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ENSEIGNANT UN MÉTIER POUR TOUS ? PAR N. COSTANTINI Olivier Morel, professeur certifié d'anglais, enseigne en fauteuil roulant électrique au lycée Marie Curie à Echirolles. Par son témoignage, il donne un éclairage sur les possibilités offertes aux personnes en situa- tion de handicap de postuler à la fonction d'enseignant. Qu'en est-il du métier de pro- fesseur d'EPS ? Ce champ spécifique peut- il s'adapter à tous ? La loi du 11/02/2005 (1) modifie ainsi la loi de janvier 1984(2) : « Aucun candidat ayant fait l'objet d'une orientation en milieu ordinaire de travail par la commission prévue à l'article L 146-9 du code de l'action sociale et des familles ne peut être écarté, en raison de son handicap d'un concours ou d'un emploi de la fonction publique, sauf si son handicap a été déclaré incompatible avec la fonction postulée à la suite de l'examen médical destiné à évaluer son aptitude à l'exercice de sa fonction, réalisé en application des dispositions du 5° de l'article 5 ou de l'article 5 bis du titre 1 er du statut général des fonctionnaires ». Il semble à la lecture de cet article de loi que les choses soient entendues mais nous souhaitons apporter des éléments de réflexion sur les impli- cations d'une telle injonction, leurs traductions en amont et les obstacles qu'il reste à lever pour que la logique de l'inscription en tant qu'étudiant bénéficiant d'une formation avec aménage- ments (3) puisse se traduire après avoir satisfait aux conditions du concours à l'obtention du diplôme ad hoc. CADRE INSTITUTIONNEL Concours de recrutement des personnels enseignants Ils sont constitués d'épreuves réparties en deux groupes, les unes permettant de passer le cap de l'admissibilité, les autres mettant en évidence d'autres compétences pour qu'en fonction d'un nombre de postes au concours, l'admission soit prononcée. L'ensemble des épreuves proposées rend compte de toutes les compétences néces- saires à la fonction, les compétences plus péda- gogiques étant évaluées lors de la seconde année d'IUFM. Dérogations Dans le BO n° 6 du 16/06/2005 spécial concours, on peut lire dans le paragraphe 4 que des dérogations aux règles normales de déroule- ment des concours sont prévues afin notamment d'adapter la durée et le fractionnement des épreuves aux moyens physiques des candidats en situation de handicap ou de leur apporter des aides humaines et techniques nécessaires. De même, la loi de 2005 (1) complète par un nouvel article (4) le code de l'éducation. Il précise : « pour garantir l'égalité des chances entre les candidats, des aménagements aux conditions de passation des épreuves orales, écrites, pratiques ou de contrôle continu des examens ou de concours de l'enseignement scolaire et de l'en- seignement supérieur, rendus nécessaires en rai- son d'un handicap ou d'un trouble de la santé invalidant, sont prévus par décret. Ces aménage- ments peuvent inclure notamment l'octroi d'un temps supplémentaire et sa prise en compte dans le déroulement des épreuves, la présence d'un assistant, un dispositif de communication adapté, la mise à disposition d'un équipement adapté ou l'utilisation, par le candidat, de son équipement personnel ». Visite médicale Enfin, pour compléter le cadre réglementaire qui préside à la qualification d'enseignant, il nous faut préciser qu'à l'issue de la seconde année passée à l'IUFM. une visite médicale entérine la compatibilité de l'état de santé de la personne avec les fonctions qu'elle est amenée à remplir. Ainsi, dans un courrier en date du 20/06/2005, P.-Y. Duwoye, directeur des per- sonnels enseignants, précise que pour les per- sonnes porteuses de handicap « la vérification de la compatibilité du handicap avec les fonc- tions postulées sera dorénavant effectuée par le médecin agréé (5) lors de la visite d'aptitude prévue par les articles 5 et 5 bis de la loi n° 84- 16 du 11/01/1984 modifiée. Cette compatibilité sera appréciée préalablement à la nomination du stagiaire dans le cas d'une réussite au concours ou avant toute signature de contrat dans le cas d'un recrutement par la voie contractuelle ». L'ensemble de ces éléments définit clairement les conditions à remplir pour devenir enseignant. Ce qui prévaut réside dans la capacité du candi- dat à satisfaire aux épreuves corrélée à son état de santé au sens de bien-être physique, mental et psychologique. « L'apparence physique » au sens de la norme sociale n'est pas un facteur de sélection. Mais suffit-il d'avoir la qualification pour satis- faire aux tâches qui incombent à cette fonction ? 48 Revue EP.S n°319 Mai-Juin 2006 c. Editions EPS. Tous droits de reproduction réservé

ENSEIGNANT TOUS - CERIMESuv2s.cerimes.fr/media/revue-eps/media/articles/pdf/70319-48.pdf · 20/06/2005, P.-Y. Duwoye, directeur des per sonnels enseignants, précise que pour les

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ENSEIGNANT

UN MÉTIER POUR TOUS ? PAR N. COSTANTINI

Olivier Morel, professeur certifié d'anglais, enseigne en fauteuil roulant électrique au lycée Marie Curie à Echirolles. Par son témoignage, il donne un éclairage sur les possibilités offertes aux personnes en situa­tion de handicap de postuler à la fonction d'enseignant. Qu'en est-il du métier de pro­fesseur d'EPS ? Ce champ spécifique peut-il s'adapter à tous ?

La loi du 11/02/2005 (1) modifie ainsi la loi de janvier 1984(2) : « Aucun candidat ayant fait l 'objet d 'une orientation en milieu ordinaire de travail par la commission prévue à l'article L 146-9 du code de l'action sociale et des familles ne peut être écar té , en raison de son handicap d 'un concours ou d 'un emploi de la fonction publique, sauf si son handicap a été déclaré incompatible avec la fonction postulée à la suite de l'examen médical destiné à évaluer son aptitude à l'exercice de sa fonction, réalisé en application des dispositions du 5° de l'article 5 ou 4 ° d e l 'article 5 bis du titre 1er du statut général des fonctionnaires ». Il semble à la lecture de cet article de loi que les choses soient entendues mais nous souhaitons apporter des éléments de réflexion sur les impli­cations d'une telle injonction, leurs traductions en amont et les obstacles qu'il reste à lever pour que la logique de l'inscription en tant qu'étudiant bénéficiant d'une formation avec aménage­ments (3) puisse se traduire après avoir satisfait aux conditions du concours à l'obtention du diplôme ad hoc.

CADRE INSTITUTIONNEL

Concours de recrutement des personnels enseignants Ils sont constitués d'épreuves réparties en deux groupes, les unes permettant de passer le cap de l'admissibilité, les autres mettant en évidence d'autres compétences pour qu'en fonction d'un nombre de postes au concours, l'admission soit prononcée. L'ensemble des épreuves proposées rend compte de toutes les compétences néces­saires à la fonction, les compétences plus péda­gogiques étant évaluées lors de la seconde année d'IUFM.

Dérogations Dans le BO n° 6 du 16/06/2005 spécial concours, on peut lire dans le paragraphe 4 que des dérogations aux règles normales de déroule­ment des concours sont prévues afin notamment d'adapter la durée et le fractionnement des épreuves aux moyens physiques des candidats en situation de handicap ou de leur apporter des aides humaines et techniques nécessaires. De même, la loi de 2005 (1) complète par un nouvel article (4) le code de l'éducation. Il précise : « pour garantir l'égalité des chances entre les candidats, des aménagements aux conditions de passation des épreuves orales, écrites, pratiques ou de contrôle continu des examens ou de concours de l'enseignement scolaire et de l'en­seignement supérieur, rendus nécessaires en rai­son d'un handicap ou d'un trouble de la santé invalidant, sont prévus par décret. Ces aménage­ments peuvent inclure notamment l'octroi d'un temps supplémentaire et sa prise en compte dans le déroulement des épreuves, la présence d'un

assistant, un dispositif de communication adapté, la mise à disposition d'un équipement adapté ou l'utilisation, par le candidat, de son équipement personnel ».

Visite médicale Enfin, pour compléter le cadre réglementaire qui préside à la qualification d'enseignant, il nous faut préciser qu'à l'issue de la seconde année passée à l 'IUFM. une visite médicale entérine la compatibilité de l'état de santé de la personne avec les fonctions qu'elle est amenée à remplir. Ainsi, dans un courrier en date du 20/06/2005, P.-Y. Duwoye, directeur des per­sonnels enseignants, précise que pour les per­sonnes porteuses de handicap « la vérification de la compatibilité du handicap avec les fonc­tions postulées sera dorénavant effectuée par le médecin agréé (5) lors de la visite d'aptitude prévue par les articles 5 et 5 bis de la loi n° 84-16 du 11/01/1984 modifiée. Cette compatibilité sera appréciée préalablement à la nomination du stagiaire dans le cas d 'une réussite au concours ou avant toute signature de contrat dans le cas d 'un recrutement par la voie contractuelle ».

L'ensemble de ces éléments définit clairement les conditions à remplir pour devenir enseignant. Ce qui prévaut réside dans la capacité du candi­dat à satisfaire aux épreuves corrélée à son état de santé au sens de bien-être physique, mental et psychologique. « L'apparence physique » au sens de la norme sociale n'est pas un facteur de sélection. Mais suffit-il d'avoir la qualification pour satis­faire aux tâches qui incombent à cette fonction ?

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AIDES PRÉVUES POUR LES ENSEIGNANTS HANDICAPÉS Une lecture croisée de la loi d'orientation et de la circulaire relative aux missions de l'ensei­gnant de 1997 met en avant le fait que l'enseignant doit agir pour ses élèves de manière équitable et que son action se traduit en termes d'instruction, d'éducation et de formation à trois niveaux : la classe, l'établissement et le sys­tème éducatif. Comment alors rendre compatible la mission péda­gogique et éducatrice de l'ensei­gnant, notamment en regard de l 'exercice de sa responsabili té devant les élèves, avec les difficul­tés inhérentes à son handicap ? Afin de rendre possible le travail de la personne handicapée et dans l'intérêt conjoint des élèves, un correspondant académique (6) aide à l'intégration scolaire en préparant avec l'agent la demande d'aménagement de poste et en prenant en compte toutes les difficultés éven­tuelles. Cette personne, la plupart du temps médecin de prévention, médecin conseiller tech­nique du recteur ou responsable de l 'action sociale au niveau académique, est un interlocu­

teur privilégié. Les aménagements prévus peu­vent concerner l'équipement matériel mais éga­lement ce qui relève de l'organisation du travail, l'aménagement horaire ou fonctionnel (emploi du temps plus souple, enseignement par petits groupes, télétravail, etc.). Un assistant peut éga­lement être désigné par le recteur. Son temps de service est fonction des besoins évalués mais ne pourra excéder 32 heures hebdomadaires. Il ne

se substitue pas à l 'ensei­gnant mais lui apporte l'aide dont il a besoin durant son activité d'enseignement et/ou pour la pré­paration de celui-ci. Cette aide peut, par exemple, concerner le maintien de la discipline, l'écriture au tableau, la manipulation d'ob­jets, documents ou appareils, la correction des travaux d'élèves, la recherche de documents pour la préparation des cours ou les dépla­cements.

ENSEIGNANT D'EPS : UN MÉTIER POUR TOUS ?

À l'instar d'O. Morel (encadré), qui a pu faire valoir ses droits et a bénéficié des modalités mises en

œuvre par l'institution, qu'en est-il des per­sonnes handicapées qui souhaitent travailler dans le secteur des pratiques physiques et sportives ? La loi du 6 juillet 2000 précise dans son article 37 : « Nul ne peut enseigner, animer, entraîner ou encadrer contre rémunération une activité phy­sique ou sportive, à titre d'occupation principale ou secondaire, de façon régulière, saisonnière ou occasionnelle s'il n'est titulaire d'un diplôme

Témoignage

Je m'appelle Olivier Morel, je suis professeur d'anglais certifié, en poste au lycée général d'Échirolles depuis 2002. Je suis en fauteuil rou­lant électrique, ce qui a rendu mon parcours quelque peu singulier.

Pour occuper le poste que j'ai actuellement il a fallu, bien entendu, que j'acquière le même niveau de qualification que les autres ensei­gnants mais également que je passe un mois dans un lycée afin de faire un stage d'observa­tion et de pratique aux côtés d'un professeur expérimenté pour prouver ma capacité physique à enseigner. C'est ce professeur qui, par sa déci­sion positive, m'a permis de présenter le CAPES puisque, jusqu'à la loi du 11/02/05, ce stage était obligatoire avant même de pouvoir s'inscrire lorsque l'on était atteint d'un handicap supérieur à 80 %.

Une fois ce stage validé, afin que je sois sur le même pied d'égalité que les autres candidats au concours, le ministère de l'Éducation nationale m'a octroyé tous les aménagements nécessaires tout en tenant compte de ma spécificité. Ces aménagements consistent à avoir recours à un secrétaire pour écrire, d'une part et, d'autre part à disposer d'un tiers temps supplémentaire. Compte tenu de mon handicap physique, ces aménagements au concours ne suffisaient pas et afin que je puisse exercer de la même façon qu'un enseignant valide, ils devaient se pour­suivre au niveau de mon poste de travail. C'est en ce sens que le ministère de l'Éducation natio­nale, une fois mon CAPES réussi, m'a financé toutes les aides techniques nécessaires à l'exer­cice de ma fonction. En effet, du fait de ma diffi­culté d'écriture à la main, je devais dispenser les cours par un autre moyen. C'est pour cela que j'utilise un micro-ordinateur couplé à un matériel de vidéo-rétroprojection. Cette technicité me permet, en grande partie, de pallier mon handi­cap face aux élèves et de leur laisser une trace

écrite de mon cours comme n'importe quel autre collègue valide. Ce matériel informatique est indispensable mais n'est pas suffisant. En effet lors de la décision du ministère m'ayant reconnu apte à exercer ce métier, l'administration, outre cette aide technique, m'a également octroyé une aide humaine en cours comme à l'extérieur des cours pour la phase préparatoire de ceux-ci. Cette aide est indispensable car, et c'est particu­lièrement vrai en langue, on ne peut pas tout pré­voir en amont du cours et II faut donc laisser place à une certaine dose de spontanéité des élèves. C'est en ce sens que la personne qui est à mes cotés au sein du cours a un rôle primordial, non seulement pour distribuer les photocopies lorsqu'il y a besoin, mais également, et surtout, pour prendre en note les interventions person­nelles des élèves. Une complicité entre ensei­gnant et assistant est donc tout à fait indispen­sable, surtout au sein du cours. Son rôle est particulièrement difficile dans la mesure où elle n'a aucune autorité sur les élèves et que la per­sonne responsable devant la loi et devant la classe reste l'enseignant handicapé. Un tel poste est tout à fait intéressant pour la personne qui l'occupe dans la mesure où, pour ce qui me concerne, mon assistant est quelqu'un qui doit avoir des connaissances dans la langue et donc est recruté parmi les étudiants passant le CAPES. C'est donc une opportunité pour la per­sonne d'être en contact avec le futur public à qui elle aura à enseigner.

Ce système de fonctionnement à deux permet à l'enseignant de compenser son handicap et d'être vu, par les élèves mais aussi les parents, comme un enseignant à part entière et non comme une personne handicapée. Le premier contact avec les élèves au début de l'année est souvent une période où chacun s'observe de façon générale pour tous les enseignants. Cette période d'observation est d'autant plus vraie lorsque l'on se présente devant eux en étant dif­

férent. Personnellement j'essaie de tirer profit un maximum de cette différence et de faire de mon handicap physique un réel atout dans la relation que j'établis avec mes élèves. Délibérément je ne parle pas d'emblée de mon problème et je leur explique le mode de fonctionnement à deux. Je ne suis, bien sûr, pas fermé aux questions et suis disposé à y répondre sans détour. En adoptant cette politique d'ouverture, je me suis aperçu que les questions, quand elles venaient, étaient très tardives. Ma condition physique ne m'empêche pas d'aborder des thèmes en rapport avec le han­dicap mais j'aborde ces séquences comme n'im­porte quelle autre. J'ai d'ailleurs remarqué une attention toute particulière de la part des élèves lorsque l'on aborde des séquences où le thème du handicap au sens large est présent. Parce que la relation est naturelle, je pense que les élèves ne me voient qu'en tant qu'enseignant et, qu'après quelques semaines, ils ne remarquent plus le fau­teuil roulant. Jusqu'à présent, je n'ai pas non plus eu de problèmes relationnels avec les parents d'élèves du fait de mon handicap. Cela s'explique principalement, je pense, par le fait que je me pré­sente face à eux tout naturellement et surtout sans aucun complexe vis-à-vis de ma spécificité physique.

En conclusion je dirais donc qu'exercer le métier d'enseignant en tant que personne handicapée ne pose pas de problème majeur dès lors que les conditions matérielles et humaines sont réunies. En effet, lorsque comme moi, une personne se déplace en fauteuil, il faut que l'établissement dans lequel la personne va exercer présente un minimum de normes d'accessibilité. Concernant l'aménagement du poste de travail, ces mêmes conditions doivent être réunies. J'ai essayé de détailler ce dont j'avais besoin personnellement, mais il est bien évident que chaque personne handicapée exerçant ce fabuleux métier aura besoin d'aménagements différents en fonction de son handicap.

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comportant une qualification définie par l'Etat et attestant de ses compétences en matière de pro­tection des prat iquants et des tiers » (7). Elle précise également dans son article 20 « que l'État concourt à la formation des cadres sportifs spécialisés dans l'encadre­ment des activités physiques et spor­tives des personnes handicapées ». Par ces articles on note bien la vo­lonté de former des cadres pour prendre en charge la pratique phy­sique des personnes handicapées. Mais qu'en est-il de la situation inverse : une personne handicapée a-t-elle la possibilité d'enseigner, d'animer auprès de personnes va­lides ou en situation de handicap ? Cette remarque vaut également pour les futurs enseignants d'EPS qui, par leur statut de professeur sont reconnus juridiquement compétents dans toutes les situa­tions d'enseignement du secondaire sans avoir obligatoirement suivi en formation initiale des modules de formation adaptés à la prise en charge des élèves à besoin spécifique. Peut-il y avoir un titulaire du CAPEPS handicapé ?

Analyse du CAPEPS (arrêté du 22/09/1989) En nous situant dans le cadre réel qui circonscrit l'injonction de la loi du 11/02/2005, nous envi­sageons le cas d'un étudiant qui aurait suivi sa formation en STAPS avec les aménagements éventuels prévus par la loi, et se préparerait au professorat après avoir obtenu sa licence ou équi­valence dans cette spécialité. Se présenter au CAPEPS c'est satisfaire à deux écrits pour prétendre à l'admissibilité puis à des épreuves d'admission qui relèvent de compé­tences orales et physiques. Préalablement tout candidat doit effectuer une inscription et transmettre pour certains d'entre eux, un dossier aux services des examens et concours académiques faisant état de la demande d'aménagements d'épreuves renseignée par un médecin agréé (5). Pour que l'inscription soit validée un ensemble de pièces justificatives doit être fourni à la date de clôture des inscriptions ; il s'agit des attestations d'aptitude en secourisme et en sauvetage aquatique (8). Cette dernière épreuve, telle qu'elle est conçue, peut constituer un premier obstacle irrémédiable pour une per­sonne en situation de handicap et donc une impossibilité d'aller plus avant dans le concours. En effet, il est demandé au candidat dans un temps contraint d'effectuer après un départ plongé une distance en apnée suivie d'un remor­quage de mannequin puis une distance nagée sui­vie d'un second remorquage sur une distance de 25 mètres (9). Ce dispositif qui peut subir quelques variations quand il fait l'objet d'une unité d'enseignement permet de statuer sur la compétence du futur enseignant à pouvoir garan­tir en cas d'accident l'intégrité physique et la sur­vie de ses élèves. On comprend qu'il ne puisse subir de modifications sur les critères tenus pour la certification. La sécurité est le critère qui fonde la sélection et permet aux différents candi­dats de poursuivre leur concours. A ce sujet, il nous faut préciser que si des personnes handica­pées peuvent y satisfaire, des valides restent régulièrement sur la touche.

L'admissibilité Ces épreuves valident des compétences théo­riques, scientifiques et didactiques à partir de deux écrits, et ne constituent pas une phase de rupture et de mise à l'écart des candidats en situation de han­dicap (aménagements possibles). Des tiers temps sont possibles ou tout autre aide humaine ou tech­nique nécessaires et précisées par les candidats au moment de leur inscription. L'admissibilité est alors prononcée en fonction d'un ratio par rapport au nombre de postes offert au recrutement et la liste des candidats concourant pour l'admission peut comporter des personnes handicapées.

L'admission Le candidat doit satisfaire à un ensemble de trois épreuves dont une orale prenant appui sur un dossier et les deux autres liant deux oraux et cinq pratiques physiques. Ces dernières imposent la délivrance d'un certificat médical de moins de quatre semaines de non contre-indication à la pratique des activités physiques, sportives et artistiques dans lesquelles le candidat doit réali­ser une prestation physique. L'épreuve de natation est obligatoire pour tous. Un choix s'effectue ensuite de trois pratiques dans les activités athlétiques, gymniques et rela­tives aux sports collectifs et d'une autre pratique choisie parmi une liste en annexe de l'arrêté dans les pratiques de combat, duelles, d'expression et de pleine nature. Chacun de ces choix est associé à une épreuve orale et la notation se fait par ajout des points lors de ces deux prestations (pratique et orale). Dans la note de service n° 96-109 du 19/04/1996 qui accompagne le texte de référence, il est pré­cisé que les prestations physiques sont organi­sées selon les réglementations en vigueur adop­tées par les fédérations sportives internationales concernées associées au code UNSS pour la cotation des difficultés dans les activités gym­niques. Les barèmes et les conditions de réalisa­tion y figurent. Ainsi les candidats sont évalués et notés selon les critères établis sans aucune autre distinction que le genre. Comme indiqué ci-dessus, chaque épreuve phy­sique n'est qu'une partie de la note finale attri­buée à l'épreuve 2 et à l'épreuve 3 ; l'attribution d'un zéro lors d'une ou plusieurs prestations physiques ne peut donc être éliminatoire et empêcher en tant que telle la réussite finale. Pour ce qui concerne les activités d'opposition qui

engage la sécurité de plusieurs per­sonnes (adversaires et partenaires), le médecin du concours donne un avis sur la possibilité d'une réalisa­tion dans le respect de l'intégrité physique de chacun. Ce tour d'horizon sur les épreuves constitutives du CAPEPS nous per­met de conclure que tout candidat peut se présenter aux épreuves qu'il a choisies lors de son inscription, qu'il devra y répondre dans le res­pect des exigences figurant dans les textes de référence et que son résul­tat final dépend du nombre de points qu'il totalisera une fois affectés les coefficients de chaque épreuve. La qualification de professeur d'EPS sera donc le résultat du rang de classement et du nombre de postes au concours. Tout comme

l'enseignant d'anglais qui a présenté son expé­rience, il s'agira alors pour ce nouveau lauréat de satisfaire à la visite de compatibilité prévue en fin d'année de PLC2 (10) puis de mesurer les besoins relatifs à sa prise de fonction pour un traitement équitable des élèves et le respect de leur formation en toute sécurité.

A l'issue de cette réflexion, on remarque que le chemin à parcourir pour une personne valide et une autre en situation de handicap n'est pas le même. Les démarches supplémentaires sont sou­vent vécues comme des contraintes injustes qui rajoutent au stress et aux exigences mêmes à satisfaire pour réussir. Il semble de plus qu'il n'y ait pas la même faci­lité à devenir enseignant selon la discipline que l'on souhaite dispenser. La pratique physique et l'intervention sur les corps nécessitent de la part de celui qui enseigne une disponibilité corporelle qui rend plus difficilement envisageable la pos­ture d'enseignant d'EPS pour des personnes por­teuses de certains handicaps. Mais la porte n'est pas fermée et la présence d'un assistant peut être un moyen après réussite au concours de donner à tous autant de chance de vivre jusqu'au bout sa passion. Cette personne devra satisfaire égale­ment à des compétences avérées en matière d'en­seignement des activités physiques et sportives, répondre à un certain profil pour pallier les inca­pacités de l'enseignant consécutives de son han­dicap sans toutefois se substituer à lui dans le cadre de sa responsabilité (11). De ce point de vue on comprend aisément le dilemme qui peut alors advenir : vivre sa passion jusqu'au bout ou se mettre en situation difficile et inconfortable pour assumer sa position d'enseignant respon­sable de sa classe et de la formation des élèves qui lui sont confiés.

La problématique de l'intégration des personnes handicapées dans le corps des enseignants certi­fiés est d'autant plus importante à envisager que l'on ne naît pas forcément handicapé mais qu'on peut le devenir. Ainsi, des réadaptations sont possibles mais il est certain que quand la maladie ou un accident survient, être obligé d'abandon­ner son métier peut être ressenti comme une forme de mise à l'écart sociale et vécue comme une « double peine ». L'ensemble des démarches mises en œuvre pour intégrer les personnes

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