; ou bien ils en prennent le contrle, ou bien ils viennent enaide une faction contre une autre. Avec l'ascension des Almohades, leur prsencepolitique et militaire directe en Afrique du Nord recule, mais une forte relationconomique lui fait suite. Et surtout, pour citer encore Abulafia, "l'important est que lesrois de Sicile, mme au x:me sicle, ont continu s'intresser de prs aux affaires del'Afrique du Nord".(14)

    La prsence et le contrle intermittent des Nonnands sur une grande partie dulittoral ifriqyien. avec certains des ports les plus actifs, ont certainement facilit lesdplacements entre les deux pays. Ce fut certainement le cas quand les Normands ontt matres de ces rgions entre les annes 1130 et 1140. A certains gards, ilsreproduisaient la situation militaire et politique du milieu du XIe sicle. C'est dans ccontexte qu'on peut comprendre comment la famille dThn yti traverse le dtroit sanstrop de mal vers 1150, s'installe en Sicile, et continue d'avoir des relations familiales etd'affaires avec l'Egypte comme auparavant.

    Les rapports militaires et politiques et la prsence nonnande en Afrique du Nordont dft, jusqu' un certain point, facilit le dplacement des musulmans vers la Sicile.TIs ne devaient pas tre nombreux. mais ils ont cro y nourrir la culture arabe et soutenirla vie religieuse.

    n.s. Echanges konomiquesLes intrts politiques s'accompagnaient d'changes conomiques importants.

    C'est ce que soulignait en particulier le voyageur et gographe arabe du xne sicle. IbnJubayr. fi se trouve Trapani en 1184-85, et observe que la navigation entre ce port etThis est active jour et nuit, et qu'elle ne s'interrompt que si les vents sont vraimentcontraire.(15)

    Le C011llllel mditemmen de la Sicile allait bien au-del des ctes tunisiennes.Un document judiciaire en provenance de Fustat et datant du XIlle sicle a t trouv

    (13) David Abulafia, Frederlc Il. p. S9.(14) Abulafia, op. cil.. p. 60.OS) Cit par E. Ashtar. 'The Jews ofTrapeni in the Later Middle Ages." Studi MedievaJi. XXV

    (1984), p. 2.

  • 20 ABRAHAM L. UDOVITCH

    ill.2. Les musulmansOr c'est peut-tre ce qui se produit galement pour les musulmans, quoique leurs

    conditions dmographiques et politiques soient trs diffrentes. Tous les chercheurssupposent qu'une puissante migration des musulmans a suivi la conqute de la Sicilepar les Normands. Un historien qui fait autorit parle de 50.000 dparts dans le demi-sicle qui suit la conqute, et d'un mouveme~t qui reste considrable aprs, au cours duXIIe sicle. David Abulafia voque "un dclin rapide de la population musulmanependant cette priode".(9) Malgr cela, il estime qu'au milieu du XIIe sicle, la moitide la population de l'le est encore forme de musulmans.

    Beaucoup s'en vont, mais il y a aussi un mouvement en sens inverse. Plus d'unsicle aprs la conqute normande, l'immigration en Sicile, en provenance d'Afrique duNord, tait encore possible. Si on rassemble tous les lments d'information pars, onvoit que les dplacements de musulmans entre la Sicile, l'Egypte et l'Afrique du Nordne recontraient pas d'obstacles insurmontables et que la vie des communautsmusulmanes sur l'le a continu, dans des conditions comparables celles des juifs. Parexemple, on voit le juge et pote Ibn Qalaqis sjourner en Sicile la fin des annes1160 et il compose plusieurs pomes pendant ce sjour.(10) D'ailleurs, le fait quebeaucoup de posie arabe voit le jour en Sicile au cours du XIIe sicle semblecontredire l'apprciation de chercheurs (comme Gabrieli) qui parlentd'appauvrissement spirituel et social de la population musulmane de Sicile. Commel'indique S.M. Stem, "nous connaissons le nom d'un nombre considrable de potesarabes qui vivaient en Sicile sous les Normands, et des chantillons de leur uvre noussont parVenus. Nous sont mme parvenus des fragments de qasida-s composes enloge aux rois normands par des potes comme Abu'l-daw Sarraj b. Abmad, 'Abd ar-Rahman de Butera, Abu I:Iafs 'Umar b. al-I:Iasan, Ibn Bashrun, et 'Abd ar-Rahman b.Ramadan."(1l) Les collections de fatwas - consultations juridiques - comme celles duMi'yar d'al-Wansharisi tmoignent encore de la continuit de cette vie et de ceschanges au XIIe sicle. On y trouve des rfrences nombreuses des pres ou desmaris qui quittent la Thnisie et disparaissent en Sicile pour de longues priodes. Etn'oublions pas que le leader de la dernire rvolte des musulmans de Sicile contreFrdric II, Ibn a-'Abbad, tait lui-mme un immigrant. Ainsi, en dpit deschangements politiques et religieux, l'le ne s'est pas ferme aux potes arabes, auxcadis musulmans, aux maris fugitifs ni aux ventuels rebelles'(12)

    (9) David Abulafia, FfWkrix Il: A Medieval Emperor, p. 40 et passim.(10) s.muel M. Stem, "A Twelfth Century Circle of Hebrew Poets in Sicily - Anatoly ben Yosef

    the Judge and his Friends." Journtll ofJewish Studies, vol. V, p. 61; citant Amari, Storia dei musulmani diSicilia, 2e 6dition, vol. III, pp. 788-790.

    (lI) Stem, "A Twelfth Century...", op. cit., p. 61, citant Amari, Storia, lU, 760-791. Voir~galement Ihsan 'Abbas, al~mbfi siqilliyya (Les Arabes en Sicile), Beyrouth, 1976.

    (12) AI-Wanshadsi, Mi'yar, Beyrouth, 1981, vol. III, pp. 311-314; F. Gabrieli, "Frederick II andMOllem Culture," FAst and West, Rome. Instituto italiano pel' il Medio ed Estremo Oriente, 19S8, pp. S3-61: E. Lvi-Provenal, "Une h&one de la rsistance musulmane en Sicile au ~but du XIIIe sicle",Oriente Maderno, Vol. 34 (1954), pp. 283288.

  • JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX Xie_XIIIe SICLES 23

    excuse suffisante -'udhr- pour lever cet interdit n compare la dignit - Qurma - d'unmusulman l'inviolabilit du barntn des villes saintes de La Mecque et Mdine. Demme qu'on ne saurait toucher leur inviolabilit mme pour des besoins de premirencessit par la prsence d'Infidles, de mme, la dignit des musulmans ne saurait trecompromise pour des raisons alimentaires. Un autre mufti ratifie cette argumentation etsa conclusion. n s'agit' de Abd al-l:Imid ~-Sai'gh, quiajoute un autre argumentintressant Acheter des produits alimentaires aux Infidles, c'est leur livrer de l'argenten grande quantit. c:piils utiliseront ensuite pour faire la guerre aux musulmans etrazzier leurs villes.

    En dptt du ton extrmement polmique de ces consultations, ce qu'elles nousdisent, c'est qu'aux XIIe et xme sicles. l'Afrique du Nord. et surtout la Thnisie.importaient des quantit6s considrables de bls; que la Sicile continuait assurerl'approvisionnement d'une grande partie de la Mditerrane du Sud; que diversmarchands taient engags dans ce commerce; et qu'enfin. il y avait parmi eux ceuxque le texte appelle des marchands lettrs. connaisseurs du Coran. d'incorruptil:llesmusulmans.

    A la fin, il semble que le besoin imprieux en produits alimentaires enprovenance de Sicile ait fait pencher l'opinion des juristes vers une position moinsrigide. Ce compromis s'exprime dans la maxime: "wa-t;l-larara tanqul al-a1)kam 'an

    ~uliM". la ncessit6 peut sparer les dispositions lgales de leurs sources.(8)

    m. LES JUIFS DE SICILE AUX XIe ET XIIe SCLES; LEUR HORIZONCULTUREL ET SOCIALLa facilit relative avec laqueUe les juifs de Sicile pouvaient voyager aux XIe et

    XIIe sicles. se dplacer sur le pourtour de la Mditerrane. s'tablir dans divers lieuxet y travai11er. a eu des consquences extrmement intressantes sur leur viepersonnelle et communautaire. La Gniza nous livre des donnes trs vivantes cetgard, qui nous clairent sur les aspects pratiques de l'appartenance des ensemblespolitiques distincts.

    IILI. Aryeh ben Judah est un homme de Palerme de la fin du XIe sicle et dudbut du XIP. npasse une partie de sa vie dans la capitale gyptienne. o il pousenon pas une mais deux femmes du Caire. En janvier 1095. sa deuxime pouse refusede le suivre dans son voyage de retour en Sicile nonnande. L'affaire vient devant letribunal rabbinique de Fustal, et il est 00H16 de rpudier cette pouse. de lui restituer lapartie du mobilier domestique qu'elle a contribu amasser; quant elle. elle devait luirendre les dix dinars qui fonnaient le premier versement du cadeau de mariage de sonmari.(19) Ce cas dmontre. entre autres choses, quel point il tait facile pour les juifs

    (18) ce cas fascinant est discut dans AI-Wanshalfsf. M;~,,(Beyroutb, 1981), vol. VI, p. 306and pp. 317 sq. Voir aussi vol. vm pp. 182-183.

    (19) Cambridge University Ubrary, T.S. 8 J S, folio 16; Ooitein, AM~ Society, vol.III, p. 177.

  • 22 ABRAHAM L. UDOVITCH

    dans la gniza. Il y est question d'un certain Faraj al-Kohen, "ahad al-tujjar a$-$iqTlliyn al-mutaradidn Ua al-thaghr" un des marchands siciliens qui faitrgulirement l'aller-retour entre la Sicile et Alexandrie.(16) On voit donc que l'axecommercial entre ces deux lieux est actif, et qu'il y a des hommes d'affaires spcialissdans ce commerce. Le fait qu'ils forment une catgorie spare et, l'occasion,soumise des rglements spciaux, est confirm par un passage d'un trait du xnesicle, celui d'al-Maghzom. Ce trait sur l'impt agraire, Kitb al-minhiijfi 'ilm kharjmisr, contient un bref passage assez nigmatique o il fait rfrence aux tujjar a$-$iqilliyin, les marchands siciliens, qui sont actifs dans les campagnes gyptiennes et surlesquels les impts sont prlevs suivant un taux particulier.(17) Le trait en question nesignale aucun autre groupe de marchands dsign par une origine ethnique ougographique. Ce qui marque l'importance toute particulire de ce groupe de Siciliens,et confirme la pennanence des relations commerciales tablies depuis longtemps.

    Plusieurs sicles aprs la conqute normande, la Sicile a continu servir degrenier bl pour la Tunisie et d'autres parties de l'Afrique du Nord. Les sourcesarabes, et notamment la littrature juridique, suggrent qu'un commerce alimentairea~tif et vari reliait les deux rives de la Mditerrane. C'est justement ce commerce quipose quelques problmes de droit religieux. Une des questions que les juristesmalkites ont eues rsoudre est celle-ci: tait-il licite, pour des musulmans, de serendre de Tunisie en Sicile chrtienne munis de dinars d'or pour acqurir des denresalimentaires de grande ncessit (aqwt, grains, farine). Selon un juriste, si ce voyageplace le musulman sous la domination - fOt-elle provisoire - des Infidles, il ne doit pasavoir lieu. Or le voyage en Sicile plaait en effet les marchands musulmans dans cettesituation. Ils devaient, leur arrive, donner leurs dinars murbiriou rrbuls l'hteldes monnaies local. On y ajoutait alors un poids d'argent gal au quart du poids de cespices, pour qu'elles soient du mme titre que les pices locales, on les convertissant enrub'iyya, et le fonctionnaire charg de l'opration gardait ainsi l'excdent d'or qui enrsultait.

    Du point de vue du droit musulman, cette opration est plus que discutable. Ellene porte pas seulement atteinte l'orgueil des musulmans, mais elle transgresse desinterdits trs stricts concernant l'usure, rib. On nous dit qu'un sultan dont le nom n'estpas prcis convoqua tous les muftis de son royaume pour traiter de cette question, etpour recueillir leur opinion. Or, le besoin de bl de Sicile tait si fort, que souleverseulement -le problme cra une consternation gnrale. Et l'auteur nous rapporte alorssa propre augmentation, qu'il dfendit devant les muftis branls. Il n'tait pas permisd'aller en Sicile; mme les aliments de premire ncessit ne fournissaient pas une

    (16) Cambridge University Library, T.S. Additional Series 147, folio 24; cf. galement S.D.Goitein, A Mediterranean Society: The Jewish Communities of the Arab World as Portrayed in theDocuments ofthe Cairo Genit.a, University ofCalifornia Press, 1983, voL IV, p. 251.

    (17) AbO al-l:lasan 'AlJ b. 'UthmAn alMakhzom. Kitlb al.minlalj fi 'ilm /ch'ilj mi.r;r. ditionpartielle pr6pare par CI. Callen et YusufRagib, Le Caire, 1986, p. 9.

  • JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX XJC-xme SICLES 2S

    connaissance des langues et peut-tre de son exprience de la vie en Chrtient. Et c'estpeut-tre un personnage de ce type qui servit quatre-vingts ans plus tard commetraducteur dans les changes entre Frdric net le sultan ayyubide al-Malik al-Kmil.

    ID.3. L'horizon lturelSuivons maintenant l'itinraire d'Anatoli de Marseille qui, 40 ans de distance,

    reproduit dans le domaine culturel et littraire la carrire de Joseph le Sicilien.Anatoli, fils de Joseph le Dayyin, le juge, nait Marseille vers 1150 et meurt en

    Egypte vers 1220 aprs avoir exerc les fonctions de dayyan en Alexandrie. EnEgypte, il-a t le contempomin - quoique moins g - de Marnonide avec lequel il achang des lettres qui nous sont parvenues. Grce aux documents de la Gniza duCaire conservs dans la ~llectionFU'kowicz de Lningrad, nous savons aussi qu'il taitun pote accompli. Or, pratiquement toute sa production littraire est le rsultat de sonsjour en Sicile. Sa carrire dans le domaine religieux et communautaire comme dansle domaine esthtique appartient typiquement au modle de l'homme mditelT811en,comme tous ces juifs arabophones de Sicile dont nous trouvons les traces dans lesarchives de la gniza du Caire.(22) .

    Anatoli tait arriv Palerme aux environs de 1170, sans doute alors qu'il serendait en Egypte. TI resta dix ans en Sicile, frquentant les notables et les lettrs descommunauts juives installes tout autour de l'ile. Son diwan, ou collection de pomes,a t runi en Egypte et rassemble non seulement ses pomes avec notes etcommentaires en jud

  • 24 ABRAHAM L. UDOVITCH

    de faire des allers-retours entre des territoires soumis la loi chrtienne et d'autressoumis l'Islam, et mme de dplacer des pouses d'un territoire l'autre.(20)

    m.2. Environ cinquante ans plus tard, au cours de l'hiver 1140, Abu Ya'qubJoseph ha-Kohen, fils sicilien du rabbin Mose, demande au tribunal religieux de Fustateh Egypte l'autorisation d'pouser une femme du lieu.(21) Le contexte de cette demandeest fascinant. Ce Joseph ha-Cohen le Sicilien s'tait dj mari une femme juive deDamas. Or il avait t nomm un poste gouvernemental en Egypte, et les autoritsexigeaient qu'il vint avec sa femme ou qu'il se marit sur place. Apparemment, l'pousedamascne avait refus de le suivre. Il demandait donc l'autorisatio~ de prendre femmeau Caire.

    Cet homme tait certainement n en Sicile chrtienne au dbut du xne sicle. Ildevait connaitre la langue latine locale de la Sicile de temps. Mais sa languematernelle, et toute sa culture taient arabes. Nous ne savons pas quand il s'installe enterre d'Islam, mais c'est l qu'il trouve une position sociale et une ou plusieurs pouses.L'horizon de sa vie prive et de ses activits dpasse largement les limites de son lenatale; il comprend la Syrie, l'Egypte et jusqu' la 1\misie.

    La juridiction dont relve une grande partie de la vie de notre Joseph a aussi desdimensions mditerranennes. C'est le tribunal rabbinique du Vieux Caire (Fustat), quidonne une recommandation la demande de Joseph le Sicilien, concernant une femmede Damas, et en raison du fait que Joseph a un emploi dans l'administration fatimided'Egypte. De quelle ville, de quel Etat, Joseph est-il le citoyen? A quelle autorit est-ilcens obir? Nous n'avons pas de rponse, mais nous voyons quel point la vie d'unjuif des XIe, xne et XIIIe sicles pouvait avoir des dimensions mditerranennes. Lesjuifs se dplaaient entre territoires chrtiens et musulmans, pensaient et crivaient enarabe, relevaient de juridictions diverses mais jouissaient d'une certaine autonomiecommunautaire; ils n'avaient aucun pouvoir politique, mais une certaine libertd'action.

    On ne sait pas grand-chose d'autre de ce Joseph le Sicilien. Mais il y a encoredeux dtails significatifs dans le document de 23 lignes qui rapporte son cas. Toutd'abord, qu'il tait plutt riche, puisqu'il tait en mesure de payer sa sommeconsidrable de "cinquante dinars gyptiens entiers", qui reprsentaient ce qu'il luirestait payer sa femme damascne. Le deuxime dtail est qu'on l'appelle, dans ledocument, "notre maitre Joseph le drogman", donc l'interprte: il devait donc avoirobtenu le poste de traducteur officiel dans la diplomatie gyptienne, du fait de sa

    (20) Sur les relations familiales transmditerranennes entre la Sicile musulmane et l'Egypte.l'Afrique du Nord ou l'Espagne, M. GH, "The Jews in Sicily under Muslim Rule in the Light of the GenizaDocuments:' Italia Judaica, Rome. 1983. pp. 9293. Oil souligne galement les relations communautairesqui relient les juifs de Sicile ceux de Tunisie et surtout d'Egypte au cours des dcennies qui prcdent lesNormands. Ainsi. les pratiques que nous observons dans tous les domaines jusqu'au xme sicle au moinstrouvent leur origine dans la priode musulmane et le contexte culturel de la Mditemme musulmane.

    (21) Cambridge University Library, T.S. 13 J 2. folio 25; Goiten. AMediterranean Society, vol. 1.p. 68, et vol. III, p. 148.

  • JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX X~_Xllle SICLES 27

    IV. LA LANGUE ET LES PRtNOMS"Ce qui est arriv aux juifs de l'ensemble de la Sicile est remarquable. Ds ne

    parlent ni l'italien ni le grec, langues parles par les gens auprs de qui ils vivent. maisde plus ils ont prserv la langue arabe qu'ils ont apprise autrefois quand les Ismalienstaient installs J",(27) .

    Ce texte sur la situation linguistique en Sicile vers J300 est du fameux cabbalisteet personnage messianique Abraham AbuJafia. De fait. la langue arabe en Sicile a unehistoire assez remarquable. Au XIe sicle, une grande partie de l'De est arabise. A lafin du XVe, l'arabe a t limin et n'a plus laiss que quelques traces linguistiques.C'est en teut cas la conclusion d'Henri Bresc, qui considre l'migration massivecomme le facteur dcisif de ce recul.(28) L'arabe perd son monopole aprs la conqutenonnande, mais il continue d'tre la langue de la population musulmane jusqu' ce queFrdric la dporte en 1223. L'arabe tait aussi rest une des langues utilises dansl'administration. Et il persista dans la communaut juive jusqu' son expulsion au xvesicle.

    Les juifs de Sicile utilisaient la fin du xne sicle un dialecte maghrbin. SelonJohn Wansbrough, "l'arabe que parlent les juifs siciliens (et sans doute leurs voisinsmusulmans) appartient au groupe dialectal maghrbin".(29) Ces affinits linguistiquesconcordent assez bien avec d'autres traits culturek et sociaux que nous avons signals.Elles forment un autre lment de pennanence, plusieurs sicles aprs la fin de ladomination musulmane en Sicile, de modles et de pratiques culturels etcommunautaires, chez les juifs et chez les musulmans; ces modles et pratiques oubien taient le prolongement de leur prsence antrieure, ou bien taient une extensiondes modles et des pratiques des communauts nord-africaines avec lesquelles ilsconservaient des contacts troits.(30)

    Une tude rcente, due Hiroshi Thbyama, montre avec fon:e, la permanencede l'arabe comme langue administrative, utilise par les scribes musulmans qui sontrests sur place, mais galement par des scribes et administrateurs chrtiens et

    (27) Remarque d'Abraham Abilafta [ca.I300} la fin du 13e sicle cite plU' Moritz Steinscneider."Inttoductioo 10 the Arabie: UtenIlUI'e of the Jews." Jewish Quanely Rmew. vol. X (1898); p. 129. Latradudi d'Abulafia est empnmre C. Roth. "Jewisb lntel1ectuallife...". op. cil. p. 319.

    (28) Henri Bresc. op. ciL. vol U. pp. S81S82.(29) John Wansbrouah. "A Judaeo-Arabic Document From Sicy." BSOAS, XXX (1967). p. 306.(30) Comme pour d'autres secteurs de la vie socla1e et culturelle. 00 observe, dans les usaaes

    linguistiques, une certaine porosiI des frontires qui sparent les diverses communauts rdisfeuses et unhentail assez larle d'6c:hanles tant dans le royaume de Sicile que dans la M6diterraMe plus

    ~Sur la persistance et le r6le de rarabe. exlleot dveloppenlellt dans H. Bresc. .. ciL. vol. II, pp.

    S83sq.Sur les int1uens nord-africaines voir. ent lIItreS, C. Roth. "Jewish InteDectueI ure". op. cit. p.

    319. note 8. .

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    1065 environ, un homme d'affaires tunisien qui rside en Alexandrie s'adresse unconfrre de Fustat:

    "Les nouvelles de Sicile sont trs mauvaises. L'ennemi gagne du terrain et lesmusulmans ne tiennent plus que Palerme, Mazar et Qasrini. Les gens s'enfuientvers la terre fenne...".(24)

    Pour l'auteur de cette lettre, les Chrtiens sont l'ennemi, et il dclare avec quelqueregret, que les Musulmans reculent. TI manifeste une sorte de patriotisme musulman etune certaine identification avec l'espace politique musulman.

    Du point de vue culturel, sinon politique, cette identification, et cette perceptionde soi comme appartenant la civilisation islamique a continu chez les juifs de Sicile,au moins jusqu' l'avnement de Frdric n. Leur activit littraire, les formes decivilit - comme la rdaction de pomes et de lettres crites dans une lgante proserythme - se conformaient au modle qui s'tait dvelopp dans l'Espagne musulmaneet de l, s'tait diffus dans l'ensemble du monde juif inscrit dans l'espace musulman.

    Le cercle d'Anatoli de Marseille manifeste les mmes traits mditerranens queles autres aspects de la vie juive dans la Sicile normande. On trouve dans ce cercleSamuel b. Menahem Nafusi de Palenne, mais d'origine libyenne; Samuel de Messine,Mose le hazzn, immigrant de Reggio de Calabre et Perahia ibn Khayr d'Alep. Cettesocit cosmopolite dont la Mditerrane tout entire formait l'horizon culturel a durjusqu'au xme et XIVe sicles. Abraham Abulafia, le fameux cabbaliste, s'installe enSicile et y crit une partie de ses traits. On trouve parmi ses amis et autour de lui desindividus dont le nom indique une origine marocaine, tunisienne ou levantine. Audbut du XIVe sicle, un pote Iithrgique Judah b. Joseph Sijilms (donc originaire deSijilmassa au sud du Maroc) est prsent et actif en Sicile.(25)

    Un fragment de document de la Gniza qui date de 1200-1225 environ, donccontemporain du rgne de Frdric n, porte sur un juif n en Sicile qui a t l'tudiantde Maimonide et qui, avec d'autres lettrs gyptiens, voudrait rentrer Messine pourenseigner et faire du commerce. Encore un exemple de cet change culturel qui, autemps de Frdric n, soutient l'ducation et la vie intellectuelle des juifs de Sicile, etqui maintient les liens avec la langue et la culture arabes.(26)

    (24) Voir Collection Mosseri, N L 130, lettre de MOsA b. Abi al-Hayy d'Alexandrie YOsuf b.MOsA Taherti, Fustat.

    (25) ecil Roth, "Jewish Intellectual Ufe in Medieval Sicily," Jewish Quarterly Review, vol.XLVII (l9S7), pp. 322-327; sur Abraham Abulafia, voir aussi G. Scholem, Major Trends in JewishMysticism, N.Y., 1974, pp. 120-14S.

    (26) Voir Cambridge University Library, T.S. 12. folio 428, circs 1200-125S. Pour d'autresrelations matrimoniales et de parenti avec l'Afrique du Nord et l'Egypte. H. Brese, Un mondemditerrtUJen, Il, pp. 630 and 684-685. L'auteur affinne, exemples l'appui, que, partir du Ile sicle,les juifs de Sicile maintiennent n,on seulement leur endogamie traditionnelle. mais encore leur pratique du"mariage arabe". avec une pr6frence pour J'union avec la cousine parallle patrilarrale". Si e'est le cas, onpeut en trouver une explication au moins partielle dans l'infusion continue d'immigrants juifs d'Afrique duNord, o prvalair ce modle d'alliance.

  • JUIFS ET MUSULMANS EN SICILE AUX XIeXlIle SICLES 29

    relations inter-religieuses sur le terrain, dans la vie quotidienne, quand on est loin desmacro-problmes de macro-politique.

    Pour revenir la communaut juive, elle continue utiliser le judo-arabependant quatre sicles. Evidemment, c'est une langue plus dynamique et plus rpandueau dbut de la priode qv' la fin. Au xve sicle, le dialete est encore courant, mais iln'est plus aussi largement rpandu ni compris. Mme si ce dialecte a chang - commeBresc et d'autres chercheurs l'ont justement soulign - il a continu fonctionnercomme une marque de distinction entre les juifs et les autres; c'est--dire, entre les juifset les chrtiens et les musulmans qui taient rests sur place.(33) Pour les chrtiens, quiparlaient grec et latin, la distinction tait videmment plus tranchante qu'elle ne l'avaitt entre juifs et musulmans arabophones du temps de la domination musulmane.

    Autre remarque sur la langue et le dialecte des juifs dans la Sicile chrtienne:d'un ct, la langue qu'ils utilisent entre eux et dans leurs documents les distinguent desNormands, des Souabes et des Siciliens chrtiens indignes, et mme des Musulma,nsde Sicile; mais leur fidlit au judo-arabe signifie en mme temps une certaineappartenance culturelle, une certaine relation au monde arabo-musulman des rivesmridionales de la Mditerrane; et aussi une certaine rsistance l'assimilation et l'acculturation en milieu chrtien.

    C'est ce qu'on observe aussi dans l'attribution des noms. C'est un sujet dont ledroit musulman traitait explicitement Les prnoms sont videmment des marqueurs del'identit individuelle; mais ils sont aussi des marqueurs de l'appartenancegographique, religieuse ou ethnique. En 1250,53% des prnoms juifs de Sicile sontarabes ou arabiss: le chiffre, comme Bresc le souligne, indique un degr levd'acculturation. Mais si on les regarde de plus prs, ces prnoms arabes sont, pourparaphraser Staline quand il voquait le ralisme socialiste, arabes de forme mais juifsde contenu: c'est--dire que la plupart sont exclusivement juifs; trs peu sont communsaux juifs et aux musulmans.(34) De nouveau, le choix du prnom sert marquer unedistinction irrfutable entre juifs, musulmans et chrtiens. Aussi, quand les juifs ontcommenc puiser dans un autre stock de prnoms, ils ont maintenu cette fronti Ireonomastique en passant de plus en plus des noms hbraques ou hbrass, maisrarement latiniss.

    (33) H. Bresc::, op. cil., U, pp. 628-629.(34) Voir le tableau qui rsume ces donns, in Bresc::, op. cit.. Il, p. 629. Quelques exemples de

    noms juifs-arabes: Farbnn. KhalfOn, MardOkh, l:Iayy, ete; pr6noms communs, MOSI, Ishaq, SuIaymAn,ete. Sur ce qu'en dit le droit musulman, Ibn Qayyim alJawziyya, Ab/c8m ahl adJa-dhimma, Beyrouth,1983, P. 768. S.O. Goirein traite 6galement de cette question dans "Niknames as Family Names." dansJournal of lM American Oriental Society, vol. 90 (1970), pp. 517-524; idem, A Medite1'1'l1lWQn Society,vol. l, pp. 357358; vol. Ill, pp. 6-14.

  • 28 ABRAHAM L. UDOVITCH

    bilingues.(31) Par exemple, au XIIe sicle, un certain Geoffroy est la tte d'un desdiwans centraux; les textes arabes le dsignent comme "le sheykh Geoffroy, $ll1)ibdiwan at-ta1)qiq al-ma'mur". Il pratique l'arabe et le latin. Il est charg de vrifier et detransposer les textes de l'arabe au latin. On ne sait pas quel effet ce bilinguisme a eu surles mentalits de ces chrtiens et de leur milieu. Il a pu crer chez eux l'impressionqu'ils appartenaient une tradition ou un univers plutt pluralistes.

    Mme les questions administratives relatives l'glise de Sicile au XIIe siclesont en arabe. Elles portent sur l'allocation de terres des paroisses et des monastres.Voici un passage pris dans l'tude de Takayama:

    "Nous savons par une jariJa du premier janvier 1145 qu'un conseil royal asig lorsque les moins de Catania sont venus Palerme pour faire renouvelerleur jarA'id, et que le roi a dcid de leur renouvellement aux conditionssuivantes:

    (en arabe) Si un vilain se trouve dans les jarA'id du diw;ln al-ma'mt2r. oudans les jarA'id des vassaux. ou dans d'autres jar4'id. l'glise doit faire uneexception".

    En dcembre 1149, le diwiIn at-ta1)qiq al-ma'mr reoit un ordre du roi pour qu'ilattribue aux moines de l'glise du Furfur une terre suffisante pour 4 attelages de bufset 120 mudda de semences de bl. Il ordonne aussi au 'amil de Yato, Ab at-Tayyib,de dlimiter cette terre dans le domaine royal de Yato avec l'aide de chrtiens deconfiance et se sheikhs musulmans. La terre choisie par Ab at-Tayyib dans le villagede Wazan fut concde aux moines de l'glise de Furfur dans les limites qu'il avaittraces et qui avaient t enregistres dans le daftar al-1)udd du diwan at-ta1)qiq al-ma'mr . Une copie en fut dlivre aux concessionnaires, et les sheikhs du dwn al-ma'mr. le qa'id Barnn et le scribe Uthman ont appos leur sceau.(32)

    On ne peut dmontrer plus vivement la prsence de la langue arabe et le rled'administrateurs musulmans dans la gestion d'affaires qui concernent la terre. Laconcession faite aux moines est rdige en arabe; les limites de leur terre, enregistresen arabe; et le document est authentifi par des sheikhs musulmans. Donc les expertsdu savoir pratique relatif aux problmes fonciers ou administratifs sont rests desmusulmans plus d'un sicle aprs la conqute normande. Des scribes et des 'amilsmusulmans ont continu exercer. Cet pisode mineur de 1149 nous en dit long sur les

    (31) Hiroshi Takayama, "The Financial and Administrative Organization of the NormanKingdom 'of Sicily," dans VIA TOR, vol. 16 (1985), pp. 129-157. Les documents qu'il citecomprennent des listes de contribuables appels jarii'id, des actes de vente et de transmission, etc. duXIIe sicle, l'un d'entre eux portant la date tardive de 1182. Des documents encore plus tardifsexistent sans doute dans d'autres collections. Presque tous ses exemples sont emprunts SalvatoreCusa. 1 diplomi greci ed arabi di Sicilia pubblicali nel lesto original, 1 (palerme, 1868-1882). Surl'uvre de Cusa et la situation actuelle des documents sur lesquels il s'appuyait, l'exactitude de leurtranscription, etc., voir la longue note de John Wansbrough dans "A Judaeo-Arabic Document...", op.cit., p. 305, note 1.

    (32) Hiroshi Takayama, ''The Financia!...", op. cit., pp. 129-157.

  • HesprisTamuda, Vol. xxxvn (1999), pp. 31-47.

    POINT DE VUE SUR LA PERMANENCE ETL'EXTINCTION DE LA MINoRIT CHRTIENNE DANS

    L'OCCIDENT MUSULMAN MDIVAL(Maghreb et al-Andalus)

    JeanPlerre MOLNAT

    Parler de "la permanence et l'extinction de la minorit chrtienne dansl'Occident musulman mdival" constitue un thme qui n'est pas nouveau, et qui n'estpas non plus indiffrent. Beaucoup d'encre a t dpense depuis un sicle et demi ce sujet, pas toujours pour le meilleur. Et il est arriv d'excellents historiens de selaisser quelque peu entrainer dans leur dsir de rpondre aux excs de leursprdcesseurs.

    Le point de dpart de ma rflexion se situe dans un travail poursuivi durant desannes sur la ville de Tolde et ses campagnes postrieurement la conqutechrtienne de 478 911085(1). Cette recherche amenait notamment constater que laTolde chrtienne apparaissait beaucoup plus "arabise", au moinslinguistiquement

  • 30 ABRAHAM L. UDOVITCH

    Une fois encore, la langue, le dialecte, l'attribution des prnoms, nous permettentde voir l'uvre le style mditerranen des relations intercommunautaires. C'est unmodle qui a connu sa forme classique dans l'Islam mdival, mais on voit qu'il aencore dur plusieurs sicles dans la Sicile chrtienne.

    Abraham L. UDOVITCHUniversit de Princeton - U.S.A.

    ~I Jll/'"Y.--"il Pl 4f~ 0fl~ JU:i1 W :) JlAlI loU~~L..S" ~ ~ py.} J~I ~~ 0f 4J

  • LA MINORI' CHRl1ENNB DANS L'OCCIDENT MUSULMAN M>vAL 33

    l'autre ct du dtroit avaient choisi de rester, et de ne pas suivre Alphonse leBatailleur dans son repli vers l'Aragon, donc estimaient pouvoir continuer vivre sousle pouvoir almoravide. D'autre part, l'ami)' almuslimJh, avant de procder cettetransportation, avait consult lesfuqaJai(7). Donc les Almoravides ne remettaient pasen cause, et ne pouvaient le faire, le principe mme du statut de la dhimma.

    PERMANENCE DE LA MINoRIT cllRtTIENNEEn aI-AndaIusEn 1109, le prince norvgien Sigurd dcrit Lisbonne comme moiti chrtienne

    moiti paenne, c'est--dire musulmane

  • 32 JEAN-PIERRE MOLNAT

    islamique de la Pninsule en concomitance ave l'arrive des Almohades, phnomnecertes connu depuis longtemps, avait eu une tout autre ampleur que celle,gnralement minime, qu'on lui attribue dans l'ensemble(4). Il fallait donc poser leproblme du maintien jusqu'au milieu du VIeooe sicle de groupes chrtiens en al-Andalus, et de leur ventuelle disparition ultrieure, et l'largir l'ensemble del'Occident musulman, l'Ifriqiyya comprise.

    Je ne m'attarderai pas sur les tmoignages attestant de la permanence d'uneminorit chrtienne au Maghreb comme en al-Andalus jusqu'au veooe sicle, quel'on peut considrer comme bien tablie(5). Je ferai seulement quelques remarques ce sujet.

    La premire est que l'vident dclin numrique de cette minorit, au cours dessicles, n'est pas limit au Maghreb mais se produit galement dans la Pninsuleibrique. Si l'on a pu insister sur le rle de l'migration des chrtiens d'Afrique dans ledclin de leur communaut, l'argument vaudrait a fortiori pour les mozarabes d'al-Andalus, mme si le courant actuel des historiens espagnols tend plutt minimiserl'apport dmographique du Sud pninsulaire vers les terres lonaises aux IXe et xesicles. Quant la question du rle et du nombre des vques, ncessaires au maintiend'une vie chrtienne organise et reconnue par les autorits islamiques, on peutrappeler que certains auteurs actuels mettent en doute jusqu' l'existence d'vques, etdonc de fidles, dans la ville qui est considre comme le centre mozarabe parexcellence, Tolde, l'ancienne mtropole de l'glise wisigothique, durant une grandepartie des xe et XIe sicles(6).

    La seconde remarque porte sur la politique des Almoravides, que tout uncourant historiographique europen, depuis R. Dozy, attaque pour leur fanatisme etleur intolrance. Que les relations entre musulmans et chrtiens, spcialement dans laPninsule ibrique, soient devenues plus tendues avec l'arrive des MuJaththamn,rpondant la prise de Tolde par Alphonse VI (478H11085), est une vidence, demme que les mesures de rigueur prises par exemple par Ali b. Ysuf contre lesmozarabes de Grenade. Mais on observe d'abord que les gens qui furent transports de

    (4) On trouve un exemple de cette minimisation dans R. Pastor, Del Islam al Cristianismo.En la frontera de dos formaciones econOmico-sociales, Toledo siglos X-XIII, Barcelone, 1975, p.102.

    (5) On peut renvoyer sur ce sujet en dernier lieu aux articles de M. Talbi, "Le christianismemaghrbin, de la conqute musulmane sa disparition", dans Gervers (M.) et Bikhazi (R.J.) d.,Conversion and Continuity, Indigenous Christian Communities in Islamic lAnds, 8th-18th Centuries,Toronto, 1990, pp. 313-35l, et d'Ho Bresc.

    (6) M. de Bpalza et M,J. Rubiera, "Los cristianos toledanos bajo dominaci6n musulmana",Simposio Toledo Hispanodrabe (6-8 mayo 1982), Tolde, 1986, pp. 129-133. Pour ces auteurs, lesmozarabes prsents Tol~ en 1085 ont leur origine dans une immigration depuis l'Andalousie ou leNord chrtien durant le XIe sile. M. de Bpalza, "Falta de obispos y conversi6n al Islam de loscristianos de AI-ndalus", Al-Qantara 15 (1994), pp. 385-400, admet seulement la prsence dechrtiens "de tradition" Tolde, par manque d'vques, de baptme et de reconnaissance social deleur statut (p. 399).

  • LA MINORIT cHRTIENNE DANS L'OCCIDENT MUSULMAN MDIVAL 37

    dcd Damas en 748H11348(24), lequel rapporte les propos de Taj ad-Dn b.l;Iamya (ou Ibn l;Iamawayh), qui les aurait tenus du secrtaire de 'Abd al-M'minIbn 'Atiyya. La transmission de l'information peut paratre problmatique: on sedemandera en particulier comment Ibn l;Iamawayh, qui ne serait venu au Maghrebqu'en 593H11l96-97, et mourut en 65211254-55(25), a pu interroger (sa'ala) lesecrtaire Ibn 'Atiyy~ excut en 553/1158-59(26). .

    Mais la ralit de la politique de& Almohades sur ce point ne paraI"t pas pouvoirtre srieusement mise .en doute. Elle est, d'une part, atteste par des textes juifs, dontle plus connu est l'lgie du pote Abraham b. 'Ezra. se lamentant sur la destructiondes communauts juives d'al-Andalus et du Maghreb, o il cite les noms de Lucena,Sville, Cordoue. Jan, Malaga, Majorque pour l'Espagne, Sijilmasa, Fs, TIemcen,Ceuta, Mekns, pour le Maghreb

  • 36 JEAN-PIERRE MOLNAT

    Certes, l'affirmation, rpte depuis plus d'un sicle et demi(22), selon laquelle'Abd al-MO'min aurait proclam, aprs la prise de Marrakech, sa volont de ne voirque des musulmans dans ses tats, de faire procder la dmolition des glises et dessynagogues, et de ne laisser le choix aux chrtiens comme aux juifs qu'entre l'Islam etla mort, repose au premier chef sur une source que l'on pourrait suspecter, le texted'ad-Dhahabi publi par Munk en 1842:

    "Dhakara Taj ad-Din b. /:lamya anna-hu sa'ala Ibn 'Atiyya al-kiitib mil baluhadhihi al-bilad ya 'ni al-Maghrib laysa fi-ha ahad min ahl al-dhimma w(1-h /cana'iswa-la biya " fa-qala hadhihi ad-dawla qamat 'ala rahba wa-khushna wa-kiina al-Mahdi qad qala l-a$l)abihi inna ha'ula'i al-Mulaththamin mubtadi'a mujassimamushabbiha /cafara yajzu qatluhum wa-sabyu-hum ba'da an ta'arral 'ala al-imam.Fa-lammafu 'ila dhalik wa-stawl 'ala al-salatin ha 'da mawt al-Mahdi wa{atl) 'Abdial-M'min Marrakush al)/ara al-yahd wa-n-na$ara wa-qaia a-lastum qad ankartumya'nawa'ilu-kum ba'Lata annab(.... ) wa-nal)nu la nuqirru-kum 'ala kufri-kum wa-lala-na l)ajatun bi-jizydti-kumfa-imma al-islam aw al-qatl. Thumma ajjala-hum muddali-takhflf athqal-him wa-bayei amlaki-him wa-t-tarawwul) min biladi-hi. Fa-ammaa/ct.ar al-yal)d fa-inna-hum a+/lar al-islam baghtatan wa-aqam 'ala amwali-himwa-ll11'tJn8 an-na$ara fa-dakhal ila al-Andalus wa-lam yuslim min-hum illa alqallwa-kharibat al-/cana'is wa-s-$llwami' bi-jam' al-mamlaka fa-laysa fi-ha mushrik wal kiifir yata:tharu bi-kufri-hi U ba'd as-sittami'a wahuwa l)in intiqiili 'an al-Maghrib't(23).

    Lors d'une premire lecture de ce texte, effectue il y a quelques annes dj,mon attention avait t attire par le membre de phrase: "ba'da mawt al-Mahdi wa-fatl) 'Abd al-M'min Marrakush", qui runit deux vnements que dix-sept annessparaient, et je m'tonnais que le caractre un peu flou, du point de vuechronologique du rcit n'ait pas t relev. La relecture du texte, pratique pourprparer cette communication, m'a convaincu que la critique, sur ce point, tait malfonde, et que c'est assez naturellement que le texte passe ainsi de propos attribus Ibn TOmart l'action de son successeur en t t47. Il demeure nanmoins que l'attentioneQt pu tre attire par l'loignement gographique et chronologique de la source de cercit par rapport aux vnements rapports, puisqu'il s'agit de l'oriental adDhahabi,

    (22) La premire mention de cette affirmation s~ trouve dans Salomon. Munk. "Notice surJoseph ben-Iehouda ou Abo el-l:lajjAj Yosuf ibn-Ya!)ya esSabti al.Maghrib. disciple deMaimonide". Journal Asiatique (1842), pp. 5-70. spcialement pp. 42-45. Ensuite les auteurs rptentMunk. sans indiquer en g~n~ral leur source. ni celle de Munk. l'exception pourtant de R. Dozy(RecMrcMs. 3e ~d.. )881. t. ). p. 370). qui renvoie cet article en mme temps qu' la CronicaAde/onsi Intperatoris. dans l'~. Florez (ES. t. 2), chap. JOI), et l'exception de J.F.P. Hopkins,Medieval Muslim Government in Barbary untU tM sixth century o/the Hijra, Londres, 1958, p. 62.

    (23) S. Munk, art. cit., pp. 42-43. Le membre de phrase: "aprs la mort du Mahd' manquedans la traduction (p. 44).

  • LA MINORIT CHRTIENNE DANS L'OCCIDENT MUSULMAN MDIVAL 39

    wa.lamma istaqarra hadha alamr kharaja almukhaffOn wabaqiya man taqulazahru-hu wa-shahba bi-ahli-hi wa-malihi wa-tJ?itara alislam wa-asarra al-/cufr't(33).

    Mais les sources les moins contestables, par leur proximit chronologique etgographique, seraient constitues par les uvres d'Ibn Shaddd et de 'Abd a1-Wl)idal-Marrakushi. Le tI.rikh du premier, malheureusement perdu, est cit, explicitementau moins par le voyageur des premires annes du vmelXIVe sicle, at-lijni(34), etimplicitement par d'autres. Quant al-Marrkushi, qui crit en 621 Hl1224, aprsavoir attribu Ab Ysuf Ya'qb a1-Man~r, deuxime successeur dUAbd al-Mumin, l'ordre intim aux juifs habitant le Maghreb de se diffrencier du reste de lapopulation par une mise particulire, il ajoute que le statut de la dhimma n'est plusaccord aux juifs, ni aux chrtiens depuis l'tablissement du pouvoir des Masmuda-s,et qu'il n'existe ni synagogue ni glise dans tous les pays musulmans du Maghreb, lesjuifs professant extrieurement 11slam: "wa-lam tan 'aqid 'inda-na dhimmat li-yahodwa-la ~rani mundhu qama amr al-M~llmida wa-laJi jamr bilad al-muslimn bi-lMaghrib bia'un wa-la kansa innamA al-Yahad 'inda-na yU?hirna al.islam..." (35).

    L'expression utilise par 'Abd a1-Wl)id, "mundhu qama amr alM~amida",prsente l'intrt de pouvoir s'appliquer y compris un moment quelque peu antrieur la prise de Marrakech par les Almohades, en mars 1147, c'est--dire qu'en supposantque la date traditionnelle de la prise de Sville soit la bonne, juifs et chrtiens d'a1-Andalus pouvaient tre au courant ds janvier 1147, et mme auparavant, du sort quiles attendait, et avoir commenc migrer vers la valle du Thge. On pourrait ainsicomprendre que la politique de repeuplement d'Alphonse vn se manifeste ds lespremiers jours de mai 1146 par des concessions en faveur de personnages dont

    (33) l/chbilr aJ'uIoml' bio/chbllr al-bukomll'. d. Le Caire. 1326 HI [1908-09), p. 209. cipar Hasan 'Ali tiasan. AIba

  • 38 JEAN-PIERRE MOLNAT

    choisir entre la conversion 11s1am et la mort, et "une partie se fit musulman, et lereste fut excut" ('arada al-islmn 'ala man bi-ha min al-yahd wa-n-TUl$ara, fa-manaslama salima wa-man imtana'a qutila)(28), la mme objection d'loignementgographique, sinon chronologique, que nous venons d'adresser celui d'ad-Dhahab,si ce n'tait l'autorit de l'historien(29).

    An-Nuwayti, mort au Caire en 732 HlI332(30), en deux passages, fait allusion la politique de 'Abd al-Mo'min l'gard des chrtiens comme des juifs. Le premier,relatant la prise de Thois, est le mme texte que celui d'Ibn al-Athir, avec la phrase, peine modifie: "wa- 'ara/a al-islmn 'ala man bi-ha min al-yahd wa-n-TUl$ara, fa-man aslama salima wa-man aM qutila"(3I). Mais selon l'autre paSsage, de porte plusgnrale, 'Abd al-Mo'rilin, lorsqu'il se rendit maitre d'un pays musulman, n'y laissapas y demeurer un dhimmi, mais offrit une triple alternative, laissant outre laconversion et la mort, la possibilit du dpart vers le pays des chrtiens. Et ainsi tousles habitants de l'empire se trouvrent musulmans:"idha malaka badaJ'UI islamiyy'UJlam yatruk fi-hi dhimmiyya" illa 'ara(1a 'alay-hi al-islilm fa-man aslama salima wa-man ralaba al-mu/ya ila bilad an-TUl$ara udhina la-hu fi dhalik wa-man aba qutila.Fa-jami'u ahl mamlakati-hi muslmuna la-yukhalitu-hum siwa-hum'(32).

    De mme encore pour un autre texte oriental, celui d'al-Qifti, gyptien tabli Alep, mort en 646/1248: "wa-lamma nada 'Abd al-Ma'min b. Ailal-KamIal-Barbarial-mustawli 'ala al-Maghrib fi al-bilad allati mala/ca-ha bi-ikhraj al-yahd wa-n-na$ara min-ha wa-qaddara la-hum muddatan wa-sharara li-man aslama min-humbimawli'i-hi 'ala asbab irtizaqi-hi ma li-l-muslimin wa- 'alay-hi ma 'alay-him wa-man baqiya 'ala ra'y ahli millati-hi fa-imma an yakhruja qabla al-ajali alladhiajjala-hu wa-imma an-yakana ba 'da al-ajalfi hukm as-sulran mustahlak an-nafs wa-l-mal,

    (28) Ibn al-Athie, Kamil, t II, p.242; trad. Fagnan, Annales du Maghreb el de l'Espagne,Alger, 1901, p. 586: "Les juifs et les chrtieBS qui habitaient dans la ville eurent choisir entre laconversion fislamisme et la mort" [c'est toutl; extraits placs par De Slane en appendice sa trad.d'Ibn KhaldOn (Histoire des Berbres, t. 2, p. 590): "Les juifs et les chrtiens qui se trouvaient dans laville eurent le choix de l'islamisme ou de la mort; une partie se fit musulmane et le reste fut excut".

    (29) Lorsque Mohamed Talbi crit que l'imputation aux Almohades de la disparition duchristianisme africain "ne repose que sur un texte unique d'une ligne et demie -et qui ne concerne dureste que Tunis" ~ c'est--dire celui-ci - (art. cil., p. 328), il n'a sans doute en tte que la seuleIf1'iqiyaa. La question de la responsabilit unique ("c'est la faute aux Almohades") est autre chose.

    (30) 1. Kratschkowsky, "AI-Nuwayrr', Encyclopdie de l'/siom, le d., t. 3, pp. 1035a-I036b.(31) Nih4yat al-tUab, d. t,iusayn N~ar et 'Abd al-'Aziz al-Ahwllni. Le Caire, t. 24, 1403

    HlI983, p. 312; tradi M. Gaspar Remiro, Historia de los Musu.lmoJies de Espaifa YAfrica, Grenade,1917, t. 2, p. 223: "Abdelnuunell permaneciO ell T.mez tres dfas, ell que illvita a los judios ycristionos que en ellD moraban, a abrazar el i.sJamismo. Los que se somelierOll a hocer ID profeswlIdeJe musulmana, tuvieroll salva su vida: los~ rdusGroll abandonar su religiOn, Slj'r$roII peNJ deMuerte".

    (32) t,iasan 'An t,iasan, Albar)ara al-isl.miyya fi I-MaSlarib wa-l-Andalus. 'Mr al-Murlbilr;n wa-l-Muwabbidin, Le Caire, 1980, p. 368, avee la rf6ren: NiJasyot al-tUab. juz;' 22,mujallod 2, p. 98. Dans l'd. l;I. N~ar et 'A. 'A. al-Ahwllni, Le Caire, t. 24, 1403 HI1983, pp. 320-321.

  • LA'MINORIT CHRTIENNE DANS L'OCCIDENT MUSULMAN MDIVAL 41

    raction ces attaques venues du Nord. On trouve de fait Tolde, la fin du xnesicle et dans la premire moiti du XIlle, des chrtiens arabiss portant la nisba al-Gharb, qui semble dnoter une immigration depuis le Gharb al-AndaJuJ.4 l). Le transfertdes reliques du corps de Saint Vincent vers Lisbonne, ngoci en 1173 par AlphonseHenri avec l'Almobade Ab Ya'qb Ysuf(42), nous parat tmoigner plutt de ladisparition des communauts chrtiennes de l'Algrave, que de leur survie

  • 40 JEAN-PIERRE MOLNAT

    certains sont visiblement des mozarabes en provenance d'Andalousie, tel un Jean deSville (Juan Sibill) possessionn cette date dans la campagne toldane(36).

    Pass le milieu du XIIe sicle, plus prcisment aprs le sige de Lisbonne en1147, on ne trouve plus trace de mozarabes en al-Andalus. Ainsi la thse de laparticipation de mozarabes au soulvement de Grenade contre les Almohades en 557H/1l62 et de leur prsence dans la ville, aprs la dfaite d'Ibn Hamushk et larpression conscutive, comme "une petit~ troupe... accoutume depuis longtemps aumpris et l'humiliation(37) repose-t-elle sur la non-prise en compte, dans le texteutilis par Dozy, d'un membre de phrase comportant certes une faute, mais quiintroduit des juifs l o- le savant hollandais du sicle pass voulait voir deschrtiens(38).

    Il faudrait vrifier l'affmnation selon laquelle "certains passages d'Ibn Khaldn"montrent, au moins dans le Gharb al-Andalus, la prsence de communautsmozarabes, l'poque almohade, dans les villes, J'occasion des attaqueschrtiennes(39). Car l'on sait aussi que les habitants musulmans de Silves tuent IbnQas, en 546 Hl115l, Jorsque celui-ci tente de s'allier au premier souverain portugais,Alphonse Henri(4O). A plus forte raison, les chrtiens locaux ont-ils d souffrir de la

    (36) A. GonzaIez Palencia, Los Mozarabes de Toledo en los siglos XII y XlII, 4 vol., Madrid,1926-1930, volume prliminaire, p. 94. R. Pastor, Conflictos sociales y estancamiento econOmCo enla Espana medieval. Barcelone, 1973, fi. 234. J. Gonzalez, Repoblacion de Castilla la Nueva,Madrid, 1975, t. l, p. 216. F.J. Hemandez, Los Cartularios de Toledo. Madrid, 1985, n 54.

    (37) R. Dozy, Recherches sur l'histoire et la littrature des Arabes d'Espagne pendant leMoyen ge, 3e d., Leyde, 1881, t. l, pp. 364-388: "Sur ce qui passa Grenade en 1162", enparticulier p. 381, Appendice p. LXXVIII, et traduction p. 361.

    (38) Tant le texte publi en appendice par Dozy que la version dite par M.A. 'Inan (Al-lba{afiakhbilr GharnA{a, 2e d. rvise, Le Caire, 1973-1978, t. l, p. 114) de ce texte d'Ibn AI-Khatib, insre, entre le rcit de la dportation des chrtiens de Grenade en 1126 et celui du maintiende "plusieurs d'entre eux" dans la ville jusqu' la bataille dans laquelle ils furent extermins presquetous, un membre de phrase disant, semble-t-i1, qu'un groupe de juifs connut galement la dportation

    ,)~\.:r~ .~t.:r ps ~l.,plJ ,membredephrasenontraduitparDozyquileconsidrecomme altr, 'Inan se contentant pour lui de mettre un "sic" ~ . Il est donc permis decomprendre que ce que Dozy a attribu aux chrtiens de Grenade concerne en ralit les juifs.

    (39) Ch. Picard, "Les mozarabes dans l'Occident ibrique", p. 85, sans rfrence. Le mmeauteur ne reprend pas l'affirmation dans "Sanctuaires et plerinages chrtiens en terre musulmane:l'Occident de l'Andalus (Xe-XIIe sicle)", U8e Congrs national des Socits Savantes, Pau, 1993,pp. 235-247, et parle seulement "d'une communaut mozarabe, dans la rgion de l'Algarve etd'Huelva qui russit maintenir ses plerinages jusqu'au mimieu du XIIe sicle peut-tre jusqu' lareconqute" (pp. 246-247).

    (40) Ch. Picard, "Les mozarabes dans l'Occident ibrique", p. 86. V. Lagardre, "La tariqa etla rvolte des Muridun en 539 Wll44 en Andalus", Revue de l'Occident Musulman et de laMditerrane 35 (1983), pp. 157170, spcialement p. 161, n~te 32. A. Sidarus, "Novos dados sobreIbn Qasi de Silves e as taifas almorvidas no Gharb al-ndalus", 1Jornadas de Silves. Actas. Silves,1992, pp. 35-40. '!.'A.L. Dandash, AI-AndalusfinihAyat al-MurAbi{ih, wa-mustahall al-Muwabbidin.Beyrouth, 1988, p. 117. Ibn AI-Abbllr, al-IJulla, d. l;I. Mu'nis, t. 2, pp. 200,207. Ibn AI-Khatib,A'mal, d. Rabat, 1934, p. 289.

  • LA MINORIT cHRllENNB DANS L'OCCIDENT MUSULMAN MDvAL 43

    signals pour la seconde moiti du xne sicie

  • 42 JEAN-PIERRE MOLNAT

    "raisonnables", et respectant l"'autonomie religieuse" des populations(46). Cettedescription ne s'accorde gure avec ce que disent certains textes d'originemusulmane(47), peut-tre sujets caution, mais surtout avec le fait que la dominationnormande a d'abord t mise bas par la rvolte des populations locales, encommenant par celle de Sfax(48), faisant appel ensuite aux Almohades pour venir leur aide(49).

    Les traces d'une prsence chrtienne indigne au Maghreb aprs 1160 sont aussiinconsistantes qu'en al-Andalus(50). Ainsi, sur les deux exemples qui en ont t

    (46) Selon M. Brett, "Without any feudal settlement of baroniallandlords, as in Sicily, andwith fiscal demands initialy mild, the result would appear to have been a relatively benign regime,generally weIcorned by its new subjects after years of famine for the prosperity in brought throughtrade. Only the Djetbans seem to have suffered severely for their initial resistance to conquest in 528

    Hl1153~5 [sic], and for their subsequent premature rebellion in 54811153-4. Yet, after only twelveyears for the most part, the Norman empire was overthrown by those same subjects..." "Mus!imjustice under infidel ruel: The Norman in Ifriqiya 517-555H/I123-1160 AD", Cahiers de Tunisie33/155/156 (1991), Actes du Ve Congrs d'Histoire et de Civilisation du Maghreb (octobre 1989), LeMaghreb et les pays de la Mditerrane: changes et Contacts, pp. 325-368, spcialement pp. 333-334). A. Luttrell est moins nuanc: "La piraterie fut rprime et l'Afrique normande fut gouverneavec justice et soumise des textes raisonnables, sous une administration de grecs et de musulmanssiciliens; les Africains payrent tribut mais leur autonomie religieuse fut respecte" ("L'effritement del'Islam (1091-1282)"; pp. 49-61, dans Revue du Monde Musulman et de la Mditerrane 71 (1994, LeCarrefour maltais, spcialement p. 53. M. 'A. 'Iniln, Dawlat al-Islam fi al-Andalus, 3/1, 'A~r al-Murflbirin wa-bidyat ad-dawla al-Muwa/;Jbidiyya, 3e d., Le Caire, 1411 H/l990, p. 291: "wa-absana al-Faranj mU'ilmalata-hum".

    (47) Ibn Khaldtln. 'Ibar, d. partielle Amari, Bibliote

  • LA MINORIT CR11ENNE DANS L'OCCIDENT MUSULMAN MJIDlVAL 45

    exemple qu'Ibn 'Idhari, dans son rcit de la campagne de 'Abd al-Momin en Ifriqiyya,mentionne le sige de Mahdiyya et l'amin accord par le calife aux chrtiens, avecl'autorisation de partir, mais ne dise mot de la prise de Ttmis(63). Mais le plusrvlateur est, dans sa concision, le rcit d'al-Baydhaq, contemporain et compagnonde 'Abd al-Mo'min. qui parle seulement de la soumission de la population de Thnis etde celle du "Sicilien" et de sa flotte, pour Mahdiyya, aiilsi que de la pacification dupays(64). Si l'on ajoute cela le fait, qu'il n'existe pas, du mojns ma connaissance, detexte thorique almohade explicitant et justifiant la suppression du statut de ladhimma(65), l'impression qui se dgage est que cette suppression n'tait pas vraimentassume comme telle, mais plutt ressentie comme quelque chose de plus ou moinsblmable qu'il convenait de cacher, du moins relevait du non-dit.

    En conclusion, plusieurs points paraissent pouvoir tre dgags:- Le premier point est la survie, jusqu'au milieu du VIe/XIIe sicle, de

    communauts chrtiennes aussi bien au Maghreb qu'en" al-Andalus, aussi affaibliesqu'elles aient pu se trouver par l'avance du processus d'islamisation.

    - Le deuxime est,je ne dirai pas, pour tre prudent(66), la disparition absolue.mais le caractre bien plus hypothtique, de la survie d'un christianisme local, passles annes 1147-1160, en al-Andains cQmme au Maghreb.

    (63) AI-Bayan al-mughrib. Qism al-Muwabbiditl. d. Rabat-Beyrouth, 1985, p. 62: "bauilyassara Allilhfat1;Ja-hil 'alil $!db min an-na....ilrii wa-r.alaba al-khuraj bi-amiln il bikJi-himfa-mannaalay-him bi-murildi-him wa-aJchraja-hum min-ha wa-rahhara Allilh biha ~. lfrqiyyawa-z-Zilb,wa-takhallada la-hu 'inJa-hu jaziJ al-ajr wa-th-tlunvilb". Trad. Huici Miranda, Nuevos fragmenrosalmoravides y almohades. Valence, 1963, pp. 324-326: "hasta que Allahfadlita su conquista porcapitulaciOn de los cristianas, que pidieron salir con el aman hacia su pals. Les concedia 10 quepedlan y los sac6 de ella. limpiando Allah con ello la regwn de Ifriqiya Y el Zab. y se leconcedioanle Allah un gran premio y recompensa H Cf. un autre passage du Bayan, o Je sige de Tunis estmentionn sans plus. et la prise de Mahdiyya "par composition" (,..ulbun), d. Colin et Lvi-Provenal, L l, p. 316; trad. Fagnan,l l, pp. 476-477.

    (64) li Lvi-Provenal.Documenrs indits d'histoire alinoliade, texte p. 120; "/a.wabbatlaah! TilIs thumtna qilma min-hiJ wa nazaJa 'al al-Mahdiyya wa-kilna fi-hii ar-Rom fa-alchadl"lLl~Jl:lal-ha....,. wa-l-majlniq (...) wa-wabbada a.....$aqillbi-l-qarii'i' wa-mahhoda al/chaI1atilkiJ Cl/~biJikr:trad. pp. 200-201.

    (65) D. Urvoy parle certes d'une position doctrinale des Almohades sur la question, crivant:"Les Almohades leur tour joignent la perspective scuritaire l'aspect doctrinal: interdiction detoute autre. religion que l'Islam sur leurs possessio..sttllLes aspects symboliques du vocable"Mozarabes", essai de linterp~on", Studia Islamica 78 (1993),pp. 117-1S3, spcialemt:nt p~147). Mais, connaissant assurment mieux que nous les textes doctJinauxalmohades, il ne fait ~rfDce aucun 4'ent eux. mais seulement l'IU'tic:le de L. l'0rrs.BiI~, HMozarabias y ju4erfasde las ciudades bispanomusu1maJJas", dansal-Andalus,19. 1954). . "

    (66) Nous n'avons pu enCOre vrifier certaines rtfrences, comme celle faisant .&at de Japrsence d'un diacre Abu 'Omar "John" [sic] Fs en 1195 (H~ B~,. "Arabo.ristialls in'theWestern MediterraneanH p. ,32). Martin alFurkhani "serviteur de Sainte Marie", ptopri6taire. 0"copiste, d'un Psautier .traduit Ceuta/Sabta en 1239, paraft pluJOt mettre en ~pports ,avec lesmercenaires chrtiens, ou les missionnaires venus dans cette ville (li. Ferbat..$Pi~ desor~,~s aUX/~ s~cle, Rabat. 1993, p. 393. R Brese, lit supra). Pour Mllhaml:d C~, les cbrtiens,que'l'onrencontre Ceuta partir du XIIe sicle "n'ont rien de commun, ni par leur origine, ni par leur statut

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    qu'il y a bien son poque dans la rgion des descendants de chrtiens d'originetrangre tablis une poque antrieure sous le rgime de la dhimma, mais rien nepennet de dire qu'ils soient alors encore chrtiens. Et l'on pourrait s'tonner dans cecas qu'at-TIjan, crivant plus d'un demi-sicle avant Ibn Khaldn, et qui consacre unlong dveloppement, notamment historique, au Nefzaoua et au pays de Tozeur, qu'il aparcouru, ne dise mot de la prsence de ces supposs chrtiens payant lajizya(57). Ilparle seulement propos de Tozeur et de sa conqute par les musulmans du IerNllesicle, des glises chrtiennes, dont les ruines subsistent au moment o il crit, n'ayantpas t appropries par les conqurants qui construisirent une mosque en face dechaque glise "wa-amma ma yadullu 'ala anna-haftutibat $ul}jUI fa-baqa' kana'is an-na$ara bi-ha kharaJPI Ua zamani-na hadha Lam y~rraf fi-ha wa-anna al-muslimnbanaw bi-iza'i kulli kansatin min-ha masjiclQ1J''(58).

    Il importe videmment de distinguer l'hypothtique permanence d'unchristianisme maghrbin aprs le milieu du XIIe sicle de la prsence, bien atteste, dechrtiens trangers venus comme mercenaires ou comme marchands. De ce point devue, j'avoue que les deux textes d'al-Burzul cits par Mohamed Talbi et concmantTunis au dbut du xve sicle(59) ne suffisent pas emporter ma conviction quant aumaintien jusqu' cette date d'une communaut chrtienne d'origine locale. Enparticulier le second d'entre eux, qui parle des femmes chrtiennes "qui se voilentcomme les musulmanes, le plus souvent sans signe distinctif', et des hommes dont"certains ont voulu se coiffer la manire des musulmans" et que le sultan a obligs respecter leur propre coiffure, me parat aussi bien, et peut-tre mieux s'appliquer des trangers installs, fascins par le mode de vie local et, pour certains, on le sait, envoie de conversion volontaire l'Islam(6O).

    On ne peut manquer d'tre frapp par le fait que la plupart des rfrencesmusulmanes la politique de 'Abd al-M'min l'gard des chrtiens et des juifs, sontoffertes par des textes orientaux, mme si plusieurs d'entre elles ont une sourced'origine occidentale(61). Les exceptions sont constitues par des hommes qui, bienqu'originaires du Maghrib al-Aq$ ou d1fnqiyya, vivent et crivent en Orient: 'Abdal-Wllhid al-Marrllkush et Ibn Shaddad, ziride migr Damas(62). Il est notable par

    (57) Les Les rfrences que semble donner R. Brunschvig (LA Berbrie orientale sous lesl;laf:;ides, des origines lafm du XVt' sicle, Parls, 1940, t. l, p. 430) Tijani, dans la traductionRousseau, et Ibn al-Athir, dans la traduction Fagnan, propos du Nefzaoua, concernent en fait laprise de Tunlse par 'Abd al-Mo'min. Brunschvig minimise la prsence chrtieMe suppose dans leNefzaoua au XIVe sicle, et insiste sur la coupure entre les lments chrtiens immigrs dansl'Ifriqiyya baf~ide et "l'ancieMe chrtient locale disparue".

    (58) d. 1981, p. 162. Nous ne suivons pas la trad. Rousseau, 1852, p. 203.(59) Art. cit., pp. 344-345.(60) Il suffit cet gard d'voquer le cas d'Anselm Turmeda (cf. M. de Epalza, Fray Amselm

    Turmeda ('Abda1l6h al-Taryumiln) y su polmica is/amo-cristiana, 2e d. mise jour, Madrid, 1994).(61) M. Talbi insiste sur le fait que la ligne et demie concernant la prise de Tunis chez Ibn al-

    Athr et at-Tijlini vient d'Ibn Shaddlid (flle christianisme maghrbin", p. 328).(62) M. Talbi, Encyclopdie de l'Islam, 2ed., t. 3, 1965, pp. 957b-958a.

  • LA MINORIT CHRTIENNE DANS L'OCCIDENT MUSULMAN MDIVAL 47

    avec l'entreprise de la prtendue "reconqute", comme Lisbonne, le rsultat tait lemme. L'vque mozarabe de Lisbonne de 1147 a t tu par les Croiss, et sesouailles dportes ou rduites en esclavage par le premier souverain portugais(68).Mme l o, en territoire chrtien, la communaut mozarabe fut mieux traite et fitpreuve d'une particulire rsistance, comme Tolde, en raison probablement de sonpoids dmographique exceptionnel, allant jusqu' assi~iler pendant un temps lesimmigrs venus du Norc:J

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    - Le troisime est que ce changement est li avec l'extension du pouvoir desAlmohades, en ses diffrentes tapes~

    D'autres points sont soit douteux, soit rejeter purement et simplement:- Il faut d!abord rejeter la thse de l'alternative simple: "La conversion- l'Islam

    ou la mort" qui auraitt propose par 'Abd al-M'min aux dhimmI-s, au moins Thnis, sinon ailleurs. Il est clair que ce n'est l qu'une formule lapidaire qui cache lefait qu'en ralit une troisime option tait laisse, et le plus gnralement souhaite etpratique, celle de l'expulsion, la menace de mort ne servant qu' raliser cetteexpulsion.

    - Il convient sans doute d'tre plus nuanc quant la formulation consistant dire que les Almohades "n'ont expuls que les communauts qui leur taientpolitiquement hostiles"(67). Car on sait bien qu'ils ont expuls, ou laiss partir, leschrtiens de Marrakech, pour partie au moins constitus par les mercenaires auservice des Almoravides, qui leur avaient ouvert les portes de la capitale. Et l'on seraitprobablement bien en peine de trouver des communauts dhimmi-s qui leur fussentpositivement favorables. On ne peut probablement pas nier une politique de"purification", ou plutt d'''unification'' de la part des Almohades.

    - Il faut tenir compte des ractions des populations non-minoritaires l'gard deceux qui apparaissent comme les agents, ou les complices de l'oppression, ou del'agression, venue de l'extrieur. On a voqu les ractions des populationsmusulmanes des villes ctires d'Ifiiqiyya, ou de celles du Gharb al-Andalus. C'est lprobablement que se situe l'explication de la politique de 'Abd al-M'min.

    Finalement, la minorit chrtienne de l'Occident musulman nous apparat avoirt la victime en premier lieu de la pression accrue exerce au xne sicle sur le Sudde la Mditerrane par le Nord, porteur d'un systme conomique et social diffrent,que l'on nommera, si l'on veut, faute de mieux, par commodit ou paresselinguistique, "fodal". Que les chrtiens dhimmi-s se soient associs aux conqurantsvenus du Nord, suscitant ainsi la rvolte contre eux de la majorit, et aient t acculsau choix entre la conversion et l'exil, sous la menace du massacre, comme il advint enIfr'iqiyya et dans une grande partie d'al-Andalus, ou qu'ils aient refus cette solidarit

    avec l'ancienne chr6tient locale" (Ceuta aux poques almolu:uk et mrinide. Paris, L'Harmattan,1996, p. 1SS). Nous sommes enclin li mettre en rapport Martin al-Furkhani avec les Banu Farhan,massac!'6s' li Marrakech en 926 H1I23132 par le prtendant Yahia en rbellion contre al-Ma'mon,(Rawd alQirtAs, tract Huicl Miranda. 2e d., Valence, 1964, t. 2, p.49l). Ces Banu Fahran paraissentplus probablement des mercenaires chr6tiens que des mozarabes d'Espagne antrieurement dportsau Maroc. voire des Berbres du Haouz, ainsi que le supposait C.E. Dufourcq ("Be~rie et Ibriemdivales: un probl~me de rupture", Revue historique 240 (1968), pp. 293-294 [rimp. dans L'Ibriechrtienne et le Maghreb. XJJeX~ sicles, Variorum, Aldershot, 1990), spcialement p.31S, note 1;"Relations du Maroc et de la Castille pendant la premire moiti du XIIIe si~le", Revue d'Histoire etde Civilisation du Maghreb 5 (1968), pp. 37-62 [rimp. dans L'Ibrie chrtienne et le Maghreb],spcialement p. 4S, note 34).

    (67) H. Bresc, "Arab Christians in the Western Mediterranean", p. 39.

  • Hespris-Tamuda, Vol. xxxvn (1999), pp. 49-58.

    LES~ORnSET~QUESDANSLESCOURSROYALESDE L'OCCIDENT MUSULMAN AU MOYEN-GE

    Le cas du royaume des Sanhaja de Grenade au XIe sicle

    Mohammed HAMMAM

    Au Moyen-Age, pour bien asseoir leur pouvoir et mieux rgner, bon nombrede rgimes politiques qui se sont succd en Occident musulman se sont appuys, .entre autres, sur des lments ethniques trangers: juifs, chrtiens ou autres. Ceux-ci se voient confier des responsabilits trs importantes: ministres, secrtaires,chefs militaires, percepteurs des impts etc... Conscients du l'CIe considrable quileur revient au sein de ces rgimes